1. Introduction et vue d’ensemble

1.1 Le monde évolue de façon remarquable, dans un sens que personne n’aurait pu prédire il y a une décennie; or, ces changements ont des répercussions importantes sur la sécurité alimentaire. De nouveaux Etats, de nouveaux problèmes et de nouvelles institutions remodèlent les relations politiques, économiques et écologiques internationales, même si les anciennes restent présentes sous une forme atténuée. Cependant, les nouvelles tendances sont claires: la plupart des pays sont à la recherche de politiques économiques plus orientées vers le marché, et ils souhaitent élargir la coopération internationale et assurer un développement durable, et mettre en place des structures politiques pour promouvoir et appuyer ces objectifs.

1.2 Les changements dans le contexte sociopolitique et économique peuvent se résumer ainsi:

1.3La recherche de nouvelles politiques visant à réglementer les institutions contemporaines s’accompagne d’un examen plus approfondi du rôle essentiel des pouvoirs publics, qui devra être réduit par rapport au passé. Les ferments du changement sont les gouvernements eux-mêmes, qui doivent optimiser l’utilisation des ressources face aux déficits croissants, mais aussi les citoyens écrasés par les impôts qui constatent une stagnation de leurs revenus réels et reprochent aux gouvernements leurs performances économiques médiocres1. Le recentrage des relations internationales et une altération de la conjoncture économique mondiale posent de nouveaux défis pour la stabilité nationale et mondiale; en attendant, les problèmes et les conflits locaux ne sont toujours pas résolus. Toutes ces questions conditionnent la sécurité alimentaire.

1.4 Fondamentalement, assurer la sécurité alimentaire c’est permettre à tous les individus d’accéder à tout moment aux aliments salubres et nutritifs dont ils ont besoin pour mener une vie saine et active. Cette définition implique que la sécurité alimentaire a trois dimensions – disponibilité, accès et stabilité à divers niveaux d’agrégation, c’est-à-dire mondiale, nationale, ménages et individus. Etant donné ce cadre multidimensionnel, il est évident que l’atteinte de la sécurité alimentaire au niveau individuel, qui suppose que celle-ci soit atteinte aux niveaux plus globaux, est limitée ou facilitée par un ensemble de conditions sociales, politiques et économiques. Or, il est clair que les conditions qui affectent la sécurité alimentaire à un niveau d’agrégation donné ne se limitent pas aux conditions en vigueur à ce même niveau d’agrégation. Cela signifie que, par exemple, la capacité d’atteindre la sécurité alimentaire dans un pays peut être affectée par les conditions (économiques, politiques et sociales, etc.) dans d’autres pays; plus l’économie mondiale est intégrée, plus il est difficile pour un pays de s’isoler des décisions et actions des autres. Il est vrai aussi que cette même intégration permet de compenser les déficits de production enregistrés dans un pays en faisant appel au monde entier et, par là même, de réduire considérablement tout impact négatif sur la sécurité alimentaire d’un pays.

1.5 Etant donné qu’elles affectent l’agriculture, les modifications, au plan mondial, national et local, des relations et des structures politiques et économiques ont des répercussions sur la sécurité alimentaire. Premièrement, les économies nationales se préoccupent fortement des modes de production et de distribution des aliments et ces questions sont prises en compte dans les débats politiques actuels sur la restructuration des systèmes économiques et politiques.

1.6 Deuxièmement, la transformation technologique de l’agriculture relie de façon croissante le marché des facteurs de production à d’autres secteurs de l’économie, tandis que le commerce international unit les producteurs de l’économie nationale aux consommateurs du monde.

1.7 Troisièmement, aucun autre secteur n’a d’effets aussi vastes sur la viabilité écologique de l’environnement et des ressources naturelles: l’agriculture a des répercussions sur les forêts, les sols, l’eau douce et les pêcheries du monde entier.

1.8 Enfin la guerre et la paix, les hostilités et la détente, les affrontements et la coopération dans le domaine des relations politiques influent sur l’environnement mondial et sur la sécurité alimentaire. L’un des principaux avantages de la fin de la guerre froide aurait dû être le désarmement qui aurait pu produire un «dividende de la paix», car on aurait pu s’attendre à ce que les pays à revenu élevé réduisent dans une certaine mesure leurs dépenses militaires, ce qui se serait vraisemblablement accompagné d’une reprise économique et d’une amélioration de la sécurité alimentaire. Malheureusement, rien n’indique que cet intangible «dividende de la paix» ait été utilisé pour promouvoir le développement durable et équitable. La prolifération des conflits régionaux et des troubles civils laisse même présager une augmentation plutôt qu’une diminution des dépenses militaires dans les régions concernées. De plus, avec la fin de la guerre froide les pays développés n’ont plus de motivations pour employer l’assistance économique afin d’imposer telle ou telle idéologie particulière dans les pays en développement.

1.9 L’environnement politique mondial influence le niveau et la destination des flux de ressources, notamment le commerce international des aliments et l’aide à l’agriculture et à la production vivrière.

1.10 Au niveau national, la politique gouverne les grandes priorités. Les décisions finales concernant les objectifs de développement, de stabilisation, de sécurité nationale et d’équité sociale, qui sont parfois en opposition, reflètent la puissance relative des diverses factions politiques d’un pays et la façon dont le consensus national est atteint. Le niveau de sécurité alimentaire d’un pays dépend essentiellement de ses choix politiques. «Un mauvais gouvernement engendre l’insécurité alimentaire», comme l’a pertinemment observé le représentant de l’Ouganda au Conseil de la FAO en novembre 1994.

1.11 Ce document étudie l’influence des relations internationales, des structures économiques, des systèmes politiques et des questions mondiales sur la sécurité alimentaire. Il commence par passer en revue le cadre politique mondial depuis la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974, puis analyse le cadre économique contemporain, et les conséquences des tendances à la libéralisation des marchés dans les économies en transition et de l’ajustement structurel dans les pays en développement et les nations industrialisées, sur la production et la consommation alimentaires, au niveau national. Il examine aussi les conséquences pour la sécurité alimentaire des négociations du Cycle d’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), conclues depuis peu, des tendances mondiales à la formation de blocs commerciaux régionaux et des questions relatives aux ressources naturelles et à l’environnement. Pour finir, il décrit les implications politiques pour la sécurité alimentaire et brosse des perspectives pour le futur.


2. Evolution du cadre politique dans une perspective historique

2.1 Au cours des deux décennies qui ont suivi la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974, des changements considérables sont intervenus sur la scène politique internationale. Au milieu des années 70, la fin de la guerre du Viet Nam a contribué à atténuer les tensions politiques dans le monde entier, plus particulièrement entre les superpuissances et une multitude de traités ont fortement allégé les tensions est-ouest en Europe.

2.2 Malgré des divergences considérables entre les pays et les régions, les années 60 et 70 ont été une période de croissance économique dans l’ensemble positive pour de nombreux pays en développement. Entre 1965 et 1973, le taux de croissance économique dans le monde en développement a été de 3,9 pour cent par an, soit un record sans précédent. Il est ensuite tombé à 2,9 pour cent durant la période 1973-1980, principalement à cause des crises du pétrole. Entre 1980 et 1990, période caractérisée par la crise de la dette, il a rapidement chuté pour s’établir à 1,2 pour cent.

2.3 Au cours des années 70, le rôle des pays en développement sur la scène économique et politique mondiale s’est réaffirmé. Après l’embargo pétrolier imposé en 1973 par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et les nouvelles politiques de fixation des prix adoptées par la suite, de nombreux pays en développement, en particulier ceux détenteurs de pétrole, ont redoublé d’efforts pour réduire leur dépendance économique et politique à l’égard des pays industriels, pour mieux s’organiser et pour jouer un rôle accru dans la conduite des affaires mondiales. Les pays riches en pétrole ont aussi tenté d’utiliser le pouvoir économique dont ils venaient de prendre conscience pour dicter leurs conditions et discipliner le commerce, le transfert de technologie et l’aide extérieure. Les idées d’un tiers monde uni, pour lesquelles militaient le Premier ministre indien Nehru et d’autres leaders légendaires, gagnaient du terrain, de même que les concepts d’un Nouvel ordre économique international (NOEI) plus juste, de non-alignement et d’autosuffisance.

2.4 Les réunions des pays en développement tenues à Alger en 1973 et à Sri Lanka en 1976 ont débouché sur un certain nombre d’initiatives d’action commune, qui ont abouti à des accords de Coopération technique entre pays en développement (CTPD) et de Coopération économique entre pays en développement (CEPD). Cependant, la réalisation de la sécurité alimentaire dans la plupart des pays en développement et, aujourd’hui, dans les pays en transition économique nécessite des transformations sociales majeures. Pour éliminer la faim il faut éradiquer la pauvreté par une croissance durable et équitable, qui nécessite à son tour des changements importants dans les relations sociales, les structures de production et les technologies. Des décisions aux niveaux macro et microéconomiques, affectant l’accumulation, la production et la consommation de denrées sont nécessaires et doivent être conformes aux objectifs de la sécurité alimentaire. Cela n’est possible que s’il existe une volonté politique de faire des choix économiques difficiles et de modifier les institutions existantes ou d’en créer de nouvelles, à cet effet.

2.5 Avant les années 80, quand la croissance économique était pratiquement universelle et rapide, les stratégies de développement étaient axées sur la redistribution des bénéfices de la croissance, de façon à y inclure ceux qui en étaient exclus. Le milieu des années 70 a marqué l’apparition d’une nouvelle conception politique du développement, basée sur des études empiriques qui démontraient que les économies pouvaient atteindre simultanément les deux objectifs de croissance économique rapide et de distribution plus équitable des revenus. Pendant un certain temps, les considérations d’équité ont été placées en tête des priorités, de même que la satisfaction des besoins de base dans les économies en développement. Mais, dans les années 80, la croissance négative dans de nombreux pays, surtout en Amérique latine et en Afrique, a laissé bien peu à redistribuer. On espère donc que l’accent mis récemment sur le libre marché, la libéralisation du commerce et l’intervention minimale de l’Etat permettra en quelque sorte de redynamiser le marché et de stimuler la croissance économique. Malheureusement, rien ne vient encore confirmer cet espoir et celui d’une sécurité alimentaire accrue, et en attendant, l’objectif de la redistribution du revenu semble s’être évanoui.

2.6 L’idée d’un monde en développement puissant et uni, capable de résister aux ingérences extérieures des deux blocs politiques dominants de l’époque, a été mise en échec par des faits nouveaux qui ont accru les disparités entre les pays en développement, et par les dissensions idéologiques et politiques entre ces pays. Bien souvent, tout en professant la solidarité, les pays prenaient des initiatives non concertées, parfois en accord avec divers «clients» étrangers, parfois seuls. Pendant ce temps, il devenait de plus en plus évident que l’unification de ces nations et leur développement autonome prendraient du temps, et que la constitution d’un bloc des pays en développement serait difficile.

2.7 Dans les années 80, les tensions de la guerre froide sont réapparues. A cet égard, on peut citer le conflit en Afghanistan, les conflits régionaux au Proche-Orient et en Amérique centrale, les guerres civiles prolongées en Angola et au Mozambique, la longue guerre entre l’Iraq et la République islamique d’Iran, et les conflits internes au Cambodge. A la suite de ces tensions, la course aux armements a repris de plus belle. Aujourd’hui encore, les pays en développement continuent d’accroître leurs dépenses militaires. D’après le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), les économies en développement ont augmenté leurs dépenses de défense de plus 8 pour cent par an depuis 1960, et l’Afrique subsaharienne, qui est la région qui pourrait le moins se le permettre, a consacré une part accrue de son Produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires – de 0,7 pour cent environ en 1960, contre quelque 3 pour cent aujourd’hui. La majeure partie de ces fonds ne sont pas utilisés pour protéger le pays contre une offensive extérieure, mais pour combattre des factions hostiles intérieures. Chaque dollar dépensé à des fins militaires est un dollar enlevé au développement économique et à la sécurité alimentaire. Les affrontements idéologiques et les conflits déclarés sont la cause essentielle de l’insécurité alimentaire.

2.8 Dans l’Europe centrale, l’Europe orientale et l’URSS des années 80, il s’est avéré de plus en plus difficile d’atteindre simultanément les deux objectifs de puissance militaire et de progrès socioéconomique. De ce fait, les régimes à économie planifiée ont été soumis à des tensions qui ont précipité les grandes transformations commencées à la fin des années 80.

2.9 Pendant ce temps, bon nombre de pays développés connaissaient, après la récession globale du début des années 80, une période de croissance soutenue, de stabilité et d’intégration exceptionnellement longue qui renforçait leur position dans le monde des affaires.

2.10 Parmi les événements qui ont marqué le 20è siècle, ceux de la fin des années 80 et du début des années 90 ont eu une portée particulièrement considérable. En peu de temps, des transformations politiques et économiques radicales se sont imposées en Europe orientale et dans les républiques de l’ex-URSS. Les principes de la gestion centralisée de l’économie ont été abandonnés au profit d’une approche plus orientée vers le marché. Les difficultés politiques de la transition ont été aggravées par le caractère révolutionnaire et radicalement nouveau du changement institutionnel, et par le fait qu’il n’existait pas de cadre sur lequel pouvait s’appuyer les nouvelles théories politiques et conceptuelles. Pour la plupart de ces anciens pays à économie planifiée, la phase initiale de la réforme s’est traduite par des bouleversements profonds qui ont polarisé l’attention.

2.11 Certains pensent que le fond a été atteint. Jusqu’à présent, la privatisation s’est accompagnée de nombreux problèmes: chômage, réduction de la production, insuffisance des crédits et des subventions à la consommation et à la production, instabilité politique, et inégalité croissante dans la répartition des revenus et des ressources. Ces phénomènes mettent en péril la sécurité alimentaire dans la région. Les problèmes associés à la transition, surtout dans l’ex-URSS, ont obligé à mobiliser des ressources humaines et financières et sont devenus l’une des principales préoccupations de la communauté internationale. En outre, ils ont conduit à détourner des fonds de l’Afrique subsaharienne, où les performances des programmes de développement ont été médiocres, où la croissance de la population a toujours été plus rapide que celle de l’économie et où la sécurité alimentaire est particulièrement menacée.

2.12 Les résultats obtenus en Europe centrale et orientale et en Asie centrale ont été radicalement différents de ceux enregistrés en Chine, où les réformes économiques ont été introduites en 1978. Alors que la terre restait aux mains de l’Etat, le Système de responsabilisation des ménages (HRS) fractionnait les terres communales en fermes individuelles et, dans une réorientation idéologique majeure, encourageait la maximisation des profits. Le HRS (ainsi que quelques autres mesures introduites simultanément) a contribué à faire sortir de la pauvreté des millions de familles au cours des années 80, lorsque les populations ont compris qu’elles pouvaient consommer et investir le produit de leur travail plutôt que de le laisser à l’Etat. En conséquence, la production agricole a rapidement progressé, ce qui a contribué à alimenter l’effort économique du milieu et de la fin des années 80 et du début des années 90.

2.13 Pour la plupart des pays d’Afrique, d’Amérique latine et des Caraïbes, les années 80 ont été une décennie de crise économique et financière. En effet, lorsque le Mexique a reconnu qu’il avait suremprunté et sous-investi dans les années 70, une longue période de récession et d’ajustement s’est installée. En 1982, ce pays n’était plus en mesure de rembourser sa dette. La crise de la dette s’est rapidement étendue à d’autres pays, ce qui était le signe que la majeure partie de l’Amérique latine était confrontée aux mêmes difficultés financières; or, les problèmes économiques rendaient les gouvernements fragiles sur le plan politique. De nombreux gouvernements ne pouvaient plus résister aux pressions politiques et économiques extérieures, ce qui réduisait considérablement leur marge de manœuvre pour la politique intérieure. Pour résoudre leurs problèmes financiers quotidiens les plus pressants, bon nombre de pays durent différer les objectifs de développement à long terme, d’équité et de lutte contre la pauvreté, sur lesquels on avait fondé de grands espoirs dans les années 70. Simultanément, le processus de coopération et d’intégration régionales se ralentissait ou restait au point mort.


3. Relations mondiales et sécurité alimentaire dans les années 90

3.1 Au fil des années 90, les relations internationales ont pris une nouvelle physionomie. La fin de la guerre froide réduisait les tensions politiques entre les superpuissances et incitait les pays développés et les anciens pays à économie planifiée à réduire dans une certaine mesure leurs dépenses militaires, mais les ressources ainsi épargnées n’allaient pas aux pays en développement pour les aider à assurer leur croissance.

3.2 Un nombre croissant de gouvernements se sont ralliés aux principes démocratiques, à la participation populaire au gouvernement du pays et à la libéralisation économique. On considère souvent que la participation populaire est synonyme de démocratie participative, aucun groupe ni aucune classe n’étant exclu. Malheureusement, bien souvent ce n’est pas le cas. Quoiqu’il en soit, les Nations Unies signalent qu’en 1993 des élections ont été organisées dans 45 pays et près de 75 pour cent de la population mondiale vit aujourd’hui dans des pays à régime démocratique et relativement pluraliste. L’abolition de l’apartheid et l’introduction de la règle de la majorité en Afrique du Sud est l’événement le plus marquant de ce processus.

3.3 Au cours de la première moitié des années 90, d’autres tendances et influences se sont manifestées ou aggravées. De plus en plus de petits Etats apparaissent, d’où la nécessité de mettre en place de nouveaux types d’accords extranationaux et d’aide au développement. Des conflits comme ceux qui secouent la Bosnie-Herzégovine et la Tchétchénie sont des manifestations récentes et dramatiques d’un nationalisme naissant qui a engendré de nouveaux problèmes politiques, économiques, religieux et ethniques et exacerbé ceux qui existaient déjà. La violence et la guerre se sont poursuivies sans trêve dans diverses régions du monde en développement. Sur les 82 conflits armés enregistrés entre 1989 et 1992, trois seulement opposaient d’anciens Etats souverains; les autres étaient liés à des troubles civils qui désorganisaient la production, la distribution, le commerce et la consommation de vivres.

3.4 Si les conflits violents entraînent souvent une grave insécurité alimentaire, les privations sociales ont aussi été au cœur de nombreux conflits armés intérieurs. Les tragédies de la guerre civile au Rwanda et en Somalie, et leurs conséquences dramatiques – souffrances humaines, problèmes de réfugiés et famine – le montrent bien. En 1994, quelque 14 pays africains étaient en guerre et dans 18 autres la violence était généralisée (Smith, 1994). Des secours alimentaires d’urgence doivent souvent être livrés après ces conflits armés pour maintenir un certain niveau de sécurité alimentaire.

3.5 Ces soulèvements continueront de menacer la stabilité mondiale et d’empêcher les donateurs – car la lassitude des donateurs est un phénomène réel – de livrer les secours requis. Dans certains cas, les tensions ethniques et politiques ont des causes profondes; après analyse, on s’aperçoit que beaucoup trouvent même leurs racines dans l’inégalité des revenus et des ressources, l’impossibilité d’accéder à la terre et la pénurie d’emplois. Les événements de Chiapas, au Mexique, qui ont été connus du public après le 1er janvier 1994, le montrent bien, de même que les pressions croissantes qu’exercent les populations autochtones de Bolivie et d’Equateur pour obtenir une plus grande justice.

3.6 Les flux d’assistance extérieure ont baissé. L’aide publique au développement (APD), qui représente les deux tiers des ressources acheminées vers les pays à faible revenu, est tombée de 0,35 pour cent du PIB des donateurs en 1983 à 0,29 pour cent en 1994, soit le niveau le plus faible depuis une vingtaine d’années. Cette regrettable tendance, qui risque de se poursuivre dans les années à venir, traduit la pression de l’assainissement des finances publiques dans les pays donateurs, l’affaiblissement de la motivation politique de l’aide extérieure par suite de la chute du mur de Berlin, et un changement d’opinion en ce qui concerne le rôle de développement de l’aide par rapport au financement privé, dans un contexte général de libéralisation économique.

3.7 L’agriculture a été frappée de plein fouet par la réduction de l’assistance. En 1994, les engagements totaux en faveur de l’agriculture étaient inférieurs de 11 pour cent aux niveaux de l’année précédente et de 23 pour cent au moins à ceux de 1990. La part de l’agriculture dans les flux totaux d’assistance est tombée de 13 pour cent en 1990 à 10 pour cent environ ces dernières années.

3.8 La consommation de drogue, le crime et la corruption, qui entourent les organisations et les individus qui vivent du trafic de la drogue, sont un des problèmes majeurs de la société contemporaine qui s’accompagne d’effets négatifs pour la sécurité alimentaire individuelle et collective. La consommation de drogue augmente sans cesse et les drogués se comptent par millions dans plusieurs pays. Leur santé physique et mentale, leur rôle dans la société et les chances de vie meilleure de leur famille sont anéantis ou compromis. Le trafic de drogue, qui représente des milliards de dollars, détourne des ressources, favorise la corruption et déstabilise des régions ou des classes entières de la société. Les cultures de stupéfiants procurent des revenus relativement élevés aux producteurs, ce qui représente une contrainte majeure pour les actions nationales et la coopération internationale visant à réduire, de façon constructive, la production de drogue.

3.9 Il a été abondamment documenté que les ressources et les technologies nécessaires pour éliminer l’extrême pauvreté et éradiquer la faim sont disponibles. Seule manque la volonté politique de le faire. Tant que les gouvernements n’auront pas la volonté et la capacité politique d’accorder la priorité absolue à l’élimination de la faim, et de la pauvreté qui en est la cause profonde, il subsistera des affamés aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Pour cela, il faut gagner le soutien massif des groupes d’intérêt qui exercent actuellement le pouvoir et l’autorité, mais aussi donner les moyens d’agir aux groupes qui n’ont accès ni aux ressources ni à une participation politique effective et restent donc en marge de l’économie politique et sociale.


4. Changements démographiques et sécurité alimentaire

4.1La croissance démographique2 est probablement le phénomène mondial qui, à lui seul, exerce le plus d’influence sur la sécurité alimentaire. Il a fallu près de 1 million d’années pour que la population de la planète atteigne 1 milliard d’individus. Au cours des 10 années à venir, 1 milliard de personnes s’y ajouteront. Les taux de croissance démographique et de développement économique sont comparables au phénomène de la poule et de l’œuf. Des taux de croissance démographique rapides rendent certainement plus difficile le développement économique et la croissance du revenu par habitant. Or, les facteurs qui ralentissent le taux de croissance démographique sont ceux qui sont associés à un développement économique généralisé: accroissement du revenu par habitant; élévation du niveau d’éducation; création d’emploi, surtout pour les femmes; et accès assuré à la nourriture, aux services de santé et aux autres besoins essentiels.

4.2 Les modifications des caractéristiques structurelles de la population mondiale ont aussi des répercussions sur la sécurité alimentaire. A l’heure actuelle, plus de 800 millions d’individus souffrent de sous-alimentation chronique car ils n’ont pas suffisamment de vivres. Il y a 20 ans, 80 pour cent de la population des pays en développement vivait dans des zones rurales. Au début des années 70, une seule ville d’Afrique subsaharienne comptait plus d’un demi-million d’habitants; en 1990, 10 pour cent de la population de la région vivait dans des villes de plus de 1 million d’habitants et à l’aube du nouveau millénaire, près de 40 pour cent de la population vivra dans des centres urbains.

4.3 En 30 ans, le nombre de personnes vivant dans les villes dans les pays en développement quadruplera pour passer de 1 à 4 milliards d’individus. Ce formidable basculement vers un monde plus urbain contraint à modifier l’ensemble des institutions, des marchés, des infrastructures et des politiques alimentaires. Ces changements structurels ont aussi des répercussions sur les disponibilités de main-d’œuvre agricole et posent d’importants problèmes pour la sécurité alimentaire. Ainsi, en Afrique subsaharienne, où les hommes migrent régulièrement vers les villes et vers d’autres zones pour chercher des salaires ou un emploi dans le secteur non structuré, les femmes deviennent les principales responsables des travaux agricoles. Elles produisent 75 pour cent des vivres de la région (Saito, 1994). Pour augmenter la productivité et la production agricoles et améliorer la sécurité alimentaire des ménages, il est indispensable que les donateurs et les gouvernements axent davantage leurs interventions sur les agricultrices, notamment en introduisant des réformes politiques susceptibles de faciliter l’accès des femmes à la terre et au crédit, de leur donner les moyens d’engager de la main-d’œuvre et de les inciter à adopter de nouvelles technologies et à faire appel à une assistance technique.


5. La sécurité alimentaire dans un monde en évolution: l’environnement économique

5.1 Après la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974, les pays en développement ont connu trois scénarios en matière de performances économiques: forte croissance au milieu des années 70; crise à la fin des années 70 et pendant la plus grande partie de la décennie suivante, sauf en Asie; et reprise inégale durant les années 90.

5.2 Le premier scénario, caractérisé par une période de forte croissance durant les années 70, a commencé à la fin de la seconde guerre mondiale et a été principalement attribué à l’effet d’entraînement de la croissance des pays développés sur les pays en développement, grâce aux liaisons commerciales internationales. Cette longue période a aussi été marquée par une stabilité relative des prix des produits agricoles, une substitution croissante des importations et une augmentation de l’aide publique en faveur des pays en développement.

5.3 L’économie mondiale a subi une transformation radicale après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, le premier ayant coïncidé avec une insuffisance de la mousson en Asie du Sud, avec des déficits de la production céréalière aux Etats-Unis, en Europe et dans l’ex-URSS, et avec une forte augmentation des importations de céréales fourragères dans cette dernière région. Les pays développés ont tenté de «désinflationner» les effets des chocs pétroliers et de la montée des prix des produits agricoles en accroissant leurs disponibilités monétaires. Les liquidités mondiales ont aussi augmenté car les grandes banques commerciales recyclaient les pétrodollars déposés par les pays de l’OPEP. En conséquence, les taux d’intérêt réels ont sensiblement baissé.

5.4 De nombreux pays en développement importateurs de pétrole ont réussi à réduire les effets négatifs des chocs pétroliers et à maintenir leurs niveaux généraux de consommation et d’investissements publics et privés en empruntant massivement à des conditions de faveur. Ils ont ainsi pu connaître des taux de croissance relativement élevés malgré l’environnement international défavorable.

5.5 Cependant, certaines dépenses réalisées avec des fonds empruntés n’étaient pas bancables; d’autres, comme les investissements d’infrastructure, n’avaient pas pour objet d’obtenir un solde de trésorerie positif à court terme. De fait, une grande part de ces investissements étaient si peu judicieux que leur taux de rentabilité était faible et que le cash-flow qu’ils permettaient de dégager ne permettait pas de faire face au service de la dette. Pendant ce temps, on continuait à emprunter à qui mieux mieux, tandis que les pays en développement et les pays développés évitaient ou remettaient à plus tard les mesures d’ajustement au premier choc pétrolier.

5.6 Après le second choc pétrolier de 1979, les pays de l’OCDE, guidés par les Etats-Unis, ont modifié de façon spectaculaire leur orientation macroéconomique, en optant pour des politiques monétaires strictes (et pour une politique budgétaire beaucoup plus permissive) en vue de réduire l’inflation. Les taux d’intérêt ont monté et le dollar des Etats-Unis s’est réévalué. En conséquence, de nombreux pays en développement ont été confrontés à une forte contraction des entrées de capitaux qu’ils n’avaient pas prévue et, dans le même temps, à une augmentation considérable des paiements extérieurs, étant donné qu’ils étaient exigibles en dollars et que le cours de cette monnaie montait. Comme la dette extérieure qui venait d’augmenter était pour l’essentiel remboursable à des prêteurs privés, à court terme et à des taux flottants (alors que durant les périodes précédentes, les prêteurs étaient essentiellement publics et accordaient des prêts à plus long terme à des taux de faveur), la hausse des taux d’intérêt a précipité la crise de l’endettement. En 1982, dans bon nombre de pays en développement, les dépenses pour le service de la dette étaient supérieures aux entrées de capitaux.

5.7 En outre, dans un grand nombre de pays en développement, des politiques inappropriées, notamment des politiques budgétaires et monétaires irrationnelles, et de sérieuses rigidités économiques résultant des anciennes stratégies de développement introverties empêchaient les économies de s’ajuster aux chocs extérieurs de la fin des années 70 et du début des années 80.

 

Encadré

LA RÉFORME AGRAIRE EN AMÉRIQUE LATINE

Dans l'ensemble, les réformes agraires mises en oeuvre dans la deuxième partie du 20è siècle en Amérique latine étaient limitées et remettaient rarement en cause les privilièges de l'élite rurale. Souvent elles étaient introduites, à grands coups de publicité, dans les endroits où les revendications des paysans affamés de terres faisaient le plus de bruit. Mais une fois que la terre était distribuée, les autres facteurs de production n'étaient généralement pas fournis à des conditions accessibles aux agriculteurs et les crédits à la production tendaient à s'épuiser. Alors que plusieurs études montraient que, sur les surfaces redistribuées aux paysans, la production atteignait un niveau égal ou supérieur à celui obtenu avant la réforme, la plupart des gains de production étaient enregistrés sur les réserves des propriétaires terriens dont la taille avait été réduite et qui intensifiaient leurs programmes de culture pour tenter de maintenir le niveau de leurs revenus. Ou alors, ils étaient obtenus dans le secteur commercial, où les exploitants qui étaient de bons producteurs n'étaient généralement pas expropriés.

Ainsi, les institutions de l'époque n'offraient pas aux paysans qui venaient d'acquérir des terrer un départ très prometteur pour leurs carrières agricoles. En outre, les ouvriers agricoles résidents, qui sont les travailleurs qui ont le statut le plus élevé dans le secteur agricole en Amérique latine, recevaient généralement des terres, alors que les campesinos (paysans) sans terres en obtenaient rarement, ce qui atténuait l'effet de répartition des revenus de la réforme agraire. En outre, ces nouveaux propriétaires terriens étaient moins disposés que leurs prédécesseurs à embaucher des campesinos sans terres, aux salaires en usage.

5.8 Les politiques introverties, qui dérivaient largement de la stratégie d’industrialisation pour la substitution des importations (ISI), qui était la stratégie de développement dominante à l’époque, étaient en perte de vitesse avant la crise. L’une des caractéristiques majeures de l’ISI était le peu d’intérêt relatif qu’elle portait à l’agriculture, voire même parfois la discrimination qu’elle opérait à l’encontre de ce secteur, tant en termes d’incitations par les prix que d’affectation des investissements publics. Les politiques macroéconomiques (surévaluation des taux de change) et commerciales (protection douanière de l’industrie) étaient discriminatoires à l’encontre des producteurs agricoles, car elles rendaient les termes intérieurs de l’échange défavorables à l’agriculture. Les politiques sectorielles qui visaient à subventionner les producteurs agricoles n’étaient généralement pas en mesure de compenser les effets négatifs des politiques macroéconomiques et commerciales3.

5.9 La crise économique a eu des effets négatifs sur les populations vulnérables sur le plan alimentaire. La récession économique associée à la crise privait les plus vulnérables de possibilités d’emploi. Dans le même temps, le secteur public déjà trop étendu n’était pas en mesure d’atteindre ses objectifs de développement et de protection sociale, compte tenu de la diminution de l’épargne intérieure et des sorties constantes d’espèces pour le service de la dette.

5.10 Dans de nombreux pays, surtout en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, la pauvreté s’est étendue durant les années 80, inversant la tendance des 20 années précédentes. La plupart des indicateurs sociaux (taux d’alphabétisation, éradication ou tout au moins suppression des maladies, taux de longévité, de fréquentation de l’école secondaire, de mortalité des nourrissons et des enfants, et de croissance démographique) continuaient à s’améliorer pour l’ensemble des pays en développement, mais pour quelques pays, notamment d’Afrique subsaharienne, ils se détérioraient.

5.11 Par ailleurs, c’était encore dans les zones rurales des pays en développement que l’incidence de la pauvreté était la plus forte, les paysans qui ne possédaient pas ou peu de terres constituant le plus grand groupe de pauvres. Dans les pays en développement, quelque 30 millions de personnes ne possèdent pas de terres et 138 millions en possèdent peu et cette catégorie de pauvres ne fait qu’augmenter dans l’ensemble du monde en développement, surtout en Asie du Sud. La privation et la quasi-privation de terres sont les causes premières de l’insécurité alimentaire en milieu rural. Les ressources pouvant être mises à la disposition des pauvres s’amenuisent du fait que l’expansion des terres arables est moins rapide que celle des populations rurales.

5.12 Certains responsables politiques d’Amérique latine pensaient dans les années 60 et 70 que si les gouvernements parvenaient à mettre en œuvre la réforme agraire demandée par les paysans, la sécurité alimentaire des différents pays pourrait être renforcée. En Asie de l’Est, à la fin des années 40 et pendant les années 50, on a introduit au Japon, en République de Corée et à Taïwan (Province de Chine) des réformes agraires radicales qui ont contribué à stimuler la production (des lopins de terres cédés à bail sont devenus la propriété des paysans qui avaient davantage intérêt à produire) et favorisé l’équité. Il était démontré qu’en Amérique latine les réformes pourraient avoir un effet similaire. Les réformes précédemment introduites en Amérique latine avaient concerné le Mexique, la Bolivie et le Guatemala, mais l’exemple de Cuba et certaines politiques d’aide extérieure des Etats-Unis, qui subordonnaient leur aide à des réformes agraires et fiscales, ont remis la question au premier plan jusqu’aux deux décennies suivantes. Dans les années 90, l’idée d’une réforme agraire dirigiste a été abandonnée car on considérait que le marché foncier pouvait fournir à la paysannerie les terres dont elle avait besoin et quelques efforts ont été accomplis (sous la direction du Mexique en 1992) pour soumettre le secteur de la réforme agraire aux lois du marché. Actuellement, les institutions internationales, qui sont préoccupées par le fait que les terres achetées par les paysans sont très peu nombreuses, comprennent qu’il pourrait être utile d’accorder des subventions directes pour l’achat de terres.

5.13 En outre, les gouvernements compromettaient souvent les effets de revenu de la réforme agraire en rendant les termes de l’échange intérieurs défavorables à l’agriculture ou en dépensant des sommes inconsidérées pour la réforme alors que l’épargne publique était insuffisante pour faciliter les achats de terres et fournir les services d’appui administratif et technique à la réforme. Ce «populisme» économique tendait à encourager l’inflation qui abaissait les revenus des ruraux et des citadins pauvres. Dans l’ensemble, les réformes agraires récemment introduites dans les pays en développement ont amélioré la sécurité alimentaire, mais très souvent, les augmentations de production n’étaient pas le fait des paysans auxquels des terres avaient été assignées (Thiesenhusen, 1995).


6. Modification du paradigme économique

6.1 Le paradigme de développement économique, qui a prédominé dans les pays en développement depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à la fin des années 80, postulait que les mécanismes du marché n’étaient pas aptes à assurer une bonne allocation des ressources et que les pouvoirs publics devaient intervenir activement dans la planification et le contrôle de la plupart des aspects de la vie économique. L’effet combiné de plusieurs facteurs a conduit à l’abandon de ce paradigme4. Premièrement, dans les pays industrialisés, les politiques de gestion volontariste de la demande n’ont pas réussi à contrecarrer les effets négatifs du choc pétrolier sur la croissance et l’emploi, au point que l’on s’est sérieusement interrogé sur la capacité des gouvernements à assurer une croissance durable. Deuxièmement, les performances décevantes de la plupart des pays en développement à la fin des années 70 et au début des années 80 ont révélé que leurs économies étaient particulièrement sensibles aux chocs extérieurs et que les faiblesses des politiques élaborées pour y faire face étaient insuffisantes.

6.2 Comme il fallait surmonter de toute urgence la crise économique et financière, on a remis en question les aptitudes comparatives des pouvoirs publics et des mécanismes du marché à allouer rationnellement les ressources et à créer les conditions propices à une croissance durable. Il a été décidé à une majorité écrasante que la libéralisation des marchés favorisait l’efficacité et offrait de meilleures perspectives de croissance. Dans le même temps, les restrictions budgétaires associées à la crise et les pressions des institutions internationales de prêt ont contraint de nombreux gouvernements à réduire ou à réorienter le rôle du secteur public dans l’activité économique. Aujourd’hui, le paradigme de développement généralement accepté préconise l’équilibre macroéconomique et l’allocation des ressources par le jeu du marché.

6.3 En 1974, quand la Conférence mondiale de l’alimentation a eu lieu, le contexte socioéconomique qui suivait le premier choc pétrolier et la récession était tel qu’un dialogue mondial était jugé nécessaire et souhaitable et que l’intervention des Etats, individuellement et collectivement, était fondamentale pour affronter ce qui était perçu comme le problème alimentaire mondial. A présent, dans un contexte de libéralisation économique, d’intervention réduite de l’Etat et d’influence du marché sur l’orientation des politiques, l’utilité d’un dialogue entre les gouvernements semble moins grande. Cela est d’autant plus vrai pour les problèmes qui, tout en étant communs à plusieurs pays, ne transcendent pas les frontières nationales et n’exigent donc pas une coopération et une coordination internationales pour être résolus.

6.4 Dans une telle conjoncture, le rôle du gouvernement a été grandement limité, même si l’interdépendance globale s’accroît. De nos jours, les gouvernements peuvent légitimement négocier des codes de conduite internationaux, des protocoles de comportement, des accords de réglementation du marché, des niveaux d’assistance multilatérale et autres, en cas d’échec du marché international. Ils peuvent convenir d’une action commune contre des menaces internationales (crime ou terrorisme). Ils peuvent décider des règles du jeu et recourir à des processus de règlement des différends dans des instances comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou la cour internationale. Mais quand il s’agit de répartir, d’accumuler, de produire et de consommer les ressources de base dans le nouveau cadre ainsi créé, les gouvernements ont, en principe, renoncé à contrôler les mécanismes du marché tout en conservant la responsabilité et l’autorité nécessaires pour veiller à ce que les institutions officielles et officieuses nécessaires pour permettre à ces mécanismes d’opérer en toute liberté et équité soient en place et fonctionnent. Pour que cette transformation soit complète, il faudra que la libéralisation économique, commerciale et politique se poursuive et – ce qui est tout aussi important – le développement institutionnel.

6.5 Qu’est-ce que tout cela signifie pour la sécurité alimentaire? Cela signifie avant tout que la sécurité alimentaire est une responsabilité nationale, locale et individuelle. Seuls les gouvernements eux-mêmes sont capables de créer l’environnement politique, macroéconomique, juridique et réglementaire stable qui permettra au secteur privé de prospérer. C’est aux gouvernements qu’il incombe, avec l’aide des organismes internationaux et des organes non gouvernementaux, de créer les mécanismes de sécurité nécessaires pour protéger les groupes vulnérables de la société qui ne peuvent avoir accès aux ressources dont ils ont besoin pour leur subsistance.


7. Faire face à la crise: ajustement des politiques et sécurité alimentaire

7.1 Les pressions des principaux organismes internationaux de prêt, notamment de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), ont obligé de nombreux pays réfractaires à adopter des politiques de libéralisation économique. Les organisations qui prêtaient aux pays débiteurs assortissaient leurs crédits de conditions, exigeant par exemple qu’ils adoptent des politiques d’austérité économique et de dévaluation monétaire. En outre, en vue d’éliminer les goulets d’étranglements au niveau de l’offre, on a imposé une série de mesures structurelles, telles que suppression du contrôle des prix des intrants et des extrants et réduction considérable, voire élimination des subventions à divers secteurs, notamment à l’agriculture. Un grand nombre de pays en développement continuent d’exécuter des programmes de stabilisation et d’ajustement structurel mis en route dans les années 80.

7.2 Vers le milieu et la fin des années 80, le principe de la conditionnalité imposé par le FMI et la Banque mondiale pour les prêts de stabilisation, d’ajustement structurel et sectoriel, était perçu comme étant strict, rigide et inflexible. Les mesures d’austérité qui ont suivi se sont accompagnées de baisses catastrophiques du revenu effectif et du niveau de vie de ceux qui étaient le moins aptes à s’adapter. Certains pays se sont rebellés devant la sévérité des mesures d’ajustement imposées par le FMI et la Banque mondiale, souvent en réaction aux troubles civils suscités par cette austérité forcée. Vers le début des années 90, la Banque mondiale et le FMI ont commencé à assouplir leur approche à la stabilisation et l’ajustement structurel et sectoriel, en reconnaissant que si les réformes ne sont pas adaptées aux conditions particulières du pays et si elles ne bénéficient pas, grâce à l’attention accordée à la dimension sociale, du soutien politique de la population, elles n’ont guère de chance de durer suffisamment pour être efficaces.

7.3 Le problème de la dette reste un fléau pour les pays de toutes les régions et ne fait même que s’accentuer en dépit des efforts de rationalisation. C’est en Afrique subsaharienne que la situation est la plus préoccupante car, même si le niveau de la dette extérieure, en valeur absolue, est le plus faible dans toutes les régions en développement, il est le plus élevé en proportion du PIB régional (110 pour cent en 1993) et va en s’accroissant. Le problème de la dette, qui n’est pas encore résolu en dépit de multiples allégements et réductions, a des effets très délétères sur la sécurité alimentaire. Les obligations du service de la dette limitent la capacité des pays d’importer des denrées et des articles non alimentaires qui pourraient accroître la production et la consommation vivrières intérieures, et détournent des ressources qui auraient pu être consacrées à financer des plans de développement et d’amélioration sociale. La nature et les caractéristiques du problème de la dette ont évolué. La crise des années 80, surtout dans les pays à revenu moyen, portait au départ sur la dette commerciale et, en tant que telle, était considérée comme une menace pour la stabilité du système financier mondial. Le financement privé s’est pratiquement interrompu pendant plusieurs années pour repartir en flèche, mais de façon beaucoup plus sélective, dans les années 90. Le Plan Brady, entre autres initiatives, a contribué à alléger le fardeau de la dette de nombreux pays. Dans les années 90, le problème de la dette était différent, mais plongeait aussi ses racines dans la situation des années 80, à savoir: les pays à faible revenu ont emprunté aux gouvernements des pays développés et aux fournisseurs de crédit multilatéraux. La plupart de ces prêts ont été consentis pour aider les pays pauvres à faire face à la chute des prix des produits d’exportation, à la montée des taux d’intérêt mondiaux et à l’escalade des remboursements aux banques commerciales. La préoccupation majeure reste l’alourdissement continu de la dette de beaucoup de pays d’Afrique – 25 des 32 pays à faible revenu les plus endettés sont en Afrique subsaharienne. L’Amérique latine, les Caraïbes et l’Asie ont connu une amélioration globale, mais plusieurs pays de ces régions restent confrontés à de graves difficultés.

7.4 Les politiques d’ajustement structurel ont un impact sur la sécurité alimentaire intérieure à bien d’autres égards:

7.5 Les réformes n’auront probablement pas les mêmes effets à court et à long termes sur les pauvres et les personnes victimes de l’insécurité alimentaire. Ils pourront y perdre ou y gagner suivant leurs revenus, leurs ressources et le type d’instruction qu’ils auront reçu. A court terme, les effets de stabilisation dominent. Les réductions des dispositifs de protection sociale (notamment des budgets de la fonction publique et des programmes de protection sociale en faveur des pauvres) et la hausse des prix des articles importés (y compris pour les biens de première nécessité comme les aliments, les médicaments et le combustible) imputable à la dévaluation défavorisent au moins à court terme les couches les plus vulnérables de la population. Cette réorientation risque aussi de détourner des ressources du secteur agricole national et d’empêcher les paysans pauvres d’accéder à des crédits à la production. Dans de nombreux pays, les agriculteurs sont des consommateurs nets de denrées achetées et, tout comme les consommateurs des villes, ils sont pénalisés par la hausse des prix de détail des biens de première nécessité.

7.6 D’autres facteurs importants déterminent qui sera défavorisé par la stabilisation et dans quelle mesure. Les plus favorisés, tant dans les couches les plus pauvres que parmi les mieux nantis, seront ceux qui sont propriétaires des ressources nécessaires à la production ou, du moins, qui ont un accès bien défini à ces ressources; ceux qui peuvent tirer profit des possibilités offertes dans les marchés du travail formels et informels, et qui peuvent accéder aux subventions ou à d’autres programmes gouvernementaux. Par exemple, les citadins à faible revenu qui dépendent directement ou indirectement d’un emploi dans le secteur public peuvent devenir victimes de l’insécurité alimentaire à la suite de réductions des programmes gouvernementaux de travaux publics, de diminutions des subventions pour l’alimentation et d’autres biens et services (combustible, électricité et services de santé).

7.7 Pour les ruraux pauvres, la situation est encore plus complexe que pour ceux qui vivent dans les villes. Les réformes devraient avoir des effets dans l’ensemble positifs sur le secteur agricole – principalement grâce à la hausse des prix payés aux producteurs agricoles – mais les avantages et les inconvénients se répartiront inégalement entre les ruraux, suivant qu’ils sont vendeurs ou acheteurs nets de vivres, qu’ils produisent des cultures d’exportation ou de subsistance, et qu’ils ont accès aux marchés de la terre, du travail, du crédit, des intrants et des produits (Binswanger, 1989)5.

7.8 A moyen et à long termes, les réformes ne produisent des résultats que si elles réussissent à favoriser la reprise de la croissance.

7.9 L’impact des conditions extérieures, des pressions et des facteurs institutionnels et politiques, mais aussi l’importance de la crise économique et des distorsions antérieures à la réforme dérivant de politiques monétaires et budgétaires inappropriées, varient d’un pays à l’autre. Tous les pays ne manifestent pas non plus le même engagement envers le changement ni la même volonté politique d’appliquer des réformes souvent impopulaires allant à l’encontre d’intérêts bien ancrés. Parfois, les pressions nationalistes empêchent les gouvernements de prendre des mesures qui donneraient l’impression qu’ils ont cédé aux pressions d’une organisation internationale.

7.10 Les pays sont à des stades différents du processus d’ajustement et de réforme. Plusieurs ont dépassé la phase de stabilisation et mettent déjà en œuvre des réformes structurelles. Quelques-uns ont élaboré des politiques macroéconomiques crédibles et réussi à attirer des investissements privés et des prêts extérieurs. D’autres ont réussi à générer une croissance globale, mais une part importante de la population n’en retire encore aucun avantage.

7.11 Le train de réformes mis en œuvre dans le cadre des programmes d’ajustement structurel a évolué au fil du temps. C’est avec l’expérience que l’on pourra déterminer l’efficacité des réformes et le temps qu’il faut pour réaliser les changements. Aujourd’hui, on accorde davantage de place aux impacts sociaux de la réforme, aux mesures permettant de créer les conditions favorisant la croissance (infrastructure de financement, éducation, vulgarisation et formation, création d’institutions telles que les systèmes d’information et les réseaux de communication sur les marchés). L’orientation fondamentale de ces programmes reste cependant caractérisée par trois tendances: stabilisation de l’environnement macroéconomique, confiance accrue dans les mécanismes des marchés et régimes commerciaux plus ouverts.

7.12 L’effet de l’ajustement structurel sur la sécurité alimentaire, à l’échelle nationale et au niveau des ménages, dépend du stade d’avancement des réformes et de leur impact sur les différents groupes de la société. Aux premiers stades de leur application, elles ont généralement un impact négatif sur la sécurité alimentaire car les mesures prises pour corriger les distorsions économiques tendent à entraîner une hausse des prix et une baisse des revenus réels. Mais, au fur et à mesure que les réformes prennent pied et que la croissance reprend sur une base plus durable, la situation alimentaire s’améliore dans l’ensemble, même s’il arrive que quelques-uns des groupes les plus vulnérables restent à la traîne.

7.13 Dans la mesure où les réformes des politiques entraînent l’économie vers un mouvement de libéralisation du marché et d’ouverture, les ressources seront attribuées de manière plus efficace, des emplois seront éventuellement créés, la croissance économique sera favorisée et la sécurité alimentaire améliorée, dans la majorité des cas au moins, au niveau national. L’amélioration de la sécurité alimentaire au niveau des ménages nécessitera des politiques et des programmes supplémentaires encourageant une répartition plus équitable des revenus et un accès aux ressources productives et à l’emploi.


8. La crise et l’ajustement dans les pays développés et leurs conséquences pour les pays en développement

8.1 Les pays en développement ne sont pas les seuls à avoir adopté les principes du marché et recherché des équilibres macroéconomiques durables. Les pays développés se sont aussi attachés à réduire les déficits budgétaires, en privatisant les entreprises publiques et en exposant leurs marchés à la concurrence étrangère.

8.2 Comme dans les pays en développement, leurs réformes visent à utiliser les ressources de façon plus rationnelle et à réduire le risque de crise financière. Elles sont souvent mises en œuvre sous la pression d’un électorat de plus en plus informé qui est mécontent de la forte pression fiscale et de sa répartition, mais aussi des performances du secteur public, jugé au mieux trop bureaucratique et, au pire, irrémédiablement inefficace et incapable de répondre aux besoins. Les pays développés se soucient aussi de plus en plus de l’allocation des ressources financières et naturelles sur une très longue période et de l’équité entre les générations. Etant donné que l’augmentation de la pression fiscale est risquée sur le plan politique et décourage les investissements, les gouvernements préfèrent réduire leurs déficits budgétaires en restreignant les dépenses publiques, grâce à la privatisation des entreprises publiques, à la vente d’autres actifs de l’Etat et à une diminution des programmes d’aide publique (et parfois d’éducation, de santé et d’amélioration des infrastructures). Plusieurs réformes structurelles ont été mises en œuvre dans quelques pays industriels ces dernières années, alors que, dans d’autres, les réformes ou réductions sont encore au stade de projet.

8.3 La fin de la guerre froide, l’intégration croissante du système économique mondial et la réduction des déséquilibres macroéconomiques et des dépenses publiques dans les pays industriels continuera d’avoir d’importantes répercussions économiques et sociales sur la sécurité alimentaire. Les réductions des mesures de protection du commerce et des subventions ont entraîné le déclin de plusieurs industries précédemment considérées comme stratégiques. Les conséquences des nouvelles réalités politiques et économiques ont été ressenties non seulement dans l’agriculture, mais aussi dans les secteurs de l’énergie, de la défense, de l’aviation et des ressources naturelles. Quelques-unes sont au cœur même des différends commerciaux opposant des pays industrialisés.

8.4 Comme dans les pays en développement, les programmes de stabilisation et d’ajustement structurel sont plus ou moins avancés dans les pays industrialisés. Quelques pays n’ont pas encore réussi à obtenir le consensus politique requis pour opérer les ajustements nécessaires. D’autres commencent à percevoir, au plan de la croissance, les dividendes des efforts de restructuration antérieurs, qui ont souvent comporté des coûts sociaux, comme le chômage. On ignore encore si le sous-emploi est un phénomène à court terme ou s’il deviendra un problème chronique6.

8.5 Les changements politiques introduits dans les pays industrialisés peuvent avoir des répercussions négatives sur les pays en développement, à court terme (par exemple, les politiques d’austérité budgétaire des pays développés entraînent généralement une diminution de l’aide extérieure). Cependant, à long terme, les pays en développement seront avantagés par la relance attendue de l’économie des pays à haut revenu, principalement parce que les échanges augmenteront, ce qui stimulera leur développement et améliorera leur sécurité alimentaire.

8.6 Le mouvement de réforme le plus radical vers une économie de marché a été entrepris ces dernières années dans les anciennes économies planifiées d’Europe centrale et orientale et de l’ex-URSS. Aux premiers stades de la réforme, des crises d’insécurité alimentaire sont apparues au niveau local par suite de la diminution des revenus réels, de la suppression de la plupart des subventions intérieures et des mesures de contrôle des prix pour les produits alimentaires et de la disparition des dispositifs de protection sociale qui faisaient partie intégrante du système collectiviste. Dans ces pays, les problèmes ont été exacerbés par le déclin des échanges régionaux après le démantèlement du Conseil d’assistance économique mutuelle.

8.7 Dans ces pays, les perspectives économiques à moyen et plus long termes sont incertaines; en outre, elles seront inégales. Un certain nombre de pays d’Europe orientale et centrale sont plus avancés que d’autres dans leurs réformes. Ces pays ont jeté les bases d’une reprise économique et la croissance est redevenue positive. Dans l’ensemble, les perspectives semblent plus incertaines pour les pays de l’ex-URSS où les difficultés de la transition économique ont été aggravées par des problèmes politiques et par la persistance de formes collectives d’organisation économique.

8.8 Le caractère inapproprié des infrastructures juridiques et institutionnelles nécessaires au bon fonctionnement de marchés compétitifs gêne aussi considérablement le processus de transition. Les marchés ne peuvent pas fonctionner sans structures d’appui. Il faut mettre en place des systèmes d’information, des règles qui gouvernent le comportement des opérateurs des marchés, et établir et faire appliquer des critères de qualité et des normes. Presque toutes les économies de transition ont considérablement investi dans les opérations de privatisation et de distribution ou de restitution des terres. Mais les procédés employés à cette fin ont parfois abouti à une organisation de la propriété foncière incompatible avec une production agricole efficace. Dans un certain nombre de cas, les marchés fonciers n’ont pas évolué en raison de carences institutionnelles ou juridiques (les titres de propriété ne sont pas délivrés ou alors les limites des parcelles ne sont pas définies et enregistrées). Les marchés des produits alimentaires ont souvent mis du temps à s’étendre au-delà des frontières locales car, comme il n’existe pas de critères de qualité et de normes uniformes et respectés, il est impossible d’acheter ou de vendre sans réunir au même endroit les parties et les produits concernés. L’information sur les marchés est encore limitée car les organismes gouvernementaux doivent achever le processus de transformation qui doit les conduire à se décharger de la commercialisation, en se contentant de fournir aux entreprises privées les services dont elles ont besoin pour prendre la relève.

8.9 Dans les pays en transition, les perspectives de reprise de la production vivrière intérieure à moyen et à long termes dépendent de l’efficacité et de la complétude des réformes et du moment où le revirement de tendance de l’ensemble de l’économie se produira. Les modifications de l’offre et de la demande intérieures découlant des réformes influenceront à la fois la production agricole et la participation aux marchés alimentaires mondiaux.


9. Evolution des relations économiques mondiales: finances internationales et commerce

9.1 La tendance à la mondialisation, à la libéralisation et à l’intégration s’est étendue aux marchés financiers du monde entier, ainsi qu’aux marchés des biens et des services, qui jouent tous deux un rôle important dans la sécurité alimentaire. Il y a eu une expansion sans précédent du nombre et du volume des transactions financières transfrontières, dépassant largement le montant des liquidités nécessaires pour la compensation exportations-importations. La Banque des règlements internationaux estime que le chiffre quotidien des transactions en devises est actuellement de l’ordre de 1,3 trillion de dollars EU (The Economist, 1995). Au niveau national, ces flux sont un bon indicateur de la façon dont les marchés et les investisseurs nationaux et étrangers jugent les performances des politiques macroéconomiques et la stabilité économique.

9.2 Les mouvements à court terme de capitaux transfrontières (investissements de portefeuille) sont fonction des taux de rémunération des emprunts et des prises de participation dans les différents pays, ainsi que du risque associé à ces titres. Ainsi, au niveau national, les mouvements de capitaux dépendent des taux d’intérêt réels, des taux de change effectifs et prévus, et de la confiance des investisseurs dans la capacité qu’a le gouvernement de maintenir un environnement macroéconomique stable. L’expérience récente montre que les gouvernements sont impuissants, à eux seuls ou même en tandem, à se protéger contre les fluctuations des taux de change; même les interventions massives sur les marchés financiers ont peu d’effet. Ainsi, la crédibilité des gouvernements et de leurs politiques (qui dépend essentiellement de la stabilité politique) est un facteur clé de la stabilité des marchés financiers. Les gouvernements ne peuvent pas faire grand chose pour endiguer les sorties de capitaux à court terme si la confiance des investisseurs est ébranlée.

9.3 Par ailleurs, le montant des investissements privés directs, tant extérieurs qu’intérieurs, reflète la confiance dans les performances globales à long terme de l’économie et des politiques gouvernementales. Les investissements extérieurs directs sont nettement moins fluctuants que les investissements de portefeuille à court terme, qui peuvent littéralement être retirés du jour au lendemain, ce qui provoquerait une crise financière.

9.4 Lorsque d’importants flux de capitaux à court terme traversent les frontières à un moment où l’économie est en phase de libéralisation, les gouvernements individuels ne peuvent pas toujours utiliser comme ils le souhaiteraient les instruments monétaires et budgétaires pour atteindre leurs objectifs inté-rieurs. Mais ce manque d’indépendance n’est pas forcément négatif. Les marchés tendent à récompenser les politiques économiques libérales et prudentes et la stabilité politique et économique. Les pays qui parviennent à cette stabilité bénéficient souvent d’une augmentation des flux financiers qui leur permet d’atténuer les problèmes de balance des paiements.

9.5 La mobilité des capitaux (notamment la possibilité de fuite des capitaux) impose une attitude prudente lors de l’adoption des politiques budgétaires et monétaires et de la fixation des taux de change. Les gouvernements ont une «marge» d’erreur très étroite dans le domaine des politiques macroéconomiques, surtout si les capitaux privés qui rentrent sont principalement investis dans des titres réalisables à court terme qui peuvent être repris rapidement. En revanche, les économies peuvent retirer des avantages importants de ces entrées de capitaux, si elles se tiennent à des politiques de taux d’intérêt et de taux de change cohérentes et si les investisseurs estiment que leur situation financière est prévisible et stable.

9.6 Les apports de capitaux privés extérieurs aux pays en développement ont augmenté de façon spectaculaire en 1990-1993, pour se stabiliser après la crise du Mexique et la montée des taux d’intérêt aux Etats-Unis, avant de repartir à la hausse. Ces flux de capitaux ont amélioré la situation financière et créé des possibilités de croissance et de développement dans les pays bénéficiaires. Cependant, étant donné qu’ils ont profité surtout à un nombre limité de pays asiatiques et de pays à revenu moyen en Amérique latine et dans les Caraïbes, on ne peut s’attendre à ce qu’ils compensent la réduction de l’aide publique aux pays à faible revenu. De plus, la crise mexicaine et l’expérience de plusieurs pays bénéficiaires soulignent le risque potentiel de l’accumulation d’une dette extérieure excessive, compte tenu de l’instabilité des marchés financiers, et les effets indésirables d’un afflux massif de capitaux, à savoir l’inflation et la perte de la compétitivité extérieure par suite de la surévaluation monétaire.

9.7 Le système actuel des taux de change flottants, associé à la liberté des mouvements de capitaux, a entraîné, en certaines périodes, une extrême instabilité des taux de change (outre les perturbations à court terme dans l’évolution des taux de change nominaux), telle que 1980-1987. Les discussions concernant l’établissement d’un système «central» de contrôle des changes se poursuivent. Pour qu’un tel système puisse être efficace, il faut une autorité centrale ayant le pouvoir d’imposer une coordination macroéconomique. Or, il est peu probable que les Etats-nations soient disposés à compromettre leur indépendance politique en acceptant une autorité centrale (Fonds monétaire international, 1994).


10. Un grand pas en avant dans la libéralisation des échanges internationaux

10.1 La tendance à la libéralisation des marchés s’est manifestée dans le commerce international7 à travers un certain nombre d’accords bilatéraux et multilatéraux qui ont abouti à la conclusion des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay. Deux des dispositions du Cycle d’Uruguay du GATT ont une incidence directe sur la sécurité alimentaire: l’Accord relatif à l’agriculture et la Décision relative aux mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires.

10.2 L’Accord relatif à l’agriculture discipline les politiques influençant directement ou indirectement la production et la consommation d’aliments et le commerce international des produits agricoles8. On peut distinguer trois grandes catégories de règles:

10.3 L’Accord relatif à l’agriculture prévoit pour les pays en développement un traitement spécial et différencié, notamment des réductions moins sévères des tarifs douaniers ainsi qu’un soutien interne ayant un effet de distorsion sur le commerce et des subventions aux exportations et des délais de mise en œuvre plus longs. (Des mesures restrictives moins nombreuses s’appliquent aux pays très pauvres). Lorsque les pays mettent en œuvre des politiques de libéralisation du commerce dans le cadre de programmes d’ajustement structurel, les dispositions de ces programmes sont habituellement plus sévères que celles de l’accord du GATT9.

10.4 Si l’Accord relatif à l’agriculture représente un progrès dans la voie de la libéralisation des échanges de produits agricoles, cette libéralisation n’est que partielle; le protectionnisme persiste. Les réductions des mesures de soutien à l’agriculture sont de faible portée et s’étalent sur plusieurs années, mais l’Accord ouvre la voie à une plus grande transparence des échanges agricoles et à une diminution du protectionnisme.

10.5 L’un des effets de l’Accord relatif à l’agriculture sur les pays en développement sera de modifier les prix des produits de la zone tempérée par rapport à ceux des produits tropicaux. On prévoit un raffermissement des cours mondiaux des produits de la zone tempérée, mais une hausse plus modérée, voire un fléchissement des prix des produits tropicaux. L’augmentation des prix des produits alimentaires provenant des zones tempérées et les réductions des subventions à l’exportation se traduiront par une augmentation de la facture d’importation des importateurs nets de produits alimentaires (la majorité des pays en développement), en particulier dans les pays à faible revenu habitués à importer des aliments à des prix subventionnés. Dans le même temps, il est probable que les recettes provenant des exportations de produits tropicaux stagneront ou déclineront, ce qui compromettra aussi la sécurité alimentaire.

10.6 La Décision relative aux mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires vise à atténuer les problèmes qui pourraient dériver d’une hausse des prix à l’importation des produits alimentaires durant l’application du programme de libéralisation commerciale à l’agriculture. Les dispositions de la Décision peuvent aider considérablement les pays en développement qui risquent d’être pénalisés par l’Accord du Cycle d’Uruguay, mais les modalités de sa mise en œuvre ne sont pas claires et doivent être mieux précisées10.

10.7 La tendance à la libéralisation et la diminution des mesures de soutien des prix peuvent entraîner une réduction des stocks publics de produits alimentaires et il n’est pas certain que les stocks du secteur privé pourront compenser cette baisse. Toutefois, les dispositions de l’Accord relatif à l’agriculture ne s’appliquent pas au soutien, selon les règles prescrites, des stocks de sécurité alimentaire. Alors que les pays industrialisés peuvent se permettre de constituer des stocks publics importants, les pays en développement n’en ont généralement pas les moyens. La réduction probable des stocks publics des pays industrialisés influera sur les disponibilités d’aide alimentaire. D’autres facteurs limitent le volume de céréales disponibles au titre de l’aide alimentaire, mais il n’y a aucune raison de penser, a priori, que l’Accord aura pour effet de réduire l’aide alimentaire proprement dite.

10.8 L’impact global de l’Accord relatif à l’agriculture sur les pays en développement dépend de leur situation commerciale nette, de la mise en œuvre de mesures correctives destinées à compenser la hausse des cours mondiaux des produits alimentaires, et des effets à long terme d’une éventuelle accélération générale de la croissance après la libéralisation du commerce. La croissance globale des revenus imputable au Cycle d’Uruguay serait comprise entre 109 milliards et 510 milliards de dollars EU selon le GATT; selon la Banque mondiale et l’OCDE, elle s’établirait à 213 milliards de dollars.

10.9 Les pays ayant droit à un traitement préférentiel pour leurs exportations agricoles peuvent s’attendre à une érosion des marges préférentielles par suite de la réduction des droits de douane au titre de clause de la nation la plus favorisée (NPF). (A supposer que les taux appliqués dans le cadre des systèmes préférentiels existants, tels que le Système généralisé de préférences (SGP), Convention de Lomé et Initiative du bassin des Caraïbes restent inchangés.) Selon la FAO, la valeur potentielle des préférences accordées par l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon, dans le secteur agricole s’élevait à 1,9 milliard de dollars EU en 1992. Ce montant devrait baisser de 0,8 milliard de dollars EU du fait de la réduction des tarifs décidée par le Cycle d’Uruguay11, au titre de la clause de la nation la plus favorisée.

10.10 En ce qui concerne la production alimentaire des pays en développement, l’Accord relatif à l’agriculture aura aussi un effet sur le risque couru par les producteurs du fait de l’instabilité des prix. Avec une réduction des stocks due aux réformes des politiques internes, l’effet sur les prix d’un choc du marché risque d’être plus fort au départ. Cependant, comme plus de pays ouvrent leurs marchés aux signaux des cours mondiaux, grâce à la tarification décidée à l’issue du Cycle d’Uruguay, les chocs dérivant de déficits de production inattendus ou de récoltes exceptionnelles seront absorbés par un plus grand nombre de marchés nationaux, ce qui en atténuera les effets sur les cours mondiaux. La réduction des risques, due à l’atténuation des fluctuations irrégulières et imprévisibles des prix, pourrait être une incitation à accroître la production alimentaire dans les pays en développement où les agriculteurs n’ont guère les moyens de se prémunir contre ces risques12.


11. Perspectives pour l’intégration économique régionale13

11.1 L’un des principaux faits nouveaux dans le domaine du commerce mondial est l’expansion des accords commerciaux régionaux. On peut citer la mise en place du Marché unique européen en janvier 1993, le Protocole entre la Communauté économique européenne (CEE) et l’Association européenne de libre-échange (AELE) établissant un espace économique européen (EEE) et le lancement, en janvier 1994, de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui étendait au Mexique l’Accord de libre-échange conclu entre les Etats-Unis et le Canada. Plusieurs autres pays latino-américains négocient actuellement des accords de libre-échange avec les pays de l’ALENA ou renforcent et étendent les accords existants entre eux. Les Etats-Unis proposent actuellement une Initiative pour les Amériques, qui consisterait à libéraliser les échanges et les courants d’investissement entre pays d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud.

11.2 L’expansion des blocs commerciaux est en partie le signe d’un ajustement à la fin de la guerre froide et d’une diminution de l’importance des rivalités entre les superpuissances et des considérations de sécurité dans le domaine des échanges. Le regain d’intérêt pour les Accords commerciaux régionaux constitue un moyen d’attirer des fonds d’investissements et reflète la mondialisation continue de l’industrie, du secteur manufacturier et des services. Pendant un certain temps, les Accords commerciaux régionaux ont représenté la réponse des pays qui souhaitaient libéraliser les échanges et considéraient que les pourparlers du GATT avançaient trop lentement. Jusqu’à ce jour, les accords les plus efficaces ont été ceux conclus entre les pays développés, mais de nouveaux accords commerciaux régionaux prometteurs lient maintenant les pays développés et les pays en développement.

11.3 La prolifération des Accords commerciaux régionaux soulève une question importante: dans quelle mesure contribueront-ils à renforcer ou à annuler certaines règles que l’Accord du Cycle d’Uruguay impose aux pays? Les Accords commerciaux régionaux (en particulier les associations de libre-échange) pourraient en principe établir ou conserver des arrangements commerciaux ouverts à d’autres pays ou blocs (régionalisme ouvert), mais les règles qu’ils stipulent pourraient aussi être adoptées pour servir uniquement les intérêts des pays membres au détriment des pays tiers. Dans ces cas-là, la libéralisation des échanges au sein des blocs détourne les échanges au lieu d’en créer. Ces pratiques ne sont pas autorisées par les disciplines du GATT, qui stipulent que les Accords commerciaux régionaux ne doivent pas créer d’obstacles commerciaux à l’encontre des autres pays du GATT, ni accroître ceux qui existent déjà. Tout dépendra donc de la capacité de la nouvelle Organisation mondiale du commerce à faire appliquer ces règles.

11.4 Pour les pays en développement, la participation aux Accords commerciaux régionaux peut être à la fois un bien et un mal. Les petits pays en développement économiquement faibles qui forment des blocs commerciaux avec des pays développés risquent d’avoir peu d’influence lorsqu’il s’agit d’en établir les règles. D’un autre côté, les Accords commerciaux régionaux existants qui ne lient que des pays en développement n’ont pas donné de résultats très encourageants, à cause de la faiblesse des structures économiques et de l’absence de contre-pouvoir.

11.5 Les Accords commerciaux régionaux traitent l’agriculture de manière très différente. En Europe, une Politique agricole commune et un marché régional libre englobent 15 pays et représentent une part importante des échanges mondiaux de produits agricoles. Pour sa part, l’ALENA promet l’abolition des tarifs douaniers dans 10 ans. A l’heure actuelle de nombreux accords commerciaux régionaux14 ne couvrent qu’en partie l’agriculture, car les concessions commerciales sont souvent incompatibles avec les objectifs intérieurs. En dépit de ce problème, il est peu probable que les échanges soient détournés à grande échelle. Il est possible d’accroître les échanges intrarégionaux au sein du Marché commun austral (MERCOSUR) et de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) en supprimant les obstacles internes aux échanges, alors que dans d’autres continents, la substitution des approvisionnements interrégionaux est limitée.

11.6 D’une manière générale, les effets directs des Accords commerciaux régionaux sur la sécurité alimentaire (impact sur l’agriculture) dépendront de la part qui leur revient dans les échanges mondiaux de produits agricoles et de leur comportement à l’égard des autres régions ou pays. Si les Accords commerciaux régionaux continuent à proliférer, des pressions seront exercées pour définir des politiques plus acceptables (au plan intérieur et commercial) afin que l’agriculture soit couverte comme il convient par ces accords. Cela aura une influence sur le comportement des membres des blocs à l’égard des pays tiers (dans le cas d’une zone de libre-échange) ou sur celui de l’ensemble du bloc (dans le cas d’unions douanières). Si les Accords commerciaux régionaux deviennent ainsi plus libéraux, leur effet global sera de renforcer le bien-être au niveau mondial.

11.7 Les Accords commerciaux régionaux auront un effet sur la sécurité alimentaire s’ils favorisent un renforcement (libéralisation) des échanges et contribuent de la sorte à l’efficacité de l’utilisation des ressources et à un accroissement des revenus, au niveau mondial. Si tel est le cas, ils auront au moins le mérite d’accroître les possibilités d’accès. S’ils deviennent un moyen de contourner les réformes convenues multilatéralement au sein du GATT/OMC, ils auront l’effet inverse sur la sécurité alimentaire. On ne peut guère faire d’autres observations générales quant à leurs effets sur la sécurité alimentaire.


12. Ressources naturelles et environnement

12.1 Après la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974, la communauté internationale a concentré son attention sur les questions ayant trait aux ressources naturelles et à l’environnement, aux niveaux national et international. Dans les pays en développement, les pressions sur les ressources naturelles (dégradation des terres, érosion, pénurie d’eau, déboisement et pêche irresponsable) peuvent compromettre gravement la croissance agricole et la sécurité alimentaire. On constate une prise de conscience accrue face aux problèmes écologiques de la planète. Par exemple, la conservation de la diversité biologique ou l’appauvrissement de la couche d’ozone sont des problèmes écologiques à l’échelle de la planète, alors que le débit des cours d’eau transfrontières n’intéresse parfois qu’un petit nombre de pays. Les pays comprennent de mieux en mieux que la plupart de ces problèmes ne peuvent être résolus par une seule nation ou un groupe de nations; ils transcendent les frontières nationales, suscitant une instabilité et des souffrances dans toute la région et dans le monde entier. Trop souvent, les mesures concertées nécessaires n’ont pas été prises.

12.2 Etant donné qu’un grand nombre de problèmes concernant les ressources naturelles et l’environnement intéressent plusieurs pays ou l’ensemble de la planète, il est indispensable de coordonner les mesures aux différents niveaux. En conséquence, les pays ont signé un certain nombre d’accords portant sur le partage des bienfaits prodigués par l’environnement et la conservation des ressources mondiales; en vertu de ces accords, les pays s’engagent, par le biais d’un système de négociations, d’indemnisations et de sanctions à l’encontre des non-adhérents, à se conformer à des politiques visant à résoudre les problèmes communs à tous les signataires.

12.3 La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) de 1992 est l’expression de la reconnaissance de ces questions par la communauté internationale. Dans de nombreuses régions du monde en développement, l’expansion démographique et la pénurie de terres fertiles, d’eau et de forêts ont déjà contribué à chasser les agriculteurs du secteur agricole créant ainsi une classe de réfugiés environnementaux15.

12.4 Les accords internationaux négociés pour améliorer les problèmes de l’environnement et les questions commerciales finissent par influer sur les décisions en matière de production au niveau des producteurs et les décisions en matière d’achat au niveau des ménages. Ainsi, une majorité écrasante des échanges mondiaux de poisson se font des pays en développement vers les pays développés. La Conférence des Nations Unies de 1995 sur les stocks de poissons chevauchants et les stocks de poissons grands migrateurs représente un effort louable des pays pour concilier les intérêts mondiaux en jeu avec la pêche en haute mer.

12.5 Certaines conventions internationales comme celle sur la diversité biologique, la foresterie et le changement climatique, quelle que soit leur importance, pourraient avoir un effet négatif sur les approvisionnements alimentaires mondiaux, tout au moins à court terme. Par exemple, la Convention sur le changement climatique envisage la possibilité d’imposer une taxe sur le carbone qui entraînerait une augmentation du coût de l’énergie, de nouveaux mélanges d’intrants et un changement des technologies. L’ensemble aboutirait à une augmentation des coûts de production pour les producteurs vivriers et à une élévation des prix pour les consommateurs qui s’accompagneraient d’une perte de sécurité alimentaire. En outre, comme la transformation des terres forestières en terres agricoles a été la première cause de déboisement ces 10 dernières années, les accords internationaux limitant la conversion des forêts compromettront les possibilités futures de production vivrière.

12.6 La sécurité alimentaire dépend aussi étroitement de l’approvisionnement en eau16, et les ressources hydriques sont fréquemment une cause de conflit, surtout lorsqu’elles sont rares. La valeur croissante de l’eau, le souci de sa qualité et les problèmes d’accès à cette ressource ont fait des politiques hydriques une préoccupation internationale. En Afrique, en Asie et en Amérique latine, les bassins hydriques (fleuves et lacs) partagés représentent 60 pour cent au moins de la superficie terrestre totale (Barrett, 1994). Les contestations iront en s’aggravant car le nombre d’utilisateurs ne fait qu’augmenter.

12.7 De nos jours, le développement inclut aussi des concepts d’équité et de justice entre les générations. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la communauté mondiale s’efforce collectivement de comprendre comment les actions entreprises aujourd’hui pourront influer sur l’écosystème de la planète dans 100 ans. L’incorporation d’une aussi vaste gamme de valeurs dans le concept de production vivrière durable est tout aussi nécessaire que difficile à mettre en pratique. La question que l’on se pose fréquemment est la suivante: comment utiliser les ressources aujourd’hui pour améliorer sensiblement la sécurité alimentaire mais de manière à ce que leur capacité d’engendrer une production pour les générations à venir ne soit pas diminuée?

12.8 Au niveau national, des pressions sont exercées sur les pouvoirs publics pour qu’ils prennent des mesures incitant les populations à gérer durablement les ressources de la nature et de l’environnement. Les mesures que prennent les pays varient selon les problèmes auxquels ils sont confrontés.

12.9 Les aspects nationaux et internationaux des problèmes de ressources naturelles et d’environnement ont une incidence importante sur les politiques de développement en général, et sur la sécurité alimentaire en particulier. Les problèmes se posant au niveau national peuvent contraindre les pouvoirs publics à opérer des choix difficiles entre la croissance présente et future et la sécurité alimentaire. Les dilemmes peuvent être particulièrement aigus dans le secteur agricole (y compris foresterie et pêches) où sont concentrés un grand nombre des problèmes affectant les pays en développement. En outre, les accords internationaux restreignent l’éventail des mesures que peuvent prendre les gouvernements pour influencer l’utilisation des ressources naturelles.

12.10 A long terme, les deux objectifs d’utilisation durable des ressources naturelles et de sécurité alimentaire ne sont pas antinomiques puisque, dans l’avenir prévisible, la production alimentaire dépendra des ressources en terres et en eau. Si ces ressources sont dégradées, la capacité de production future sera réduite et la sécurité alimentaire mondiale sera compromise, et probablement aussi aux niveaux national et local.

12.11 A plus court terme, les approches, notamment les politiques, que l’on adopte pour satisfaire les besoins alimentaires et garantir les revenus des populations présentes, peuvent avoir des effets négatifs sur les ressources nécessaires à la production et sur l’environnement en général. A l’inverse, les mesures prises pour protéger les ressources et l’environnement peuvent réduire la production et les revenus et, partant, la sécurité alimentaire immédiate.

12.12 En fin de compte, les politiques doivent avant tout reconnaître que la dégradation des ressources a des conséquences différentes selon les pays et les groupes de population. Pour les pays pauvres, ces conséquences peuvent être très graves car ils sont largement tributaires du potentiel de production de leurs ressources agricoles. Mais il faut bien savoir aussi que toute dégradation des ressources quelque part sur la planète, en particulier dans les principaux pays en développement exportateurs de produits vivriers, peut rendre plus difficile les problèmes de sécurité alimentaire des pays pauvres si elle réduit le potentiel mondial de production vivrière.


13. Problèmes d’emploi et marchés du travail

13.1 Le chômage et le sous-emploi ont été des phénomènes caractéristiques des économies en développement (ou du moins, les économistes sont généralement partis de ce principe) et notamment de leurs secteurs agricoles, depuis le début de l’époque postcoloniale. Au moins un des premiers modèles de développement se fondait sur l’hypothèse qu’il y avait un excédent de main-d’œuvre dans le secteur agricole. Mais l’apparition, dans les années 90, de taux de chômage relativement élevés dans un certain nombre de pays hautement industrialisés et dans tous les pays en transition constitue un fait nouveau.

13.2 La présence de personnes sans emploi ou sous-employées a des effets négatifs sur la sécurité alimentaire. Au sens global, ces personnes représentent des ressources potentiellement productives qui ne contribuent pas à la production totale. Ce gaspillage de ressources réduit le revenu total et laisse bien entendu les individus touchés et les personnes qui sont à leur charge sans recettes, ce qui a pour effet de réduire l’accès aux vivres, tant au niveau national qu’à celui des ménages. Dans la mesure où c’est surtout dans l’agriculture que ces personnes sans emploi ou sous-employées pourraient contribuer à la production, les disponibilités totales de vivres s’en trouvent réduites. Il est évident que toute diminution du revenu national entraîne une réduction de la capacité d’importations alimentaires. En conséquence, la sous-utilisation de la main-d’œuvre (ou de tout autre ressource) peut réduire les disponibilités alimentaires quelque soit le secteur bénéficiant d’un avantage comparatif.

13.3 S’il n’existe pas de consensus global sur les causes du chômage et sur les remèdes à employer, les opinions concordent en général sur quelques points. Dans les pays développés, les politiques et les institutions mises en place au fil des ans pour protéger les intérêts des travailleurs ont été à l’origine d’inélasticités dans le marché du travail et d’une augmentation du coût de la main-d’œuvre. Avec l’intégration croissante des marchés mondiaux qui deviennent plus concurrentiels, et les changements structurels qui se produisent, les marchés du travail ne sont plus suffisamment souples et efficaces pour redéployer la main-d’œuvre, d’où un chômage structurel. Dans la plupart des pays, la refonte des politiques et des institutions s’avère un processus lent et douloureux sur le plan politique et, en attendant, on compte sur des dispositifs de sécurité pour atténuer l’insécurité alimentaire.

13.4 Les pays en transition ont subi une restructuration économique et politique sans précédent, et la plupart du temps, leurs politiques ou leurs institutions étaient tout à fait inappropriées pour faciliter le fonctionnement d’un marché du travail efficace. Il est donc logique que les réformes aient entraîné un chômage massif qui a conduit à une insécurité alimentaire et à une sous-alimentation graves dans bon nombre de ces pays.

13.5 Les problèmes d’emploi des pays en développement, surtout d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud, sont par bien des aspects plus complexes et insolubles et leurs conséquences sur la sécurité alimentaire sont plus directes et plus graves. Le chômage et le sous-emploi sont dans une beaucoup plus large mesure concentrés dans le secteur rural et agricole, et ont, partant, un impact négatif direct sur deux dimensions de la sécurité alimentaire (disponibilités vivrières et accès aux vivres). Alors que les travailleurs agricoles sont sans travail ou insuffisamment employés pendant une grande partie de l’année, la disponibilité de main-d’œuvre est un sérieux facteur limitant la production agricole, car les technologies employées demandent une main-d’œuvre hautement saisonnière. Outre le fait que les marchés du travail ne sont pas bien développés, on a introduit dans l’industrie et le secteur structuré des services, ces mêmes politiques et structures qui, dans les pays développés, augmentent la rigidité des marchés et le coût de la main-d’œuvre, d’où une diminution des possibilités d’emploi saisonnier ou d’emploi non agricole à plein temps pour les populations rurales.

13.6 De nombreux pays ont adopté des politiques macroéconomiques (telles que surévaluation des taux de change et subvention des crédits et des intrants) qui incitaient à utiliser des technologies permettant de réduire la main-d’œuvre. Enfin, la plupart ont très peu investi dans les services d’éducation ou de santé pour accroître la productivité et la mobilité de leurs ressources humaines. En outre, la plupart n’ont pas compris que le fait de garantir une nutrition adéquate était tout autant un investissement en capital humain qu’une dépense de consommation courante.


14. Un environnement économique mondial en évolution: implications au niveau des politiques

14.1 L’évolution de l’environnement économique mondial a un impact sur la sécurité alimentaire des pays en développement dans la mesure où elle restreint les choix de ces mêmes pays. Dans l’économie mondiale, les politiques nationales et les instruments servant à les appliquer seront de plus en plus conditionnés directement ou indirectement par les événements extérieurs, la mondialisation, l’intégration économique, les traités concernant l’environnement et les ressources naturelles et le processus de libéralisation.

14.2 Par exemple, la conditionnalité des prêts, qui nécessite des réformes, limite directement les options possibles dans de nombreux pays en développement. Même si les pays donateurs n’assortissent pas expressément leurs prêts de conditions, le risque d’une crise économique et financière contraint les gouvernements des économies en développement à prendre des mesures pour réduire leurs déficits budgétaires et la dette publique en compressant les dépenses de l’Etat ou en augmentant les impôts. Dans ce cas, les gouvernements doivent faire des choix politiques difficiles pour répartir les réductions des dépenses entre les différents secteurs de la population. Dans une large mesure, l’allocation des ressources dépend du pouvoir relatif que les divers groupes sociaux peuvent exercer sur le gouvernement.

14.3 Pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire, la marge de manœuvre des gouvernements est limitée par le type d’interventions qu’ils sont en mesure d’entreprendre. L’austérité budgétaire et les considérations d’efficacité imposent une limitation sévère ou un abandon complet des subventions générales et des programmes d’assistance qui faussent les incitations du marché. Etant donné que ces politiques se sont avérées contre-productives dans le passé, d’autres politiques et instruments plus ciblés seront utilisés pour promouvoir la sécurité alimentaire. Pour mettre en œuvre des politiques acceptables de ce type, il faudra supprimer les goulets d’étranglements institutionnels et améliorer les capacités de gestion du secteur public.

14.4 En outre, les organisations non gouvernementales (ONG) et le secteur privé devront intervenir de façon croissante dans l’exécution des programmes de sécurité alimentaire, compte tenu de la contraction des budgets et des services gouvernementaux. De fait, les ONG ont proliféré ces dernières années et beaucoup ont joué un rôle majeur dans la prestation de services et la mise en œuvre de politiques et de programmes qui étaient antérieurement exclusivement du ressort des gouvernements. Bien que la plupart des ONG soient des organismes sérieux et responsables, elles ne devraient pas toujours être considérées comme des substituts fiables de l’Etat.

14.5 Etant donné que l’économie mondiale débouche sur un renforcement continu de la coopération et de l’intégration économiques, les politiques intérieures seront limitées par les obligations faites aux pays de se conformer aux disciplines des accords régionaux ou internationaux (y compris ceux intéressant les ressources naturelles et l’environnement) auxquels ils adhèrent. On ne pourra donc utiliser qu’un éventail plus limité de politiques intérieures moins vulnérables aux manipulations et aux considérations politiques. Dans le secteur agricole, ces accords supposent un certain niveau de discipline pour les politiques agricoles intérieures qui tenteraient de modifier la structure des prix en faveur de l’agriculture. Pour les pays qui y adhèrent, le problème est de trouver des méthodes découplées peu coûteuses propres à relancer la productivité du secteur agricole. Ces interventions peuvent notamment viser à améliorer les infrastructures, la recherche et la vulgarisation et à faciliter la création d’institutions de marchés et de crédit dans les zones rurales.

14.6 L’accentuation des déséquilibres démographiques et économiques entre les pays, et à l’intérieur même de ceux-ci, les guerres civiles et les catastrophes naturelles, les pertes d’emplois lors des transitions vers de nouveaux systèmes économiques et politiques, et l’introduction et le renforcement de systèmes d’intégration et de coopération économiques, ont grandement influé sur la mobilité de la main-d’œuvre internationale et les mouvements migratoires. Plus de 80 millions de personnes vivent aujourd’hui de façon permanente hors de leur pays et 18 millions encore ont émigré par suite de problèmes politiques ou de catastrophes naturelles. Chaque année, près de 1 million de personnes émigrent de façon définitive et 1 million de plus demande l’asile politique. L’aggravation des déséquilibres économiques entre zones rurales et urbaines a par ailleurs provoqué un exode rural dans les pays mêmes qui atteint parfois des proportions inquiétantes.

14.7 Les migrations ont des effets importants sur la sécurité alimentaire des migrants – qu’ils soient positifs ou négatifs – et par-là même sur l’économie et l’agriculture des zones d’accueil comme des pays d’origine. Bien souvent, l’émigration a apporté une contribution importante à la croissance de l’agriculture et de toute l’économie des pays d’accueil; l’argent que les travailleurs émigrés envoient chez eux est une source substantielle de revenu, de devises et de formation de capitaux ruraux; de retour chez eux, les émigrés ont rapporté des connaissances et des économies accumulées à l’étranger. D’un autre côté, malgré un paradoxe apparent, l’émigration a souvent créé des pénuries de main-d’œuvre et réduit les activités agricoles dans les pays ou les régions d’origine. Cela est dû en partie au fait que les personnes qui émigrent ont souvent un niveau d’éducation, des compétences et un dynamisme supérieurs à la moyenne. L’émigration croissante pose aussi des problèmes graves d’intégration économique et sociale dans beaucoup de pays d’accueil.

14.8 L’aggravation de ces problèmes oblige à modifier rapidement l’orientation des politiques pour s’attaquer aux racines du problème plutôt qu’à ses manifestations. Les mesures qui permettront d’accélérer les progrès vers la sécurité alimentaire universelle, des disponibilités alimentaires adéquates, la stabilité de la production vivrière et l’accès à la nourriture, y compris les initiatives visant à créer des entreprises et des emplois durables, peuvent contribuer à réduire la perte massive de ressources humaines dans les pays en développement. Elles peuvent aussi aider à limiter les dépenses importantes que les pays d’accueil consacrent à réduire l’entrée des émigrés sur leurs territoires.


15. Regards vers le passé et l’avenir

15.1 Quels enseignements utiles pour l’avenir peut-on retirer de l’expérience des deux dernières décennies? Le monde a profondément changé depuis la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974. Il peut toutefois être utile pour le temps présent d’examiner plusieurs caractéristiques de l’ancien ordre politique ainsi que les idéologies qui le sous-tendent. Les objectifs de solidarité et d’autosuffisance des pays et d’un nouvel ordre économique plus juste se manifestent aujourd’hui de plusieurs manières. Le principe de solidarité s’est élargi pour atteindre une dimension mondiale, au fur et à mesure que la prise de conscience de l’interdépendance des intérêts économiques s’est accrue. On peut considérer que la solidarité et l’autosuffisance ont évolué dans une perspective plus vaste de collaboration et d’intégration intrarégionale. Quant à l’ordre économique plus juste, tout au moins en ce qui concerne le commerce, il devait être établi grâce aux négociations récemment conclues du Cycle d’Uruguay du GATT et à la création de l’OMC. Cependant, dans le même temps, l’aide publique au développement est restée insuffisante par rapport aux besoins croissants. Les engagements officiels d’aide extérieure à l’agriculture et, partant, à la sécurité alimentaire, ont diminué en valeur réelle ces dernières années.

15.2 Quelques faits nouveaux politiques ont aussi imposé des perspectives radicalement différentes de celles qui s’offraient en 1974. Le principe de non-alignement a perdu de l’intérêt dans le contexte actuel des relations Est-Ouest et Nord-Sud. Il n’y a plus deux grandes superpuissances rivalisant pour exercer l’hégémonie sur les pays en développement. L’objectif de solidarité entre les pays a fait place à une approche plus pragmatique, et dans les alliances et accords, l’intérêt de chaque pays est davantage pris en considération. Cette nouvelle approche est illustrée par le Groupe de Cairns, au sein duquel des pays développés et des pays en développement ont collaboré pour atteindre des objectifs communs de libéralisation du commerce.

15.3 La conclusion d’accords de libre-échange entre des pays dont les niveaux de développement économique et de revenu étaient radicalement différents est aussi le signe d’un rapprochement Nord-Sud. L’accord le plus frappant à cet égard est l’ALENA; des négociations sont actuellement en cours pour élargir sa portée et créer d’autres formes d’accords économiques et commerciaux Nord-Sud. Les dissensions Nord-Sud ont aussi été atténuées du fait qu’un certain nombre de pays en développement qui s’industrialisent rapidement peuvent aujourd’hui revendiquer un statut de pays développé dans plusieurs domaines importants.

15.4 L’équilibre politique global est aujourd’hui moins polarisé autour d’influences dominantes, ce qui reflète le poids croissant d’un Japon hautement industrialisé, d’une Europe plus intégrée et d’une Asie de l’Est et du Sud-Est dynamique, où la Chine joue un rôle plus important sur la scène politique et économique mondiale.

15.5 Ces faits nouveaux sont le signe d’une amélioration générale des relations entre les pays et annoncent de meilleures perspectives pour la sécurité alimentaire mondiale. L’amélioration de la sécurité alimentaire au niveau des pays et des ménages pose cependant plus de problèmes dans ce contexte mondial. Le renforcement de la sécurité alimentaire d’un pays est fortement conditionné par sa capacité d’intégrer son économie dans la communauté internationale et de s’avérer compétitif dans un monde interdépendant. L’amélioration de la sécurité alimentaire des ménages dépend de la capacité des membres du ménage à obtenir un meilleur accès aux vivres, et est donc fonction de leur accès à l’emploi et de leur participation aux avantages d’une économie dynamique en croissance. Pour garantir la sécurité alimentaire des ménages pauvres dont la situation n’a guère de chances de s’améliorer des dispositifs de protection sociale doivent être mis en place.

15.6 Dans le même temps, le monde est confronté à des problèmes extrêmement complexes associés aux tendances nationalistes des pays en transition et aux soulèvements provoqués par des conflits politiques, religieux et ethniques. Ce processus aggrave l’insécurité alimentaire en particulier et l’insécurité en général. En démantelant, sans prendre de risques, un arsenal nucléaire d’une puissance destructrice défiant la compréhension et en évitant la prolifération dans les nouveaux Etats et ailleurs, on ne réglera qu’un des aspects du problème. En réalisant et en utilisant les ressources du dividende de la paix de manière productive, notamment pour aider les pays à améliorer leur sécurité alimentaire, on en résoudra un autre. Mais il faudra aussi aider les nouveaux Etats à se stabiliser et à consolider leur situation politique et économique. Il est fondamental que les 50 dernières années de paix à travers la crainte cèdent le pas à une nouvelle période de paix à travers le partage des richesses.

15.7 L’environnement international est aujourd’hui plus favorable à la croissance économique qu’en 1974. La libéralisation du commerce et des marchés financiers, associée à la mobilité des capitaux, incite les pays développés comme ceux en développement à améliorer leur situation en créant des possibilités d’investissement crédibles. Mais cela suppose une stabilité politique et l’existence d’institutions stables et de politiques macroéconomiques qui évitent les grands déséquilibres prolongés. La création d’un tel environnement est une tâche ardue à laquelle chaque pays doit s’atteler.

15.8 Dans les pays en développement, il existe des possibilités spécifiques d’investissement rentable, car ces pays ont un avantage comparatif pour les activités à fort coefficient de main-d’œuvre peu qualifiée. Si l’on contrecarre les tendances des pays développés à accroître le protectionnisme, sous la pression des problèmes d’ajustement du marché du travail, ces possibilités devraient être maintenues car de plus en plus de pays représentent aujourd’hui des lieux d’investissement crédibles et stables. L’augmentation des possibilités d’emploi et de gains, en particulier pour les travailleurs peu spécialisés, ne peut qu’aider les pays dans leur effort de lutte contre l’insécurité alimentaire.

15.9 Tous les pays en développement ne seront pas en mesure de tirer profit de l’augmentation des possibilités dérivant de la mondialisation de l’économie, du moins dans le futur immédiat. Quelques pays sont à la recherche du consensus politique indispensable pour entreprendre des réformes économiques qui risquent de pénaliser quelques intérêts internes à court terme; d’autres luttent pour reconstruire leurs économies et pour créer des institutions et des infrastructures adéquates. Quelques pays devront compter davantage sur leurs propres efforts, sur les ressources (épargne) générées au niveau national et sur une aide publique pendant encore plusieurs années.

15.10 Les politiques nationales visant à résoudre les problèmes intérieurs continueront d’être limitées par les obligations internationales imposées par des traités internationaux, et par les événements qui se produisent dans les marchés mondiaux qui ont une influence de plus en plus grande sur les politiques intérieures. Les pays pourraient en théorie s’isoler eux-mêmes de ces influences, mais il est peu probable qu’ils le feront, étant donné les conséquences catastrophiques qu’ont eu les politiques introverties dans le passé.

15.11 Dans un monde idéal, on peut se demander quels sont les éléments d’un ordre sociopolitique et économique particulièrement apte à éliminer l’insécurité alimentaire et la sous-alimentation – ou, en d’autres termes, à garantir des vivres pour tous? Il est difficile de s’accorder sur tous les éléments d’un ordre aussi idéal, mais il est certain que les conditions suivantes devraient être réunies:

15.12 En dernière analyse, on peut dire que la sécurité alimentaire de tout pays doit être placée sous la responsabilité et l’autorité de l’Etat, en collaboration avec les autorités locales et avec les groupements et individus concernés de la société. Une coordination et une liaison internationales sont nécessaires. La communauté et les organisations internationales peuvent être utiles mais elles ne peuvent se substituer aux actions ni à la volonté politique du pays lui-même de parvenir à la sécurité alimentaire.


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Notes

1 Pour une étude de l’exemple des Etats-Unis, voir Cassidy (1995).

Voir également le document du SMA no 4, Besoins alimentaires et croissance démographique.

3 Voir aussi Krueger, Schiff et Valdés (1991); Schiff et Valdés (1992).

4 Pour un examen plus détaillé, voir FAO (1993). Voir aussi FAO (1995b), Chapitre 7.

5 Voir Bond (1983).

6 La nécessité d’opérer une restructuration dans les pays développés n’a pas toujours été une conséquence des réformes des politiques. L’évolution rapide des technologies a souvent été à l’origine du déclin des industries, devenues obsolètes. Des changements de ce type peuvent aussi provoquer un chômage structurel, car les industries délaissent progressivement la main-d’œuvre non spécialisée au profit d’un personnel hautement qualifié.

7 Voir aussi le document du SMA no 12, L’alimentation et le commerce international.

8 Pour une analyse plus détaillée, voir chapitre 8 de Agriculture mondiale: horizon 2010 (FAO, 1995b). Pour une discussion des effets possibles sur les régions en développement et sur les principaux produits, voir Incidence du Cycle d’Uruguay sur l’agriculture. Rapport présenté à la seizième session du Comité des produits, FAO, Rome (Italie), 3-7 avril 1995 et le document du SMA no 12, L’alimentation et le commerce international.

9 Pour une comparaison entre les dispositions spécifiques de l’Accord relatif à l’agriculture et celles des programmes d’ajustement structurel, voir Konandreas (1994).

10 Voir également le document du SMA no 12, L’alimentation et le commerce international.

11 Pour plus de détails sur les diminutions de la valeur des préférences par région et par produit, voir Incidence du Cycle d’Uruguay sur l’agriculture (op. cit.).

12 Il n’est pas certain que l’instabilité des prix dérivant des chocs de l’offre sera réduite. Les simulations utilisant le Modèle alimentaire mondial de la FAO ne font pas apparaître une réduction de l’instabilité des prix à la suite de l’Uruguay Round. Elles ont abouti aux deux conclusions suivantes: «...en l’absence de stocks adéquats, un déficit de la production entraînera une montée en flèche des prix...» et «...le problème persistant de l’instabilité des cours mondiaux des produits alimentaires devra être surveillé attentivement à l’avenir et le rôle des stocks publics et privés devra être évalué». Pour de plus amples informations sur les résultats des simulations, voir FAO (1995a).

13 Voir Josling (1994) et FAO (1995b).

14 Le Traité de renforcement des relations économiques (CER) qui lie la Nouvelle-Zélande et l’Australie constitue une exception à cet égard car il couvre de façon exhaustive l’agriculture.

15 Voir Homer-Dixon, Boutwell et Rathjens (1993).

16 Voir le document du SMA no 7, Production vivrière: le rôle déterminant de l’eau.