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Deuxième partie : La lutte antiérosive en fonction des différents processus d'érosion


Etat de la recherche, diagnostic et application a la GCES
Chapitre 4 : L'érosion mécanique sèche
Chapitre 5 : L'érosion en nappe ou le stade initial de l'érosion hydrique
Chapitre 6 : L'érosion linéaire
Chapitre 7 : L'érosion en masse
Chapitre 8 : L'érosion éolienne


Etat de la recherche, diagnostic et application a la GCES

Dans cette seconde partie, il sera tenu compte de la variété des formes d'érosion observées pour diversifier la lutte antiérosive et l'adapter le plus étroitement possible aux "niches écologiques" et aux segments fonctionnels de chaque versant. En effet, les formes d'érosion traduisent l'efficacité locale de divers processus qui font appel à des sources d'énergie variées et à différents facteurs modifiant leur expression (tableau 8).

Bien qu'il y ait parfois une évolution d'une forme d'érosion vers une autre, à mesure que la dégradation progresse (par exemple l'érosion en nappes évolue en rigoles puis en ravines) chacun de ces ensembles (forme, cause, facteur, méthode) sera traité dans un chapitre séparé de taille variable. Etant donné l'objectif de cet ouvrage, qui est de développer la gestion conservatoire de l'eau et de la fertilité des sols, l'érosion en nappe, phase initiale des processus d'érosion, sera traitée plus en détail, à l'aide de résultats expérimentaux. Pour lutter contre les autres processus, nous rappellerons les principes de base et quelques résultats récents: puis nous renverrons le lecteur vers d'autres manuels plus spécialisés.

TABLEAU 8: Les formes de dégradation et d'érosion, leurs causes, les facteurs de résistance du milieu ainsi que leurs conséquences sont très variées

Les processus de dégradation et d'érosion et leurs formes

Les causes: différentes sources d'énergie

Les facteurs de résistance du milieu

Les conséquences: sélectivité de l'érosion et des dépôts

Dégradation: perte de structure
Forme: naissance de pellicules

Nombreuses:
- minéralisation des matières organiques
- compaction
- etc...

1° la résistance de la structure est fonction des matières organiques, du fer, de l'alumine, des argiles floculées, des cations adsorbés et des sols présents,
2° fonction du drainage ou de la nappe chargée,
3° la compaction est fonction du poids des outils utilisés, de la pression des pneus des tracteurs et de la fréquence des passages

La dégradation entraîne peu de transports, mais une réorganisation et un tassement

Erosion éolienne
Formes: ripple marks, monticules au pied des touffes, dunes, nuages de poussière

Energie du vent

1° vitesse du vent et de la turbulence de l'air,
2° direction du vent dominant,
3° résistance du milieu est fonction de la rugosité du sol et de la végétation,
4° résistance du sol = fonction de la structure des mottes, de la texture et des matières organiques

Sélectivité
Erosion: + +
Dépôt: + +

Erosion mécanique sèche
Forme: creeping

Gravité et poussée par les outils de travail du sol

1° est fonction de l'intensité du travail du sol, c'est-à-dire de la fréquence des travaux et du type d'outil
2° est fonction de la pente et de la cohésion du terrain

Sélectivité
Erosion: 0
Dépôt: 0

Erosion en nappe
Forme: nappe de sable, pellicule de battance ou de sédimentation, "demoiselle coiffée", micro-falaise

Battance des gouttes de pluie

1° le couvert végétal,
2° la pente,
3° le sol,
4° les techniques et structures antiérosives

Sélectivité
Erosion: + +
Dépôt: + +

Erosion linéaire
Formes: griffes, rigoles, ravines

L'énergie du ruissellement dépend du volume du ruissellement et de sa vitesse au carré 1/2 MV2 = 1/2MGH

1° la vitesse du ruissellement est fonction de la pente et de la rugosité,
2° le volume ruisselé est fonction de la surface du bassin versant et de la capacité d'infiltration,
3° résistance du profil du sol et des racines

Sélectivité
Erosion: 0
Dépôt: + +

Erosion en masse
Formes: creeping, glissement, coulée boueuse

Gravité, déséquilibre des versants

1° le poids de la couverture sol + eau + végétaux,
2° l'humidification du plan de glissement,
3 ° le terra in:

a. la lithologie et le pendage parallèle à la pente,
b. des niveaux imperméables et du mica,
c. le drainage, la pente et une faible épaisseur du sol au-dessus du niveau imperméable


Sélectivité
Erosion: 0
Dépôt: 0

Chapitre 4 : L'érosion mécanique sèche


Définition, formes, processus
Les facteurs
Méthodes de lutte antiérosive


Définition, formes, processus

Ce type d'érosion est un processus (arrachement + transport + dépôt) sans intervention de l'eau, peu connu, très peu quantifié, qui par gravité et par simple poussée des instruments aratoires, décape les horizons superficiels des hauts de pente et des ruptures de pente, pousse ces masses de terre vers le bas de la toposéquence où elles s'accumulent soit en talus, en bordure de parcelles, soit en colluvions concaves de texture peu différente des horizons d'origine.

Chaque labour entraîne une tranche de terre (environ 10 t/ha si la parcelle fait 100 m de large x 100 m de haut) et chaque sarclage déplace quelques mottes de terre vers le bas (environ 1 t/ha). Au bout du compte, on arrive (Equateur-De Noni et Viennot, 1991) à devoir monter une murette de 1,30 mètre en 24 mois (soit environ 40 t/ha/an) et on construit des talus de 1 m en 4 à 5 ans, soit un rehaussement de 20 cm par an (Côte d'Ivoire, au Rwanda et au Burundi-Roose et Bertrand, 1971 et Roose et al., 1990).

En Algérie, sur un versant de 35 % de pente sur sol fersiallitique rouge, un verger fut planté vers 1960 près de Ouzera. Trente ans plus tard, les arbres sont juchés sur un piédestal: 30 cm de terre ont été décapés entre les arbres ! Même si on cumulait pendant 30 ans l'érosion mesurée à la parcelle nue (15 t/ha/an = 1 mm), l'érosion ne dépasserait pas 3 cm, tandis que la reptation de la couverture pédologique par le travail du sol atteindrait 27 cm, soit 135 t/ha/an (Roose, 1991) pour deux labours croisés (à l'automne et au printemps) pour maintenir le sol nu et motteux.

Les facteurs

L'intensité du déplacement de terre dépend:

- du type d'outil: la charrue à soc déplace plus de terre que le chiesel (Revel, 1989), et plus que les charrues à disques, que la houe et que la herse.

- de la fréquence des passages: en zone humide, à deux saisons des pluies, il y a deux labours plus quatre sarclages. En zone tropicale humide à une saison, il y a un labour plus deux sarclages. En zone méditerranéenne semi humide, il y a souvent deux labours grossiers et deux sarclages. En zone semi aride il y a un labour plus un sarclage et en zone tempérée, il y a un labour et deux ou trois hersages.

- de l'orientation du travail: le travail du sol peut être effectué en courbes de niveau et le versoir orienté vers l'aval ou bien vers l'amont. Le travail peut s'effectuer du haut de la colline vers le bas (c'est le cas général pour les tracteurs lorsqu'ils cultivent en zone de pentes supérieures à 15 %). Et enfin, le travail peut s'effectuer du bas vers le haut de la parcelle: c'est le cas général des travaux manuels dans les pays en développement. Il est très rare que la terre soit remontée par les outils. Par contre, il arrive qu'en montagne et dans les zones où la terre est rare, que l'on récupère mécaniquement ou dans des petits paniers de la terre dans la plaine pour la remonter dans la montagne, c'est le cas sur les vignes. On constate aussi que l'aller et le retour des outils peuvent réduire considérablement la vitesse du décapage par l'érosion mécanique sèche (Revel et al., 1989).

- de la pente. Plus la pente est forte et plus les mottes détachées par la houe roulent bas. En zone de montagne, les hauts de pente et sommets des collines sont souvent décapés, ce qui dénote une érosion en nappe qui n'est pas compensée et surtout une érosion mécanique sèche importante.

Les ruptures de pente sont aussi altérées, la surface du sol y est plus claire et les horizons humifères moins épais: il doit donc y avoir accélération du dépagage lorsque la pente est forte et ralentissement ou colluvionnement sur les pentes plus faibles, en particulier sur les talus ou les bas de pente. La récolte des betteraves à sucre ou des pommes de terre en terrain limoneux un peu humide entraîne un déplacement de terre de 15 à 50 t/ha/an soit 1 à 3 mm/an. Bolline, dans le Brabant belge, a mesuré sur parcelles, une perte de terre de l'ordre de 30 t/ha/an par érosion en nappes et rigoles. On a souvent confondu les deux processus: érosion en nappe et érosion mécanique sèche et on a expliqué les taches blanches en haut de pente et en rupture de pente comme étant la preuve d'une érosion en nappe alors que l'érosion mécanique sèche par les outils est probablement deux à dix fois plus efficace que l'érosion en nappe (Wassmer, 1981; Nyamulinda, 1989).

Méthodes de lutte antiérosive

On a souvent confondu la lutte contre l'érosion en nappe avec la lutte contre l'érosion mécanique sèche, car les facteurs et les méthodes de lutte se recoupent.

- Réduire le nombre de passages des outils et l'importance du travail du sol. On tend vers le travail réduit au minimum (minimum tillage) lorsque les résidus de culture sont abandonnés à la surface du sol et que l'on ne cultive plus au printemps que des raies qui couvrent 10 % de la surface du sol. C'est la méthode la plus efficace qui a été étudiée dans le Lauragais (S.O. France: Roose et Cavalié, 1986).

- Il faut réduire l'énergie dépensée pour le travail du sol. Il n'est pas toujours nécessaire de retourner le sol avec une charrue. Un simple éclatement par les dents de chiesel ou d'un cultivateur aère en profondeur, augmente la macroporosité, la capacité de stockage de l'eau, l'enracinement et maintient en surface la matière organique et les résidus de culture. A la limite, le travail minimum du sol se réduit à une simple ligne alors que le reste du sol est couvert par un paillis de résidus: ce mode de préparation du sol divise par dix les risques d'érosion mécanique sèche par les outils.

- L'orientation du travail. Si la pente est inférieure à 14 %, il est possible de travailler mécaniquement le sol, alternativement dans un sens et dans l'autre, d'où des compensations ou ralentissement des transports solides (Revel, 1989). Si par contre la pente est supérieure à14 %, les tracteurs risquent de verser: il faut donc, ou bien cloisonner le paysage en bandes cultivées entre des talus et réduire suffisamment la pente, ou bien développer des cultures pérennes sans travail du sol avec des plantes de couverture ou avec paillage, ou bien labourer et sarcler dans le sens de la plus grande pente mais semer perpendiculairement à la pente et prévoir des barrages, des petits ressauts, des petites diguettes, tous les 10 m ou des cultures manuelles localisées espacées le plus possible dans la saison.

- Il s'agit de former des talus de manière à créer à chaque niveau de versant des horizons d'accumulation de l'eau, de la fertilité et du sol qui vont évoluer en terrasses progressives. Ceci n'est valable que si les sols sont suffisamment profonds sinon on est amené à rapprocher les talus de moins de 5 m et à maintenir une certaine pente sur la terrasse cultivée en travaillant la terre sur planches ou sur gros billons perpendiculaires à la pente lorsque celle-ci dépasse 40 % (Latrille, 1981, exemple des îles Comores).

 

Chapitre 5 : L'érosion en nappe ou le stade initial de l'érosion hydrique


Les formes et les symptômes de l'érosion en nappe
La cause et les processus d'érosion en nappe
Le modèle empirique de perte en terre de Wischmeier et Smith (USLE)
L'erodibilité des sols
Le facteur topographique
Les effets du couvert végétal
L'influence des techniques culturales [planche photographique 17]
Les stratégies de lutte antiérosive
Les pratiques antiérosives
Le facteur P dans l'équation de Wischmeier
Les structures antiérosives en relation avec les modes de gestion de l'eau
La variabilité des facteurs de l'érosion
Conclusions sur l'applicabilité du modèle USLE en Afrique
La pratique du modèle de prévision de l'érosion de Wischmeier


Figure

On parle d'érosion en nappe ou aréolaire (sheet erosion) parce que l'énergie des gouttes de pluie s'applique à toute la surface du sol et le transport des matériaux détachés s'effectue par le ruissellement en nappe. C'est le stade initial de la dégradation des sols par érosion [planche photographique 1].

Les formes et les symptômes de l'érosion en nappe

L'érosion en nappe entraîne la dégradation du sol sur l'ensemble de sa surface. De ce fait elle est peu visible d'une année à l'autre puisqu'une érosion importante de 15 à 30 t/ha/an correspond à une perte de hauteur de 1 à 2 mm. Celle-ci est peu significative par rapport au foisonnement des terres, à la rugosité du sol après les travaux culturaux (dH = 2 à 10 cm) ou par rapport à la respiration des sols à argile gonflante, du simple fait de leur réhumectation (dH de plusieurs centimètres). Cependant, combinée à l'érosion mécanique sèche (et à la dégradation de la macroporosité suite à la minéralisation accélérée des matières organiques, ou par simple tassement par les outils), l'érosion en nappe peut entraîner un décapage de la majorité de l'horizon humifère en quelques dizaines d'années (dH de 10 à 20 cm par rapport au profil voisin resté sous forêt). Le signe le plus connu de l'érosion en nappe est donc la présence de plages de couleur claire aux endroits les plus décapés, les plus agressés des champs (haut de collines, et rupture de pentes).

Le deuxième symptôme est la remontée des cailloux en surface par les outils de travail du sol. Les paysans disent que "les cailloux poussent" ! Il s'agit en réalité d'une fonte de l'horizon humifère et d'un travail profond du sol qui remonte en surface les cailloux. Après quelques pluies, les terres fines sont entraînées par les pluies soit par drainage en profondeur, soit par érosion sélective, tandis que les cailloux trop lourds pour être emportés s'accumulent à la surface du sol (Roose, 1973 et Poesen, 1988). Si le sol contient du sable, la battance des gouttes de pluie va détacher des particules des mottes, les raboter et former d'une part des pellicules structurales de battance ou d'érosion (réarrangement superficiel des mottes) et des croûtes de sédimentation, et d'autre part (figure 15):

- des voiles de sable lavé, blanc en milieu acide, rosé ou roux si les sables sont ferrugineux,

- des cratères sombres dans ces voiles sableux clairs (reliquats des dernières grosses gouttes de la dernière averse),

- et des colonettes sous les feuilles larges qui protègent le sol contre la battance.

FIGURE 15 :

Schéma des croûtes d'érosion, des croûtes structurales et des croûtes sédimentaires
(inspirés des travaux de Valentin, 1981)

Sol motteux

Croûte de battance structurale ou d'érosion

Croûte de sédimentation

Infiltration finale > 100 mm/h

5 à 15 mm/h

1-5 mm/heure

Epaisseur ---

1 à 2 mm

5-30 mm

Succession quelconque

1 Sables déliés sur 2 pellicule A. limoneuse

1 Pellicule A+L+MO sur 2 sables grossiers déliés

A = argileux
L = limoneux
MO = matières organiques

FIGURE 16 :

Energie cinétique des pluies en fonction de leur intensité et des régions d'observation (d'après Hudson, 1972)

Pluies naturelles:
Kelkar : Indes
Hudson : Rhodésie
Ker : Trinidad
Mihara : Japon
(cités par Hudson)

Mais les formes les plus démonstratives sont les microdemoiselles coiffées, petits piédestals de terre coiffés d'un objet dur résistant à l'attaque des gouttes de pluie (graines racines, feuilles, cailloux ou simples croûtes de terre tassée protégées par dés lichens). Leur hauteur (0,5 à 15 cm) est d'autant plus forte que l'érosion est forte, c'est à dire sur sol nu, peu cohérent et sur forte pente. Ces colonettes sont la preuve que l'énergie des gouttes de pluie attaque la surface du sol et que le ruissellement emporte les particules fines et légères mais que son énergie n'est pas assez forte pour cisailler la base des colonettes. A partir du moment où le ruissellement devient abondant, il se hiérarchise et développe une énergie propre suffisante pour attaquer le fond et les bordures de son lit: il va entailler les microdemoiselles coiffées et laisser en place des microfalaises (dH = 1 à 10 cm). L'érosion en nappe va alors se combiner à l'érosion linéaire pour former l'érosion en nappe et rigoles (rill and interill erosion), laquelle peut évoluer vers des griffes (H = quelques cm) des rigoles (H = 10 à 50 cm) et des ravines (H = plus de 50 cm) si on n'intervient pas pour corriger les problèmes d'érosion naissante: (= érosion mécanique sèche + érosion en nappe + griffes et rigoles) (Roose, 1967, 1977).

Les conséquences de l'érosion en nappe sont:

- Le nivellement de la surface du sol par dégradation des mottes et remplissage des creux. Il s'ensuit des croûtes diverses, lisses et blanchies (exemple: zipellé en Moré veut dire: zone blanchie).

- La squelettisation des horizons superficiels par perte sélective des matières organiques et des argiles, laissant en place une couche de sable et de gravier, plus claire que l'horizon humifère sous-jacent.

- Le décapage de l'horizon humifère laissant des plages de couleur claire: l'horizon minéral sous-jacent apparaît à l'air libre.


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