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I. PROBLEMATIQUE DES RESSOURCES EN EAU ET AGRICULTURE


Introduction et généralités
Objet et portée
Les ressources mondiales en eau
Le secteur de l'eau et la politique des ressources naturelles

Introduction et généralités

La rédaction du chapitre spécial consacré cette année à l'eau et à l'agriculture a permis d'apprécier combien il est difficile d'exprimer des généralités au sujet de l'eau. Dans ce domaine, toute observation appelle des précisions. Par exemple, s'il est vrai que l'eau est l'une des ressources les plus abondantes sur la Terre, il faut aussi dire que moins de 1 pour cent des disponibilités totales sont utilisables de façon fiable pour la consommation humaine. L'eau se présente en majeure partie à l'état liquide, mais elle est aussi présente à l'état solide et à l'état de vapeur. L'eau potable est assurément indispensable à la survie de l'homme, mais, parallèlement, les maladies liées à l'eau sont le principal des fléaux sanitaires dans le monde en développement. On estime en effet que 25 000 personnes meurent chaque jour du fait de ces maladies1.

1 PNUE. 1991. Pollution des eaux douces. Bibliothèque de l'environnement PNUE/GEMS. N° 6. Nairobi.
Une seule chose vaut universellement: l'existence humaine dépend de l'eau. La géosphère, l'atmosphère et la biosphère entretiennent toutes trois des relations étroites avec l'eau. L'eau interagit avec l'énergie solaire pour déterminer le climat, et elle transforme et transporte les substances physiques et chimiques nécessaires à toute vie sur Terre.

Ces dernières années, les questions liées à l'eau ont retenu de façon croissante l'attention internationale et se sont trouvées au centre du débat. Du 26 au 31 janvier 1992, le système des Nations Unies a parrainé la Conférence internationale sur l'eau et l'environnement (ICWE) à Dublin (Irlande). L'ICWE a appelé à poursuivre des approches novatrices pour évaluer, mettre en valeur et aménager les ressources en eau douce. En outre, l'ICWE a défini des orientations à l'intention de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) qui s'est tenue à Rio de Janeiro en juin 1992. La CNUED a fait valoir que des réformes devaient être opérées dans le secteur de l'eau, ce dans le monde entier.

En 1993, la Banque mondiale a publié un document d'orientation approfondi dans lequel elle définissait ses nouveaux objectifs concernant le secteur de l'eau. La FAO a récemment défini un Programme d'action international sur l'eau et le développement agricole durable (IAP-WASAD). Parallèlement, le PNUD, l'OMS, l'UNICEF, l'OMM, l'Unesco et le PNUE coordonnent ou participent à des programmes spéciaux concernant les ressources hydriques.

D'autres organisations internationales, nationales ou locales développent leurs activités en ce qui concerne l'eau. Une réunion de plusieurs ONG à Montréal, en 1990, sous le titre «Les ONG à l'oeuvre ensemble», a axé ses travaux sur les approvisionnements en eau potable et les équipements d'hygiène. L'Office canadien de développement international, le Ministère français de la coopération et du développement, l'Office allemand de la coopération technique (GTZ), l'Overseas Development Administration du Royaume-Uni et l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) ont récemment élaboré des stratégies concernant les ressources en eau dans la perspective de l'aide extérieure.

Le message qu'expriment tous ces efforts est que l'eau est une ressource de plus en plus rare et précieuse. Le plus grave est probablement que l'homme n'a pas encore compris ni reconnu que les disponibilités en eau sont finies. Tout le monde est pourtant d'accord pour reconnaître que la rareté croissante de l'eau douce et le mauvais usage que l'on en fait menacent gravement le développement durable.

La concurrence que se livrent l'agriculture, l'industrie et les villes pour avoir accès à des disponibilités limitées en eau grève d'ores et déjà les efforts de développement de nombreux pays. A mesure que les populations s'accroissent et que les économies se développent, la concurrence pour des ressources finies ne pourra que s'intensifier, et les conflits entre usagers de l'eau ne feront que s'amplifier.

Malgré la pénurie, le mésemploi et le gaspillage de l'eau sont généralisés. Au village comme dans les grandes villes, à la ferme comme dans l'industrie, dans les pays en développement comme dans les économies industrialisées, on mésuse universellement de l'eau. La qualité des eaux superficielles se dégrade dans des bassins d'importance vitale sous l'effet des rejets de déchets urbains et industriels. Les eaux souterraines sont polluées à partir de la surface et sont irréversiblement endommagées par l'intrusion d'eau saline. La surexploitation des couches aquifères entame la capacité de celles-ci à retenir l'eau, ce qui provoque l'enfoncement des couches sus-jacentes. Nombre de villes se révèlent incapables de fournir en quantité suffisante de l'eau potable et des équipements d'hygiène. L'engorgement et la salinisation des terres déterminent une baisse de la productivité des péri mètres irrigués. La baisse des débits réduit la production hydroélectrique, le potentiel de dispersion des polluants, et porte atteinte à l'habitat de la faune ichtyque et de la faune sauvage en général.

A première vue, la plupart des problèmes liés à l'eau ne semblent pas être directement liés au secteur agricole. Pourtant, c'est l'agriculture qui, de loin, est la plus forte consommatrice d'eau. Plus des deux tiers de l'eau tirée des cours d'eau, des lacs et des couches aquifères sert à l'irrigation. A mesure que la concurrence, les conflits, les pénuries, les déchets, le gaspillage et la dégradation des ressources en eau augmentent, les décideurs portent leur attention sur l'agriculture comme soupape de sécurité du système.

L'agriculture est non seulement la principale consommatrice d'eau, en volume, dans le monde, mais elle en fait aussi un usage relativement peu valorisant, peu efficace et de surcroît fortement subventionné. Ces réalités contraignent gouvernements et donateurs à repenser les justifications économiques, sociales et environnementales des grands projets d'irrigation financés par les deniers publics et gérés par des organismes publics eux aussi. Les dépenses publiques consacrées à l'irrigation ont longtemps dominé le budget agricole de pays du monde entier. Par exemple, depuis 1940, 80 pour cent des dépenses publiques consacrées par le Mexique à l'agriculture ont été absorbées par des projets d'irrigation. En Chine, en Indonésie et au Pakistan, l'irrigation a concentré plus de la moitié de l'investissement agricole. En Inde, environ 30 pour cent du total des investissements publics sont allés à l'irrigation2.

2 R. Bhatia et M. Falkenmark. 1992. Water resource policies and the urban poor: innovative approaches and policy imperatives. Document d'information, ICWE, Dublin, Irlande.
Une fraction appréciable de l'aide internationale au développement a été consacrée à la mise en place de réseaux d'irrigation. L'irrigation a bénéficié de près de 30 pour cent des prêts agricoles de la Banque mondiale dans les années 80. Les fonds consacrés à l'irrigation par l'ensemble des organismes d'aide ont dépassé 2 milliards de dollars par an dans les 10 années écoulées.

Une fois physiquement achevés, les projets d'irrigation comptent parmi les activités économiques les plus lourdement subventionnées au monde. Vers le milieu des années 80, Repetto3 estimait que les subventions à l'irrigation, dans six pays d'Asie, représentaient en moyenne 90 pour cent du coût total estimatif d'exploitation et d'entretien. Des études de cas font apparaître que les redevances d'irrigation représentent en moyenne moins de 8 pour cent de la valeur des avantages tirés de l'irrigation même.

3 R. Repetto. 1986. Skimming the water: rent-seeking and the performance of public irrigation Systems. Research Report No. 4. WRI, Washington.
Malgré des investissements et des subventions considérables, les indicateurs de résultats concernant l'irrigation sont très en deça de ce que l'on pourrait attendre en matière d'accroissement des rendements, de superficies irriguées et d'efficacité technique d'utilisation de l'eau. L'eau dérivée ou pompée à des fins d'irrigation peut être gaspillée dans une proportion atteignant 60 pour cent4. Quoique certaines pertes soient inévitables, bien trop souvent l'eau excédentaire se réinfiltre dans le sol, cause d'engorgement et de salinisation. Non moins d'un quart de l'ensemble des terres irriguées des pays en développement sont atteintes, à des degrés divers, par la salinisation5. En outre, les eaux stagnantes et le mauvais drainage aggravent l'incidence des maladies hydriques, avec pour résultat des souffrances humaines et des coûts de santé accrus.
4 FAO. 1990. Programme international d'action concernant l'eau et le développement agricole durable. Rome.

5 Ibid.

Actuellement, l'agriculture est souvent incapable de soutenir, du point de vue économique, la concurrence dont fait l'objet une eau rare. Les villes et l'industrie peuvent se permettre de payer l'eau plus cher, et d'utiliser l'eau plus rentablement que l'agriculture (pour les économistes, l'eau coule en direction de l'argent). Pour la première fois dans de nombreux pays, l'agriculture se trouve contrainte de renoncer à l'eau au bénéfice des villes et des industries, qui en font un usage plus valorisant. Dans certaines régions, il est maintenant demandé aux irrigants de payer effectivement l'eau qu'ils consomment, y compris l'intégralité des coûts de distribution de celle-ci. Ailleurs, une nouvelle réglementation contraint les agriculteurs de payer pour la pollution des cours d'eau, des lacs et des couches aquifères.

Paradoxalement, on attend de l'agriculture irriguée qu'elle produise dans l'avenir beaucoup plus qu'actuellement, en utilisant moins d'eau qu'aujourd'hui. L'agriculture irriguée assure à l'heure actuelle des emplois, des vivres et un revenu à 2,4 milliards de personnes (quelque 55 pour cent de la production totale de blé et de riz sont obtenus grâce à l'irrigation). Dans les 30 prochaines années, on estime que 80 pour cent des disponibilités vivrières supplémentaires nécessaires pour nourrir le monde résulteront de l'irrigation6.

6 Institut international d'irrigation. 1992. Developing environmentally sound and lasting improvements in irrigation management: the role of international research. IIMI, Colombo, Sri Lanka.
Cette évolution future exerce des pressions énormes sur les décideurs agricoles et sur les cultivateurs. Dans le monde entier, c'est aux gouvernements qu'incombe la responsabilité fondamentale de la sécurité alimentaire, et comme les disponibilités vivrières dépendent de plus en plus étroitement de l'irrigation, sécurité alimentaire et sécurité hydrique sont de plus en plus étroitement liées. Entre 30 et 40 pour cent des disponibilités vivrières mondiales proviennent des 16 pour cent irrigués de la superficie cultivée totale; environ un cinquième de la valeur totale de la production de poisson provient de l'aquaculture en eau douce; enfin, le cheptel mondial consomme, pour s'abreuver, 60 milliards de litres par jour (outre que les prévisions indiquent un accroissement de 0,4 milliard de litres par an). La sécurité alimentaire dans le siècle prochain sera donc étroitement fonction d'une bonne maîtrise de l'irrigation.

L'irrigation peut contribuer à rendre les innovations tendant à accroître les rendements plus séduisantes du point de vue de la rentabilité des investissements, mais ne garantit point en soi des accroissements de rendement végétal. Le bilan global de nombre de projets d'irrigation s'est révélé décevant, en raison de la médiocre conception des réseaux, d'une réalisation physique et d'une exploitation inadéquates, ou d'une gestion inefficace. Les résultats médiocres du secteur des irrigations ont leur part dans nombre de problèmes socio-économiques et environnementaux, quoique ces problèmes ne soient ni inhérents à la technologie, ni inévitables, comme on le prétend parfois.

Les projets d'irrigation peuvent contribuer grandement à l'accroissement du revenu et de la production agricole, par rapport à l'agriculture pluviale. En outre, l'irrigation représente une solution plus fiable, et permet un choix plus étendu et plus diversifié de systèmes culturaux, ainsi que la production de cultures de plus grande valeur. La contribution de l'irrigation à la sécurité alimentaire en Chine, en Egypte, en Inde, au Maroc et au Pakistan est largement reconnue. L'Inde, par exemple, tire 55 pour cent de sa production agricole de terres irriguées. En outre, les revenus agricoles moyens, à l'échelon des exploitations, se sont accrus de 80 à 100 pour cent grâce à l'irrigation, tandis que les rendements doublaient par rapport à ceux de l'agriculture pluviale pratiquée auparavant; les journées de main-d'œuvre à l'hectare ont aussi augmenté dans une proportion de 50 à 100 pour cent. Au Mexique, la moitié de la valeur de la production et les deux tiers de la valeur des exportations agricoles sont imputables au tiers de la superficie cultivable qui est irriguée.

L'irrigation est un facteur clé dans l'ensemble de moyens techniques permettant d'obtenir des gains de productivité. Dans l'avenir, à mesure que de forts apports d'intrants coûteux devront être faits sur les terres cultivables pour assurer la pérennité des accroissements de rendement, la sécurité et l'efficacité de la production irriguée seront de plus en plus importantes dans l'agriculture mondiale. L'eau ne sera plus abondante, ni bon marché. Elle sera au contraire rare, chère à mettre en oeuvre et à recycler, et son usage sera précieux. La perspective d'une eau coûteuse pourrait de prime abord sembler être un problème nouveau menaçant les économies à faible revenu. Pourtant, un coût élevé devrait inciter à utiliser l'eau de façon plus efficace. Le principal facteur qui limite l'adoption de techniques rationnelles d'irrigation et de drainage, qui ont pourtant fait leurs preuves, est le faible coût de l'eau. De surcroît, si les agriculteurs perçoivent la possibilité d'utiliser l'eau plus rentablement et de dégager des profits, ils investiront certainement dans l'irrigation.

Le dilemme - produire davantage de manière durable avec moins d'eau - souligne qu'il est nécessaire de trouver des mécanismes de gestion de la demande permettant de réaffecter les disponibilités hydriques existantes, d'encourager leur utilisation plus efficace et de promouvoir l'équité de l'accès à l'eau. Les politiques devront mettre en place une structure d'incitations, de réglementations, d'autorisations, de restrictions et de pénalités permettant de guider, d'influencer et de coordonner les manières dont les gens utilisent l'eau, tout en encourageant l'innovation dans les techniques d'économie d'eau.

Dans le passé, les pratiques de gestion des ressources hydriques ont été dominées par l'offre. L'eau proprement dite était gérée physiquement par des moyens techniques et de génie civil permettant de la capter, de l'emmagasiner, de la livrer au lieu de consommation et de la traiter. Or, le temps où l'on pouvait satisfaire l'accroissement de la demande en mettant en production de nouvelles disponibilités est révolu. Dans l'économie actuelle de l'eau, gérer la ressource ne se résout plus à capter toujours davantage d'eau, mais à remodeler la demande et à modifier les attitudes des utilisateurs.

ENCADRÉ 8
LE CYCLE HYDROLOGIQUE

L'eau circule en permanence sur la planète. Le cycle hydrologique n'a ni commencement ni fin, mais par commodité on peut dire qu'il a son point de départ dans les eaux océaniques, qui couvrent environ les trois quarts de la surface de la planète. Le rayonnement solaire et l'énergie éolienne, qui dérive elle-même indirectement de l'énergie solaire, sont facteurs d'évaporation de l'eau, qui s'élève à l'état de vapeur et forme des nuages. Ceux-ci, dans des conditions propices, se condensent et retombent sur la Terre sous forme de pluie, de grêle ou de neige.

Une partie des précipitations s'évapore des feuilles et du sol, une autre partie s'écoule en surface et forme des cours d'eau; enfin, une autre partie percole dans le sol où les végétaux puisent de l'humidité pour la transpirer dans l'atmosphère, ou est restituée en surface par capillarité. Une partie de l'humidité du sol s'évapore, une autre partie s'enfonce au-delà de la zone des racines pour rejoindre les couches souterraines aquifères. L'eau souterraine percole à travers les pores du sol et des roches, et peut réapparaître en surface à des altitudes moins élevées, en sources ou en infiltrations qui alimentent les cours d'eau, lesquels en fin de compte réalimentent l'océan. Une autre partie encore de l'eau s'accumule dans des réservoirs souterrains ou couches aquifères, et peut être captée grâce à des puits, tubulaires ou à ciel ouvert.

Le cycle hydrologique que représente la figure ci-dessus est le système selon lequel l'eau circule des océans vers la Terre en passant par l'atmosphère et retourne à l'océan, superficiellement et souterrainement. L'eau douce disponible est une forme rare d'eau, car 99 pour cent de la masse totale d'eau est soit saline (97 pour cent de l'eau est contenue dans les océans), soit à l'état solide (2 pour cent dans les calottes glaciaires et les glaciers). La majeure partie de l'eau restante (1 pour cent) est souterraine, une proportion infime étant présente dans les lacs, l'humidité du sol, les cours d'eau et les systèmes biologiques.


Objet et portée

Le présent chapitre spécial s'adresse essentiellement aux décideurs agricoles, gestionnaires de l'eau, chercheurs, étudiants, planificateurs du développement et donateurs concernés par les projets agricoles. Il a vocation de favoriser la réflexion sur la manière dont les ressources en eau sont actuellement gérées; de contribuer au débat sur l'utilisation durable de l'eau; enfin, de stimuler la réflexion, la recherche et le changement. Les décisions qui seront prises dans la décennie présente en ce qui concerne la façon d'utiliser l'eau auront un retentissement profond sur les disponibilités futures.

Dans cette première section, nous nous sommes efforcés de donner une indication générale de l'état des ressources mondiales en eau et d'examiner brièvement les principaux problèmes: rareté, qualité et santé.

La deuxième section met l'accent sur la nécessité d'intégrer le secteur de l'eau dans les économies nationales et analyse les aspects physiques, économiques et sociaux de l'eau. A partir de ces éléments, on comprendra mieux comment les politiques concernant l'eau opèrent valablement ou échouent. On évalue aussi les avantages et les inconvénients des grandes options relatives à la politique publique de l'eau.

La troisième section fait un examen critique des politiques en ce qui concerne la planification dans le secteur de l'eau, dans l'optique tant de l'offre (disponibilités physiques et hydrologiques) que de la demande. Y sont pesés les avantages et les inconvénients des diverses solutions aux problèmes urgents liés aux eaux superficielles et aux eaux souterraines.

La quatrième section fait le point de trois grandes questions qui se posent en agriculture irriguée: déclin de la croissance et des investissements; difficultés imputables à la dégradation de l'environnement sous l'effet de l'irrigation; tentatives de réforme des systèmes de gestion et d'administration de l'eau.

Les ressources mondiales en eau


L'eau rare
L'utilisation de l'eau dans le monde
L'eau et la santé
L'eau, ressource stratégique

Chaque jour, le cycle hydrologique renouvelle les ressources mondiales en eau douce par évaporation et précipitation (voir encadré 8). Les précipitations annuelles moyennes que reçoivent les terres émergées s'élèvent à 1 10 000 km3, mais environ 70000 km3 de cette eau s'évaporent avant de revenir à la mer. Les 40 000 km3 restants sont potentiellement disponibles pour l'utilisation humaine. La consommation mondiale d'eau douce s'élève actuellement à environ 4 000 km3, soit 10 pour cent seulement des disponibilités renouvelables annuelles.

Ces chiffres pourraient donner à croire que l'eau est largement disponible pour l'utilisation humaine, mais à y regarder de plus près, la situation est beaucoup plus complexe. Les 40 000 km3 d'eau disponible sont très inégalement répartis, et s'écoulent pour les deux tiers sous forme de crues violentes. Restent environ 14 000 km3 de disponibilités relativement stables. Une fraction appréciable de cet approvisionnement doit être abandonnée à son cours naturel pour sauvegarder les terres humides, les deltas, les lacs et les cours d'eau7. Par exemple, 6 000 km3 d'eau sont nécessaires pour diluer et transporter les quelque 450 km3 d'eaux usées actuellement rejetées chaque année dans le monde8. Faute d'un investissement appréciable dans le traitement des eaux usées et d'une réglementation plus efficace, il faudra de plus en plus d'eau pluviale pour diluer et transporter les déchets.

7 S. Postel. 1992. Last oasis: facing water scarcity. Norton, New York.

8 Voir note 1.

Les précipitations, les prélèvements et les disponibilités en eau varient fortement d'une région à l'autre du monde. Le tableau 6 indique, par région, l'évolution des disponibilités en eau par habitant depuis 1950 et donne des estimations pour 2000. Les disponibilités par habitant sont les plus élevées en Amérique latine et les plus basses en Afrique du Nord et au Proche-Orient, tandis que les prélèvements sont les plus forts en Amérique du Nord et les plus faibles en Afrique. Les disponibilités en eau par habitant ne devraient pas évoluer beaucoup d'ici à 2000 en Europe et en Amérique du Nord, tandis qu'en Asie, en Afrique et en Amérique latine elles diminueront, les populations continuant de s'accroître.

TABLEAU 6

Disponibilités en eau par habitant et par région, 1950-2000

Région

1950

1960

1970

1980

2000

(......................milliers de m3......................)

Afrique

20,6

16,5

12,7

9,4

5,1

Asie

9,6

7,9

6,1

5,1

3,3

Amérique latine

105,0

80,2

61,7

48,8

28,3

Europe

5,9

5,4

4,9

4,4

4,1

Amérique du Nord

37,2

30,2

25,2

21,3

17,5

Source: N.B. Ayibotele. 1992. The world's water: assessing the resource. Document de fond, ICWE, Dublin.
Actuellement, l'Asie compte pour plus de moitié dans les prélèvements mondiaux en eau. La figure 11 illustre la consommation d'eau par région au cours du siècle écoulé. Les prévisions à l'horizon 2000 indiquent que l'Asie comptera pour 60 pour cent dans la consommation mondiale d'eau, suivie par l'Amérique du Nord avec 15 pour cent, par l'Europe avec 13 pour cent, l'Afrique ne consommant que moins de 7 pour cent. L'Amérique latine ne consommera vraisemblablement que moins de 5 pour cent de l'eau utilisée dans le monde en 2000, quoique la consommation de cette région ait déjà presque quadruplé depuis 1950.

L'eau rare

L'activité humaine provoque la rareté de l'eau de trois manières: par l'accroissement de la population, par le gaspillage et par l'accès inéquitable9. L'accroissement de la population est facteur de pénurie tout simplement parce que les disponibilités en eau doivent être réparties entre de plus en plus de personnes. Chaque pays dispose de ressources internes en eau d'un volume à peu près fixe, qui se définit par le débit annuel moyen des cours d'eau et des couches aquifères, lui-même fonction des précipitations. Au fil du temps, ces disponibilités internes renouvelables doivent être réparties entre des consommateurs de plus en plus nombreux, ce qui à terme peut être facteur de pénurie.

9 T.F. Homer-Dixon, J.H. Boutwell et G.W. Rathjens. 1993. Environmental change and violent conflict. Sci. Am. (février).
Lorsque les ressources hydriques renouvelables en eau sont inférieures à 1 000 m3 par habitant et par an, elles sont jugées représenter une contrainte grave au développement socio-économique et à la sauvegarde de l'environnement. Le tableau 7 dresse la liste des pays où ces disponibilités renouvelables passeront au-dessous du seuil des 1 000 m3 d'ici à la fin de la décennie. La plupart des pays où la pénurie d'eau est chronique sont concentrés en Afrique du Nord, au Proche-Orient et en Afrique subsaharienne. Les pays qui disposent de moins de 2 000 m3 d'eau par habitant sont en situation de pénurie marginale grave, et exposés à de gros problèmes les années de sécheresse. D'ici à la fin des années 90, les disponibilités en eau devraient tomber au-dessous des 2 000 m3 par habitant dans plus de 40 pays.

TABLEAU 7

Pays où l'on prévoit une pénurie d'eau pour 2000

Pays1

Population en 2000

Disponibilités en eau

Ressources intérieures renouvelables en eau

Ressources en eau y compris débit des cours d'eau venant d'autres pays


(millions)

(.......m3 par habitant......)

Egypte

62,4

29

934

Arabie Saoudite

21,3

103

103

Jamahiriya arabe libyenne

6,5

108

108

Emirats arabes unis

2,0

152

152

Jordanie

4,6

153

240

Mauritanie

2,6

154

2843

Yémen

16,2

155

155

Israël

6,4

260

335

Tunisie

9,8

384

445

République arabe syrienne

17,7

430

2008

Kenya

34,0

436

436

Burundi

7,4

487

487

Algérie

33,1

570

576

Hongrie

10,1

591

11 326

Rwanda

10,4

604

604

Botswana

1,6

622

11 187

Malawi

11,8

760

760

Oman

2,3

880

880

Soudan

33,1

905

3923

Maroc

31,8

943

943

Somalie

10,6

1 086

1 086

1 Plusieurs autres pays dont la population est moins nombreuse, par exemple Barbade, Cap-Vert, Djibouti, Malte, Qatar et Singapour, figurent eux aussi dans cette catégorie.

Source: Calculs effectués par la FAO à partir de données de la Banque mondiale et de l'Institut mondial pour les ressources (WRI).

TABLEAU 8

Ratio des prix pratiqués par les marchands d'eau et les services publics de distribution dans certaines villes

Pays

Ville

Ratio

Bangladesh

Dhaka

12-25

Colombie

Cali

10

Côte d'Ivoire

Abidjan

5

Equateur

Guayaquil

20

Haïti

Port-au-Prince

17-100

Honduras

Tegucigalpa

16-34

Indonésie

Jakarta
Surabaja

4-60
20-60

Kenya

Nairobi

7-11

Mauritanie

Nouakchott

100

Nigéria

Lagos
Onitsha

4-10
6-38

Pakistan

Karachi

28-83

Pérou

Lima

17

Togo

Lomé

7-10

Turquie

Istanbul

10

Ouganda

Kampala

4-9

Source: R. Bhatia et M. Falkenmark. 1992. Water resource policies and the urban poor: innovative approaches and policy imperatives. Document soumis à l'ICWE, Dublin.
Dans nombre de pays, même s'il n'y a pas véritablement pénurie à l'échelon national, le manque d'eau peut poser de sérieux problèmes dans certaines régions ou bassins versants. C'est notamment le cas en Chine du Nord, dans l'ouest et le sud de l'Inde et dans certaines régions du Mexique.

L'homme provoque aussi une pénurie d'eau en polluant et en gaspillant les disponibilités existantes. L'encadré 9 illustre certains parmi les problèmes les plus pressants de pollution de l'eau. Ce type de pénurie peut être assimilé à une dilapidation du «capital». Par exemple, une couche aquifère donnée représente un capital, qui produit une rente renouvelable en eau («revenu») susceptible d'être utilisée pour la consommation humaine. L'utilisation durable de la couche aquifère suppose que l'on n'entame pas le capital, afin que les générations futures puissent jouir durablement de la rente renouvelable, ou revenu. Si le pompage se fait en excès de la reconstitution de la réserve d'eau, la couche aquifère s'appauvrit et le capital fond.

Figure 11

CONSOMMATION D'EAU PAR RÉGION, 1900-2000

Figure 12

CONSOMMATION MONDIALE D'EAU PAR CATÉGORIES D'UTILISATION

Source: I. A. Shiklomanov. 1990. Global water resources.
Nat. Resour., 26; 34-43
Note: La consommation des réservoirs est imputable à l'évaporation
La surexploitation de l'eau souterraine est devenue un problème particulièrement aigu en Chine, en Inde, en Indonésie, au Mexique, en Thaïlande, au Proche-Orient, en Afrique du Nord, dans l'ouest des Etats-Unis et dans nombre de pays insulaires où l'eau de mer fait intrusion dans les nappes. Le pompage excessif dans les couches aquifères provoque non seulement un appauvrissement des nappes qui les rend impropres à une exploitation fiable, mais provoque aussi l'affaissement des terrains sus-jacents, ce qui peut provoquer dans les cas extrêmes de lourds dégâts dans les constructions en surface. Les villes de Bangkok et de Mexico en sont des exemples notoires.

Enfin, il arrive que la modification des structures d'accès à l'eau ou de distribution concentre la ressource dans les mains d'un groupe, les autres se trouvant dans une situation de pénurie extrême. Dans nombre de villes du monde en développement, une fraction importante de la population doit acheter son eau à des marchands privés, qui exigent jusqu'à 100 fois le prix demandé par les services publics de distribution (voir tableau 8).

De nombreuses études récentes font apparaître qu'un grand nombre d'habitants pauvres des villes payent l'eau beaucoup plus cher et y consacrent une bien plus grande fraction de leur revenu que les ménages raccordés au système d'adduction d'eau de la ville10. Les familles les plus pauvres de certaines grandes villes consacrent jusqu'à 20 pour cent de leur revenu à l'achat de l'eau. Or, quand l'eau est aussi chère, on en utilise le moins possible pour se laver et se baigner, d'où de graves problèmes d'hygiène.

10 Voir note 2.
TABLEAU 9

Prélèvements d'eau par secteur et par tranche de revenu

Tranches de revenu


Prélèvements annuels par habitant


Prélèvements par secteur

Agric.

Ind.

Usages dom.


(...m3...)

(...............%...............)

Faible revenu

386

91

5

4

Revenu moyen

453

69

18

13

Revenu élevé

1 167

39

47

14

Source: Banque mondiale. 1992. Rapport sur le développement dans le monde 1992, à partir de données du WRI.

L'utilisation de l'eau dans le monde

Les civilisations antiques d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine organisaient déjà des efforts coopératifs pour mettre en valeur les vallées et y pratiquer une agriculture irriguée. Grâce aux techniques d'irrigation, les sociétés étaient capables de maîtriser et de manipuler les disponibilités en eau pour améliorer la production culturale, avec pour résultat des disponibilités alimentaires le plus souvent fiables et abondantes, permettant de créer des villages agricoles fixes, d'opérer une division du travail et de dégager des excédents économiques.

Nombreux sont les universitaires à débattre si la technologie de l'irrigation a facilité le contrôle politique et le développement de l'Etat, ou si au contraire c'est l'évolution politique qui a permis d'affiner les technologies. Mais où que soient les causes et les effets, nul ne met en doute l'association intime du développement et de la maîtrise de l'eau.

ENCADRÉ 9
L'EAU ET LA POLLUTION

La qualité de l'eau varie fortement selon ses provenances. Les précipitations absorbent les gaz présents dans l'atmosphère et précipitent des particules en suspension dans l'air. Lorsque la pluie atteint le sol, elle s'écoule à sa surface ou pénètre à l'intérieur de celui-ci. Les eaux superficielles forment des ruissellements de plus en plus grands en ruisseaux, étangs, lacs et cours d'eau jusqu'à atteindre la mer. En suivant son cours, l'eau superficielle se charge de particules organiques et minérales, de bactéries et autres organismes ainsi que de sels et diverses substances solubles. L'eau des lacs et des marécages peut acquérir une odeur, un goût et une couleur en présence d'algues et de divers organismes, et en raison de la végétation en putréfaction.

Depuis les temps anciens, les métaux lourds résultant de l'activité minière et les agents pathogènes rejetés par les villes provoquent des contaminations graves, quoique localisées. Avec la révolution industrielle, les problèmes de pollution de l'eau ont pris un tour d'abord régional, puis continental et désormais mondial. Une grande quantité d'eau est polluée par les usages industriels, agricoles, ou encore domestiques qui en sont faits. L'activité minière est la source principale de contamination par les métaux, tandis que d'autres industries sont responsables de l'acidification. L'intensification des activités agricoles a eu pour résultat la contamination des eaux souterraines par les engrais et autres produits chimiques. Les projets d'irrigation quant à eux provoquent fréquemment une élévation rapide de la nappe d'eau souterraine, donc l'engorgement et la salinisation des sols.

Depuis 1977, le Système mondial de surveillance continue de l'environnement (GEMS) PNUE/OMS collabore avec l'Unesco et l'OMM en vue de l'élaboration d'un réseau mondial de surveillance de la qualité de l'eau. Plus de 50 variables relatives à l'eau sont suivies pour réunir des informations sur la qualité de l'eau pour la consommation humaine et pour les usages agricoles, commerciaux et industriels. Des évaluations récentes ont permis d'observer que les principaux polluants de l'eau sont les effluents d'égout, les nutriments, les métaux toxiques, ainsi que les produits chimiques utilisés dans l'industrie et en agriculture. L'évaluation effectuée dans le cadre du GEMS porte notamment à conclure ce qui suit: la nature et le niveau de la pollution de l'eau douce sont étroitement fonction du développement socio-économique; les polluants les plus fréquents sont l'ensemble des matières organiques contenues dans les eaux usées domestiques, les déchets urbains et les effluents agro-industriels; par ailleurs, les concentrations élevées de nitrates observées en Europe occidentale et aux Etats-Unis sont imputables à l'utilisation d'engrais azotés et de fumier en agriculture intensive. Cette évaluation a aussi confirmé un accroissement spectaculaire de l'utilisation d'engrais dans les pays en développement, en particulier lorsque l'irrigation intensive permet d'effectuer deux, voire trois, campagnes agricoles annuelles.

Le rapport du GEMS met aussi en cause la déforestation, l'eutrophisation, les matières en suspension sous forme de particules et la salinité.

La déforestation, qui résulte du défrichage des terres pour l'agriculture ou l'expansion urbaine, est souvent facteur de contamination des eaux. Une fois le sol privé de son couvert végétal protecteur, il est exposé à l'érosion. Celle-ci détermine une plus forte turbidité des eaux, en raison du surcroît de matières en suspension, du lessivage des nutriments et de la moindre capacité de rétention de l'eau du sol. Il faut aussi se préoccuper de la dégradation des terres humides, qui fait disparaître l'habitat de nombreuses espèces et détruit les mécanismes naturels de filtrage, permettant à de nombreux polluants courants d'atteindre les réserves d'eau.

L'eutrophisation résulte de l'enrichissement des eaux en nutriments, notamment en phosphore et en azote. Ce phénomène favorise la croissance de la végétation aquatique et appauvrit l'eau en oxygène sous l'effet de la putréfaction de cette végétation. Il ne s'agit pas toujours d'un phénomène induit par l'homme, mais il est souvent associé à la présence de déchets organiques et au ruissellement à proximité des terres agricoles. Actuellement, 30 à 40 pour cent des lacs et des réservoirs du monde souffrent d'eutrophisation. Toutes les interventions tentées n'ont pas réussi, mais l'eutrophisation est un processus réversible si l'on met en œuvre des stratégies appropriées à moyen et long terme. La législation et les mesures pratiques prises pour réduire les émissions de tripoly-phosphates (utilisés essentiellement dans les détergents) et pour extraire le phosphore des effluents liquides ont eu des effets positifs.

La présence de particules en suspension dans l'eau a trois principales origines: l'érosion naturelle des sols, la formation organique de matière dans l'eau, et les matières provenant accessoirement de l'activité humaine. Cette matière en suspension se dépose sous forme de sédiments dans les lits des rivières, des lacs, dans les deltas et dans les estuaires. La sédimentation de matières en suspension d'origine anthropique datant de l'époque romaine et de l'époque maya a été observée dans le fond de lacs, ce qui indique qu'il s'est agi là de l'un des premiers types de pollution des eaux. La construction de barrages sur les cours d'eau modifie l'écoulement des matières en suspension en direction des océans, car les retenues piègent efficacement ces matières. On estime qu'environ 10 pour cent des matières en suspension qui devraient s'écouler jusqu'à la mer sont piégées dans des réservoirs. Or, environ 25 pour cent de l'eau qui atteint actuellement l'océan a séjourné à un moment ou un autre dans un réservoir. Les retenues d'eau peuvent fortement modifier la qualité de celle-ci; les eaux qui ont transité par des réservoirs non seulement contiennent des quantités réduites de matières en suspension, mais sont aussi appauvries en nutriments et sont souvent plus salines, ce qui a des effets préjudiciables à l'agriculture et à la pêche pratiquées en aval.

La salinisation est une forme appréciable et fréquente de pollution de l'eau douce, notamment dans les régions arides, semi-arides ou côtières. La cause première de salinisation est une combinaison de mauvais drainage et de forte évaporation, qui concentre les sels dans les terres irriguées. La salinité du sol peut porter atteinte à la productivité des espèces végétales irriguées, mais aussi être préjudiciable à l'utilisation industrielle et domestique de l'eau. Ce phénomène n'est pas nouveau; la salinisation des sols et de l'eau dans la plaine d'inondation du Tigre et de l'Euphrate a contribué au déclin de la civilisation mésopotamienne voici 6 000 ans. On estime que dans le monde la superficie irriguée brute est de 270 millions d'hectares. Environ 20 à 30 millions d'hectares sont gravement touchés par la salinité du sol, tandis que 60 à 80 millions d'hectares en souffrent dans une mesure moindre. Les sols engorgés, dans lesquels les problèmes de salinité sont aggravés, sont habituellement le résultat d'une irrigation excessive combinée à un mauvais drainage. L'eau qui s'écoule des zones agricoles fumées avec du fumier et des engrais chimiques polluent les cours d'eau et la nappe phréatique en élevant leur teneur en nutriments.

Le degré actuel de pollution de l'eau justifie que l'on prenne des mesures pour prévenir tout accroissement de la contamination des ressources. Il convient que des mesures plus sévères soient prises pour gérer les ressources en eaux, traiter les eaux usées et assurer au public des approvisionnements fiables en eau de bonne qualité. Dans les pays développés comme dans les pays en développement, le traitement et le recyclage des effluents industriels doivent être surveillés et réglementés; parallèlement, il convient d'agir pour remplacer les produits dangereux et interdire l'usage des pesticides nocifs.

On dispose de preuves irréfutables qu'au moins 20 à 30 pour cent de l'eau actuellement utilisée dans les ménages et dans les entreprises industrielles pourraient être économisés si l'on adoptait les instruments réglementaires et les politiques appropriées (taxes, contingentement, redevance d'extraction de l'eau souterraine). On pourrait à la fois bénéficier d'une eau propre et d'une réduction de la demande en encourageant les industries à recycler ou à réutiliser l'eau, ce dans le cadre d'une législation antipollution agissant par le biais d'incitations économiques (tarification de l'eau en fonction des coûts économiques, du taux de charge des effluents, et offre de crédits à faibles taux d'intérêt pour la construction de stations de traitement et d'épuration des effluents et des eaux usées). Des économies analogues peuvent être réalisées en agriculture irriguée si l'on investit dans le revêtement des canaux, si l'on encourage la pratique de cultures consommant moins d'eau (en jouant sur les prix relatifs à la production) et si l'on relève les redevances d'irrigation.

Source: PNUE. 1991. Pollution des eaux douces. Bibliothèque de l'environnement PNUE/GEMS. N° 6, Nairobi.

Dans le monde actuel, l'agriculture continue d'être la plus forte consommatrice d'eau parmi les activités humaines. A l'échelle mondiale, environ 70 pour cent de l'eau détournée de son cours naturel sont destinés à l'agriculture. Les utilisations domestiques et industrielles se partagent les 30 pour cent restants11. Les utilisations de l'eau varient fortement en fonction de son accessibilité, de sa quantité, de sa qualité et de la situation socio-économique. Le tableau 9 montre que l'utilisation de l'eau par l'agriculture est plus élevée en proportion de l'utilisation totale dans les pays à faible revenu (91 pour cent) que dans le groupe des pays à revenu élevé (39 pour cent). Néanmoins, la consommation d'eau par habitant fait apparaître que les pays à revenu élevé utilisent davantage d'eau pour l'agriculture que les pays à faible revenu.

11 Les utilisations domestiques sont principalement l'approvisionnement en eau potable et la desserte des habitations privées et des établissements commerciaux, les services publics et la voirie municipale.
Les tendances de l'utilisation mondiale de l'eau à dater de 1950 sont indiquées à la figure 12. Globalement, la consommation mondiale d'eau s'est presque multipliée par 10 en un siècle. La part de l'agriculture, qui était de 90 pour cent en 1900, sera tombée à environ 62 pour cent en 2000. Dans la même période, la consommation industrielle sera passée de 6 pour cent à 25 pour cent, tandis que la consommation des villes sera, elle, passée de 2 pour cent à presque 9 pour cent. En 2000, environ 35 pour cent de l'eau disponible seront utilisés, contre moins de 5 pour cent au début du siècle.

Les exigences, tant quantitatives que qualitatives, en ce qui concerne l'eau, accusent de fortes différences selon le type d'utilisation. Les besoins nets de l'agriculture sont particulièrement importants par rapport à d'autres usages. Par exemple, environ 15 000 m3 d'eau suffisent normalement pour irriguer 1 ha de rizière. Cette même quantité d'eau peut aussi répondre aux besoins de 100 nomades et de 450 têtes de bétail pendant trois ans; ou de 100 familles rurales raccordées au réseau de distribution pendant quatre ans; ou encore de 100 familles urbaines pendant deux ans; ou de 100 clients d'un hôtel de luxe pendant 55 jours12.

12 I. Carruthers et C. Clark. 1983. The economies of irrigation. Liverpool University Press, Liverpool, Royaume-Uni.
L'industrie utilise de grandes quantités d'eau, mais la majeure partie de celle-ci est recyclée dans le système hydrologique. Le principal problème tient à ce que cette eau retourne à la nature polluée, car chargée de déchets, de produits chimiques et de métaux lourds. Plus de 85 pour cent de l'eau consommée au total par l'industrie sont retournés à la nature sous forme d'eaux usées13.
13 D.B. Gupta. 1992. The importance of water resources for urban socioeconomic development. In International Conference on Water and the Environment: Development Issues for the 21st Century. Document de fond. Dublin.
La demande en eau pour les usages domestiques est modérée par rapport aux usages agricoles et industriels, mais les exigences de qualité sont élevées. Les utilisations domestiques et municipales de l'eau sont principalement la consommation pour la boisson, le lavage, la préparation des aliments et les installations d'hygiène.

L'eau et la santé

Dans la perspective des décisions politiques, deux des problèmes les plus sensibles se rapportant à l'approvisionnement en eau à usage domestique sont ceux de l'accès et de la santé. Près d'un milliard de personnes dans le monde ne disposent pas d'eau potable de qualité. Or, améliorer l'accès à l'eau potable améliore sensiblement la situation sanitaire. L'hygiène personnelle progresse lorsque les disponibilités en eau dépassent 50 litres par jour (ce qui signifie que l'eau doit être acheminée jusqu'à la maison, ou à la cour). On estime que 1,7 milliard de personnes doivent s'accommoder d'installations sanitaires insuffisantes. L'absence de réseaux d'égout et de traitement des eaux usées est une source majeure de pollution des eaux superficielles et de l'eau souterraine.

Les services de santé identifient cinq catégories de maladies d'origine hydrique: i) maladies transmises par l'eau (typhoïde, choléra, dysenterie, gastroentérite et hépatite infectieuse); ii) infections de la peau et des yeux dues à l'eau (trachome, gale, pian, lèpre, conjonctivite et ulcères); iii) parasitoses liées à l'eau (bilharziose et dracunculose); iv) maladies dues à des insectes vecteurs, par exemple moustiques et mouches; enfin v) infections dues au manque d'hygiène (taeniases).

Le Rapport sur le développement dans le monde 1992, de la Banque mondiale, indique que l'accès à l'eau potable et à des équipements d'hygiène adéquats permettraient d'éviter annuellement 2 millions de décès dus à la diarrhée chez les jeunes enfants, et 200 millions d'épisodes diarrhéiques chaque année.

L'eau, ressource stratégique

L'eau, même quand elle est abondante, devient souvent enjeu politique. Les législations nationales et les coutumes établies de longue date permettent de résoudre des litiges concernant l'eau à l'échelon national, et jusqu'au niveau des villages, mais le droit international ne s'est pas développé assez vite pour traiter des conflits liés à l'eau qui, de plus en plus nombreux, peuvent survenir entre différents pays, voire différentes régions. En 1989, M. Boutros Boutros-Ghali, alors Ministre d'Etat chargé des affaires étrangères de l'Egypte, observait que «la sécurité nationale de l'Egypte est aux mains de huit autres pays africains du bassin du Nil»14. Comme le note Postel, cette formule dit bien tout ce que représente l'eau pour l'économie égyptienne, ainsi que le pouvoir qu'ont les pays d'amont sur leurs voisins d'aval.

14 Voir note 7.
La valeur croissante de l'eau, les préoccupations concernant sa qualité et la quantité des approvisionnements, ainsi que les problèmes d'accès, accordé ou refusé, ont donné lieu au concept d'une géopolitique des ressources, ou «hydropolitique». A cet égard, l'eau rejoint le pétrole et certaines richesses minérales en tant que ressource stratégique. Sa rareté et sa valeur croissante donneront de plus en plus aux politiques de l'eau et aux conflits internationaux qui pourront naître à l'endroit de celle-ci une importance de premier plan.

Plusieurs pays dépendent étroitement de cours d'eau venant d'autres pays. Botswana, Bulgarie, Cambodge, Congo, Egypte, Gambie, Hongrie, Luxembourg, Mauritanie, Pays-Bas, République arabe syrienne, Roumanie et Soudan, tous reçoivent plus de 75 pour cent de leur approvisionnement en eau de cours d'eau sortant de chez leurs voisins d'amont. Plus de 40 pour cent de la population mondiale vit dans des bassins hydrographiques partagés entre plusieurs pays.

Au même titre que les terres et les ressources énergétiques, l'eau fait l'objet de litiges, et dans des cas extrêmes a donné lieu à des guerres. La division des eaux de l'Indus et de ses affluents entre l'Inde et le Pakistan a salutairement servi d'exemple et d'avertissement. La guerre a été évitée de justesse dans les premières années de l'indépendance grâce à un accord ayant force obligatoire, appuyé par une aide internationale massive, pour construire d'énormes barrages de retenue et un système de canaux. L'eau pouvait désormais être acheminée vers les zones du Pakistan privées d'eau, tandis que certains affluents de l'Indus étaient détournés vers le territoire indien.

ENCADRÉ 10
CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR L'EAU ET L'ENVIRONNEMENT: ENJEUX POUR LE DÉVELOPPEMENT AU 21e SIÈCLE

La Conférence internationale sur l'eau et l'environnement (ICWE) s'est tenue à Dublin (Irlande) du 26 au 31 janvier 1992. Elle a fourni à la CNUED, réunie à Rio de Janeiro (Brésil) en juin 1992, les principaux éléments de réflexion sur les problèmes liés à l'eau douce. Ont pris part à l'ICWE 500 participants venus de 114 pays, 38 ONG, 14 organisations intergouvernementales et 28 organes et institutions du système des Nations Unies.

Les travaux de l'ICWE ont été répartis entre six groupes de travail qui ont traité des points suivants:

· Mise en valeur et gestion intégrées des ressources en eau;

· Evaluation des ressources en eau et incidence du changement climatique sur ces ressources;

· Protection des ressources en eau, de la qualité de l'eau et des écosystèmes aquatiques;

· L'eau et le développement urbain durable, approvisionnement en eau potable et équipements d'hygiène;

· L'eau: production vivrière et développement rural durables, approvisionnement en eau potable et équipements d'hygiène;

· Mécanismes d'exécution et de coordination aux échelons mondial, national, régional et local.

Les deux principaux textes élaborés par la Conférence sont la Déclaration de Dublin et son rapport, dans lequel sont formulées des recommandations concrètes sur la base de quatre principes directeurs. Premièrement, la gestion efficace des ressources en eau suppose une démarche globalisante alliant développement social et économique et protection des écosystèmes naturels, et devant prendre en compte les questions liées à la terre et à l'eau à l'échelle des bassins hydrologiques et des formations aquifères; deuxièmement, la mise en valeur et la gestion des eaux doivent se fonder sur une approche participative faisant intervenir les usagers, les planificateurs et les décideurs politiques à tous les niveaux; troisièmement, il faut reconnaître le rôle central qu'exercent les femmes dans l'approvisionnement en eau, dans sa gestion et dans sa protection; enfin, l'eau a une valeur économique dans toutes ses utilisations concurrentes, et doit être reconnue comme bien marchand.


Les coûts de l'opération, pour toutes les parties, furent élevés, mais certainement moindres que ne l'auraient été les coûts humains et financiers d'un conflit. Nombre de fleuves internationaux, y compris le Nil, l'Euphrate, le Gange et le Mékong, sont autant d'enjeux et présentent des risques de litiges éventuels. L'avenir des eaux du Jourdain représente d'ores et déjà un chapitre des pourparlers de paix dans la région concernée, et illustre bien la complexité que peut atteindre l'hydropolitique. Le fait que les ressources en eau souterraine fassent aussi l'objet de ces pourparlers ajoute une autre dimension encore aux difficultés.

Le secteur de l'eau et la politique des ressources naturelles

En janvier 1992, l'ICWE concluait que la rareté et le mésemploi de l'eau douce menacent gravement, et de plus en plus dangereusement, le développement durable et l'environnement15. Cette conférence a fait valoir que la santé et le bien-être de l'homme, la sécurité alimentaire, le développement économique et les écosystèmes sont en danger, à moins que les ressources en eau et en terre soient dans l'avenir gérées de façon plus efficace.

15 Déclaration de Dublin et Rapport de la Conférence. 1992. ICWE, Dublin.
Pour traiter les problèmes de l'eau aux échelons local, national et international, l'ICWE a recommandé une gamme de stratégies et de politiques de développement fondées sur quatre principes (voir encadré 10). Mais alors que les participants à la Conférence étaient promptement convenus du libellé des trois premiers principes, le quatrième allait provoquer un débat prolongé et âprement contradictoire. Ce quatrième principe veut en effet que l'eau ait une valeur économique dans toutes ses utilisations concurrentes, et qu'elle soit reconnue comme un bien marchand.

Beaucoup ont du mal à concilier l'idée de l'eau comme bien marchand avec le concept traditionnel de l'eau comme produit de première nécessité et droit fondamental de l'homme. Les manuels d'économie élémentaire d'autrefois illustrent bien ce paradoxe - pourquoi les diamants, dont l'utilité est bien mince, sont-ils chers, tandis que l'eau pure, qui est essentielle à la vie, est bon marché. Les textes plus récents se gardent de faire entrer l'eau dans les clichés. Comme l'air pur, l'eau était autrefois considérée comme l'exemple classique des biens gratuits. Aujourd'hui qu'elle se fait rare, même si elle n'est pas encore chère, on reconnaît enfin qu'elle est précieuse. La rareté est l'un des points les plus importants à prendre en considération dans le système de compensations socio-économiques qui préside à la répartition de l'eau entre les différents utilisateurs. Les politiques et les décisions d'affectation déterminent qui aura accès à l'eau et dans quelles conditions, et quelle incidence cela aura sur la société et l'économie.

Le petit prix de l'eau est souvent plus apparent que réel. Si l'eau est gratuite ou quasi gratuite, ce n'est point parce qu'elle peut être mise à disposition sans coûts, ce qui évidemment n'est nullement le cas, mais parce que les pouvoirs publics ont choisi, pour diverses raisons, de ne pas faire payer le plein prix de l'adduction d'eau16. Or, on commence à s'interroger sur le bien-fondé de ces subventions. Le rapport final de l'ICWE reconnaît que le fait de n'avoir pas reconnu dans le passé la valeur économique de l'eau et le coût réel des prestations de service a induit le gaspillage et des utilisations environnementalement dommageables. De surcroît, le rapport de la Conférence fait observer que gérer l'eau comme un bien marchand permet valablement de parvenir à l'efficacité et à l'équité dans son utilisation, et d'encourager la conservation et la protection d'une ressource rare.

16 L'eau peut être considérée comme un bien «gratuit» uniquement sous forme de pluie, mais dès que ce bien gratuit est capté et transporté jusqu'au consommateur par des canaux, des conduites ou divers autres moyens, il devient un service. La résistance est en général bien moindre vis-à-vis du paiement de redevances pour un service que vis-à-vis des redevances d'utilisation de l'eau.

ENCADRÉ 11
PLANIFICATION FRAGMENTÉE ET RESSOURCES EN EAU DANS LE SUD DE L'INDE

Le document d'orientation de la Banque mondiale sur la gestion des ressources en eau donne plusieurs exemples empruntés au sud de l'Inde pour illustrer les différents problèmes imputables à la planification fragmentée. Le cours, extrêmement variable, du Chittur est équipé de longue date de nombreuses prises de dérivation servant à alimenter de petits réservoirs pour irriguer les rizières. Les canaux de dérivation sont de section suffisante pour contenir les débits de crues qui suivent les pluies de mousson. Ainsi, lorsqu'un barrage de retenue était construit, le canal le plus en amont était capable d'absorber pratiquement la totalité du flux régulé.

Les réservoirs amonts ont actuellement tendance à demeurer pleins toute l'année, ce qui concentre les avantages et ajoute aux pertes par évaporation. Les zones, plus étendues, situées en aval, sont revenues à des cultures pluviales incertaines, et la valeur ajoutée agricole totale a baissé. La décision de construire un barrage de retenue sans tenir dûment compte des besoins des usagers d'aval ou de la capacité existante de stockage du bassin est un exemple de projet conçu isolément, et donc susceptible d'entraîner des pertes économiques appréciables.

La construction du barrage de Sathanur, sur le Ponnani, dans l'Etat du Tamil Nadu, décidée afin d'alimenter en eau d'irrigation la rive gauche, a privé les zones productives du delta de l'eau dont elles avaient besoin. Quoique les droits des agriculteurs d'aval soient reconnus dans le règlement d'exploitation du barrage, la majeure partie du flux maîtrisé est détourné en amont; les pertes d'eau se sont fortement accrues dans le large lit sablonneux, et aucune eau superficielle ne parvient plus à la mer depuis plus de 20 ans. Les débordements qui se produisent pendant environ la moitié de chaque année ont servi à justifier la construction ultérieure d'un réseau d'irrigation de la rive droite, ce qui a aggravé les pénuries dans le delta et donné lieu à un conflit perpétuel entre les deux groupements d'usagers de l'eau. Parallèlement, la construction de réservoirs supplémentaires sur les affluents d'amont aggrave les pertes par évaporation, dans un bassin pourtant pleinement aménagé. L'irrigation du delta, où les terres sont productives, s'est encore dégradée, et les périmètres commandés de Sathanur souffrent à leur tour. Les productions culturales de haute valeur pratiquées autrefois à proximité du cours principal sont peu à peu remplacées par des cultures pratiquées sur des terres moins productives, desservies par des affluents dont le débit est plus variable que celui du cours principal.

L'Amaravati, affluent du Cauvery, est le cours d'eau le plus disputé en Inde. Faute d'un accord concernant le Cauvery, l'Etat du Karnataka (riverain d'amont) a aménagé avec régularité de grands périmètres d'irrigation, privant le delta (le «bol de riz» du Tamil Nadu) de l'eau qu'il recevait naturellement. Dans le même temps, le Tamil Nadu aménage l'Amaravati. Comme c'est le cas à Sathanur, le barrage sur l'Amaravati maintient une partie du débit pour arroser les régions traditionnellement arrosées en aval, mais celles-ci sont éloignées, et le transport régulé de l'eau a encouragé les riverains à installer des pompes privées sur les berges. Quoique les raccordements électriques nouveaux soient désormais interdits, il est difficile de contrôler les branchements irréguliers ou les pompes diesel, si bien que les périmètres les plus en aval, et le Cauvery à fortiori, reçoivent très peu d'eau. On continue cependant de construire de nouveaux barrages sur les affluents, tant au Kerala qu'au Tamil Nadu, ce qui prive d'eau non seulement les terres traditionnelles, mais aussi les terres nouvellement mises en exploitation et les zones arrosées par pompage.

Source: Banque mondiale. 1993. Gestion des ressources en eau: documentation d'orientation.

C'est dans ce contexte que l'ICWE et la CNUED ont appelé à adopter une démarche nouvelle dans l'évaluation, la mise en valeur et la gestion des ressources en eau douce. L'approche proposée consiste à gérer l'eau douce comme une ressource finie et vulnérable, et à intégrer des plans et programmes sectoriels relatifs à l'eau dans le cadre de la politique économique et sociale nationale17. Il importe, en raison du caractère spécial de l'eau en tant que ressource unitaire, d'adopter une approche mieux intégrée et plus large dans les politiques et les questions touchant au secteur de l'eau. L'eau de pluie, les fleuves, les lacs, l'eau du sol et les eaux polluées sont une seule et même ressource, ce qui signifie que les actions exercées aux échelons mondial, national, régional et local sont étroitement interdépendantes18. L'utilisation de l'eau dans un segment du système modifie la base de ressources et a une incidence sur les usagers d'autres segments.

17 ONU. 1992. Protection des ressources en eau douce et de leur qualité: application d'approches intégrées de la mise en valeur, de la gestion et de l'utilisation des ressources en eau. Chapitre 18, programme Action 21, Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement.

18 P. Rogers. 1992. Comprehensive water resources management: a concept paper. Policy Research Working Paper. Banque mondiale, Washington.

Les barrages construits dans tel ou tel pays réduisent fréquemment le débit du cours d'eau concerné dans les pays d'aval pendant de nombreuses années, ce qui a une incidence sur leur capacité de production hydroélectrique et sur leurs possibilités d'irrigation. Lorsqu'une ville pratique un pompage excessif dans une couche aquifère, le débit des cours d'eau s'en trouve modifié dans les zones adjacentes; lorsque les eaux superficielles sont contaminées, elles peuvent polluer les nappes souterraines. Certaines actions de l'homme à l'échelon local peuvent contribuer au changement climatique, avec des conséquences à long terme pour les systèmes hydrologiques dans le monde entier.

Les politiques, législations, projets, règlements et mesures administratives se rapportant à l'eau négligent fréquemment ce faisceau de liaisons. Les pouvoirs publics ont en général tendance à organiser et à administrer séparément les diverses activités du secteur de l'eau: tel service est responsable de l'irrigation; tel autre administre l'adduction d'eau potable et les réseaux d'égout; un troisième gère les activités liées à la production hydroélectrique; un quatrième supervise le transport de l'eau; un autre le contrôle de la qualité de l'eau; un autre encore décide des politiques d'environnement; et ainsi de suite.

Cette fragmentation bureaucratique conduit à prendre des décisions sans coordination, les responsabilités des différents organismes intervenant étant dissociées les unes des autres. Trop souvent, les planificateurs décident de mettre en valeur une même ressource en eau pour des usages différents et concurrents (voir encadré 11). Or, pour traiter convenablement des questions liées à l'eau, il faut dépasser les démarches fragmentaires, projet par projet, ministère par ministère et région par région.

Pour résoudre les problèmes concernant les ressources hydriques, dont le nombre va croissant, les politiques doivent de plus en plus examiner et expliquer les situations, les problèmes et les progrès du secteur de l'eau en le considérant dans sa globalité. Cette approche intégrée exige que les responsables apprécient bien non seulement les réalités du cycle de l'eau (y compris le régime des précipitations, leur distribution, les interactions avec l'écosystème et l'environnement naturels, ainsi que les changements d'affectation des terres), mais aussi les besoins intersectoriels de développement en ce qui concerne les ressources en eau, dans toute leur diversité.

Dans la section suivante, le concept important de l'intégration du secteur de l'eau dans l'économie nationale est exploré plus avant, et sont réunis des éléments de réflexion permettant d'approcher le choix des politiques dans une perspective économique.


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