13. Sécurité alimentaire et assistance alimentaire

Documents d'information technique
© FAO, 1996


1. Introduction

1.1 Au sens le plus général, la sécurité alimentaire, c’est mettre à la portée de tous en tout temps une alimentation saine et suffisante pour mener une vie active et conserver une bonne santé.

1.2 La sécurité alimentaire, c’est une vie où les risques de malnutrition ou d’inanition ont disparu. La faim est une manifestation de l’insécurité alimentaire. Il faut continuer à accroître la productivité de l’agriculture et les disponibilités alimentaires en vue d’une sécurité alimentaire à long terme si l’on veut réduire les risques de famine pour l’avenir. C’est grâce à des programmes visant à éliminer directement la faim aujourd’hui, que l’on pourra soulager dans l’immédiat les centaines de millions d’affamés de la planète mais également ceux qui le seront certainement demain.

1.3La faim n’est pas seulement un effet de la pauvreté: elle la perpétue. On admet généralement aujourd’hui que la pauvreté est la cause profonde de l’insécurité alimentaire. Réduire la pauvreté et éliminer l’insécurité alimentaire nécessitent souvent une croissance économique à large assise. Néanmoins, on reconnaît également que, même avec des politiques et des programmes appropriés, certaines portions de la population ne bénéficieraient d’aucun programme de réduction de la pauvreté, et ne pourraient pas assurer leur propre sécurité alimentaire. Il y aura donc toujours des personnes qui ne pourront pas s’assumer dans le milieu social et économique dans lequel elles vivent1. Bien que l’on prévoie une régression globale de la malnutrition dont souffrent aujourd’hui plus de 800 millions de personnes, des centaines de millions d’individus dénutris auront encore besoin, dans les prochaines décennies, d’assistance alimentaire directe. Ce sera, pour nombre des bénéficiaires, le meilleur moyen de réduire leur pauvreté et d’améliorer leur sécurité alimentaire dans le long terme.

1.4 L’assistance alimentaire est ici définie comme l’ensemble des initiatives prises par les gouvernements, souvent en collaboration avec des organisations non gouvernementales et des membres de la société civile et, lorsque nécessaire, avec l’aide extérieure, pour améliorer le bien-être nutritionnel de leurs citoyens qui, sans cela, n’auraient pas accès à une nourriture suffisante pour mener une vie saine et active.

1.5 Ce document se propose de montrer que:

Les Diverses formes de l'insécurité alimentaire et de la faim2

1.6 Les importants gains de la productivité agricole et de la croissance économique des dernières décennies font que les disponibilités alimentaires mondiales par habitant ont augmenté de 18 pour cent depuis 30 ans. Les pays exportateurs ont suffisamment développé leurs capacités de production pour répondre à la demande globale de produits alimentaires. Mais la faim n’en persiste pas moins. Alors qu’il y a de quoi nourrir toute l’humanité, près de 800 millions d’individus souffrent encore de dénutrition chronique. L’existence de disponibilités globalement suffisantes n’empêche pas la faim de sévir au niveau des ménages et des individus exposés a l’insécurité alimentaire.

1.7 L’ampleur, les causes et les conséquences de la faim diffèrent largement. La faim n’est pas un phénomène uniforme. Il est donc utile d’établir des catégories d’insécurité alimentaire. Une méthode, notamment utile pour établir une carte de la faim, consiste à classer les ménages affamés selon leurs caractéristiques socioéconomiques. Mais, en dernier ressort, la faim est un problème individuel. Dans ce document, on a identifié quatre catégories de personnes qui ont faim.

La pauvreté et la faim chronique

1.8Le groupe le plus important comprend les ménages ayant des revenus insuffisants et instables, peu de biens, peu de compétences monnayables et guère de défenseurs puissants – c’est-à-dire ceux qui vivent dans une misère chronique. La pauvreté est souvent associée, mais ne se limite en aucun cas, à certaines formes d’occupation: petits agriculteurs, paysans sans terre, ouvriers agricoles, pasteurs nomades, petits pêcheurs, chômeurs sans qualification, et autres personnes inemployables. Ils se trouvent dans les pays en développement comme dans les pays développés. En 1993, ils étaient 1,3 milliard à gagner moins d’un dollar EU par jour (Bread for the World Institute, 1996), dont ils consacraient environ 70 pour cent à la nourriture. Ils subsistent dans une profonde misère, et le plus souvent sous l’emprise de la faim (PAM, 1995a)3.

1.9 La faim chronique, répandue essentiellement dans les pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV), fait obstacle à la lutte contre la pauvreté, et ainsi se perpétue elle-même. Elle est un élément du cercle vicieux que constituent la faible productivité et les faibles gains, la mauvaise santé, l’endettement et la malnutrition. Elle réduit la valeur des investissements passés et compromet les revenus futurs des familles vulnérables.

1.10 Le nombre de ceux qui, tout en n’ayant pas nécessairement une carence énergétique permanente, souffrent de carences en micronutriments du fait d’une mauvaise alimentation, est encore beaucoup plus grand: on estime qu’environ 1,6 milliard de personnes sont exposées à des carences en iode susceptibles d’entraîner des lésions cérébrales graves, le crétinisme et le goitre. Près de 500 millions de femmes souffriraient d’anémie ferriprive, ce qui mine leur santé et les voue à accoucher d’enfants souffrant d’insuffisance pondérale. Plus de 200 millions d’enfants manquent de vitamine A (OMS, 1992; UNICEF, 1995). Or, l’avitaminose A est une cause de handicaps physiques chez les enfants et de cécité, et elle accroît le risque de mortalité à la suite de maladies banales.

1.11 Il est relativement peu coûteux et très rentable de remédier à ces carences en micronutrients, surtout si l’on songe à l’ampleur des interventions nécessaires pour affronter les problèmes de santé qui résultent de déficits nutritionnels massifs. Si l’on néglige les symptômes légers de malnutrition aujourd’hui, on risque de voir apparaître des symptômes aigus demain.

La faim liée aux cycles de la vie

1.12Le deuxième groupe d’affamés comprend les personnes qui sont plus vulnérables que d’autres à certains moments critiques de leur existence. Il s’agit notamment des bébés dans le ventre de leur mère, des nouveau-nés et des jeunes femmes enceintes ou allaitantes. Les embryons pâtissent de carences nutritionnelles si les mères sont mal nourries, car la programmation des maladies chroniques des adultes s’amorce pendant la grossesse (Hoet, 1995). Près de 20 millions de nourrissons naissent chaque année avec un poids insuffisant dû probablement à la dénutrition de la mère4. La prématurité, l’insuffisance pondérale à la naissance et les retards de croissance dus aux carences nutritionnelles ou à des maladies compromettent gravement le développement de l’enfant.

1.13 Si, aux handicaps présents à la naissance, s’ajoute une insuffisance alimentaire persistante, le risque de mortalité infantile, ou du moins de retard de croissance, est énorme. Les enfants qui ne mangent pas à leur faim sont plus petits et risquent davantage de mourir jeunes, car il est difficile de réparer les dégâts subis au cours des cinq premières années de vie (Politt et al., 1995). Quand la fréquence des maladies s’accroît, les enfants en pâtissent davantage dans les familles où il existe déjà un déficit énergétique que dans celles qui jouissent de la sécurité alimentaire (Haddad et al., 1995). Réciproquement, si la malnutrition disparaissait de la face du monde, la mortalité des enfants exposés à des maladies infectieuses diminuerait de moitié (Pelletier, 1994). Il existe des corrélations vitales entre l’alimentation, la nutrition et la santé. Si l’on n’agit pas aujourd’hui pour faire disparaître la faim, il y aura probablement en 2020 quelque 200 millions d’enfants de moins de cinq ans souffrant d’insuffisance pondérale chronique (FAO, 1995b; Rosegrant, Agcaoili-Sombilla et Perez, 1995).

1.14 Même si les enfants survivent à la malnutrition précoce, ils sont voués à devenir des adultes défavorisés, et victimes possibles des crises futures. Les mères auront des grossesses difficiles et donneront naissance à des enfants fragiles sur le plan nutritionnel; la santé et la productivité seront compromises pour les hommes comme pour les femmes qui seront donc sujets à la misère chronique. En un mot, la faim engendre la faim.

1.15 Etant donné ses retombées sur les générations à venir, la faim sera d’autant plus difficile à vaincre qu’elle aura duré plus longtemps. En la combattant aujourd’hui, chez les femmes pauvres et leurs enfants en bas âge, on favorisera donc puissamment la sécurité alimentaire à long terme. Les enfants mal nourris, à supposer qu’ils aillent à l’école, n’en tirent pas grand profit. Les femmes pauvres ne peuvent pas investir dans leur propre avenir ni dans celui de leurs enfants, car les multiples problèmes immédiats créés par la faim les absorbent pleinement. L’investissement dans le capital humain, notamment les femmes et les enfants vulnérables, est un préinvestissement dans la sécurité alimentaire.

La faim saisonnière

1.16 Le troisième groupe est constitué par les individus ou les ménages pour qui la faim saisonnière est l’effet des cycles de récolte des produits vivriers. Les disponibilités alimentaires sont insuffisantes pendant une partie de l’année seulement. Dans de nombreux pays en développement, les ménages pauvres se trouvent confrontés à des travaux nécessaires, des niveaux infectieux, des prix des denrées alimentaires et des taux d’intérêt informels qui sont au plus haut au moment où les stocks vivriers, les apports alimentaires et le poids corporel sont au plus bas. Cette situation se produit pendant la saison de la faim, en général quelques semaines avant la nouvelle récolte dans la plupart des pays où la répartition des pluies est unimodale. Ce phénomène régulier, de nature non seulement climatique mais également économique dans la mesure où les pauvres subissent des termes de l’échange qui sont délétères alors que les riches tirent profit de ces fluctuations, compromet le développement des secteurs pauvres de l’économie. Les pauvres hésitent à se lancer dans des innovations plus hasardeuses (mais aux gains plus prometteurs) car ils doivent surmonter cette période et ses effets dévastateurs sur la sécurité alimentaire des ménages.

La faim aiguë

1.17 On trouve dans le quatrième groupe les personnes qui souffrent de faim aiguë, victimes de crises humanitaires. Quand la cause de la faim aiguë est une catastrophe naturelle, telle qu’une sécheresse ou une infestation acridienne, il faut intervenir d’urgence pour aider les gens chez eux et protéger leurs moyens de subsistance, faute de quoi, ils risquent de mourir de faim et de compromettre pour longtemps le potentiel de développement de régions entières en vendant leurs terres et leurs troupeaux, et en mangeant leurs semences pour survivre. Par exemple, si l’aide apportée dans les meilleurs délais a permis d’éviter que la famine ne décime les populations à la suite de la sécheresse exceptionnelle qui a frappé l’Afrique australe en 1991-1992, d’innombrables familles n’en ont pas moins perdu une bonne partie de leurs biens de production et ont été obligées d’utiliser leurs économies pour survivre.

1.18 Le fléau de la faim est aggravé par les déplacements de personnes dus aux conflits, qui sont la cause immédiate de la plupart des crises depuis le début des années 90. Le nombre des réfugiés et des personnes déplacées dans leur propre pays pour la seule raison de conflits est passé de 1 million en 1970 à 50 millions en 1995. Des guerres intestines ou internationales chassent souvent de chez eux des hordes d’affamés. Dans ces situations d’urgence complexes, des gens qui n’y sont pour rien sont souvent arrachés de leur terroir; ils perdent l’essentiel de leurs biens et doivent affronter des mois, voire des années, de misère, si ce n’est la mort. Pour ces personnes – estimées à près de 42 millions en 1996 (Bread for the World Institute, 1996), la nécessité de survivre l’emporte sur toute considération de développement à long terme. Les pays qui comptent le plus grand nombre de personnes en situation de crise sont les suivants: Afghanistan et Soudan (4 millions chacun), Bosnie-Herzégovine (3,7 millions), Ethiopie (3 à 4 millions), Angola et Rwanda (2,5 millions chacun), Sierra Leone (1,8 million), Libéria (1,5 million) Iraq (les estimations varient entre 1,3 et 4 millions) et Haïti, Erythrée, Somalie et Tadjikistan (1 million chacun).

Géographie de la faim

1.19 Il n’existe aucun lieu au monde qui soit à l’abri de la faim si les circonstances elles-mêmes rendent impossible l’accès à une alimentation suffisante, nutritive et saine. Cela est vrai, non seulement de la faim aiguë, telle que définie ci-dessus, mais également de la faim chronique. Les affamés se rencontrent dans tous les pays, qu’ils soient riches ou pauvres, exportateurs ou importateurs nets de produits vivriers, qu’ils appartiennent aux régions tempérées ou tropicales. Dans un même pays, ils peuvent être propriétaires fonciers ruraux ou chômeurs sans terre, fonctionnaires ou nouveaux arrivants dans les taudis de banlieue, et appartenir à des ménages dirigés par des hommes ou par des femmes. Tout dépend de la situation socioéconomique des ménages et des individus, ceux dont les revenus sont les plus faibles risquant davantage l’insécurité alimentaire. Les actions nationales et internationales qui veulent soulager l’insécurité alimentaire doivent cibler les affamés, où qu’ils soient.

1.20 Très souvent, une géographie de la pauvreté montre que la faim chronique est surtout concentrée dans des régions, des pays, des zones de pays et de villes où les revenus sont faibles. Les pays qui dépendent en grande partie de l’agriculture (ce sont en général aussi des PFRDV) ont fréquemment une plus forte densité d’affamés que les autres. Dans les PFRDV, l’insécurité alimentaire exprimée en nombre de personnes est plus forte dans les zones rurales où se trouve la plus grande partie de la population, alors qu’exprimée en pourcentage elle est aussi forte ou même plus forte dans les zones urbaines, et pourrait même augmenter avec l’exode rural croissant. Dans les zones rurales, les paysans sans terre ou avec peu de terre sont, en général, plus pauvres et ont une plus grande insécurité alimentaire que les groupes qui possèdent suffisamment de terre. Dans les pays en développement – mais pas uniquement – l’insécurité alimentaire urbaine est en général plus forte dans les taudis et ghettos que dans les quartiers où vivent les riches. On estime que près de 42 pour cent de la population urbaine en Afrique subsaharienne, 23 pour cent en Asie, près de 27 pour cent en Amérique latine et plus de 34 pour cent au Proche-Orient et Afrique du Nord vivent aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté et risquent de mourir de faim (Bread for the World Institute, 1996). La pauvreté croissant plus vite dans les villes que dans les campagnes, on peut s’attendre à ce que la pauvreté et la faim prennent des proportions encore plus grandes dans les zones urbaines étant donné que l’urbanisation continue de croître au rythme phénoménal d’un million d’habitants par semaine dans le monde.

1.21 Les comportements qui prévalent aujourd’hui dans la distribution et la gestion des ressources d’une communauté, font que certains de ses membres (comme les ménages ayant à leur tête une femme dans certaines sociétés) sont plus vulnérables à la faim que d’autres.

1.22 Au plan géographique, c’est en Asie que se trouvent actuellement le plus grand nombre de mal nourris. On estime qu’en Asie du Sud et de l’Est plus de 500 millions de personnes n’ont pas un régime alimentaire minimal, soit plus de 18 pour cent de la population totale de la région (CAC/SCN, 1993; FAO, 1995a) et 67 pour cent de la population totale de dénutris chroniques du monde en développement. L’Asie du Sud compte, à elle seule, plus de 58 pour cent des enfants dénutris et près de 60 pour cent des 215 millions d’enfants présentant un retard de croissance dans le monde (FAO, 1996a). De plus, il est probable que la dénutrition, exprimée en nombre de victimes, restera un phénomène important en Asie du Sud en raison de la forte croissance démographique (couplée à une urbanisation toujours plus intense) et du ralentissement de la croissance de la production vivrière.

1.23 En Amérique latine et dans les Caraïbes, les ajustements structurels des années 80 ont été accompagnés, dans certaines zones, d’une recrudescence de la faim et de la misère. La FAO (1995a) estime qu’entre 1980 et le début des années 90, le nombre des victimes de dénutrition chronique est passé de 46 millions à plus de 60 millions, soit 14 pour cent de la population. On s’attend toutefois à voir baisser considérablement les taux de malnutrition au cours des prochaines décennies dans cette région, parce qu’elle est relativement prospère et qu’elle est généralement dotée de meilleures infrastructures institutionnelles et commerciales.

1.24 C’est en Afrique subsaharienne que la situation est la plus inquiétante. La malnutrition chronique touche plus de 200 millions de personnes, soit plus de 40 pour cent de la population de la région. De plus, l’acuité de la faim (l’insuffisance, exprimée en pourcentage de l’apport alimentaire réel des dénutris par rapport à la moyenne nationale des besoins par habitant de la population) a augmenté dans la région, alors que dans l’ensemble du monde elle a diminué de moitié (de 10 à 5 pour cent) au cours des 20 années qui ont suivi 1970. Pauvreté croissante, endettement, termes de l’échange désastreux, baisse de la production intérieure par habitant, taux élevés de fécondité, catastrophes naturelles, multiplication des crises entraînant des déplacements massifs de population, sont des facteurs que l’on retrouve un peu partout et qui ont tous participé à la rapide détérioration de la situation de la sécurité alimentaire dans cette région.

1.25La faim est surtout un fléau des pays en développement, mais comme elle ne connaît pas de frontières, on la rencontre également dans les sociétés les plus riches. Ainsi, on estime qu’il y avait en 1990, aux Etats-Unis5, 30 millions d’affamés (12 pour cent de la population), soit 50 pour cent de plus qu’en 1985. Au Canada, la faim toucherait 2,5 millions de personnes, soit 8,6 pour cent de la population. Un Australien sur huit (environ 2 millions de personnes) souffre de la faim (Bread for the World Institute, 1996). Cependant, dans les nations riches, la faim n’est ni aussi grave ni aussi répandue que dans les pays en développement.

Les niveaux actuels de la sécurité alimentaire et le rôle de l'assistance alimentaire

1.26 La faim persiste alors que la production vivrière totale pourrait subvenir aux besoins de tous les habitants de la planète. On estime que les disponibilités alimentaires courantes pour l’ensemble du monde sont passées de 2 300 Calories par personne par jour en 1961-1963 à 2 710 Calories en 1990-1992. En outre, la proportion de personnes dont la consommation énergétique alimentaire est insuffisante a regressé dans toutes les régions, excepté en Afrique subsaharienne. En 2010, les disponibilités alimentaires quotidiennes par habitant devraient atteindre 2 860 Calories. A cette date, on prévoit que dans l’ensemble des pays en développement les disponibilités alimentaires par habitant atteindront 2 730 Calories, contre 2 520 en 1990-1992 et 1 960 en 1961-1963.

1.27 Si des progrès remarquables ont été réalisés dans le sens d’une sécurité alimentaire accrue, comme l’atteste l’évolution des disponibilités énergétiques quotidiennes moyennes par habitant, ceux-ci ont été très inégaux dans et selon les pays et les régions, et ils ont laissé un nombre inacceptable d’individus souffrant de dénutrition ou d’insécurité alimentaire.

1.28 L’assistance alimentaire augmente le bien-être de ceux qui souffrent de faim chronique. Elle a été, et demeure, le seul espoir de survie pour les individus confrontés à des situations d’urgence – catastrophes naturelles et crises causées par l’homme.

1.29 Il existe de nombreuses formes d’asistance alimentaire. Il peut s’agir d’aide directe, comme les bons de ravitaillement, les centres de distribution de rations, les magasins à prix avantageux, les soupes populaires, les colis alimentaires des centres de santé, les coupons alimentaires, les repas scolaires, les cantines spéciales, et les programmes vivres-contre-travail; ils sont soutenus par l’aide internationale sous forme de denrées alimentaires et de liquidités, les fonds publics, les ONG ou la charité privée. L’aide indirecte peut prendre la forme d’éducation nutritionnelle, de mesures concernant les stocks de sécurité alimentaire, ainsi qu’un ensemble de politiques de soutien (notamment en matière de prix de commercialisation, de taux de change et d’échanges commerciaux). Toutes les formes d’assistance alimentaire ont pour objectif de fournir, gratuitement ou à un prix subventionné, des denrées alimentaires à une ou plusieurs catégories de la population préalablement ciblées. Alors que l’aide internationale finance certaines formes directes d’assistance alimentaire, les formes indirectes sont en général – mais pas exclusivement – du ressort des gouvernements nationaux, la communauté internationale apportant l’environnement favorable.

1.30 Cependant, le nombre impressionnant de personnes qui souffrent de dénutrition chronique laisse penser, entre autres choses, que l’assistance a été insuffisante et/ou qu’elle a manqué d’efficacité pour éliminer ou réduire de façon appréciable cette forme de faim. Les baisses récentes de l’assistance alimentaire nationale, s’inscrivant souvent dans le cadre de programmes d’ajustement structurel dans les pays en développement et de restrictions budgétaires dans les pays développés, ainsi que les réductions de volume de l’aide alimentaire internationale pour des raisons politiques et économiques, et les changements intervenus dans sa structure, ne laissent rien présager de bon pour ceux qui souffrent de faim chronique. Pour tirer le meilleur parti des ressources disponibles, toute assistance alimentaire devra être ciblée avec efficacité de sorte qu’elle puisse atteindre le plus grand nombre des bénéficiaires visés tout en perturbant ou en déplaçant le moins possible les marchés.

1.31 Le chapitre suivant examine quelques-unes des formes d’assistance alimentaire auxquelles ont recours les gouvernements nationaux ou les autorités locales – souvent en association avec les ONG, la société civile et la communauté internationale.


2. L'assistance alimentaire pour maintenir et améliorer la vie

Les bases de l'assistance alimentaire

2.1 Les gouvernements nationaux sont responsables de la sécurité alimentaire de chacun des citoyens. Les déclarations internationales6 qui affirment le droit à la nourriture ne prétendent pas que les Etats doivent répondre directement aux besoins et au droit de chacun en cette matière. Par contre, l’Etat doit faciliter les efforts de chacun pour subvenir à ses besoins alimentaires en créant un environnement permettant à tous d’atteindre la sécurité alimentaire. Ainsi, en dernier ressort, ce sont les politiques de soutien à la formation de revenus, par exemple, par la création et le maintien d’emplois dans le secteur agricole, où vivent la majorité des pauvres dans les pays en développement, de même que dans les secteurs formels et informels, qui permettront – à moyen et long terme – de réduire la pauvreté et d’assurer une sécurité alimentaire durable. Un développement à larges assises a pour effet non seulement de relever les revenus par habitant, ce qui soulage la malnutrition chronique, mais de créer des infrastructures en matière de transport, de commercialisation et d’entreposage qui permettent une réponse plus rapide aux pénuries alimentaires transitoires (Gerrard, 1986).

2.2 Toutefois, lorsque des individus ne peuvent pas subvenir à leurs besoins alimentaires pour des raisons qu’ils ne maîtrisent pas (âge, handicap, perte de revenu, famine, catastrophe ou discrimination), le droit à l’alimentation signifie que l’Etat doit matériellement leur apporter la nourriture (Pinstrup-Andersen, Nygaard et Ratta, 1995) ou les ressources qui leur permettront d’accéder aux disponibilités alimentaires.

2.3Conformément à leurs obligations, la plupart des gouvernements ont en fait fourni, ou essayé de fournir, une assistance alimentaire aux personnes incapables de se procurer leur propre nourriture. Les ressources apportées par l’aide alimentaire internationale ont complété les ressources nationales lorsque celles-ci se sont avérées insuffisantes. Même dans ce cas, ce sont les programmes nationaux d’assistancee alimentaire qui ont véhiculé l’aide alimentaire jusqu’aux pauvres7.

L’assistance alimentaire pour le développement humain

2.4 La faim est indissociable d’autres facteurs qui limitent le potentiel humain: insalubrité, mauvaise hygiène, analphabétisme, manque de services d’éducation et de santé8. L’assistance alimentaire ciblée, comme la distribution d’aliments nutritifs par des centres appropriés, permet non seulement de nourrir immédiatement ceux qui ont faim, mais aussi d’attirer les mères et les enfants vulnérables dans les dispensaires, de donner aux femmes pauvres le désir et la possibilité de suivre des cours d’alphabétisation et de santé génésique, d’inciter les parents à laisser leurs filles aller à l’école, d’aider les communautés qui veulent améliorer leur approvisionnement en eau et leur équipement sanitaire, et d’améliorer la qualité et l’influence de l’éducation nutritionnelle. Ainsi conçue, l’assistance alimentaire est un préinvestissement en capital humain, un moyen d’aider les pauvres à tirer parti de l’assistance nationale et extérieure tout en évitant les dangers de la dépendance à long terme.

L'assistance alimentaire pour accroître la production agricole et créer des revenus

2.5Il y aura toujours un problème mondial d’alimentation tant que certaines catégories de la population de la planète n’auront pas les revenus suffisants pour avoir accès à la quantité de nourriture permettant de satisfaire leurs besoins. Dans la plupart des cas (notamment dans les zones rurales où les autres sources de revenu sont rares), l’agriculture est la meilleure, sinon la seule, solution pour lutter contre l’insécurité alimentaire. Premièrement, l’agriculture permet de produire des denrées en qualité et en quantité voulues; et, deuxièmement, elle procure emplois et revenus aux pauvres, ce qui accroît leur pouvoir d’achat9.

2.6 L’assistance alimentaire peut être un catalyseur de l’amélioration de la productivité agricole dans les deux sous-secteurs de l’alimentation et de l’exportation. La dénutrition se traduit par des pertes substantielles de productivité car elle réduit l’efficacité du travail et des décisions prises en matière de revenu pour se protéger de l’accès limité aux disponibilités alimentaires. Au contraire, si on libère le potentiel de ressources humaines, la production agricole peut augmenter et la répartition des ressources des ménages gagne en efficacité.

2.7 Dans de nombreux pays en développement, les agriculteurs ruraux confrontés à un besoin immédiat de liquidités (pour acheter différentes catégories de produits alimentaires ou pour rembourser un emprunt), ont souvent recours à la vente d’une partie de leurs réserves déjà insuffisantes. Il leur arrive même de vendre les semences de la campagne suivante. Ils peuvent aussi parvenir à une sécurité alimentaire temporaire au prix de l’abandon de biens essentiels et d’un endettement futur. Un ménage qui emploie la presque totalité de ses ressources pour assurer sa sécurité alimentaire immédiate devient extrêmement vulnérable à l’insécurité alimentaire future. L’assistance alimentaire permet, dans de telles circonstances, d’éviter la vente de maigres actifs, de réserves alimentaires et de semences, et donc d’assurer une meilleure récolte lors de la campagne suivante.

2.8 L’agriculture ne se limite bien évidemment pas aux zones rurales. De plus en plus, l’agriculture urbaine (et périurbaine) devient une source de revenus supplémentaires pour un grand nombre de citadins. L’assistance alimentaire aux pauvres des villes peut favoriser la croissance de l’agriculture urbaine, et contribuer à réduire l’insécurité alimentaire.

2.9 L’assistance alimentaire utilisée dans le cadre de programmes de travaux publics (comme les programmes vivres-contre-travail) (encadré 1) peut stimuler la création d’infrastructures (comme les ouvrages pour la conservation des eaux et les périmètres d’irrigation, les routes rurales, les structures commerciales, etc.) qui est souvent une condition nécessaire à la croissance de la production agricole. Les programmes de travaux publics permettent en outre aux ruraux d’acquérir des compétences qui pourront, par la suite, être utiles pour créer des revenus en complément ou en remplacement des revenus agricoles.

2.10 En outre, les mécanismes de l’assistance alimentaire (y compris la distribution même de la nourriture), notamment s’ils sont confiés au secteur privé, peuvent constituer eux-mêmes une activité créatrice de revenus. Même lorsque la distribution reste dans le domaine public, elle crée des emplois pour une partie de la population.

2.11 L’assistance alimentaire, ciblée avec discernement, peut réduire le coût d’opportunité des productions autres que celle de subsistance, encourager la diversification vers ces secteurs et stimuler la croissance des revenus dans les zones non propices à la production vivrière. La hausse des revenus qui en résulterait devrait gonfler la demande de produits alimentaires de base et pousser la croissance de la production vivrière dans les zones où elle constitue une option efficace.

 

Encadré 1
L'ASSISTANCE ALIMENTAIRE ET LES PROGRAMMES DE TRAVAUX PUBLICS

L’assistance alimentaire peut appuyer des activités dont bénéficient directement les personnes exposées à une très grande insécurité alimentaire dans les zones à déficit vivrier, bien souvent sous forme de salaires dans le cadre de programmes à forte intensité de main-d’oeuvre. De tels programmes de travaux publics sont d’une grande utilité pour apporter des emplois aux groupes vulnérables et leur permettre de gagner leur vie. Ces interventions étant d’assez courte durée, elles conviennent particulièrement dans les périodes qui suivent immédiatement une situation d’urgence, et pour des opérations de redressement et de développement. Pour être efficaces, les programmes de travaux publics pour le redressement et le developpement doivent: procurer des revenus aux groupes-cibles (les ménages à faible revenu ou victimes de situations d’urgence); être à une échelle suffisante pour avoir un impact appréciable au niveau des ménages à faible revenu; contribuer dans le moyen terme à renforcer la capacité des groupes vulnérables à satisfaire leurs besoins essentiels, en augmentant leurs possibilités d’emplois et/ou leur productivité, ou encore en renforçant le capital social utile; faire en sorte que le coût par poste de travail soit raisonnable et qu’une part élevée des coûts totaux revienne aux salaires; et constituer des investissements utiles, c’est-à-dire accroître le potentiel productif à long terme et avoir un rendement économique comparable à celui d’autres projets.

Les programmes de travaux publics ont créé beaucoup d’emplois, qui ont en général été occupés par des ouvriers à faible revenu (la population cible). En Indonésie, par exemple, le programme de Kabupaten (1970-1973) a créé près d’un million d’emplois, dont plus de la moitié ont été occupés par des paysans sans terre occasionnels. Le Programme de garantie de l’emploi du Maharastra en Inde a employé 800 000 ouvriers en 1978-1979, la plupart d’entre eux étant des ouvriers agricoles ou de petits agriculteurs. En République-Unie de Tanzanie, un programme spécial de travaux publics a procuré aux petits agriculteurs 864 journées de travail par personne (1980-1982), auquel il faut ajouter 54 millions jours-personne correspondant à l’autoassistance. (Cornia, Jolly et Stewart, 1987).

Les programmes incluent souvent la création de capital social dans les zones à faible revenu, ce qui favorisera les pauvres dans le long terme. Par exemple, dans le cadre d’un de ces programmes dans le Tamil Nadu (Inde), 19 puits communautaires, 26 bâtiments et quatre cours de récréation ont été construits. Un programme de la Sierra Leone a permis la construction d’écoles primaires et de dispensaires. Le Programme destiné aux zones sujettes à la sécheresse en Inde a deux objectifs: assurer une stabilité des revenus et améliorer l’infrastructure et les exploitations agricoles afin d’augmenter la productivité à long terme et de réduire la vulnérabilité à la sécheresse.

L’assistance alimentaire financière permet de distribuer des salaires en espèces à ceux qui participent aux programmes de travaux publics, ce qui est un moyen efficace de lutter contre la pauvreté et d’améliorer la sécurité alimentaire. Toutefois, ces participants peuvent également être rémunérés directement sous forme de nourriture (vivres-contre-travail).

Les programmes vivres-contre-travail sont probablement les meilleurs exemples de l’utilisation de l’assistance alimentaire pour créer des actifs et réduire directement la faim chronique. Au Burkina Faso, le programme le plus important est un programme de vivres-contre-travail. Ceux-ci conviennent particulièrement dans les cas où les problèmes de disponibilités alimentaires sont la cause profonde de la baisse des revenus et de la perte d’accès à la nourriture. Il faut éviter de rémunérer le travail en aliments dans les régions qui ont des excédents agricoles ou encore dont les marchés de produits alimentaires fonctionnent bien. Un salaire sous forme de nourriture serait inopportun car il ferait baisser les prix locaux, et pourrait entraîner l’effondrement des approvisionnements locaux et compromettre ainsi la sécurité alimentaire future.

Les programmes de travaux publics peuvent être financés à 100 pour cent par des fonds nationaux (par exemple, le Programme de garantie de l’emploi du Maharastra en Inde et le Programme indonésien de Kabupaten) ou dépendre entièrement de fonds extérieurs (comme les programmes spéciaux de travaux publics de la Sierra Leone et de la République-Unie de Tanzanie). L’aide alimentaire de source extérieure est employée directement pour payer les ouvriers (par exemple, le Projet Sharmaden du Sri Lanka) et parfois indirectement, grâce au produit de la vente des denrées fournies (par exemple, le Programme du Bangladesh dans les années 60).

Sont exclus des programmes vivres-contre-travail et d’autres programmes de travaux publics les très jeunes gens, les vieillards, les handicapés, et certains parents uniques qui doivent s’occuper des enfants. Dans ces cas, le soutien direct en espèces ou en nourriture est le meilleur moyen de soulager leur pauvreté et leur faim.

2.12 Si la majorité des affamés dans les zones rurales et une portion appréciable (de plus en plus grande) de ceux des zones urbaines trouvent dans l’agriculture emplois et revenus, il existe des groupes importants d’affamés (que ce soit dans les villes des pays riches et pauvres, ou dans les campagnes de certains pays) qui ne tirent que très peu, ou même pas du tout, de revenus de l’agriculture. Il est donc indispensable de créer des emplois non agricoles (par exemple, par des programmes de travaux du secteur public) pour que les pauvres actuels puissent avoir des revenus et améliorer leur sécurité alimentaire.

L'assistance alimentaire et les femmes: renforcer la sécurité alimentaire des ménages

2.13 Les femmes ont un rôle essentiel à jouer dans la victoire sur la faim (Quisumbing et al., 1995). C’est en grande partie sur elles que repose la sécurité alimentaire des ménages et l’expérience montre que, quand les ressources sont entre leurs mains, elles bénéficient davantage à la nutrition des enfants que lorsqu’elles sont confiées aux hommes. Selon Pena, Webb et Haddad (1994), les femmes tendent plus que les hommes à consacrer un certain revenu à l’alimentation de la famille. Ainsi, mettre les ressources à la disposition des femmes, c’est investir dans la sécurité alimentaire. Quand le développement vise les femmes, ses avantages ne se limitent pas aux femmes: ils s’étendent aux familles et à la communauté tout entière.

2.14 L’assistance alimentaire n’est qu’une des ressources destinées à favoriser le progrès dans les ménages qui souffrent de la faim, mais elle atteint souvent les femmes de ces ménages plus efficacement que les apports de capitaux qui représentent près de 95 pour cent de l’assistance totale au développement. L’assistance alimentaire pourrait être d’un grand secours aux femmes nécessiteuses. La nourriture utilisée comme salaire ou comme incitation à participer à des activités rémunératrices ou formatrices atteint les femmes des ménages vivant dans l’insécurité alimentaire alors qu’elles sont souvent évincées des projets offrant des ressources financières. De la même manière, si les aliments distribués comme tout ou partie du salaire correspondant aux activités du programme sont parmi les moins prisés, ils ne sont incitatifs que pour les membres les plus pauvres de la communauté. L’assistance alimentaire est une sorte de guichet de ressources pour les pauvres parmi les pauvres, et en particulier les femmes.

Assistance directe aux victimes de la faim chronique

2.15 L’assistance alimentaire directe comprend des programmes de transfert de revenus et la distribution directe de nourriture. La plupart des pays allient ces formes d’assistance alimentaire directe à des formes indirectes (éducation nutritionnelle et politiques macroéconomiques qui influent sur les prix et donc sur la consommation alimentaire).

Programmes de transfert de revenus

2.16Dans les pays en développement, les frais de nourriture représentent plus de 80 pour cent des dépenses totales pour les familles les plus pauvres et constituent un poste de budget important même pour les personnes à revenus moyens ou supérieurs; dans les pays développés eux-mêmes, ils représentent une portion appréciable des dépenses totales chez les pauvres; aussi, la plupart des programmes d’assistance alimentaire ont-ils fait une place notable aux transferts de revenus en faveur de ceux qui sont affamés ou qui risquent de le devenir. Ces programmes diminuent le coût de la nourriture de ceux qui en bénéficient (transferts de type alimentaire) et augmentent la consommation alimentaire de ceux qui ont des revenus faibles (transferts de revenus monétaires et de type alimentaire). Les programmes de transfert de revenus10 se mettent en place plus facilement et plus rapidement que les programmes de création de revenus comme les programmes d’emplois dans des travaux publics.

2.17 Les transferts de revenus monétaires peuvent se faire sous forme d’un soutien direct comme dans le Programme d’aide aux familles ayant des enfants à leur charge des Etats-Unis (AFDC), qui apporte un complément de revenus aux ménages à très faible revenu ayant des enfants de moins de 18 ans, ou encore sous forme d’espèces contre travail comme dans le Programme de garantie d’emploi du Maharastra en Inde. Les transferts de revenus monétaires partent du principe que l’insécurité alimentaire est le résultat d’un manque d’accès dû à un manque de revenus. S’ils permettent de lutter contre la faim chronique, ils sont moins efficaces dans les situations d’urgence où ce sont les disponibilités alimentaires qui manquent. Lorsque les transferts de revenus en espèces sont correctement ciblés, ils sont faciles à organiser, ils donnent aux bénéficiaires toute liberté pour décider des sommes à consacrer à chaque denrée alimentaire, et ils ont les effets d’entraînement les moins nocifs sur les systèmes de production alimentaire. Toutefois, les transferts de revenus monétaires mal ciblés peuvent réduire les incitations au travail (notamment lorsqu’ils sont plus élevés que les salaires réels en vigueur) et décourager la constitution d’épargne et autres réserves (car leur possession exclut la participation aux programmes). En bref, les transferts de revenus monétaires peuvent accroître la dépendance vis-à-vis de l’aide sociale. Là où un tel risque existe, il faut s’efforcer d’associer les transferts monétaires au développement humain de sorte que les salaires des individus qui obtiennent une qualification dans le cadre du programme puissent être augmentés.

2.18 Les programmes de transfert de revenus de type alimentaire essaient de transférer des revenus aux familles ou individus dans des groupes cibles, sous la forme de pouvoir d’achat de nourriture, pour assurer la hausse des apports alimentaires. Ces programmes se présentent sous de nombreuses formes différentes, dont les plus courantes sont les tickets d’alimentation et les centres de distribution de rations. Ils permettent de lutter utilement contre la faim chronique. Un argument en faveur de ce type de transfert tient au fait que la part du revenu supplémentaire consacrée à la nourriture est plus grande dans ce cas (plus forte propension marginale à consommer des aliments) que lorsqu’il s’agit d’espèces. Aussi, les groupes de population nantis sont-ils en général plus enclins à soutenir les transferts de revenus destinés à soulager une misère humaine évidente, comme la malnutrition extrême et criante, que les transferts de revenus généraux pour lesquels les décisions de dépenses sont laissées aux ménages bénéficiaires. Les Etats-Unis d’Amérique (encadré 2) font partie des pays qui utilisent les programmes de transfert de revenus de type alimentaire comme forme d’assistance alimentaire.

 

Encadré 2
VAINCRE LA FAIM AUX ÉTATS-UNIS

On estime qu’aux Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, le nombre des affamés qui était de 20 millions en 1985, a atteint 30 millions en 1990 (First World Hunger, cité par le Bread for the World Institute, 1996). Sur 13.6 millions d’enfants de moins de 12 ans, près d’un tiers sont affamés ou risquent de l’être (Bread for the World Institute, 1996).

Le Gouvernement des Etats-Unis a mis au point un ensemble de programmes fortement structurés pour lutter contre l’insécurité alimentaire intérieure. L’assistance alimentaire moderne a commencé dans les années 30. Le Département de l’agriculture des Etats-Unis (USDA), principal véhicule de l’assistance alimentaire fédérale, gère 16 programmes d’assistance alimentaire dont les objectifs sont d’améliorer l’état nutritionnel par l’accès à une alimentation de plus grande qualité, de donner de meilleures habitudes alimentaires aux enfants de la nation, et d’aider ses agriculteurs en fournissant un débouché pour la distribution des denrées alimentaires achetées dans le cadre des services de support des agriculteurs (USDA, 1996). Plus de 45 millions de personnes en moyenne par mois, soit un Américain sur cinq, bénéficient aujourd’hui de programmes de nutrition. Le Programme de tickets d’alimentation à lui seul, touche près de 27 millions de personnes chaque mois, dont plus de la moitié sont des enfants, et 7 pour cent des personnes âgées.

L’USDA travaille en association avec les Etats dans tous ses programmes. Le Gouvernement fédéral prend en général à sa charge les coûts alimentaires des programmes et partage les coûts administratifs avec les Etats. Ceux-ci sont chargés de décider des conditions d’admission des personnes nécessiteuses au bénéfice de ces programmes ainsi que de la prestation des services.

Les crédits alloués aux programmes d’assistance alimentaire de l’USDA se sont élevés à près de 38 milliards de dollars EU pour l’exercice budgétaire 1995. Ces programmes ont été conçus comme des filets de sécurité devant permettre aux personnes à faible revenu de faire face à leurs besoins nutritionnels essentiels; ils se présentent sous des formes variées, et diffèrent par leur taille, les avantages distribués et la population ciblée. Trois programmes, le Programme de coupons d’alimentation, le Programme national de repas à l’école et le Programme spécial d’alimentation complémentaire destiné aux femmes, aux nourrissons et aux jeunes enfants (WIC), comptent pour 88 pour cent des dépenses totales d’assistance alimentaire.

Le Programme de coupons d’alimentation constitue la pièce maîtresse des programmes d’assistance alimentaire de l’USDA; il complète le pouvoir d’achat des ménages à faible revenu en distribuant des allocations mensuelles sous forme de coupons ou de cartes de transfert électronique d’allocation qui sont utilisables dans les magasins d’alimentation de détail agréés. Le Programme de coupons d’alimentation – un droit depuis 1974 en ce sens que toute personne remplissant les conditions requises a droit aux coupons d’alimentation – est le seul programme alimentaire conçu pour faire face aux besoins nutritionnels des ménages à faible revenu.

Le Programme national de repas à l’école distribue des repas subventionnés aux écoles publiques et privées à but non lucratif ainsi qu’aux établissements de soins pour enfants. Les enfants à faible revenu reçoivent des repas gratuits ou à prix réduits. Ce programme, comme celui des coupons d’alimentation, est un droit pour tous ceux qui remplissent les conditions requises.

Le Programme WIC a pour objectif d’améliorer la santé des personnes à risque sur le plan nutritionnel, femmes enceintes ou accouchées à faible revenu, nourrissons et enfants jusqu’à cinq ans, en leur apportant des aliments d’appoint nutritifs (lait, jus, oeufs, céréales et haricots), une éducation et une aide nutritionnelles comme complément des soins de santé. C’est le seul programme alimentaire fédéral qui cible la vulnérabilité nutritionnelle, en même temps que le revenu. Chaque dollar dépensé par le programme WIC pour les femmes enceintes permet d’économiser 3,50 dollars de Medicaid et de frais d’éducation spéciale en augmentant le poids à la naissance et la durée de la grossesse. Au contraire des programmes de coupons d’alimentation et de nutrition scolaire, le WIC ne constitue pas un droit. Il est tributaire des crédits budgétaires votés chaque année et il ne peut aujourd’hui prendre en charge que 72 pour cent des personnes concernées.

Outre les programmes gouvernementaux, il existe environ 150 000 institutions privées qui distribuent l’équivalent de 3 à 4 milliards de dollars de produits alimentaires aux personnes qui ont faim.

On peut tirer un certain nombre d’enseignements des 20 à 30 années d’expérience de programmes alimentaires qui pourraient servir dans les pays en développement. Tout d’abord, même dans des pays comme les Etats-Unis, des sous-groupes de la population sont souvent menacés de faim et d’insécurité alimentaire. Les programmes alimentaires ciblés comme les coupons d’alimentation et le WIC constituent des moyens efficaces d’atteindre ces groupes vulnérables. D’ailleurs, les données sur l’ensemble du pays montrent que, pendant la période allant de 1965-1966 à 1977-1978, le régime alimentaire des ménages à faible revenu bénéficiant de coupons alimentaires s’est davantage amélioré que celui des autres groupes de revenus. Cibler l’aide sur le revenu et/ou le risque nutritionnel permet d’atteindre plus efficacement les ménages et les individus vulnérables.

 

 

Programmes d’alimentation directe

2.19 Les programmes d’alimentation directe transfèrent la nourriture directement à la population cible. Ils comprennent les repas scolaires, les colis alimentaires des centres de santé ainsi que les programmes d’alimentation en établissement, les soupes populaires et les cantines spéciales. Il peut s’agir de rations complètes ou de compléments nutritionnels, comme des vitamines ou du fer, pour parer aux carences en micronutriments. Les programmes d’alimentation directe sont particulièrement efficaces dans les situations d’urgence et lorsque la faim est un problème saisonnier et que la vulnérabilité est fonction de l’âge ou du sexe. Ils diffèrent des programmes de transfert de revenus en ce sens que: ils ciblent en général certains membres des ménages plutôt que les ménages eux-mêmes; ils mettent généralement en cause de petites quantités de nourriture; et ils sont souvent limités à des zones géographiques relativement peu étendues.

2.20 Sauf dans les situations d’urgence, les programmes d’alimentation directe visent en général les membres des ménages qui souffrent le plus vraisemblablement de malnutrition ou qui en sont menacés; par exemple, les enfants et les mères enceintes et allaitantes. On utilise, pour distribuer cette aide directe l’un des trois systèmes suivants: l’alimentation sur place (comme les petits déjeuners et/ou les déjeuners à l’école), la nourriture à emporter et les centres de récupération nutritionnelle. Il est probable que les efforts entrepris pour cibler des individus plutôt que des ménages soient superflus, étant donné les opérations de substitution et de partage qui interviennent certainement à l’intérieur du ménage – cela est particulièrement vrai de la nourriture à emporter.

2.21 L’alimentation directe traite les symptômes et non les causes. Aussi, à moins de supprimer les causes – notamment par des programmes de transfert de revenus et la création de revenus (voir par exemple, l’encadré 3) – les individus qui ne répondent plus aux conditions pour l’alimentation directe (par exemple, les enfants qui ont quitté l’école où ils étaient nourris) risquent de retomber dans le même état nutritionnel qu’auparavant. Les programmes d’alimentation restent, toutefois, un moyen efficace de protection contre la faim actuelle ou le risque immédiat de faim.

 

Encadré 3
OFFENSIVE CONTRE LA FAIM ET LA PAUVRETÉ DANS L'ÉTAT DU GOIAS
AU BRÉSIL

Au Brésil, le gouvernement de l’Etat du Goias, en collaboration avec les ONG et la société civile, a mis en place, depuis le début de 1995, un Programme d’aide pour les familles nécessiteuses, qui présente de multiples aspects. L’Etat consacre 4 pour cent de son budget au programme qui a pour objectifs de lutter contre la pauvreté, de se libérer de la faim, d’améliorer la santé, et de fournir un toit aux plus pauvres. C’est peut-être l’action coordonnée la plus importante qui ait été entreprise pour combattre la faim au Brésil; elle est un bon exemple des corrélations qui existent entre la santé, l’éducation et la sécurité alimentaire. Par l’intermédiaire du Secrétariat spécial de solidarité humaine, 19 secrétariats d’Etat (dont ceux de l’éducation, de la santé et du développement urbain) collaborent avec 232 conseils municipaux, 4 800 organismes non gouvernementaux et 11 000 volontaires, pour encourager les vaccinations des enfants, la fréquentation des écoles et la création d’emplois. L’eau et l’électricité sont gratuites pour les familles dont les revenus sont inférieurs à 100 dollars EU par mois.

La nourriture est au centre du programme tout entier. Avec le slogan «la garantie de nourriture, un droit fondamental», l’Etat distribue des colis alimentaires gratuits à toutes les familles dont les revenus déclarés mensuels sont inférieurs à 100 dollars. Mais, pour recevoir les colis alimentaires, les enfants des ménages à faible revenu doivent montrer leurs certificats de vaccination et de fréquentation scolaire. Ce programme a donc assuré la sécurité alimentaire immédiate par la distribution directe de nourriture et par des transferts de revenus comme l’exemption de paiement des services publics de base, mais également celle du futur par l’amélioration de la santé des adultes de demain, la création d’emplois et le développement du capital humain.

Formes indirectes d'assistance

2.22 La sécurité alimentaire a besoin d’un contexte qui lui soit favorable: les politiques de prix, de taux de change et les politiques commerciales ont toutes une influence sur le prix des denrées et donc sur la consommation alimentaire dans un ensemble économique donné. Là où les contrôles de prix sont en place, les gouvernements orientent les prix pour favoriser les cultures d’exportation, ce qui se traduit par une production vivrière inférieure à ce qu’elle aurait été sans intervention. Toutes choses égales par ailleurs, un approvisionnement insuffisant fera monter les prix alimentaires à moins que le gouvernement ne contrôle également ce secteur du marché.

Les subventions génerales des prix des aliments

2.23 Les subventions des prix des aliments11 sont des pratiques courantes dans les pays à faible revenu dont l’objectif est souvent de ramener les prix à la consommation à un niveau inférieur à celui du marché libre. Subventionner les produits de consommation est devenu l’une des fonctions principales des nombreux offices de commercialisation créés ou élargis dans la plupart des pays en développement pendant les années 60 et 70. Les programmes de subvention ont des objectifs qui varient selon les pays et avec le temps; ils peuvent vouloir améliorer le pouvoir d’achat réel de tous ou de quelques groupes de consommateurs, réduire ou éliminer les carences énergétiques ou nutritives dans les groupes de population à faible revenu, maintenir de bas salaires dans les villes et assurer la stabilité sociale et politique (Pinstrup-Andersen, 1988). Les subventions des prix des aliments peuvent constituer des subventions directes ou indirectes à l’ensemble des prix avec peu ou pas de définition des cibles (en Egypte et en Zambie, par exemple).

2.24 Les subventions des prix des aliments peuvent améliorer l’état nutritionnel, et cela de trois façons: premièrement, elles augmentent le pouvoir d’achat des bénéficiaires parce qu’ils peuvent acheter plus de nourriture pour le même prix; deuxièmement, elles diminuent le prix de la nourriture par rapport à celui des autres produits, ce qui favorise les dépenses alimentaires des ménages; et troisièmement, elles rendent certains produits alimentaires moins chers que d’autres, et encouragent ainsi une modification du régime alimentaire. Ainsi, outre leur fonction de transfert de revenus, les subventions appliquées à des denrées spécifiques permettent également d’orienter les consommateurs vers des régimes de qualité nutritionnelle optimale.

2.25 Lorsque les subventions des prix des aliments ne sont pas ciblées, les coûts budgétaires peuvent être énormes et les bénéfices absolus beaucoup plus importants pour les ménages nantis que pour les pauvres (Cornia, Jolly et Stewart, 1987). Cependant, dans la mesure où ils consacrent une plus grande proportion de leur revenu à la nourriture, les bénéfices exprimés en pourcentage des revenus courants sont supérieurs pour les pauvres. Cela est important, car si l’on supprime complètement les subventions (par exemple, dans l’objectif d’une libéralisation des prix et pour diminuer les déficits budgétaires) parce qu’elles avantagent surtout les nantis (en valeur absolue), les pauvres seront pénalisés encore davantage.

2.26 Outre les coûts budgétaires directs, les subventions des prix des aliments ont d’autres coûts éventuels. Afin que les pauvres disposent des produits alimentaires essentiels à des prix faibles et stables, les gouvernements peuvent recourir aux monopoles de commercialisation qui paient à bas prix les produits des cultures vivrières locales. Ces mesures font baisser les productions vivrières et peuvent nuire à la sécurité alimentaire future. Il vaut mieux déplacer la charge des subventions des produits alimentaires sur l’ensemble des contribuables et utiliser les recettes fiscales pour subventionner les prix à la consommation plutôt que de faire baisser artificiellement les prix agricoles.

2.27 Il faut venir en aide aux groupes qui souffrent de malnutrition chronique. Les subventions peuvent, et doivent, être mieux ciblées pour répondre aux besoins de ceux qui sont vulnérables au plan nutritionnel dans les meilleures conditions d’économie et d’efficacité. Ainsi, les programmes qui circonscrivent les subventions aux régions les plus pauvres, ou aux zones les plus pauvres des régions pauvres, ou encore les programmes centrés sur les denrées consommées principalement par les pauvres, peuvent avoir une réelle efficacité économique. Au Brésil, par exemple, on aiderait sans doute plus efficacement les pauvres en subventionnant le manioc plutôt que le riz, le pain ou le maïs. Un étude montre qu’une subvention de 1 dollar EU sur le manioc produirait un bénéfice de 0,60 dollar dans les groupes à faible revenu du Brésil, contre 0,40 dollar pour le maïs, 0,23 dollar pour le riz et 0,18 dollar pour le pain (Banque mondiale, 1986). Plutôt que de rejeter globalement les subventions des prix des aliments, les décideurs devraient s’efforcer de mettre au point des programmes de subventions alimentaires qui redistribuent efficacement les revenus sans réduire l’efficacité de la répartition des ressources.

Les réserves de sécurité alimentaire

2.28 Les réserves de sécurité alimentaire12, qui ont fait l’objet d’une grande attention, notamment depuis la déclaration sur l’éradication de la faim et de la malnutrition par la Conférence mondiale de l’alimentation de 1974, font également partie des formes indirectes d’assistance alimentaire. Les politiques nationales d’aménagement des réserves de sécurité alimentaire ont en général été axées sur trois types de stocks alimentaires:

2.29 Dans la plupart des pays, les réserves alimentaires remplissent une ou plusieurs de ces fonctions. L’encadré 4 montre comment le Malawi, un PFRDV, et l’un de ceux dont l’insécurité alimentaire est la plus grande, utilise sa réserve alimentaire stratégique comme une première ligne de défense contre la faim dans les situations d’urgence, et essaie – pas toujours avec succès – d’assurer la stabilité des approvisionnements alimentaires à des prix relativement constants pendant le reste du temps.

2.30 Les réserves d’urgence, en général détenues par le secteur public, plus par devoir national que pour des raisons commerciales, servent de disponibilités temporaires qui garantissent un niveau minimal de consommation en attendant l’arrivée des importations commerciales de vivres ou de l’aide alimentaire. Alors que les affamés chroniques bénéficient des deux premiers types de réserves – opérationnelles et de stabilisation – les réserves d’urgence sont les plus immédiatement utiles aux individus menacés de faim aiguë dans les situations de crises.

2.31 Les réserves de sécurité alimentaire peuvent être des stocks physiques ou des réserves financières ou une association des deux. La nécessité d’un stock physique résulte des délais d’importation et de l’incertitude quant aux disponibilités en devises étrangères pour des importations commerciales de céréales. La création d’une réserve financière en devises, affectée à l’importation de céréales en cas de dégradation de la situation alimentaire, est un mécanisme qui permet de réduire l’importance du stock physique – dont la conservation peut s’avérer très coûteuse. La réserve financière présente l’avantage majeur de rapporter des intérêts, alors que le stock physique perd toujours de sa qualité et en général de sa valeur. Toutefois, il ne faut pas oublier que les réserves financières de sécurité, tout comme les stocks physiques, doivent être reconstituées après épuisement, une difficulté supplémentaire pour les pays en développement à court de liquidités lorsque le déstockage porte sur des devises étrangères.

 

Encadré 4
LA RÉSERVE STRATÉGIQUE DE CÉRÉALES AU MALAWI: PREMIÈRE
LIGNE DE DÉFENSE

La sécurité alimentaire est primordiale pour le développement du Malawi et pour l’amélioration générale des conditions de vie de la population. Aussi, le gouvernement malawien a-t-il voulu, en priorité, accroître la sécurité alimentaire à l’échelon national et à l’échelon des ménages avec l’objectif ultime de relever les niveaux nutritionnels de la population, et notamment des membres les plus vulnérables de la société. La fréquence des catastrophes naturelles, comme la sécheresse, les inondations et la destruction des récoltes par les ravageurs, au cours des récentes années, a renforcé la résolution du gouvernement de s’assurer de l’accès permanent du pays à des disponibilités alimentaires adéquates pour répondre aux besoins commerciaux, comme aux crises alimentaires locales. Pour ce faire, le Malawi maintient une réserve stratégique de céréales qui a pour objet de stabiliser les disponibilités nationales (fonction opérationnelle), de garantir la stabilité des prix du maïs à la consommation et à la production (fonction de stabilisation des prix) et de constituer une source pour le secours alimentaire d’urgence (fonction de réserve alimentaire d’urgence).

Si le gouvernement décide en dernier lieu de la distribution des stocks aux zones déficitaires, la responsabilité de gérer la réserve revient à la Société pour le développement et la commercialisation agricole, un office agréé de commercialisation, qui est le principal acheteur du maïs des producteurs. Pour ce qui concerne la gestion de la réserve, la société a une mission sociale (non commerciale) dont le coût lui est remboursé par le gouvernement.

La réserve stratégique a été établie au début des années 1980 avec un niveau objectif de 180 000 tonnes, soit environ trois mois de consommation totale de maïs. Au début des années 90, la consommation annuelle avait atteint 1,5 million de tonnes, et les 180 000 tonnes représentaient moins de 1,5 mois de consommation totale de maïs.

Depuis le milieu des années 80, le Malawi a connu trois cas drastiques de situations d’urgence. Chaque fois, les stocks nationaux, associés aux interventions de la communauté des donateurs sous forme d’aide alimentaire, ont permis d’éviter une catastrophe humaine. Etant donné le décalage entre les demandes d’aide extérieure et l’arrivée sur place de l’aide alimentaire, la réserve stratégique a servi de première ligne d’assistance pour les groupes vulnérables – pauvres des villes et des campagnes et réfugiés en provenance du Mozambique. Les résultats de ces actions d’urgence ont conduit les responsables du gouvernement à considérer l’objectif de 180 000 tonnes comme un niveau minimum de stocks de maïs dans la réserve stratégique (Neils, Reed et Lea, 1992). Toutefois, la réouverture de la voie ferrée vers le port de Nacala au Mozambique (sa fermeture expliquait en grande partie le retard énorme et le coût de transport prohibitif des importations de denrées alimentaires), et le retour au Mozambique de plus de 1 million de réfugiés (qui se trouvaient jusque-là dans le pays) font qu’il conviendrait de reconsidérer l’objectif de stock minimum.

 

2.32 Si l’on ne peut nier la valeur des réserves alimentaires, celles-ci doivent compléter, et non remplacer, des mesures permettant de garantir des disponibilités alimentaires adéquates. La création et le maintien des réserves alimentaires sont des opérations coûteuses. Malheureusement, les pays pauvres à insécurité alimentaire, où les risques de pénuries alimentaires sont les plus hauts et qui ont le plus grand besoin de réserves, sont ceux qui ne peuvent constituer ces réserves, trop coûteuses, sans aide extérieure.

2.33 Il est indispensable que les gouvernements – en collaboration avec leurs partenaires de développement – analysent tous les coûts et avantages de la constitution de réserves, et leurs niveaux appropriés, compte tenu du fait que les stocks alimentaires globaux sont en baisse13 et que, dans les pays exportateurs traditionnels, la proportion des stocks privés (et gérés sur des bases strictement commerciales) augmente par rapport aux stocks nationaux, ce qui indique des hausses de prix potentielles et d’éventuelles difficultés à se procurer des denrées d’importation à brève échéance.

Education nutritionnelle

2.34 Lorsque l’ignorance est une cause majeure de malnutrition, les programmes d’éducation nutritionnelle peuvent avoir leur utilité. L’éducation nutritionnelle qui aurait pour objectif de redistribuer un montant donné de revenu réel ou de produits alimentaires dans des ménages comprenant des membres vulnérables, est vouée à l’échec (voir encadré 5), excepté si une partie importante du budget du ménage est consacrée à des produits non-essentiels et que le coût du régime alimentaire courant est élevé en raison du manque de priorité accordé aux groupes à haut risque. Le plus souvent toutefois, le problème tient au fait que les ménages n’ont pas les moyens suffisants pour acheter les aliments nécessaires à une meilleure nutrition; dans ce cas, l’éducation nutritionnelle doit être associée à des formes directes d’assistance (notamment des transferts de revenus) pour être efficace.

 

Encadré 5
SUBVENTIONS DES PRIX DES ALIMENTS ET ÉDUCATION
NUTRITIONNELLE AUX PHILIPPINES

Un plan pilote de subvention des prix des aliments, ciblé géographiquement, a été mis en application dans trois provinces des Philippines en 1983-1984. Il visait les ménages ayant des enfants d’âge préscolaire et souffrant de malnutrition. Il semble que ce plan ait réussi à atténuer la malnutrition dans les sept villages qui y ont participé. Il consistait à réduire les prix du riz et de l’huile de cuisine et à dispenser une éducation nutritionnelle. Les sept villages avaient été choisis en raison de l’incidence élevée de la malnutrition et de la pauvreté. Le ciblage étant géographique, tous les ménages des villages sélectionnés, pour y appliquer les prix réduits, remplissaient les conditions requises. Chaque ménage a reçu une carte de ration indiquant son quota mensuel de riz et d’huile, calculé en fonction de la taille de la famille. La ration de riz bénéficiant d’un prix réduit représentait la moitié de la consommation normale de la plupart des ménages, mais la ration d’huile dépassait le volume ordinaire acheté auparavant. Selon une étude de l’IFPRI (Garcia et Pinstrup-Andersen, 1987), l’élément subvention du plan a provoqué une hausse des dépenses alimentaires et de l’énergie achetée et consommée des ménages, ainsi que de la consommation énergétique de la plupart des individus composant les ménages. Les adultes ont bénéficé des parts les plus larges, mais le poids moyen des enfants d’âge préscolaire a également augmenté.

L’étude a aussi observé que le second élément du plan – l’éducation nutritionnelle - avait un petit effet positif dans les ménages où il était associé aux subventions. Mais aucun effet n’a pu être constaté lorsque l’éducation était dispensée sans complément de pouvoir d’achat. Par contre, la subvention sans l’élément éducatif était également efficace.

Les frais administratifs ont été faibles (9 pour cent de la dépense totale), de même que les primes versées aux détaillants pour assurer une distribution efficace des produits subventionnés (7 pour cent). Les subventions ont donc représenté 84 pour cent du coût du plan.

Toutefois, le ciblage géographique signifiait que même les ménages sans enfants mal nourris d’âge préscolaire bénéficiaient du plan. Si donc le coût budgétaire de chaque dollar EU transféré aux ménages participants s’est élevé à peine à 1,19 dollar, le coût du transfert de ce même dollar aux seuls ménages ayant des enfants mal nourris d’âge préscolaire a atteint 3,61 dollars. De même, le coût d’un kilogramme de poids corporel pris par chaque enfant d’âge préscolaire participant au programme a été de 24 dollars par an, contre 56 dollars si l’on ne tenait compte que du poids pris par les enfants souffrant de malnutrition.

L’étude a conclu que, comparé à d’autres programmes d’alimentation et de nutrition, le rapport coût-efficacité du plan était favorable; mais que l’objectif d’accroître la consommmation alimentaire des ménages ayant des enfants souffrant de malnutrition et d’améliorer l’état nutritionnel des enfants d’âge préscolaire, aurait pu être encore plus économique avec un ciblage complémentaire basé sur le suivi de la croissance.

 

Protection des marchés locaux de produits alimentaires 14

2.35 Les programmes d’assistance alimentaire peuvent avoir des effets délétaires sur le développement et sur la sécurité alimentaire future. Comme noté ci-dessus, les programmes de lutte contre la faim comportant des subventions des prix des aliments généralisées peuvent entraîner une baisse de la production (s’ils sont associés à de faibles prix d’achat par les monopoles de commercialisation) et peuvent être très coûteux s’ils durent longtemps. De plus, les ressources dépensées pour les populations non ciblées pourraient être plus efficacement utilisées dans d’autres secteurs de l’économie. Les programmes de nourriture à emporter n’atteignent pas les membres ciblés des ménages avec la même efficacité, celle-ci dépendant de la répartition de la nourriture à l’intérieur du ménage. La distribution de revenus monétaires ou de nourriture aux ménages ou aux individus à faible revenu, qui ne serait pas associée à des programmes éducatifs visant à renforcer les capacités de gain des bénéficiaires en l’absence de toute assistance, pourrait créer une dépendance à l’égard du programme et un manque d’incitation au travail. La distribution d’aide alimentaire internationale à des pays qui n’en ont pas réellement besoin pourrait conduire à l’élaboration ou au maintien de politiques peu favorables à la hausse de la production vivrière. Plus simplement, l’excès d’assistance alimentaire peut être contreproductif. Les générations de pauvres d’aujourd’hui et celles de demain pourraient payer chèrement les abus en ce domaine.

2.36 L’assistance alimentaire peut également modifier les habitudes de consommation en créant une sujétion à des produits alimentaires qui ne correspondent pas aux aliments de base traditionnels.

2.37 Il faut analyser de façon rigoureuse l’impact de l’assistance alimentaire sur les marchés locaux avant de la distribuer – excepté, bien sûr, dans le cas de situations d’urgence aiguës où il est clair que les vivres de secours vont sauver des vies, et que prendre le temps nécessaire à l’analyse d’impact serait un luxe que l’humanité ne peut se permettre.

2.38 L’assistance alimentaire ne doit pas conduire au déplacement des marchés ou à la démotivation des producteurs. Ces dangers concernent aussi bien l’aide alimentaire provenant de sources internationales que les achats effectués dans d’autres régions du pays. Les produits de l’aide alimentaire internationale – selon le volume et la nature de l’aide – peuvent avoir des effets défavorables sur le marché local uniquement (lorsque le volume de l’aide est faible, et que les produits concernent une zone spécifique), ou sur le marché intérieur tout entier (lorsque le volume est suffisant pour avoir des répercussions nationales et/ou que les produits concernent une grande partie de l’économie intérieure). L’assistance alimentaire sous forme de produits de base financés par des ressources nationales et provenant du pays lui-même peut également provoquer des déplacements de marché et la démotivation des producteurs dans certaines parties du pays tout en créant une dépendance dans les régions de provenance des produits, avec à peu près les mêmes effets que les transactions triangulaires d’aide alimentaire (voir ci-dessous).

2.39 Quand la dénutrition chronique existe dans un contexte de marchés bien approvisionnés offrant des produits à des prix accessibles et stables, l’assistance alimentaire la plus appropriée pourrait être réalisée par des achats de produits effectués aussi près que possible de la zone prévue pour les programmes ciblés d’alimentation, ou encore par des transferts de revenus qui relèvent efficacement le pouvoir d’achat des ménages souffrant le plus de la faim, y compris par des emplois subventionnés.

2.40 Par contre, la distribution de produits de base, ciblée sur les plus affamés, peut être une bonne solution quand la dénutrition chronique se situe dans un contexte de marchés défaillants caractérisés par des approvisionnements irréguliers et de grandes fluctuations de prix. L’assistance alimentaire peut alors compléter les marchés défaillants et compenser leurs faiblesses.


3. L'assistance alimentaire pour sauver des vies

Crises et aide alimentaire

3.1 Le droit à la vie est consacré par la Charte des Nations Unies. Le premier impératif des interventions humaines est de sauver la vie de ceux qui ont été mis dans l’incapacité de se procurer de la nourriture. Les gens doivent survivre avant de pouvoir profiter du développement durable et y contribuer.

3.2 La nourriture est une ressource fondamentale pour sauver la vie des victimes de catastrophes naturelles et de crises causées par l’homme. Le nombre des victimes de catastrophes nécessitant une assistance d’urgence a fortement augmenté depuis 10 ans; il est passé de 44 millions au milieu des années 80 à plus de 175 millions en 1993 (Webb, 1995).

3.3 Les catastrophes naturelles – inondations, cyclones, sécheresse, séismes, éruptions volcaniques – continuent d’éprouver l’humanité. Aucun endroit n’est à l’abri de catastrophes naturelles. Cependant, en raison de la dégradation de l’environnement ainsi que de la rapide hausse des densités démographiques et des migrations vers les zones vulnérables, la région Asie et Pacifique est devenue la région la plus exposée aux catastrophes dans le monde. On estime à 800 le nombre des catastrophes naturelles pendant une période de 22 années, soit une moyenne de 35 par an, ce qui représente 60 pour cent des catastrophes naturelles signalées dans le monde, et huit sur 10 des plus dramatiques.

3.4 Il est des catastrophes naturelles imprévisibles, mais d’autres ont une évolution lente et peuvent être annoncées avec une certaine précision; par exemple, la désertification due à des atteintes à l’environnement. On pourrait éviter ces catastrophes à évolution lente ou tout au moins en atténuer la portée si une alerte rapide était donnée de leur déclenchement.

3.5 Tandis que les catastrophes naturelles continuent d’éprouver l’humanité, le nombre de situations d’urgence dites complexes causées par l’homme a fortement augmenté au cours des dernières années. Au milieu des années 90, au moins 50 conflits armés majeurs étaient en cours dans le monde; ces conflits tendaient à être de plus en plus nombreux et dévastateurs dans les pays en développement les plus pauvres (Hansch, 1995). On dit que certaines situations d’urgence sont complexes non pas tant en raison des manifestations de souffrance humaine (qui ne sont guère différentes de celles que provoquent d’autres crises), mais en raison de leur ampleur (elles ne se limitent souvent pas à un seul pays) et de la complexité de leurs causes et des solutions possibles, qui peuvent impliquer à la fois des aspects militaires et politiques.

3.6 En raison de cette multiplication des crises complexes, la faim aiguë est de plus en plus souvent associée à une instabilité politique dont les effets s’ajoutent à ceux de l’insuffisance des investissements passés, des déficiences des insfrastructures, de l’explosion démographique et des restrictions environnementales à de l’accroissement de la productivité. Tous ces facteurs se conjuguent pour rendre plus difficile encore la tâche de combattre la faim. Cette conjonction de facteurs défavorables à la sécurité alimentaire n’est que trop apparente en Afrique subsaharienne.

3.7 Les conflits ayant remplacé la sécheresse en tant que principale cause des famines et des déplacements de populations, le nombre des réfugiés, des personnes déplacées dans leur propre pays et des familles qui, sans avoir quitté leur foyer, ont perdu tous leurs biens, a brutalement augmenté, surtout en Afrique subsaharienne. Depuis le milieu des années 70, le nombre des réfugiés double environ tous les six ans. En 1994, il approchait de 25 millions, dont un tiers en Afrique (HCR, 1995; ECOSOC, 1995). Quant aux personnes déplacées dans leur propre pays, on estimait leur nombre à 25-30 millions en 1995, dont pas moins de 60 pour cent en Afrique (Organisation des Nations Unies, 1995; HCR, 1995). En 1991, 5 millions de citoyens du Mozambique (un tiers de la population totale) étaient réfugiés ou déplacés dans leur propre pays. Au total, quelque 50 millions de personnes ont été déracinées par des guerres ou des troubles politiques dans le monde.

3.8 Les conflits et les déplacements de population n’affament pas seulement les victimes directes, mais créent aussi de graves perturbations parmi les populations d’accueil, en général aussi pauvres elles-mêmes que ceux qui viennent leur demander asile: les prix des produits de base augmentent, les marchés du travail sont déstabilisés, les programmes locaux et nationaux de développement sont amputés, les ressources naturelles sont mises à rude épreuve par l’afflux de personnes déplacées qui ont besoin de terre et de bois pour survivre. Le phénomène récent de la croissance du nombre des réfugiés et des personnes déplacées ne donne aucun signe de ralentissement et semble très peu affecté par les progrès de la production et de la distribution des denrées alimentaires. Le remède aux déplacements massifs de population est en général politique et social plutôt que simplement économique ou écologique.

3.9 Les pertes humaines qui résultent de la faim ne sont qu’une partie de l’ensemble du problème. L’épuisement des ressources qu’entraînent les famines massives ou la création de camps de réfugiés prolonge les conséquences de l’insécurité alimentaire bien au-delà des effets immédiats. Après une catastrophe, même d’origine naturelle, les pertes humaines, la désintégration des communautés, la disparition des troupeaux, l’érosion de l’épargne et même de la capacité d’imposition et d’investissement de l’Etat, risquent de freiner considérablement le processus de redressement des ménages et de la nation. C’est pourquoi, une fois la situation stabilisée et le minimum vital assuré aux sinistrés, il faut avoir recours à diverses formes d’assistance alimentaire pour accroître les compétences et le capital des populations secourues au moyen de programmes de formation nutritionnelle et autre, d’amélioration des infrastructures et de développement communautaire et agricole.

3.10 Les coûts humains, les pertes de productivité et les coûts d’opportunité des crises complexes sont extrêmement élevés mais ils sont calculés. La faim menace les ménages bouleversés par les conflits armés pendant longtemps. Les progrès dans le développement réalisés antérieurement par les nations victimes de conflits sont érodés ou détruits (Stewart, 1993). Les destructions subies par des pays comme le Cambodge, le Mozambique ou le Nicaragua ne font qu’augmenter les coûts futurs des investissements pour le développement.

3.11 L’assistance alimentaire destinée aux crises peut prendre diverses formes: constitution de réserves de vivres à mettre sur le marché quand les prix alimentaires locaux dépassent un certain seuil; distribution de rations ciblées sur des ménages de certaines communautés afin de maintenir la consommation énergétique au moins à un niveau minimum pendant les crises; fourniture de repas complets ou d’appoint à ceux qui en ont le plus besoin, généralement les femmes et les enfants; ou encore paiement d’un bien salarial – en espèces ou en nourriture – aux participants à des programmes de travaux publics lancés pour disposer d’un filet de sécurité lié au travail dans les périodes de pénurie.

3.12 Chacun de ces mécanismes est adapté à des circonstances locales spécifiques (prix, politiques, gravité du problème de la faim, soutien institutionnel). Ils sont efficaces s’ils réussissent à sauver la vie de personnes et à assurer leur subsistance, et plus encore s’ils le font aux moindres coûts. Quand des situations d’urgence complexes et des catastrophes naturelles se produisent dans des zones dont l’infrastructure est médiocre, les coûts du transport des vivres provenant des sites des réserves de sécurité alimentaire ou des régions excédentaires du pays lui-même, ou encore de sources internationales, peuvent être exhorbitants. De plus, les vivres risquent de s’abîmer pendant leur acheminement ou sur le lieu de destination si les installations d’entreposage sont inadéquates.

3.13 Quel que soit son coût, l’assistance alimentaire n’est bien évidemment jamais gaspillée si elle est l’unique moyen de sauver des vies. Toutefois, il faut améliorer la préparation pour faire face aux crises, et prendre davantage en compte les besoins des affamés pendant et après les situations d’urgence. La phase de redressement doit créer de solides assises pour le développement. Les spécialistes du développement et du redressement doivent collaborer étroitement le plus tôt possible pour que les investissements permettent de réduire la vulnérabilité des ménages aux catastrophes. L’assistance alimentaire nationale et l’aide alimentaire internationale ont un rôle majeur à jouer en cette matière.

Rapidité d'intervention pour sauver des vies

3.14 En cas de catastrophes naturelles soudaines et de crises causées par l’homme, il faut agir très vite pour sauver des vies. Les infrastructures médiocres, notamment dans les pays où les marchés sont mal intégrés dans l’ensemble du territoire, ont parfois empêché l’assistance alimentaire nationale d’atteindre les affamés. Il est également arrivé que le gouvernement manque des ressources nécessaires pour acheter les produits de base ou les acheminer d’une région à l’autre, et que, de ce fait, la situation s’aggrave. Les délais d’intervention de l’aide alimentaire internationale sont généralement très longs: les gouvernements commencent par évaluer la situation et les besoins d’aide alimentaire, pour ensuite localiser, ou demander aux donateurs, les ressources ou les produits de base nécessaires. La communauté des donateurs réclame généralement une évaluation complète avant d’annoncer ou de verser des contributions. La rapidité d’intervention pourrait être améliorée et de nombreuses vies sauves si la communauté internationale s’engageait à anticiper une aide alimentaire transitoire aux zones sinistrées (du fait de catastrophes naturelles ou de crises) pendant l’évaluation des besoins alimentaires.

Redressement après la crise

3.15 Si les secours et l’accès aux vivres doivent rester une priorité absolue dans les zones sinistrées, l’assistance alimentaire ne doit pas se limiter à sauver des vies; il faut qu’elle soit également une ressource que l’on puisse investir dans le développement à long terme. Les opérations d’urgence doivent être conçues de façon à faciliter une transition rapide et sans heurt de la phase des secours à celle du développement. L’objectif d’assurer à chacun des moyens de subsistance stables après la crise est plus exigeant que le fait de subvenir aux besoins alimentaires à long terme des groupes vulnérables.

3.16 La première tâche est d’empêcher ceux dont la vie a été sauvée de retomber dans la faim. Pour cela, il faut sans doute maintenir une alimentation directe parfaitement ciblée aux groupes encore très vulnérables et réduire prudemment et graduellement l’étendue et le volume des distributions générales. La deuxième tâche est d’aider à reconstituer le capital et les capacités de production des sinistrés et à relancer l’économie locale. Dans des pays ravagés par la guerre comme le Cambodge, l’Ethiopie et le Mozambique, il faut souvent reconstruire les routes et les marchés, les écoles et les dispensaires. La mobilisation du secteur privé local pour le transport des produits alimentaires facilite le rétablissement ou le renforcement des marchés.

3.17 L’assistance alimentaire peut aussi appuyer des projets de mise en valeur des terres, de reboisement et d’aménagement de petits périmètres d’irrigation pour éviter que de nouvelles crises ne se reproduisent. Dans cette optique, les activités soutenues par l’assistance alimentaire, destinées à augmenter la productivité des ressources, peuvent faire beaucoup, notamment dans les zones où l’insécurité alimentaire et les tensions sociales s’aggravent à cause de la pression démographique croissante sur des ressources en terre et en eau insuffisantes. Il faut aider les personnes vulnérables à mieux résister aux chocs et à renforcer leurs capacités de progrès. Les mécanismes préventifs qui comprennent l’assistance alimentaire sont cruciaux à cet égard. Les cas sont nombreux en Afrique subsaharienne et ailleurs où les gouvernements nationaux ont utilisé l’aide alimentaire internationale en complément de leurs propres ressources pour créer ou reconstituer leurs réserves de sécurité alimentaire.

3.18 Si l’agriculture est le meilleur moyen, ou le seul, de lutter contre l’insécurité alimentaire de l’après-crise, l’assistance alimentaire pour le redressement agricole (fourniture de semences, d’engrais, d’insecticides, de reproducteurs, et d’autres intrants, ainsi que de vivres-contre-travail pour appuyer les infrastructures agricoles ou associées) peut stimuler le redressement du secteur agricole après une situation d’urgence.

Préparation aux catastrophes et prévention des crises

3.19 La préparation est fondamentale si l’on veut éviter les catastrophes et concevoir des actions permettant d’atténuer les effets de certaines catastrophes naturelles. Les interventions de développement, comme les techniques économes en eau dans les zones sujettes à la sécheresse et les barrages construits contre les inondations, contribuent à éviter certaines catastrophes. Les réserves de sécurité alimentaire, constituées à l’échelle nationale, régionale ou à l’échelon local – selon la situation – peuvent aider à sauver des vies dans le cas de catastrophes naturelles. L’alerte rapide concernant le déclenchement de catastrophes à évolution lente permet également de prévoir des mécanismes de sauvetage.

3.20 La solution des crises causées par l’homme, qui constituent aujourd’hui la cause principale des déplacements massifs de population ou de leur insécurité, est essentiellement du domaine de la politique – capacité de dénouer les tensions avant qu’elles ne se transforment en conflits. En général, les crises causées par l’homme sont prévisibles et peuvent être évitées par une bonne administration et la diplomatie internationale. La plupart des crises humanitaires complexes sont dues surtout à la conduite irresponsable d’un petit nombre d’individus puissants, alors qu’un grand nombre de personnes, la plupart innocentes, ont à souffrir de l’insécurité alimentaire qui en résulte. Les gouvernements doivent prendre les mesures nécessaires pour réduire les tensions ethniques ou sectaires avant que n’explosent les conflits. On pourrait intégrer dans les programmes nationaux et internationaux de planification des secours en cas de catastrophes des indicateurs de sécurité qui donneraient des signaux d’alerte rapide concernant les crises imminentes et déclencheraient les mécanismes appropriés pour les éviter.

Le rôle des organisations non gouvernementales et des groupes civils

3.21 Les organisations non gouvernementales, les communautés locales, et les autres groupes civils – qui sont ou travaillent en contact plus étroit avec les populations locales que les gouvernements nationaux, pour ne rien dire de la communauté internationale – sont en général bien placés pour évaluer les besoins d’assistance alimentaire et sa distribution éventuelle. Les membres de ces groupes savent souvent personnellement, ou par personne interposée, qui sont les personnes qui ont faim, sans parler du soutien qu’ils leur apportent. Ils ont été extrêmement utiles pour identifier et cibler les affamés, lorsqu’il s’est agi de sauver les vies de sinistrés. Les plans de redressement se sont également appuyés sur eux dans le monde entier. L’encadré 6 montre comment l’une des milliers d’ONG aide à lutter contre la faim.

 

Encadré 6
ORGANISATION INTERNATIONALE DE PERSPECTIBE MONDIALE:
UN EXEMPLE DES EFFORTS DES ONG POUR COMBATTRE LA FAIM
15

L’Organisation internationale de perspective mondiale (WV), l’une des plus grandes ONG du monde, présente dans 17 pays développés et près de 85 pays en développement, s’emploie à aider ceux qui ont faim – qu’il s’agisse de victimes de catastrophes ou d’affamés chroniques. Les agents de cette organisation ont des contacts personnels ou savent où se trouvent bon nombre des 800 millions de personnes chroniquement dénutries, et les quelque 200 millions d’enfants d’âge préscolaire qui souffrent de carence protéique et d’avitaminose, ainsi que les nombreuses femmes enceintes et mères allaitantes dénutries.

L’ONG a une grande expérience dans les trois principaux éléments qui permettent d’obtenir la sécurité alimentaire: l’assistance alimentaire d’urgence, l’assistance pour réduire la malnutrition chronique et l’assistance pour réduire la faim associée au cycle de la vie.

Servant de conduit à l’aide bi- et multilatérale en matière de secours et d’assistance alimentaire destinés à des pays comme l’Erythrée, l’Ethiopie, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Mozambique, le Rwanda, le Sénégal, la Sierra Leone, la Somalie, le Soudan et le Tchad, entre autres, WV a aidé à combattre la faim chez des millions d’Africains et partout dans le monde.

Les programmes nutritionnels et éducatifs de WV ont été conçus pour répondre aux besoins des femmes et des enfants: aide alimentaire directe et suppléments de vitamines, programmes en général dotés de personnel féminin et gérés par des femmes.

Réalisant que l’on pouvait utiliser l’assistance alimentaire pour créer des biens et des infrastructures afin de parvenir à une sécurité alimentaire durable, elle a mis en place des programmes de vivres-contre-travail dans tout le Sahel et dans la Corne de l’Afrique, sous des formes diverses, avec l’objectif d’accroître et de maintenir la productivité agricole. On pourrait citer les barrages en terre, les gabions de pierre, les terrasses, les petits périmètres d’irrigation, les puits et les pompes, les entrepôts de céréales et les banques de céréales, les petits ponts et les chemins de ferme, les potagers pour la consommation et pour la vente, les pâturages améliorés et la conduite des troupeaux, les étangs d’élevage et le reboisement à usage multiple.

3.22 Le secteur privé et les particuliers jouent un rôle de premier plan en apportant leurs contributions humanitaires aux organisations (y compris les institutions religieuses) qui aident directement les affamés, où qu’ils soient. Mais l’action des ONG, des groupes communautaires locaux, du secteur privé et des particuliers permet de transformer les interventions d’urgence en redressement et développement.

3.23 Le travail des ONG, du secteur privé et des particuliers est indispensable pendant les crises lorsque les gouvernements n’existent plus ou que des conflits intérieurs les empêchent d’agir. Dans ces situations, des acteurs autres que les gouvernements sont parfois les seuls à pouvoir identifier les personnes vulnérables et sauver leur vie en leur apportant une assistance alimentaire.

3.24 Etant donné leur implantation locale, les ONG et les autres membres de la société civile devraient avoir un rôle encore plus actif dans la lutte pour éradiquer la faim. Pour ce faire, ils doivent accéder plus facilement aux ressources alimentaires des gouvernements et des donateurs institutionnels, et recevoir également, lorsque cela est justifié, une aide pour financer leurs coûts administratifs. Il est toutefois de la plus grande importance de cibler avec plus de précision l’aide alimentaire fournie ou acheminée par les ONG et autres membres de la société civile, ou par d’autres institutions. De plus, les ONG et autres membres de la société civile qui se trouvent dans un contexte où il n’y a plus de gouvernement, comme souligné ci-dessus, doivent évaluer avec le plus grand soin leurs programmes d’assistance, afin de tirer des enseignements et d’en tenir compte dans leurs futurs programmes, exactement comme les gouvernements doivent le faire.


4. Le financement de l'assistance alimentaire

4.1 Dans les pays développés, l’assistance alimentaire est financée dans sa presque totalité par les ressources intérieures. Dans la plupart de pays en développement, les crédits proviennent à la fois des ressources nationales et de l’aide extérieure. Les pays en développement qui sont relativement les plus nantis et dont la proportion de personnes dénutries est la plus faible sont ceux qui parviennent le mieux à utiliser leurs ressources intérieures pour financer les programmes nationaux d’assistance alimentaire. D’un autre côté, la plupart des PFRDV ont des proportions importantes d’individus dénutris, et l’aide alimentaire constitue souvent un instrument financier appréciable. Cela est également vrai des crédits alloués dans les situations d’urgence, quand l’aide alimentaire internationale devient encore plus indispensable pour les pays à faible revenu. A l’échelle mondiale, le montant des ressources provenant de sources intérieures (publiques et privées) dépasse de loin celui de l’aide alimentaire internationale.

Assistance alimentaire nationtale 16

Etendue de l’assistance alimentaire nationale

4.2 L’aide alimentaire nationale est de loin le meilleur moyen pour s’attaquer à la faim dans le monde. En 1985, les dépenses consacrées aux subventions alimentaires par l’Egypte ont été à peu près égales à la valeur totale de l’aide alimentaire internationale globale de cette année-là. Aux Etats-Unis, le gouvernement fédéral et les ONG ont dépensé, en 1990, au titre de l’assistance alimentaire nationale, 42 milliards de dollars, soit 13 fois le montant de l’aide alimentaire mondiale (3 169 millions de dollars). Outre les programmes réguliers qui viennent en aide à ceux qui souffrent de faim chronique ou à ceux qui manquent de vivres à des périodes spécifiques de l’année, les ressources nationales sont les premières réunies pour sauver les vies et apporter des secours dans les situations d’urgence – qu’elles soient causées par l’homme ou naturelles.

4.3 On ne dispose pas d’estimations mondiales sur les montants que les Etats consacrent à l’assistance alimentaire, et, dans les documents statistiques disponibles, les pays ne précisent généralement pas le montant de type de dépenses; mais, dans les pays en développement, il est rare que les programmes d’assistance alimentaire représentent moins de 5 pour cent des dépenses publiques. Quelques données sur les seules subventions alimentaires montrent qu’elles constituent généralement une part appréciable des dépenses publiques dans plusieurs pays en développement, et qu’elles sont considérables en termes absolus (même si elles représentent une faible proportion) dans certains pays développés. Mellor (dans la préface de Edirisinghe, 1987) estime que le coût des subventions représentent jusqu’à 15 à 20 pour cent des dépenses des Etats. En réalité, les dépenses de subventions alimentaires varient de façon considérable selon les pays. Selon la Banque mondiale, les subventions alimentaires de l’Egypte, à leur pic en 1980 et 1981, ont représenté plus de 45 pour cent des dépenses publiques totales. En 1973, le Bangladesh a consacré environ 27 pour cent de ses dépenses publiques totales aux subventions alimentaires, alors que l’Inde, n’y a jamais consacré plus de 5 pour cent (Banque mondiale, 1986). Le tableau 2 présente les coûts des subventions alimentaires déclarées pour une année donnée dans quelques pays; le tableau 3 présente ces mêmes coûts par rapport aux dépenses publiques totales et au produit intérieur brut (PIB) dans ces pays.

 

Tableau 2: Dépenses publiques de subventions alimentaires directesa de quelques pays

Tableau 3: Dépenses publiques de subventions alimentaires directesa en pourcentage des dépenses totales et du PIB
Modifications de l’assistance alimentaire nationale

4.4 L’assistance alimentaire nationale, malgré la place considérable qu’elle occupe, a régressé dans les années 80 et 90 dans les pays développés comme dans les pays en développement. Les politiques associées à la stabilisation macroéconomique et à l’ajustement structurel ont entraîné, dans de nombreux pays en développement, depuis le début des années 80, un net recul des ressources consacrées aux services sociaux, y compris les programmes qui venaient directement en aide aux pauvres et aux affamés.

4.5 Par exemple, afin de réduire leurs déficits budgétaires, de nombreux pays ont diminué leurs dépenses publiques, notamment en matière de programmes de subventions alimentaires. La suppression ou la réduction des subventions, associées à des réalignements de taux de change, se sont traduites par la hausse des prix alimentaires et ont affecté directement les consommateurs pauvres. Ainsi, en 1985, le Brésil avait réduit ses dépenses de subventions alimentaires à 19 pour cent à peine du niveau de 1980, le Pakistan à 34 pour cent, le Sri Lanka à 42 pour cent et la Zambie à 38 pour cent (Cornia, Jolly et Stewart, 1987). Les coupes dans les budgets et les services sociaux ont été préjudiciables aux pauvres, qui sont les plus dépendants de l’aide publique; de plus, les ajustements économiques ont augmenté le chômage et diminué les revenus de beaucoup – ce qui pénalise les affamés, étant donné les liens étroits entre la pauvreté et la faim.

4.6 Les politiques d’ajustement structurel ont souvent inclus dans leurs stratégies des taux de change réels dépréciés et des taux d’intérêt rééls positifs afin de gagner en efficience économique et d’augmenter les recettes en devises. La dépréciation des taux de change réels a des répercussions sur la consommation alimentaire en raison des interactions macro et microéconomiques. Les dévaluations réelles de la monnaie nationale tendent à réduire le niveau de salaire réel et donc la consommation alimentaire, notamment chez les salariés. Dans le même temps, elles ont tendance à faire monter les prix des denrées alimentaires d’importation, pénalisant les acheteurs nets de nourriture du secteur rural ainsi que les consommateurs urbains, et parmi eux, dans une plus grande proportion peut-être, les plus pauvres.

4.7 L’assistance alimentaire, sous toutes ses formes, est une ressource qui devient de plus en plus rare. Il reste cependant de la responsabilité des gouvernements d’assurer, en association avec la communauté internationale si nécessaire, une assistance alimentaire suffisante aux plus affamés de leurs citoyens – où qu’ils soient. Le recours à l’aide alimentaire internationale comme mécanisme de financement devenant plus difficile, les sources nationales de financement des programmes d’assistance alimentaire prennent une importance encore plus considérable.

4.8 Les institutions multilatérales majeures – la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), qui sont les principaux dispensateurs des programmes d’aide spéciaux – ont reconnu que les restrictions budgétaires de certains pays pénalisaient les pauvres. Le FMI, par exemple, a fait savoir qu’il examinerait, à la demande des gouvernements, les incidences sur la répartition qu’auraient de nouveaux programmes. La conditionnalité de la Banque mondiale – pour l’obtention de prêts d’ajustement structurel – incluent maintenant, entre autres, un facteur pauvreté. Les gouvernements qui voudraient protéger les groupes vulnérables et garantir la sécurité alimentaire à l’ensemble de leurs citoyens pourraient tirer parti de ces faits nouveaux.

Aide alimentaire internationale

4.9 L’aide alimentaire est un autre instrument de financement de l’assistance alimentaire, notamment dans les pays à faible revenu. La fourniture de denrées alimentaires comme forme d’aide aux pays en développement remonte au début des années 50, lorsque les premiers excédents structurels de produits céréaliers sont apparus aux Etats-Unis. La communauté internationale a toutefois officialisé l’utilisation de l’aide alimentaire comme une ressource et un outil de développement, d’abord avec la création du Programme alimentaire mondial (PAM) en 1961 et ensuite avec la signature de la première Convention relative à l’aide alimentaire (CAA) en 1967 dans le cadre de l’Arrangement international sur les céréales.

4.10 L’origine historique de l’aide alimentaire (excédents agricoles des pays donateurs) et ses objectifs humanitaires sont en grande partie responsables de l’idée qu’on s’en faisait, celle d’un moyen complémentaire de transférer des ressources. Dans le même temps, ces mêmes facteurs l’ont empêché de jouer, avec l’efficacité souhaitée, son rôle de transfert de ressources, car la fourniture et l’utilisation de l’aide alimentaire n’ont généralement pas eu à respecter les critères de rentabilité auxquels les transferts financiers sont normalement soumis, ce qui explique que l’efficience de ces transferts de ressources ait souvent été insuffisante.

4.11 Dans de nombreux pays en développement, l’aide alimentaire a un rôle vital: elle est un complément des ressources intérieures utilisées par l’assistance alimentaire pour améliorer la vie de ceux qui souffrent de faim chronique et sauver les victimes de situations d’urgence. En tant que telle, elle a servi, dans des myriades d’initiatives, à sauver et améliorer des vies, et à distribuer des vivres de secours et des ressources financières dans les zones sinistrées; elle a également participé à des actions de stabilisation des prix, de création ou de reconstitution de réserves de sécurité alimentaire, à des programmes de travaux publics (y compris de vivres-contre-travail) en apportant à la fois nourriture et emploi.

Différentes formes d’aide alimentaire et leur importance

4.12 Le Comité des produits (CP) de la FAO a identifié 13 types différents de transactions entre donateurs et bénéficiaires qui constituent l’aide alimentaire (FAO, 1980). On peut les regrouper, pour des raisons opérationnelles, en trois grandes catégories (PAM, 1996b):

4.13 L’aide alimentaire aux programmes a été traditionnellement la plus importante, comptant en moyenne pour les trois quarts de l’aide alimentaire totale des années 60 et pour près des trois cinquièmes entre 1975/76 et 1994/95. Jusqu’à récemment (1990/91), et excepté pendant deux années (1984/85 et 1985/86), la part de l’aide alimentaire aux projets par rapport à l’aide totale a été plus grande que celle de l’aide d’urgence.

4.14 La part de l’aide alimentaire dans l’aide publique au développement (APD) apportée par les membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’est située entre une moyenne haute de 14 pour cent au début des années 70 et environ 5 pour cent au cours de la période 1990-1993. La valeur de l’aide alimentaire provenant des membres du CAD (qui a récemment fourni près de 95 pour cent de l’aide alimentaire totale) a atteint son plus haut niveau en 1988 quand plus de 3,8 milliards de dollars d’aide alimentaire ont été déboursés. Cette année-là (1987/88), 13,5 millions de tonnes de céréales (en équivalent-céréales) ont été distribuées17 – près du double de la production de céréales de toute la région du Sahel en 1992/93. Depuis lors, les niveaux de l’aide alimentaire ont baissé en raison d’engagements plus faibles en terme de valeurs et de hausses des prix des céréales.

Changements dans la structure et les priorités de l’aide alimentaire internationale18

4.15 Si l’aide alimentaire des opérations de secours humanitaire destinées à soulager de façon temporaire ou transitoire l’insécurité alimentaire n’est guère controversée, la nature des décisions relatives à l’aide alimentaire internationale a nécessité une adaptation de sa structure aux réalités politiques et économiques des pays donateurs.

4.16 Premièrement, il y a eu une forte baisse des disponibilités d’aide alimentaire19 depuis le niveau record de près de 17 millions de tonnes en 1992/93. Ce niveau devrait tomber à moins de 8 millions de tonnes en 1995/96. La plupart des analystes (par exemple, Taylor, 1992; Singer et Shaw, 1995) prévoient un nouveau resserrement des disponibilités dans les années à venir. Il est encore trop tôt pour dire si, et dans quelle mesure, ce phénomène est lié à la libéralisation des échanges. Quoi qu’il en soit, l’aide alimentaire a toujours répondu négativement à la hausse des prix alimentaires. Les prix céréaliers mondiaux sont en étroite corrélation avec l’aide alimentaire globale, notamment avec les programmes d’aide alimentaire. De plus, on prévoit également une chute des stocks céréaliers dans les pays développés en 1995/96 à 105 millions de tonnes contre 214 millions de tonnes en 1992/93 (FAO, 1996c), ce qui ramènerait le rapport des stocks céréaliers mondiaux à la consommation annuelle globale à son plus bas niveau depuis 20 ans.

4.17 Deuxièmement, la tendance exprimée – qui n’est pas encore pleinement apparente dans les flux effectifs d’aide alimentaire – est de concentrer l’aide alimentaire sur les pays les moins avancés et les PFRDV. La part des PFRDV a fluctué considérablement. Pendant les années 80, les PFRDV recevaient environ 90 pour cent de l’aide alimentaire totale mais, dans les années 90, leur part a varié entre 67 et 88 pour cent.

4.18 L’insécurité alimentaire à l’échelle nationale est encore, pour les donateurs, un facteur peu déterminant de leurs décisions d’allocation de l’aide alimentaire. Selon une analyse récente, la situation des pays bénéficiaires à cet égard n’explique que 7 pour cent de la variation dans l’ensemble des pays, du volume par habitant des transferts d’aide alimentaire (FAO, 1994). En conséquence, les pays qui reçoivent le plus d’aide alimentaire ne sont toujours pas nécessairement ceux où vivent le plus d’affamés.

4.19 D’un autre point de vue, l’aide alimentaire représentait, au milieu des années 80, au moins 20 pour cent des importations alimentaires céréalières des PFRDV. En 1995/96, année caractérisée par des prix des céréales élevés, des subventions à l’exportation réduites et des stocks très bas, l’aide alimentaire ne devrait représenter que 8 pour cent des besoins d’importation de ces pays. Ainsi, les pays qui ont le plus besoin d’aide alimentaire voient cette aide diminuer au moment où elle leur est le plus nécessaire.

4.20 Par la Décision sur les mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, les auteurs de l’accord final des négociations du Cycle d’Uruguay du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) espéraient prévenir ces effets. Un autre organe international, le Conseil d’administration du Programme alimentaire mondial (l’ancien Comité des politiques et programmes d’aide alimentaire), s’est lui aussi préoccupé du problème et a donné au PAM l’instruction de concentrer une plus grande part de ses ressources dans les pays qui en avaient le plus grand besoin. Plus précisément, le PAM doit, à compter de 1997, consacrer aux PFRDV au moins 90 pour cent de son assistance au développement, dont au moins 50 pour cent aux pays les moins avancés (PAM, 1995a).

4.21 Troisièmement, l’aide alimentaire ne représente plus nécessairement les excédents d’un petit nombre de pays. Elle provient maintenant d’un éventail beaucoup plus large de donateurs, et la responsabilité de sa gestion revient de plus en plus aux institutions multilatérales et aux ONG, qui ont acheminé 52 pour cent de l’aide alimentaire en 1994, contre 28 pour cent encore en 1989. Cette tendance est surtout marquée dans le cas des ONG: la part de l’aide alimentaire qu’elles acheminent est passée de 10 pour cent en 1989 à 21 pour cent en 1994.

4.22 Quatrièmement, il y a eu une réorientation vers les interventions liées aux situations d’urgence. Cela n’exclut naturellement pas les initiatives en faveur du développement et ne réduit en rien leur importance. Toutefois, les initiatives de développement dans les régions vulnérables tendent de plus en plus à être conditionnées par les besoins de secours, de redressement, de préparation aux catastrophes et de prévention.

4.23 La flambée des besoins de secours alimentaires a amené à consacrer aux opérations d’urgence la proportion sans précédent de 35 pour cent de l’aide alimentaire totale en 1994. Pendant les années 70, cette proportion n’était que de 10 pour cent environ; pendant la première moitié des années 90, la moyenne a approché de 30 pour cent (PAM, 1995a). En termes de tonnage, l’aide alimentaire d’urgence, qui était de moins de 1 million de tonnes par an dans les années 70, a atteint entre 3 et 4 millions de tonnes en 1994-1995, la hausse la plus forte étant apparue dans les années 90. La proportion de cette catégorie d’aide acheminée vers l’Afrique subsaharienne est passée d’une moyenne de 12 pour cent pendant les années 70 à 36 pour cent en 1994-1995. Cette aide internationale ne fait que compléter les quantités considérables de ressources que de nombreux pays, touchés par des catastrophes naturelles ou des crises causées par l’homme, doivent détourner (des activités de développement) pour sauver des vies par l’assistance alimentaire nationale.

4.24 Jusqu’à présent, cette expansion des opérations d’urgence s’est faite aux dépens de l’aide alimentaire aux programmes (figure 1). Celle-ci, qui consiste essentiellement en dons bilatéraux à l’appui de la balance des paiements, ne représentait plus en 1994 que 43 pour cent de l’aide alimentaire totale, contre près de 75 pour cent pendant les années 60 et 70 (PAM, 1995b). L’aide alimentaire aux projets s’est elle aussi contractée ces dernières années, mais elle est restée un peu plus stable. En 1986/87, alors que les stocks céréaliers mondiaux avaient atteint des niveaux records et que les prix des céréales s’étaient effondrés comme jamais dans l’histoire, près de 30 pour cent de l’aide alimentaire était dirigée vers des projets de développement; cette proportion est tombée depuis à 22 pour cent environ.

4.25 Traditionnellement, l’importance des expéditions de céréales de l’aide alimentaire aux programmes et projets dépend étroitement du coût d’opportunité du produit pour les donateurs, alors que l’aide alimentaire d’urgence est liée au secours humanitaire. Si l’on prend le prix des céréales sur le marché international comme coût d’opportunité, l’analyse statistique montre que l’aide alimentaire céréalière aux programmes et aux projets a tendance à diminuer lorsque le coût d’opportunité augmente et vice versa20. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les liens observés. Le premier est lié à la relation structurelle négative entre le niveau des stocks céréaliers des pays donateurs et les cours mondiaux, de sorte que lorsque les prix des céréales sont relativement élevés (bas) et que les stocks céréaliers, notamment dans les pays donateurs, sont relativement bas (élevés), la concurrence entre les divers emplois de ces stocks s’intensifie (se relâche) de sorte que l’aide alimentaire régresse (augmente). Le second tient au fait que les donateurs établissent en général leur montant d’aide alimentaire en termes de crédits budgétaires plutôt que de quantités, de sorte que lorsque les cours mondiaux sont relativement hauts (bas), le volume de ces catégories d’aide alimentaire tend à être relativement bas (haut). Enfin, l’aide alimentaire céréalière aux programmes et aux projets est étroitement liée aux autres formes d’aide apportées par les donateurs, de sorte que ces autres formes d’aide sont plus (moins) disponibles quand l’aide alimentaire devient relativement plus (moins) chère.

Figure 1: EXPÉDITIONS D'AIDE ALIMENTAIRE (CÉRÉALES) PARA CATÉGORIES, 1975/76 À 1994/95)

 

4.26 Cinquièmement, en raison de la rareté relative des excédents dans les pays donateurs, les achats triangulaires et les achats locaux des produits destinés à l’aide alimentaire ont augmenté. En 1995, environ 16 pour cent des livraisons mondiales d’aide alimentaire, représentant 1,5 million de tonnes, ont été achetées dans les pays en développement (PAM, 1996b). Il s’agit d’une quantité comparable à celle enregistrée ces dernières années, mais supérieure à celles des années antérieures à 1990 (figure 2), ce qui montre que, malgré la réduction des crédits budgétaires affectés à l’aide alimentaire, la communauté des donateurs continuent de soutenir les achats dans les pays en développement. Les achats locaux, aide alimentaire achetée dans un pays en développement par les donateurs pour être employée dans le même pays, ont représenté un tiers de l’aide alimentaire totale achetée dans les pays en développement. Les transactions triangulaires – aide alimentaire achetée ou échangée dans les pays en développement par les donateurs pour être employée dans un autre pays en développement – ont representé les deux tiers restants.

4.27 Les donateurs utilisent de façon très variée les achats triangulaires et les achats locaux. En 1995, par exemple, l’Irlande a acheté la totalité de son aide alimentaire céréalière dans les pays en développement. Plus de 80 pour cent de l’aide alimentaire de la Norvège, des Pays-Bas, de la Suisse et de la Suède sont provenus de transactions triangulaires et d’achats locaux. Par ailleurs, en ce qui concerne l’Australie, le Canada, la France, l’Italie et les Etats-Unis plus de 90 pour cent de l’aide alimentaire ont été transférés du pays donateur. En 1995, les Etats-Unis n’ont acheté qu’un dixième de 1 pour cent de leur aide alimentaire dans les pays en développement (PAM, 1996b).

4.28 L’aide alimentaire provenant d’opérations triangulaires et d’achats locaux s’est révélée en général plus efficace en termes de rapidité et de délais que les livraisons de produits provenant des pays donateurs (Neils, Reed et Lea, 1992). En outre, les produits dont l’origine est proche du lieu de consommation sont probablement plus conformes aux régimes alimentaires des bénéficiaires et donc mieux acceptés par les communautés. Ces opérations permettent également aux pays en développement exportateurs d’accroître leur participation à l’aide alimentaire.

Figure 2: ACHAT D'AIDE ALIMENTAIRE DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

4.29 La plupart des transactions triangulaires et des achats locaux ont eu lieu dans des pays en développement habituellement exportateurs. Toutefois, il faut être attentif à ce que les transactions d’aide alimentaire n’aient pas d’effets négatifs sur le développement, comme une dépendance vis-à-vis de l’aide alimentaire pour stimuler la production et le commerce de produits alimentaires; des prix inappropriés pourraient entraîner des distorsions à la fois dans l’affectation des ressources des pays (ou régions) fournisseurs et dans la protection des programmes de production qui perdraient leur durabilité une fois l’aide alimentaire terminée; une déviation des échanges commerciaux pourrait agir contre l’avantage comparatif; et des interventions inadaptées pourraient nuire aux marchés locaux et aux marchés des transports dans les pays fournisseurs et bénéficiaires (FAO, 1985).


5. Besoins d'assistance alimentaire

5.1 En dépit de bons résultats obtenus dans de nombreux pays, les niveaux absolus de la dénutrition chronique et de la pauvreté ne cessent d’augmenter. Tant que les déficits vivriers structurels, les infrastructures commerciales déficientes, les politiques économiques inappropriées et les conflits armés continueront de paralyser la croissance dans de nombreux pays, l’assistance alimentaire aura toujours un rôle à jouer. Elle interviendra dans les deux domaines des interventions humanitaires directes et des programmes qui canalisent véritablement les ressources alimentaires (et les autres ressources) directement jusqu’aux très pauvres, créant ainsi les conditions favorables à une croissance économique à laquelle les régions les plus pauvres et les moins intégrées pourront participer.

5.2 Pour faire un usage optimal des ressources couramment disponibles, il faudra rationaliser l’emploi de l’assistance alimentaire avec les objectifs suivants:

5.3 En outre, il faudra renforcer la synergie entre l’aide alimentaire et les autres ressources. Etant donné la dimension du problème que la faim posera à l’humanité dans les prochaines décennies, les seules ressources alimentaires ne suffiront pas à le résoudre; les actions entreprises pour accroître les disponiblités alimentaires, la productivité et la production agricoles ainsi que le pouvoir d’achat des affamés, devront être intensifiées. Il faudra renforcer le partenariat entre l’aide alimentaire et les autres ressources de façon à intégrer la lutte contre la faim dans l’effort général de développement, et à faire de son éradication un objectif réalisable. Les initiatives récentes visant à mieux intégrer l’aide alimentaire internationale et les programmes nationaux de sécurité dans les stratégies de sécurité alimentaire et de nutrition des pays bénéficiaires devront être élargies et renforcées. De plus, il faudra mieux intégrer la programmation de l’assistance alimentaire sous toutes ses formes dans les politiques nationales de développement agricole et rural, de façon à ce que les actions entreprises pour éliminer la faim d’aujourd’hui contribuent également à prévenir la faim de demain. Tous les partenaires – gouvernements, donateurs, ONG et secteurs privés – devront être présents et actifs dans les régions et parmi les ménages qui souffrent le plus de la faim si l’on veut optimiser l’impact potentiel de l’assistance alimentaire et des autres investissements sur les affamés.

Projection des futurs besoins d'assistance alimentaire

5.4 Le débat concernant l’avenir de l’assistance alimentaire (notamment de l’aide alimentaire, mais également de certaines formes d’assistance nationale) se poursuit, tout comme persiste le besoin d’en estimer les niveaux futurs car, sous une forme ou sous une autre, l’assistance alimentaire restera nécessaire.

5.5 Une récente étude de la FAO sur les perspectives de l’agriculture mondiale à l’horizon 2010 (FAO, 1995a) présente des projections détaillées à long terme sur les déficits de consommation, de production et d’importation de 93 pays en développement (couvrant 98,5 pour cent de la population totale des pays en développement) en ce qui concerne les principales denrées alimentaires. L’étude prévoit qu’il y aura, en l’an 2010, 680 millions de personnes chroniquement dénutries soit un recul minime par rapport aux 840 millions environ de 1990-1992 (tableau 4).

5.6 Ces chiffres, décrivant la situation actuelle ou anticipée, tiennent compte des résultats des initiatives prises pour améliorer l’état alimentaire, c’est-à-dire de l’impact direct ou indirect des mesures et actions visant à réduire la pauvreté et ses conséquences; et ils indiquent donc l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir, maintenant et dans l’avenir. Toutefois, dans la mesure où ils ne montrent ni l’incidence généralisée de la malnutrition autre que la dénutrition chronique, ni la prévalence de l’insuffisance alimentaire saisonnière ou temporaire, ou encore la malnutrition liée aux situations d’urgence, ils sous-estiment l’ampleur réelle de la tâche à accomplir.

 

Tableau 4: Population des pays répartie selon les différentes disponibilités énergétiques alimentaires (DEA) moyennes par habitant

5.7 Pour que les 800 millions de personnes souffrant aujourd’hui de malnutrition atteignent un niveau nutritionnel minimal (en supposant un ciblage parfait de l’assistance alimentaire et une capacité locale d’absorption suffisante), il faudrait apporter en plus à ces personnes affamées 30 millions de tonnes de céréales et plus de 20 millions de tonnes (en équivalent céréales) d’autres produits alimentaires. La valeur de cette assistance alimentaire supplémentaire est égale à 13 dollars EU par personne et par an (en dollars EU 1994), ce qui ne représente qu’un dixième du montant que le programme d’aide des Etats-Unis a dépensé en 1994 par personne (134 dollars EU) en Egypte seulement.

5.8 La quantité supplémentaire de vivres nécessaire en 2010, pour atteindre trois seuils pris comme critères à partir du métabolisme de base (MB)21, s’élèverait à environ 13 millions de tonnes en équivalent céréales pour un niveau de 1,2 MB, à environ 30 millions de tonnes pour un niveau 1,4 MB et à environ 50 millions de tonnes pour un niveau de 1,54 MB.

5.9 Toutefois, en supposant que l’on puisse réduire la faim de façon qu’en 2010 aucun pays n’ait des DEA moyennes inférieures à 2 300 Calories (ce qui équivaut à un peu plus de 1,54 MB), le nombre d’affamés devrait être alors de 438 millions; et les besoins alimentaires supplémentaires pour ceux qui souffrent de faim chronique atteindraient presque 33 millions de tonnes.

5.10 Les besoins supplémentaires de nourriture actuels et futurs peuvent, bien évidemment, être couverts par un accroissement de l’assistance alimentaire nationale ou de l’aide alimentaire, ou encore par une conjuguaison des deux. L’importance de l’aide extérieure dépend de la proportion d’affamés chroniques dans la population totale d’un pays, ainsi que des DEA moyennes. La plupart des pays qui ont des DEA supérieures à 2 700 Calories ont une proportion de dénutris relativement faible par rapport à l’ensemble de leur population, et on peut supposer qu’ils ont une meilleure capacité de redistribution de leurs ressources intérieures en faveur des affamés. Les programmes nationaux d’assistance alimentaire sont probablement suffisants pour ces pays, de même que pour ceux dont les DEA se situent entre 2 500 et 2 700 Calories. Les pays dont les DEA varient entre 2 100 et 2 500 Calories ont besoin à la fois de ressources domestiques et d’aide extérieure, et plus les DEA sont proches de 2 100 Calories plus le pays a besoin d’aide alimentaire. Il est peu probable que les pays où la dénutrition est généralisée, ceux dont les DEA se situent en dessous de 2 100 Calories, puissent financer un accroissement de l’assistance alimentaire à partir de sources nationales. L’aide alimentaire sera donc plus importante pour ces pays que les programmes nationaux d’assistance alimentaire.

5.11 Aux niveaux actuels d’assistance alimentaire – scénario de status quo – les pays dont les DEA dépassent 2 700 Calories devraient voir leur proportion de dénutris passer d’environ 13 pour cent en 1990-1992 à moins de 5 pour cent en 2010. Par ailleurs, la proportion de personnes dénutries devrait augmenter de 47 à 49 pour cent dans les pays dont les DEA sont inférieures à 2 100 Calories, d’où l’importance de l’aide extérieure pour ceux-ci.

Mobiliser les efforts pour faire face aux besoins futurs d'assistance alimentaire

5.12 Pour autant qu’on puisse le prévoir, il est clair que l’assistance alimentaire – aussi bien chronique que d’urgence – restera un besoin. Les efforts nécessaires pour éliminer la faim maintenant et à l’avenir dépassent de très loin les ressources qui sont actuellement consacrées à ce problème. Il faudrait donc augmenter l’assistance alimentaire puisque les niveaux actuels sont beaucoup trop bas pour couvrir les besoins. Tant les gouvernements nationaux que les pricipaux pays donateurs devront, s’ils veulent relever le défi que constitue la hausse des besoins d’assistance alimentaire, faire de la lutte contre l’insécurité alimentaire massive, en temps de paix comme en temps de crises, une priorité explicite et urgente.

5.13 Il faut élaborer une stratégie efficace sur trois axes: fournir une assistance alimentaire d’urgence pour les secours humanitaires; fournir une assistance alimentaire directe aux femmes et aux enfants vulnérables pendant les périodes critiques de leur vie, et fournir les transferts en nourriture et en espèces pour soulager la faim chronique et accroître les perspectives de développement des bénéficiaires directs.

5.14 Avec une volonté politique, il serait possible de mobiliser les ressources nécessaires pour faire disparaître la faim de la planète. Les gouvernements, en collaboration avec les ONG et la société civile, doivent utiliser plus efficacement les ressources disponibles pour l’assistance alimentaire et, si cela s’avère insuffisant, trouver d’autres ressources pour combattre la faim. La communauté internationale doit appuyer les pays qui sont incapables de financer les programmes d’assistance alimentaire avec leurs propres ressources. C’est pour les pays donateurs un devoir moral, mais aussi leur propre intérêt, d’aider les pays à faible revenu à réduire leur pauvreté et de débarrasser le monde de la faim. Un monde pauvre, affamé, est un monde où règne l’insécurité pour tous.

5.15 En conclusion, la communauté mondiale possède à la fois les connaissances et les ressources nécessaires pour éliminer la faim. L’humanité tout entière doit réaliser, dans son propre intérêt, qu’une assistance alimentaire mieux ciblée permet de sauver des vies et de les améliorer, et qu’elle est un moyen puissant pour diminuer l’insécurité alimentaire et la pauvreté de demain.

5.16 On a dit qu’il importait peu aux affamés que les besoins alimentaires supplémentaires soient financés par des ressources intérieures ou extérieures, mais comme les gouvernements ont la responsabilité de garantir la sécurité alimentaire à tous leurs citoyens, les programmes nationaux d’assistance alimentaire resteront indispensables à la sécurité alimentaire mondiale.

Cont.


Notes

1 Voir le document du SMA no 14, Evaluation des progrès réalisables en matière de sécurité alimentaire.

2 Cette section s’inspire très largement du document Le scandale de la faim dans un monde qui regorge d’aliments: l’aide alimentaire a de quoi faire, préparé par le Programme alimentaire mondial (PAM, 1996a) pour le Sommet mondial de l’alimentation.

3 Voir le document du SMA no 1, Alimentation, agriculture et sécurité alimentaire: évolution depuis la Conférence mondiale de l’alimentation et perspectives.

4 Voir le document du SMA no 5, Sécurité alimentaire et nutrition.

5 On mesure la prévalence de la faim aux Etats-Unis et dans d’autres pays industrialisés par le nombre des bénéficiaires des programmes d’assistance alimentaire, par des enquêtes auprès des ménages et des renseignements anecdotiques, alors que dans les pays en développement les mesures sont analytiques et statistiques.

6 Par exemple, l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies de 1948, et l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1966.

7 Exception faite des cas où la guerre civile ou d’autres situations d’urgence ont empêché les gouvernements de mettre en place des programmes d’assistance alimentaire.

8 Voir le document du SMA no 5, Sécurité alimentaire et nutrition.

9 Voir le document du SMA no 5.

10 Il faut noter que ces programmes compensent de façon efficace dans le court terme les baisses transitoires de revenus de certains groupes de personnes à faible revenu. Si les baisses de revenus devaient durer dans le long terme, il est évidemment important d’accompagner les programmes de transferts de mesures qui renforceront la capacité des pauvres à créer leurs propres revenus.

11 Les subventions des prix des aliments sont parfois associées à des programmes de transfert de revenus, comme aux coupons d’alimentation distribués à des groupes ciblés de la population aux Etats-Unis ou aux produits alimentaires de base au Sri Lanka. Dans ces cas précis, les subventions des prix des aliments font partie des transferts directs de revenus.

12 On peut considérer que les réserves alimentaires participent des programmes de subvention des prix alimentaires lorsqu’elles servent de réserves de stabilisation; les réserves d’urgence peuvent faire partie des programmes d’alimentation directe si elles sont utilisées pendant les situations d’urgence, ou faire partie des programmes de subvention des prix alimentaires si elles sont mises sur le marché à un prix inférieur au prix courant.

13 Les stocks céréaliers, exprimés en pourcentage de l’utilisation tendancielle, ont atteint un niveau record de 27 pour cent en 1987, sont tombés à 24 pour cent l’année suivante, ont varié entre 18 et 21 pour cent entre 1990 et 1995, et devraient encore baisser à la fin de la campagne 1995/96 pour se situer à seulement 14 pour cent de l’utilisation tendancielle de 1996/97, très en-dessous de la fourchette de 17 à 18 pour cent que la FAO considère comme le minimum nécessaire pour garantir la sécurité alimentaire mondiale.

14 Les systèmes alimentaires locaux sont ceux des zones spécifiques ciblées par l’assistance alimentaire. Ils ne correspondent pas nécessairement aux marchés alimentaires intérieurs qui – dans leur ensemble – peuvent être peu perturbés par la situation d’une petite partie du pays.

15 L’encadré 6 est tiré d’une note d’information préparée par l’Organisation internationale de perspective mondiale pour le Sommet mondial de l’alimentation.

16 L’assistance alimentaire nationale se réfère ici aux programmes d’assistance alimentaire financés par des ressources nationales, et non à l’aide alimentaire. Il faut savoir aussi que certains de ces programmes peuvent, en fait, êtres financés indirectement par des ressources provenant d’autres formes d’aide extérieure, y compris, parfois, des programmes d’aide alimentaire prévus pour appuyer des programmes publics généraux.

17 Les céréales comptent pour l’essentiel des dépenses d’aide alimentaire: en 1995, l’aide alimentaire en céréales représentait plus de 88 pour cent de l’aide totale.

18 Cette sous-section s’inspire de très près du PAM, 1996a.

19 Dans ce document, l’analyse tendancielle des disponibilités d’aide alimentaire s’appuie sur la définition traditionnelle de l’aide alimentaire, selon laquelle elle doit inclure un don représentant au moins 25 pour cent du prix commercial. Avec une différente ligne d’analyse (voir, par exemple, Singer, 1996), la tendance serait la même (à la baisse) mais les volumes réels de ce qui constitue l’aide alimentaire seraient en tout point différents de ceux présentés ici.

20 Les méthodes de régression associant le volume de l’aide aux programmes et aux projets à une évolution tendancielle complexe et au prix des céréales, pendant la période 1971-1993, montrent que près des deux tiers de la variation annuelle de volume peuvent s’expliquer par ces deux seuls facteurs, les cours mondiaux pesant davantage que la tendance sur la variation expliquée. Ces résultats indiquent dans leur ensemble un ralentissement de la tendance sous-jacente de l’aide alimentaire aux programmes et aux projets ainsi que des mouvements cycliques contraires lorsque les prix internationaux fluctuent. Il faut toutefois souligner qu’il peut exister des différences appréciables dans la nature et la force de la relation entre ces mêmes variables lorsque l’analyse est détaillée au niveau du pays (donateur) ou du produit (voir FAO, 1985).

21 Le métabolisme de base est la dépense énergétique minimale compatible avec la vie. On le mesure dans des conditions d’immobilité, à jeun, dans un environnement de 26 à 30ºC, qui garantit l’absence de processus générateur de chaleur (par exemple, le tremblement). Il correspond aux dépenses énergétiques pendant le sommeil. Le niveau de 1,2 MB correspond au minimum requis pour survivre; c’est-à-dire aux besoins énergétiques nécessaires pour maintenir la vie avec une activité minimale de collecte de nourriture, comparable au niveau d’activité d’un réfugié - ni jeu, ni travail, ni activité autre que la recherche de nourriture. Le niveau de 1,4 MB - le besoin d’entretien - représente la limite la plus basse fixée pour tout besoin courant; il correspond à la dépense énergétique nécessaire pour vaquer dans une maison, dans un état d’équilibre énergétique, avec une activité physique réduite à des mouvements intermittents d’une durée totale de trois heures par jour. Le niveau de 1,54 MB correspond à une activité légère, comme coudre et tisser. Un travail modéré ou pesant nécessite un niveau de dépenses énergétiques supérieur à 1,54 MB.