1. Introduction

1.1Il est nécessaire, si l’on veut trouver des solutions efficaces et économiques à l’amélioration du bien-être nutritionnel, d’envisager un éventail complet de politiques et de mesures visant à résoudre, par des voies directes et indirectes, des problèmes qui se posent sous des formes et dans des circonstances extrêmement variées. Le présent document met l’accent sur les politiques liées à la nutrition, en adoptant cependant une perspective large, destinée à souligner la complémentarité des éléments suivants: les politiques indirectes touchant, par exemple, aux domaines social, économique, agricole et alimentaire; et les politiques et les programmes d’intervention directe, tels que la prise en considération des paramètres nutritionnels en agriculture, les programmes ciblés, la nutrition intégrée et les programmes de santé1.

1.2 Nous nous efforcerons donc de donner une expression conceptuelle et d’explorer les relations entre la sécurité alimentaire, l’agriculture et la nutrition; de mettre en relief les conséquences, en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, de certains choix en matière de politiques de développement alimentaire et agricole et de politiques nutritionnelles; et de formuler des recommandations en vue d’améliorer les avantages nutritionnels découlant du développement social, économique et agricole, de même que des politiques et des programmes directement tournés vers la nutrition. Ce document a pour thème principal les problèmes nutritionnels des populations pauvres dans les pays à faible revenu. Il traite également, dans une moindre mesure, les problèmes nutritionnels et les possibilités d’action qui se présentent dans les économies en transition, de même que dans les pays à revenu élevé.

LES PERSPECTIVES COMPLÉMENTAIRES EN MATIÈRE DE NUTRITION

1.3 Si l'on veut parvenir à la sécurité alimentaire et au bien-être nutritionnel pour tous, il importe que les responsables de la planification et les preneurs de décisions de chaque secteur soient conscients de l'incidence prévisible, sur la nutrition, des mesures qu'ils auront adoptées. Il faut, parallèlement, préciser les problématiques essentielles de la nutrition. On peut, en effet, considérer la malnutrition sous trois angles différents: premièrement, la non-satisfaction d'un droit fondamental de la personne; deuxièmement, un symptôme des problèmes plus larges liés à la pauvreté et au développement; et, troisièmement, l'une des causes des problèmes susmentionnés.

La nutrition en tant que droit fondamental de la personne

1.4 Si l’on considère le bien-être nutritionnel comme un droit fondamental de tout un chacun, il faut en déduire, en principe, qu’aucun compromis n’est acceptable, s’agissant du droit à l’alimentation. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1966 définit et formalise le droit à l’alimentation en tant que droit fondamental de la personne, déjà mentionné dans la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies, en 1948. En 1989, 85 Etats avaient signé le Pacte. Cependant, même si les Etats continuent de souscrire au droit à l’alimentation, ils ne l’ont pas consacré sous la forme d’obligation légale spécifique, et aucun mécanisme n’a été créé, à l’échelle nationale ou internationale, pour superviser la mise en œuvre de ce droit2.

1.5 Cette absence de formalisation ne signifie pas que le droit en question soit dénué de signification. Le consensus en la matière et sa codification fournissent un point d’appui pour sa défense et pour l’application de pressions, au niveau politique, dans les pays qui ont signé le Pacte ou les déclarations connexes.

La malnutrition en tant que symptôme de pauvreté

1.6 Si l’on considère la sous-alimentation comme un symptôme des problèmes liés à la pauvreté et au développement, c’est-à-dire comme une conséquence, il en découle que la disponibilité de nourriture et l’accès à cette dernière, qui sont principalement fonction de conditions structurelles et de l’évolution des revenus, de la production agricole et des échanges auxquels elle donne lieu, ont une incidence sur les mesures sanitaires et sur le contexte de santé en général, de même que sur le comportement et les connaissances de la population, dont l’ensemble produit une condition nutritionnelle donnée. Il est donc nécessaire d’intervenir pour rectifier les contraintes qui se font jour dans l’un ou l’autre de ces domaines.

1.7 Alors que la disponibilité alimentaire peut constituer un problème pour une partie importante de la population lorsque cette disponibilité décline et que les prix augmentent, c’est surtout pour les populations pauvres que ce problème tourne à la crise. C’est pourquoi il faut apprécier la disponibilité de nourriture dans le contexte de la pauvreté, au moment où les problèmes de disponibilité se transforment en problèmes d’accès (avec l’augmentation des prix), que ce soit au niveau national ou au niveau du ménage.

1.8Il est possible, en augmentant les revenus des ménages touchés par la malnutrition, d’améliorer leur accès à la nourriture. En effet, il existe une forte corrélation entre l’augmentation des revenus et l’accroissement de la consommation de produits autres que les aliments de base, et notamment de la viande3.

La nutrition comme condition préalable au développement

1.9 Si l’on adopte le point de vue que le bien-être nutritionnel est une condition préalable du développement, on est également amené à faire valoir que la réduction de productivité – au sens large – est en partie un résultat de la malnutrition. Ainsi, le bien-être nutritionnel des populations pauvres ne doit pas simplement être vu comme une conséquence du développement, mais comme l’une de ses conditions préalables. La corrélation entre ces deux éléments est à la fois directe et à court terme, mais également indirecte et à long terme; dans le deuxième cas, il existe également un lien étroit avec la croissance démographique.

1.10L’amélioration de la nutrition des adultes entraîne une amélioration de la productivité physique et une meilleure productivité sur le marché du travail4. La sous-nutrition entraîne des pertes substantielles de productivité, soit en raison des taux élevés de morbidité ou d’une insuffisance du développement cognitif (Masson, Jonsson et Csete, 1995; Scrimshaw, 1994)5.

1.11Etant donné que les ménages pauvres, en sus de leurs liquidités habituelles, constituent leur base patrimoniale à partir des tranches supplémentaires de revenu, ce phénomène constitue l’une des relations essentielles entre la sécurité alimentaire à court et à long termes et donc la nutrition. En effet, les ménages qui ont pu acquérir quelques biens sont moins vulnérables aux brusques déclins de leurs revenus; du fait qu’ils peuvent liquider une partie de leur patrimoine en période d’adversité, ils peuvent ainsi préserver, du moins en partie, leur niveau de sécurité alimentaire6.

1.12 Les efforts déployés par les ménages atteints par l’insécurité alimentaire pour se procurer de quoi manger peuvent également avoir des répercussions importantes pour le milieu naturel et pour l’utilisation des ressources naturelles. En effet, de nombreux ménages souffrant de précarité matérielle et alimentaire vivent dans des zones vulnérables au plan écologique (Leonard, 1989), en employant de surcroît des pratiques non appropriées, voire désespérées d’utilisation des terres, qui peuvent entraîner des dégradations environnementales mettant encore plus en péril leurs moyens de survie et ceux des générations futures.

1.13 La quête du bien-être nutritionnel peut également avoir une incidence marquée sur la situation démographique d’une région, en particulier lorsqu’elle entraîne des migrations à court ou à long terme vers d’autres régions, en vue de trouver un emploi ou une source de revenu ou encore, dans les cas extrêmes, pour trouver tout simplement de quoi manger. De telles migrations risquent d’entraîner une augmentation du nombre des ménages dirigés par une femme, un taux de dépendance plus élevé dans la région d’origine, et une altération de la dynamique du marché du travail. Les zones d’accueil, le plus souvent des bidonvilles urbains, subissent en outre, en raison de l’afflux de migrants, des pressions considérables au plan de la sécurité alimentaire.

1.14 Il existe, depuis longtemps, une relation complexe entre la nutrition et la croissance démographique. C’est seulement à moyen terme que l’on observe un lien antagonique entre la disponibilité alimentaire et la croissance démographique. A long terme, en effet, l’amélioration de la nutrition faisant partie du bien-être humain, elle peut contribuer à ralentir la croissance démographique. Il existe donc, à l’évidence, un faisceau de relations fortement positives entre, d’une part, l’amélioration de la nutrition et le développement économique (Fogel, 1994) et, d’autre part, entre le développement économique et le passage de la population d’un taux de natalité élevé associé à une faible espérance de vie à un allongement de l’espérance de vie conjugué, dans une phase ultérieure, à un abaissement de la natalité. C’est pourquoi, dans la mesure où l’amélioration de la nutrition encourage le développement économique, elle constitue également un levier fondamental dans la lutte contre le problème toujours plus sérieux de la croissance démographique.

1.15 Les auteurs de ce document acceptent les trois perspectives évoquées, à savoir celles des droits de la personne, du symptôme de pauvreté et, enfin, de la condition préalable au développement, en leur accordant une validité égale, plutôt que de les opposer entre elles. Une telle démarche encouragera peut-être la constitution de coalitions plus larges et plus influentes, à l’échelle internationale comme à l’échelon national, des coalitions de forces capables d’améliorer rapidement les conditions de la nutrition.


2. Les dimensions présentes et futures du problème de la nutrition

2.1 Le problème de la nutrition présente de nombreuses facettes, dont certaines se chevauchent ou font partie de problèmes plus vastes liés à la nutrition et à l’alimentation. Dans ce chapitre, nous nous penchons sur les questions suivantes:

COMBIEN DE PERSONNES SOUFFRENT-ELLES DE LA FAIM OU DE LA MALNUTRITION?

2.2 Compte tenu des problèmes posés par les définitions, par le dénombrement et par l'insuffisance de données, il est difficile de recenser avec précision les personnes souffrant de problèmes nutritionnels. Les difficultés liées au dénombrement découlent d'inégalités qui se manifestent au niveau de la région, de la communauté, du ménage et de ses membres, de même que de certaines dynamiques difficiles à quantifier. De nombreuses régions du monde n'ont jamais été en mesure de procéder aux investissements substantiels que suppose la mise en place de systèmes de recueil de données capables d'appréhender de façon globale la malnutrition chronique. De plus, le bien-être nutritionnel d'une population peut connaître des modifications rapides, alors que le suivi de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition dans les zones sinistrées et dans celles ravagées par des conflits armés demeure, pour des raisons évidentes, très limité. Cependant, l'absence de chiffres précis ne devrait pas entraver les efforts visant à concevoir et à mettre en œuvre des initiatives d'amélioration de la nutrition et de la sécurité alimentaire.

Mesurer la malnutrition

2.3 Plutôt que de s’appuyer sur des approximations générales, nous devons nous efforcer d’obtenir une mesure aussi précise que possible de la situation nutritionnelle réelle des populations. Les mesures anthropométriques sont, à ce propos, un instrument utile (encadré 1). Certes, l’emploi de tels détours pour apprécier la situation nutritionnelle ne permet pas d’établir des distinctions entre les différents risques nutritionnels, tels que les carences liées au régime alimentaire et aux nutriments; il faut donc employer des sources d’information et des approches diverses, afin de retracer les causes de la sous-alimentation. Quoiqu’il en soit, la prédominance du phénomène du déficit pondéral est considérée comme un indicateur important de nombreux problèmes liés à la nutrition, au niveau individuel comme au niveau d’une population (Mason, Jonsson et Csete, 1995; FAO/OMS, 1992e).

 

Encadré 1

Mesurer la situation nutritionnelle

On peut évaluer la situation nutritionnelle d’une personne en se livrant à une ou plusieurs mesures anthropométriques visant à déterminer si, en toute probabilité, cette personne est bien nourrie, sous-alimentée ou suralimentée. Cette méthode permet d’obtenir des mesures objectives des mensurations et de la composition corporelle, qui sont des indicateurs indirects de la situation nutritionnelle.
Les mesures le plus fréquemment utilisées pour évaluer la situation nutritionnelle sont basées sur la croissance et le développement des enfants, de même que sur la composition corporelle des adultes. Nous présentons l’évaluation de la situation nutritionnelle au niveau de l’enfant et de l’adulte sous forme de mesures anthropométriques: rapports entre poids et taille (par exemple, poids par rapport à la taille et, dans le cas des enfants, par rapport à l’âge), et mise en rapport de tous ces indicateurs avec l’âge et des points de référence propres à chaque sexe (seuil). Selon cette approche, le rapport taille/âge permet de mesurer le retard de croissance, tandis que le rapport poids/taille traduit l’émaciation; enfin, le poids ajusté en fonction de l’âge peut signifier qu’un enfant est exposé à un déficit pondéral. S’agissant des adultes, on retient aujourd’hui comme l’indicateur anthropométrique le plus adapté en matière de sous-alimentation ou de suralimentation, un indice de masse corporelle, le BMI, basé sur le rapport poids/taille2 (voir FAO, 1994a et OMS, 1995a).

Mesurer la sécurité alimentaire

2.4 On définit la sécurité alimentaire sous sa forme la plus élémentaire comme l’accès de tous à la nourriture dont ils ont besoin pour vivre, en tout temps, en bonne santé (FAO/OMS, 1992b). L’insécurité alimentaire est l’une des causes principales de la sous-alimentation. Compte tenu des dimensions multiples (chroniques, transitoires, à court terme et à long terme) de l’insécurité alimentaire, il ne saurait y avoir d’indicateur unique pour la mesurer (Maxwell et Frankenberger, 1992). En réalité, les indicateurs proposés se rattachent de différentes façons à la sécurité alimentaire des ménages. La relation peut être temporelle (indicateurs précurseurs, concomitants ou consécutifs), conceptuelle (consommation, nutrition, stratégie permettant de faire face, prise en compte des ressources et mesures extérieures aux ménages), et/ou fondée sur la définition (accès, suffisance, vulnérabilité et durabilité) (Csete et Maxwell, 1995).

Les meilleures estimations concernant la situation nutritionnelle

2.5 Toute description générale des principaux problèmes nutritionnels doit mettre en relief les éléments suivants:

Tableau 1

2.6La carence en vitamine A représente un problème de santé publique dans une soixantaine de pays (OMS/UNICEF, 1995), et elle touche quelque 40 millions d’enfants, environ 251 millions d’enfants présentent des carences graves ou modérées asymptomatiques (Comité administratif sur la coordination/Sous-Comité sur la nutrition ONU,1989)9. Près de 1,6 milliard de personnes (soit 29 pour cent de la population mondiale) sont exposées à une carence en iode (OMS/UNICEF/ICCIDD, 1993). Près de deux milliards d’êtres humains souffrent de carence en fer, phénomène auquel sont particulièrement exposés les femmes et les enfants d’âge préscolaire.

2.7 Au problème de la sous-alimentation s’ajoute celui du surpoids et de l’obésité dont les proportions croissantes affectent la santé publique, non seulement dans les pays riches, mais également dans les pays à revenus faible et moyen, tout particulièrement dans les zones urbaines.

Tableau 2

2.8 Le tableau 2 illustre le phénomène du déficit pondéral parmi les enfants de moins de cinq ans dans les pays en développement, en 1990. Depuis, c’est-à-dire au cours de la première moitié de la décennie, on a enregistré, dans un certain nombre de pays d’Afrique (Ethiopie, Kenya, Madagascar et Rwanda), une augmentation préoccupante de la malnutrition chez les enfants d’âge préscolaire. L’Inde fait également état d’une légère augmentation (1989-1992); en revanche, des améliorations ont récemment été annoncées pour le Bangladesh, la Chine et le Brésil (CAC/SCN ONU, 1994).

2.9 Outre les facteurs exposés plus haut, la situation nutritionnelle est déterminée par la qualité et la sécurité des aliments consommés. Ce dernier critère a une influence particulièrement déterminante pour l’adéquation de la nutrition dans les pays en développement, mais les pays industrialisés ne sont pas à l’abri des risques de contamination alimentaire (salmonellose). Dans les pays en développement, l’accès à une alimentation de qualité et saine est étroitement lié aux facteurs socioéconomiques, qui vont des conditions d’entreposage et de transformation des aliments aux structures sanitaires, en passant par la qualité de l’eau et les services de contrôle des aliments. Il est difficile d’apprécier l’importance des maladies causées par l’alimentation, car la plupart des cas ne sont pas signalés ou on n’établit pas le rapport avec la mauvaise alimentation. On estime néanmoins que jusqu’à 70 pour cent des quelque 1,5 milliard de cas de diarrhée, qui affecte les enfants de moins de cinq ans entraînant la mort de 3 millions d’entre eux, sont causés par une alimentation malsaine (FAO/OMS, 1992c).

Le phénomène de l’insécurité alimentaire

2.10 On observe un déclin des cas d’insécurité alimentaire assez graves pour dégénérer en famine. Aujourd’hui, contrairement aux années 60 et au début des années 70, voire des années 80, les symptômes évidents de famine sont limités à quelques pays africains, tels que l’Ethiopie, le Soudan et le Mozambique, dans des zones de conflit armé. Cependant, le risque de famine continue d’exister, en raison des perturbations d’origines politique, économique et environnementale, mais aussi de l’inadéquate préparation face à ces perturbations, surtout au niveau national (Drèze et Sen, 1989; Teklu, von Braun et Zaki, 1991; Webb et von Braun, 1994).

2.11 Bien que l’on observe une augmentation de la disponibilité d’énergie, de protéines et de matières grasses à l’échelle mondiale, l’offre de ces deux derniers n’a pas augmenté dans les pays les moins développés (tableaux 3 à 5). Ce constat traduit une certaine amélioration de la disponibilité mondiale de nourriture, mais pas forcément de la consommation alimentaire des populations pauvres. On peut dire, tout au moins, que la proportion des personnes dont la consommation d’énergie alimentaire est insuffisante a diminué dans toutes les régions, à l’exception de l’Afrique subsaharienne (tableau 1).

2.12Ces estimations donnent une idée approximative du phénomène de la carence alimentaire qui affecte les populations pauvres, mais ne précisent pas le tableau de l’insécurité alimentaire telle que définie plus haut. Ces estimations ne tiennent pas compte des fluctuations et des risques qui affectent l’offre de denrées alimentaires et l’accès à la nourriture. Les estimations concernant les carences alimentaires pour une période donnée – disons, telle ou telle année – tendent à minimiser le phénomène de l’insécurité alimentaire10, mais il reste difficile d’apprécier la marge d’imprécision.

Tableau 3

Tableau 4

Tableau 5

Les carences en micronutriments

2.13 Au cours de la dernière décennie, l’affinement des méthodes permettant de mesurer la teneur en nutriments ainsi que la propagation de ces méthodes, la multiplication et l’amélioration des études épidémiologiques, ainsi que les progrès accomplis, entre autres sciences, en biochimie et en immunologie, ont permis de mieux prendre conscience de l’importance cruciale des micronutriments – à savoir, les ingrédients alimentaires autres que les protéines, les sources d’énergie, les matières grasses et les fibres. Ainsi, l’importance de micronutriments tels que la vitamine A, le fer, l’iode, le zinc, le cuivre et le sélénium pour l’accomplissement de tout un éventail de fonctions vitales est à présent bien comprise, et l’on a une meilleure idée de l’incidence réelle des carences marginales. L’importance d’un tel constat ne se limite pas aux pays à faible revenu.

2.14 A l’échelle internationale, la vitamine A a fait l’objet, ces dernières années, d’une attention particulière. Il est à présent admis que la présence de quantités adéquates de cette vitamine est essentielle à tous les stades du développement corporel et du fonctionnement organique, qu’il s’agisse notamment de la différenciation cellulaire, du fonctionnement du système immunitaire ou de l’acuité visuelle. Les populations des pays en développement tirent la majeure partie de leur vitamine A des caroténoïdes d’origine végétale, dont l’absorption et l’utilisation dépendent d’un régime alimentaire suffisant en matières grasses, protéines, fer et zinc. Les causes des carences en vitamine A sont liées à toute une série de facteurs: facteurs écologiques tels que le manque d’eau pour cultiver des végétaux riches en vitamine A; les pratiques alimentaires, privilégiant par exemple des denrées à teneur insuffisante en vitamine A, ou quantité insuffisante de nourriture absorbée, même lorsqu’elle est riche en vitamine A; les facteurs étiologiques – on a observé, par exemple, que la carence en vitamine A s’accentue après des accès de diarrhée ou des maladies respiratoires (OMS/UNICEF, 1995).

2.15 Les troubles de carence en iode (IDD) représentent, à l’échelle mondiale, la cause la plus importante de lésions cérébrales et d’arriération mentale, même s’il est possible de la prévenir. Une carence en iode au cours de la grossesse risque de créer des dommages irréversibles au cerveau du foetus. Les enfants nés avec une telle carence sont exposés à une déficience de la capacité d’apprentissage et à des retards psychomoteurs. La carence en iode chez la femme enceinte, notamment au cours du premier trimestre, risque d’augmenter la proportion d’enfants mort-nés, ainsi que les fausses-couches spontanées et les anomalies congénitales (OMS/UNICEF/ICCIDD, 1993; Sullivan et al., 1995; Mannar et Dunn, 1995). Le problème de l’IDD n’est d’ailleurs pas limité au monde en développement, puisqu’il se manifeste également dans plusieurs pays d’Europe. Les déficiences en iode des terres cultivées se répercutent sur les cultures. Il est en général possible de prévenir l’IDD grâce à la consommation d’aliments ayant une teneur suffisante en iode (notamment les produits de la mer) ou de sel fortifié, même dans les régions dont les terres n’ont plus la teneur en iode nécessaire.

2.16 La carence en fer peut avoir comme origine une absorption insuffisante de ce nutriment, mais elle est également liée à des facteurs tenant au régime alimentaire, tels que la vitamine C, qui potentialise l’utilisation du fer non-héminique. A l’échelle planétaire, plus de 2 milliards de personnes sont affectées par la carence en fer. Les femmes et les enfants d’âge préscolaire sont particulièrement exposés à cette carence et, dans certaines zones, plus de 50 pour cent des femmes et des enfants souffrent d’anémie. Chez les enfants et les nouveau-nés, l’anémie conduit à des retards dans le développement physique et cognitif, de même qu’elle réduit la résistance aux infections. Chez les adultes, la carence en fer peut être cause de fatigue ou de moindre capacité au travail, de même qu’elle risque d’affecter gravement les fonctions reproductives. Chez les femmes, l’anémie est la cause d’environ 20 pour cent des décès périnataux, car elle prédispose le corps aux hémorragies et aux infections avant, pendant et après la naissance. Enfin, l’anémie durant la grossesse risque d’entraîner un retard dans la croissance du foetus, un poids à la naissance trop faible et une mortalité périnatale accrue (FAO/OMS, 1992f).

2.17 Les récentes observations confirment l’existence de carences généralisées en zinc dans les pays en développement, de même que l’incidence importante de cette carence sur les troubles de la croissance, la résistance insuffisante aux maladies infectieuses, l’augmentation du taux de mortinatalité et peut-être même les atteintes au développement cognitif. La distribution de zinc sous forme de complément nutritif a donné, de façon indéniable, dans plusieurs pays, des résultats positifs. La carence en zinc est liée à une consommation insuffisante de produits d’origine animale, qui représentent la meilleure source naturelle d’apport en zinc. De meilleures techniques de transformation des aliments pourrait améliorer l’absorption du zinc se trouvant dans les céréales et les légumes. Enfin, ce nutriment a été quelque peu négligé du fait que l’on ne disposait pas de méthodes précises permettant de mesurer son absorption par les populations (D. Alnwick, communication personnelle).

OÙ SE TRUVENT LES PERSONNES MENACÉES PAR L'INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA MALNUTRITION? QUI SONT-ELLES?

Dans certaines régions et dans les milieux ruraux

2.18 Les observateurs sont pratiquement unanimes pour désigner l’Asie méridionale, et en particulier l’Inde et le Bangladesh, comme les régions où se trouve la plus grande proportion d’enfants présentant un déficit pondéral dans le monde en développement, l’Afrique subsaharienne se trouvant au deuxième rang (tableau 2). L’incidence des carences alimentaires, exprimée sous forme d’estimation des déficiences énergétiques, est la plus élevée en Afrique et en Asie méridionale et beaucoup plus faible en Asie orientale, en Amérique latine et dans les Caraïbes. Alors que le pourcentage de personnes souffrant de déficiences énergétiques a diminué dans les populations d’Asie méridionale, leur nombre absolu a augmenté dans les populations d’Asie méridionale et d’Afrique subsaharienne (tableau 1).

2.19 S’agissant de la localisation des zones agroécologiques où sont situées les populations souffrant de déficience énergétique alimentaire, on a observé que ces déficiences sont généralement moins marquées dans les zones bien arrosées, et plus importantes dans les zones arides (Broca et Oram, 1991). Ainsi, la plupart des populations pauvres de l’Afrique subsaharienne sont situées dans la zone aride et, dans la plupart des cas, la répartition des populations pauvres est calquée sur la délimitation des différentes zones agroécologiques (Garcia et al., 1995).

2.20D’une région à l’autre, on observe que les ménages atteints par l’insécurité alimentaire peuvent appartenir à différents groupes socioéconomiques et démographiques en fonction de facteurs tels que les paramètres agroécologiques, l’accès à la terre, la diversité des sources de revenus et le degré de développement de l’économie. Les familles mal nourries sont généralement nombreuses, avec un nombre plus élevé de personnes à charge et une moyenne d’âge plus basse (von Braun et Pandya-Lorch, 1991)11. L’insécurité alimentaire frappe davantage les ménages sans terre ou pratiquement dépourvus de terre, lesquels dépendent beaucoup plus de sources de revenu moins fiables que le revenu agricole et doivent compter sur la diversification de l’économie rurale12.

Dans les zones urbaines

2.21 Dans les zones urbaines, la sécurité alimentaire des ménages est principalement fonction du taux réel de rémunération, c’est-à-dire du rapport entre les salaires et le prix des denrées alimentaires ainsi que du niveau de l’emploi. Les carences alimentaires et la malnutrition tendent à avoir une moindre incidence dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Cependant, les conditions sanitaires déplorables des quartiers pauvres, et certains aspects du mode de vie urbain entraînent parfois une différence qualitative de la situation nutritionnelle des villes par rapport aux campagnes. Dans l’avenir, le problème de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition en milieu urbain est destiné à s’aggraver, ainsi que les difficultés liées aux structures sanitaires, à la qualité de l’alimentation et à la salubrité des aliments, à mesure que s’accentuera le phénomène d’urbanisation (von Braun et al., 1992; UNICEF, 1994b). Ainsi, d’ici l’an 2025, 57 pour cent de la population africaine pourrait être urbanisée contre seulement 34 pour cent en 1990. Ce chiffre pourrait être de 52 pour cent pour l’Asie méridionale; en Amérique latine, il avait déjà atteint 72 pour cent en 1990 (ONU, 1990).

Les réfugiés et les personnes déplacées

2.22 Incapables de gagner leur vie ou de s’alimenter convenablement, souvent à cause de conflits armés ou parce qu’elles sont victimes de discriminations, d’importantes populations frappées par la pauvreté cherchent à migrer vers des régions plus pacifiques, que ce soit dans leur propre pays ou dans des pays voisins. On estime aujourd’hui à 20 millions le nombre de réfugiés, auxquels il faut ajouter 30 millions de personnes déplacées dites internes, soit un total de 50 millions de personnes (PAM, 1995). En outre, 35 millions de personnes vivent, hors de leur pays, à la recherche d’un emploi (Chen, 1992; Russell, Jacobsen et Stanley, 1990). Ces déplacements sont accompagnés de difficultés liées à l’insécurité alimentaire croissante parmi les réfugiés et les populations déplacées pauvres, de même que par des problèmes nutritionnels spécifiques (CAC/SCN ONU, 1994).

Dans les économies en transformation

2.23 Au début des années 90, le mauvais fonctionnement des marchés, l’absence de sécurité sociale et le sous-emploi ont entraîné une augmentation substantielle des groupes de population souffrant de précarité alimentaire dans certaines des économies en transition. Le phénomène de la pauvreté absolue s’est accentué, et les symptômes de carence nutritionnelle sont particulièrement répandus dans les pays d’Asie centrale et dans certaines régions de la Fédération de Russie. Dans la Fédération de Russie, selon des estimations préliminaires de 1993, 3,6 pour cent des enfants âgés de moins de deux ans étaient en déficit pondéral, et 21 pour cent d’entre eux souffraient d’un retard de croissance. Au cours de la même période, on a observé une forte incidence de l’obésité parmi les Russes adultes, soit 20 pour cent des personnes âgées de 30 à 59 ans (Mroz et Popkin, 1995). On a également vu augmenter l’importance de l’accès aux terres cultivables pour la sécurité alimentaire des ménages. Ainsi, dans la Fédération de Russie, 25 millions de ménages obtiennent une bonne partie de leur alimentation de base grâce aux parcelles familiales. Le revenu tiré en nature et en espèces des parcelles familiales est, par exemple, de quelque 26 pour cent dans la Fédération de Russie occidentale et leur contribution à la ration calorique des ménages est grande. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les 25 pour cent les plus pauvres des ménages tirent moins de nourriture et un moindre revenu – non seulement en termes absolus mais aussi en termes relatifs – de leurs parcelles familiales (8 pour cent du revenu) que les 25 pour cent de tête dans la répartition du revenu (32 pour cent de leur revenu) (von Braun et al., 1996).

Dans les pays industrialisés

2.24 Dans les pays à revenu élevé et parmi les catégories favorisées des pays à revenu faible et moyen, les causes principales de régimes alimentaires malsains sont liées aux modes de comportement et de vie choisis, à la stratification sociale et au défaut de connaissances (FAO/OMS, 1992d). Dans les pays industrialisés en particulier, on a constaté de plus en plus, au cours des 40 dernières années, que certaines maladies chroniques et non contagieuses étaient étroitement liées à l’alimentation et à certains aspects du mode de vie, tels que le stress, l’insuffisance d’activité physique et le tabagisme. On a observé que ces facteurs étaient particulièrement décisifs pour ce qui est de l’obésité, des maladies cardio-vasculaires, de l’hypertension, de l’embolie cérébrale, du diabète mellitus (indépendant de l’insuline), de diverses formes de cancer et des maladies hépatiques et gastro-intestinales. Ces maladies sont la cause de plus de 70 pour cent des décès survenant dans les pays développés (FAO/OMS, 1992f). Les problèmes liés à l’alimentation et leurs conséquences pour la santé entraînent des coûts substantiels pour la société, coûts qui ont été estimés, en Allemagne, à 50 milliards de dollars EU par an (Kohlmeier et al., 1993). Au cours des décennies 80 et 90, à mesure que s’aggravaient les distorsions dans la distribution des revenus des pays industrialisés d’Amérique du Nord et d’Europe et que l’on réduisait les prestations sociales parallèlement à la montée du chômage, on a vu s’accentuer les besoins d’une assistance alimentaire pour les groupes à faible revenu (Feichtinger, 1995). Les personnes sans domicile fixe sont particulièrement vulnérables à l’insécurité alimentaire.

LES DÉFIS POSÉS PAR LA PRESSION DÉMOGRAPHIQUE ET LES CHANGEMENTS ÉCONOMIQUES

2.25 Selon des projections réalistes concernant la malnutrition, les approches actuellement retenues ainsi que les engagements qui ont été pris ne devraient pas permettre d'atteindre les objectifs adoptés lors du Sommet mondial pour l'enfance et de la Conférence internationale sur la nutrition (CIN), à savoir parvenir à «réduire de façon substantielle la malnutrition des enfants d'ici l'an 2000» (FAO/OMS, 1992a). Selon un scénario optimiste, il restera encore, en l'an 2020, une centaine de millions d'enfants d'âge préscolaire mal nourris. Selon une hypothèse pessimiste, ce chiffre devrait atteindre 200 millions d'enfants d'ici l'an 2000 et demeurer à ce niveau jusqu'à l'an 2020 (Garcia, 1994). En revanche, selon l'hypothèse optimiste, le nombre absolu d'enfants d'âge préscolaire en déficit pondéral connaîtra une réduction dans toutes les régions en développement, à l'exception de l'Afrique subsaharienne. Dans cette région, le nombre des enfants mal nourris devrait atteindre 34 millions d'ici l'an 2020, même si l'incidence du phénomène ne change pas, en raison principalement de la croissance démographique. S'agissant de la Chine et de l'Asie du Sud-Est, on s'attend au contraire à une amélioration, puisque le nombre d'enfants en déficit pondéral devrait y tomber de 44 millions en 1990 à 6 millions en 2020 (Garcia, 1994). Ainsi, pour ces régions et pour quelques autres, les buts fixés pourraient bien être atteints.

2.26 Dans un monde de plus en plus intégré du fait des échanges commerciaux et des liens politico-économiques entre les pays, la disponibilité d’une alimentation suffisante revêt une importance croissante pour la sécurité alimentaire et la nutrition des ménages. Jusqu’ici, la production alimentaire mondiale a suivi la croissance démographique (FAO, 1996). Cependant, à long terme, on ne saurait considérer la disponibilité de nourriture à l’échelle mondiale comme garantie, compte tenu de la croissance démographique, de la pénurie toujours plus aiguë de terres arables, et des difficultés que pose de plus en plus la recherche d’augmentation durable du rendement des récoltes (Pinstrup-Andersen, 1994). On prévoit que, d’ici l’an 2025, la population de la planète sera de 8,47 milliards d’habitants, dont 61 pour cent vivront dans les grandes agglomérations (Bongaarts, 1995), une bonne partie des populations rurales se trouvant reléguée sur des terres marginales à faible productivité.

2.27Les projections dont on dispose indiquent que, jusqu’à l’an 2010 (FAO, 1995c), la croissance démographique absorbera environ 90 pour cent de l’augmentation que connaîtra la demande mondiale de nourriture (céréales). Cependant, comme l’expliquent d’autres documents d’information techniques13 dans de nombreux pays en développement, la modification des habitudes alimentaires aura une incidence marquée sur la progression de la demande. L’augmentation des revenus, l’urbanisation, le meilleur fonctionnement des circuits de distribution, la compétitivité des prix et l’offre d’un plus grand éventail de denrées, entraîneront une diversification des habitudes alimentaires et une moindre dépendance à l’égard de quelques denrées de base. On estime que, pour ces pays en développement, la consommation par habitant augmentera de 2,2 à 2,4 pour cent par an au cours de la période 1990-2010. La consommation annuelle de céréales passera ainsi à 250-255 kg par habitant, alors qu’elle était de 237 kg pour la période 1989-1991; on estime, par ailleurs, que cette augmentation sera principalement attribuable à la demande indirecte, c’est-à-dire à la consommation sous forme d’alimentation animale. La consommation humaine de céréales, quant à elle, devrait demeurer relativement stable.

2.28 Les projections FAO des disponibilités alimentaires par région suggèrent que dans l’avenir les problèmes alimentaires se concentreront en Afrique subsaharienne et en Asie méridionale; les disponibilités dans toutes les autres régions devraient être suffisantes en l’an 2010 car la croissance de la production agricole devrait suivre celle des besoins alimentaires. Selon les projections de la FAO reproduites au tableau 6, en l’an 2010 (FAO, 1995c), les pays en développement auront une disponibilité moyenne de 2 730 Calories par habitant et par jour. Dans ces pays, la sous-alimentation chronique affectera près de 11 pour cent de la population, soit quelque 637 millions de personnes. Ce chiffre mondial escamote cependant d’importantes disparités régionales. Ainsi, dans trois régions (le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, l’Asie de l’est et l’Amérique latine et les Caraïbes), on prévoit un apport quotidien de 3 000 Calories, la sous-alimentation chronique affectant entre 4 et 6 pour cent de la population. Quant à l’Asie méridionale, avec 2 450 Calories par jour, et surtout l’Afrique subsaharienne, avec 2 170 Calories par jour, c’est dans ces deux régions que, d’ici l’an 2010, la disponibilité énergétique par habitant devrait être la plus basse.

Tableau 6

2.29 La situation alimentaire et nutritionnelle de l’avenir n’a rien d’un destin inéluctable; au contraire, elle est fonction des mesures qui seront prises. Ce constat se trouve aisément confirmé lorsqu’on tire les conséquences, au plan de la disponibilité alimentaire, de différentes hypothèses mettant en jeu une diversité de politiques de population et d’investissement. Les tableaux 7 et 8 illustrent les scénarios établis par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) concernant les prévisions de disponibilité alimentaire et de malnutrition pour les enfants d’âge préscolaire. Selon un scénario de référence, l’offre alimentaire augmentera dans toutes les régions en développement, à l’exception de l’Afrique subsaharienne. Cette plus grande disponibilité pourrait entraîner une réduction du pourcentage d’enfants en déficit pondéral. D’où l’importance décisive des investissements sous-tendant une productivité agricole durable, question sur laquelle nous reviendrons plus loin. Par ailleurs, les effets positifs d’une telle politique devraient se faire sentir d’ici environ 25 ans, sous forme de ralentissement de la croissance démographique (Rosegrant, Agcaoili-Sombilla et Perez, 1995).

Tableau 7

Tableau 8


3. Des mesures de redressement basées sur une compréhension des causes de la malnutrition

CAUSES ET RELATIONS

3.1 Dans la présente section, nous nous proposons de tracer un vaste cadre des causes de la malnutrition, avant de passer à un examen plus spécifique des relations entre l'agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition. La pauvreté, avec la vulnérabilité qu'elle entraîne à l'égard des perturbations naturelles ou de celles provoquées par l'homme, est l'une des causes essentielles de la faim et de la malnutrition. On peut cependant considérer la pauvreté et sa dynamique comme un résultat endogène lié à l'insuffisance des ressources humaines et naturelles et à un choix de politiques erronées (voir plus haut). En effet, si les causes profondes de la malnutrition, telles que les politiques inadaptées, la pauvreté et la croissance démographique demeurent sans réponse, alors les programmes adoptés par les pouvoirs publics comme les initiatives privées (telles que les stratégies concernant les ménages) ne réussiront que très partiellement à améliorer la nutrition de manière durable.

3.2 Dans la figure, la ligne supérieure représente les principales causes des difficultés: des stratégies et des politiques économiques se heurtant à la discrimination et aux conflits sociaux; des ressources naturelles tributaires du climat et vulnérables aux catastrophes, avec des répercussions inévitables sur les niveaux de pauvreté et sur la disponibilité alimentaire; enfin, la croissance démographique. Ces facteurs affectent directement le succès de tout programme d’action, comme les subventions et les distributions de biens d’actif. Cette figure vise à illustrer à quel point il importe d’attaquer les problèmes nutritionnels à la racine, en raison de la prédominance des relations en aval. Faute d’une telle approche, les mesures d’ordre public figurant dans la deuxième ligne (services, transferts, etc.) sont destinées à rester des remèdes partiels.

3.3 Les politiques (en matière de salaires, par exemple) et les interventions telles que les programmes d’emploi destinés à réduire la pauvreté présentent une interaction au niveau du capital, de la main-d’œuvre et des marchés de produits. Ces relations déterminent les prix et les termes de l’échange imposés aux populations pauvres et, partant, leur pouvoir d’achat réel.

3.4 Le bien-être nutritionnel est lié au marché de la main-d’œuvre et à la productivité de cette dernière, ainsi qu’à la population par le biais de la mortalité, de la fécondité et des migrations; il peut être influencé par des interventions directes, sous forme de services, notamment médicaux, sociaux ou éducatifs et sous forme de transferts et de subventions. Nous évoquerons brièvement, ci-après, ces relations et leurs répercussions au plan de la politique de développement. Nous voyons donc que le bien-être nutritionnel est déterminé par plusieurs facteurs interdépendants, au niveau micro, comme l’illustre la partie inférieure de la figure:

 

Figure

LA (MAL)NUTRITION VUE DANS UN CONTEXTE LARGE: CAUSES ET RELATIONS FONDAMENTALES

3.5 Parmi les facteurs de bien-être nutritionnel les plus directement liés à l’alimentation, il faut mettre en relief la quantité et la qualité du régime alimentaire, sa variété et sa composition et en particulier, la présence de produits d’origine animale et d’autres aliments riches en micronutriments et en énergie, de même que le mode de transformation et de préparation des aliments, la fréquence des repas et, pour les nourrissons, le rôle joué par l’allaitement. Au nombre des facteurs moins directement liés à l’alimentation, il faut inscrire, par exemple, la manière dont sont employés le temps et les connaissances des femmes, avec les répercussions au plan nutritionnel, notamment sur l’incidence de l’allaitement, des soins prodigués aux enfants et des facteurs médicaux sanitaires.

3.6 L’augmentation du revenu du ménage, si elle améliore l’accès à la nourriture, ne contribue pas toujours directement à améliorer le bien-être nutritionnel de tous les membres de la famille. En effet, les décisions prises à l’intérieur du ménage ont une incidence sur ce bien-être (Alderman et al., 1995), tout comme les connaissances et le degré de responsabilité. La façon dont le budget familial répartit les dépenses n’est pas forcément optimale au plan nutritionnel, alors qu’elle peut sembler parfaitement rationnelle au responsable de la famille. La nutrition n’est que l’une des nombreuses considérations prises en compte lorsque sont établies les priorités de dépenses et de consommation. Par manque de connaissances à l’égard des besoins nutritionnels des membres de la famille, on risque de ne pas se procurer les aliments nécessaires, même lorsqu’ils sont disponibles. Ce problème peut être aggravé par des informations erronées provenant de l’extérieur et par la promotion d’aliments inappropriés. De plus, l’état de santé et la situation nutritionnelle des enfants sont directement affectés par la qualité des soins (UNICEF, 1995b).

3.7 Les femmes, alors même qu’elles jouent un rôle éminent en tant que gardiennes de la sécurité alimentaire du foyer et de la nutrition des enfants, outre de nombreuses autres responsabilités, liées à la nourriture mais également à l’économie et à la procréation au sein de la famille, ne disposent souvent pas d’une maîtrise correspondante des ressources ou d’un pouvoir de décision. Ce phénomène est l’une des causes de la vulnérabilité accrue des femmes pauvres aux risques nutritionnels.

LES RELATIONS ENTRE L'AGRICULTURE, LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION

3.8 Le lien le plus évident entre l'agriculture et la nutrition tient au fait que l'agriculture (y compris l'aquaculture) fournit la quasi-totalité de la nourriture consommée par l'humanité. Un régime sain exige une production locale diversifiée d'articles périssables (par exemple, légumes frais provenant de marchés ou de parcelles familiales) et l'accessibilité d'articles commercialisés à l'échelle régionale ou internationale. Les besoins alimentaires doivent donc être pris en considération pour la promotion de la production, de la technologie et des échanges commerciaux. La promotion de la technologie doit être focalisée non seulement sur la quantité d'aliments de base à produire mais aussi, par exemple, sur les besoins alimentaires différents des pauvres (ainsi, il faut assurer la disponibilité de légumineuses dans les régions où elles sont un élément important du régime). Nous chercherons ici à mettre l'accent sur les relations moins évidentes entre l'agriculture et la nutrition, celles qui découlent de la façon dont la technologie est utilisée en agriculture. Nous examinerons ces relations entre agriculture et nutrition dans deux ensembles de conditions différentes: en présence et en l'absence de nouvelles technologies agricoles. La première condition met en valeur les technologies de contrôle de l'eau, des semences, de nutrition et de protection des plantes, tandis que la deuxième privilégie l'expansion agricole dans les zones marginales.

3.9 Dans le premier cas, c’est-à-dire lorsque de nouvelles technologies agricoles sont disponibles,l’expansion de l’agriculture grâce au recours à des technologies appropriées s’accompagne habituellement d’une progression du revenu et des dépenses consacrées à l’achat de biens et services, y compris dans des secteurs non agricoles, si bien que les effets bénéfiques de la croissance de la branche agricole se font sentir dans toute l’économie. Il importe de souligner à nouveau les effets favorables de cette consommation pour les producteurs et les consommateurs des pays à faible revenu. En effet, la création et la divulgation de technologies agricoles propres à améliorer la nutrition continuent de représenter un défi; nous analysons, dans le chapitre 4 ci-après, les mesures visant à répondre aux besoins de consommation actuels et futurs.

3.10 Cependant, en dehors des effets liés à la consommation, notre connaissance des liens entre la nutrition et la santé, d’une part, et la technologie agricole, d’autre part, est incomplète. Il y a lieu de se préoccuper, dans ce domaine, des répercussions indirectes que peuvent avoir les variations de revenu et du taux d’emploi sur la consommation (par exemple, lorsque les populations pauvres ne peuvent pas bénéficier de la technologie agricole) ainsi que des effets de la technologie sur la santé. Ainsi, la question des maladies à vecteur hydrique et celle des pesticides figurent au premier plan des préoccupations de santé lorsqu’on examine l’ensemble technologique destiné à combiner le contrôle de l’eau, des semences, de la nutrition des plantes et leur protection (tableau 9).

Tableau 9

3.11 Dans la deuxième hypothèse, la croissance agricole sans amélioration technique n’est possible que pendant une période limitée, par le biais d’une surexploitation des ressources et d’une expansion des terres cultivées – lorsqu’on dispose de terres excédentaires et de la main-d’œuvre nécessaire. Une telle croissance n’augmente pas les revenus et elle n’est pas durable. En outre, elle conduit généralement à une détérioration des ressources. Cependant, les ménages dont l’approvisionnement alimentaire est précaire ne se livrent pas de gaieté de cœur à de telles dégradations; bien au contraire, ils sont en général pleinement conscients du risque que fait peser la dégradation de l’environnement sur leur sécurité alimentaire (Davies, Leach et David, 1991). Une bonne part des destructions infligées à l’environnement, telles que le déboisement et l’érosion des sols, peut être attribuée à la lutte des populations pauvres pour se nourrir (Vosti et Scherr, 1994). On a estimé que la moitié des agriculteurs pauvres du continent africain vivent dans un environnement dont la base de ressources naturelles est extrêmement vulnérable. En Amérique latine, ce chiffre est de l’ordre de 80 pour cent (Leonard, 1989). Par ailleurs, dans les zones marginales, une technologie agricole appropriée peut contribuer considérablement à stabiliser la disponibilité de nourriture et à faciliter l’accès des populations pauvres à cette nourriture. Lorsque l’agriculture s’étend aux zones marginales ou lorsqu’on surexploite les ressources, il faut craindre une dégradation environnementale de niveaux primaire et secondaire (tableau 10).

Tableau 10

3.12 D’importantes étendues de la zone aride sont menacées de désertification. Les zones susceptibles de sécheresse situées en lisière des déserts sont traditionnellement utilisées par des populations de pasteurs; cependant, cette utilisation traditionnelle entraîne toute une série de risques environnementaux liés, notamment, aux systèmes d’utilisation des sols. Au cours des dernières décennies, ces populations se sont trouvées de plus en plus prises dans l’étau formé par une agriculture vivrière plus extensive et, d’autre part, l’empiétement du désert. De ce fait, la vulnérabilité nutritionnelle de ces populations pastorales s’est accrue (Webb et Reardon, 1992).

3.13 Bon nombre de régions situées à flanc de colline, dans les pays à faible revenu, ont une forte densité de présence humaine par rapport aux surfaces cultivées et sont contraintes à la subsistance en raison des carences de l’infrastructure et des marchés, mais aussi de l’insécurité alimentaire. Malgré cela, la culture des collines représente un apport majeur à l’agriculture tropicale. Quant aux relations entre agriculture, sécurité alimentaire et nutrition au plan local, elles sont fortement influencées par le temps consacré à l’acquisition d’éléments touchant à la santé et à la nutrition, et particulièrement de l’eau et du combustible. Ainsi, le manque de combustible ou la réduction du temps consacré à la cuisson risquent d’entraîner une consommation accrue d’aliments non cuits ou réchauffés, avec une augmentation correspondante des risques nutritionnels.

3.14 La pression exercée par l’expansion de l’agriculture dans la forêt tropicale peut prendre plusieurs formes: le dégagement de pâturages, la sylviculture, la culture semi-nomade ou la rotation des terres par des fermiers installés. Quelle que soit sa forme, l’expansion de l’agriculture dans la forêt tropicale peut affecter la santé et la nutrition des nouveaux venus comme des indigènes. La malnutrition qui frappe les communautés vivant dans la forêt tropicale est très étroitement liée aux maladies infectieuses ou transportées par un vecteur. Ainsi, les fermiers qui viennent s’installer dans la région de l’Amazone accusent une incidence disproportionnée de malaria, car ils n’ont pas développé l’immunisation naturelle des populations installées dans cette région depuis longtemps (Vosti et Loker, 1990).

3.15 En résumé, les risques nutritionnels affectent de façon multiple les différents groupes de ménages et leurs membres (tableau 11). On observe les carences nutritionnelles les plus graves lorsque les membres particulièrement vulnérables du ménage sont frappés par la matérialisation simultanée de deux ou plusieurs risques, pouvant se conjuguer de bien des manières. Si l’on veut améliorer la nutrition, il faut identifier les risques spécifiques à une situation et mettre au point des moyens efficaces pour les réduire.

Tableau 11


4. Les politiques et les mesures qui s'imposent pour améliorer la nutrition

LES INITIATIVES DÉJÀ PRISES À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE

4.1 C'est le constat d'une situation nutritionnelle insatisfaisante et des risques que réserve l'avenir qui ont incité à la convocation du Sommet mondial de l'alimentation de 1996. Il paraît donc naturel de se demander quelles ont été les initiatives internationales prises, dans le passé, en faveur de la sécurité alimentaire et du bien-être nutritionnel, et quels enseignements en ont été tirés. Cette approche nous permet de fonder les nouvelles initiatives sur un acquis de savoir-faire, de mettre à profit l'expérience institutionnelle en matière d'amélioration de la nutrition, et de nous assurer que les engagements pris antérieurement dans ce domaine sont respectés et prolongés.

4.2 L’importance de l’élimination de la faim et de la malnutrition, et la nécessité d’améliorer la sécurité alimentaire de tous, ont été proclamées à l’occasion de nombreuses conférences et initiatives. Au cours des 50 dernières années, ces initiatives internationales ont pris la forme d’un ensemble cohérent de propositions de mesures à l’échelle internationale. Nous donnons en annexe un bref aperçu des principaux objectifs touchant à la nutrition retenus dans le cadre d’importantes conférences et initiatives.

4.3 Alors que nombre d’initiatives antérieures avaient pour thèmes la faim et la malnutrition, le souci d’améliorer la situation ne se traduisait pas toujours par des mesures concrètes. De plus, toutes ces initiatives étaient capables de mobiliser l’attention lors de leur lancement, mais, bien trop souvent, il n’y avait guère de liens entre les engagements pris en matière d’amélioration nutritionnelle et les mécanismes garantissant un suivi efficace. C’est ainsi que le Sommet mondial pour l’enfance et la CIN ont incité à l’adoption de mécanismes de suivi des objectifs nutritionnels contenus dans certains plans d’action antérieurs. Même s’il demeure possible de renforcer encore de tels mécanismes, il est intéressant de remarquer que, de manière générale, les organisations internationales concernées, et en particulier l’UNICEF (1994a), la FAO (1995a) et l’OMS (1995b), ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG), tendent aujourd’hui à adopter des processus de suivi plus concrets en ce qui concerne les initiatives internationales tournées vers la nutrition.

4.4 Au cours des cinq dernières décennies, un certain nombre de conférences scientifiques et orientées vers l’action que nous ne mentionnons pas ici, ont, sans aucun doute, influencé les principes et l’orientation technique des manifestations majeures décrites plus haut. Il faut également citer, en rapport avec la pauvreté et la nutrition, les initiatives internationales portant sur les aspects sociaux (Sommet social de 1995, Copenhague, Danemark), sur les droits de la femme (Conférence mondiale sur les femmes de 1995, Beijing, Chine) et le Programme Action 21 de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro, Brésil, 1992).

4.5 A l’évidence, la masse de connaissances à mettre au service de mesures appropriées destinées à éliminer la faim et la malnutrition a considérablement augmenté au cours des cinq dernières décennies. En outre, l’attention se concentre aujourd’hui davantage sur le bien-être nutritionnel des générations futures, les besoins alimentaires d’une population mondiale croissante et les solutions aux problèmes alimentaires respectueuses de l’environnement. On comprend mieux aujourd’hui l’importance de l’élaboration d’un cadre approprié de politiques, le rôle essentiel des ressources humaines et le rôle joué par les droits de la personne humaine dans l’amélioration nutritionnelle, mais il reste à intégrer ces éléments aux priorités adoptées à l’échelle mondiale. Cependant, même si l’on reconnaît, de manière générale, la complexité des problèmes de nutrition, il importe que soit renouvelé l’engagement de prendre des mesures présentant l’envergure requise.

LES POLITIQUES, LES PROGRAMMES ET LEUR IMPACT

4.6 Il n'existe pas un ensemble général de politiques représentant une solution optimale et incontestée au problème du bien-être nutritionnel de tous, mais plutôt un vaste éventail d'options parmi lesquelles choisir, une fois que l'on aura satisfait à un certain nombre de préalables. Les politiques et les programmes proposés ci-dessous sont structurés en fonction de la description, proposée précédemment, des principales causes de la malnutrition.

4.7 Il est nécessaire, lorsqu’on opère des choix de garder à l’esprit les caractéristiques suivantes du problème de la nutrition: son incidence et sa gravité, sa durée, à court ou à long terme, son lien éventuel avec une carence spécifique ou sa nature générale, sa répartition, afin de déterminer si elle frappe un groupe spécifique de population ou si elle se propage plus largement, ainsi que l’importance relative des différents facteurs déterminants. Semblables informations sont nécessaires pour guider les responsables politiques et évaluer les actions entreprises pour lesquelles des systèmes courants de surveillance de l’alimentation et de la nutrition doivent être mis au point. Il faut également tenir compte des capacités institutionnelles des pays impliqués et des coûts économiques, politiques et budgétaires des différentes options.

4.8 Les participants à la CIN ont débattu de ces questions dans le cadre des thèmes «intégrer dans les politiques et programmes de développement des objectifs, des considérations et des éléments d’ordre nutritionnel», «évaluer, analyser et suivre les interventions nutritionnelles», et «améliorer la sécurité alimentaire des ménages», lors de l’examen des stratégies et des mesures généralement adoptées pour améliorer la nutrition. Les mesures débattues allaient des politiques macroéconomiques, c’est-à-dire la correction de politiques erronées, jusqu’aux politiques agricoles ou celles concernant le revenu, en passant par des interventions nutritionnelles spécifiques. Certaines de ces mesures ne sont pas des options mais des préalables à un développement destiné à réduire la pauvreté. Elles constituent le cadre macroéconomique approprié et, dans les pays à faible revenu, elles supposent une prise en compte adéquate du rôle de l’agriculture.

Le rôle critique de la stratégie, de la macroéconomie et des échanges commerciaux

4.9 Les effets, sur la longue durée, des stratégies alternatives de développement en matière de croissance et de réduction de la pauvreté ont démontré le rôle déterminant des choix stratégiques. Parallèlement, les effets à court terme, sur les populations pauvres, des ajustements structurels malheureux opérés au cours des années 80 dans des pays à faible revenu, ont mis en relief la pertinence des politiques macroéconomiques en matière de nutrition (Pinstrup-Andersen, 1990). C’est pourquoi il y a lieu de considérer non seulement les effets des politiques alimentaires et agricoles, mais aussi les initiatives non agricoles et celles intéressant l’ensemble de l’économie et leurs répercussions sur les besoins nutritionnels.

4.10 Ainsi que l’ont démontré les expériences de pays et d’Etats comme la Chine, Sri Lanka, le Costa Rica et l’Etat de Kérala en Inde (Drèze et Sen, 1989), entre autres, des mesures d’envergure nationale adoptées par les pouvoirs publics peuvent contribuer de façon considérable à réduire la malnutrition, même dans les pays dont le revenu par habitant est faible. Nous précisons cependant que la durabilité des mesures d’ordre public est tributaire d’un contexte macroéconomique et commercial favorable à la croissance. Même si le financement public est justifié, il n’est pas toujours nécessaire de faire appel à des organismes publics pour la fourniture de biens et de services liés à la nutrition. Il importe que soit fixée une division appropriée des responsabilités et des fonctions entre les différents niveaux de gouvernement, les ONG et le marché (Streeten, 1994), et que soit aussi bien définie la complémentarité entre les forces du marché et les interventions découlant de la planification nationale. On ne manquera pas, tout au long du processus, d’encourager la coopération entre secteur public et secteur privé. Pour atteindre ces objectifs nutritionnels, il importe de ne pas négliger ces considérations stratégiques.

4.11 La disponibilité de nourriture à l’échelle régionale, nationale ou locale est essentiellement déterminée par la production alimentaire, le stockage et les échanges à chacun de ces niveaux. Des fluctuations atteignant l’un quelconque de ces paramètres risquent de contribuer à l’insécurité alimentaire. A titre d’exemple, on a démontré que lorsque la production céréalière fluctue de manière plus marquée aux niveaux régional et national, la consommation alimentaire s’en trouve sensiblement affectée. Les pouvoirs publics peuvent atténuer ces fluctuations, mais leur capacité d’intervention dépend du degré de développement des pays concernés (Sahn et von Braun, 1989). A court terme, tout au moins, les augmentations que l’on observe actuellement (1995-1996) dans les prix des denrées alimentaires ont des effets négatifs sur des populations pauvres des pays à faible revenu et à déficit vivrier. Compte tenu de l’évolution rapide des contextes commerciaux aux niveaux international et régional, les mesures concernant l’entreposage et le commerce des denrées alimentaires nécessitent une attention renouvelée. Bien souvent, les responsables sont fermement convaincus que, pour garantir la sécurité alimentaire, il faut organiser un certain entreposage sous le contrôle des pouvoirs publics. Si l’on veut parvenir à la stabilisation souhaitée en matière de disponibilité et de prix des aliments, il faut tenir compte de paramètres importants pour la définition des besoins en entreposage d’un pays, tels que les fluctuations de la production, l’infrastructure, l’emplacement et la diversification sectorielle. Il faut aussi que les efforts de stabilisation soient en harmonie avec les risques spécifiques à un pays en matière de production (par exemple, vulnérabilité des zones agricoles aux sécheresses et aux inondations) et en matière d’échanges commerciaux (pays enclavés, par exemple) (Sarris,1985). Il faut également tenir compte des coûts administratifs et d’opportunité des ressources investies dans la stabilisation14. Les avantages se manifestent sous forme de stabilisation du climat des investissements et d’une atténuation des difficultés d’adaptation à court terme des ménages15. Cependant certaines observations militent en faveur d’une approche minimaliste en matière de stabilisation des prix (Knudsen et Nash, 1990).

4.12 Les fluctuations du potentiel d’importation de denrées alimentaires d’un pays – lequel dépend des recettes d’exportation, des prix mondiaux, mais aussi, entre autres variables, des obligations liées au service de la dette – contribuent également à l’insécurité alimentaire. Pour bon nombre de pays, déficitaires au plan vivrier comme au plan des devises, le recours au marché international reste limité, et l’aide alimentaire représente une forme importante d’accès à la nourriture. En outre, les variations saisonnières de la production et l’augmentation, également saisonnière, des prix des denrées alimentaires, peuvent entraîner une dégradation de la situation nutritionnelle (Sahn, 1989). Cette question relève de la politique nationale.

4.13 L’offre et la demande d’aide alimentaire au niveau mondial, de même que l’allocation de cette aide entre les pays, sont régies par des facteurs complexes, qui ne comprennent pas seulement les forces du marché et les efforts caritatifs, mais également les facteurs politiques. Bien qu’ayant joué un rôle critique pour certains pays en période de crise, l’aide alimentaire n’est pas une source fiable de nourriture pour les pays à faible revenu et à déficit vivrier; on a observé, en effet, qu’en période d’augmentation des prix mondiaux, la fourniture d’aide alimentaire par des donateurs diminue généralement. Cette corrélation a été confirmée une fois de plus au milieu des années 90, lorsque les politiques des pays industrialisés ont changé de cap alors même que la demande augmentait (en Asie orientale, par exemple) et que l’offre baissait (Europe orientale, notamment); les prix des céréales sur les marchés internationaux enregistrèrent alors une augmentation de 30 à 40 pour cent, et en 1995, les livraisons d’aide alimentaire n’atteignaient plus que la moitié des niveaux record de 1992-1993 (FAO,1995b)16.

Les politiques et programmes visant à augmenter la production et la commercialisation des produits agricoles

4.14 Les programmes dont l’objet est d’augmenter la production et la productivité agricole vivrière et non vivrière ont des effets favorables sur la nutrition lorsqu’ils réussissent, de façon directe ou indirecte, à accroître ou à stabiliser les revenus réels ainsi que la consommation alimentaire des personnes confrontées à l’insécurité alimentaire. L’incidence de ces programmes est médiatisée par l’évolution des prix et des revenus liée à la production alimentaire, et elle est influencée par les politiques commerciales, analysées dans d’autres documents techniques du SMA17. En stimulant la production agricole, on stimule la croissance économique globale et le développement, en particulier dans les pays dont l’économie est fortement tributaire de l’agriculture. Dans ces pays, le développement agricole et rural est un propulseur du développement économique durable et de la réduction de la pauvreté. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’une plus grande autosuffisance alimentaire devrait être le but, quoique l’on reconnaisse que l’augmentation de l’offre a un double effet sur la sécurité alimentaire, grâce à la réduction des prix: les ménages ruraux et urbains peuvent mieux se nourrir; le nombre des emplois augmente.

4.15 Les innovations techniques appropriées, dans le domaine agricole, réduisent le coût unitaire de production et de commercialisation et entraînent des gains économiques grâce à une stimulation de la croissance économique, une amélioration des perspectives d’emploi, et un accroissement de l’offre de denrées alimentaires; tous ces facteurs profitent aux producteurs comme aux consommateurs des catégories pauvres et contribuent à réduire l’insécurité alimentaire. La révolution verte, à savoir l’ensemble de techniques appliquées à la culture du riz et du blé et qui portent sur l’irrigation, les semences, les engrais et la lutte contre les ravageurs, a notamment entraîné une augmentation de la production, non seulement au niveau des exploitations agricoles mais également des autres entreprises, tout en stimulant l’emploi et les salaires, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire (Hazell et Ramasamy, 1991)18. Ce sont les organisations et les réseaux de recherche, aux niveaux national et international, qui représentent les éléments moteurs des innovations techniques nécessaires à une croissance agricole durable permettant de mettre les quantités de nourriture nécessaires à la disposition d’une population mondiale en expansion. Si l’on veut atteindre, de façon indirecte, les objectifs nutritionnels fixés, il est nécessaire de relancer les actions entreprises afin d’accélérer l’innovation technologique dans de nombreuses régions à prédominance de petites exploitations19.

4.16 La prise en considération des aspects nutritionnels lors de l’élaboration des politiques et programmes visant à encourager la production peut permettre d’éviter les effets négatifs évoqués plus haut tout en favorisant le bien-être nutritionnel. Ainsi, la recherche portant sur les espèces et variétés végétales peut avoir des effets favorables sur la qualité de l’alimentation, notamment lorsqu’on arrive à incorporer des micronutriments faisant défaut à certaines cultures de base (Bouis, 1995), ou lorsqu’on améliore l’aptitude à l’entreposage de certains produits. La recherche agricole à l’échelle internationale joue également un rôle clef dans ce domaine et son financement, dans des proportions adéquates, doit constituer une priorité des efforts consentis pour la sécurité alimentaire et l’amélioration nutritionnelle. Pendant des décennies encore, l’élaboration et la mise à l’épreuve de technologies adaptées aux diverses situations agroécologiques représenteront une tâche majeure. Il importe, en effet, d’atténuer les risques que représentent l’évolution technologique pour la santé et la nutrition, et cet objectif ouvre de larges perspectives de collaboration entre les spécialistes et les chercheurs en matière d’agriculture, de santé publique et de nutrition, afin d’améliorer la conception des programmes agricoles.

4.17 La commercialisation des produits agricoles contribue fréquemment à améliorer la sécurité alimentaire car elle permet d’accroître les revenus et de créer des emplois. En règle générale, les augmentations de revenus réels provenant de cette commercialisation se traduisent par une amélioration de la consommation alimentaire et par un plus grand bien-être nutritionnel. Les bénéficiaires peuvent acheter davantage de nourriture tout en travaillant moins, ce qui leur permet de mieux s’occuper de leurs enfants, d’améliorer les conditions sanitaires de leurs logements et de leurs quartiers, réduisant ainsi leur vulnérabilité aux maladies infectieuses, d’améliorer leur approvisionnement en eau du point de vue quantitatif et qualitatif, et de renforcer la demande effective de soins préventifs et curatifs. De plus, lorsque les ressources du ménage sont moins précaires, ses membres sont mieux placés pour mettre en œuvre un savoir-faire préexistant ou fraîchement acquis en matière d’amélioration nutritionnelle. On observe, en tout cas, une corrélation, entre l’augmentation du revenu et une amélioration sensible de la nutrition20.

4.18 Il est fréquent que les petits exploitants s’efforcent de maintenir, parallèlement à leur nouvelle production commerciale, une certaine production vivrière de subsistance, et cela en dépit des rendements supérieurs que permettent les cultures de rente. Les plus pauvres sont contraints, plus que tous les autres, à une telle stratégie. Compte tenu de leur situation économique précaire et de l’inexistence d’un marché de l’assurance, le maintien d’une production alimentaire pour satisfaire leurs propres besoins peut être une stratégie judicieuse. La politique agricole peut leur venir en aide en encourageant des améliorations technologiques de la production et de la manutention des aliments de subsistance, par exemple en améliorant la transformation aux fins de la conservation des produits, en particulier ceux qui ne sont que saisonnièrement disponibles. En outre, une telle politique donne de nouvelles perspectives de spécialisation au niveau de l’exploitation, mais aussi de gains supplémentaires pour les petits exploitants désireux de s’intégrer au circuit des échanges commerciaux.

4.19 Le développement des marchés financiers et des assurances représenterait un volet complémentaire, dont la rentabilité serait garantie par les gains provenant de la commercialisation. Il est essentiel d’appliquer des politiques tournées vers la recherche et la divulgation, et s’appuyant sur l’offre d’intrants tels que les semences et les fertilisants destinés aux cultures de subsistance, si l’on veut mettre sur pied une stratégie de commercialisation viable et répondant aux besoins des petits exploitants. Les services de divulgation des programmes de commercialisation visant notamment à promouvoir de nouvelles espèces de cultures ou de bétail, peuvent éviter aux exploitants certaines erreurs de gestion. Il faudra, à ce propos, mettre en relief de façon explicite l’importance des femmes, car celles-ci ne participent généralement pas aux initiatives liées à la commercialisation lorsque ces dernières ne sont pas spécialement aménagées à cet effet.

4.20 Dans certains cas, cependant, les catégories pauvres n’ont pas tiré avantage de l’évolution technologique ou de la commercialisation, et en ont même pâti. Ces conséquences négatives étaient alors, en général, attribuables à des politiques erronées telles que l’éviction des fermiers locataires21, la production forcée, ou l’achat imposé. Il demeure important, en général, de rectifier ces politiques; mais il ne s’agit pas d’un problème spécifique à la commercialisation dans le secteur agricole.

4.21 Alors que les ménages propriétaires terriens sont souvent les principaux bénéficiaires des effets directs de la croissance agricole sur les revenus, les petits exploitants ou même les paysans sans terre en situation de précarité alimentaire sont souvent les mieux placés pour tirer profit des effets indirects sur la création d’emplois extérieurs à la ferme. De tels effets sont encouragés par le développement des infrastructures (Ahmed et Hossain, 1990). Le développement de l’infrastructure rurale représente également une priorité pour la sécurité alimentaire ou la nutrition, car il constitue une contribution préalable à un fonctionnement efficace des services ruraux. Il paraît donc nécessaire de chercher à réduire les coûts élevés de commercialisation grâce à une amélioration de l’infrastructure (comme dans la majeure partie de l’Afrique subsaharienne).

L’amélioration nutritionnelle grâce aux programmes de création d’emplois et de revenus

4.22 La malnutrition peut être combattue non seulement au moyen de politiques et de programmes visant à améliorer la quantité et la qualité de la production agricole, mais également par des programmes tendant à créer et à diversifier l’emploi et les revenus, ainsi qu’à réduire la pauvreté. Ces programmes, qui stimulent ou stabilisent la demande alimentaire, ne contribuent pas nécessairement de façon directe à l’augmentation de l’offre dans ce domaine. A ce propos, deux types d’initiatives méritent d’être soulignés: les programmes d’emploi visant à renforcer la sécurité alimentaire, et les crédits aux populations pauvres destinés à stabiliser la consommation et à favoriser le travail indépendant. On peut également citer, dans la même veine, la promotion des cultures vivrières et de l’élevage de bétail à l’échelon domestique.

4.23 Les programmes d’emplois tournés vers la sécurité alimentaire permettent de traiter en parallèle trois problèmes centraux auxquels sont confrontés de nombreux pays à faible revenu: l’insécurité alimentaire, la croissance du chômage et les carences en matière de l’infrastructure (von Braun, 1995). Il convient de donner la priorité aux investissements publics qui promeuvent le développement par le biais de programmes d’emploi et, partant, la création d’actifs productifs tels que les réseaux routiers et l’amélioration des ressources en terre et en eau. Les programmes d’emplois peuvent également jouer un rôle utile dans la prévention de la famine, comme l’a démontré le Programme de garantie de l’emploi (EGS) du Maharashtra, en Inde22. Le mécanisme de l’EGS déclenche également la mise en œuvre, au niveau local, de «travaux de secours en cas de nécessité»; il s’agit de chantiers déjà existants, qui peuvent être relancés rapidement au lieu de devoir être mis sur pied de toutes pièces en cas de crise. Cette méthode permet également de réagir à des urgences locales, dont l’échelle, trop modeste, n’est pas de nature à déclencher une action gouvernementale – leçon à garder à l’esprit face aux famines localisées d’Afrique. Le groupe ciblé par les programmes d’emploi, c’est-à-dire les personnes confrontées à l’insécurité alimentaire, est atteint au moyen de plusieurs procédés tels que la politique de fixation des salaires, le ciblage régional et la sélection de catégories spécifiques de ménages, par exemple les ménages déplacés, ou de membres des ménages, par exemple les femmes. Ces dernières participent fréquemment et dans une forte proportion aux programmes de travaux publics, qui améliorent de façon sensible la nutrition. Il importe d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le potentiel que représente ce type de programme et sur la possibilité de profiter du savoir-faire acquis dans ce domaine par de nombreux pays au cours des années 80 et 90.

4.24 L’octroi de crédits destinés à stabiliser la consommation et à favoriser le travail indépendant est également un mécanisme de plus en plus utilisé pour l’amélioration de la nutrition dans les économies rurales en cours de diversification de nombreux pays à faible et à moyen revenu. Face à ce double objectif, les programmes qui ont rencontré le plus de succès sont ceux qui conjuguent les crédits sur petite échelle avec une campagne de motivation du groupe, des conseils techniques et une assistance dans la formation d’institutions, à l’exemple de la Grameen Bank du Bangladesh23. L’expérience tirée de programmes analogues dans plusieurs pays a démontré, entre temps, qu’un meilleur accès des populations pauvres aux services financiers est de nature à stabiliser de façon substantielle la consommation alimentaire – à l’échelon saisonnier ou sur plusieurs années – améliorant ainsi la nutrition. Cette dernière se trouve également améliorée du fait que les catégories pauvres peuvent davantage bénéficier, lorsque le besoin s’en présente (Zeller, 1995), de services présentant un lien avec la nutrition, tels que les services de santé et les médicaments. Il faudra toutefois travailler davantage à mettre au point des filets de sécurité pour le remboursement du crédit, spécialement à l’intention des agriculteurs les plus pauvres. Cela parce que les mauvaises récoltes imputables à la sécheresse ou à l’irrégularité des pluies ne sont pas rares dans certaines parties de l’Afrique, le résultat final étant que les agriculteurs les plus pauvres ne sont pas en mesure de rembourser les prêts qui leur ont été faits et qu’ils peuvent se retrouver dans une plus grande insécurité alimentaire qu’auparavant. Il y a lieu de mentionner, entre autres initiatives, celle de la Banque mondiale visant à renforcer, à l’échelle internationale, les réseaux de crédit destinés aux populations pauvres (Binswanger et Landell-Mills, 1995).

Les subventions à l’alimentation, les rations alimentaires et les bons d’alimentation

4.25 Les transferts de revenu liés à l’alimentation représentent un moyen largement utilisé pour améliorer la nutrition. Nous examinerons ici deux types de programmes: les subventions visant à réduire les prix des aliments et la distribution de rations, et les bons d’alimentation.

4.26 Il n’est pas possible de procéder à une évaluation précise, au plan économique, des systèmes de distribution de denrées alimentaires en s’appuyant sur des données provenant des coûts et des avantages observés durant les années normales. Dans les pays et dans les régions exposés à des pénuries graves et fréquentes, la présence d’un réseau public de distribution permet d’acheminer des approvisionnements d’urgence vers les régions et les ménages en difficulté, afin d’améliorer la sécurité alimentaire des groupes les plus démunis. On considère que c’est grâce à la présence de tels réseaux de distribution de denrées alimentaires que l’on a réussi, en Inde, à préserver la sécurité alimentaire et les niveaux nutritionnels des personnes les plus pauvres en période de sécheresse (Drèze, 1988). Or, il n’est pas facile de remobiliser de tels réseaux une fois qu’ils ont été démantelés. Il existe cependant une solution de rechange, économiquement rentable mais plus exigeante au plan de l’organisation: un système de programmes de création d’emplois et d’aide directe à la nutrition, tel que nous le décrivons ci-dessous.

Les mesures directes d’aide à la nutrition

4.27 C’est lorsqu’ils sont organisés de manière à faire appel à la participation active des personnes les plus touchées que les programmes d’aide directe à la nutrition, tournés vers les problèmes immédiats, donnent leurs meilleurs résultats. Ces mesures visent à combler les lacunes en matière d’accès à la nourriture, par le biais, notamment, de compléments alimentaires ou de programmes ciblés d’alimentation, mais ils cherchent aussi à combattre certaines carences nutritives spécifiques, dans le domaine des micronutriments par exemple, à diffuser des connaissances en matière de nutrition et de comportement, à renforcer les liens déficients entre la nutrition et la santé, par la promotion des programmes de soins et d’hygiène ou à associer tous ces éléments au sein de programmes intégrés de nutrition. Au cours de la dernière décennie, on a amélioré de façon considérable l’efficacité des interventions directes en matière nutritionnelle. Il faut également souligner les perspectives prometteuses d’un renforcement supplémentaire des meilleures méthodes mises en œuvre par ces programmes, et leur potentiel d’amélioration rapide de la situation nutritionnelle.

Les programmes ciblés de compléments alimentaires

4.28 Ces programmes sont généralement destinés aux personnes particulièrement vulnérables sur le plan nutritionnel, en général les enfants ou les femmes en âge de procréer, appartenant aux catégories défavorisées. Le ciblage des programmes d’alimentation et de distribution d’aliments se fait selon différentes méthodes, parmi lesquelles les tests de moyens et les tests de vulnérabilité24. Les programmes d’alimentation sont souvent mieux acceptés, aux plans politique et social, s’agissant de mise en œuvre de programmes ciblés de transferts de revenus. Les résultats obtenus avec de tels programmes pour ce qui est de l’amélioration de la nutrition sont toutefois divers.

4.29 Les programmes de distribution d’aliments dans les écoles ont un double objet, la participation scolaire et les problèmes nutritionnels des écoliers. De nombreux pays ont des programmes efficaces dans ce domaine, qu’ils associent à l’éducation nutritionnelle et à l’enseignement du jardinage à l’école. Dans les pays à faible revenu, où l’on ne réussit pas à scolariser tous les enfants, ces programmes d’alimentation en milieu scolaire risquent de ne pas atteindre les plus nécessiteux. Il demeure que le Food for Education Programme du Bangladesh, par exemple, avait montré que de telles initiatives contribuaient grandement à renforcer le taux d’inscription scolaire, à promouvoir l’assiduité et à réduire les taux d’abandon, contribuant ainsi, par le biais de l’éducation, à l’obtention d’effets nutritionnels à long terme; en outre, ces programmes peuvent constituer un mécanisme extrêmement économique de transferts ciblés axés sur l’alimentation (Ahmed et Billah, 1994).

Les programmes de micronutriments

4.30 Au cours de la dernière décennie, des mesures de grande envergure ont été prises, avec succès, afin de pallier les carences en micronutriments. Les initiatives coordonnées à l’échelle internationale qui ont été prises dans ce domaine ont considérablement modifié la situation. Il demeure toutefois nécessaire d’intensifier les efforts pour surmonter les carences en micronutriments et leurs effets nuisibles. Il faut, pour cela, entreprendre une série d’actions concertées pour garantir la disponibilité d’aliments riches en micronutriments, la promotion de techniques adéquates de transformation et de préservation, la divulgation de connaissances en matière d’alimentation et de nutrition, la diversification des régimes alimentaires par la production et la consommation d’aliments riches en micronutriments, l’adoption de mesures législatives pour la fortification des aliments et l’incorporation de compléments et appliquer des mesures appropriées de santé publique (FAO/OMS, 1992a). Même si l’on tend à se laisser convaincre, par exemple, que les carences en vitamine A doivent être combattues, à court terme, par la fortification et, à long terme, par une amélioration du régime alimentaire, le choix effectif des options et de leur calendrier d’application dépend étroitement de la situation de la population, de même que du potentiel d’organisation et des caractéristiques des circuits économiques de l’alimentation. Une initiative très largement couronnée de succès a été mise à l’échelle mondiale pour réduire la carence en iode par l’iodation du sel.

4.31 Dans le domaine des micronutriments, plusieurs organismes ont fixé des objectifs spécifiques. Pour atteindre ces derniers, il faut insister sur les éléments suivants. En premier lieu, entreprendre des campagnes de persuasion au niveau des politiques, mais aussi du milieu social, et lancer des campagnes publicitaires commerciales afin d’augmenter la demande des consommateurs à l’égard des aliments riches en micronutriments ou fortifiés. S’agissant de la fortification des aliments, il faut encourager le secteur privé à s’y conformer au moyen d’incitations supplémentaires, tout en édifiant un cadre réglementaire garant de la mise en vigueur. Il faut également, en coopération avec l’industrie pharmaceutique, améliorer l’efficacité et le champ d’action des livraisons dans ce secteur. Enfin, il importe d’élaborer et de gérer des programmes décentralisés et durables tout en renforçant la capacité institutionnelle et les ressources humaines. De tels efforts devront être suivis au moyen de systèmes d’information de gestion (Banque mondiale, 1994).

La promotion de régimes alimentaires et de modes de vie sains par l’éducation

4.32 La promotion de meilleures habitudes alimentaires et une attitude positive à l’égard de la santé représentent l’une des tâches essentielles de l’effort global entrepris pour améliorer la nutrition. Les populations doivent non seulement avoir accès à un large éventail de nourriture saine et accessible; mais il faut également les informer avec précision sur ce qui constitue un régime sain et sur la façon de satisfaire les besoins nutritionnels. Au-delà de l’éducation proprement dite, les stratégies de promotion de régimes alimentaires sains doivent créer les motivations nécessaires et offrir aux populations la possibilité de modifier leur comportement, tout en tenant compte des préférences, du mode de vie et des contraintes de temps propres à chacun (FAO/OMS, 1992d).

4.33 Dans certains pays, des lignes directrices concernant le régime alimentaire ont été émises par les pouvoirs publics et des organismes privés. En outre, des établissements scientifiques ont fixé des normes alimentaires à l’intention de la population. En règle générale, ces normes visent à aider à éduquer la population en matière de bonnes pratiques alimentaires, et à préciser la quantité et la nature d’une alimentation destinée à éviter les carences et à répondre aux besoins de la quasi-totalité de la population. Ces paramètres ont été largement utilisés pour la planification et l’acquisition des stocks d’aliments nécessaires aux sous-groupes de populations, mais aussi pour préciser les normes régissant les programmes d’alimentation et pour servir de base à l’étiquetage des produits alimentaires. Plus récemment, les pouvoirs publics et les organismes privés ont émis des lignes directrices inspirées par une préoccupation croissante à l’égard des maladies non contagieuses liées à l’alimentation. On y trouve des conseils, adaptés à la population du pays, sur la façon de sélectionner un régime équilibré et on y encourage un mode de vie propice à une bonne santé, y compris l’allaitement. Ces lignes directrices diététiques atteignent leur utilité maximale lorsqu’elles servent de base et fournissent les principes directeurs à l’ensemble des messages éducatifs ayant pour thème la nutrition et largement diffusés à travers le public.

4.34 L’étiquetage des produits alimentaires et les indications nutritionnelles peuvent aider les consommateurs à se nourrir de façon saine. Les informations concernant le contenu nutritif figurant sur l’étiquette sont de nature à favoriser l’application des lignes directrices diététiques. La Commission du Codex alimentarius FAO/OMS a élaboré, à l’intention des gouvernements, des lignes directrices concernant l’étiquetage des produits alimentaires qui s’appliquent à tous les aliments préemballés et aux aliments destinés à la restauration. Le rôle de l’industrie alimentaire, pour ce qui est de la promotion de régimes propices à une bonne santé, réside principalement dans l’élaboration et la commercialisation d’un éventail de produits sains et de bonne qualité pouvant contribuer à une saine alimentation (FAO/OMS, 1992f).

4.35 La promotion de l’allaitement et de meilleures pratiques de sevrage revêt une importance fondamentale. L’éducation alimentaire et nutritionnelle fait partie des initiatives à prendre à cet effet: elle ne se limite pas à divulguer des données, elle doit aussi modifier les comportements (Berg, 1987). Dans certains milieux, les familles sont apparemment bien nourries, mais, à l’examen, des carences individuelles apparaissent. La malnutrition peut alors avoir pour cause la mauvaise répartition de la nourriture au sein de la famille, des pratiques erronées en matière d’allaitement, la mauvaise alimentation des enfants, la fréquence insuffisante des prises d’aliments, la diarrhée ou autres maladies, ainsi que la manière dont on s’occupe des enfants; bon nombre de ces facteurs peuvent être modifiés par un changement de comportement. Le Plan d’action pour la nutrition de la CIN (FAO/OMS, 1992a) réclame la mise en œuvre de programmes d’éducation nutritionnelle axés sur la communauté. Entre temps, de telles initiatives ont démontré leur rentabilité et semblent avoir un impact extrêmement prometteur25. La FAO a lancé toute une série d’activités pour favoriser l’éducation nutritionnelle à tous les niveaux, notamment les mass-médias, les écoles primaires et secondaires, les communautés dont on encourage la participation, et la formation supérieure. L’initiative «Profitons au mieux de notre nourriture» (FAO, 1994b) s’inscrit dans cet effort. Il importe, toutefois, de garder à l’esprit les limites de ces campagnes de sensibilisation. En effet, de nombreux changements de comportement hautement souhaitables nécessitent, outre le temps, les ressources nécessaires de la part des ménages ciblés. C’est pourquoi l’éducation en matière nutritionnelle a toutes les chances d’être plus efficace si elle est associée à des mesures visant à réduire la pauvreté et à améliorer la nutrition. Une attention accrue à la nutrition des jeunes enfants est aussi un élément de la Baby-Friendly Hospital Initiative, OMS/UNICEF, à laquelle participent 4 000 hôpitaux du monde entier.

La protection des consommateurs par une alimentation de meilleure qualité et plus saine

4.36 Une nutrition adéquate suppose un approvisionnement suffisant en nourriture de même qu’en eau saine et de qualité. La nourriture doit être disponible en quantité suffisante, être variée et offrir un contenu nutritif approprié. Elle ne doit pas contenir d’agents chimiques, biologiques et autres risquant de mettre en danger la santé du consommateur et elle doit être présentée de façon honnête. Le contrôle de la salubrité et de la qualité garantit que les caractéristiques exigées des aliments sont conservées tout au long du cycle de production, manutention, transformation, emballage, distribution et préparation. C’est ainsi que l’on obtient des régimes alimentaires sains, une réduction des gaspillages et une promotion des échanges commerciaux intérieurs et internationaux de denrées alimentaires. La notion de qualité englobe les aspects liés à la composition des aliments et à leur salubrité. Les consommateurs disposent d’un droit à un approvisionnement en nourriture saine et de bonne qualité et l’exercice de ce droit suppose, de la part des pouvoirs publics comme de l’industrie alimentaire, que soient prises les mesures nécessaires. Il importe de mettre sur pied des programmes efficaces de contrôle de la qualité et de la salubrité des aliments, pouvant englober toute une série de mesures, telles que les lois, les règlements et les normes, de même que des systèmes d’inspection efficaces et de surveillance de la conformité incluant des analyses en laboratoire.

Le lien nutrition-santé et les programmes intégrés de nutrition

4.37 Etant donné que la nutrition représente un problème multiforme, il semble logique d’élaborer des politiques et des programmes également polymorphes, de manière à atteindre efficacement l’objectif de l’amélioration nutritionnelle. L’une des méthodes les plus efficaces, lorsqu’on souhaite identifier et cibler les interventions nécessaires au plan de la nutrition et de la santé, consiste à suivre la croissance d’un enfant. C’est pourquoi la CIN a lancé, en 1992, un appel aux gouvernements pour qu’ils élaborent et qu’ils renforcent les systèmes de suivi et de promotion de la croissance, ainsi que la surveillance de la nutrition dans les réseaux de soins médicaux primaires. Même si une telle surveillance, à elle seule, ne modifie pas nécessairement la situation de santé, elle permet d’obtenir des informations importantes, pouvant se traduire sur le terrain sous forme de compléments nutritifs, de formation nutritionnelle et, au besoin, d’orientation vers les services médicaux (UNICEF,1994a; Miller Del Rosso, 1992). C’est ainsi que le Projet de nutrition intégrée Tamil Nadu associe la surveillance universelle de la croissance des jeunes enfants et les conseils nutritionnels destinés à leur mère, au moyen d’interventions ciblées (alimentation in situ, bilans médicaux, services sanitaires) pour les enfants jugés à risque au plan nutritionnel26.

4.38 Au cours des années 80, la Thaïlande a réussi à réduire de façon spectaculaire l’incidence de la malnutrition (de 15 pour cent à moins de 1 pour cent pour la malnutrition de modérée à sévère) grâce à l’adoption d’une approche intégrée pour répondre aux besoins fondamentaux minimaux (Tontisirin, 1994). Ce succès est principalement attribuable à des facteurs tels que l’engagement politique, le perfectionnement professionnel du personnel de santé et la prise de mesures concrètes visant à créer une collaboration et une planification intersectorielles, mais aussi une intégration de la nutrition aux efforts touchant au domaine social et à la santé, et la conception de programmes visant à améliorer la vie des populations en faisant appel aux membres de la collectivité en tant qu’agents du changement et non pas simplement récipiendaires des services gouvernementaux. Il est indéniable que le succès obtenu par la Thaïlande a également été favorisé par un contexte économique propice; il n’en demeure pas moins que l’élimination du problème posé par la nutrition était considérée comme une condition préalable au développement. Les enseignements tirés des approches intégrées ayant fait leurs preuves en matière d’amélioration nutritionnelle indiquent clairement qu’un traitement efficace du problème de la nutrition ne saurait s’accommoder d’approches sectorielles étroites axées, de façon compartimentée, sur la santé, l’agriculture et l’éducation. Parmi les autres enseignements à retenir, il faut citer: la liaison étroite avec les autorités locales, qui sont les mieux placées pour apprécier les priorités locales et s’y adapter; la planification et la formation intégrées des ressources humaines, tout en maintenant une mise en œuvre sectorielle.

La prévention des crises et les secours d’urgence

4.39 De plus en plus, les situations de crise pèsent sur les ressources allouées, à l’échelle nationale et internationale, aux actions mentionnées plus haut en vue d’une sécurité alimentaire et d’une amélioration nutritionnelle à caractère durable. Les crises traduisent souvent un manque de préparation et d’engagement politique. Qui dit préparation dit engagement des pouvoirs publics à intervenir de façon efficace et en temps utile; constitution d’un potentiel institutionnel aux niveaux international, national, régional et local; détection et diagnostic dès les premiers signes de malaise; élaboration continue de programmes et de projets; et mise en œuvre d’une intervention de secours en temps de crise. Des progrès considérables ont été accomplis depuis les années 70, puisqu’il existe aujourd’hui des systèmes d’alerte avancée efficaces à l’échelle internationale, tels que ceux utilisés par la FAO, le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) et l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID).

4.40 Au niveau national, la préparation en vue des crises concerne principalement les phénomènes naturels et économiques, tandis que pour les conflits armés, c’est au niveau international que doivent être prises les mesures de prévention. Celles évoquées plus haut, telles que le stockage, les politiques commerciales et l’allocation de l’aide alimentaire – y compris sous forme de programmes de secours par l’emploi – font partie intégrante des activités liées à l’état de préparation et à la réaction aux crises. Pour être efficaces, les secours d’urgence nécessitent que l’on dispose de nourriture, de capitaux et d’un réseau institutionnel. Bien souvent, les ONG jouent un rôle essentiel pour combler les lacunes institutionnelles, que ce soit en mettant sur pied des structures parallèles d’intervention d’urgence pour pallier les carences des pouvoirs publics, ou en s’intégrant à l’action des services publics existants.

4.41 Pour être efficace, une action de secours nécessite la création, par les pouvoirs publics, d’un organisme doté de pouvoirs exécutifs quant aux mesures à prendre en matière de manutention et de distribution de la nourriture – y compris l’aide alimentaire d’urgence provenant de donateurs – et opérant à travers un réseau ramifié aux niveaux régional, provincial et local. Il importe également que soit établi un cadre législatif bien structuré pour les opérations de secours, mettant en œuvre les lignes directrices vis-à-vis desquelles les autorités centrales et locales se sont engagées. Les opérations de secours pourront s’appuyer sur toutes les activités susceptibles de garantir, à court terme, la sécurité alimentaire des familles, telles que les programmes d’alimentation ciblés, la distribution d’aliments à l’échelle nationale, l’augmentation des importations de denrées alimentaires par les circuits commerciaux et l’aide alimentaire, le renforcement des programmes d’emploi et l’accès des ménages au crédit. L’expérience a démontré qu’il est difficile, en situation de crise, de cibler avec précision l’aide octroyée (Buchanan-Smith, 1990). Or, en l’absence d’une intervention efficace, les crises alimentaires entraînent, le plus souvent, des problèmes de santé et une détérioration au niveau nutritionnel (Drèze et Sen, 1989; Webb et von Braun, 1994).

LES COÛTS

4.42 Il est certain que l'on ne peut vaincre la malnutrition sans mettre à contribution, de façon substantielle, les budgets nationaux. Cependant, en laissant perdurer ce phénomène, on s'expose à des coûts économiques bien plus importants. En effet, la malnutrition représente, sans conteste possible, le plus grave gaspillage, à l'échelle planétaire, de ressources économiques potentielles – à savoir les vies de millions de personnes offrant un potentiel de production pour le présent et pour l'avenir – et constitue probablement le plus grave échec en matière de fonctionnement des mécanismes du marché. C'est pourquoi tout examen des dépenses à entreprendre doit également tenir compte des avantages auxquels il faudrait renoncer comme conséquence de l'inaction. De ce fait, un examen qui se contenterait de mettre en relief les dépenses budgétaires, sans faire une place légitime aux résultats bénéfiques, ne représenterait pas la réalité.

4.43 Lorsqu’on étudie les coûts liés à l’amélioration de la nutrition, il faut adopter comme principe directeur l’obtention rapide et durable de résultats précis en matière nutritionnelle, au moyen d’une panoplie de mesures aux coûts aussi modestes que possible. Ce souci d’emploi rationnel des ressources devrait conduire à une utilisation optimale d’ensembles intégrés de mesures, plutôt qu’à la sélection d’une méthode unique et à un recours excessif aux interventions à court terme. De fait, les approches intégrées se sont avérées particulièrement rentables lorsqu’on opère dans un contexte macroéconomique offrant la croissance nécessaire. Le succès d’une telle démarche dépend, dans une grande mesure, des investissements consentis par les pouvoirs publics en vue de créer un potentiel de recherche et d’organisation pour la mise en œuvre de politiques et de programmes touchant à l’alimentation et à la nutrition.

MESURES LIÉES À LA NUTRITION: PRIORITÈS ET APPROCHES

4.44 L'établissement de priorités est une tâche complexe, qui ne se limite pas à fixer une hiérarchie des problèmes, mais elle suppose également que l'on détermine la manière dont seront poursuivis les objectifs en fonction des contraintes existantes. Bien entendu, ces dernières, ainsi que les moyens employés pour les surmonter ou les contourner, doivent également faire l'objet d'une action coordonnée au niveau international comme au niveau national. Il importe, lorsqu'on cherche à résoudre la question des modalités, d'accorder la priorité nécessaire au renforcement du potentiel opérationnel et organisationnel à tous les niveaux des pouvoirs publics, en prévoyant une participation à l'échelon communautaire.

Etablissement des objectifs et planification du suivi

4.45 Nous disposons aujourd’hui d’une connaissance suffisamment approfondie des causes de la précarité alimentaire et des problèmes nutritionnels auxquels sont confrontées les populations pauvres, ainsi que des instruments permettant de faire face, pour nous fixer des objectifs ambitieux et précis en matière d’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition des ménages, pour les années 90 et au-delà. Il n’est pas inutile de passer en revue, pour les reprendre parfois à notre compte, les objectifs fixés lors des consultations internationales précédentes. Nous retiendrons tout particulièrement les objectifs fixés, pour l’an 2000, par le Sommet mondial pour l’enfance (1990) et par la CIN (1992).

4.46 Rappelons toutefois que l’adhésion à des objectifs ambitieux suppose que l’on ait pris les engagements politiques pertinents et que l’on dispose des ressources nécessaires, au niveau national comme à l’échelle internationale. Quelques interventions au financement modeste ne sauraient conduire à une amélioration durable de la sécurité alimentaire et de la nutrition. C’est pourquoi la création d’un processus de suivi exhaustif et crédible – c’est-à-dire indépendant – dans la foulée du Sommet mondial de l’alimentation, pourrait constituer un complément utile aux engagements qui ont été pris. Dans ce contexte, on se doit d’envisager la poursuite d’une surveillance ininterrompue des activités de suivi, afin d’atteindre les objectifs fixés dans les plans/programmes d’action des initiatives évoquées au paragraphe 4.45.

4.47 Les dimensions, les causes et les conséquences de la malnutrition varient d’un pays à l’autre, mais aussi à l’intérieur d’un même pays. Dans tous les pays concernés, le renforcement des capacités de diagnostic du problème posé par la sécurité alimentaire et la nutrition n’est pas seulement l’une des composantes de la solution, mais bel et bien un préalable d’une action efficace. Les petits pays trouveront peut-être avantage à s’engager dans la coopération régionale pour réunir de telles capacités.

Association des mesures nutritionnelles à court et à long termes

4.48 Les ménages pauvres sont, en règle générale, confrontés à un double problème: celui de l’insécurité à la fois chronique et temporaire, en matière d’alimentation et de nutrition; toute solution devra, par conséquent, faire appel à un éventail bien étudié de mesures correspondant à la nature de ce problème. La constitution d’une panoplie de mesures devra s’appuyer sur l’évaluation des problèmes afin d’en déterminer la nature et les risques pour l’avenir, et sur les instruments disponibles, liés aux capacités institutionnelles. Lorsqu’on établit de nouveaux programmes, il est utile de s’inspirer de l’expérience acquise dans d’autres pays. Pour obtenir un rendement optimal, il faut généralement envisager des actions complémentaires aux initiatives à vocation nutritionnelle, et notamment la création d’une infrastructure et de politiques permettant le fonctionnement adéquat du marché et les échanges commerciaux. Bien souvent, cependant, les réformes qui s’imposent nécessitent des remaniements organisationnels, des privatisations et l’établissement d’un nouveau cadre juridique, toutes mesures qui ne s’accomplissent pas en un jour, même si les calendriers de mise en application peuvent varier en fonction des options.

4.49 Comme nous l’avons décrit plus haut, la précarité alimentaire et nutritionnelle peut avoir des causes diverses, et l’efficacité des mesures adoptées pour y faire face, à court et à long termes, peut être variable. Ainsi, un programme ayant pour effet d’augmenter les rendements des cultures vivrières peut ne pas améliorer la sécurité alimentaire des ménages à court terme; à l’inverse, un programme de distribution de nourriture, agissant à court terme, risque de ne pas améliorer la situation à plus longue échéance. Le tableau 12 établit une corrélation entre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle et les politiques et programmes dans ce domaine; il prolonge ainsi les analyses des sections précédentes et met en relief le temps nécessaire aux effets recherchés.

Domaines méritant une attention prioritaire

4.50 Les efforts visant à améliorer la nutrition doivent, d’emblée, tenir compte des relations négatives en se renforçant mutuellement entre l’insécurité alimentaire, la maladie, les mauvaises conditions d’hygiène, les carences éducatives, le manque de soins et la sous-nutrition. En l’absence de telles relations, les progrès accomplis dans des domaines spécifiquement agricoles ou sanitaires n’auront qu’un effet limité sur l’amélioration nutritionnelle. Nous signalons, ci-après, des domaines méritant une attention particulière.

Rompre le cycle malnutrition-mortalité

4.51 Le problème majeur que pose la faim au sens large du terme, c’est-à-dire les carences que présente l’alimentation des populations pauvres, tant en macronutriments qu’en micronutriments, dans les zones rurales comme dans les régions urbaines, nécessite une attention sans partage de la part des responsables nationaux et de la communauté mondiale. Il est important de s’attaquer au problème dit de la malnutrition modérée car cette dernière a une forte incidence sur la mortalité des nouveau-nés et des enfants (Pelletier et al., 1995). Il faut, comme préalable à une action ciblée dans ce sens, parvenir à une surveillance participative, au niveau communautaire, des problèmes de nutrition. Les programmes de nutrition bien appliqués et administrés constituent autant de succès que l’on peut reproduire avec plus de facilité. Il importe, pour cela, de sélectionner des politiques et des programmes conformes aux circonstances des pays concernés et à la nature spécifique du problème. Ainsi, il y a lieu d’envisager des initiatives telles que les subventions ciblées, les programmes d’alimentation, y compris en milieu scolaire, et les interventions concernant les micronutriments, tels que l’amélioration diététique, la fortification et les compléments alimentaires (tableau 12).

La mise en valeur des ressources humaines au service de la nutrition

4.52 La protection et la promotion des ressources humaines, qu’il s’agisse de l’éducation et, en particulier, celle des femmes, de l’alphabétisation et de l’enseignement des bonnes pratiques sanitaires, font partie intégrante de l’amélioration nutritionnelle. Dans ce contexte, il faut que figure au premier plan des priorités à long terme le ralentissement de la croissance démographique, afin de parvenir rapidement à une stabilisation de la population grâce à des mesures appropriées dans les domaines social, sanitaire et éducatif. L’amélioration nutritionnelle peut contribuer à ce résultat, et elle n’est pas uniquement liée à la solution du problème démographique. Une amélioration de la nutrition obtenue aujourd’hui grâce aux mesures d’ordre public ne manquera pas d’avoir des effets bénéfiques à long terme, à mesure que les parents de familles pauvres ne seront plus obligés de chercher à assurer leur sécurité alimentaire pour l’avenir en ayant le plus d’enfants possible dans un contexte de mortalité infantile élevée.

Une croissance fortement créatrice d’emplois au service de la sécurité alimentaire, grâce à des programmes d’emplois agricoles et de travaux

4.53 Il faut admettre, comme préalable à la sécurité alimentaire des ménages, la relance et l’accélération d’une croissance fortement créatrice d’emplois et dont les effets sont largement diffusés. En raison des taux élevés de croissance démographique, de la pénurie toujours plus aiguë de terres cultivables et de la dépendance d’une forte proportion des populations rurales, atteintes par l’insécurité alimentaire à l’égard des emplois et des revenus d’origine agricole, il est essentiel que soit mise à profit la technologie agricole et que soient appliquées des incitations exemptes de distorsions pour l’agriculture. On pourrait compléter ces mesures par des programmes d’emploi de grande envergure à l’intention des populations défavorisées, pour bon nombre de zones rurales des pays à revenus faible et moyen.

Tableau 12

La promotion d’une agriculture et d’une technologie alimentaire propices à la nutrition

4.54 L’existence de réseaux de recherche agricole nationaux et internationaux efficaces représente une condition nécessaire à la prise en compte des considérations nutritionnelles par la recherche; elle constitue également un mécanisme d’assurance, à l’échelle mondiale, pour la sécurité alimentaire dans l’avenir. La recherche, la divulgation et les campagnes d’information portant sur les technologies alimentaires appropriées, telles que la transformation ou la fabrication des aliments de sevrage, nécessitent de nouvelles formes de coopération entre les opérateurs publics et privés, parallèlement à l’apparition de perspectives nouvelles pour la biotechnologie dans le secteur privé. Les pouvoirs publics peuvent encourager une telle coopération.

Encourager l’autonomie à l’échelon communautaire et familial en vue d’un bien-être nutritionnel

4.55 En règle générale, les ménages et les femmes/mères en particulier, ont le désir d’améliorer la nutrition de leurs membres les plus vulnérables, et disposent souvent des connaissances nécessaires. Cependant, cette tendance est entravée par le manque de ressources, mais aussi par le fait que ces personnes n’ont pas voix au chapitre dans les décisions importantes concernant la communauté. Il est donc important, pour le succès des actions dans le domaine nutritionnel, de donner la parole, ainsi que les responsabilités correspondantes, aux personnes vulnérables et à leurs porte-parole les plus qualifiés. Cette responsabilisation peut être encouragée, de façon directe et indirecte, en affectant des ressources et en confiant des tâches de direction aux femmes dans le cadre des programmes de nutrition à base communautaire, ou en dispensant une orientation et une aide à la constitution de groupes, le tout associé à un transfert ciblé de connaissances aux groupes concernés.

4.56 Les mesures d’ordre public font appel non seulement aux initiatives gouvernementales pour la distribution de ressources aux groupes cibles, mais également à la participation active par le public, soit directement, soit par le truchement des ONG. La participation du public peut avoir une incidence positive puissante, sous forme de collaboration, mais aussi de contestation parvenant à infléchir les politiques gouvernementales. La collaboration est un élément essentiel des campagnes de santé publique, qu’il s’agisse de l’éducation nutritionnelle ou de l’évaluation participative, au niveau de la communauté, des problèmes de nutrition pour lesquels la collaboration est une condition de succès (Pinstrup-Andersen, Pelletier et Alderman, 1995). En revanche, c’est souvent par la contestation que l’opinion publique parvient à attirer l’attention des autorités gouvernementales sur les problèmes et à exiger des solutions. A ce titre, les revendications sous forme de militantisme politique, de pressions journalistiques et de critiques informées, peuvent aider à mettre en lumière le risque que représente la faim comme phénomène persistant. Il n’est d’ailleurs pas fortuit que les pays ayant réussi à se prémunir comme la famine soient les plus avancés en matière de pluralisme politique et offrent des voies à la communication et à la critique (Drèze et Sen, 1989). En Afrique, comme dans d’autres pays, l’absence d’opposition politique et de liberté de parole a largement aggravé le problème de la malnutrition.

4.57 S’agissant de la maîtrise des ressources, l’accès à la terre cultivable, même sous forme de petits lopins, tels que les jardins potagers cultivés par les femmes, demeure un élément important de la sécurité alimentaire des familles dans de nombreux pays à revenu faible et moyen; ce phénomène concerne d’ailleurs, dans une proportion croissante, les économies en transition d’Europe orientale et d’Asie centrale. Il importe de se pencher à nouveau sur les problèmes de réforme foncière et sur leurs liens avec la sécurité alimentaire des ménages. Il y a lieu d’envisager, tout au moins pour la solution à moyen terme des problèmes à moyen terme que posent, dans de nombreux pays, l’emploi et le marché du crédit, un accès plus large aux parcelles individuelles – y compris dans les zones périurbaines – accompagné de services agricoles adéquats dans ce sous-secteur.

La prévention de la famine

4.58 Le problème aigu que pose la prévention de la famine dans les pays qui y demeurent exposés – souvent en relation étroite avec des conflits armés – doit être abordé à l’échelle internationale puisque, de toute évidence, les tentatives à l’échelon national continuent d’échouer. Les famines découlant de conflits armés doivent faire l’objet de mesures au niveau politique suprême, et demeurer au premier plan des efforts diplomatiques. En outre, il faut que soient largement reconnus les succès obtenus en matière de prévention de la famine dans de nombreux pays depuis les années 60 et 70, dans le Sahel, dans certaines régions de l’Afrique australe (Botswana, Zimbabwe) et en Inde, et que soit encouragé le soutien durable à ces efforts. Il ne faut pas non plus négliger les mécanismes disposant d’une autorité décisionnelle en matière d’action internationale pour prévenir les famines causées par les conflits armés et celles entretenues à des fins belliqueuses. Les conséquences de ce qui s’est passé en Somalie, au Rwanda, en Sierra Leone et au Soudan au cours des années 90, restent à tirer.

Renforcer la capacité organisationnelle

4.59 C’est seulement lorsque l’urgence et la gravité de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle est flagrante que sont prises les mesures nécessaires, avec le soutien de la communauté internationale. Il importe que soit mise sur pied une capacité organisationnelle afin de pouvoir suivre l’évolution de la situation nutritionnelle, évaluer les effets des politiques et des programmes dans ce domaine et les adapter en fonction des circonstances. L’approche pragmatique consistant à apprendre «sur le tas» adoptée avec tant d’efficacité par certains pays, pourrait constituer une solution de rechange viable au principe de la planification «parfaite» devant précéder toute action.

4.60 La coordination efficace au niveau national des activités entreprises par les organismes gouvernementaux en particulier les ministères, mais aussi les intérêts non gouvernementaux participant aux mesures d’amélioration de la nutrition, représente un impératif. Cette coordination peut être stimulée par les organisations internationales, mais souffre souvent de l’absence d’un cadre bien défini. Il importe d’élaborer des stratégies nationales avec la participation de tous les intérêts du secteur de l’alimentation et de l’agriculture de manière à assurer la durabilité et la cohérence des mesures d’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition. De plus grands progrès dans l’application de la stratégie seront accomplis lorsque tous les efforts d’amélioration de la nutrition seront coordonnés par une structure de gestion responsable des problèmes, qui reconnaisse que l’amélioration et le maintien d’une situation nutritionnelle adéquate pour tous et à tous moments dépendent dans une large mesure des acteurs concernés dans l’arène non gouvernementale et spécialement des producteurs alimentaires.

4.61 Le potentiel organisationnel est un élément important d’une application efficace de politiques et programmes nutritionnels. De nombreuses initiatives échouent, en effet, lors de cette étape critique, à cause d’une mauvaise conception opérationnelle, d’une capacité insuffisante ou de carence de supervision. Il est donc essentiel de s’adjoindre des éléments gestionnaires efficaces pour les tâches d’amélioration de la nutrition.

Tisser des alliances et modifier les attitudes

4.62 On peut considérer le problème de la malnutrition sous l’angle des droits de la personne, y voir une nécessité humanitaire, ou encore le principal obstacle à surmonter vers le développement. Il est aujourd’hui largement reconnu que les progrès accomplis vers une meilleure nutrition contribuent largement au progrès économique et social. Le bien-être nutritionnel est générateur de dividendes à court et à long termes, voire sur plusieurs générations, car il conduit à une augmentation durable de la productivité des sociétés. Le Sommet mondial de l’alimentation, en contribuant à mettre en relief ces éléments fondamentaux, ouvre la voie à un élargissement et à un renforcement des alliances sociales, gouvernementales et non gouvernementales, œuvrant ensemble pour la sécurité alimentaire et l’amélioration nutritionnelle, aux niveaux national et international27.

4.63 Les appels en faveur d’une plus grande volonté politique sont voués à des résultats pour le moins modestes. Plutôt que de s’en remettre à des allocations temporaires de ressources à des programmes spécifiques, il vaut peut-être mieux s’efforcer de changer les attitudes à l’égard de la nutrition à un niveau plus élevé de la prise de décisions, c’est-à-dire tenter de l’arracher au statut de triste problème de condition sociale pour en faire la condition préalable du développement humain et économique. Il faut, pour cela, se doter des instruments nécessaires: un système mondial de surveillance de la nutrition, transparent et respecté, permettant de mesurer les progrès accomplis par les pays sur la voie du bien-être nutritionnel – avec, entre autres indicateurs pertinents, la réduction de la proportion et du nombre d’enfants sous-alimentés – , par exemple, contribuerait à donner des impulsions politiques utiles pour la mise en œuvre des actions énumérées plus haut. De la sorte, l’opinion publique nationale et les instances internationales seraient bien informées et pourraient ériger les progrès concrets accomplis sur la voie du bien-être nutritionnel en condition de leur approbation et de leur soutien. Les mécanismes de suivi des engagements pris antérieurement, à savoir le Sommet mondial pour l’enfance et la CIN, ont représenté un pas dans la bonne direction. C’est une démarche qui mérite d’être renforcée.

Cont.


1 Ce document doit être lu comme faisant partie de l’ensemble de documents d’information techniques du SMA, et notamment les documents suivants: no 2, Sécurité alimentaire: exemples de réussite; no 3, Cadre sociopolitique et économique pour la sécurité alimentaire; no 6, Les leçons de la révolution verte – vers une nouvelle révolution verte; no 8, Produits alimentaires destinés aux consommateurs: commercialisation, transformation et distribution; no 12, L’alimentation et le commerce international; no 13, Sécurité alimentaire et assistance alimentaire; et no 14, Evaluation des progrès réalisables en matière de sécurité alimentaire.

2 Il est dit, dans la Déclaration universelle pour l’élimination définitive de la faim et de la malnutrition adoptée à la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974: «chaque homme, femme et enfant a le droit inaliénable d’être libéré de la faim et de la malnutrition...» (ONU, 1975).

3 En conséquence, l’effet du revenu sur la consommation de micronutriments que l’on trouve principalement dans les viandes, tels que le fer, est marqué, alors que son incidence sur la consommation de micronutriments provenant principalement des légumes, tels que la vitamine A, est plus restreinte. Une étude portant sur les ménages agricoles philippins montre que l’élasticité du revenu induite par la consommation de fer est de 0,44, alors que celle induite par la consommation de vitamine A et de vitamine C est voisine de zéro (Bouis, 1991).

4 Des études sur le terrain ont permis de constater la corrélation positive entre la situation nutritionnelle et la productivité de la main-d’œuvre, qu’il s’agisse de salariés ou d’exploitants indépendants (Strauss, 1986; Sahn et Alderman, 1988). On peut donc s’attendre, dans les contextes où la productivité physique a de l’importance, à une réduction substantielle de l’espérance de vie parmi les adultes dont la croissance a été affectée par des carences nutritionnelles et de mauvaises conditions de santé durant l’enfance.

5 Une étude conduite selon des méthodes novatrices au Guatemala a permis de retracer, après 14 ans, la plupart des écoliers ayant bénéficié d’un supplément d’alimentation dans le cadre d’un projet d’étude. On a ainsi constaté qu’en dépit de l’absence d’interventions supplémentaires, les enfants qui avaient reçu ces compléments nuitritionnels conservaient leur avantage de croissance et avaient de meilleures performances aux tests de résultats (Martorell et al., 1991). On observe également que, outre les effets négatifs de la carence en iode sur le comportement cognitif, la Malnutrition protéino-énergétique (MPE) et les carences en fer ont également des effets négatifs sur la capacité d’apprentissage et le comportement cognitif (Scrimshaw, 1994).

6 A titre d’exemple, au cours d’une famine qui a frappé l’Ethiopie, les ménages se situant dans le tercile supérieur de revenu de la population étudiée ont réussi à obtenir 15 dollars EU de la vente de leurs biens, alors que les ménages situés dans le tercile inférieur n’ont obtenu que
5 dollars EU, la tranche privilégiée disposant de troupeaux plus importants et d’autres biens négociables (Webb et Reardon, 1992).

7 On s’attache actuellement à mettre au point un indice de sécurité alimentaire des ménages afin de suivre la sécurité alimentaire à l’échelle internationale. Etant donné que la sécurité alimentaire des ménages est influencée par une multitude de facteurs, aucun indicateur ne peut, à lui seul, refléter la situation de façon précise. C’est pourquoi l’on a proposé le retour à un indice composite, constitué des disponibilités énergétiques alimentaires quotidiennes par habitant (DEA) comme indicateur de la disponibilité alimentaire globale; du PNB par habitant mesuré en unités de parité de pouvoir d’achat (PPA) afin de mesurer le pouvoir d’achat global réel; et du coefficient de variation de la distribution du revenu, comme mesure indirecte de l’égalité ou de l’inégalité de la répartition des revenus. On a constaté la nécessité de recherches plus approfondies concernant les données et la conception de l’indice (FAO, 1993).

8 Une étude de l’IFPRI propose un ensemble d’indicateurs relativement simples en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle (Haddad, Kennedy et Sullivan, 1994). Les indicateurs soumis à analyse comprennent notamment le nombre d’aliments uniques consommés, la région, le taux de dépendance, la taille du ménage, le nombre de pièces par habitant, l’incidence des maladies, les vaccinations, l’approvisionnement en eau potable, l’infrastructure de santé, etc. Un indicateur peut être utilisé de façon isolée ou en combinaison avec d’autres indicateurs. L’étude a établi que ces indicateurs simples «sont efficaces pour la localisation des populations souffrant d’insécurité alimentaire et nutritionnelle». On a observé que la combinaison idéale d’indicateurs est fonction des caractéristiques locales.

9 On notera que ces estimations ne tiennent pas compte d’interventions récentes sur une vaste échelle. Plus de 70 pays ajoutent aujourd’hui de l’iode dans plus des trois quarts du sel qu’ils consomment. L’incidence des troubles causés par les carences in iode (IDD) connaît par conséquent un déclin, mais on ne l’a pas encore quantifiée. Parallèlement, plus de 20 pays ont lancé de vastes programmes de compléments vitaminiques.

10 A titre d’exemple, un ensemble de données concernant les Philippines relatent, que, sur 323 ménages recevant un apport énergétique moyen dépassant 80 pour cent des besoins – c’est-à-dire, ne souffrant pas de carence alimentaire de façon chronique – 197 sont passés en dessous du seuil des 80 pour cent au moins une fois au cours d’une période d’observation de 16 mois (Haddad, Sullivan et Kennedy, 1991).

11 Ainsi, dans la région sahélienne du Burkina Faso, les ménages menacés par l’insécurité alimentaire comptaient en moyenne 11 personnes, avec un taux de personnes à charge de 0,51, alors que les familles bien alimentées comprenaient, en moyenne, 8 personnes, avec un taux de personnes à charge de 0,40 (Reardon, 1991).

12 A titre d’exemple, durant la sécheresse de 1982/83, 73 pour cent des ménages sans terre d’Arcot du Nord, en Inde, ont souffert de pénurie alimentaire contre 61 pour cent de ménages agricoles dans la même situation (Yohannes, 1991).

13 Voir également le document du SMA no 4, Besoins alimentaires et croissance démographique.

14 Voir, entre autres, les travaux de Ravallion (1987) sur le Bangladesh, au sujet des expériences et des options envisagées par les pays.

15 Il est essentiel d’amortir les chocs provoqués par les fluctuations brutales des prix. Ainsi lorsqu’on a assisté au Soudan, en 1985, à une augmentation de plus du triple du prix réel des céréales, alors que les termes de l’échange céréales/bétail se trouvaient multipliés par huit, l’incidence de la malnutrition chez les enfants (c’est-à-dire la proportion des enfants dont le rapport poids-taille était inférieur à 80 pour cent de la norme) est passée de 5 pour cent à 20 pour cent dans la région du Kordofan (Teklu, von Braun et Zaki, 1991).

16 On trouvera une analyse détaillée des questions liées à la politique d’aide alimentaire dans le document du SMA no 13, Sécurité alimentaire et aide alimentaire.

17 Voir, en particulier, les documents du SMA no 7, Production vivrière: le rôle déterminant de l’eau et no 10, Investissement dans le secteur agricole: évolution et perspectives.

18 Voir également le document du SMA no 6, Les leçons de la révolution verte – vers une nouvelle révolution verte.

19 D’après trois études de cas portant sur la Gambie, le Guatemala et le Rwanda, une augmentation de 10 pour cent d’un revenu de 100 dollars EU par habitant a entraîné une augmentation allant de 3,5 à 4,9 pour cent de la consommation d’énergie alimentaire du ménage, et un accroissement de 1,1 à 2,5 pour cent du quotient poids/âge des enfants (von Braun et Kennedy, 1994). Des données macroéconomiques provenant d’un certain nombre de pays en développement indiquent qu’un doublement du revenu par habitant, lequel passerait de 300 dollars EU à 600 dollars EU, serait accompagné d’une réduction d’environ 40 pour cent de la proportion des enfants présentant un quotient poids/âge inférieur à la normale (von Braun et Pandya-Lorch, 1991).

20 Une augmentation de 10 pour cent du revenu, à partir d’un revenu uniforme de 100 dollars EU par habitant (soit un passage de 100 dollars à 110 dollars) dans des secteurs où l’agriculture donne lieu à des échanges, a pour effet d’améliorer de 1 à 4,9 pour cent la nutrition des enfants (von Braun et Kennedy, 1994).

21 A titre d’exemple, dans la région des Philippines où les contrats de culture de la canne à sucre étaient réservés aux propriétaires, à l’exclusion des locataires, on a observé une augmentation du nombre de paysans sans terre, accompagnée d’une détérioration du statut des paysans locataires établis aux alentours de la fabrique de sucre (von Braun et Kennedy, 1994).

22 Ce programme offre une garantie illimitée d’emploi à tous les adultes du Maharashtra rural disposés à travailler au taux fixé (pour un examen détaillé, voir Dev, 1995).

23 La Grameen Bank opère dans 34 000 villages; elle a 1,7 million d’emprunteurs, dont 94 pour cent sont des femmes. L’accumulation de capital par les catégories pauvres a connu une augmentation substantielle. De nouveaux emplois ont été créés, notamment à l’intention de femmes à faible revenu. Le taux de remboursement est supérieur à 98 pour cent (Yunus, 1994).

24 Le test de moyens est généralement difficile à administrer et fait souvent appel à une désignation des bénéficiaires par la communauté. Les tests de vulnérabilité sont basés sur des indicateurs de santé ou de nutrition, et ils ont été utilisés pour sensibiliser les parents aux avantages que présente l’amélioration du régime alimentaire des femmes et des enfants.

25 En Indonésie, un projet bénéficiant de l’aide de la Banque mondiale, dont l’objet était d’améliorer les pratiques d’allaitement et parallèlement, d’encourager les mères à ajouter de la verdure à une bouillie à base de riz ordinaire a entraîné une amélioration sensible de l’état nutritionnel de 40 pour cent des enfants au moment où ils atteignaient l’âge de deux ans. Le coût annuel par participant a été d’environ 4 dollars EU durant la phase de lancement; il a été estimé à 2 dollars EU pour la phase ultérieure d’expansion du programme (Berg, 1993).

26 Le Projet Tamil Nadu organise la formation et la supervision de travailleurs sociaux communautaires, en l’occurrence des mères d’enfants sains, qui jouissent de ce fait de l’estime des autres femmes de la communauté, et prévoit un suivi et une évaluation systématiques. Ce projet a permis d’atteindre 2 millions de femmes et d’enfants âgés de 6 à 36 mois dans 20 000 villages; il a également réduit de 55 pour cent l’incidence de la malnutrition aiguë, à un coût estimé à 11 dollars EU par enfant (Miller Del Rosso, 1992).

27 Citons, parmi les efforts féconds dans ce sens, les initiatives non gouvernementales telles que Surmonter la faim dans les années 90 et sa Déclaration de Bellagio de décembre 1989, avec les suites qu’elle a reçues.