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2. ENVAHISSEMENT

Ce chapitre présente une brève histoire de l’envahissement par les principales plantes exotiques ligneuses aux Comores, une évocation pour mémoire des espèces envahissantes non ligneuses, et le degré d’envahissement par type d’habitat.

2.1. Une brève histoire de l’envahissement

Les données sur les introductions de plantes exotiques dans l’archipel sont disparates. Ces introductions sont bien entendu intimement liées à la présence humaine:

• L’occupation humaine permanente est plus ancienne que dans les autres îles de l’océan Indien du fait du positionnement de l’archipel proche du continent. Elle débuta avec l’arrivée de populations bantoues venues de la côte orientale de l’Afrique entre le VIIe et le Xe siècle de notre ère. Des sultanats rivaux se créèrent dans les îles mais la démographie resta limitée du fait de nombreuses guerres et notamment des fréquentes incursions malgaches.

• L’impact de l’occupation humaine n’a été néanmoins connu qu’à partir de la mise en valeur des terres par les Français au XIXe siècle. De 1846 à 1886, des planteurs venus en majorité de la Réunion développèrent la monoculture de la canne à sucre (Saccharum officinarum), et accessoirement celles du café (Coffea spp.) et du cacao (Theobroma cacao). A l’apogée de la culture de la canne en 1869, une île comme Mayotte produisait 3 000 tonnes de sucre. Pour cultiver la canne, on a déforesté l’essentiel des basses terres. Les villages ont été repoussés sur les pentes, et avec eux leurs lopins. Fonctionnant à la vapeur, les usines sucrières consommaient beaucoup de bois de feu, coupé dans les forêts alentour (Pascal 2002).

• En 1870, Gevrey pensa que les forêts n’occupaient plus qu’un sixième des surfaces des îles (Gevrey 1870). Il lista 60 espèces de plantes ornementales et cultivées introduites parmi lesquels il est intéressant de mentionner Agave sisalana (le sisal), Albizia lebbeck (le bois-noir), Casuarina equisetifolia (le filao), Syzygium jambos (le jamrosat), Acacia sp., Psidium sp. (le goyavier), Syzygium aromaticum (le giroflier) et Cinnamomum verum (le cannellier de Ceylan), aujourd’hui toutes envahissantes.

• Vers 1910, la chute des cours du sucre accompagnée de divers problèmes (interdiction totale de la traite des esclaves, multiplication incontrôlée des ravageurs) entraîna le déclin de l’industrie de la canne à sucre.

• Des sociétés coloniales agro-industrielles reprirent les terres et s’engagèrent dans une politique de diversification. La vanille (Vanilla planifolia), la girofle (Syzygium aromaticum), la sisale (Agave sisalana), et surtout les plantes à parfum dont le fameux ylang ylang (Cananga odorata) connurent un fort développement.

• Avec la décolonisation, et sous l’action de la pression foncière liée à une démographie galopante, les sociétés ont alors vendu peu à peu leur domaine à des petits propriétaires exploitants. Aujourd’hui, l’agriculture emploie toujours 70 à 80 pour cent de la population active en Union des Comores (UNDP/GEF/IOC 2000). La déforestation est intense et les forêts restantes ne doivent leur salut qu’à leur haute altitude ou à leur inaccessibilité. Les forêts du Karthala et de la Grille à la Grande Comore et la forêt du Mzé koukoulé à Mohéli sont de plus en plus mitées. La forêt est devenue inexistante sur les pentes inférieures à 110 pour cent à Anjouan.

• A Mayotte, 70 pour cent des ménages sont agricoles, mais le plus souvent en pluri-activité. Les ménages agricoles stricts ne représentent plus que 19 pour cent de la population active. Néanmoins à Mayotte on estime à 20 000 le nombre de clandestins majoritairement agriculteurs issus des autres îles, dont la pression n’est pas négligeable.

• A Mayotte, seules les forêts perchées sur les crêtes ont été épargnées pendant la grande période d’exploitation agricole et forestière de l’île. Ces sites concentrent sur une fraction infime du territoire (15 km2 sur 354 km2) la majeure partie de la richesse floristique. On a ainsi calculé que 294 espèces de plantes ligneuses natives de Mayotte sont représentées sur seulement 5 pour cent de son territoire (Pascal 2002).

2.2. Statut de l’envahissement

Il n’y a jamais eu de liste officielle de plantes envahissantes aux Comores et à Mayotte. Le travail d’investigation s’est fait à partir des mentions trouvées dans la littérature existante, les communications personnelles des experts locaux rencontrés, et les observations personnelles de terrain (notées pers. obs. P. Vos).

Les observations de terrain se sont faites principalement dans les zones suivantes: dans les forêts de la Grille et du Karthala à la Grande Comore (forêts humides au dessus de 1 000 m d’altitude) ; sur la côte entre Fomboni et Nioumachoua et en montagne (transect Nord Sud arrivant à Nioumachoua) à Mohéli ; en bord de mer vers Sima/Bimbini, en ‘forêt’ humide de Moya (entre 1 000 et 1 100 m d’altitude) et entre Mutsamoudou et le lac Dzialandzé en passant par le sommet du T’zsingi (1 596 m) à Anjouan ; A Saziley, au Bénara entre les deux pics (forêt humide, 600 m. d’altitude), à Sohoa (forêt de basse altitude), Combani, et le massif de la convalescence à Mayotte (forêt humides, 500 m d’altitude).

Les listes suivantes ne prétendent en aucun cas être exhaustives. Elles ne sont que le fruit d’une première reconnaissance et d’une première interrogation des acteurs locaux, qui devront être complétées ultérieurement.

L’information la plus complète sur les espèces envahissantes, même si elle est encore disparate et ne peut en aucun cas être encore comparée à l’information disponible à la Réunion ou l’île Maurice, se trouve à Mayotte au Service des eaux et forêts. La connaissance des plantes envahissantes en Union des Comores est importante mais non formalisée.

2.2.1. Principales espèces ligneuses envahissantes

Espèces

Références

Iles envahies

Habitats envahis

Introduction

Acacia mangium

1, 3, 4, 6

Ma, Mo, A

P, C, IS, plastique

Avant 1870 ?

Années 1980

(Reboisement)

Acacia auriculiformis

1, 3, 4, 6

Ma, Mo, A

IH, plastique

Années 1980

(Reboisement)

Albizia lebbeck

1, 5, 6

Ma, Mo,

C, IS, plastique

Avant 1841 (1767 à Maurice)

Cinnamomum verum

1, 3, 5, 6

Ma, Mo,

IH

Avant 1870

Clidemia hirta

2, 3, 4, 6

Toutes

IH, A

Absente de Mayotte en 1997 ?

Gliricidia sepium

2, 3, 4, 6

Mo, A, GC

IS

Présent en 1962

(tuteur vanille)

Jatropha curcas

4, 5, 6

Toutes

C, IS

 
Lantana camara

1, 2, 3, 4, 5, 6

Toutes

C, IS

 

Leuceana leucocephala

1, 3, 6

Toutes

C, IS

Présent en 1962

Litsea glutinosa

1, 2, 3, 4, 5, 6

Toutes

IH

Après 1841

Psidium guajava

1, 3, 6

Toutes

C, IS

Avant 1870

Psidium cattleianum

1, 2, 3, 4, 6

A, GC

IH, M, A

 
Senna sp.

1, 3, 4, 5, 6

Toutes

IS, plastique

 
Spathodea campanulata

1, 5, 6

Toutes

IH, plastique

 

Syzygium aromaticum

3, 4, 6

A, Mo

IH

XIXe siècle

Syzygium jambos

1, 2, 3, 5, 6

Toutes

IH, A, surtout vallées

Avant 1870

TABLEAU 1. PRINCIPALES ESPÈCES LIGNEUSES ENVAHISSANTES DE L’ARCHIPEL DES COMORES.

Références: 1 Com. Pers. Barthelat, 2 Com. Pers. Yahaya, 3 Com. Pers. Experts Mohéli, 4 Com. Pers. Experts Anjouan, 5 Pascal (1997), 6. Obs. Pers. Vos

Habitats: C: Forêt côtière, IS: Forêt intermédiaire sèche, IH: Forêt intermédiaire humide, A: Forêt d’altitude, P: ‘Padzas’, mauvaises terres

Introductions: Avant 1870 (Gevrey 1870); Avant 1841 (Gachet 1969), Après 1841 (Jacq 2001); Présent en 1962 (IRAT 1968); Autres dates: Com. Pers. Sauf information sur Clidemia hirta (la plante n’est pas présente dans la liste de plantes introduites établie alors par Pascal).

Si l’on considère ‘envahissante’ une espèce mentionnée par au moins 50 pour cent du panel interrogé, on compte alors 16 espèces. Toutes les espèces mentionnées sont considérées comme hautement envahissantes à modérément envahissantes sous les tropiques par Binggeli (1998). Elles ont été introduites dans l’archipel des Comores comme bois d’œuvre (1), espèces fruitières (3), épices (2), pour le contrôle de l’érosion (2), comme ornementales (1), pour leurs multiples usages tels que bois de chauffe, fourrage et/ou tuteurs de vanilles (3), ou pour des raisons incertaines (4).

Certaines de ces espèces ont été introduites dès le XIXe siècle, notamment les fruitiers, les épices et certaines espèces multi-usages à croissance rapide telles que L. glutinosa. Les autres espèces (de reboisement, lutte contre l’érosion…) ont été introduites plus tard au cours du XXe siècle.

Environ 2/3 de ces espèces sont des arbres, le reste étant des arbustes (L. glutinosa, L. leucocephala, J. curcas, G. sepium, L. camara, C. hirta, Senna sp.)

Il est intéressant de noter que les Acacia sp. introduits massivement depuis les années 1970 aux Comores pour boiser les mauvaises terres (‘padzas’) et lutter contre l’érosion, notamment à Mayotte, se sont naturalisés et régénèrent même aujourd’hui. Le Service des eaux et forêt de Mayotte a noté très récemment ce phénomène qui pourrait à terme se révéler catastrophique, les exigences de ces espèces étant très réduites et leur régénération constatée sur le terrain très importante.

A. lebbeck est largement répandu en zones sèches où, notamment à Mayotte, il est maintenant dominant dans le paysage.

C. verum pose de sérieux problèmes dans les milieux dégradés en zone fraîche. Notamment à Combani à Mayotte et sur les hauteurs de Mohéli. La plante jouit néanmoins de prestige et est très utilisée en tisane et comme épice.

C. hirta (‘Désirée’ aux Comores) est considérée comme une envahissante déclarée, même si elle restait lors de la visite mal connue de l’ensemble des îles. Pascal (1997) ne l’a pas notée dans sa liste des plantes introduites à Mayotte alors qu’elle envahit très vigoureusement le massif de la Convalescence autour de la maison du gouverneur. A la Grande Comore, elle est très présente sur les contreforts du Karthala mais n’a par contre pas été notée dans la forêt de la Grille. Elle est présente partout à Mohéli, des zones fraîches de bord de route côtière aux sommets. A Anjouan, elle a été vue sur le terrain sur la route de Moya en bord de côte et au-dessous du lac Dzialandzé, dont le biotope lui est très favorable.

Les plantes multi usages considérées comme envahissantes montrent une vigueur hors du commun. Bien que surexploitées pour leurs fruits, comme fourrage ou bois de chauffe/bois d’œuvre, elle parviennent à proliférer. C’est notamment le cas de L. glutinosa à Mayotte, et G. sepium, J. curcas, P. cattleianum entre autres en Union des Comores. A Mayotte où l’agriculture pourrait prendre le pas sur les services dans l’économie locale à l’avenir, la démographie de certaines de ces plantes pourrait prendre une ampleur catastrophique si leur utilisation actuelle devait diminuer ou cesser.

L. camara est présent partout dès qu’une trouée existe; il est beaucoup plus abondant en zone sèche où sa progression ne semble plus pouvoir être stoppée.

P. cattleianum et S. jambos représentent une menace claire pour les vestiges de forêt humide. Au Karthala en versant ouest, entre les zones de cultures envahies et la forêt naturelle s’est développé un taillis dense monospécifique de P. cattleianum qui représente un foyer néfaste pour l’envahissement progressif de la forêt naturelle à la moindre ouverture de son couvert pour la mise en culture de nouvelles parcelles. S. campanulata est naturalisé en forêt humide où ils est parfois constituant principal des forêts secondaires. Il constitue également une menace pour les forêts humides naturelles.

Parmi les 16 principales espèces envahissantes, on en distingue 8 très problématiques et qui sont ou devraient être une priorité de gestion: Acacia mangium, Acacia auriculiformis, Clidemia hirta, Lantana camara, Litsea glutinosa, Psidium cattleianum, Spathodea campanulata et Syzygium jambos. Toutes ces espèces occupent vigoureusement les zones perturbées ou de forêt secondaire, mais semblent également à même d’envahir les habitats intacts où elles ont été rencontrées sur le terrain.

2.2.2. Autres espèces ligneuses reconnues envahissantes

Les espèces suivantes ont été mentionnées plus ou moins fréquemment par les acteurs de l’environnement sur le terrain. L’absence de données historiques et d’observations passées fiables ne permet pas d’affirmer que ces espèces sont en expansion. Leur présence en quantité sur le terrain et leur caractère envahissant dans d’autres parties du monde le laisse néanmoins présager.

Espèce

Référence

Habitats envahis

Introduction

Adenanthera pavonina

1, 5

IH

XXe siècle (reboisement)

Albizia chinensis

1

IH

 

Aleurites moluccana

1

IH

 

Anacardium occidentale

3, 6

C, IS

 

Annona squamosa

1

IS

 

Casuarina equisetifolia

1

C

 

Citrus reticulata

5

IH

 

Duranta erecta

1

Bords de routes

 

Kleinhovia hospita

1

?

 

Rubus alceifolius

1, 6

IH

 

Sapindus saponaria

1

?

 

Solanum sp.

1, 6

IS et IH

 

Tectona grandis

1, 3

C, IS

Avant 1965

Terminalia catappa

1,6

C

 

TABLEAU 2. AUTRES ESPÈCES LIGNEUSES ENVAHISSANTES RECONNUES DE L’ARCHIPEL DES COMORES.

Références: 1 Com. Pers. Barthelat, 2 Com. Pers. Yahaya, 3 Com. Pers. Experts Mohéli, 4 Com. Pers. Experts Anjouan, 5 Pascal (1997), 6 Obs. Pers. Vos, 7 Vandamme (2001)

Habitats: C: Forêt côtière, IS: Forêt intermédiaire sèche, IH: Forêt intermédiaire humide, A : Forêt d’altitude, P: ‘Padzas’, mauvaises terres

Introductions: Avant 1870 (Gevrey 1870) ; Après 1841 (Jacq 2001); Autres dates: Com. Pers.

A. pavonina est fréquent en forêt humide secondarisée et constitue une menace potentielle pour les forêts humides.

R. alceifolius n’a été noté en quantité qu’à Coconi sur Mayotte, où il commence à former par endroit des tapis monospécifiques. Etant donné son caractère très agressif dans les îles voisines de l’océan Indien, et notamment la Réunion, il est à surveiller.

Le Service des eaux et forêt de Mayotte s’est montré préoccupé par l’expansion depuis quelques années semble t-il d’A. chinensis, qui semble confirmée par la présence de nombreux jeunes arbres en bord de route.

T. grandis est présent par tâches en zones sèches, notamment à Mohéli où il se multiplie de proche en proche.

T. catappa est omniprésent en bord de mer.

2.2.3. Espèces apparemment non envahissantes ou non consensuelles

Il s’agit d’espèces dont les dates d’introduction sont inconnues mais qui semblent bien s’être naturalisées. Deux cas sont possibles:

Dans le premier cas, elles n’ont pas été notées à ce jour comme envahissantes mais le sont dans d’autres parties du monde tropical. On compte ici Artocarpus altilis, Artocarpus heterophyllus Cananga odorata, Eugenia brasiliensis, Eucalyptus sp., Eugenia uniflora, Ricinus communis, Rubus sp., Samanea saman, Swietenia sp., Syzygium cumini et Tribulus cistoides.

Deuxièmement, leur caractère envahissant nécessite d’être confirmé et/ou est insuffisamment documenté dans l’archipel des Comores. Il s’agit de Barleria cf flavia, Litsea tersa, Lantana Montevidensis et Tecoma stans.

Cette liste n’est pas exhaustive et demande à être complétée.

2.2.4. Principales espèces envahissantes non ligneuses

Bien que n’entrant pas dans le cadre de cette étude, il est important de rappeler la menace qu’elles représentent pour la biodiversité de l’archipel des Comores.

Les principales espèces notées par les intervenants ou dans la littérature existante sont:

• Des lianes: une seule étude disponible (Caballé 1996) recense à Mayotte 50 espèces de lianes. Cette diversité est jugée forte par l’auteur pour une île de la taille de Mayotte (37 500 ha). Les 50 espèces appartiennent à plus de 20 familles. Les lianes sont présentes partout dans l’archipel des Comores en zone humide comme en zone sèche, de la côte aux sommets (à Mayotte et Mohéli). Elles tendent néanmoins à envahir préférentiellement les zones perturbées ou ouvertes, où elles peuvent aller jusqu’à former des tapis monospécifiques (Sohoa, Dapani, Andilabé pass, Convalescence et Bénara par exemple à Mayotte). Les espèces envahissantes sont principalement, Ancylobothrys petersiana Antigonon leptopus, Cissus quadrangularis, Entada gigas, E. rheedii, Ipomoea quamoclit, Ipomoea pes-capreae, Merremia peltata, Piper betle, Quisqualis indica, Saba comorensis (indigène), Solanum auriculatum et Solanum torvum. Les lianes sont pour l’archipel des Comores une des principales menaces pesant sur la biodiversité (voir paragraphe 3.2.2)

• Des fougères: Dicranopteris linearis et Nephrolepis sp.

• Des herbes: Hibiscus surratensis, Mimosa pudica, Elephantopus scaber, Achyranthes aspera, Stachytarpheta sp., Solanum macranthum, Turnera augustifolia, Ocimum spp., Pennisetum sp., Pentas lanceolata, Pueraria lobata Plectranthus spp., Sida spp., Urena lobata, Imperata cylindrica, Desmodium incanum, Bidens sp. et Teramnus labialus.

• Des plantes aquatiques: Eichhornia crassipes et Pistia stratiotes.

• D’autres végétaux: Agave sisalana, Ananas comosus, Bambusa glaucescens, Furcraea foetida, Hedychium gardnerianum et Hedychium flavescens. Cette liste n’est pas exhaustive.

2.3. Envahissement des habitats

Il existe peu de littérature fournissant des données quantitatives sur le degré d’envahissement sinon celle très intéressante de Pascal pour Mayotte (1997) qui malheureusement se cantonne aux forêts humides. Des études plus qualitatives ou cernant l’écologie d’une espèce envahissante existent, notamment les études sur L. camara (Mas 1999), L. glutinosa (Jacq 2001), ou les espèces spontanées (souvent exotiques) en zone agricole (Vandamme 2001). Ces études ne concernent encore une fois que la seule île de Mayotte.

2.3.1. Formations côtières

Les principales espèces ligneuses trouvées en zone côtière sont les arbustes L. leucocephala, L. camara, P. guajava, J. curcas et l’arbre Terminalia catappa. Le filao (C. equisetifolia) est par endroit présent. Etant donné son caractère envahissant dans d’autres îles de l’océan Indien, sa démographie devrait être surveillée.

Les espèces envahissantes non ligneuses sont particulièrement présentes et notamment les lianes I. pes-capreae, C. quadrangularis, les succulentes A. sisalana et F. foetida, la fougère D. linearis et de nombreuses espèces herbacées.

2.3.2. Formations sèches

Les formations sèches commencent au niveau de la mer et peuvent monter en fonction de l’exposition jusqu’à 700 m d’altitude au moins (versant est du Karthala en Grande Comore). Elles s’apparentent à des savanes herbacées à arbustives et se mélangent en altitude aux forêts denses. Elles sont très remaniées par l’anthropisation et notamment le pâturage, le déboisement, les incendies volontaires ou non, l’urbanisation.

On compte les mêmes espèces que dans l’ensemble précédent ainsi que des Senna sp. et les arbres A. occidentale, A. squamosa, A. mangium, A. auriculiformis, A. lebbeck et G. sepium.

2.3.3. Forêts humides de moyenne altitude

On les trouve à diverses altitudes en fonction de l’exposition et elle peuvent commencer dès 200 mètres (ex. : forêt de Sohoa à Mayotte). Les précipitations y sont en général de 1 700 à 2 200 mm par an et la saison utile (nombre de mois humides) de 5 à 7 mois. A Mayotte, sur 6 sites étudiés de ce type forestier, les espèces exotiques contribuent pour un taux de l’ordre de 10 pour cent au nombre d’individus de diamètre de tronc supérieur à 10 cm (Pascal 1997).

Les principales espèces ligneuses exotiques envahissantes rencontrées sont A. lebbeck, A. pavonina, C. hirta, C. verum, C. reticulata, J. curcas, L. glutinosa, P. cattleianum, S. aromaticum, S. campanulata, S. jambos.

A des altitudes plus élevées apparaît massivement P. cattleianum. Très appréciée pour ses fruits, son bois solide pour la construction et pratique comme bois de chauffe, l’espèce est favorisée mais subit aussi une forte pression. Sa vigueur est telle qu’elle arrive néanmoins à coloniser l’espace, notamment la forêt dès qu’elle est perturbée. P. cattleianum est peu fréquent à Mohéli. Comme l’espèce est appréciée, elle semble à présent y être plantée, ce qui est regrettable.

L. glutinosa est omniprésent dans cette forêt. Il colonise chaque ouverture mais persiste aussi dans le couvert. Il est également présent en forêt non perturbée et ce surtout à Mayotte, dont les forêts conservées sont à basse altitude et où la pression sur la plante diminue avec le déclin relatif de l’agriculture. L’encart1 joint présente plus en détail L. glutinosa, notamment dans son environnement à Mayotte.

2.3.4. Forêts humides d’altitude dites ‘de nuage’

Ces forêts commencent vers 500 m par endroit à Mayotte et Mohéli et montent jusque vers 1 800 m à la Grande Comore. Ce sont les mieux conservées car les plus inaccessibles. Dans leurs parties supérieures (absentes à Mayotte), elles peuvent par endroit se transformer en forêts de fougères arborescentes (Cyathea sp.) ou présenter une densité intéressante de palmiers dont certains seraient endémiques. 

Dans les zones perturbées par l’activité humaine, et notamment les jachères et les ouvertures par défrichements et plantation de bananiers et taros, on retrouve les espèces précédentes de milieu frais et notamment C. verum, C. hirta, S. jambos, avec une prédominance marquée de P. cattleianum qui parvient à former des taillis monospécifiques (notamment à la Grande Comore et dans une moindre mesure à Anjouan) suffisamment denses pour être peu pénétrables et empêcher toute régénération de la flore naturelle.

2.3.5. Steppes éricoïdes de haute altitude

Ces steppes se situent entre 1 800 et 2 300 m sur le Karthala, et sont caractérisées par des espèces d’éricacées (Philippia sp.) d’abord en mélange puis en formations pures. A Anjouan, on trouve les éricacées en mélange à partir de 1 500 m au sommet de l’île.

Des herbacées, telles que Hortensia sp. , sont présentes à la base de cet étage à la Grande Comore (introduits par les colons). Une plante à fleur envahissante au moins!

Les principales menaces à cet étage restent néanmoins les incendies volontaires ou non et dans une moindre mesure le déboisement par les campeurs.

ENCART 1. LITSEA GLUTINOSA DANS L’ARCHIPEL DES COMORES (UNION DES COMORES ET MAYOTTE): DYNAMIQUE, ÉCOLOGIE, CONTRÔLE

Ce travail s’appuie sur une étude (Jacq 2001) réalisée à Mayotte. Nombre des résultats sont néanmoins valables en Union des Comores voisine, où L. glutinosa est particulièrement envahissante.

Distribution naturelle

L’aire d’origine de Litsea glutinosa s’étend de la côte Est de la Chine au Nord de l’Australie, et inclut l’Asie du sud-est, la côte est de l’Inde et le Sri Lanka. Elle est absente naturellement d’Afrique et des îles de l’océan Indien, où elle est pourtant aujourd’hui une envahissante majeure (à la Réunion, dans l’archipel des Comores, à Maurice et à Rodrigues notamment).

Biologie de Litsea glutinosa

Litsea glutinosa est une Lauracée. Quatre espèces de cette famille ont été à ce jour décrites comme envahissantes: Cinnamomum camphora, Cinnamomum verum, Litsea monopetala et L. glutinosa (Binggeli et al. 1998).

Dans son aire d’origine, L. glutinosa montre une grande plasticité, occupant les côtes aussi bien que les hautes altitudes (commune jusqu’à 1 900 m d’altitude en Chine) en zones humides. Cette plasticité se rencontre dans l’archipel des Comores où elle a été observée dès 200 m d’altitude aussi bien qu’à Mayotte et jusqu’à au moins 900 m d’altitude à Anjouan en zone ouverte et humide (Obs. pers. P. Vos).

L. glutinosa est aromatique (feuilles, écorce, pulpe du fruit). La présence de métabolites secondaires tels que phénols et tannins semblerait limiter le parasitisme et notamment l’attaque par les termites (Obs. Pers. Jacq). Des ‘screenings’ sur phénols et tannins entrepris par le muséum d’histoire naturel de Paris devraient bientôt confirmer cette hypothèse.

L. glutinosa a des stratégies variées et efficaces de multiplication (bonne dissémination par endozoochorie, oilletonnage et drageonnage, dormance tégumentaire permettant la survie de la banque de graine). Sa période juvénile est courte, sa fructification longue et abondante, sa croissance rapide.

Plus précisément à Mayotte les résultats principaux d’étude sont les suivants:

• Les premiers travaux sur la conservation théorique de la graine montrent qu’elle a un comportement orthodoxe et doit pouvoir se conserver pendant dix ans au moins dans le sol.

• La multiplication végétative est spectaculaire. Sur les placettes d’expérimentation, les troncs proviennent à 40 du drageonnage et à 12 pour cent de l’œilletonnage. Ces rejets peuvent s’étendre et croître dans le sous-bois aussi longtemps qu’ils dépendent du pied mère, jusqu’à atteindre la canopée. Le bouturage est également efficace (pratique agricole).

• La croissance des rejets de souche par expérience de coupes est rapide (apparition des rejets 10 jours après la coupe en moyenne, croissance de 0,46 cm par jour).

• On recense 10 disséminateurs, dont 6 espèces d’oiseaux. Les lémuriens (Eulemur sp.), la chauve souris Pteropus seychellensis comorensis et l’escargot Achatina fulica sont également des disséminateurs efficaces des graines.

• Deux variétés sont rencontrées à Mayotte (‘bois rouge’ et ‘bois blanc’). La variété ‘bois rouge’ contiendrait plus de métabolites secondaires (screenings sur phénols et tanins en cours au Muséum d’histoire naturelle de Paris), ce que expliquerait l’absence du parasitisme par les termites notamment.

• L. glutinosa n’a pas de dormance photolabile. Il peut donc s’implanter en sous-bois et germer sous la litière ou même faire des percées en fourrés (ex. : en fourrés de L. camara à Mayotte). L’espèce n’en reste pas moins héliophile et s’installe préférentiellement en milieux ouverts.

Introduction dans l’archipel des Comores

L. glutinosa a été introduit comme bois de chauffe dans l’ensemble des Comores dans la seconde moitié du 19e siècle pour subvenir aux énormes besoins des distilleries de canne à sucre, puis de cannelle, ylang-ylang et citronnelle.

Importance économique

L. glutinosa est une plante à usages multiples dans l’archipel des Comores:

Son utilisation actuelle principale se fait en élevage. Les jeunes pousses sont données en fourrage en saison humide, les houppiers en saison sèche.

La plante est utilisée en médecine traditionnelle, les baies en décoction contre les règles douloureuses, les feuilles et l’écorce comme antiseptique externe pour soigner les blessures, en traitement contre la diarrhée, comme émollient pour les entorses.

La plante sert comme tuteur de vanille.

Le bois est utilisé pour la construction (charpentes de ‘bangas’ traditionnels) et fait un excellent bois de chauffe (encore majoritairement utilisé pour les besoins domestiques en Union des Comores).

Distribution et extension de l’invasion par L. glutinosa

A Mayotte, une estimation de Pascal (1997) montre que les recrus de L. glutinosa occupent 9 pour cent de l’espace, surtout dans les 2/3 nord de l’île plus humides. Il peut représenter jusqu’à 15 pour cent des individus dans certaines forêts dégradées (Dapani).

Il s’installe dans l’ensemble des Comores dans toutes les zones perturbées suffisamment humide mais de manière plus inquiétante, il est prouvé à Mayotte qu’il parvient à s’installer dans les zones de crête possédant une forêt plus basse sans qu’une perturbation du milieu n’y contribue.

En Union des Comores, la plante est surexploitée mais reste très visible dans le paysage. Aucune mesure de son envahissement n’existe.

Une diminution du rôle de l’agriculture dans le maintien des paysages (comme cela pourrait à terme être le cas à Mayotte) signifierait sans aucun doute l’explosion des populations de L. glutinosa.

Contrôle de l’invasion et conclusions

Aucune action n’est mise en œuvre dans l’archipel des Comores pour contrôler les populations de L. glutinosa. La plante est encore au contraire fréquemment semée ou multipliée végétativement. A cela deux raisons:

• L’absence de consensus sur le danger représenté par la plante, considérée fréquemment comme une plante utile du fait de ses multiples usages, et notamment en Union des Comores où elle est un indispensable fourrage et bois de chauffe.

• Par sa reproduction végétative efficace, la plante couvre bien les sols et limite l’érosion. L’éradiquer signifierait planter massivement une espèce indigène présentant les même capacités de multiplication et de recouvrement, ce qui n’est pas simple.

Pourtant, L. glutinosa représente une menace claire pour les forêts humides de moyenne altitude des Comores et des actions devraient être mise en œuvre pour assurer leur protection. La recherche concernant des espèces indigènes compétitives - telles que Grisollea myrianthea qui occupe des biotopes semblables - et leur multiplication massive devraient être encouragées, au moins à Mayotte où la sensibilisation du Service des eaux et forêts est évidente.

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