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Les risques

Les pluies ont été déficitaires de 100 à 250 mm par rapport à la moyenne. On n'a enregistré qu'une seule série d'averses importantes, totalisant 130 mm en trois jours, tombées en été sur des sols secs.

Les pluies sont beaucoup moins énergétiques qu'en Afrique de l'Ouest. Le rapport annuel moyen/hauteur annuelle moyenne est de l'ordre de 0,1 à la station de Médéa, 0,5 en Côte d'Ivoire et 0,25 pour les montagnes du Cameroun, du Rwanda et du Burundi.

Le ruissellement (tableau 48) annuel moyen (KRAM %) est modeste (0,5 à 4 % des pluies) et le maximum lors d'une averse, atteint 8 à 36 % (exceptionnellement 40 %). Sur la jachère nue de référence, le ruissellement annuel est encore modeste (10 à 18 %), comparé aux observations en milieu tropical (25 à 40 % en Côte d'Ivoire). Cependant, si le sol dénudé est tassé ou gorgé d'eau en hiver, le ruissellement peut dépasser 50 à 80 % sur marnes et sur sol fersiallitique rouge.

Dans des conditions de sol, de pente et de techniques culturales semblables, on observe que la couverture végétale - en particulier les techniques améliorées - ont réduit efficacement les risques d'érosion.

Comme beaucoup d'auteurs, on a remarqué que le labour du sol a amélioré l'infiltration. Par exemple, sous la vigne, sur la parcelle où l'on a remplacé le labour par des herbicides pour maîtriser les adventices, le ruissellement a augmenté significativement car l'horizon superficiel est tassé... mais du même coup, l'érosion a diminué car le matériau est plus cohérent. En cas d'averse exceptionnellement forte, la capacité de stockage d'eau du sol sera vite saturée: le ruissellement pourrait augmenter sur la parcelle labourée au point d'emporter l'horizon travaillé - moins cohérent - tout au moins sur les plus fortes pentes. Cela s'observe souvent sur les champs.

Sous végétation naturelle (garrigue évoluant en prairie ou en forêt), la couverture par la litière étant très importante (+ de 80 % de surface couverte), le ruissellement a été fréquent (sol tassé par le surpâturage), mais jamais dangereux (KR max < 7 %). Cependant, nous avons souvent observé en Algérie que des chemins d'eau et des ravines prennent naissance dans les parcours surpâturés (surtout sur les sentiers tracés par les animaux) ou même dans certaines plantations forestières dégradées par le pâturage.

Généralement, le ruissellement démarre après 20 millimètres de pluie si le sol est sec et après 3 millimètres si le sol est compact ou humide. Ce seuil de hauteur de pluie donnant lieu à un ruissellement, dépend évidemment des caractéristiques de chaque averse (intensité, mais aussi capacité à saturer le sol), mais surtout de l'état de la surface du sol (humidité des dix premiers centimètres de sol, présence de fissures, de trous de vers, de croûtes de battance, de litière, de cailloux et de grosses mottes). Les ruissellements les plus abondants ne surviennent que quand toutes les conditions sont optimales, généralement entre, novembre et mars - ou durant un orage exceptionnel de l'été (tous les 5 ans).

TABLEAU 49 : Influence du type de sol et de la pente (%) sur le ruissellement (%) et l'érosion (t/ha/an) sur des jachères nues (d'après Arabi et Roose, 1992)


Couverture par les cailloux (%)

Pente(%)

KRAM %

KRMax %

Erosion t/ha/an

Sol brun calcaire (SPK 8)

16

40

11

34

1,8

Sol brun calcaire colluvial (VK15)

20

35

10

36

1,5

Sol rouge fersiallitique (ARK9)

0

30

16

50

9,0

Vertisol gris (APK1)

4

12

18

86

2,7

TABLEAU 50 : Effet de l'amélioration des pratiques culturales sur le ruissellement (Moyen et Max. en % des pluies), l'érosion (t/ha/an) et sur les revenus nets (1 US$ = 28 dinars)

Situation

KRAM %

KRMax %

Erosion t/ha/an

Revenu net DA/ha

Agropastoral:

traditionnel

2,1

16

0,189

2 504


amélioré

0,6

8

0,054

35 810

Sylvopastoral sur sol brun:

dégradé

12,0

25

1,740

?


reforesté

0,5

3

0,034

?


enherbé

0,8

7

0,020

?

Verger sur sol rouge fersiallitique

traditionnel

3,1

12

0,656

10 000


amélioré

0,6

9

0,088

42 187

Vigne sur sol brun colluvial

traditionnel

1,5

8,3

0,144

34 333


amélioré

0,2

2,7

0,009

65 364

L'érosion en nappe a été très modérée (0,1 à 2 t/ha/an) sur les champs cultivés et 1,5 à 18 t/ha/an pour la jachère nue malgré les pentes fortes (12 à 40 %) car l'agressivité des pluies est faible (RUSA < 50) et les sols sont très résistants (K = 0,02 à 0,01), riches en argile saturée de calcium et souvent caillouteux.

Même si l'érosion atteint 19 t/ha/an (1,27 mm de sol), il faudrait 2,5 siècles pour décaper l'horizon humifère sur 20 centimètres. Expérimentalement, il a été prouvé que l'érosion en nappe évacue sélectivement la matière organique, les colloïdes argileux et limoneux et les nutriments, tandis que l'érosion en rigole décape non sélectivement le sol. Aussi, lorsque l'érosion en rigole se développe, elle décape généralement l'horizon humifère, surtout sur fortes pentes. Si l'érosion en nappe ne semble pas le processus le plus efficace sur les versants, l'érosion en rigole et surtout, l'érosion mécanique sèche par les outils des cultures, semblent les plus actives dans l'évolution des paysages de montagne.

Par exemple à Ouzera, sur un verger planté il y a 30 ans, il manque actuellement 30 centimètres de sol entre les souches des arbres ! Même si l'érosion en nappe mesurée atteint 1,5 t/ha/an (0,1 mm), en 30 ans, le sol aura perdu trois centimètres tandis que 27 centimètres auraient été mobilisés par le "creeping sec" (lors du labour profond exécuté deux fois l'an en croisé au tracteur à chenilles). Le travail du sol augmente donc beaucoup l'évolution des versants des montagnes: il participe à la formation des talus en bordure des champs.

L'érodibilité des sols observés est très faible, même au bout de trois ans de jachère non cultivée (K = 0,01 à 0,02). Cependant, l'érosion en nappe et rigoles augmente d'année en année.

L'érosion fut maximale sur sol rouge fersiallitique (10 à 19 t/ha/an), moyenne pour les vertisols gris (2 à 3 t/ha/an) et minimale pour les sols bruns calcaires (1,5 à 2 t/ha/an). La protection offerte par les cailloux semble très efficace.

Il est difficile de commenter l'aptitude au ruissellement des sols, car les pentes varient en même temps que les types de sol. Par ailleurs, il semble clair que le ruissellement moyen annuel et le ruissellement maximum journalier décroissent lorsque les pentes augmentent, tout au moins sur les jachères nues (tableau 49).

Ce genre de conclusion étonnante avait déjà été énoncée par Heusch au Maroc (1970) et par Roose en Côte d'Ivoire (1973).

Ce résultat remet en cause l'utilisation des équations de Mrs Ramser, Saccardy et autres... pour lesquelles la fréquence des terrasses doit augmenter avec l'inclinaison de la pente. Heusch (1970) a déjà démontré au Maroc que la position du champ dans la toposéquence est parfois plus importante que la pente elle-même.

Propositions d'améliorations: influence du système cultural

[planche photographique 23]

L'amélioration du couvert végétal (grâce à la forte densité des plantes, les engrais, les rotations avec des légumineuses, la culture d'hiver entre les arbres fruitiers et les vignes) a réduit régulièrement, mais modérément, le ruissellement et l'érosion au champ (tableau 50).

Mais ce qui est plus important, c'est l'amélioration très significative des rendements des cultures et des revenus des agriculteurs (voir tableau 48). La culture traditionnelle de céréales peut rapporter 2 500 dinars/ha/an. La rotation céréale-légumineuse améliorée intensive rapporte 35 800 dinars et jusqu'à 42 à 65 000 dinars lorsque cette rotation est introduite entre les rangs des vignes ou des arbres fruitiers.

Ces résultats démontrent qu'il est possible à la fois d'intensifier l'agriculture de montagne et de réduire les risques de dégradation de l'environnement rural.

Les rendements observés sur les parcelles de ruissellement (100 m2) soumises aux systèmes de culture traditionnels sont aussi médiocres que sur le champ des paysans du voisinage (7 q/ha/an de blé d'hiver, 28 quintaux de raisin, huit quintaux d'abricots... ces derniers étant malades). Sur les parcelles d'érosion situées juste à côté, soumises aux pratiques culturales améliorées, les rendements ont atteint 48 à 65 quintaux/ha/an en blé d'hiver, 40 quintaux de raisins, et en plus, 34 quintaux de grains secs de haricots.

De plus, la paille, les feuilles des légumineuses et autres résidus de culture ont aussi augmenté significativement (de 0,2 à 2 ou 3 t/ha/an) de telle sorte que la production animale et la disponibilité en fumier ou en résidus organiques peuvent, à terme, améliorer la fertilité du sol et sa résistance à l'érosion.

Il est probable que la croissance des rendements ne sera pas aussi spectaculaire sur les grandes surfaces que sur les petites parcelles d'érosion (100 m2), mais le premier pas est franchi qui consistait à démontrer qu'on pouvait intensifier l'agriculture... tout en améliorant progressivement l'environnement rural.

Reste à démontrer que l'investissement est rentable ! Après avoir enlevé les coûts supplémentaires des graines améliorées, des engrais, pesticides, herbicides, le travail de préparation du sol et de récolte, il reste aux agriculteurs un revenu net beaucoup plus élevé que pour leurs cultures traditionnelles (5 dinars algériens = 1 FF = 0,2 dollars EU en 1992).

1) le parcours extensif dans les bois peut rapporter

500

dinars/ha

2) le blé d'hiver traditionnel

2 500

dinars/ha

3) la vigne ou les vergers d'abricots traditionnels

10 à 17 000

dinars/ha

4) la rotation améliorée: blé x fourrage légumineuse

28 à 33 000

dinars/ha

5) l'association de cette rotation entre les vignes et les abricotiers

42 à 65 000

dinars/ha

Ceci tend à montrer qu'on peut multiplier les revenus par dix pour les céréales et par trois pour les vignes si on passe au système intensif. Si on accepte de passer de la rotation traditionnelle blé-jachère pâturée au verger intensifié, les revenus sont multipliés par vingt. C'est un privilège des montagnes humides au climat doux, car il n'est pas toujours possible d'intensifier la culture si le sol est trop superficiel et les pluies inférieures à 400 millimètres.

Dans ces conditions, il est possible d'intéresser les paysans à modifier leur système de culture et à améliorer leurs méthodes culturales pour mieux conserver l'eau et la fertilité des sols. D'ailleurs, après trois années d'expérimentation, les paysans de la colline ont copié nos méthodes et ont obtenu des rendements supérieurs aux nôtres en 1991, année où les pluies ont été bien réparties.

CONCLUSIONS

Nous n'avons pas encore eu le temps d'appliquer tout ce qu'implique la GCES au niveau de l'aménagement d'un terroir ou d'un petit bassin versant. Il faut du temps, à la fois pour modifier les habitudes paysannes, et rassembler les moyens de démontrer sur le terrain qu'on peut améliorer la productivité des terres, augmenter les revenus paysans, et réduire les risques de dégradation des paysages de moyenne montagne méditerranéenne.

 

Chapitre 15 : Le pays de Caux, région tempérée de grande culture du nord-ouest de la France


Problématique
Diagnostic du milieu
Les risques: processus et degats
Solutions et démarches adoptées


Jean François Ouvry, Ingénieur agronome, Association Régionale pour l'Etude
et l'Amélioration des Sols, St. Valéry en Caux, France

PROTEGER LE RESEAU DE DRAINAGE ET AMELIORER L'INFILTRATION

Problématique

En Pays de Caux comme dans une grande partie du Nord-Ouest de la France, le ruissellement, l'érosion des terres et les inondations deviennent plus fréquentes et plus importantes depuis 20 ans (Auzet et al., 1987; Papy et al., 1988).

Une volonté réelle de conservation des eaux et des sols se développe depuis quelques années. Initialement, seules les actions de lutte contre les inondations catastrophiques étaient engagées. Ces dernières années, les collectivités publiques de Seine Maritime ont consacré 20 millions de francs pour la création de retenues. Actuellement, nous cherchons à développer des actions de longue durée et globales à l'échelle des bassins versants (Opération Régionale créée en 1985 avec la Chambre d'Agriculture).

Ces actions recouvrent deux volets:

- un volet agronomique qui a pour objectif de réduire l'érosion des terres et le ruissellement au niveau des versants, en agissant sur la rugosité et la capacité d'infiltration de la surface du sol. Ce sont des actions à caractère individuel.

- un volet hydraulique pour créer des aménagements collectifs afin de gérer les écoulements inévitables et donc limiter l'érosion et les inondations dans les vallées.

Sur le plan agricole, nous avons développé progressivement différentes techniques qui soient parfaitement intégrées aux systèmes de production existants. Pour cela, nous avons procédé en plusieurs étapes:

- définition précise du type d'érosion, et des paramètres sur lesquels il est possible d'agir (Boiffin et al., 1988).

- quantification des phénomènes (SRAE rapports internes 1989-1990-1991) (Daix, 1991 Ouvry, 1992).

- analyse des systèmes de production et des marges de manoeuvre (au plan financier et technique) et du temps disponible dans les exploitations (Papy et al., 1988; Poujade 1989).

- recherche et diffusion des solutions agronomiques adaptées aux systèmes de production pour favoriser le flacage et l'infiltration tout en préservant les potentialités et la rentabilité des parcelles et les facilités de travail du sol. A terme, nous voulons que les agriculteurs intègrent ces éléments de lutte anti-érosive dans leurs pratiques culturales (Ouvry, 1987).

- les solutions sont d'abord mises en place individuellement pour que chacun prenne conscience qu'une marge de manoeuvre existe à son niveau, puis collectivement pour aboutir à une prise en charge globale du bassin versant agricole par la collectivité rurale.

FIGURE 84

: Schéma et processus simplifié de l'érosion en Haute-Normandie (d'après Boiffin)

Diagnostic du milieu

Le Pays de Caux est situé sur le littoral du département de la Seine-Maritime. C'est un plateau crayeux au relief ondulé, avec des pentes douces (1 à 5% pour les terres labourées) omniprésentes. Il se caractérise par l'absence de réseau hydrologique à cause du karst présent sous le plateau, mais aussi par l'existence d'un réseau très dense de vallées sèches. Sur ce plateau, il se développe une agriculture intensive basée sur la polyculture.

La couverture pédologique est assez homogène. Des sols bruns faiblement lessivés se sont développés sur le limon éolien holocène qui recouvre le plateau. Dans l'horizon labouré, le taux d'argile varie entre 10% et 15% et la teneur en matière organique des limons cultivés avoisine 1,6%.

Le climat est de type océanique. Les pluies sont très peu agressives. La hauteur moyenne annuelle de pluie atteint 900 mm avec une répartition homogène toute l'année. La pluie journalière de fréquence décennale n'est que de 48 mm/jour.

Les risques: processus et degats

Le processus d'érosion est typique de l'érosion par ruissellement concentré, caractérisé par Ouvry (1982-1986); Boiffin et al. (1986-1988); Auzet (1987); Ludwig (1989). Les figures d'érosion sont linéaires et généralement localisées sur l'axe du talweg. Elles peuvent aussi apparaître sur les fourrières (bouts de champ) ou toutes lignes de concentration intra-parcellaire. Exceptionnellement, les formes d'érosion sont disposées en chevelu ou en rigole parallèle sur les versants de pentes supérieures à 4 %. Les dégâts se produisent fréquemment en hiver alors que l'intensité des pluies ne dépasse pas 5 mm/h et parfois lors des orages estivaux. Les pertes de terre sont toujours localisées dans le talweg, mais très variables, de 0 à 500 m3/km2 suivant les années (Ludwig, 1989; Ouvry, 1992).

A partir du type d'érosion, Boiffin et al. (1986) divisent le bassin versant en deux zones spatiales et fonctionnelles distinctes (figure 84):

- le secteur constitué par les versants et la tête du bassin versant qui produisent le ruissellement;

- les zones de talweg et autres lignes de concentration où les écoulements incisent le sol.

FIGURE 85

: Parcellaire et processus d'érosion du bassin versant de Bourg-Dun (France)

Les ruissellements dépendent principalement des critères liés à l'état de la surface du sol dans cette région aux pluies peu agressives, notamment de la rugosité de surface, de la vitesse de formation et de l'extension des croûtes de battance.

En hiver, après le dernier travail du sol, 30 à 40 mm de pluie cumulée, indépendamment de l'intensité, suffisent pour former les premières pellicules de battance et croûtes sédimentaires. Quant à la rugosité des lits de semence, elle détermine une détention superficielle au maximum entre 3 à 6 mm et au minimum entre 0 et 1 mm suivant le type de culture, le précédent cultural, l'humidité du sol au labour, le type d'outil utilisé pour préparer le lit de semence, le nombre de passages d'outils, les équipements des tracteurs (Boiffin et al., 1988).


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