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Tendances de la production alimentaire, des disponibilités de vivres et de l’état nutritionnel en Afrique subsaharienne

L’agriculture constitue le pivot des économies de la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. En 1994, 69 pour cent de la population économiquement active en Afrique subsaharienne travaillaient dans le secteur agricole, contre 84 pour cent en 1961 (FAO, 1995f).

Le tableau 4 donne la production annuelle moyenne (en tonnes) et les taux de croissance des principales cultures vivrières en Afrique subsaharienne au cours de quatre périodes. L’analyse est fondée sur des moyennes quinquennales jusqu’en 1985 et sur une moyenne quadriennale de 1991 à 1994, à titre d’illustration des changements à long terme survenus de 1961 à 1994. Le taux de croissance de la production céréalière a progressé, passant d’une moyenne de 1,3 pour cent pendant la période 1961-1965 à 3,6 pour cent pendant la période 1971-1975. Il est resté stable, au niveau de 2,5 pour cent, de la période 1981-1985 à la période 1991-1994. Parmi les céréales, la croissance de production la plus rapide a été celle du riz, mais l’effet de cette croissance sur le volume total des céréales produites est resté limité parce que le riz ne représente qu’une petite part de la production céréalière. Il faut observer que le taux de croissance de la production des légumineuses a fortement baissé à partir des années 60 et que le taux de croissance de la production des oléagineux, après avoir accusé une chute rapide pendant les années 80, a bien remonté au début des années 90.

Pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, les exportations de céréales ont décliné, tandis que les importations ont augmenté rapidement pendant les années 70 et 80 (tableau 5). Les importations avaient presque doublé entre les années 60 et les années 70 pour tripler ensuite jusqu’aux années 90, reflétant à la fois les déficits alimentaires structurels résultant de la forte croissance démographique et les pénuries alimentaires dues à la sécheresse et aux désordres civils dans diverses régions d’Afrique, notamment au cours des années 80 et au début des années 90. Au milieu des années 80, les importations couvraient 20 pour cent des besoins alimentaires de base de l’Afrique subsaharienne.

TABLEAU 4

Production alimentaire annuelle moyenne et son taux de croissance en Afrique
subsaharienne, de 1961-1975 à 1991-1994

Groupes de culture

Moyenne 1961-1965

Moyenne 1971-1975

Moyenne 1981-1985

Moyenne 1991-1994

Production
(milliers de tonnes)

Taux de croissance
(%)

Production
(milliers de tonnes)

Taux de croissance
(%)

Production
(milliers de tonnes)

Taux de croissance
(%)

Production
(milliers de tonnes)

Taux de croissance
(%)

Blé

900

3,2

1 300

1,2

1 500

-3,4

2 200

-0,4

Riz paddy

3 600

3,8

5,2

4,5

6 600

2,9

10 800

3,3

Total céréales

32 700

1,3

39 300

3,6

45 600

2,5

59 800

2,5

Racine et tubercules

49 700

3,3

66 000

3,2

77 800

2,9

113 500

2,5

Légumineuses

3 200

3,7

4 100

2,0

4 400

-1,8

5 900

0,3

Oléagineux

3 900

2,0

4 200

1,8

3 900

-0,4

5 000

3,2

Source: FAO, 1995f.

TABLEAU 5

Moyenne annuelle des exportations et des importations d’aliments
de base en Afrique subsaharienne, de 1961-1965 à 1991-1993

Groupe de cultures

Moyenne 1961-1965

Moyenne 1971-1975

Moyenne 1981-1985

Moyenne 1991-1994

Import.

Export.

Com. neta

Import.

Export.

Com. net

Import.

Export.

Com. net

Import.

Export.

Com. net

Total céréales

2 000

700

-1 300

3 836

1 906

-2 930

9 254

646

-8 607

11 667

671

-10 996

Total légumineuses

66

190

124

51

213

161

116

122

6

219

128

-91

Graines oléagineuses

23

2 383

2 360

53

1 308

1 255

61

430

369

103

368

265

a Com. net (commerce net) = exportations moins importations.

Source: FAO, 1995f.

Depuis les années 80, la disponibilité des aliments de base a augmenté de 30 pour cent pour les céréales et les produits céréaliers, de 40 pour cent pour les racines et tubercules, de 35 pour cent pour les légumineuses et de 33 pour cent pour les oléagineux (tableau 6).

TABLEAU 6

Aliments disponibles pour la consommation en Afrique subsaharienne,
de 1961-1965 à 1991-1992 (milliers de tonnes)

Groupe de cultures

Moyenne
1961-1965

Moyenne
1971-1975

Moyenne
1981-1985

Moyenne
1991-1992

Céréales et produits céréaliers (bière incluse)

27 920

34 393

47 046

60 937

Racines amylacées et produits dérivés

38 935

50 147

60 693

85 335

Légumineuses et produits dérivés

2 420

3 059

3 504

4 721

Oléagineux et produits dérivés

1 594

2 269

3 236

4 294

Source: FAO, 1995f.

La croissance démographique est le principal facteur responsable de l’augmentation des disponibilités alimentaires et des besoins énergétiques. Pour l’ensemble de la région, on estime à 3 pour cent environ le taux de la croissance démographique des trois dernières décennies, contre un taux de croissance de la production alimentaire totale d’environ 2 pour cent et une croissance de la production céréalière de 2,5 pour cent (tableau 4). A l’avenir, si l’on veut éviter de dépendre des importations commerciales ou préférentielles, la production alimentaire devra croître beaucoup plus rapidement.

Les données démographiques montrent qu’à l’inverse des autres régions en développement, l’Afrique subsaharienne continue d’accuser des taux de croissance en augmentation. Selon les projections, le taux de croissance de la population totale entre 1990 et la fin du siècle sera de 3 pour cent plus rapide que pendant la décennie précédente. La figure 3 illustre les tendances de la population, de la production alimentaire et de la disponibilité énergétique alimentaire (DEA) entre

1961 et 1995, montrant ainsi que la production alimentaire et la DEA n’ont pas accompagné la croissance démographique. Bien que la figure 3 ne le montre pas (car le graphique est basé sur des indices), l’information disponible indique qu’avant 1973 la production alimentaire de l’Afrique subsaharienne suffisait à couvrir la demande locale (FAO, 1992e). Cependant, la production par personne a décliné depuis lors.

FIGURE 3
Tendances de la population, de la production alimentaire et de la disponibilité énergétique alimentaire en Afrique subsaharienne, exprimées en indices
(1989-1991, année de base = 100)

Notes: Les indices expriment des valeurs par rapport à l’année de base, de valeur 100. L’indice de production alimentaire est la valeur de la production alimentaire par habitant, exprimée en dollars des Etats-Unis. La DEA est calculée à partir des chiffres de la disponibilité énergétique alimentaire en kilocalories par personne et par jour. L’indice de population se réfère à la population totale.

Source: FAO, 1997b.

Les données ci-dessus sur la production et les disponibilités alimentaires pour la consommation, exprimées en tonnes de denrées, peuvent-elles servir à évaluer la suffisance nutritionnelle des disponibilités alimentaires nationales, et comment?

Une première réponse est offerte par les bilans des disponibilités alimentaires, établis chaque année par la FAO à partir de données nationales sur la production et le commerce des produits alimentaires. Ces données, complétées par l’information disponible sur les taux d’ensemencement, les coefficients de pertes, les mouvements de stocks et les types d’utilisation (alimentation humaine, alimentation animale, etc.), servent à élaborer un bilan de disponibilité/utilisation exprimé en unités de poids pour chaque produit. Outre une information par produit, les bilans alimentaires de la FAO donnent des estimations de la disponibilité totale, par addition des parts de chaque produit réservées à la consommation humaine, après conversion en valeurs nutritionnelles. Combinées avec les données de population, ces valeurs servent à calculer les estimations de la disponibilité énergétique, protéique et lipidique par personne et par jour. A titre d’exemple, un bilan alimentaire du Kenya figure au tableau 7.

La disponibilité énergétique alimentaire s’exprime en kilocalories (kcal) par personne et par jour. Elle constitue un indicateur de l’état nutritionnel dans la mesure où elle permet de comparer la disponibilité à l’apport théorique recommandé. Ce dernier n’est qu’une moyenne, utilisée en planification, et qui représente l’apport énergétique journalier nécessaire au maintien du poids corporel en situation d’activité légère. Il correspond à 1,54 fois le métabolisme basal (MB)[2]. Quand l’accès d’une population à la nourriture est inférieur à ce niveau de disponibilité énergétique alimentaire, la majorité de cette population peut être considérée comme souffrant de sous-alimentation chronique, même si la distribution des approvisionnements disponibles n’est pas particulièrement inégale.

Sous-alimentation chronique et carences nutritionnelles

On définit comme sous-alimentés chroniques les individus dont l’apport énergétique alimentaire est insuffisant, en moyenne annuelle, pour maintenir le poids corporel et permettre une activité légère (FAO/OMS, 1992g). L’appellation «carence énergétique alimentaire chronique» ou «sous-alimentation chronique», caractérise le sort de la partie de la population dont l’accès à la nourriture est insuffisant.

TABLEAU 7

Bilan alimentaire du Kenya, moyenne 1990-1992 (population de 24,4 millions d’habitants)

Produit

Disponibilités nationales (milliers de tonnes)

Consommation nationale (milliers de tonnes)

Disponibilités par personne

Production

Importations

Variations du stock

Exportations

Total

Aliments du bétail

Semences

Transformation

Déchets

Autres usages

Alimentation humaine

Quantité par an
(kg)

Energie par jour
(kcal)

Protéines par jour
(g)

Lipides par jour
(g)

Céréales

2 806

472

-25

84

3 219

146

55

99

108

-1

2 812

115,2

979

26,0

9,3

Racines et tubercules

1 564




1 564


37


104


1 424

58,3

157

1,9

0,2

Cultures sucrières

4 499




4 499



4 229



270

11,1

8

0,1


Edulcorants

484

96

20

1

559



24



535

21,9

213



Légumineuses

205

7

-18

23

207


28


23


156

6,4

59

3,8

0,3

Noix

13



4

9






9

0,4

1


0,1

Oléagineux

101

3


9

95


4

59

5


27

1,1

12

0,4

1,0

Huiles végétales

24

138

-25

2

185





19

166

6,8

163

0,1

18,4

Légumes

643



38

605




64


541

22,2

15

0,8

0,1

Fruits (vin exclu)

926

2


140

787



3

101


683

28,0

53

0,6

0,1

Cultures pour boissons

288

3


261

31






31

1,3

2

0,3


Epices

6




6





6

0,2

2

0,1

0,1


Boissons alcoolisées

541

1

-1

5

538




8

530

21,7

33

0



Viande

383



5

378





378

15,5

76

6,1

5,6


Abats

59




59





59

2,4

7

1,2

0,2


Graisses animales

14

7



21




5

16

0,7

15


1,7


Lait et laitages (beurre exclu)

2 312

9


2

2 320

36


118

2

2 164

88,7

154

7,6

8,5


Œufs

42




42


3

11


28

1,2

4

0,3

0,3


Poisson, fruits de mer

200

4


22

182

4




178

7,3

14

2,2

0,5


Total












1 967

51,9

46,4


Produits d’origine végétale

1 691

34,5

29,7













Produits d’origine animale

276

17,4

16,7













Source: FAO, 1995f.

Le tableau 8 indique la disponibilité énergétique alimentaire par personne en Afrique subsaharienne au cours de trois périodes situées entre 1969 et 1992. Le tableau 9 présente des estimations de l’incidence de la sous-alimentation chronique dans les régions en développement pendant ces mêmes périodes, ainsi que des projections de la sous-alimentation jusqu’en 2010. Ces données montrent qu’en Afrique la proportion des personnes souffrant de sous-alimentation chronique s’est élevée, passant de 38 à 43 pour cent entre 1969 et 1992, tandis que le nombre absolu des personnes privées d’un accès suffisant à la nourriture a doublé, passant de 103 à 215 millions de personnes dans le même laps de temps. Cela n’est pas surprenant, si l’on tient compte de la croissance démographique rapide (qui culmine à près de 3 pour cent par an) et des sécheresses qui se sont répétées dans certains pays au cours des années 80 et au début des années 90. Fatalement, les guerres et les conflits intérieurs ont également contribué à détériorer la sécurité alimentaire.

On peut estimer le nombre des sous-alimentés chroniques d’un pays en combinant les données de la DEA avec les informations disponibles sur la distribution des disponibilités alimentaires (tableau 9). Ces estimations peuvent utilement guider, au niveau national, l’analyse des tendances de la suffisance alimentaire. Il convient toutefois de se rappeler qu’une information de ce type peut induire en erreur, car elle n’indique rien de plus qu’une moyenne potentielle des disponibilités énergétiques; elle ne fournit pas une évaluation directe de la consommation alimentaire des ménages ou des individus. De plus, il est probable qu’en raison de l’inéquitable distribution de la nourriture disponible entre les ménages, une importante proportion de ces derniers accuse des niveaux de consommation inférieurs aux besoins minimaux, même si la DEA par personne est supérieure au besoin énergétique par personne.

Une évaluation correcte de la proportion des ménages ou des individus sous-alimentés repose forcément sur les résultats d’enquêtes qui mesurent les niveaux de nutrition sur des échantillons de ménages et de personnes, c’est-à-dire les enquêtes de consommation alimentaire et les enquêtes anthropométriques. Cependant, les enquêtes représentatives au niveau national coûtent cher et prennent beaucoup de temps; très peu de pays en ont réalisé. Pour estimer la prévalence de la sous-alimentation dans les pays en développement, la FAO a élaboré une méthode qui s’appuie sur les données de DEA combinées avec des informations relatives aux écarts de la distribution entre les ménages, obtenues grâce aux enquêtes nationales sur les ménages (FAO, 1996a).

TABLEAU 8

Disponibilité énergétique alimentaire par personne:
1969-1971, 1979-1981 et 1990-1992

Pays

Population
(millions)

DEA par habitant
(kcal/jour)

Taux de croissance annuelle (%)

1990-1992

1969-1971

1979-1981

1990-1992

1969-1971 à 1990-1992

Afrique du Sud

38,9

2 800

2 820

2 810

0,02

Algérie

25,6

1 830

2 620

2 900

2,20

Angola

9,5

2 110

2 160

1 840

0,66

Bénin

4,8

2 160

2 190

2 520

0,74

Botswana

1,3

2 150

2 160

2 320

0,36

Burkina Faso

9,3

1 730

1 680

2 140

1,00

Burundi

5,7

2 100

2 040

1 950

-0,35

Cameroun

11,9

2 320

2 350

2 040

-0,60

Congo, Rép,

2,3

2 060

2 220

2 210

0,33

Côte d’Ivoire

12,4

2 420

2 820

2 460

0,07

Egypte

53,6

2 510

3 130

3 340

1,36

Ethiopie

51,4

1 700

1 810

1 620

-0,26

Gabon

1,2

2 180

2 400

2 490

0,64

Gambie

0,9

2 200

2 030

2 320

0,26

Ghana

15,5

2 200

1 910

2 090

-0,25

Guinée

5,9

2 170

2 260

2 400

0,47

Kenya

24,4

2 200

2 150

1 970

-0,53

Lesotho

1,8

2 000

2 260

2 260

0,57

Libéria

2,6

2 230

2 400

1 780

-1,08

Libye

4,7

2 440

3 440

3 290

1,43

Madagascar

12,4

2 450

2 440

2 160

-0,61

Malawi

10,0

2 360

2 280

1 910

-1,02

Mali

9,5

2 050

1 800

2 230

0,42

Maroc

25,7

2 420

2 720

3 000

1,02

Mauritanie

2,1

1 940

2 110

2 610

1,41

Maurice

1,1

2 320

2 670

2 780

0,85

Mozambique

14,5

1 940

1 920

1 740

-0,50

Namibie

1,5

2 180

2 210

2 190

0,03

Niger

8,0

1 990

2 240

2 190

0,46

Nigéria

112,1

2 380

1 960

2 100

-0,58

Ouganda

18,1

2 300

2 130

2 220

-0,15

République centrafricaine

3,1

2 360

2 270

1 720

-1,50

Rwanda

7,3

2 040

2 090

1 860

-0,44

Sénégal

7,5

2 460

2 450

2 310

-0,31

Sierra Leone

4,3

2 170

2 110

1 820

-0,82

Somalie

7,7

1 810

1 870

1 590

-0,62

Soudan

25,9

2 190

2 260

2 150

-0,08

Swaziland

0,8

2 310

2 480

2 680

0,70

Tanzanie, Rép,-Unie

26,9

1 740

2 280

2 110

0,90

Tchad

5,7

2 170

1 680

1 810

-0,87

Togo

3,6

2 300

2 240

2 290

-0,01

Tunisie

8,2

2 200

2 810

3 260

1,69

Zaïre (ex-)

38,6

2 160

2 070

2 090

-0,14

Zimbabwe

10,3

2 160

2 230

2 080

-0,19

Zambie

8,4

2 210

2 180

2 020

-0,42

Afrique sub-saharienne

501

2 140

2 080

2 040

-

Afrique

656,9

2 220

2 280

2 290

0,15

Monde

5 358,8

2 440

2 580

2 720

0,50

Source: FAO, 1995f.

TABLEAU 9

Estimations et projections de la sous-alimentation chronique dans les régions en développement

Région/année
(moyenne sur trois ans)

Population totale
(millions)

Population sous-alimentée

Population totale (%)

Nombre de personnes
(millions)

Afrique subsaharienne




1969-1971

268

38

103

1979-1981

357

41

148

1990-1992

500

43

215

2010

874

30

264

Proche-Orient et Afrique du Nord




1969-1971

178

27

48

1979-1981

233

12

27

1990-1992

317

12

37

2010

513

10

53

Asie de l’Est




1969-1971

1 147

41

475

1979-1981

1 393

27

378

1990-1992

1 665

16

268

2010

2 070

6

123

Asie du Sud




1969-1971

711

33

238

1979-1981

892

34

303

1990-1992

1 138

22

255

2010

1 617

12

200

Amérique latine et Caraïbes




1969-1971

279

19

53

1979-1981

354

14

48

1990-1992

443

15

64

2010

593

7

40

Total




1969-1971

2 583

35

917

1979-1981

3 228

28

905

1990-1992

4 064

21

839

2010

5 668

12

680

Source: FAO, 1996b.

La carence énergétique n’est pas le seul paramètre de l’état nutritionnel. En Afrique subsaharienne, les carences en micronutriments viennent souvent s’associer à la malnutrition protéino-énergétique. Ces carences affectent toutes les catégories de la population, à divers degrés selon l’âge, l’état physiologique et la situation géographique. Elles sont spécialement graves chez l’enfant de moins de cinq ans et chez la femme enceinte ou allaitante.

La FAO estime qu’environ 215 millions de personnes souffrent de sous-alimentation chronique en Afrique subsaharienne. Sur l’ensemble du continent, 206 millions d’autres personnes sont atteintes d’anémie par carence en fer et en folate et par parasitoses. Le risque de carence en iode et en vitamine A menace respectivement 181 et 52 millions de personnes et représente un autre problème de santé publique (tableau 3). Ces aspects spécifiques de la situation nutritionnelle sont revus en détail au chapitre 8.

La malnutrition contribue pour beaucoup aux taux élevés de morbidité et de mortalité chez l’enfant. On estime que le taux de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans est 40 fois plus élevé en Afrique subsaharienne que dans les pays favorisés. Selon les estimations, le nombre annuel de décès d’enfants de moins de cinq ans s’élève à près de 4 475 000 en Afrique subsaharienne (UNICEF, 1995), et la malnutrition serait une cause sous-jacente de près de 30 pour cent de ces décès (OMS, 1995a).

Les politiques nationales qui influent sur la sécurité alimentaire et la nutrition

Bon nombre de politiques menées par les pays africains au cours des années 70 et 80 ont réussi à garantir la sécurité alimentaire au niveau national. Toutefois, en dépit des succès obtenus en termes de disponibilité énergétique moyenne par personne, ces pays ne sont pas arrivés à assurer à tous les individus et à tous les groupes de population présents sur leur territoire une consommation alimentaire suffisante (FAO, 1992e). L’analyse des causes de l’insécurité alimentaire qui a touché tant de personnes en Afrique au cours des trois dernières décennies dépasse le cadre du présent ouvrage, tout comme les réponses politiques qu’elles appellent. Néanmoins, le lecteur trouvera dans la section qui suit un bref aperçu des principaux instruments politiques mis en œuvre au niveau gouvernemental pour assurer la sécurité alimentaire nationale.

Evolution des politiques africaines de sécurité alimentaire

Après leur indépendance, de nombreuses nations africaines se sont empressées de moderniser leur économie, en favorisant la croissance rapide de leur secteur industriel. Elles ont souvent privilégié les stratégies du développement urbain au détriment du secteur agricole, qui se voyait privé du support financier, structurel et politique dont il avait besoin pour se développer. A la fin des années 60, il est apparu clairement que les stratégies de l’industrialisation ne pourraient pas atteindre les objectifs établis. L’interdépendance de l’agriculture et de l’industrie a alors été reconnue et, du même coup, la nécessité de développer le secteur agricole. Ce changement d’optique en faveur de l’agriculture s’est encore accentué quand furent connues les projections démographiques en hausse et que l’on eut mieux compris, au cours des années 70, à quel point les problèmes de la pauvreté rurale exigeaient que l’attention soit immédiatement tournée vers les petits exploitants ruraux.

Pour satisfaire la demande intérieure, maximiser la production alimentaire et augmenter l’entrée des denrées sur le marché, de nombreux pays d’Afrique se sont tournés, à la fin des années 70 et au début de la décennie suivante, vers des stratégies de sécurité alimentaire centrées sur la poursuite de l’autosuffisance, et menées au travers de politiques visant à maximiser la production intérieure des aliments de base. Dans les pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) [Conférence de coordination du développement de l’Afrique australe (SADCC) jusqu’en 1992], ces politiques comprenaient la subvention des intrants de la production agro-alimentaire, la hausse du prix à la consommation des aliments de base et la promotion de grands travaux d’irrigation.

Les pays de la SADC n’ont pas tardé à déplacer la cible de leurs politiques alimentaires au-delà d’une autosuffisance recherchée par l’augmentation poussée de la production intérieure, vers l’augmentation et la stabilisation de l’approvisionnement des marchés en aliments de base. Ces pays avaient constaté que la quantité des denrées commercialisées fluctuait beaucoup plus que la production totale et reconnu que cela se devait à la prédominance, dans la région, des paysans pratiquant une agriculture de subsistance Les années de faible production, ces agriculteurs retiennent des aliments pour satisfaire leurs besoins domestiques aux dépens de la fraction de récolte mise sur le marché pour la vente. Suite aux fluctuations de l’approvisionnement des marchés vérifiées dans plusieurs pays de la SADC au cours des années 70 et 80, les offices de commercialisation et les marchands privés se sont souvent retrouvés dans l’incapacité de satisfaire la demande alimentaire croissante des zones urbaines toujours plus peuplées et des paysans sans terre.

Les politiques nationales visant à augmenter et à stabiliser la quantité des denrées commercialisées comportaient la hausse du prix payé au producteur, la dynamisation des activités commerciales des offices publics de commercialisation et la constitution de stocks stratégiques de céréales. Ces stratégies ont souvent réussi à augmenter la quantité des denrées commercialisées, mais ont compromis la sécurité alimentaire des personnes chaque fois que l’augmentation des prix payés au producteur entraînait une hausse des prix à la consommation. Les gouvernements se sont donc trouvés dans l’obligation non seulement de stabiliser les prix, mais aussi de rabaisser les prix à la consommation jusqu’aux prix planchers exigés par les consommateurs urbains.

Plusieurs pays ont réussi à stabiliser les prix en faisant intervenir les offices publics de commercialisation sur les marchés alimentaires. Ces offices se conforment aux prix contrôlés par le gouvernement et ont accès aux fonds publics souvent nécessaires pour subventionner les prix au producteur et au consommateur. La stabilisation des prix, couplée à la surévaluation du taux de change, a servi à maintenir au plancher les prix internes. Ce type de politique de l’aliment à bon marché a fini par se confondre avec une manière de subventionner les importations alimentaires et de taxer implicitement les exportations non alimentaires, tandis que les prix au producteur cessaient d’être garantis ou, le plus souvent, trouvaient un soutien dans une augmentation des subventions au prix des intrants. Bien que la surévaluation du taux de change permette d’importer à bas prix, elle contribue aussi à maintenir les consommateurs dans la pauvreté. Les taux de change surévalués ralentissent la croissance économique, dans la mesure où les exportations deviennent trop chères pour les acheteurs de l’étranger. En même temps, ils découragent la production des cultures d’exportation. La combinaison de ces deux facteurs réduit la demande de main-d’œuvre non qualifiée et augmente le chômage. Dans plusieurs pays d’Afrique, le coût fiscal de ce type de politique de l’aliment à bon marché a grevé le budget gouvernemental de lourdes charges financières, devenues insoutenables dès le début des années 80. Plusieurs pays se sont alors mis à démanteler les systèmes politiques engagés dans ces approches, dans le cadre des programmes d’ajustement structurel et de stabilisation macroéconomique.

Les politiques d’ajustement structurel et le secteur agricole

Au cours des années 80, la situation économique de nombreux pays d’Afrique a été profondément affectée par la crise économique extérieure et la récession mondiale, ainsi que par les politiques intérieures favorables à la croissance rapide d’un secteur public très coûteux. Le commerce extérieur forme une part considérable du produit intérieur brut de la plupart des pays d’Afrique. Cependant, la chute soudaine du prix des marchandises à la fin des années 70 et la hausse des prix à l’exportation qui ont suivi les crises pétrolières de 1979 ont entraîné une chute des revenus des exportations, accompagnée d’un gonflement rapide de la dette contractée pour financer une dépense intérieure en expansion.

Au milieu des années 70, les importations de plusieurs pays africains ont progressé en réponse à la brève explosion de leur production. Le secteur public, en particulier, a augmenté ses dépenses de consommation et d’investissement. Mais lors de la chute du prix des marchandises, les importations ont tardé à se contracter et on a eu recours à l’emprunt extérieur pour couvrir le déficit financier. Le poids de cet emprunt a été aggravé par la hausse mondiale des taux d’intérêt, et la charge de la dette est devenue très lourde. Au début des années 80, les pays africains qui avaient emprunté largement ont dû affronter simultanément une baisse de leur taux de croissance et l’aggravation de leur dette. Le tableau 10 montre comment la dette extérieure du Nigéria et le sevice total de cette dette se sont aggravés entre 1971 et 1987.

En réponse aux recommandations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, de nombreux gouvernements ont adopté, au cours des années 80, des programmes d’ajustement structurel ayant notamment pour but de retourner les tendances défavorables à l’agriculture dans les économies nationales. Les stratégies tournées vers cet objectif comportaient l’élimination des subventions alimentaires, le relèvement des prix officiels au producteur et au consommateur couplé avec une libéralisation progressive des marchés, et la réduction des déficits du commerce extérieur. Parmi d’autres mesures préconisées, on peut citer la dissolution des offices de commercialisation, la suppression des subventions aux intrants agricoles comme les pesticides et les engrais, et la promotion de l’exportation des produits agricoles de consommation et de rapport.

TABLEAU 10

Dette extérieure du Nigéria et service total de la dette,
1971-1987

Année

Total de la dette

Valeur des exportations

Service total de la dette

Taux du service de la dette
(%)

(millions de )

(millions de $EU)

(millions de N)

(millions de N)

1971

214,5

308,9

1 293,4

29,9

2,3

1973

276,9

420,9

2 369,2

30,8

1,3

1975

349,9

559,2

4 925,5

32,7

0,7

1977

496,9

762,9

7 630,7

25,6

0,3

1979

1 611,5

2 824,6

10 836,8

182,9

1,7

1981

2 331,2

3 667,7

10 470,1

518,6

5,0

1983

10 577,7

14 130,1

7 502,5

1 335,2

17,8

1985

17 290,6

17 997,5

11 214,8

3 718,0

33,2

1987

86 550,8

26 200,0

30 239,9

3 590,6

11,9

1988a

146 410,0

29 282,0

26 600,5

6 630,5

30,0

a Estimations de la fin de 1988 (Nigerian Economist, 1989).

Source: Igbedioh, 1990. Reproduit avec l’autorisation de Butterworth-Heinemann, Oxford, Royaume-Uni.

Les effets de l’ajustement structurel sur l’agriculture

En Afrique, l’impact des politiques d’ajustement sur la performance du secteur agricole a varié selon les pays. Dans l’ensemble, la performance agricole des années 80 a été jugée décevante. Entre 1980 et 1985, le taux de croissance annuel moyen n’a pas dépassé 0,9 pour cent, loin de l’objectif fixé à 3,9 pour cent. Ramené à la performance par habitant, ce résultat traduit un taux de croissance négatif de -2,4 pour cent (FAO, 1992e).

Le fait que l’agriculture africaine n’ait pas répondu aux attentes des auteurs et des exécutants des politiques d’ajustement n’implique pas pour autant que ces politiques aient totalement échoué. Il semble plutôt que les politiques mises en œuvre, faites surtout de prix privilégiés payés aux producteurs, aient été insuffisantes, car elles sont souvent passées à côté du secteur de l’agriculture de subsistance. La complexité du tableau de l’agriculture africaine exige plus qu’une réforme de la politique des prix. Il faut également intervenir sur d’autres problèmes, comme les insuffisances des structures de commercialisation agricole, des infrastructures, des équipements de stockage et de transport, ainsi que sur le manque de crédit, de terre et d’intrants, et sur les multiples contraintes d’ordre structurel et institutionnel que le secteur doit affronter. Les politiques d’ajustement agricole ont prêté trop peu d’attention à ces problèmes; cela contribue à expliquer la performance décevante de l’agriculture et sa faible capacité à procurer de l’emploi et des revenus aux personnes qui tirent de l’agriculture leurs moyens d’existence.

Au cours des dernières années, les pays de la SADC et plusieurs autres ont constaté que l’autosuffisance alimentaire, l’amélioration et la stabilisation de l’approvisionnement des marchés, ainsi que la régularisation des prix au producteur et au consommateur, ne suffisaient pas nécessairement à garantir la sécurité alimentaire des ménages. Cet objectif microéconomique est maintenant devenu le centre d’intérêt de la plupart des politiques de sécurité alimentaire dans la région. Certes, la sécurité alimentaire des ménages ne saurait être assurée sans que la plupart des mesures politiques mentionnées plus haut ne soient mises en œuvre, telles que les stratégies de production alimentaire et de stabilisation des approvisionnements et des prix; mais si l’attention se concentrait exclusivement sur ces mesures-là, on n’atteindrait que rarement l’objectif ambitieux de la sécurité alimentaire pour tous.

Le dosage exact des politiques requises pour garantir la sécurité alimentaire des ménages peut varier selon les pays, mais il est désormais clair qu’il faudra mettre en œuvre un ensemble de mesures politiques beaucoup plus vaste que naguère, y compris des politiques relatives à l’emploi, à la distribution de la terre, à la croissance macroéconomique, à la redistribution des fruits de la croissance, à la croissance démographique, aux revenus et à la stabilisation des revenus. Pour ce qui est de l’agriculture, il conviendra de mieux soutenir la vulgarisation, le crédit et l’irrigation, et de promouvoir davantage l’usage d’intrants tels que les engrais et les semences améliorées.

Comme l’agriculture joue un rôle primordial en tant que génératrice d’emplois et de revenus dans les zones rurales de toute la région, il est nécessaire de mener en Afrique subsaharienne des politiques visant à augmenter la production et la productivité agricoles, afin d’améliorer la sécurité alimentaire des ménages et leur condition nutritionnelle. Cela ne signifie pas que l’attention devrait être réservée exclusivement à la production d’aliments pour la consommation intérieure.

Certaines études conduites par des chercheurs de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) en Gambie, au Kenya et au Rwanda ont montré que les cultures de rapport peuvent engendrer une augmentation significative du revenu des ménages et l’amélioration sensible de leur sécurité alimentaire (Kennedy et Haddad, 1992). Dans ce contexte, il ne faudrait pas s’intéresser uniquement au niveau du revenu, mais aussi à sa source et à son mode de contrôle, qui peuvent également influencer la sécurité alimentaire. Les chercheurs de l’IFPRI et d’autres chercheurs ont constaté que les revenus contrôlés par les femmes, notamment en Afrique, ont une probabilité plus grande de servir à l’achat d’aliments. A revenu égal, les ménages où les femmes exercent un plus grand contrôle sur les revenus ont plus de chances que les autres de jouir d’une bonne sécurité alimentaire. Il s’ensuit qu’un glissement du contrôle des revenus des femmes vers les hommes peut affecter négativement la sécurité alimentaire des ménages, même si leurs revenus totaux augmentent. Le chapitre 4 analyse plus en détail les effets respectifs des cultures de rapport et des cultures de subsistance sur la sécurité alimentaire des ménages.

Autres facteurs influant sur la sécurité alimentaire et la nutrition

L’environnement et la nutrition

La présente section analyse les interactions de l’agriculture et de la nutrition selon la nature des technologies mises en œuvre. Les agriculteurs et les éleveurs africains pratiquaient auparavant des systèmes d’exploitation modelés selon l’environnement. Les formes dominantes de l’exploitation du sol comprenaient la culture itinérante en zone tropicale humide et le pâturage nomade en zone semi-aride. Les rendements étaient faibles; d’assez vastes superficies étaient nécessaires à la subsistance d’une population clairsemée. On assiste depuis peu à une croissance rapide de la population et à l’expansion accélérée des surfaces jusqu’aux zones marginales, dont les ressources sont exploitées jusqu’à leurs limites. Il s’ensuit une dégradation de l’environnement, caractérisée par diverses formes d’érosion, un appauvrissement de la végétation, un déclin de la fertilité du sol et l’avancée du désert.

Les ménages concernés par l’insécurité ne dégradent pas délibérément leur base de ressources. Au contraire, ils sont généralement conscients du risque que court leur sécurité alimentaire en cas de menace sur leur environnement.

La croissance démographique augmente directement les besoins de consommation et pousse de nombreuses familles rurales vers des zones marginales, qui devraient absolument être protégées par des pratiques d’exploitation conservatrices. La FAO estime que la moitié des agriculteurs africains vivent dans des environnements où les ressources naturelles sont très vulnérables. Ces zones comprennent les terres de défriche forestière à la structure fragile, les terrains en pente abrupte et les zones sèches où la pluviosité est faible. De plus, la demande croissante de bois de feu pour la cuisine peut laisser les terres marginales complètement dénudées et sujettes à l’érosion. Suite à cette baisse de productivité de la base de ressources, les approvisionnements alimentaires se réduisent inmanquablement, l’insécurité alimentaire augmente et le stress nutritionnel s’aggrave, spécialement parmi les groupes vulnérables. Moins de bois de feu ou de temps consacré à la cuisine, puisque les femmes doivent aller chercher le bois plus loin, peut signifier moins de repas cuits ou des plats moins bien réchauffés, et donc des enfants qui mangent moins et des aliments plus exposés aux contaminations microbiennes.

Les pressions sur le sol sont encore aggravées du fait que l’on tend à s’écarter des modes traditionnels de concession des terres. Les agriculteurs qui perdent la certitude de conserver indéfiniment le droit de cultiver les terres communautaires hésitent à y investir du temps et de l’argent dans une perspective à long terme, sachant que la conservation des sols et des eaux et l’augmentation de la productivité agricole exigent des apports coûteux.

Les politiques relatives à l’accès à la terre et à la pérennité des concessions, ainsi que les politiques d’investissement agraire, notamment dans l’irrigation et l’emploi d’intrants tels que les engrais et les semences améliorées, sont une clé des gains de productivité des cultures vivrières, de l’augmentation des disponibilités alimentaires et d’une situation nutritionnelle satisfaisante. Dans les zones marginales, la mise en œuvre de technologies agricoles appropriées peut grandement contribuer à stabiliser les approvisionnements et à ouvrir aux pauvres un meilleur accès à la nourriture.

La croissance démographique, les migrations et la nutrition

La croissance démographique rapide et l’urbanisation ont été identifiées ci-dessus comme des facteurs primordiaux de la production et de la demande d’aliments ainsi que des tendances de la situation nutritionnelle. La figure 3, qui illustre les tendances moyennes de la population, de la production alimentaire et des apports d’énergie alimentaire en Afrique subsaharienne de 1961 à 1995, montre que la production alimentaire par personne a commencé à décliner dès le début des années 70. Ce déclin a eu de sérieuses conséquences sur la croissance économique dans son ensemble, la demande de produits d’importation, les revenus du secteur agricole, les prix intérieurs des denrées alimentaires et la situation nutritionnelle.

S’agissant des facteurs démographiques, la production alimentaire et le bien-être nutritionnel ne sont pas seulement affectés par la croissance rapide de la population, mais aussi par sa structure et par les migrations.

Au cours des dernières années, les indices démographiques généraux et infantiles se sont améliorés dans certains pays d’Afrique. Les figures 4 et 5 illustrent la distribution de la population par groupes d’âge dans les pays respectivement moins et plus développés. Ces figures montrent clairement que l’importance relative de la population non productive (base et sommet de la pyramide) et de la population productive (section centrale) diffère considérablement d’un exemple à l’autre.

Les pays dotés d’une forte proportion de jeunes enfants font peser une charge économique plus lourde sur les tranches d’âge productives. Les enfants de moins de 15 ans forment actuellement 44,2 pour cent de la population totale de l’Afrique subsaharienne et les enfants de moins de 5 ans représentent à eux seuls 17,4 pour cent de cette population (ONU, 1994a). Ce taux de dépendance élevé résulte à la fois d’une croissance rapide du nombre des naissances et d’une baisse récente de la mortalité infantile.

La pyramide des âges actuelle indique que l’Afrique a un potentiel élevé de croissance démographique continue, puisque les jeunes générations atteignent progressivement l’âge d’avoir des enfants. Même si le taux de fertilité total tombait immédiatement au seuil de remplacement, soit à 2,2 naissances par femme, il faudrait attendre une centaine d’années avant que la population de l’Afrique ne commence à se stabiliser; cette population serait alors de 80 à 100 pour cent plus nombreuse qu’actuellement (FAO, 1992f). Les stratégies mises en œuvre aujourd’hui pour augmenter durablement la production alimentaire échoueront à moins qu’elles ne soient combinées avec des mesures destinées à ralentir la croissance démographique et à créer de nouvelles opportunités de travail. Par ailleurs, il faut observer qu’une augmentation de la population pourrait se traduire par un enrichissement des ressources humaines, capables d’influencer positivement la croissance économique et agricole, si l’accès à l’éducation, à la santé et au travail était assuré.

FIGURE 4
Pyramide des âges dans les pays moins développées

Source: FAO, 1992f.


FIGURE 5
Pyramide des âges dans les pays plus développés

Source: FAO, 1992f.

Dans nombre de pays africains, la pénurie actuelle d’adultes dans les tranches d’âge les plus productives est exacerbée par l’émigration des personnes en âge de travailler, notamment des hommes jeunes. L’émigration des ruraux vers les villes s’intensifie et se trouve à l’origine d’au moins la moitié de la croissance démographique des villes africaines, qui s’élève à 5 pour cent au total. Selon les estimations, près de 30 pour cent de la population de l’Afrique subsaharienne habitaient dans les villes et autres agglomérations urbaines en 1990 (figure 6). On estimait aussi que 27 des plus grandes villes du monde se trouveraient en 2000 dans les pays en développement (Banque mondiale, 1989).

Les motifs des migrations de la campagne vers la ville sont multiples: pression démographique sur les terres agricoles; recherche d’un emploi ou d’un meilleur salaire; poursuite d’une éducation supérieure; attente d’un plus grand confort (logement, eau, soins de santé). Qu’elle soit saisonnière ou permanente, l’émigration ne manque pas de rejeter sur les femmes, les enfants et les personnes âgées le fardeau des tâches agricoles, tandis que la demande alimentaire urbaine ne cesse de croître. Le chapitre 4 analyse les effets de l’urbanisation sur la structure de la consommation alimentaire et sur la nutrition.

FIGURE 6
Population et urbanisation en Afrique subsaharienne, 1960-2020

Note: Les chiffres pour 1990 et 2000 sont des projections fondées sur des hypothèses de déclin du taux de fertilité.

Source: Banque mondiale, 1989.

Une autre catégorie de migrants, très préoccupante en Afrique, est celle des réfugiés et des personnes déplacées. Les gens deviennent des réfugiés quand ils fuient dans un pays voisin, de peur d’être persécutés dans leur propre pays.

Ils peuvent aussi devenir des personnes déplacées dans leur propre pays ou à l’étranger à la suite de calamités naturelles, par exemple la sécheresse. Toutefois, ces déplacements résultent le plus souvent de désastres d’origine humaine, comme les conflits intérieurs et les guerres. Ces conflits tendent à se prolonger et à dévaster l’économie des pays concernés.

On estime qu’en 1990 la moitié des réfugiés du monde étaient africains. L’effectif des réfugiés, qui était en Afrique d’environ 1 million en 1970, est passé à près de 18,5 millions en 1994, y compris les personnes déplacées dans leur propre pays (ONU CAC/SCN, 1994). Certains pays ayant accueilli les plus vastes contingents de réfugiés au cours des années 80 et 90, comme l’Ethiopie, le Malawi, la Somalie, le Soudan, l’Ouganda et l’ex-Zaïre, sont parmi les plus pauvres et dans l’incapacité de nourrir suffisamment leur propre population. D’autres pays, comme le Kenya et la République-Unie de Tanzanie ont vu leur croissance économique freinée par l’afflux de réfugiés.

Les pays d’Afrique ont besoin d’une assistance internationale sous forme de vivres, de médicaments, d’abris et de soins de santé primaire pour être en mesure d’assumer une certaine prise en charge des réfugiés. Même ainsi, des taux sans précédent de malnutrition et de mortalité ont été observés en Afrique subsaharienne de 1985 à 1995 au sein des populations réfugiées et déplacées, quand l’insuffisance des rations alimentaires et les taux élevés des maladies transmissibles ont combiné leurs effets. Même si les populations réfugiées ou déplacées sont protégées de la famine, elles restent souvent exposées aux carences spécifiques parce qu’elles ne disposent que d’une gamme restreinte de produits alimentaires. Ainsi, au cours de ces dernières années, des épidémies de scorbut (carence en vitamine C) se sont déclarées parmi les populations réfugiées en Somalie (1981/82), au Soudan (1985/86) et en Ethiopie (1988/89), de même qu’une épidémie de pellagre (carence en niacine) parmi les réfugiés mozambicains au Malawi (1990/91).

En 1995, les situations les plus tragiques ont été celles des réfugiés et autres personnes déplacées en provenance de cinq pays ou régions ou à l’intérieur de ceux-ci: Rwanda et Burundi; Libéria et Sierra Leone; Mozambique; Somalie; Soudan (ONU CAC/SCN, 1995). Pour les seuls Rwanda et Burundi, on estimait à plus de 2 millions le nombre des personnes gravement malnourries en 1994 et à 3 millions le nombre des autres personnes en grand danger de malnutrition (ONU CAC/SCN, 1994). Dans des situations de ce genre, le contrôle des maladies transmissibles devient aussi crucial que la fourniture d’aliments en quantité suffisante ou d’argent pour en acheter. Dans nombre de régions d’Afrique subsaharienne, le devenir nutritionnel des populations va dépendre pour une large part de la mise en œuvre de politiques et mesures destinées à apaiser les conflits locaux, et de la fourniture de ressources suffisantes pour empêcher ces situations ou atténuer leurs conséquences. Les famines pouvant résulter des conflits armés devront être prises en charge au niveau politique le plus élevé et susciter des efforts diplomatiques ininterrompus.

Le VIH/sida et son impact sur la sécurité alimentaire des ménages et la nutrition

Le complexe infection-malnutrition décrit au chapitre 3 affecte le plus souvent les enfants, mais les adultes sont également touchés. Les carences en énergie et nutriments, souvent associées aux maladies infectieuses et parasitaires altèrent les performances physiques des adultes et leur capacité de travail. La chute de productivité qui s’ensuit peut souvent entraîner des conséquences graves pour la sécurité alimentaire des ménages concernés. En Afrique, peu d’infections peuvent affecter aussi profondément les capacités de production alimentaire et l’état nutritionnel que la déficience immunitaire acquise responsable du sida. L’impact du sida sur la production alimentaire n’a pas encore été mesuré précisément, car cette pathologie n’a pris qu’assez récemment des proportions épidémiques. Toutefois, les taux actuels de morbidité et de mortalité démontrent que, dans de nombreux pays, le sida a probablement un impact considérable sur la capacité des habitants à produire, transporter, vendre et acheter des denrées alimentaires.

D’après les estimations, en zone rurale les niveaux de contamination par le VIH dépassent 30 pour cent dans certains groupes d’âge. Selon certaines estimations, la mortalité liée au sida pourrait au bas mot réduire d’un quart la force de travail adulte à l’horizon de 2010. Outre l’impact direct sur les exploitations agricoles, les conséquences socio-économiques indirectes comprennent la disparition des structures traditionnelles d’entraide familiale, la perte d’une main-d’œuvre compétente et la fonte des revenus des ménages. Le nombre des orphelins augmente rapidement dans tous les pays gravement touchés, de sorte que les stratégies traditionnelles de prise en charge - là où elles existent encore - pourraient bientôt se trouver débordées.

La physionomie de la malnutrition sera déterminée par la prévalence du VIH dans diverses communautés et par l’efficacité des stratégies locales de prise en charge de ce problème. Ainsi, les zones rurales où les femmes jouent un rôle actif dans la production agricole, mais où 20 pour cent de celles qui fréquentent les consultations prénatales sont séropositives, courent inéluctablement vers un sérieux déclin de leur main-d’œuvre adulte. Dans certaines communautés rurales de l’Afrique subsaharienne, le VIH/sida est responsable d’une pénurie de main-d’œuvre pour les travaux des champs et les tâches ménagères. Outre le fait qu’ils ne peuvent plus compter sur le travail des sidéens en raison de la maladie et de son issue fatale, les autres membres de la famille doivent consacrer une part de leur temps au soin des malades et négliger d’autant leurs tâches agricoles et autres. La conséquence est la perte d’un revenu potentiel. L’encadré 1 relate les difficultés rencontrées par une veuve de la Côte d’Ivoire.

Nombre de communautés rurales sont menacées d’un recul de la production vivrière et d’une altération de la sécurité alimentaire des ménages à cause de la mort de nombreux chefs de famille et de leurs épouses, emportés par le sida. Les conséquences comprennent aussi le déclin de l’état de santé et de nutrition des familles d’agriculteurs, déjà visible dans les communautés gravement affectées par le sida, où l’on a constaté des changements dans le volume et la variété des récoltes; la baisse du niveau de formation des enfants qui sont forcés de quitter l’école; l’affaissement du système social par la dissolution des familles, la multiplication des ménages dirigés par une femme seule, la croissance du nombre d’orphelins et de paysans pauvres. L’impact du VIH/sida est probablement plus sévère au sein des groupes déjà rendus plus vulnérables par la malnutrition et l’insécurité alimentaire. En tout état de cause, il faut évaluer soigneusement l’impact du sida sur l’état de nutrition des membres des ménages qui ne sont pas infectés.

Les coûts directs du traitement des sidéens en termes de médicaments, d’honoraires médicaux, d’hospitalisation et autres sont énormes et dépassent de beaucoup les ressources disponibles en Afrique. Il est urgent d’introduire des mesures de prévention du sida ou de les renforcer par l’éducation sanitaire pour que chacun soit capable de se protéger contre cette infection. Le sida a pour autre conséquence majeure un surcroît de pression sur l’économie professionnelle du ménage. A cet égard, aucune politique, aucun programme n’importe autant que de donner aux personnes concernées les moyens de faire face à la perte de leur emploi. Une autre considération se rapporte au ciblage de l’assistance sur les femmes et les enfants et, le cas échéant, sur les veufs qui élèvent leurs enfants. Enfin, il faut qu’un réel effort de coordination préside à tous les aspects des politiques mises en œuvre.

ENCADRÉ 1
CONSÉQUENCES DU SIDA SUR LA VIE D’UNE FAMILLE: DIFFICULTÉS RENCONTRÉES
PAR UNE VEUVE SÉNOUFO,
DANS LE NORD DE LA CÔTE D’IVOIRE

Partis pour la Basse-Côte en quête d’un avenir meilleur, Jeanne et Roger, son mari, sont finalement revenus au village d’origine de Roger, à la suite d’une maladie très débilitante dont ce dernier n’arrivait pas à guérir loin de chez lui. Après quelques tentatives de soins, Roger est finalement décédé au village. La coutume destinait Jeanne à un remariage avec l’un des frères de Roger. Mais, confie la jeune femme, on raconte au village que je souffre du sida, la maladie qui a emporté mon mari, et les hommes me fuient. Si le fils aîné de Jeanne, qui est d’âge scolaire, peut aller à l’école, c’est grâce aux religieuses d’une communauté catholique installée non loin du village. Pour assurer sa survie et celle de ses deux enfants, Jeanne ramasse du bois et travaille à la journée chez d’autres femmes en échange de quelques bottes de riz. Il lui arrive aussi de vendre des condiments sur le marché le plus proche. Alors qu’auparavant Jeanne et ses enfants mangeaient régulièrement de la viande et du poisson, ce n’est plus possible maintenant, à moins d’un cadeau occasionnel de sa belle-famille. Le toit de sa modeste maison croule et devrait être réparé, mais aucun de ses beaux-frères n’a proposé ses services. Jeanne n’a pas les moyens d’embaucher quelqu’un pour le faire.

Source: FAO, 1997c.

Politiques et actions nécessaires pour améliorer la sécurité alimentaire des ménages et la nutrition

Notre science des actions nécessaires pour éliminer la faim et la malnutrition a progressé notablement au cours des trois dernières décennies. Le fait que la CIN se soit concentrée sur les facteurs du problème nutritionnel que constituent l’aliment, la santé, l’éducation et la prise en charge reflète l’émergence d’un consensus international sur les causes de la malnutrition et illustre la distance prise avec la vision plus étroite des années 60 et 70 centrée sur l’offre alimentaire.

Les participants à la CIN ont examiné un large éventail de stratégies et d’actions propices à la nutrition, structurées selon les principaux facteurs déterminants de la malnutrition (FAO/OMS, 1992a). Les actions analysées s’étendent des politiques macroéconomiques de l’agriculture et des revenus aux programmes spécifiques de nutrition et autres interventions directes. La Conférence a mis l’accent sur la nécessité d’affronter, dès le début de l’action, les interactions nocives entre insécurité alimentaire, maladie, manque d’hygiène, instruction insuffisante et sous-alimentation. Sans cela, les progrès réalisés grâce aux seules mesures agricoles ou sanitaires n’auront que des effets limités sur l’amélioration de la nutrition. La Déclaration mondiale sur la nutrition de la CIN est reproduite à l’annexe 3.

Appuyant la CIN, la Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, approuvée par le Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu à Rome en 1996, invite tous les gouvernements à redoubler d’efforts et à privilégier les actions en faveur de la sécurité alimentaire et du mieux-être nutritionnel. Les paragraphes qui suivent attirent l’attention sur certaines priorités d’action.

Promotion d’une agriculture et d’une technologie alimentaire favorables à la nutrition

L’agriculture et les agriculteurs jouent un rôle évident dans la croissance économique de l’Afrique. Il est urgent d’augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources, tout en protégeant et, si possible, en renforçant la capacité productive de la base de ressources. La stratégie adoptée doit comprendre la planification de l’utilisation du sol, suivie de la réalisation d’actions respectant l’équilibre entre les besoins à combler et les potentialités de la terre et de ses exploitants. La clé du succès réside dans la volonté de poursuivre une croissance économique compatible avec l’accession des communautés les plus pauvres à des moyens d’existence stables et à une meilleure qualité de vie.

Dans certaines zones rurales, les problèmes nutritionnels dominants sont plus étroitement associés à la rareté de l’emploi qu’à la pénurie de vivres. Dans les ménages défavorisés, la présence de la malnutrition est probable. La croissance du secteur de l’alimentation et de l’agriculture est vitale pour soulager la misère et assurer à la majorité de la population un approvisionnement alimentaire stable et suffisant. Les diverses primes versées aux producteurs et les technologies nouvelles qui augmentent la production et créent de l’emploi dans le secteur agricole, notamment l’implantation de petites et moyennes entreprises de transformation des aliments, peuvent contribuer à accroître les revenus, à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité alimentaire.

Il convient d’encourager la production et sa diversification, de façon que les ruraux pauvres en tirent particulièrement profit. Parmi les mesures à prendre, figurent les interventions ciblées sur l’augmentation de la productivité des petits agriculteurs, comme les primes à la production, le développement d’infrastructures efficaces de commercialisation, la recherche concernant les zones marginales et l’agriculture pluviale. L’impact de tels programmes sur la nutrition peut être remarquablement rehaussé lorsqu’on les accompagne de services de vulgarisation efficaces, de facilités de crédit accessibles aux hommes et aux femmes et de mesures d’encouragement à l’emploi d’engrais, de pesticides et autres intrants. Bien que les gains de productivité soient la clé du développement, il faut bien comprendre que la technologie seule ne peut pas mener très loin. Toutefois, la technologie combinée avec l’investissement dans les ressources humaines, notamment grâce à l’enseignememnt aux travailleurs agricoles des deux sexes dans des matières telles que la nutrition, la santé et la population, peut être très profitable.

L’introduction de considérations nutritionnelles dans les politiques et programmes de production peut, d’une part, écarter le risque de certains effets adverses quelquefois associés aux nouvelles technologies et, d’autre part, favoriser le bien-être nutritionnel. Le développement et l’expérimentation de technologies adaptées aux divers environnements agro-écologiques va sûrement représenter pour les décennies à venir une tâche majeure. On devra atténuer le risque sanitaire et nutritionnel du changement technologique (voir aussi la section relative à l’agriculture irriguée au chapitre 4) en apportant beaucoup de soin à l’élaboration des projets technologiques. Les personnes qui travaillent dans les secteurs de l’agriculture, de la santé publique et de la nutrition, y compris les chercheurs, ont un rôle marquant à jouer dans l’élaboration de meilleurs programmes agricoles.

Dans les pays fréquemment victimes de graves pénuries alimentaires, les pouvoirs publics complètent souvent les programmes du secteur agricole par des transferts alimentaires directs et des mesures en faveur de l’emploi et des revenus (rations alimentaires, tickets de ravitaillement, prix subventionnés, etc.), dans le but de stabiliser la sécurité alimentaire et de protéger la situation nutritionnelle des ménages défavorisés. Une autre approche, très efficace pour son coût, mais plus lourde à gérer est possible: l’intervention nutritionnelle.

Les actions nutritionnelles directes

Les actions nutritionnelles directes destinées à attaquer les problèmes nutritionnels immédiats réussissent le mieux quand elles impliquent activement les personnes concernées. Ces actions visent les problèmes liés à l’accès à la nourriture (alimentation complémentaire, programmes alimentaires ciblés), les carences en micronutriments (programmes spécifiques), le savoir nutritionnel et le comportement (programmes d’éducation nutritionnelle), les cercles vicieux santé-nutrition (programmes de santé et d’hygiène), ou une combinaison de ces problèmes. L’efficacité des interventions nutritionnelles directes a connu des progrès significatifs depuis le milieu des années 80, mais beaucoup peut encore être fait pour renforcer les meilleures pratiques de ces programmes.

L’alimentation complémentaire ciblée. Les programmes alimentaires sont généralement destinés aux personnes spécialement vulnérables à la malnutrition, comme les enfants et les femmes en âge de procréer et à faibles revenus. Les programmes alimentaires sont souvent un moyen relativement acceptable pour réaliser un transfert de revenus ciblé. Dans les pays dont le marché est mal structuré et peu efficace, ces programmes se sont révélés plus aptes à augmenter la consommation alimentaire que les transferts monétaires d’importance comparable. Les programmes d’alimentation scolaire visent souvent à la fois l’augmentation des taux de scolarisation et l’amélioration de l’état nutritionnel des écoliers. Dans de nombreux pays, ils sont combinés avec l’éducation nutritionnelle et le jardinage scolaire.

La protection des consommateurs par la qualité et la salubrité des aliments. La recherche d’une nutrition satisfaisante exige que les aliments et l’eau disponibles soient sains et de bonne qualité. Le contrôle de la qualité et de la salubrité des aliments garantit le maintien des caractéristiques désirables des aliments tout au long des phases de production, manutention, transformation, emballage, distribution et préparation. Il contribue ainsi à promouvoir une alimentation saine, à réduire les pertes de denrées et à encourager le commerce intérieur et international. Le contrôle effectif de la qualité et de la salubrité des aliments est une nécessité, et les programmes correspondants peuvent comprendre un éventail de mesures allant des lois, règlements et normes aux systèmes d’inspection et de surveillance, y compris les analyses de laboratoire.

Les programmes de lutte contre les carences en micronutriments. Des actions importantes ont connu le succès dans le domaine de la maîtrise des carences en micronutriments depuis le milieu des années 80. Mais il faut redoubler d’efforts et entreprendre des ensembles d’activités destinées à augmenter la disponibilité des aliments riches en micronutriments, à promouvoir des techniques de transformation et de conservation adéquates, à dispenser une éducation sur l’alimentation et la nutrition, à favoriser la diversification des régimes alimentaires, à établir une législation et à réaliser des programmes relatifs à la fortification et à l’enrichissement des aliments, enfin à appliquer des mesures appropriées de santé publique.

Promouvoir, par l’éducation, des régimes alimentaires et des modes de vie sains. La promotion de régimes alimentaires et de comportements plus sains est l’un des aspects les plus importants de l’action globale visant à améliorer la nutrition. Les gens doivent non seulement avoir accès à une nourriture variée, sans danger et abordable, mais aussi à des informations sur ce qui constitue un régime alimentaire sain et sur la meilleure manière de répondre à leurs besoins nutritionnels. Le Plan d’action pour la nutrition de la CIN appelle à la réalisation de programmes d’éducation nutritionnelle à tous les niveaux, avec la participation des médias, des écoles primaires et secondaires, des projets de participation communautaire, des vulgarisateurs et des formateurs, par l’intermédiaire desquels l’information nutritionnelle peut être communiquée. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que l’éducation nutritionnelle a ses limites. Pour désirables qu’ils soient, de nombreux changements de comportement n’interviennent dans les ménages que si l’on peut compter sur diverses ressources, y compris du temps.

Les programmes de nutrition/santé et les programmes intégrés de nutrition. Comme les problèmes de nutrition résultent de causes multiples, il semble logique de concevoir des politiques et des programmes à plusieurs composantes, afin d’obtenir plus sûrement une amélioration de la nutrition. Une des méthodes qui se prête le mieux au choix d’interventions sanitaires et nutritionnelles et à leur ciblage consiste à surveiller la croissance des enfants. La CIN a donc demandé que les gouvernements développent et renforcent leurs systèmes de surveillance de la croissance et de soins de santé. Seule, la surveillance de la croissance ne saurait changer la situation nutritionnelle, mais elle fournit des informations utiles pour des activités comme l’alimentation complémentaire, l’éducation nutritionnelle ou, le cas échéant, l’orientation vers un service médical. Dans les projets intégrés de nutrition, la surveillance de la croissance des jeunes enfants menacés par la malnutrition et les conseils nutritionnels aux mères vont généralement de pair avec des interventions ciblées, comme les repas donnés sur place, les examens médicaux, les vaccinations ou le planning familial. L’accent est également mis sur la collaboration intersectorielle, car une approche sectorielle étroite centrée exclusivement sur la santé, l’agriculture ou l’éducation ne pourrait pas s’attaquer au problème nutritionnel de façon efficace.

La participation communautaire. Les ménages font normalement preuve du désir d’améliorer la condition nutritionnelle de leurs membres les plus vulnérables et souvent aussi d’une certaine maîtrise des connaissances pertinentes. Si la voie du succès reste bouchée, c’est que tous les moyens nécessaires ne sont pas réunis, notamment la coresponsabilité de tous dans les décisions communautaires. Il faut donc œuvrer à la reconnaissance de la coresponsabilité des groupes vulnérables en matière de nutrition communautaire. Cette reconnaissance s’obtient en allouant aux femmes des ressources et des tâches de direction dans les programmes de nutrition communautaire, ou bien en aidant les membres de la communauté à se constituer en groupes qui devront posséder tout le savoir et tout le savoir-faire requis.

S’agissant du contrôle des ressources, l’accès à la terre, même aux modestes lopins dont les groupements féminins ont besoin pour leurs jardins potagers, constitue encore un élément majeur de la sécurité alimentaire des ménages dans les pays à faible ou moyen revenu. Il est donc opportun d’examiner à nouveau la question du contrôle des femmes sur les ressources et sur la terre, dans la perspective de la sécurité alimentaire des ménages. Dans les pays pauvres, il est temps de favoriser l’accès du plus grand nombre aux potagers familiaux à la périphérie des villes et à la campagne, ainsi que le développement des services agricoles d’appui à ce sous-secteur.

Le développement des structures. L’urgence et l’importance des problèmes de sécurité alimentaire et de nutritrion doivent apparaître clairement, si l’on veut que les initiatives appropriées soient prises et que les appuis nationaux et internationaux leur soient assurés de manière durable. La mise en place de moyens structurels spécifiques à la nutrition est une condition fondamentale du succès des interventions nutritionnelles et de la surveillance continue de la situation nutritionnelle qui permet d’évaluer les effets des politiques et des programmes et de les ajuster ensuite aux circonstances nouvelles.

L’approche pragmatique, adoptée avec tant de succès dans certains pays, peut être considérée comme une alternative valable à la planification «parfaite» préalable à l’action. Il est impératif que les structures gouvernementales, en particulier les ministères et les organisations non gouvernementales (ONG) impliquées dans les actions nutritionnelles soient bien coordonnées par un encadrement reconnu. Il est nécessaire de définir la base légale de la coordination officielle au niveau national, afin de garantir la durabilité et la cohérence des activités visant à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition. La conquête du bien-être nutritionnel pose un défi que seul un engagement à long terme pourra relever.


[2] Le métabolisme basal se définit comme étant la dépense énergétique minimale compatible avec la vie. Il est mesuré sur un sujet au repos complet, à jeun et placé dans une ambiance à la température de 26 à 30 °C qui n’active aucun processus de production de chaleur. Son niveau dépend d’un besoin physiologique variant selon le poids corporel, l’âge et le sexe des individus. Le MB est une quantité théorique, puisqu’au sens strict il faudrait décomposer la population en catégories d’âge et de sexe pour calculer leurs besoins énergétiques respectifs. Un tel effort de précision perdrait toute justification face à l’imprécision des données de production alimentaire qui sont souvent affectées d’une marge d’erreur importante, sauf dans le cas des céréales. On utilise donc des facteurs de simplification pour estimer le MB moyen de la population et, par suite, ses besoins énergétiques alimentaires par personne. Les besoins énergétiques pour un niveau d’activité légère se situent entre 1 961 et 2 072 kcal par jour.

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