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Politiques nationales ayant une incidence sur les incendies de forêt en Afrique

Abdoulaye Kane20
20Service des forêts, Dakar, Sénégal.
RÉSUMÉ

Pour certains, les feux de forêt sont des phénomènes destructeurs à éviter absolument, tandis que d'autres les considèrent comme un instrument de gestion précieux. Cependant, l'expérience a prouvé que dans les écosystèmes fragiles, les feux peuvent être très nuisibles au sol, à la végétation et aux populations humaines. Par ailleurs, il est démontré que dans d'autres écosystèmes, surtout dans les savanes sèches et humides du Soudan, il est nécessaire d'effectuer un brûlage contrôlé précoce pour empêcher des incendies destructeurs de se produire en fin de saison sèche.

Après avoir passé en revue les causes et conséquences principales des incendies de forêt en Afrique, cet article analyse les choix politiques possibles et met en relief les enseignements tirés de l'expérience, suggérant que la gestion des feux, par ses aspects sociaux et écologiques, sous-tend les politiques récentes.

1. INTRODUCTION

Les incendies de forêt ont joué un rôle important dans la transformation de la végétation naturelle du monde entier, et ils constituent l'un des principaux facteurs de dégradation des forêts en Afrique.

L'utilisation du feu pour le défrichement et pour la chasse est une pratique très ancienne en Afrique. Il y a 2500 ans, Hanon, roi de Carthage, décrivait ainsi les incendies qu'il découvrait le long de la côte africaine lors d'un voyage dans le Golfe de Guinée: "nous naviguions le long d'un pays transformé en brasier, dégageant d'innombrables parfums, et qui déversait des torrents de flammes dans l'océan."

Etant donné que la faune sauvage était abondante à cette époque, la description laisse supposer que les feux de forêt étaient allumés pour le défrichement plutôt que pour la chasse. Dans les systèmes agricoles et pastoraux traditionnels, le feu était, et est toujours, largement utilisé.

Tant que le climat était "normal", la vitesse de dégradation était généralement lente. Cependant les sécheresses et la diminution des précipitations ont accéléré le processus.

Bien que les incendies de forêt soient identifiés comme l'un des facteurs les plus importants, sinon le plus important, de la dégradation des forêts et des terres, la manière de résoudre ce problème reste controversée, même au sein d'un pays donné.

L'efficacité des politiques en matière d'incendies de forêt dépend essentiellement de la façon dont les incendies affectent la vie quotidienne des populations rurales, et, par conséquent, de la façon dont leurs effets sont perçus.

2. CAUSES ET CONSÉQUENCES DES INCENDIES DE FORÊT

Qu'ils se produisent dans des zones sèches ou humides, les incendies de forêt sont rarement dus à des causes naturelles en Afrique. Les cas dus à la foudre et à la fermentation de la biomasse, rapportés respectivement par Lebrun (1947) et Sillans (1958), sont assez exceptionnels. Les causes les plus fréquentes sont les mises à feu accidentelles (d'après Schmitz et al., 75 pour cent des cas au Burkina Faso), et les mises à feu délibérées.

Les incendies peuvent être allumés accidentellement par les paysans lors du défrichement de la brousse ou de la préparation de la terre aux cultures, par des bergers, ou par des personnes négligentes. Certains feux peuvent aussi être allumés délibérément pour la chasse, pour le renouvellement des pâturages, pour des raisons de sécurité ou des motifs religieux.

Quelle qu'en soit la cause, les populations locales sont généralement peu enclines à intervenir sur un feu courant, sauf s'il menace leurs vies ou leurs biens. Terrible (1984) concluait d'une étude réalisée au Burkina Faso que ce comportement résulte des perceptions et croyances suivantes concernant la forêt:

· Même si un incendie a lieu chaque année, la végétation se régénère vigoureusement pendant la saison des pluies et la dégradation est si progressive qu'il est difficile pour le paysan de faire le lien entre cette dégradation et les incendies.

· Après un incendie de forêt, les avantages tels que l'élimination temporaire des insectes, des animaux et plantes nuisibles, le renouvellement des pâturages, la possibilité de récolter plus facilement des produits non ligneux comme le miel, semblent bien supérieurs aux inconvénients.

Des études réalisées entre autres au Nigeria (Ramsey et Rose Innes 1963) et en Côte d'Ivoire (Aubréville 1936) ont montré que les incendies sont moins nuisibles à la végétation ligneuse et au sol lorsqu'ils se produisent en début de saison sèche, quand l'herbe n'est pas encore complètement sèche. Les feux allumés par les populations locales rentrent généralement dans cette catégorie, tandis que les feux accidentels se produisent quand l'herbe est complètement sèche. Les zones sahélienne et soudanienne sont caractérisées par une strate herbacée qui peut être continue et très épaisse à la fin d'une bonne saison des pluies. Dans ces conditions les incendies sont très intenses, surtout s'ils sont accélérés par l'Harmattan, un vent très chaud et très sec.

Les conditions écologiques caractéristiques des zones sub-humides et humides ne sont pas favorables aux feux.

Comparaison de parcelles âgées de 28 ans à Olokomeji (Nigeria)


Brûlage tardif

Brûlage précoce

Protection

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Nombre de tiges

98

-

163

-

433

-

Espèces tolérantes au feu

14

87,5

21

63,6

17

39,5

Espèces sensibles au feu

-

-

8

24,2

20

46,5

Espèces exotiques

2

12,5

4

12,1

6

14,0

Nombre total d'espèces

16

100,0

33

99,9

43

100,0


2.1. Causes accidentelles

Les feux allumés par les paysans lors du défrichement des terres pour la culture ont généralement lieu en fin de saison sèche, et ils ne brûlent donc pas de grandes surfaces. A cette époque de l'année, la strate herbacée est discontinue. Cependant, ces feux sont très nuisibles à la végétation ligneuse car les arbres sont alors au stade le plus critique de leur cycle annuel.

2.2. Les mises à feu délibérées

Aux feux allumés pour provoquer le regain des plantes herbacées et pour la chasse, il faut ajouter les cas rapportés au Sénégal, au Mali et au Tchad, où, en cas de conflit avec les bergers, les paysans peuvent allumer des feux de brousse pour les chasser.

D'autres cas remarquables signalés par les forestiers sont ceux des feux allumés:

· pour des motifs coutumiers ou religieux (surtout pour exorciser des évènements indésirables);

· pour stimuler des productions non ligneuses (miel, fruits, gommes);

· pour détruire les serpents, les insectes et les vecteurs de maladies.

2.3. Conséquences

Les incendies de forêt sont une cause importante de déforestation. On estime qu'au cours des 30 dernières années, l'agriculture sur brûlis et les incendies de forêt ont détruit plus de 120 millions d'hectares de forêt tropicale en Afrique. En Afrique de l'Ouest, dans la bande des savanes essentiellement, plus de 60 pour cent de la superficie boisée brûleraient à chaque saison sèche.

Dans les zones semi-arides, de fréquents feux de brousse se produisant en fin de saison sèche entraînent des modifications progressives de la composition en espèces herbacées, favorisant des espèces moins souhaitables telles que Cenchrus biflorus.

Dans les zones sub-humides, il n'y généralement pas d'accumulation importante de matériaux combustibles susceptibles de brûler avec intensité. La végétation ligneuse et les herbacées sont trop clairsemées pour se dessécher. Cependant, depuis les années 70, plusieurs sécheresses combinées à des coupes excessives ont augmenté la fréquence des incendies dans ces régions.

Année après année, les feux brûlent progressivement l'écorce des arbres et endommagent leurs troncs, allant jusqu'à entraîner leur mort ou leur chute. La régénération naturelle est aussi bien souvent perturbée.

Ce phénomène accélère le processus de la déforestation et aboutit à la destruction des habitats de la faune sauvage.

La disparition de la forêt tropicale et sa transformation en savane sont souvent attribuées aux incendies. Elles ont pour conséquence la disparition des animaux dont les habitats sont détruits par les incendies de forêt périodiques et celle des espèces non tolérantes au feu, diminuant ainsi la biodiversité des zones brûlées.

Dans les zones semi-arides, les écosystèmes sont généralement plus tolérants au feu. Cependant, les incendies se produisant en fin de saison sèche détruisent les arbres et les arbustes, à l'exception des espèces les plus résistantes au feu, et peuvent conduire progressivement à des modifications de la composition floristique. Lorsque les incendies se produisent en début de saison sèche, la dégradation est limitée. Les feux peuvent même induire une reprise de croissance des herbacées, la floraison de certaines espèces, la production de gomme, etc. En général, les arbustes ayant une faible capacité d'émission de rejets sont plus tolérants aux incendies que ceux qui rejettent abondamment.

Outre leurs effets sur les divers écosystèmes, les incendies de forêt affectent énormément les systèmes de production dans les zones rurales. On signale chaque année des victimes, des pertes de récoltes, et des habitations détruites par les incendies dans toute l'Afrique de l'Ouest. Dans les zones pastorales, les populations sont obligées de se déplacer avec leur bétail après le passage d'un incendie sur leurs terres de pâturages.

3. POLITIQUES ET ACTIONS

Les politiques en matière d'incendies de forêt reflètent généralement l'impact physique, les croyances sociales et les effets économiques sur les populations locales.

Là où l'impact physique est spectaculaire et où les effets sur les systèmes ruraux de production (pâturages essentiellement) sont destructeurs, comme c'est le cas dans la zone sahélo-soudanienne, les politiques s'orientent vers une prévention totale des incendies. Lorsque l'impact est moins spectaculaire et les effets considérés comme globalement positifs, les politiques s'attachent à la gestion des incendies plutôt qu'à leur prévention.

3.1. Politiques de prévention des incendies de forêt

En Afrique de l'Ouest, les politiques de prévention des incendies de forêt sont un héritage des forestiers français. Elles s'adressent exclusivement aux zones sahélienne et sahélo-soudanienne, et ont pour objectif principal la protection des parcours. Cependant, malgré la législation répressive qui sous-tend ces politiques, les incendies sont toujours fréquents, et à la fin de la saison sèche les surfaces ayant échappé au brûlage sont faibles.

Les coutumes et savoirs locaux n'ayant pas été correctement pris en compte à l'origine par le législateur, la législation forestière a généralement eu des effets négatifs. L'interdiction du brûlage en début de saison sèche a conduit à une augmentation du nombre, de l'intensité et de l'étendue des feux en fin de saison sèche. On admet assez couramment que le comportement actuel des populations locales en matière de feux de forêt résulte de cette législation.

L'expérience acquise dans différentes régions montre qu'il est impossible d'empêcher les incendies de forêt à long terme, et que la prévention totale peut finalement causer plus de mal à la forêt que l'utilisation judicieuse du feu comme instrument de gestion.

Une expérience réalisée près de Lubumbashi (RDC) a montré qu'après six ans de protection totale d'une parcelle, un incendie tardif a détruit 72 pour cent des tiges appartenant à la classe de circonférence de 29 cm, et 25 pour cent dans la classe de circonférence de 90 cm.

En général, exception faite de la zone sahélienne, le brûlage précoce a été par la suite autorisé et réglementé.

Jusqu'au milieu des années 80, le Sénégal était un cas particulier. La quasi-totalité de la zone sahélienne du pays était couverte d'un réseau de pare-feu. Entre les années 50 et le début des années 70, le réseau, d'environ 4500 km, a été mis en place dans la zone sylvopastorale au nord du pays. A la fin de chaque saison des pluies, l'ensemble du réseau était nettoyé à l'aide de niveleuses automotrices. Le réseau était renforcé par des brigades anti-incendie réparties dans toute la zone et équipées d'engins d'extinction et de radios. Des comités locaux de volontaires ont été organisés pour combattre les incendies sur le territoire de chaque village. S'il a été relativement efficace pour la prévention des grands incendies, ce système de protection n'a cependant pas vraiment empêché la région de brûler à chaque saison sèche. Il avait pour but essentiel l'extinction des incendies dès leur éclosion. Dans les autres régions, il n'y avait pas de pare-feu mais les brigades anti-incendie et les comités locaux équipés étaient bien répartis; ils ont cependant été moins efficaces dans l'extinction des incendies que ceux de la zone sylvopastorale.

Outre le système de protection décrit ci-dessus, les lois sur les feux de brousse ont toujours été très répressives.

Le principal enseignement à tirer de l'expérience sénégalaise est que la législation, même si elle est extrêmement répressive, ne peut empêcher les feux de brousse.

En fait, il est maintenant bien admis que dans les zones caractérisées par une longue saison sèche, il est impossible de mettre en œuvre efficacement une politique de prévention des feux de brousse. Par ailleurs, dans les zones en question, les mesures pourraient être efficaces tant que les herbacées et les broussailles restent clairsemées.

Moyens de gestion des incendies de forêt

Pare-feu: en dehors des forêts, parcs, plantations et ranches gérés intensivement, les seuls cas connus d'utilisation des pare-feu à grande échelle se trouvent au Sénégal.

Les pare-feu ne peuvent arrêter les feux de brousse que si l'herbe est courte et en l'absence de vent. La plupart du temps, ils sont utilisés pour allumer des contre-feux et comme voies d'accès commodes pour les engins d'extinction se rendant sur le front de l'incendie.

Suite aux difficultés économiques rencontrées par le pays depuis les années 70, le coût d'entretien des infrastructures est devenu si lourd à assumer que le Service des forêts n'a pas pu continuer à les entretenir, et aucun autre partenaire n'était intéressé à y participer. Cette situation a aggravé le problème, car dans les pare-feu non entretenus la strate herbacée et les arbustes sont plus denses, fournissant une quantité importante de combustibles susceptibles d'alimenter les incendies.

En conclusion, si les pare-feu sont utiles pour la lutte contre les feux de brousse, mais que leur entretien est trop lourd à assumer, il semble alors plus rationnel de les limiter aux zones où il est absolument nécessaire de protéger la végétation (par exemple ranches, écosystèmes fragiles, etc.).

Utilisation d'équipement lourd: l'équipement lourd comprend les engins d'extinction, les camions citernes, les niveleuses automotrices, les réseaux de transmission radio, etc. Il est plus efficace d'utiliser cet équipement en combinaison avec des pare-feu.

En Afrique, en dehors du Sénégal, ce type d'équipement est limité essentiellement aux zones aménagées (ranches, parcs nationaux, forêt aménagée).

Des points d'eau et des bases d'appui technique bien répartis sont indispensables. Le coût d'acquisition, de fonctionnement et de maintenance de cet équipement est probablement inabordable pour la plupart des pays africains.

Comités locaux de lutte anti-incendie: ces comités sont organisés dans les villages sous le patronage des services forestiers ou des projets de conservation des forêts. Lorsque les comités sont bien formés, équipés d'outils légers, et bien suivis, ils sont assez efficaces dans la lutte anti-incendie sur leur territoire. Pour encourager leurs membres et leur offrir une certaine forme de récompense, le programme "nourriture contre travail" (food-for-work) a été étendu dans certaines régions pour couvrir les activités de ces comités. Cependant, on a signalé que parfois, pour attirer l'attention des autorités sur leurs activités et obtenir des récompenses de nature alimentaire, certains comités avaient en fait allumé eux-mêmes des incendies.

Une augmentation importante du nombre annuel d'incendies allumés par les populations locales dans le but d'obtenir des rations alimentaires plus importantes a conduit les autorités à mettre fin à cet arrangement.

Education: une meilleure connaissance de l'origine des pratiques traditionnelles et de leurs raisons sous-jacentes a entraîné des attitudes plus tolérantes vis-à-vis des incendies de forêt. Le dialogue a ainsi remplacé la répression.

La plupart des études et des observations ont abouti à la conclusion que dans toutes les régions, le feu est traditionnellement perçu comme un instrument de gestion et comme un élément normal, plutôt que comme une force destructrice. Il n'est considéré comme phénomène destructeur que s'il se propage en dehors des limites à l'intérieur desquelles ses effets sont perçus comme bénéfiques.

Ce changement de perspective a conduit à la mise en œuvre de programmes d'éducation. Beaucoup de ces programmes intègrent des techniques modernes telles que la stratégie de "communication multimédia" qui met en œuvre des moyens audio, visuels et écrits. Une étude réalisée en 1996 en Guinée Conakry par le Centre de suivi écologique de Dakar a démontré clairement l'impact des programmes radiodiffusés.

Résultats d'une expérience menée par le Centre de suivi écologique en Guinée

Cette expérience présente de grands aspects novateurs par son caractère participatif et multidisciplinaire. Les populations ont participé à des réunions villageoises animées par des professionnels de la communication. Au cours de ces réunions, les savoirs locaux sur les techniques de lutte anti-incendie ont été recueillis, ce qui a permis de comprendre les pratiques et le comportement des populations vis-à-vis des incendies, et d'adapter en conséquence le message devant être diffusé par les radios locales.

Un avantage majeur de cette approche est sa reproductibilité dans le contexte africain, où les investissements nécessaires au fonctionnement d'une station de radio locale sont très bas, compte tenu des faibles coûts de gestion et de la participation spontanée des populations, ce qui est très différent de l'approche administrative classique. L'implication des populations, favorisée par l'approche sociologique utilisée, est une garantie de durabilité, car les techniques de lutte anti-incendie sont choisies et mises en œuvre par les populations elles-mêmes.

Dans certaines conditions, les stations de radio locales peuvent être un outil puissant dans la recherche d'une solution, à l'échelon local, au problème de la dégradation des ressources naturelles. Pour la première fois en Afrique, une approche multidisciplinaire a été appliquée à la gestion des incendies de forêt, et une solution a été trouvée grâce à des échanges directs et francs entre trois partenaires: les populations, les gestionnaires des ressources naturelles et les professionnels des médias. Enfin, l'efficacité d'une nouvelle technologie, la télédétection, pour le suivi et l'orientation des actions contre les incendies de forêt a été démontrée et utilisée à un échelon local.

Les principaux enseignements à tirer de cette expérience peuvent être résumés comme suit:

- La radio locale constitue un excellent instrument de gestion des incendies de forêt;

- La synergie entre la population, les techniciens et les spécialistes des médias est à la fois nécessaire et possible;

- La télédétection peut être utilisée comme instrument de surveillance de l'environnement et pour la maîtrise des ressources.

Cette expérience, pour être efficace, doit être étendue à d'autres pays africains. Les jeunes et les femmes sont considérés comme les cibles les plus réceptives.

Le succès rencontré par cette expérience offre des perspectives prometteuses pour un programme à l'échelon sous-régional.

Les incendies sont sans doute le problème le plus complexe auquel doivent faire face les spécialistes en communication, les autorités publiques et les responsables du développement. Certains des défis à relever sont les suivants: comment expliquer aux populations rurales les relations existant entre les incendies de forêt et la longue distance qu'ils doivent parcourir pour trouver de l'eau; comment les convaincre de réduire les feux rituels; comment transformer les chasseurs, qui n'hésitent pas à mettre le feu à une centaine d'hectares pour ne récolter qu'un seul "agouti", en amis de l'environnement.

L'expérience a montré que les radios locales peuvent réussir là où, jusqu'ici, les responsables politiques, les forestiers, les agents de vulgarisation et les policiers avaient échoué. Il n'est pas facile d'admettre qu'une écoute attentive des détenteurs de la tradition est souvent la clé du succès. Dans les traditions orales, lorsque les gens sont bien informés, ont la possibilité de s'exprimer, et font preuve d'écoute réciproque (ce que la radio locale peut grandement faciliter), ils rejettent rarement les actions novatrices visant leur propre intérêt, à court ou long terme.


3.2. Politiques de gestion des incendies

Il est admis de longue date que les activités humaines, associées au feu, ont conduit au développement d'une végétation de type steppe et savane. De plus, le feu est considéré traditionnellement comme un instrument utilisé pour le défrichement des terres pour l'agriculture et pour la gestion des pâturages. Pour la plupart des groupes ethniques, le feu est un phénomène naturel et inévitable. Ainsi, dans presque tous les pays situés dans les zones semi-arides et sub-humides, la politique adoptée a pour objectifs essentiels la gestion des incendies afin d'utiliser leurs effets bénéfiques là où c'est nécessaire, et la réduction de leurs effets néfastes lorsque les écosystèmes sont trop sensibles au feu.

En général, les espèces des forêts tropicales ne sont pas tolérantes au feu. Un feu se propageant parmi de jeunes plantules les détruit irrémédiablement, et si le phénomène se répète chaque année il aboutit à la destruction de la forêt elle-même. Par ailleurs, on a observé que des modifications importantes de l'environnement, provoquées par les incendies, peuvent conduire à une diminution de l'incrément annuel des arbres.

Suite à ses recherches en Côte d'Ivoire, Bertault (1985) rapporte qu'un incendie sur une parcelle de forêt tropicale a détruit près du tiers des tiges de faible diamètre. En outre, la structure floristique a été modifiée en raison des différents degrés de tolérance au feu des espèces inventoriées.

Entandrophragma cylindricum et Morus mesozygia, par exemple, étaient plus tolérantes au feu que toutes les autres espèces. Par ailleurs, la faune sauvage associée aux habitats de la forêt tropicale (Cephalophus sp., Philantomba sp.) est elle aussi menacée par les feux de forêt.

Diverses études (West 1965) ont montré que dans les écosystèmes tropicaux forestiers et de savane, les feux se produisant en début de saison sèche ont peu d'effet sur la végétation, tandis que les feux tardifs ont des effets néfastes sur les plantes herbacées, les broussailles, les arbres et le sol. Cette constatation a conduit les forestiers et les gardes forestiers à allumer des feux contrôlés précoces pour réduire la quantité de matériaux combustibles et prévenir les feux tardifs nuisibles.

Cependant, si dans le passé cette méthode pouvait être pratiquée sans grand danger de voir le feu échapper au contrôle et causer des dommages dans les zones contiguës plus sèches, aujourd'hui le changement climatique et les modifications de la végétation ont débouché sur une situation nouvelle. Les précipitations erratiques créent des parcelles plus ou moins étendues de zones plus sèches, et un feu allumé dans une zone contiguë peut avoir sur elles les mêmes effets qu'un feu tardif. Pour faire face à cette situation, la période de brûlage précoce ne devrait plus être déterminée par la législation, mais plutôt être décidée au niveau local.

Dans les steppes de la zone sahélienne, la strate herbacée est essentiellement composée d'espèces annuelles qui ne se régénèrent pas après les feux précoces. L'activité rurale principale étant l'élevage, le but des politiques est de prévenir les incendies, même très précoces. Au Sénégal, pour atteindre cet objectif, on a pris des mesures coûteuses et donc difficiles à maintenir. Le grand réseau de pare-feu de la zone sylvopastorale n'a pas survécu longtemps après l'apparition des difficultés économiques du pays. L'ensemble de l'équipement d'extinction ne fonctionne plus, ou est trop ancien pour être fiable.

La politique est bien acceptée par les communautés locales, mais les moyens de la réaliser efficacement sont hors de leur portée. Il faut donc rechercher des solutions de remplacement.

4. ENSEIGNEMENTS À TIRER DE L'EXPÉRIENCE

La prévention des incendies doit être totale dans la zone sahélienne, car même s'ils se produisent en début de saison sèche, ils ont un fort pouvoir destructeur et des répercussions néfastes sur la vie des populations humaines et sur les animaux.

La prévention des incendies doit également être totale dans les forêts tropicales, où ils risquent de conduire à une dégradation irréversible des écosystèmes.

Ailleurs, il faut utiliser largement le brûlage contrôlé périodique comme instrument de lutte contre les incendies de forêt.

Des programmes d'éducation adaptés, impliquant les communautés locales et les techniciens et utilisant des stratégies de communication multimédia, peuvent conduire à une participation interactive avec un plus haut degré de coopération de la population rurale.

Une législation répressive n'empêche pas les populations d'allumer des feux de forêt.

5. CONCLUSION

Malgré un manque d'études et de statistiques récentes sur l'importance des incendies de forêt en Afrique, il est largement admis qu'ils contribuent plus que jamais à la dégradation des forêts. Cependant, l'importance accordée actuellement aux aspects sociaux et écologiques de la conservation des forêts a influencé les politiques ayant des répercussions directes ou indirectes sur les incendies de forêt. Les politiques doivent maintenant intégrer les divers aspects qui ont été identifiés comme éléments fondamentaux d'un développement durable.

BIBLIOGRAPHIE

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