Page précédente Table des matières Page suivante


Livres


L'homme fait-il partie des écosystèmes tropicaux?
Références
Myers réplique à Lugo et Brown
Références

L'homme fait-il partie des écosystèmes tropicaux?

Ariel E. Lugo et Sandra Brown

ARIEL E. LUGO est chef de projet à l'Institut des forêts tropicales du U.S. Forest Service, Rio Piedras (Porto Rico). SANDRA BROWN est assistante en écologie forestière à l'université de l'Illinois, Urbana, Illinois. qu'il en est bien ainsi. Nulle part dans ses conclusions il ne dit ou sous-entend que des spécialistes peuvent modifier l'écosystème tropical pour satisfaire les besoins de l'homme.

Conversion of Tropical Moist Forests [Conversion des forêts tropicales humides], par Norman Myers. Rapport établi à l'intention du Committee on research priorities in tropical biology of the National Research Council, National Academy of Sciences, Washington, D.C. 1978, 205 p.

En 1977 le Conseil national de la recherche de l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis constitua un comité pour déterminer les priorités de recherches en biologie tropicale. Dans le cadre de ses activités. le comité chargea M. Norman Myers de rédiger un document évaluant l'état actuel et le rythme de conversion des forêts tropicales. A l'unanimité moins une abstention, le comité a décidé de rendre public ce rapport.

Ce dernier pèche malheureusement par l'absence de toute approche analytique de la question, ainsi que par le fait qu'il n'aborde pas le problème philosophique de la place de l'homme dans l'écosystème tropical. En fait-il partie ou y est-il étranger? Dans ce dernier cas, toutes ses actions sont par définition destructives et nocives, et il ne saurait par son intelligence et sa volonté modeler une forêt pour répondre à ses besoins fondamentaux de nourriture et d'abri.

L'idée que l'homme est fondamentalement nuisible transparaît dans ce rapport avec trop de force pour qu'on puisse l'ignorer. Les forestiers ne sont-ils donc eux aussi que des ennemis de la forêt'? Myers donne l'impression

Sous les tropiques comme ailleurs, l'homme doit composer avec son environnement. Dans les pays développés, la «destruction des forêts» (au sens où l'entend Myers) n'est plus un problème, même si elle a pu en être un jadis, mais elle le redeviendrait dans les conditions de pauvreté et de pénurie alimentaire que connaissent aujourd'hui les pays tropicaux.

D'après la préface du rapport, celui-ci a été publié afin que ses conclusions «puissent être prises en considération lors de la formulation de priorités pour la recherche scientifique dans les pays tropicaux, ainsi que dans la quête de modèles de développement viables en vue du bien-être humain». Pourtant le conseil qu'il donne implicitement de soustraire l'homme à la forêt tropicale, le dédain qu'il exprime à l'égard du recrû et de l'utilité de la forêt secondaire, et son insistance sur les côtés négatifs ne sont assurément d'aucune aide dans cette quête.

Cet ouvrage de 205 pages comprend 11 chapitres; la moitié environ du texte est consacrée à des études régionales ou à un exposé par pays de l'état des forêts tropicales humides. Son plus grand mérite est de fournir des données concernant le rythme du déboisement sur 19 pays tropicaux au lieu de 13, ainsi que le montre notre tableau 1. Le lecteur ne trouvera pas ce tableau dans l'ouvrage de Myers, étant donné que ces informations y sont dispersées çà et là.

Tableau 1. Estimation du rythme de conversion des forêts tropicales humides (v. texte pour la définition du terme «conversion»)

Pays

Période a

Superficie forestière actuelle b (1000 km²)

TOTAUX DE CONVERSION ANNUEL

Myers (1980)

Sommer (1976)

1000 km²

%

1000 km²

% c

Bangladesh

?

-

-

-

0,10

0,80

Birmanie

?

365

1,42

0,39

-

-

Lao

?

140

3,00

2,14

3,00

5,17

Malaisie (péninsulaire seule ment)

1972-79

72

2.20

2,65

-

-

Malaisie (total)

?

-

-

-

1,50

0,64

Papouasie Nouvelle Guinée

?

400

0,25

0,06

0,20

0,05

Philippines

1971-76

114,6

3,00

2,62

2,60

2,05

Thaïlande

1972-78

131,8

11,49 d

5,73

3,00

1,05

Brésil

20 dernières années

2860

13,00

0,42

-

-

1966-75


12,78

0,43

-

-

Costa Rica

1967-77

16

0,40

2.00

0,60

2,73

Colombie

?

-

-

-

2,50

0,50

Nicaragua

1970-79

35

0,40

1,10

-

-

Guyane

?

186,8

0,10

0,05

-

-

Pérou

1945-75

650

1,70

0,24

-

-

Venezuela

1950-75

352,3

0,69

0,20

0,50

0,29

Gabon

?

205

3,00

1,46



Ghana

25 dernières années

19,9

1,60

2,67

0,50

2,50

Côte-d'Ivoire

1966-74

54

4,47

4,98

4,00

4,44

Libéria

récente

25

2,30

9,20



Madagascar

?

-

-

-

3,00

4,00

Nigéria

1970-79

25,5

2,79

6,20

-

-

Viet Nam

-

-

-

-

-

-

Sierra Leone

1944-79

2,9

1,34

2,69

-

-

TOTAL


5656

65,93

-

21,5


MOYENNE




0.75 e

-

7 f

a Utilisée par Myers (1980): les périodes auxquelles se réfèrent les estimations de Sommer ne sont pas connues.

b Myers (1980).

c Basé sur la superficie de forêts fermées donnée par Persson (1974).

d Contrairement à l'enquête de 1978 colle de 1972 englobait les forêts non productives Le taux réel de conversion est donc inférieur 35,73. Toutefois, la définition des forêts tropicales donnée par Myers ne couvre que 33 pour cent de ces peuplements.

e Moyenne pondérée basée sur la superficie de forêts du pays par rapport à la superficie totale de forêts de l'échantillon.

f Moyenne pondérée basse sur la superficie totale de forêts de l'échantillon (1907000 km²), Persson, 1974.

Méthodes et définitions

Dans le premier chapitre, Myers souligne les difficultés et les faiblesses des tentatives précédentes évaluer les superficies forestières mondiales, celles de Sommer (1976) et de Persson (1974), par exemple. Après avoir lu ce chapitre, on a l'impression que la pré sente enquête a surmonté tous les obstacles auxquels s'étaient heurtées les précédentes. Pourtant, autant que nous puissions en juger, elle n'apporte aucun progrès notable. Les méthodes utilisées par Myers sont les mêmes que celles des auteurs antérieurs. En fait, comme on le verra plus loin, son enquête nous parait moins quantifiée et moins analytique que les précédentes. Pour bien comprendre son ouvrage, il faut savoir qu'il parle de «conversion» ou de «perturbation» de forêts tropicales vierges. Il définit ces termes pages 7 et 8 comme suit:

«... la conversion peut aller d'une modification marginale à une transformation radicale. La modification peut être interprétée comme le résultat d'une intervention humaine sous l'effet de laquelle la physionomie, la structure et la dynamique de la forêt originelle subissent un changement. Ce changement peut lui-même être léger, sensible ou profond. Dans sa forme la plus légère. par exemple dans le cas d'une extraction de bois très sélective la modification peut n'entraîner qu'un certain changement dans les densités relatives des populations arborescentes et dans les volumes de bois sur pied; elle n'occasionne pas nécessairement un changement qualitatif dans la composition floristique. Une forme de modification bien plus importante est celle entraînée par la culture itinérante et autres types d'agriculture en forêt, qui donnent naissance à une succession secondaire. Dans chacun de ces cas, l'écosystème forestier originel conserve une certaine continuité, à condition qu'il n'y ait pas perte irrémédiable de son potentiel, par exemple par tassement ou érosion du sol, ou disparition d'espèces vivantes. Dans ces conditions, la forêt primaire peut. du moins en principe, se régénérer en un temps relativement court, jusqu'à retrouver finalement sa composition antérieure. La transformation, par contre. équivaut à une conversion d'un type fondamentalement différent. Pour faire place à l'agriculture sédentaire. à la plantation ou au pâturage, on élimine entièrement la forêt pour la remplacer par un écosystème artificiel, des structures inanimées telles que routes et usines, et des établissements urbains.» (C'est nous qui avons souligné.)

Par forêts tropicales humides (p. 11) on entend «les forêts sempervirentes ou partiellement sempervirentes, situées dans des régions qui ne reçoivent pas moins de 100 mm de précipitations quelque mois que ce soit pendant deux années sur trois, qui ont une température moyenne annuelle de 24°C ou plus, et qui sont essentiellement indemnes de gelées». Cette définition large englobe en principe de nombreux types de forêts; par exemple, selon le système de classification par biozones de Holdridge, elle couvre sept biozones tropicales (forêt sèche à forêt ombrophile) et trois biozones subtropicales (forêt dense humide à forêt ombrophile). Mais, en fait, elle n'englobe que les biozones de forêt ombrophile tropicale et subtropicale - ce qui représente une superficie assez limitée - parce qu'il y a peu de zones de forêts très humides, et encore moins de forêts humides et sèches, qui répondent au critère d'un minimum de 100 mm d'eau deux années sur trois. Myers souligne par ailleurs qu'il faut distinguer les forêts primaires des forêts secondaires, étant donné que les premières ont «une valeur supérieure d'un point de vue bio-écologique, scientifique et économique» (p. 19).

Bien que Myers s'étende longuement sur la définition de nombreux termes, il n'en fait guère usage dans le reste de son texte. Ainsi, dans la discussion sur la conversion de la forêt due à l'exploitation forestière, aucune distinction n'est faite entre les diverses intensités de coupes, ni entre forêt primaire et forêt secondaire. On se demande pourquoi l'auteur a pris la peine de donner des définitions aussi précises, pour ensuite ne pas s'en servir.

Estimation de la conversion

Myers donne pages 25 et 26 une estimation du rythme de conversion des forêts tropicales humides due aux cultivateurs forestiers, selon la formule suivante:

Ceci étant, «on peut fort bien supposer, poursuit-il, que les cultivateurs forestiers détournent chaque année au moins 100000 km² (10 millions d'ha) de forêt primaire au profit de cultures permanentes». L'auteur conclut toutefois que si l'on ajoute à ces dernières d'autres activités comme l'exploitation des bois, l'agriculture et l'élevage programmés, c'est un total de 20 millions d'ha qui sont convertis chaque année.

Nulle part ailleurs dans l'ouvrage ces calculs ne sont commentés, modifiés ou mis en doute, pas plus, comme nous le montrerons, que le reste de l'étude ne s'y rapporte. Si l'on veut utiliser ce taux de conversion, il faut donc ne pas perdre de vue qu'en dehors du manque de rigueur de ce calcul:

- La conversion peut signifier que l'on a coupé plusieurs ou tous les arbres et que l'on n'a aucune idée de la mesure dans laquelle sont convertis ces 20 millions d'hectares.

- Il n'est tenu aucun compte de la régénération rapide des forêts tropicales.

- Les estimations supposent un déboisement en progression linéaire quelle que soit la biozone. Au Costa Rica, Tosi (1980) a constaté que cette progression variait selon la biozone; en règle générale, les biozones très humides, où la densité de population est plus forte, perdent leurs forêts en premier.

Un examen plus attentif des données servant de base à ces estimations dans les tropiques fait apparaître d'autres écueils encore. Ainsi, comme le montre notre tableau 1, la période à laquelle s'applique le taux de conversion n'est pas indiquée clairement. ce qui suffirait à invalider toute estimation. En outre, une bonne partie des estimations de Myers reposent uniquement sur l'appréciation personnelle, et sont donc sujettes à de graves erreurs (voir p. 25-26). Par ailleurs, pour des pays comme le Brésil, l'estimation du déboisement se fonde sur l'avis de «plusieurs fonctionnaires et autorités» (p. 128) et sur des rapports inédits de divers organismes.

Surveillance continue de. écosystèmes tropicaux du globe

Quelle est la situation écologique des forêts tropicales du globe? Il est impossible de répondre très précisément à cette question, étant donné qu'il n'existe pas encore de dispositif mondial uniforme pour la surveillance systématique de ces écosystèmes. Ce qu'il faut avant tout, c'est un inventaire de base des forêts tropicales du monde, que l'on puisse tenir à jour de façon à disposer d'un étalon de mesure unique et uniforme permettant de comparer les observations. Cette surveillance serait alors effectuée périodiquement par un organisme qualifié. C'est seulement à œ prix que l'on pourra dire exactement dans quelles régions la forêt tropicale a disparu, dans lesquelles elle est menacée, le rythme auquel elle est remplacée et par quel type de végétation, et enfin quelles sont les principales activités humaines qui la menacent.

Le Département des forêts de la FAO travaille depuis trois ans à cet inventaire de base, qui doit être achevé en 1981. Il sera alors capital d'exercer une surveillance continue qui, en elle-même, constituera aussi un moyen de tenir à jour et d'améliorer ledit inventaire.

Ce projet d'évaluation des ressources forestières tropicales, pour lequel la FAO a bénéficié d'une assistance financière du Programme des Nations - Unies pour l'environnement (PNUE), couvre 82 pays, soit pratiquement tous ceux qui possèdent des superficies importantes d'écosystèmes forestiers tropicaux. On établit l'inventaire de base en dépouillant et en organisant les meilleures informations provenant des services officiels, universités et instituts spécialisés dans les pays concernés et ailleurs. Pour les pays où ces informations font défaut, le projet a acquis et interprété les photographies de satellite les plus récentes.

Une étude préalable à l'inventaire, qui avait pour objet de donner une idée générale des superficies de forêts tropicales susceptibles de fournir des bois d'œuvre et d'industrie, a été achevée et publiée par la FAO en mai 1979 (Document occasionnel FO: MISC/79/1). Les résultats de cette étude ont été exposés dans un article intitulé «Horizon 2000 - Superficie des forêts et des plantations sous les tropiques», par J.P. Lanly et J. Clément (qui sont aussi les auteurs du document précité), paru dans Unasylva, vol. 31, n° 123 (1979).

Le travail accompli par la FAO a une autre conséquence importante. Dans les pays tropicaux qui ne disposaient pas de bonnes données d'inventaire, ou qui n'avaient pas remis à jour leurs inventaires, il fait de nouveau prendre conscience de l'importance de ce genre d'activités. La FAO, là encore avec l'appui financier du PNUE, aide maintenant les pays tropicaux en développement à créer et exploiter des services nationaux de surveillance forestière, dont les opérations pourront ensuite être coordonnées et incorporées à un dispositif mondial de surveillance. En l'absence d'inventaires précis, constamment remis à jour grâce à cette surveillance continue, aucun gouvernement et encore moins les organisations qui se préoccupent de la situation mondiale de l'environnement commun ne peuvent savoir dans quel état se trouvent réellement des écosystèmes d'importance vitale pour le bien-être présent et futur de l'humanité.

La rédaction

Il est certain que les évaluations antérieures des forêts tropicales s'étayaient sur des données médiocres et contradictoires, mais on ne saurait se satisfaire des prédictions de Myers annonçant une dévastation totale des forêts tropicales dans les 20 années à venir. Notre tableau 1 semble indiquer un taux de conversion moyen des forêts tropicales de moins de 1 pour cent par an, au lieu des 1 ou 2 pour cent souvent mentionnés. Si l'on inclut d'autres pays dans les calculs. il y a des chances pour que ce pourcentage change encore plus. Le lecteur doit savoir que les données fournies par Myers et résumées dans ledit tableau 1 concernent 19 pays sur un total de 89 pays tropicaux. Ces 19 pays renferment plus de 32 pour cent des superficies totales de forêts tropicales, et 55 pour cent des forêts tropicales fermées. Négligeant les faits, Myers n'utilise pas ces données dans son estimation du taux de conversion global des forêts.

Le rôle de l'homme

A l'exception du calcul déjà étudié dans lequel chaque famille de cultivateurs est censée défricher un hectare de forêt chaque année, Myers omet totalement de faire le rapport entre les autres activités humaines et les taux de conversion des forêts. Il n'évoque vraiment au passage que trois activités tenues comme responsables de cette conversion, à savoir l'élevage, le commerce des bois, et la consommation de bois de feu.

Dans son chapitre 4, l'auteur se prévaut des statistiques de la FAO pour conclure que 47 pour cent de la production mondiale de bois sont employés comme combustible et le reste à d'autres usages, notamment pour satisfaire les besoins des pays développés. Il semble ignorer l'estimation selon laquelle, sous les tropiques, 80 pour cent de tout le bois coupé sert de combustible (FAO, 1977). Il affirme dans son chapitre 6 que l'emploi du bois comme combustible est surtout le fait des tropiques arides et qu'il est négligeable dans les tropiques humides. En réalité, dans les neuf pays tropicaux dont il reconnaît lui-même qu'ils ont la plus grande superficie de forêts tropicales humides (p. 5), 78 pour cent de la production de bois ronds est consommée comme combustible (notre tableau 2). L'erreur est d'importance, vu que Myers s'appuie sur les statistiques de la FAO pour justifier ses critiques à l'égard du rôle des pays développés dans la conversion des forêts tropicales. Il fait observer en effet que les exportations de bois feuillus tropicaux vers les pays développés s'accroissent à un rythme énorme au détriment de la forêt. Il est indéniable que ces exportations augmentent. Toutefois, la consommation totale des pays les plus gros importateurs indiqués dans le tableau 3 de Myers pour 1973 (Japon, Etats-Unis et Europe) représente 49 pour cent d'un total de 109 millions de m³ provenant de tous les pays tropicaux. Or ces 49 pour cent, soit 53,3 millions de m³, correspondent à 15 pour cent de la production totale de bois ronds dans les seuls neuf pays mentionnés dans notre tableau 2.

Tableau 2. Production de bois ronds, charbon de bois et bois de feu en 1977, dans les pays possédant de grandes étendues de forêt tropicale humide (FAO, 1977)

Pays

Production de bois ronds (1000 m³)

PRODUCTION DE CHARBON DE BOIS ET BOIS DE FEU (équivalent bois rond)

(1000 m³)

en % de la production de bois ronds

Bolivie

798

400

50

Brésil

152274

116139

76

Colombie

24083

21081

86

Gabon

2487

1175

47

Indonésie

141298

114653

81

Malaisie

14366

4115

29

Pérou

7075

6091

86

Venezuela

8404

7768

92

Zaïre

13690

11800

86

TOTAL

364475

283222

78

Dans son analyse du rôle de l'élevage, Myers présente des données sur la production et les exportations de viande de bœuf en Amérique centrale et au Brésil (son tableau 5), à l'appui de sa thèse selon laquelle la demande de viande de bœuf aux Etats-Unis est cause de la destruction des forêts tropicales humides. A aucun moment toutefois, il ne va au fond des choses. Il nous a été impossible de trouver un rapport significatif quelconque entre le taux de disparition des forêts qu'il mentionne et l'accroissement de la production de viande bovine au Brésil et dans les huit pays d'Amérique centrale. C'est ainsi qu'il ressort de ce tableau qu'El Salvador étend ses superficies forestières tout en accroissant sa production de viande, que le Panama et le Honduras n'accusent aucune perte de superficies boisées mais montrent un accroissement notable de leur production de viande, et que le Guatemala, par contre, a subi les pertes les plus importantes en forêts et en pâturages alors que sa production de viande bovine s'est accrue.

Outre qu'il tronque les statistiques de la FAO et qu'il ne fait qu'une analyse superficielle, Myers avance dans son ouvrage de nombreuses affirmations écologiques contestables, par exemple a) en soutenant que les forêts sujettes aux ouragans sont également des forêts converties, mais par des forces naturelles, et qu'il leur faut des dizaines d'années pour se reconstituer (p. 20). Apparemment, il ne sait pas que des écosystèmes stables se développent en conditions naturelles pour réagir à diverses contraintes périodiques qui les maintiennent dans un état simplifié. Les ouragans, l'hypersalinité, les inondations, etc.. sont des facteurs naturels auxquels les forêts s'adaptent; b) en supposant que le bois brûlé par le cultivateur forestier lors du défrichement pourrait être utilisé comme bois de feu (p. 49-50). Il semble oublier que ce brûlage est indispensable pour libérer les éléments minéraux contenus dans les troncs d'arbres, afin de fertiliser le sol en vue des cultures verrières.

Utilité de l'ouvrage

En résumé, l'analyse de Myers doit être utilisée avec une extrême prudence, parce qu'il exagère le rythme de conversion des forêts tropicales et contribue ainsi notablement à la confusion dont font montre les spécialistes des pays tempérés lorsqu'ils parlent des tropiques. Malheureusement, dans les rapports présentés au Congrès des Etats-Unis (Raven, 1980) comme dans beaucoup de publications récentes, on constate que la conversion telle que définie par Myers est souvent considérée comme synonyme de destruction complète.

Raven (1976), par exemple, écrit:

«Etant donné que toutes les forêts tropicales seront détruites dans les 25 années à venir, il est difficile d'échapper à la conclusion qu'un milliard peut-être d'êtres humains mourront de faim dans les tropiques au cours des trois prochaines décennies. Au cours de cette période toutes les communautés naturelles des tropiques seront entièrement détruites avant même que nous puissions commencer à les comprendre ou à apprendre comment les utiliser pour le bien de l'humanité.» (C'est nous qui soulignons).

Les forêts tropicales sont-elles des écosystèmes en danger, ou bien les savants induisent-ils le public en erreur'? Il faut plus que jamais étudier de prés les risques que courent les forêts tropicales. Dans quelle mesure pouvons-nous exploiter ces magnifiques écosystèmes sans leur nuire ou nous nuire à nous-mêmes? L'analyse de Myers (ou plutôt son manque d'analyse) ne nous aide pas à élucider cette importante question. Nous ne nous hasarderons pas à y répondre, mais ce que nous savons c'est que dans des endroits comme Porto Rico, par exemple, en dépit de la disparition de 90 pour cent du couvert forestier primitif, il n'y a pas eu de perte notable d'espèces. Cette faculté d'adaptation est-elle une caractéristique du milieu insulaire, ou bien ne savons-nous pas au juste ce que nous avons perdu?

Nous ne voulons pas minimiser le danger auquel est exposée la forêt tropicale. Ce que nous voulons c'est faire ressortir que l'analyse de Myers est beaucoup trop superficielle pour servir les objectifs visés par le comité de quatorze chercheurs de l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis. En exagérant un problème tel que celui-ci, on ne peut que nuire à la crédibilité d'hommes de science bien intentionnés et même retarder les efforts visant à conserver les forêts tropicales.

L'exagération courante

En ce qui concerne le dégagement d'anhydride carbonique dans l'atmosphère et l'effet de serre éventuel sur le climat du globe, les chercheurs doivent se garder de se fonder sur l'ouvrage de Myers pour extrapoler le rôle des forêts tropicales. Notre opinion est que l'homme empiète de plus en plus sur la forêt tropicale, mais que l'on exagère les conséquences de son intervention. pour les raisons suivantes:

· Les biologistes s'efforcent de protéger les espèces et les réserves génétiques. Mais les changements qui affectent la survie des espèces ne modifient pas nécessairement les stocks de carbone ou les superficies boisées, parce que les forêts ne sont pas converties en sol dénudé, mais en forêts secondaires qui poussent rapidement et accumulent d'importantes réserves de carbone (Brown, 1980; Brown et Lugo, 1980).

· Les estimations antérieures de l'accumulation de carbone dans les forêts tropicales étant deux fois trop élevées, on a surestimé la quantité de carbone libérée dans l'atmosphère lorsqu'il y a «déboisement» (Brown et Lugo, 1980).

· Toutes les études faites sur le problème du déboisement et son influence sur l'anhydride carbonique dans l'atmosphère ne tiennent pas compte du rythme rapide de reconstitution des forêts tropicales humides.

En résumé, aucune étude concluante n'a encore été faite sur la situation des forêts tropicales. Il faut espérer que la prochaine fois que l'on cherchera à évaluer les forêts tropicales du globe on donnera une plus large place à l'analyse qu'à la rhétorique.

Références

BROWN S. 1980

Rates of organic matter accumulation and litter production in tropical forest ecosystems. Pages 118-139 in S. Brown, A.E. Lugo and B. Liegel, eds. The role of tropical forests on the world carbon cycle Proc. Symposium at the Institute of Tropical Forestry, Rio Piedras, Puerto Rico. U.S. Department of Energy, Washington, D.C. (Sous presse)

BROWN, S. & A.E. LUGO. 1980

Preliminary estimate of the storage of organic carbon in tropical forest ecosystems. Pages 65-117 in S. Brown, A.E. Lugo and B. Liegel, eds. The role of tropical forests on the world carbon cycle. Proc. Symposium at the Institute of Tropical Forestry, Rio Piedras, Puerto Rico. U.S. Department of Energy. Washington, D.C. (Sous presse)

FAO. 1977

Annuaire des produits forestiers. Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Rome. Italie. 462 p.

MYERS, N. 1980

Conversion of tropical moist forests. National Academy of Sciences, Washington, D.C. 205 p.

PERSSON, R. 1974

World forest resources. Review of the world's forest resources in the early 1970.s. Royal College of Forestry, Stockholm, Sweden, Department of Forestry Survey. Research Notes No. 17.

RAVEN, P.H. 1976

The destruction of the tropics. Frontiers, 40: 22-23.

RAVEN, P.H. 1980

Prepared statement before the Subcommittee on International Organizations, Committee on Foreign Affairs, U.S. House of Representatives, Washington, D.C.

SOMMER, A. 1976

Estimation des forêts tropicales humides à l'échelle mondiale. Unasylva a 28 (112113): 5-25.

TOSI, J. 1980

Life zones, land use and forest vegetation in the tropical and subtropical regions. Pages 44-64 in S. Brown, A.E. Lugo and B. Liegel, eds. The role of tropical forests on the world carbon cycle. Proc. Symposium at the Institute of Tropical Forestry, Rio Piedras, Puerto Rico. U.S. Department of Energy, Washington, D.C. (Sous presse)

Myers réplique à Lugo et Brown

1. Lugo et Brown commencent par dire que, pour moi, l'action de l'être humain dans les écosystèmes forestiers tropicaux est, par définition, «destructive et nocive», et fondamentalement nuisible. Le Comité de l'Académie nationale des sciences m'avait chargé de faire le point d'une situation, non d'en expliquer les pourquoi ou les parce que, ni de proposer des remèdes aux problèmes. Les délais qui m'étaient impartis pour mener mon étude étant très courts et les crédits qui m'étaient octroyés à cette fin des plus limités, j'étais censé me borner à examiner les taux de conversion des forêts tropicales humides, notamment ceux des forêts primaires, c'est-à-dire vierges. En d'autres termes, je devais m'attacher à déterminer le rythme auquel l'action de l'homme modifie la forme «naturelle» des forêts primaires, et non à évaluer les répercussions profondes de cette action sur les écosystèmes forestiers.

Il ne s'ensuit pas pour autant que je n'ai pas d'opinions bien arrêtées sur le rôle de l'homme, tant actuel que futur, dans les forêts tropicales. Mes vues à ce sujet sont exposées dans une série de communications, dont je cite certaines à la fin du présent article. J'en récapitulai ainsi l'essentiel dans un aperçu général que j'avais préparé à l'intention de la réunion PNUE d'experts des forêts tropicales (à laquelle contribuaient la FAO et l'Unesco): «Les forêts tropicales sont parmi les ressources naturelles les plus précieuses du globe. Elles constituent et constitueront toujours une source de biens et de services tant pour toutes sortes de collectivités humaines dans les pays du biome considéré que pour le reste de l'humanité. Elles contribuent non seulement au progrès matériel dans l'immédiat, mais aussi à l'amélioration de la qualité de la vie à long terme. Il n'existe pratiquement pas d'autre réserve de ressources naturelles qui offre un tel éventail d'avantages à autant de gens. Pourtant. de toutes les ressources naturelles que renferme notre planète, les forêts tropicales sont parmi les moins mises en valeur. Elles ne sont. dans l'ensemble, ni l'objet de stratégies intégrées en permettant l'exploitation optimale, ni aménagées pour en valoriser les divers biens et services, ni utilisées sur la base d'une planification systématique propre à en assurer une productivité soutenue. Aussi le potentiel qu'elles ont de contribuer au bien-être de l'humanité est-il à peine entamé et représente-t-il indéniablement l'un des atouts les plus prometteurs de la stratégie internationale de développement pour les années quatre-vingt.»

2. Selon Lugo et Brown. mon enquête donnerait exagérément l'impression d'avoir surmonté tous les obstacles auxquels s'étaient heurtées les précédentes, et mes méthodes de documentation ne différeraient pas de celles employées auparavant. A ma connaissance, aucune enquête sur le biome à l'échelle mondiale, et surtout pas celles de Sommer (1976) et de Persson (1974) évoquées par Lugo et Brown (et pourquoi pas aussi celles de Persson en 1975 et 1977?) n'ont pu s'appuyer jusqu'à présent sur des données de télédétection. Bien des passages de mon rapport s'étayent en partie, sinon en totalité, sur des statistiques fournies par images de satellite, photographie aérienne, radar à antenne latérale et autres dispositifs de télédétection; je consacre par ailleurs huit pages a une évaluation spécifique de possibilités offertes par ces techniques. Grâce à ces données de télédétection, je couvre 42 pour cent du biome. ce qui, on me l'accordera, représente un sérieux progrès par rapport à l'état de nos connaissances au milieu des années soixante-dix.

3. Lugo et Brown déclarent ensuite que mon enquête est «moins quantifiée et moins analytique que les précédentes». Je crois que mon rapport, avec sa profusion de détails extraits de diverses enquêtes quantitatives, est plus riche de résultats chiffrés fondamentaux et fiables que ceux qui l'ont précédé. Comme en conviennent à plusieurs reprises Sommer et Persson, ils ont dû, pour se documenter, s'inspirer de ce que Sommer appelle «une masse de données incomplètes et un certain nombre de postulats... d'où n'émergent que des conclusions approximatives... très peu de faits concrets... et nulle réponse précise». En l'essence, Persson dit la même chose. Ces deux chercheurs n'avaient tout bonnement pas les moyens de faire le genre de prospections globales et systématiques que permettent les techniques de télédétection. Ils n'avaient pas non plus à leur disposition les multiples rapports de terrain établis ces dernières années par des spécialistes, plusieurs centaines de communications en tout (mes 21 pages de références témoignent de cette véritable avalanche d'informations).

J'ai par ailleurs évité de quantifier pour le plaisir de quantifier. J'estime que, dans bien des cas, une appréciation qualitative est au moins aussi valable et risque moins d'induire involontairement en erreur qu'une appréciation quantitative. Lugo et Brown essaient de remédier à mes prétendues faiblesses à cet égard en regroupant dans leur tableau 1 des données publiées tirées de mon rapport et de ceux de Sommer (pourquoi pas des rapports de Persson qui contiennent plus d'informations'?). Cependant, les données qu'ils puisent dans mon rapport sont plus ou moins fiables, allant d'un degré de confiance de 90 pour cent pour quelques pays à seulement 60 pour cent ou moins pour plusieurs autres, écart qu'omettent de signaler Lugo et Brown, sous-entendant ainsi que ces données sont d'une précision constante. En outre, et pour des raisons qu'ils n'expliquent pas, non seulement Lugo et Brown n'incluent pas les données sur tous les pays au sujet desquels je présente des statistiques. mais ils laissent entendre que, pour certains pays, je n'ai aucun renseignement à fournir, alors que, dans les chapitres appropriés de mon rapport, je précise clairement les renseignements en question. Pourquoi tant de discrimination de la part de ces auteurs dans l'établissement de leur tableau?

4. Lugo et Brown prétendent que ma définition des forêts tropicales ne cadre pas avec certains des critères de la classification de Holdridge par biozones, à laquelle manifestement va leur préférence. Je me suis servi d'un sommaire des classifications de l'Unesco. de la FAO et de dix autres autorités en la matière, et j'ai donné à ce propos des renseignements détaillés dans le corps de mon texte.

5. Quant à l'emploi que je fais du terme «conversion». Lugo et Brown décrètent que, tout en m'étendant longuement sur sa définition, comme d'ailleurs sur celle de beaucoup d'autres de mes expressions, je n'utilise guère, semble-t-il, ces définitions dans mon rapport. Or. dans mon chapitre sur les méthodes, je dis bien que j'ai essayé de tenir compte des nombreux sens du terme «conversion», entre autres, mais que de toute façon il est impossible, dans une enquête qui doit faire intervenir beaucoup d'autres variables, de classer, par schémas d'utilisation des terres forestières, tous les changements subis par les formations forestières de tous les pays du biome en cause. Néanmoins, j'ai, chaque fois que possible, spécifié dans les exposés par pays dont se compose mon rapport la différence de sens en question. De fait, dans la plupart de ces exposés, je distingue explicitement, et souvent à grand renfort de détails, entre types de forêts communautés. degrés et conséquences de l'exploitation par l'homme.

A l'appui de leurs critiques, Lugo et Brown arguent de ce que, dans ma discussion sur l'exploitation du bois, je ne fais aucune différence entre les diverses intensités de coupes. Dans mon chapitre sur le rôle que joue le commerce du bois, je fais remarquer que les essences forestières commerciales en Asie du Sud-Est sont presque trois fois plus nombreuses qu'en Afrique et que des arbres encore sur pied peuvent être endommagés de façon irréversible, dans la proportion de un à deux tiers. Récapitulant les deux pages que je consacre à ce sujet, je déclare que «de toute évidence, l'incidence de l'exploitation varie selon les zones. Dans certaines. elle ne modifie que légèrement la forêt, dans d'autres, elle la dégrade profondément».

Lugo et Brown m'accusent aussi de ne pas distinguer entre les zones forestières où plusieurs arbres sont abattus et celles où ils le sont tous. Outre que je mentionne une vaste gamme de taux d'exploitation commerciale très différents dans chacune des trois grandes régions en cause, je signale dans le chapitre sur le rôle de l'élevage bovin que celui-ci. en tant que mode d'utilisation des terres forestières, implique manifestement l'élimination de la forêt pour y établir des pâturages artificiels, et que cet élevage se pratique dans diverses parties de l'Amérique centrale et de l'Amazonie, mais qu'il est quasiment inexistant dans les deux autres grandes régions. Je cite données et statistiques indiquant la superficie des terres forestières en jeu dans chacun des pays latino-américains éleveurs de bovins.

De la même façon, je vois dans l'agriculture en forêt, c'est-à-dire dans la petite agriculture, un type d'exploitation des terres forestières qui entraîne l'élimination du couvert forestier primitif. J'avance des textes prouvant que ce genre de conversion est très répandu en Asie du Sud et du Sud-Est, mais moins, parfois beaucoup moins, en Afrique centrale et dans une grande partie de l'Amérique latine tropicale. En bref, je documente et j'analyse abondamment les types et les degrés de conversion dans divers secteurs du biome - contrairement à ce qu'affirment Lugo et Brown, selon lesquels mon estimation du rythme global de conversion n'est à aucun moment circonstanciée, sauf dans le seul cas où je donne un chiffre pour le taux de conversion total.

En outre, l'unique fois où je suggère un chiffre pour le taux de conversion général du biome, soit 20 millions d'ha/an, je ne le fais comme je le souligne dans mon rapport - que pour donner une idée de l'échelle possible des activités humaines dans le biome, avec tout ce que cela implique pour le perfectionnement des politiques de développement et la planification de l'aménagement des ressources forestières. Mon calcul ne manque pas de rigueur, bien au contraire, puisque, au début de mon rapport, je souligne qu'à mon avis il serait peu honnête, du point de vue professionnel, d'avancer tout au long de mon texte un chiffre énorme quant à la superficie forestière convertie chaque année, ce genre de conclusion statistique ne constituant le plus souvent qu'une pseudo-précision.

6. Lugo et Brown me reprochent de ne pas tenir compte de la régénération rapide des forêts tropicales. Dans le deuxième chapitre de mon rapport, je dis qu'une fois que la forêt tropicale primaire a été défrichée et qu'on a laissé reprendre la vie végétale, la biomasse s'accumule rapidement pour atteindre un maximum au bout de 15 ans, grosso modo. J'ajoute qu'«un certain nombre de questions se posent... par exemple celle de savoir dans quelle mesure la perturbation due à la vie moderne, par opposition aux activités antérieures de l'homme, amène à un sensible appauvrissement bio-écologique, et à quel rythme les différentes sortes de forêts peuvent se remettre des diverses formes d'intrusion.» Je reviens sur ce point dans plusieurs de mes exposés par pays.

7. Lugo et Brown jugent que «l'enquête de Myers est surtout anecdotique». Mon enquête repose sur l'interview de quelque 300 spécialistes de la foresterie tropicale, dont certains nantis d'une expérience pratique de plusieurs années. Pour la mener, j'ai également puisé dans un millier de lettres échangées avec des autorités reconnues dans ce domaine. Mon rapport contient une liste de plus de 400 références extraites de la littérature spécialisée et presque toutes postérieures à 1975, donc d'actualité.

A propos, en particulier, des cultivateurs en forêt, Lugo et Brown disent «qu'une bonne partie des estimations de Myers reposent uniquement sur l'appréciation personnelle et sont donc sujettes à de graves erreurs (voir p. 25-26).» Dans les pages en question, je cite, à l'appui de mon estimation, plus de 20 rapports, dont plusieurs jugés dignes, vu leur tenue professionnelle, d'être publiés par la FAO. En outre, je reconnais que certains de ces rapports ne disent peut-être pas tout à fait le dernier mot en la matière, en nuançant mon texte à l'aide d'expressions comme a selon des estimations provisoires», etc.

Quant à la précision générale des informations recueillies aux fins d'une enquête de ce genre. je précise au tout début de mon rapport qu'«une bonne part des informations, même si a priori elles semblent plausibles, ne sont sans doute au mieux qu'estimations éclairées. Il faut les vérifier au regard de leur source et, de préférence, d'autres sources distinctes, avant de les accepter comme des faits. En bref, toute information jugée douteuse doit être considérée comme suspecte jusqu'à preuve du contraire. Autrement dit. bien des estimations statistiques ne sauraient être prises pour argent comptant, mais elles ont parfois leur utilité en tant qu'indicateurs du caractère général d'une situation». Je réitère fréquemment cette mise en garde tout au long de mon rapport.

Lugo et Brown ajoutent que «par ailleurs. pour des pays comme le Brésil, l'estimation du déboisement se fondé sur l'avis de «plusieurs fonctionnaires et autorités», et sur des rapports inédits de divers organismes». Parmi les fonctionnaires et autorités en question figurent d'éminents représentants de tous les principaux services publics opérant dans l'Amazonie brésilienne, ainsi que des personnalités dont le poids des opinions professionnelles est en général reconnu au Brésil comme à l'étranger. Les rapports officiels sont des documents publiés par les services nationaux de mise en valeur de l'Amazonie, de développement forestier, de recherche spéciale et autres activités sylvicoles. Parmi la vingtaine d'experts qui ont passé au crible mon manuscrit. beaucoup d'entre eux riches d'une grande expérience en Amazonie brésilienne. pas un seul n'a contesté l'autorité de ces personnes; par ailleurs, Lugo et Brown n'offrent en remplacement aucune autre source d'information, pas plus qu'ils n'opposent de démentis à mes conclusions en ce qui concerne le Brésil.

8. D'après Lugo et Brown, «on ne saurait se satisfaire des prédictions de Myers annonçant une dévastation totale des forêts tropicales dans les 20 années à venir». Dans mon chapitre sur les méthodes, je fais observer d'abord que la «conversion» peut englober non seulement «une transformation fondamentale», mais aussi «une modification marginale», puis je démontre que certains changements sont parfois de brève durée et permettent à la forêt de se régénérer en l'espace de quelques années. J'ai pris soin tout au long de mon rapport d'éviter des expressions lourdes de sens telles que «dévastation totale», tandis que dans mon chapitre récapitulatif, je dis ce qui suit: «En bref, le schéma général (des futures tendances de l'utilisation des terres dans les forêts tropicales) sera vraisemblablement très irrégulier, tant sous l'angle des zones géographiques que sous celui du degré de conversion... En Afrique centrale, il se peut que subsistent d'ici à la fin du siècle de vastes étendues de forêts peu perturbées. De même, la partie occidentale de l'Amazonie brésilienne pour rait n'être modifiée que modérément... La situation varie fortement entre les trois grandes régions et à l'intérieur de ces régions, tout comme au sein des divers pays... Il ne faut pas oublier que les structures d'exploitation peuvent évoluer. Ce serait une erreur de s'imaginer que l'avenir se résumera à une simple extrapolation du présent.»

9. Lugo et Brown disent que «dans des endroits comme Porto Rico, par exemple, en dépit de la disparition de 90 pour cent du couvert forestier primitif, il n'y a pas eu de pertes notables d'espèces». Ce qu'ils ne disent pas, c'est qu'ils fondent une telle affirmation sur des inventaires détaillés des essences présentes dans ces forêts primitives et dans les forêts actuelles. Les taxonomistes et systématiciens supposent grosso modo, d'après des enquêtes par sondage, qu'un sixième seulement, peut-être moins encore, des espèces tropicales ont été identifiées jusqu'à présent. Lugo et Brown se demandent si «cette faculté d'adaptation (à Porto Rico) est une caractéristique du milieu insulaire». Ils ignorent apparemment tout de l'abondante littérature sur la biogéographie insulaire qui, à partir de l'expérience dans maintes parties du monde, démontre que, dès l'instant où un fragment d'habitat naturel est limité à une île, sous l'effet, entre autres, de phénomènes géophysiques ou d'activités humaines, les espèces diminuent nettement, les «flots» les plus sensibles se situant dans le biome forestier tropical.

10. D'après Lugo et Brown, «les changements qui affectent la survie des espèces ne modifient pas nécessairement les stocks de carbone ou les superficies boisées, parce que les forêts ne sont pas converties en sol dénudé, mais en forêts secondaires qui poussent rapidement et accumulent d'importances réserves de carbone». Comme je l'ai déjà dit, je reconnais dans mon rapport que le recrû de la forêt peut parfois être très rapide. Cependant, l'empiétement de l'homme sur les forêts tropicales. notamment sous forme de petite agriculture, atteint souvent une telle ampleur et une telle intensité que le couvert forestier n'a guère la possibilité de se régénérer. Maintes preuves de l'accélération de cette tendance ont été données lors d'une réunion de travail sur les forêts tropicales et l'anhydride de carbone qui s'est tenue en décembre dernier près de Boston et à laquelle nous avons assisté Brown et moi-même. Le schéma de déboisement dans beaucoup de pays forestiers tropicaux a pu, semble-t-il, être établi grâce à la masse de renseignements détaillés fournis par des études de cas. Sur de vastes superficies (de 280000 à 370000 km² au milieu des années soixante-dix dans la seule Indonésie), une grande part de la biomasse forestière a été transformée en carbone atmosphérique, laissant un couvert végétal qui ne représente qu'une fraction de cette biomasse et de sa teneur en carbone.

11. Faute d'espace, je ne peux répliquer dans le détail à toutes les critiques de Lugo et Brown. Les lecteurs qui souhaiteraient de plus amples éclaircissements peuvent m'écrire à l'adresse suivante: P.O. Box 48197. Nairobi, Kenya.

Pour finir, je constate qu'à travers toutes leurs critiques, Lugo et Brown veulent surtout montrer à quel point ils jugent mes conclusions erronées. Eux-mêmes n'en ont guère d'autres à proposer en échange et avouent qu'ils ne sauraient pas répondre à leurs propres questions: «Les forêts tropicales sont-elles des écosystèmes en danger. ou bien les savants induisent-ils le public en erreur?... Dans quelle mesure pouvons-nous exploiter ces magnifiques écosystèmes sans leur nuire ou nous nuire à nous-mêmes? Il faut espérer, concluent-ils, que la prochaine fois que l'on cherchera à évaluer les forêts tropicales du globe, on donnera une plus large place à l'analyse qu'à la rhétorique.» Cette remarque impliquerait-elle un blâme à l'adresse tant de leurs auteurs que de leur sujet?

10 février 1981

Références

1978a Forests for people. New Scientist. 80: 95 1 -953.

1978b Foresters and tropical forests. Editorial in New Scientist, 30, 666, November.

1978c Whose hand on the axe? Mazingira, 6: 66-73.

1979 Tropical moist forests: we all gain or lose together. Reports (periodical publication of International Development Research Center, Ottawa), 8(3): 3-5.

1981 Development rather than depletion for tropical moist forests? (Sous presse)

RESSOURCES FORESTIÈRES TROPICALES - évaluation régionale et mondiale

Amérique Tropicale
Afrique Tropicale
Asie Tropicale
Le Monde Tropicale

4 RAPPORTS IMPORTANTS

Les commandes peuvent être adressées à:

FAO - Section distribution et ventes, Via delle Terme di Caracalla 00100 Rome, Italie


Page précédente Début de page Page suivante