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Un demi-siècle d'alimentation
et d'agriculture

On trouvera dans les pages qui suivent un aperçu des principaux événements et des grandes tendances qui ont influé sur la situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture depuis 50 ans. Cet historique est principalement fondé sur les volumes consacrés chaque année depuis 1947 à La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture, qui illustrent plus d'un demi-siècle de réalisations et d'échecs dans le domaine du développement agricole et rural et de la sécurité alimentaire. Ils font apparaître des thèmes et des problèmes récurrents, mais aussi de profondes transformations à la suite desquelles l'agriculture est aujourd'hui très différente de ce qu'elle était il y a un demi-siècle. Partout, l'environnement économique et politique s'est profondément transformé, les technologies ont connu un énorme essor, et la sensibilité politique et les priorités ont évolué.

Dans la présente section, nous récapitulerons les transformations décrites par la FAO dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture, en particulier - depuis 1957 - dans les chapitres spéciaux consacrés à des thèmes particuliers. Certains événements qui nous apparaissent aujourd'hui importants à la lumière de l'histoire, mais qui ont été omis ou traités de façon incomplète ou inexacte dans les rapports de l'époque, ont été introduits ou complétés par des renseignements supplémentaires dans le présent chapitre.
Celui-ci est nécessairement sélectif; les nombreuses activités et initiatives de la FAO abondamment publiées et commentées dans d'autres documents, sont omises ici, à l'exception de certains événements importants dans lesquels l'Organisation a joué un rôle de premier plan.

On espère que cette rétrospective sera utile non seulement pour rappeler le passé mais aussi pour nourrir la réflexion et nous aider à dresser un bilan: jusqu'à quel point avons-nous avancé dans la voie de la sécurité alimentaire et du développement agricole et rural, que reste-t-il à faire et, à en juger par l'expérience passée, qu'est-ce qui a le plus de chances de susciter de nouveaux progrès?

LA SITUATION IL Y A UN DEMI-SIÈCLE

Dévastation et reconstruction, pénuries alimentaires,
concentration géographique des richesses et des disponibilités alimentaires,
l'Asie au cœur de l'actualité

La seconde guerre mondiale a eu un profond effet sur l'agriculture mondiale. Selon les premiers rapports sur La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture, la production agricole mondiale par habitant était à la fin de la guerre de 5 à 15 pour cent inférieure aux niveaux d'avant guerre. Mais l'impact du conflit mondial était très différent selon les régions. La guerre avait dévasté l'agriculture dans toute l'Europe, en URSS, dans de vastes parties de l'Asie et des pays du Pacifique, ainsi qu'en Afrique du Nord. L'effondrement de la production agricole dans ces régions 1, joint à l'incapacité généralisée de financer des importations, provoquèrent des pénuries alimentaires aiguës même après la fin des hostilités. La situation a encore été aggravée par la série de sécheresses qui ont frappé l'URSS, l'Afrique du Nord et de vastes pans de l'Extrême-Orient en 1946 et 1947. Il y avait aussi de graves pénuries dans le secteur halieutique, qui avait souffert de la perte et de la réquisition des bateaux et des engins de pêche. Les quatre cinquièmes des approvisionnements mondiaux en produits de la pêche provenaient autrefois des zones touchées par la guerre. Le secteur forestier, lui aussi, a beaucoup souffert de la guerre. La dévastation des forêts et des industries forestières avait été particulièrement grave en Europe centrale et orientale, y compris dans l'ouest de l'URSS, et dans certains pays d'Extrême-Orient. L'effort de guerre et l'interruption du commerce de charbon ont amené à surexploiter et détruire les forêts pour obtenir du bois de feu dans bien des régions du monde.

Au contraire, les vivres étaient abondants dans plusieurs pays gros producteurs qui avaient été relativement épargnés par le conflit - Canada, États-Unis, Australie et Argentine. Comme pendant la première guerre mondiale, ces pays servirent de grenier à leurs alliés et firent des efforts particuliers pour stimuler la production. En fait, les années de la guerre furent une période d'expansion et de prospérité, en particulier pour l'agriculture nord-américaine. La production agricole de l'Amérique du Nord avait augmenté d'un tiers par rapport aux niveaux de la période de l'avant-guerre et les exportations céréalières nettes atteignaient 17,5 millions de tonnes en 1946-1948 contre quelque 5 millions de tonnes en 1938. Pendant la même période, les importations céréalières nettes de l'Europe sont passées de 9,5 à 14 millions de tonnes. Pour ce qui est des pays en développement, l'Asie et l'Afrique qui, avant la guerre, avaient des excédents de céréales, accusaient après la guerre de lourds déficits; la détérioration de la balance céréalière était particulièrement prononcée dans le cas de l'Asie, où le solde est passé de +2,2 millions de tonnes en 1934-1938 à -3,7 millions de tonnes en 1946. L'Amérique latine et les Caraïbes, l'Afrique, le Proche-Orient et l'Océanie n'ont souffert qu'indirectement des effets de la guerre, qui se sont limités à des pénuries de facteurs de production ou à la perte de leurs fournisseurs habituels ou de leurs marchés d'exportation.

Analysant ces contrastes, la FAO avait déjà lancé l'alarme dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1948. Elle s'inquiétait de l'offre pléthorique de vivres dans certaines parties du monde, qui contrastait avec les pénuries aiguës dont souffraient d'autres régions. Elle craignait que la production vivrière des pays excédentaires ne dépasse la capacité d'importation des pays déficitaires, dont beaucoup manquaient de devises, et que la capacité excédentaire des gros producteurs et exportateurs n'acquière un caractère structurel. Elle faisait observer que la demande, et en particulier la demande de produits forestiers, diminuerait quand la reconstruction serait finie et que les produits synthétiques supplanteraient plusieurs matières premières d'origine agricole. Étant donné l'état nutritionnel déplorable auquel en étaient réduites les populations même dans certains pays industrialisés, la FAO préconisait, contrairement à certains économistes partisans de mesures propres à réduire l'offre, une politique d'accroissement de la demande.

Des excédents alimentaires dans certaines régions du monde ont coexisté avec des pénuries graves dans d'autres. Un accroissement de la demande était nécessaire pour améliorer les niveaux nutritionnels.

Régions en développement

Les premiers rapports sur La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture témoignent d'une perception des contrastes inter-régionaux très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Les problèmes de l'Asie étaient au centre des préoccupations tandis que l'on accordait relativement moins d'attention aux autres régions. En particulier, on avait bien vu que l'Afrique était la région la moins avancée sur le plan économique mais on pensait que le développement économique et social et l'amélioration du bien-être n'y étaient qu'une question de temps (voir encadré 11). Cette idée que l'Afrique était une terre d'espoir et l'Asie une terre de drame n'a changé qu'après une longue histoire de développement contrasté dans les deux régions.

Selon les descriptions de l'époque, les problèmes de l'Asie étaient pratiquement insurmontables. Avec environ la moitié de la population mondiale, cette région ne possédait qu'un cinquième des terres émergées, alors que son économie reposait encore principalement sur l'agriculture. En outre, la productivité agricole était très basse dans une grande partie de l'Asie. Par exemple, on estimait que le rendement par hectare des cultures céréalières en Inde était de 20 pour cent inférieur à la moyenne pour les pays en développement; en Inde, en Indonésie et en Chine, la production céréalière par travailleur était nettement plus faible que la moyenne pour l'ensemble des pays en développement. En Asie du Sud, les structures agricoles étaient caractérisées par une utilisation extensive des terres et par une très forte densité démographique. Non seulement la productivité agricole était faible, mais les trois quarts des actifs étaient occupés à produire les quelques aliments composant le régime alimentaire. La ration calorique journalière était à peine de 2 000 calories par habitant et la plupart des gens vivaient dans des petites exploitations, produisant eux-mêmes l'essentiel de ce qu'ils mangeaient et mangeant eux-mêmes l'essentiel de ce qu'ils produisaient.

La guerre a encore accusé ces problèmes séculaires de l'Asie. Le secteur alimentaire a beaucoup souffert des hostilités, de l'instabilité politique et des déplacements de populations. Sauf dans les trois grands pays rizicoles - Birmanie (Myanmar), Siam (Thaïlande) et Indochine (Viet Nam, République démocratique populaire lao, Cambodge) -, la ration calorique par habitant a diminué pendant la guerre. En Inde, au Pakistan, au Japon et aux Philippines, elle est tombée à quelque 1 700 kcal/jour. Les grandes pêcheries d'Asie du Sud-Est perdirent une bonne partie de leurs navires et de leur main-d'œuvre. La région, qui avait traditionnellement des excédents de produits alimentaires, devint après la guerre importatrice nette. On s'inquiéta beaucoup de ce retournement de la situation et de ses effets sur le commerce mondial des produits alimentaires; on craignait - et cette crainte reste d'actualité en ce qui concerne la Chine - que l'ampleur de l'écart entre la demande alimentaire dans les pays à forte densité démographique d'Asie et leur capacité de production ne crée des tensions sur les marchés mondiaux.

L'Amérique latine d'après la guerre présentait un tout autre tableau. Tout au long des hostilités et dans la période qui a suivi, l'expansion économique rapide, qui avait caractérisé une bonne partie des années 20 et 30, a poursuivi sur son élan. Plus que dans les autres régions en développement, cette expansion a été stimulée par des stratégies de développement tirées par la croissance de l'industrie et le remplacement des importations, qui ont engendré un essor de l'activité industrielle. Entre 1934-1938 et 1947, la production industrielle a presque doublé, tandis que la production agricole n'augmentait que de 20 pour cent. L'industrialisation a aussi contribué à l'explosion des centres urbains, où était concentré l'essentiel de l'activité manufacturière.

Encadré 11

LES PERSPECTIVES
DE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE SELON
LA SITUATION MONDIALE DE L'ALIMENTATION ET DE L'AGRICULTURE 1948

«Du point de vue des régions très développées, l'Afrique apparaît comme un continent relativement vide possédant un vaste potentiel de production - une zone à devise faible qui pourrait grandement intensifier ses échanges de marchandises avec l'Europe. Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, il se pourrait que l'Afrique soit dans certains cas pour l'Europe ce que l'Ouest était pour les États-Unis un siècle plus tôt.» Cette vision du rôle et de l'avenir des territoires coloniaux d'Afrique devait être démentie par l'histoire, mais elle correspond bien aux idées généralement admises à l'époque. On savait que la nutrition laissait à désirer, mais l'Afrique ne semblait pas particulièrement préoccupante du point de vue de la sécurité alimentaire. On pensait que ce continent «vide» du point de vue démographique, où la population augmentait à un rythme modéré (1,3 pour cent par an entre 1920 et 1950) et riche en ressources agricoles qui constituaient le fondement de sa spécialisation économique, n'aurait pas de mal à nourrir sa population.

La place relativement peu importante faite à l'Afrique dans les parties des premiers rapports sur La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture consacrées aux régions en développement montre aussi à quel point on avait sous-estimé la gravité des problèmes humains et naturels de ce continent. Cette lacune était sans doute due plutôt à l'ignorance qu'à la négligence. Les rapports soulignaient de façon répétée que l'on manquait d'informations pour évaluer adéquatement l'état de l'agriculture africaine, et que les perspectives de développement de ce secteur étaient très incertaines. Il est indiqué dans le rapport de 1948 que, de toutes les régions, l'Afrique était celle pour laquelle la documentation était le plus pauvre et que l'on ne pourrait se faire qu'une idée très fragmentaire de la situation de l'alimentation et de l'agriculture en Afrique tant que les gouvernements n'auraient pas fait un effort pour établir les faits dans chaque territoire. Cette exhortation à améliorer les systèmes de collecte et d'analyse de l'information sur la situation en Afrique pour pouvoir établir des stratégies efficaces sur des bases rationnelles devait devenir un thème récurrent de la publication au cours des années suivantes.

Cependant, l'agriculture dominait encore l'économie latino-américaine; en 1950, elle produisait environ un cinquième du PIB et employait près de la moitié des actifs. Le taux élevé de l'emploi et l'augmentation rapide des revenus réels stimulèrent la demande alimentaire, surtout dans les villes. À la fin des années 40, la population augmentait plus rapidement en Amérique latine que nulle part ailleurs: le taux de croissance démographique était de l'ordre de 2,7 pour cent et le PIB par habitant augmentait à raison de 2 à 3 pour cent par an. En dépit d'une politique d'industrialisation qui pénalisait l'agriculture (mais que compensaient partiellement divers types d'aide publique), le secteur agricole a affiché des résultats remarquables; la production alimentaire a en général suivi l'essor de la demande. L'Amérique latine est restée exportatrice nette de produits agricoles et alimentaires, bien que certains pays soient devenus de plus en plus tributaires des importations vivrières. Grâce aux bons résultats de l'agriculture et à l'accroissement des revenus, le régime alimentaire s'est amélioré. On estime que la ration calorique moyenne à l'échelle de la région était de l'ordre de 2 400 kcal/jour en 1947 (contre 2 200 kcal/jour avant la guerre.) C'était beaucoup plus que dans les autres régions en développement. Toutefois, cette moyenne masquait de grandes disparités entre les pays (Argentine 3 100 kcal, Pérou 1 900 kcal), ainsi qu'entre les classes de revenus.

Dans une bonne partie de l'Afrique, la guerre avait en général été une période de progrès économique. La demande de la plupart des produits agricoles et minéraux produits par le continent était vigoureuse. Beaucoup de territoires ont pu accroître leur activité économique et leur production agricole. Les statistiques indiquaient que les revenus par habitant étaient bien supérieurs à ce qu'ils étaient avant la guerre. Stimulée par l'accroissement de la demande, la production d'aliments de base avait augmenté mais, contrairement à ce qui s'était passé dans les autres régions, la production des cultures industrielles - notamment coton, sisal et tabac - avait augmenté plus vite que celle des cultures vivrières. La hausse des revenus, surtout dans les villes, avait renforcé la demande de produits alimentaires, dont beaucoup devaient être importés, ce qui provoqua des difficultés financières croissantes dans plusieurs pays. Toutefois, malgré une production vivrière en général satisfaisante, et malgré l'accroissement de la demande solvable, l'état nutritionnel restait mauvais. On estimait en 1947 que la ration calorique par habitant était de l'ordre de 1 500 à 2 000 kcal/jour en Afrique du Nord (soit beaucoup moins qu'avant la guerre, surtout en Algérie et au Maroc) et de 2 000 à 2 300 kcal/jour dans la plupart des autres pays.

Le Proche-Orient était décrit comme une région arriérée, mais aussi comme la région où la transformation économique était le plus rapide. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1948 faisait observer que, jusqu'à tout récemment, le Proche-Orient avait vécu au rythme des caravanes. Sans transition, il s'était trouvé à la croisée des chemins pour toutes sortes de courants d'échange et de circulation. On y trouvait de plus en plus de pétrole. Les déserts autrefois mystérieux étaient maintenant sillonnés par des oléoducs. De nouveaux ports, de nouvelles villes, de nouvelles activités ne cessaient de se développer. La Turquie moderne était très différente de l'Empire ottoman de 30 ans auparavant, et cela était vrai aussi dans une certaine mesure pour les autres pays de la région. Le rapport concluait qu'il était difficile de prévoir quel type d'agriculture émergerait de cette transformation économique au cours de la génération suivante. En fait, les systèmes agricoles de la région étaient encore dominés par l'environnement et la tradition. Hier comme aujourd'hui, l'eau était une préoccupation majeure. Quatre pour cent seulement des terres étaient cultivées. Les systèmes agricoles étaient caractérisés par des pratiques et des structures séculaires. L'élevage, dissocié des cultures, était monopolisé par des nomades. Le cheptel était constitué essentiellement de moutons, de chèvres, de chameaux et de chevaux: l'élevage bovin était presque inconnu.

Sur cette toile de fond, la guerre avait en général été une période d'expansion de l'agriculture au Proche-Orient. Cela était particulièrement vrai pour les céréales, la viande et les autres produits animaux, qui le plus souvent ont supplanté des cultures de rente telles que le coton pour répondre à la demande alimentaire des forces alliées présentes dans la région. Les consommateurs locaux ne semblent pas avoir bénéficié de cet essor de la production alimentaire; les données dont on dispose (qui concernent principalement l'Égypte et la Turquie) font apparaître une nette baisse de la consommation par habitant de calories, de protéines et de matières grasses entre 1934-1938 et 1947-1948, surtout en Turquie. En 1947-1948, la ration calorique moyenne était tombée à environ 2 050 kcal par personne en Turquie et 2 390 kcal en Égypte, contre environ 2 500 kcal avant la guerre dans les deux pays.

Pêche et forêts

Les premiers rapports sur La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture n'évoquaient qu'en passant les secteurs halieutique et forestier. On admettait alors que la haute mer appartenait à tous et contenait des stocks inépuisables de poisson. En 1946, la Conférence de la FAO affirmait encore que les zones de pêche du monde regorgeaient de poissons et que les pêcheries étaient une ressource internationale; en particulier, dans les régions sous-développées, cette manne n'attendait que d'être récoltée. L'attitude à l'égard des forêts était analogue. La conservation et l'aménagement à long terme des forêts étaient bien mentionnés dans les rapports de l'époque, mais l'attention était concentrée sur la production forestière. C'est seulement un quart de siècle plus tard, pendant les années 70, que la conservation est venue à l'ordre du jour, quand le public de certains pays a commencé à se préoccuper de la destruction des forêts tropicales, des feux de forêt et du dépérissement des forêts.

LES ANNÉES 50

La reprise: industrialisation, planification du développement,
autosuffisance alimentaire, excédents, nouvelle
appréciation de l'Afrique

Reprise inégale et bipolarité

Les années 50 ont été caractérisées par une bipolarisation politique et économique toujours plus marquée. La guerre froide et les affrontements idéologiques rendaient la coopération internationale plus problématique, et l'écart entre les pays riches et les pays pauvres ne faisait que s'élargir. Le Plan Marshall et l'effort de reconstruction facilitèrent le redressement économique rapide des pays sinistrés d'Europe occidentale, tandis que beaucoup de pays du tiers monde souffraient de l'instabilité des marchés agricoles, des pénuries aiguës de devises et, surtout en Asie, des maladies de jeunesse qui accompagnaient le développement des institutions politiques dans les pays nouvellement indépendants. Pendant cette période, le clivage entre les riches et les pauvres était un thème récurrent de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture, qui soulignait que le développement agricole devait jouer un rôle important dans l'amélioration de la situation économique des pays et des sociétés. On estimait alors que, pour que le niveau de vie s'améliore dans les pays en développement, il fallait que le taux de croissance de la production vivrière soit de 1 ou 2 pour cent supérieur à celui de l'accroissement de la population. Mais il apparaissait que beaucoup de pays en développement n'avaient ni les ressources ni les moyens technologiques nécessaires pour assurer une croissance de la production.

Les pays en développement n'avaient ni les ressources, ni les moyens techniques nécessaires pour accroître leur niveau de vie.

Industrialisation

La croissance tirée par l'industrie, qui avait déjà été au cœur des stratégies de développement de beaucoup de pays d'Amérique latine, est devenue le paradigme orthodoxe pendant les années 50. Le modèle de développement privilégiant les villes et pénalisant l'agriculture s'imposait de plus en plus. L'agriculture était directement pénalisée par la politique qu'appliquaient dans beaucoup de pays les offices paraétatiques de commercialisation, qui créait un écart entre les prix touchés par les agriculteurs et le prix frontière des produits faisant l'objet d'un commerce international. Elle était aussi pénalisée par la surévaluation des changes qui tendait à faire baisser les prix des produits d'exportation ou de remplacement des importations, ainsi que par les politiques protégeant l'industrie, qui favorisaient le remplacement des produits industriels d'importation et gonflaient donc le prix des biens non agricoles tout en faisant baisser les prix des produits agricoles sortie exploitation. La politique privilégiant l'industrie était fondée sur le postulat que le développement économique nécessitait une croissance rapide et donc devait passer par l'industrialisation. Cette thèse trouvait un écho dans les longs développements consacrés aux progrès de la production industrielle dans les premiers rapports sur La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture; dans les années 50, on a commencé à consacrer chaque année un chapitre à l'industrialisation, considérée comme le principal moteur du développement, à cause de ses effets positifs sur la croissance du revenu et comme un facteur essentiel pour créer le pouvoir d'achat qui permettrait d'écouler la production agricole (La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1952). On considérait aussi que, comme l'industrialisation avait pour corollaire l'exode rural, il serait nécessaire d'empêcher le prix des vivres de monter pour limiter les problèmes sociaux dans les villes. La subvention des intrants agricoles tels qu'engrais et machines et le crédit bon marché étaient censés fournir des compensations au secteur agricole. Mais c'était en général les grandes exploitations commerciales qui en profitaient le plus. Le secteur agricole était lourdement pénalisé par la politique d'aliments bon marché en faveur des consommateurs urbains. Cette politique a été maintenue dans beaucoup de pays jusqu'au moment où elle a été balayée par la vague d'ajustement structurel des années 80.

Planification du développement

À cause de la grande dépression des années 30 et de l'effondrement de la demande solvable qu'elle avait entraîné et qui avait obligé à accroître les interventions de l'État dans l'économie et sur les marchés, les stratégies de développement donnaient un rôle important à l'État dans la commercialisation des intrants et des produits, ainsi que dans la planification de la production et l'allocation des ressources. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture consacrait de longs développements à l'évolution de la programmation et de la planification de l'agriculture, faisant la place particulièrement belle aux expériences novatrices de certains pays d'Asie. On pensait que pour sortir du cercle vicieux bas revenus-faible consommation-stagnation de la production, il fallait que le secteur public planifie et finance le développement agricole et rural. La planification comportait l'établissement d'objectifs de production, la programmation des investissements et des plans détaillés de bonification des terres, d'irrigation et de fourniture d'intrants.

L'Inde était un cas exemplaire pour la façon dont elle avait réussi la planification du développement intégré de son économie mixte sur la base de l'autoassistance, mais sans enrégimentement excessif. L'État intervenait de façon stratégique pour garantir que le développement s'inscrive dans la ligne des objectifs du premier Plan quinquennal (1950/1951-1955/1956). Le Plan envisageait des financements publics pour la production d'aliments et de fibres en vue de rétablir les niveaux de consommation d'avant guerre et de réorienter l'éventuelle épargne vers des investissements qui permettraient de poursuivre le développement économique.

Un autre exemple de planification centralisée et d'intervention de l'État est donné par la Chine. Le premier Plan quinquennal de ce pays (1953-1957) a été considéré comme un succès. Les investissements publics dans l'agriculture et la planification industrielle auraient produit un accroissement de 12 pour cent du PIB réel. En 1958, une stratégie a été adoptée pour consolider et réorganiser l'agriculture et l'industrie rurales: c'était ce que l'on a appelé le «Grand bond en avant». Cette stratégie misait sur l'introduction dans les campagnes de nouvelles technologies. Elle prévoyait l'élimination de la propriété privée rurale et le remembrement et la collectivisation forcés des exploitations agricoles. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1959 indiquait que dès la fin de 1958, plus de 740 000 coopératives agricoles chinoises avaient été transformées en 26 000 communes, chacune groupant 2 000 familles qui répartissaient leur travail entre la production agricole et l'industrie légère.

Pourtant, s'il est vrai que la production chinoise a beaucoup augmenté entre 1957 et 1958, de graves problèmes se sont fait jour peu après. Les volumes de production annoncés par les communes populaires étaient souvent surestimés; mais c'était sur eux que se basait le gouvernement pour exiger un accroissement des quotas de production. Du fait de cette pression qu'exerçait le gouvernement pour tirer du paysannat une production toujours croissante, ce qui restait aux communautés rurales pour leur propre consommation s'amenuisait sans cesse. Le problème était encore aggravé par le fait que les industries rurales n'arrivaient pas à produire les machines, les outils, les engrais et les autres intrants dont l'agriculture avait besoin, ainsi que par les pénuries généralisées de main-d'œuvre et l'introduction des méthodes agricoles qui n'avaient pas fait leurs preuves. Ces facteurs, conjugués aux aléas météorologiques, ont contribué à faire chuter radicalement la production agricole.

La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1960 évoquait des problèmes que connaissaient les communes et décrivait les mesures prises pour y parer: «Il a été constaté en août 1959 qu'il était nécessaire de réorganiser les communes car les disponibilités de vivres pour les cuisines communales étaient tombées au-dessous du niveau de l'année précédente; en raison de la centralisation à outrance et de la mise en commun de toutes les recettes, les "brigades" les plus efficientes faisaient vivre les autres. De petites parcelles ont été rendues aux familles pour qu'elles y cultivent des légumes et élèvent de la volaille afin d'améliorer le ravitaillement dans les campagnes.» Le rapport indique que d'autres règlements qui étaient normalement appliqués dans les communes ont aussi été assouplis et que des communes urbaines ont été organisées.

Autosuffisance

Un trait commun à de nombreux plans de développement est l'importance attachée à l'objectif de l'autosuffisance alimentaire partielle ou totale, souvent pour des raisons stratégiques. Après les pénuries de la guerre et de l'après-guerre, beaucoup de pays considéraient essentiel de garantir leur approvisionnement alimentaire et craignaient d'être trop tributaires des importations. Ce souci d'autosuffisance était renforcé par les difficultés de paiement et par la tendance à réserver les maigres ressources en devises pour importer les équipements nécessaires au développement plutôt que de les consacrer à des importations de produits agricoles. L'autosuffisance alimentaire est devenue le leitmotiv de la plupart des plans nationaux de développement, même quand cet objectif était manifestement impossible à atteindre. Mais la priorité accordée à l'accroissement de la production alimentaire et à l'autosuffisance était évidemment incompatible avec la stratégie de développement tirée par l'industrie qui impliquait une pénalisation de l'agriculture: d'où un cadre politique plutôt ambigu dans beaucoup de pays.

Un des facteurs importants qui ont motivé l'effort d'autosuffisance au début des années 50 était la crise des paiements qui a éclaté à cette époque. La demande explosait dans tous les secteurs, particulièrement dans les zones dont les importations avaient été interrompues pendant la guerre et où une vigoureuse reprise était en cours. Comme l'Amérique du Nord était le principal fournisseur de biens industriels et agricoles, les importateurs devaient payer en dollars. Beaucoup de pays déficitaires, même ceux qui avaient obtenu des États-Unis des conditions de paiement très favorables et d'autres types d'aide, furent obligés de réduire leurs importations, y compris leurs importations alimentaires. En particulier, les pays d'Amérique latine ont dû appliquer de sévères restrictions à l'importation.

Problème des excédents agricoles

Année après année, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture suivait de près le problème des excédents agricoles qui s'accumulaient dans certains pays. Un chapitre de la publication de 1954 était consacré à ce problème et citait la Conférence de la FAO qui, à sa session de 1953, avait longuement débattu des problèmes que posaient ces excédents. Deux questions dominaient le débat: comment écouler les excédents sans perturber les marchés agricoles internationaux, et comment faire en sorte que la production augmente aussi vite que les besoins sans gonfler encore les excédents. La Conférence décida de créer un sous-comité permanent du Comité des produits de la FAO (CP) qui offrirait un cadre à des consultations intergouvernementales régulières sur les excédents. L'idée de se servir des surplus de produits alimentaires pour parer aux disettes et promouvoir le développement - «l'écoulement des excédents» - a gagné du terrain et a débouché sur l'utilisation de l'aide alimentaire en tant que moyen d'assistance au développement. La publication présentait aussi les mécanismes de stabilisation des prix adoptés par certains pays exportateurs pour atténuer les fluctuations des prix, et soulignait l'intérêt qu'il y aurait à développer des accords internationaux sur les produits en vue de stabiliser la production et les prix à un niveau qui soit satisfaisant tant pour les exportateurs que pour les importateurs.

Nouvelle appréciation de l'Afrique

Vers la fin des années 50, l'Afrique a commencé à occuper beaucoup de place dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. La publication de 1958 comprenait une étude spéciale sur le développement du secteur alimentaire et agricole en Afrique subsaharienne dont se dégageait un tableau contrasté de la performance de l'agriculture depuis la fin de la guerre. D'une façon générale, la production alimentaire avait suivi le rythme de la croissance démographique, la production halieutique avait triplé depuis l'avant-guerre et les régimes alimentaires étaient considérés comme suffisants. L'Afrique était encore considérée comme un continent «vide» (avec 5 pour cent seulement de la population mondiale et sept habitants au kilomètre carré en moyenne); mais dans certaines zones, la densité démographique était trop forte pour qu'il soit possible de préserver la fertilité des sols dans un régime d'agriculture itinérante et la couverture forestière reculait inexorablement, avec de graves conséquences pour les ressources en terre et en eau.

Forêts

Le chapitre IV de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1958 était intitulé «Développement des industries forestières et ses répercussions sur les forêts du monde». Il présentait le développement des industries forestières depuis l'origine jusqu'à la croissance phénoménale de la période de l'après-guerre. Par exemple, la production de pâte de bois a doublé en 10 ans après la guerre pour atteindre 56 millions de tonnes en 1956. Cette fabuleuse croissance a provoqué d'énormes ponctions sur les ressources forestières, dont les effets étaient toutefois très sous-estimés («la presse à scandale a appris au grand public qu'il fallait détruire 50 ha de forêt pour produire un seul numéro du dimanche d'un journal de New York»). L'étude soulignait que le monde possédait suffisamment de forêts pour satisfaire ses besoins et que l'industrie forestière était souvent la meilleure amie des forêts, allant même jusqu'à dire que dans bien des parties du monde, les exploitations forestières industrielles donnaient un exemple éclatant de protection et de conservation de la forêt. L'opinion contraire allait gagner du terrain et devenir prédominante au cours des décennies qui suivirent.

LES ANNÉES 60

Le progrès technologique, l'émotion suscitée par la pauvreté et la faim - et, en Chine, la famine, la redécouverte de l'agriculture, le commerce (Négociations commerciales multilatérales du Kennedy Round et CNUCED), assistance au développement -
les tentatives infructueuses de fixer des objectifs

Le progrès technologique

Si l'on considère le dernier demi-siècle, on pourrait dire que les années 60 ont été la décennie du décollage des techniques agricoles, même si les premières initiatives - et en particulier la création des premiers centres internationaux de recherche agronomique (CIRA) tels que le Centre international d'amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) - remontaient à la fin des années 40 et aux années 50. On avait placé beaucoup d'espoir dans la croissance rapide de la productivité agricole pour réduire le paupérisme rural et soutenir le développement économique et social tout en réduisant l'incidence de la faim.

Deux fois pendant la décennie (1963 et 1968), des chapitres spéciaux de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture ont été consacrés à la question de l'accroissement de la productivité agricole et à ses déterminants. Comme l'assistance au développement était axée principalement sur l'Asie, il était logique que le développement de l'irrigation mobilise beaucoup d'attention et une masse importante de ressources; toutefois, l'utilisation croissante des engrais (la consommation d'engrais a augmenté à un rythme record dans les pays en développement pendant cette décennie) et des semences améliorées a aussi joué un rôle essentiel dans ce que l'on a ensuite appelé la «révolution verte». Le si efficace Programme Engrais de la FAO, établi sous l'égide de la Campagne mondiale contre la faim, remonte à cette période.

Beaucoup d'attention était aussi accordée à quatre activités interdépendantes et qui doivent aller de pair - science, technologie, éducation et vulgarisation. Mais la recherche agricole fondamentale, et plus encore la recherche d'adaptation aux pratiques agricoles locales, était concentrée essentiellement dans les pays développés à climat tempéré. D'où la nécessité de s'attacher à une tâche vitale: adapter la masse croissante de connaissances aux climats arides tropicaux de la plupart des pays en développement et persuader les agriculteurs de ces pays d'accepter et d'adopter ces nouveaux savoirs.

Les perspectives qu'ouvraient les nouvelles variétés améliorées et les bons résultats de l'agriculture dans plusieurs pays d'Asie vers la fin des années 60 ont été analysées dans les publications de 1968 et 1969 sur La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. Dans quelle mesure ces progrès étaient-ils dus aux efforts délibérés qui avaient été faits pour accélérer la production, notamment en diffusant les variétés céréalières améliorées et les autres intrants qui doivent les accompagner? Les rapports ne répondaient pas précisément à cette question, mais ils faisaient ressortir un certain nombre de facteurs donnant à penser qu'une mutation que l'on pouvait qualifier de «révolution verte» était en cours. L'adoption des nouvelles variétés de céréales avait été particulièrement rapide dans les pays d'Asie, où les rendements céréaliers s'étaient accrus plus que dans n'importe quelle autre région. Le progrès avait été spectaculaire: en 1968, le taux de croissance de la production avait doublé, malgré des conditions météorologiques défavorables dans plusieurs pays. Certains pensaient que la détermination des gouvernements, motivés par la menace de pénuries alimentaires imminentes, a peut-être joué un rôle déterminant. Ce n'est sans doute pas par coïncidence que le taux d'adoption le plus rapide a été enregistré en Extrême-Orient, où la situation alimentaire était précédemment particulièrement précaire et que les progrès y ont été plus marqués dans les pays importateurs de vivres que dans les pays exportateurs.

Encadré 12

LA RÉVOLUTION VERTE ET L'AGRICULTURE

Il est question à plusieurs reprises dans le présent chapitre de la «révolution verte». Cette expression désigne l'augmentation spectaculaire du rendement des principales cultures vivrières (riz, blé et maïs), qui a été observée essentiellement vers la fin des années 60 et au début des années 70, plus particulièrement en Asie. Cette amélioration de la productivité a contribué à transformer des pays densément peuplés à déficit vivrier en producteurs autosuffisants en quelques années seulement. Il est évident qu'elle a permis d'éviter une crise alimentaire majeure en Asie et qu'elle a servi de base à une croissance économique fulgurante en Chine, en Asie du Sud-est et en Asie du Sud.

La révolution verte a été caractérisée par la diffusion rapide de variétés à haut rendement, et plus précisément de semences améliorées produites par la recherche scientifique, accompagnées de tout un paquet technologique comprenant l'irrigation ou la maîtrise de l'eau et une meilleure utilisation de celle-ci, l'emploi d'engrais et de pesticides et l'amélioration des compétences de gestion. Le développement et la diffusion de ces nouvelles technologies parmi des millions d'agriculteurs ont été possibles grâce à un environnement socioéconomique et institutionnel propice dans lequel les débouchés commerciaux ont aussi joué un rôle important.

Au bout d'une vingtaine d'années, les variétés nouvelles étaient utilisées dans près de la moitié des emblavures et des rizières des pays en développement. En Asie, des variétés nouvelles étaient semées dans près de 90 pour cent des champs de blé et la proportion des variétés à haut rendement dans les rizières était passée de 12 à 67 pour cent.

Ces progrès ont permis un accroissement considérable de la production et des rendements. C'est entre 1963 et 1983 que la révolution verte a produit les résultats les plus sensationnels: dans les pays en développement, la production totale de paddy augmentait de 3,1 pour cent par an, celle de blé de 5,1 pour cent et celle de maïs de 3,8 pour cent. Au cours de la décennie qui a suivi (1983-1993), la croissance a ralenti, tombant à 1,8 pour cent pour le riz, 2,5 pour cent pour le blé et 3,4 pour cent pour le maïs.

Les technologies de la révolution verte n'allaient pas sans problèmes: la nécessité d'utiliser une quantité considérable de produits agrochimiques pour combattre les ravageurs et les adventices dans certaines cultures a donné lieu à des préoccupations environnementales et aussi à des inquiétudes pour la santé humaine; le développement des superficies irriguées nécessitait des techniques de gestion de l'eau qui n'étaient pas toujours disponibles; les rôles respectifs des hommes et des femmes ont changé; de nouveaux problèmes scientifiques sont apparus. En outre, le manque d'accès aux technologies appropriées reste une contrainte pour beaucoup d'agriculteurs dans des zones où les conditions sont peu favorables.

Les consommateurs sont peut-être les principaux bénéficiaires de la révolution verte. Depuis 30 ans, les prix réels des aliments baissent en Asie et un peu partout dans le monde grâce à l'application de techniques permettant d'accroître les rendements et de réduire les coûts en gérant mieux les diverses composantes, semences, engrais et herbicides. Comme les pauvres consacrent une plus forte proportion de leurs revenus disponibles à l'alimentation, la baisse du prix réel des vivres leur profite relativement plus qu'aux riches. Les technologies de la révolution verte ont aussi fait monter les revenus ruraux.

L'amélioration de la productivité agricole s'est heurtée avant tout à des difficultés liées à des questions de régime foncier et de réforme agraire.

On avait bien compris au début des années 60 que pour accroître la productivité agricole il ne suffisait pas de mettre au point et d'introduire de nouvelles technologies. Les régimes fonciers et la réforme agraire, qui ont fait l'objet d'analyses en particulier dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1960, étaient considérés comme des aspects essentiels du développement agricole, mais sans doute aussi ceux qui posaient les problèmes les plus difficiles. Les initiatives de réforme agraire se multipliaient depuis la fin de la seconde guerre mondiale et, comme il était dit dans le rapport, jamais auparavant le monde n'avait vu pendant une période comparable tant d'efforts, intéressant un tel nombre de personnes, pour mettre en place des régimes fonciers mieux adaptés aux nouveaux besoins. Mais les résultats avaient été limités; les structures agraires étaient encore dominées par des inégalités extrêmes dans la plupart des pays en développement et là où des programmes de réforme agraire avaient effectivement été mis en œuvre, leur succès était mitigé. Le rapport soulignait que pour produire les résultats attendus, la réforme agraire devait être appuyée par des services adéquats de crédit, de commercialisation et d'assistance technique.

Encadré 13

STRUCTURE DE LA PRODUCTION AGRICOLE, 1955 ET 1995

Pendant la deuxième moitié du XXe siècle, la production agricole a beaucoup augmenté dans pratiquement toutes les régions et pour presque tous les produits. La figure A fait apparaître la croissance de la valeur de la production agricole entre 1950 environ et 1995 pour tous les principaux produits ainsi que l'évolution des superficies ensemencées. La figure B montre la production agricole des principaux pays producteurs en 1955 et en 1995, en valeur et en pourcentage du total mondial, ainsi que la production par habitant et les rendements.

Traits marquants de l'accroissement de la production totale

La valeur de la production a progressé pour toutes les catégories de produits, bien que la superficie cultivée ait relativement peu augmenté pour la plupart des cultures.

L'expansion a été particulièrement marquée dans la céréaliculture, dont la production a presque triplé.

La valeur de la production de viande a triplé et celle de la production de lait a doublé - grâce notamment à l'énorme accroissement de la production de céréales fourragères.

L'accroissement de la production dans les dix pays les plus gros producteurs

La production agricole totale de la Chine a fait un bond énorme: en proportion de la production mondiale totale, elle a doublé et, en valeur, elle a quadruplé. La Chine est devenue le plus gros producteur mondial, supplantant ainsi les États-Unis.

De tous les pays gros producteurs, c'est en Chine que la valeur de la production agricole par habitant a le plus augmenté, et de loin: elle a doublé.

L'Inde a conservé sa position au troisième rang des producteurs mondiaux en triplant sa production agricole; mais la progression a néanmoins été moins forte que celle qui a été enregistrée en Chine pendant la même période.

L'augmentation de la production par habitant en Inde n'a été que de 35 pour cent; là encore, l'Inde a été dépassée par la Chine.

Le Brésil est monté de plusieurs rangs et il est devenu le quatrième producteur agricole mondial.

L'Argentine est restée au premier rang pour la production par habitant, bien que celle-ci ait diminué; la valeur de la production par habitant a aussi beaucoup augmenté en France et ce pays a même dépassé les États-Unis.

Figure A

Figure B

Figure B (Suite)

Figure B (Suite)

Figure B (Suite)

Combattre la faim et la malnutrition

Même si l'on était de plus en plus optimiste au sujet des possibilités d'accroître la productivité agricole, la première moitié des années 60 a été marquée par plusieurs initiatives institutionnelles importantes qui révélaient une préoccupation croissante au sujet de la faim et de la malnutrition, ainsi qu'au sujet des perspectives de développement des pays pauvres. La première a été la création, en 1961, du Programme alimentaire mondial (PAM), établi à l'origine à titre expérimental sous la responsabilité conjointe de l'ONU et de la FAO. Le PAM devait étudier les moyens d'utiliser les excédents alimentaires produits dans les pays développés pour aider le développement économique dans les pays moins avancés et pour combattre la faim et la malnutrition. Modeste par rapport à certains programmes bilatéraux, le PAM semblait néanmoins pouvoir jouer un rôle très important (La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1962).

Les conférences mondiales sur l'alimentation qui se sont tenues au fil des années ont souligné que la solution du problème de la faim repose moins sur la recherche de nouveaux remèdes que sur la mise en application de ceux qui existent déjà.

Le Congrès mondial de l'alimentation, tenu à Washington, en juin 1963, a mis au premier plan de l'actualité le problème de la faim et de la malnutrition. Il a exhorté tous les gouvernements ainsi que les organisations internationales et autres à relever le défi de la faim et à proposer son éradication comme tâche prioritaire pour la génération contemporaine. Il a toutefois souligné que pour vaincre durablement la faim, il faudrait que la croissance de la production alimentaire s'accélère beaucoup dans les pays en développement eux-mêmes. Le Congrès a adopté de nombreuses recommandations visant à surmonter les contraintes techniques, humaines (éducation) et économiques qui freinaient le développement agricole. Beaucoup de ces recommandations ont été reprises par d'autres grandes conférences telles que la Conférence mondiale de l'alimentation de 1974 et le Sommet mondial de l'alimentation de 1996; elles restent entièrement d'actualité. Elles soulignaient que la solution ne viendrait pas tant de la découverte de nouveaux remèdes que de l'application, appuyée par une ferme volonté politique, de ceux que l'on connaissait déjà.

L'inquiétude que suscitait la prévalence de la faim s'est révélée justifiée au début des années 60, quand on a appris que les pénuries alimentaires, qui couvaient depuis 1958 en Chine, atteignaient des proportions dramatiques. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture faisait état de récoltes catastrophiques dans de vastes zones du pays; plus de la moitié des terres agricoles avaient subi les effets de sécheresses, de cyclones, d'inondations, d'infestations d'insectes ou d'autres fléaux. L'ampleur des pertes humaines n'a toutefois été connue que plusieurs décennies plus tard. Les estimations du nombre de morts varient, mais certaines se chiffrent par dizaines de millions. En 1993, Sen2 estimait qu'au cours de la période 1958-1961, le bilan de cette famine catastrophique, qui a consacré l'échec du programme agricole du «Grand bond en avant» était compris entre 23 millions et 30 millions de morts.

Agriculture et développement

Le regain d'intérêt à l'égard de la faim, de la pauvreté et du développement a coïncidé avec un débat intense sur les problèmes de répartition et sur le rôle économique de l'agriculture. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1970 rappelait les thèmes des dernières années de la décennie précédente quand, après une longue période de croissance économique soutenue, la question de la répartition de l'accroissement des revenus a commencé à venir au premier plan des préoccupations, à tel point que les considérations d'équité sont devenues un élément intégrant des politiques de développement économique. Dans la théorie du développement acceptée jusque-là, il était admis que la croissance économique rapide creuserait les inégalités de revenus entre les secteurs dynamiques et les autres, mais que les revenus des pauvres augmenteraient tout de même; vers la fin des années 60, la thèse contraire a commencé à s'affirmer. La politique des «besoins fondamentaux» gagnait du terrain, la réduction du paupérisme devenant l'objectif essentiel du développement économique. Cette politique de répartition tendait à être favorable à l'agriculture car c'est dans les zones rurales que vivait la majorité des pauvres et l'agriculture était souvent en retard sur le reste de l'économie.

Le débat s'est élargi à d'autres aspects de l'agriculture et du développement. D'un côté, les économistes néoclassiques redécouvraient l'agriculture, et affirmaient que la libéralisation des marchés et des régimes commerciaux et la croissance de l'économie agricole stimuleraient la croissance économique d'ensemble. Ils affirmaient que rien ne justifiait une attitude fataliste à l'égard des exportations et que la production et les exportations agricoles réagissaient aux incitations (et aux facteurs dissuasifs). Cette thèse était combattue par les «structuralistes», dont les sociologues de la Commission économique des Nations Unies pour l'Amérique latine (CEPAL). Partisans convaincus d'une industrialisation privilégiant le remplacement des importations, les structuralistes contestaient depuis longtemps la théorie de l'avantage comparatif, soulignant qu'il n'était pas de l'intérêt des pays en développement de se spécialiser dans la production et l'exportation de produits primaires et de produits agricoles quand les pays industrialisés exportaient des articles manufacturés contenant plus de valeur ajoutée. C'est alors que s'est forgée la thèse du déclin séculaire des termes de l'échange des exportations agricoles, qui a depuis fait l'objet d'une littérature considérable.

La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture n'a pas pris parti dans ce débat, mais sa position à cette époque, et par la suite, a toujours consisté à considérer l'agriculture comme un facteur actif de développement, l'équité comme une condition sine qua non du développement et les agriculteurs comme des agents économiques capables de s'adapter mais ayant besoin de l'assistance du gouvernement pour améliorer leur productivité. L'importance qu'attachait le rapport à la production agricole, à la productivité et à la compétitivité internationale des pays en développement suggérait implicitement que ses auteurs avaient foi dans le modèle de développement fondé sur l'agriculture, sinon dans une spécialisation agricole, pour beaucoup de ces pays. Le rapport de 1962, en particulier, soulignait que beaucoup de plans de développement agricole étaient étroitement intégrés aux plans de développement économique d'ensemble, et que c'était une bonne chose. Même si beaucoup de ces plans étaient trop ambitieux, du moins pouvait-on y voir le signe d'une prise de conscience de l'importance de l'agriculture et de l'apport qu'elle pouvait fournir au développement général.

Le commerce

Pendant les années 60, surtout vers la fin, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture a fait une large place au commerce et aux questions connexes. Deux principaux événements ont marqué cette période: la conclusion en 1967 des négociations commerciales du Kennedy Round et la création en 1964 de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui devait «s'employer à accélérer le développement dans tous les pays en élaborant et appliquant de nouvelles politiques commerciales axées sur le développement afin d'accroître les recettes d'exportation des pays en développement»3.

Le Kennedy Round a débouché sur une réduction de 35 pour cent en moyenne des droits de douane appliqués par les «participants industrialisés». Les exportations des pays en développement à destination des pays développés ont augmenté à la suite de ces concessions tarifaires, mais moins que celles des produits échangés entre pays industrialisés. Le commerce des produits agricoles était exclu des négociations, mais les parties se sont engagées à fournir des céréales à hauteur de 4,5 millions de tonnes par an pour l'aide alimentaire.

La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture a relevé que la proximité dans le temps entre le Congrès mondial de l'alimentation et la création de la CNUCED témoignait des rapports étroits entre les problèmes traités par l'une et l'autre instance. La victoire sur la faim ne pouvait être assurée que par le développement économique des pays pauvres. Plus que l'aide étrangère, c'était l'aptitude de ces pays à gagner des devises en exportant qui leur ouvrirait la voie du développement.

La deuxième session de la CNUCED, tenue en 1968 à New Delhi, a fait date par son ordre du jour; elle a en effet traité de questions qui sont encore aujourd'hui au cœur de la problématique des pays en développement: accès des produits primaires aux marchés des pays industrialisés, volume, modalités et conditions de l'aide au développement; expansion des échanges et coopération et intégration économiques entre pays en développement et enfin problème alimentaire mondial; sur ce dernier point, les conclusions de la CNUCED reflétaient pour l'essentiel les principes énoncés en 1963 au Congrès mondial de l'alimentation.

Beaucoup d'attention était consacrée à la question des accords internationaux sur les produits, qui était alors plus que jamais à l'ordre du jour. Un résultat visible de ce regain d'intérêt a été la réactivation de l'Accord international sur le sucre, qui était inopérant depuis 1961. À la suite des négociations tenues sous les auspices de la CNUCED, cet accord a été remis en vigueur pour cinq ans à compter du 1er janvier 1969. Des accords sur d'autres produits alimentaires et non alimentaires ont aussi été négociés avec un succès variable. La possibilité de mettre en place des programmes de financement compensatoire et des types plus complets d'accords internationaux sur les produits a aussi été examinée, mais la FAO était d'avis qu'il était plus pratique de procéder produit par produit.

Les appels à l'accroissement de l'aide publique au développement n'ont pas donné les résultats souhaités.

Assistance au développement

La fin des années 50 et le début des années 60 ont aussi vu l'accession à l'indépendance politique de plusieurs anciens territoires coloniaux, particulièrement en Afrique. Cette évolution par ailleurs très souhaitable a parfois été accompagnée d'instabilité politique et de troubles civils, mais elle a aussi ouvert la voie à un élargissement des flux d'assistance au développement, particulièrement des flux de sources multilatérales. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1969 commentait le «Rapport Pearson» publié par une commission indépendante placée sous les auspices de la Banque mondiale et présidée par Lester B. Pearson. Ce rapport faisait le bilan de 20 ans d'efforts des donateurs et des bénéficiaires à l'appui du développement; il concluait que l'effort d'assistance «mollissait» au moment même où l'action à l'appui du développement économique commençait à produire des résultats. Il préconisait une augmentation considérable de l'aide publique au développement, proposant pour 1975 l'objectif de 0,7 pour cent du PIB des pays industrialisés, dont 20 pour cent devaient être acheminés par les institutions multilatérales (ces chiffres sont à comparer aux objectifs adoptés en 1968: 0,4 pour cent du PIB, dont 10 pour cent passant par les filières multilatérales). Cet objectif s'est révélé impossible à atteindre pour presque tous les donateurs.

Encadré 14

COMMERCE AGRICOLE - TENDANCES
ET STRUCTURE

Dans le contexte de la transformation profonde de la structure, de la direction et de la composition du commerce mondial des produits agricoles, plusieurs paradoxes sont apparus au cours des dernières décennies. Bien que leur part dans les échanges mondiaux ait diminué, les exportations agricoles demeurent un élément essentiel de l'économie de beaucoup de pays. Mais ce sont en général les pays qui sont le moins tributaires des échanges agricoles qui ont gagné le plus de parts de marché, tandis que ceux dont l'économie dépend davantage de l'agriculture non seulement en ont perdu, mais ont même dans bien des cas vu leurs balances agricoles se détériorer tandis qu'ils continuaient à dépendre - et dans certains cas à dépendre de plus en plus - des exportations agricoles pour faire tourner leur économie et des importations pour assurer leur sécurité alimentaire.

Parmi les autres tendances générales, on notera la baisse des prix réels internationaux des produits agricoles et la progression de la part des produits à valeur ajoutée dans le commerce agricole total, aux dépens des produits primaires.

Baisse de la part de l'agriculture dans les échanges mondiaux

Figure A

Au cours des dernières décennies, l'expansion du commerce agricole a été beaucoup plus rapide que celle de la production agricole, attestant une interdépendance et une intégration économiques croissantes à l'échelle internationale. Malgré son dynamisme relatif, le commerce des produits agricoles tend à être devancé par celui des autres secteurs, en particulier celui des articles manufacturés. Un facteur important de ce déclin a été la baisse des prix agricoles par rapport aux prix des produits manufacturés. À l'échelle mondiale, les exportations de produits agricoles représentent aujourd'hui moins de 10 pour cent des exportations totales de marchandises, contre quelque 25 pour cent au début des années 60 (figure A). Cette baisse de la part des produits agricoles dans le commerce a été observée dans toutes les régions, mais elle a été particulièrement marquée dans les régions en développement pendant les années 60 et au début des années 70.

Toutefois, en Amérique latine et dans les Caraïbes, ainsi qu'en Afrique subsaharienne, les exportations agricoles financent encore environ le cinquième de la facture totale d'importation. L'économie reste très dépendante des exportations agricoles dans beaucoup de pays. En 1998, 12 des 48 pays d'Afrique subsaha-rienne tiraient de l'agriculture la moitié ou plus de leurs recettes d'exportation. En Amérique latine et dans les Caraïbes, 10 pays sur 37 étaient dans la même situation (dont quatre dans les Caraïbes). Cette prédominance des exportations agricoles est dans certains cas extrême: la proportion atteint ou dépasse 70 pour cent dans un certain nombre de pays, dont le Belize et le Paraguay en Amérique latine, le Burundi, la Côte d'Ivoire, l'Éthiopie, le Kenya, la Guinée-Bissau, le Malawi, l'Ouganda et le Soudan en Afrique.

Expansion des marchés agricoles et contraction de la part des pays en développement

Figure B

La répartition du commerce total et du commerce agricole entre les régions a beaucoup changé. Si, entre le début des années 60 et les années récentes, la part des pays en développement dans les exportations totales de marchandises a augmenté (passant d'environ 20 pour cent à plus de 25 pour cent du total mondial), leur part des exportations agricoles totales est tombée à quelque 27 pour cent seulement, contre plus de 40 pour cent (figure B).

Toutes les régions en développement sauf l'Asie et le Pacifique ont peu à peu perdu des parts de marché. Le fait que l'Asie et le Pacifique aient au contraire réussi à en gagner depuis le milieu des années 70 est d'autant plus remarquable que c'est aussi cette région qui a le mieux réussi à diversifier ses exportations, devenant ainsi moins tributaire de l'agriculture. Au contraire, l'Afrique subsaharienne, bien que les produits agricoles représentent encore une forte proportion de son commerce extérieur, a perdu beaucoup de terrain sur les marchés agricoles mondiaux depuis le début des années 70. L'Amérique latine et les Caraïbes ont perdu beaucoup de parts de marché après la deuxième moitié des années 80, qui a été une période de croissance lente du volume des exportations agricoles et de forte baisse des prix à l'exportation (figure C).

Chute des prix réels des produits agricoles

Figure C

Pendant toutes les années 50 et 60, le cours international des produits agricoles alimentaires et non alimentaires est resté relativement stable et a été à peine distancé par le prix des articles manufacturés. La situation a changé pendant les années 70; les prix sont devenus plus instables et l'écart entre les prix des produits agricoles et celui des biens manufacturés s'est élargi, ces derniers augmentant plus rapidement (figure D). En conséquence, les termes de l'échange nets (ou prix «réels») des exportations agricoles se sont beaucoup dégradés (figure E). La chute des prix réels des produits agricoles a été plus marquée pour les pays en développement que pour les pays développés, en raison de la nature des produits exportés par les uns et par les autres: en effet, les prix des produits de climat tempéré qu'exportent en général les pays développés sont restés relativement plus fermes que ceux des produits tropicaux.

Au contraire, le volume des exportations n'a cessé d'augmenter pendant une bonne partie de la période. Toutefois, cette hausse n'a pas été la même pour les différents types de produits de sorte que la valeur courante des exportations agricoles a augmenté beaucoup plus vite pour les pays développés que pour les pays en développement.

Figure D

Figure E

Progression des exportations de produits transformés aux dépens des produits primaires

Une évolution qui a beaucoup d'importance pour les pays en développement est la tendance à exporter de moins en moins de produits primaires bruts et de plus en plus de produits à valeur ajoutée. La mesure dans laquelle les régions en développement ont réussi à le faire varie beaucoup. En Asie-Pacifique et en Amérique latine et Caraïbes, la part des produits transformés dans les exportations agricoles totales est passée de quelque 10 pour cent au début des années 60 à environ un tiers ces dernières années. La proportion est encore beaucoup plus forte dans les pays les plus industrialisés de ces régions. Ainsi, en Argentine et au Brésil, elle est d'environ 50 pour cent, tandis qu'en Malaisie elle dépasse 70 pour cent.

En Afrique subsaharienne, au contraire, la part des produits transformés dans les exportations agricoles est restée aux environ de 15 pour cent depuis une trentaine d'années. Cette stagnation a toutefois été dans certains pays interrompue par des fluctuations temporaires. À l'échelle de l'ensemble de la région, la forte dépendance à l'égard d'une gamme limitée d'exportations de produits primaires n'a pas diminué. Au Proche-Orient et en Afrique du Nord, la forte proportion de produits à valeur ajoutée dans les exportations agricoles tient en général au poids considérable d'un petit nombre de produits transformés dans le total, qui est relativement limité. Les produits de la mer transformés, notamment les crustacés et coquillages, ainsi que les conserves de fruits et de légumes, représentent une grande partie du total.

La même année, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture annonçait aussi une nouvelle plus encourageante: la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) avait décidé de consacrer une plus forte proportion de ses financements au secteur agricole. Les prêts à l'agriculture devaient quadrupler. Entre autres conséquences, cela a incité la FAO à créer au début de 1964 un nouveau Programme de coopération FAO/BIRD pour identifier et contribuer à l'élaboration de plus en plus de projets de développement agricole et rural destinés à être financés par la BIRD

LES ANNÉES 70

Chocs - crises alimentaire et énergétique; déstabilisation de l'environnement du développement économique et agricole, famines en Afrique et Conférence mondiale de l'alimentation, problèmes ruraux et Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural, problèmes environnementaux, commerce international, la pêche
et le droit de la mer

Le début des années 70 a été marqué par un bouleversement de l'environnement du développement. Dans l'ordre international de l'après-guerre, beaucoup de pays en développement considéraient comme acquis une croissance économique régulière, des marchés et des prix relativement prévisibles et des stocks alimentaires internationaux abondants. Une série de chocs ont compromis la stabilité de cet ordre: dévaluation de facto du dollar des États-Unis, flambée du prix du pétrole et, dans le secteur agricole, fortes baisses de la production céréalière et montée en flèche des prix des produits alimentaires, des intrants agricoles et de l'énergie tirée du pétrole. Ce bouleversement de l'ordre économique a produit une manne pour certains pays (surtout les exportateurs de pétrole) et ouvert à d'autres des débouchés à l'exportation, mais il a aussi érodé les possibilités de développement de nombre des pays les moins avancés.

La flambée des prix du pétrole a eu des effets néfastes sur la plupart des pays en développement et sur le secteur agricole, en revanche les pays en développement exportateurs de pétrole ont enregistré des gains importants.

La crise alimentaire mondiale

À l'opposé de la décennie précédente, les années 70 ont été marquées par une série de régressions de la production agricole mondiale. La production alimentaire a baissé en 1972 et de nouveau en 1974, dans les deux cas sous l'effet de conditions météorologiques défavorables dans d'importantes zones de production vivrière. En 1972, la production mondiale de céréales a baissé de 41 millions de tonnes au total, dont la moitié dans les pays développés et la moitié dans les pays en développement, et en 1974, elle a de nouveau chuté de 30 millions de tonnes. Il en est résulté un effondrement des stocks, surtout dans les pays qui traditionnellement étaient des exportateurs de céréales: les stocks mondiaux de blé, qui atteignaient 50 millions de tonnes en 1971, sont tombés en 1973 à leur niveau le plus bas depuis 20 ans, 27 millions de tonnes seulement. Il y avait aussi un déficit de riz parce que la production avait chuté dans les grands pays asiatiques consommateurs de cette céréale. La hausse du prix des vivres dans toutes les régions du monde a rendu la vie encore plus dure aux pauvres et entraîné une dégradation de la nutrition, surtout parmi les groupes vulnérables. La région la plus touchée a été l'Afrique subsaharienne, où la production alimentaire par habitant stagnait depuis la première moitié des années 70.

La production alimentaire mondiale s'est rétablie en 1973 (la récolte de céréales a fait un bond de 100 millions de tonnes) mais pas suffisamment pour empêcher l'épuisement des stocks céréaliers dans les principaux pays exportateurs, surtout en Amérique du Nord, ni pour arrêter la hausse implacable du prix des vivres. L'agriculture mondiale a aussi souffert de la crise de l'énergie, de l'inflation, de l'instabilité monétaire, du ralentissement de la croissance économique dans les pays industrialisés et de l'atmosphère générale d'incertitude.

Cette régression mondiale de la production agricole a coïncidé pendant la première moitié des années 70 avec de graves pénuries régionales et locales. Une crise alimentaire dramatique a éclaté en Afrique à la suite de sécheresses catastrophiques. L'une de ces sécheresses est celle qui a sévi pendant de nombreuses années dans les pays du Sahel (Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal) et qui a culminé en 1973. Cette année-là, la production vivrière nette par habitant dans les pays du Sahel était d'un tiers inférieure au niveau moyen des années 1961-1965. La famine a fait quelque 100 000 morts et a favorisé la propagation d'épidémies, en particulier dans les camps de sinistrés. Une vaste opération internationale de secours d'urgence a été lancée au début de 1973 pour éviter que la famine ne fasse davantage de victimes. La création du Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) a été la conséquence directe de cette sécheresse prolongée.

La deuxième grave sécheresse a provoqué la famine qui s'est abattue sur l'Éthiopie de 1972 à 1974. L'aide internationale est arrivée trop tard: il y eut entre 50 000 et 200 000 morts sur une population de 27 millions d'habitants. Les zones les plus durement touchées ont été les provinces du Wollo, du Tigré et du Hararge. Les populations qui ont le plus souffert sont les pasteurs nomades afars.

La famine éthiopienne, ses causes et ses conséquences ont fait l'objet d'un vaste débat à la FAO et ailleurs, mais cette question est étonnamment absente des rapports de l'époque de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. Quant à ses causes, Amartya Sen écrivait plusieurs années après: «La famine a sévi en Éthiopie alors qu'on ne constatait aucune réduction anormale de la production alimentaire et que la consommation alimentaire par habitant est restée en 1973, au plus fort de la famine, à peu près normale à l'échelle de l'ensemble du pays. Il est vrai que la production alimentaire a beaucoup baissé au Wollo en 1973, mais si cette province n'a pas pu faire venir des vivres d'ailleurs, c'est parce qu'elle manquait de pouvoir d'achat. Un aspect notable de la famine du Wollo est que les prix alimentaires en général ont très peu augmenté; les gens mourraient de faim alors même que la nourriture se vendait à des prix très peu différents de ce qu'ils étaient avant la sécheresse. Ce phénomène peut s'expliquer par l'effondrement massif des filets de protection sociale dans plusieurs groupes de la population du Wollo4

Dévaluation du dollar et crise de l'énergie

Le début de la décennie a été marqué par deux autres événements qui ont eu des effets prolongés sur l'économie mondiale et en particulier sur la production et le commerce agricoles. Le premier a été la décision prise par le gouvernement des États-Unis en août 1971 de mettre fin à la convertibilité en or du dollar EU, ce qui revenait à une dévaluation par rapport aux autres devises utilisées pour les échanges internationaux. Les pays en développement ont beaucoup souffert de ce rajustement des changes parce que leur économie était vulnérable aux fluctuations des prix internationaux.

Le deuxième événement qui a causé une panique mondiale a été la flambée des cours du pétrole brut décidée en 1973 par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour contrer les effets de la dévaluation du dollar (car les prix du pétrole sont exprimés en dollars). L'indice du cours mondial à l'exportation du pétrole brut est passé de 196 en 1973 (1970 = 100) à 641 en 1974. Pour l'agriculture, cela s'est traduit par une hausse brutale du coût des intrants à base de pétrole tels que les engrais et les pesticides ainsi que du carburant et de l'énergie, qui ont une importance cruciale pour l'irrigation et pour le transport, la commercialisation et la transformation des produits agricoles. Le prix des engrais a triplé, voire quadruplé en un an et, en 1974, la consommation mondiale d'engrais a chuté de près de 4 millions de tonnes d'où un déficit d'éléments fertilisants estimé à 1 million de tonnes par rapport à la demande projetée. L'Assemblée générale des Nations Unies, à sa sixième Session extraordinaire (9 avril - 2 mai 1974) a établi la liste des 42 pays en développement les plus gravement touchés par la hausse brutale du prix des importations essentielles (produits alimentaires, pétrole, engrais). Elle a créé un fonds spécial pour aider ces pays à atténuer les problèmes économiques dus à cette hausse. La FAO a mis en place le Programme international d'approvisionnement en engrais, qui, pendant la campagne 1974/75, a fourni 73 000 tonnes d'engrais aux pays les plus gravement touchés.

La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1976 intitulé Énergie et agriculture, un chapitre spécial dont la conclusion était que la hausse des prix des engrais et des carburants réduisait beaucoup la rentabilité de l'utilisation des intrants à forte intensité d'énergie, particulièrement pour l'horticulture et l'élevage ainsi que pour la pêche et la pisciculture. Le rapport soulignait les possibilités d'utiliser économiquement les sources nationales d'énergie pour l'agriculture, d'améliorer le rendement des intrants importés, de recycler les résidus végétaux et animaux et d'utiliser les machines agricoles de façon sélective.

Conférence mondiale de l'alimentation

La crise alimentaire mondiale du début des années 70 et les difficultés provoquées par la hausse brutale du coût du pétrole ont motivé l'organisation en novembre 1974 de la Conférence mondiale de l'alimentation sous les auspices conjoints de la FAO et de l'ONU. Cette conférence visait à créer un consensus international sur les politiques et programmes à mettre en œuvre pour accroître la production et la productivité des cultures vivrières, surtout dans les pays en développement; à améliorer la consommation et la distribution des aliments; à mettre en place un système plus efficace de sécurité alimentaire, et notamment un système d'alerte rapide, des politiques efficaces de stockage et des mécanismes de secours alimentaire d'urgence; et à établir un système plus ordonné de commerce et d'ajustement agricoles.

La Conférence mondiale de l'alimentation de 1974 a créé des institutions chargées de développer le secteur agricole et de surveiller les disponibilités de produits alimentaires et agricoles.

Un des principaux thèmes de la Conférence a été la question de la constitution et du maintien de stocks adéquats de produits alimentaires tant au niveau national qu'au niveau régional ou international. Ces stocks devaient garantir la sécurité alimentaire contre les crises d'ampleur locale, nationale ou régionale et permettre de faire face aux besoins de secours internationaux. Faisant écho à ces préoccupations internationales, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture a commencé à rendre régulièrement compte des politiques nationales de stockage. On voit donc qu'au début des années 70, le problème de la sécurité alimentaire était encore considéré comme essentiellement un problème d'offre. Pourtant, la Conférence mondiale avait aussi souligné la nécessité de freiner la croissance démographique et de réduire le chômage et le sous-emploi ruraux en diversifiant l'agriculture et en développant les activités lucratives à l'exploitation et à l'extérieur. Trois des initiatives institutionnelles de cette conférence (voir encadré 15) demeurent aujourd'hui: le Fonds international de développement agricole (FIDA), le Système mondial d'information et d'alerte rapide sur l'alimentation et l'agriculture (SMIAR) et le Comité de la sécurité alimentaire (CSA).

Encadré 15

LA CONFÉRENCE MONDIALE DE L'ALIMENTATION DE 1974 - SIX INITIATIVES INTERNATIONALES

La Conférence mondiale a recommandé:

1) La création d'un Conseil mondial de l'alimentation «servant de mécanisme de coordination pour l'étude, intégrée et permanente de la coordination et du suivi efficaces des politiques concernant la production alimentaire, la nutrition, la sécurité alimentaire, le commerce des produits alimentaires et l'aide alimentaire et les autres questions connexes...»;

2) La création immédiate d'un Fonds international du développement agricole (FIDA) «pour financer des projets agricoles principalement axés sur la production agricole dans les pays en développement» et ciblés plus particulièrement sur les paysans pauvres;

3) La création d'un Groupe consultatif de la production alimentaire et de l'investissement dans les pays en développement (GCPAI), composé des donateurs multilatéraux et bilatéraux et de représentants des pays en développement.

En outre la Conférence:

4) A souscrit aux objectifs, politiques et lignes directrices de l'Engagement international sur la sécurité alimentaire mondiale1 et s'est félicitée de la création du SMIAR par la FAO;

5) A exhorté la FAO à créer un Comité permanent du Conseil de la FAO, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) «chargé notamment de suivre en permanence la situation et les perspectives de la demande, de l'offre et des stocks des denrées alimentaires de base, et d'évaluer périodiquement la mesure dans laquelle les stocks existants et prévus dans les pays exportateurs et importateurs étaient globalement suffisants...»;

6) A recommandé une planification prévisionnelle de l'aide alimentaire et invité les pays donateurs «à fournir des produits et/ou une assistance financière correspondant à l'équivalent d'au moins 10 millions de tonnes de céréales par an pour l'aide alimentaire à partir de 1975 et à fournir aussi des quantités adéquates d'autres produits alimentaires».

1 L'Engagement international sur la sécurité alimentaire mondiale, lancé en 1974, appelle les pays à participer volontairement aux programmes assurant des réserves alimentaires adéquates à utiliser en périodes de pénuries ou d'urgences et pour réduire les fluctuations de la production et des prix.

Problèmes ruraux et Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural

L'effort disproportionné d'industrialisation provoqué par la politique de remplacement des importations et l'exode rural qui l'a accompagné ont fait apparaître la nécessité de s'attacher davantage au développement rural.

Plusieurs études de l'Organisation internationale du travail (OIT) avaient souligné que la croissance économique ne suffisait pas à elle seule pour assurer un développement équilibré et durable. La répartition des richesses et du pouvoir politique était aussi un facteur important. Le thème de l'accès à la terre et de la réforme des baux ruraux faisait l'objet d'une attention particulière. La deuxième Décennie des Nations Unies pour le développement (1970-1980) a aussi fait ressortir la nécessité de traiter le développement rural comme un élément intégrant de la stratégie de développement afin de combattre le paupérisme et de réduire l'écart entre les revenus ruraux et les revenus urbains, de fixer des objectifs nationaux en matière d'emploi et d'absorber une proportion croissante de la population active dans des branches d'activités modernes non agricoles. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1973 rendait compte des résultats d'une enquête sur l'emploi dans l'agriculture de 1950 à 1970, avec des projections pour 1980, 1990 et 2000. Cette enquête a révélé que dans le monde développé pris comme un tout, la part de l'agriculture dans la population active totale était tombée de 38 pour cent en 1950 à 21 pour cent en 1970 et ne devait pas dépasser 5 à 6 pour cent en 2000 (cette projection s'est révélée assez exacte). Dans les pays en développement pris comme un tout, les ratios correspondants étaient respectivement de 79, 66 et 43 pour cent (mais la réduction du nombre des actifs dans l'agriculture a été plus lente que prévu, et la proportion est actuellement de l'ordre de 55 pour cent).

L'année précédente, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture avait fourni un apport au débat sur le développement en publiant un chapitre spécial intitulé L'éducation et la formation en matière de développement. Ce chapitre brossait un tableau d'ensemble de l'éducation rurale dans les pays en développement et esquissait une stratégie de planification des ressources humaines; il proposait une hiérarchie des priorités dans le domaine de l'éducation et de la formation en milieu rural; il identifiait les domaines d'action prioritaires tels que la formation des formateurs et des vulgarisateurs, le renforcement des capacités des jeunes, les auxiliaires pédagogiques et les médias.

La meilleure compréhension de ces problèmes et de l'ensemble des aspects sociaux du développement rural a inspiré l'organisation en 1979 de la Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural (CMRADR) qui a été un jalon majeur dans la recherche des moyens de réduire le paupérisme rural. Parrainée par la FAO, la CMRADR a adopté une Déclaration de principes connue sous le nom de «Charte des paysans» qui portait sur 17 grands thèmes, ainsi qu'un Programme d'action prévoyant des programmes d'action nationaux dans les pays en développement et des politiques internationales en matière de réforme agraire et de développement rural (suivi de la réforme agraire et du développement rural; analyse et diffusion des connaissances, fourniture d'assistance technique; et appui à la mobilisation de ressources).

Les problèmes environnementaux - Conférence des Nations Unies sur les établissements humains

L'environnement est devenu une préoccupation majeure à la suite de la publication en 1971 par le Club de Rome de l'étude intitulée Les limites de la croissance. Cette publication a donné l'alerte: la détérioration des ressources mondiales par rapport à la population toujours plus nombreuse et le gaspillage économique croissant devenaient un sujet de préoccupation de plus en plus général. L'effondrement des stocks d'anchois du Pérou au début des années 70 a fait prendre conscience de la fragilité de ce que l'on croyait autrefois être une ressource pratiquement inépuisable.

La question de la détérioration de l'environnement et des moyens de la combattre a fait l'objet de la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains tenue à Stockholm du 5 au 16 juin 1972. Cette conférence a approuvé la Déclaration et le Plan d'action de Stockholm qui comportaient 109 résolutions sur les aspects environnementaux de tous les secteurs de l'économie; 51 de ces résolutions portaient sur la gestion des ressources naturelles. La plupart étaient spécifiquement adressées à la FAO et concernaient des domaines aussi divers que le développement rural, la planification environnementale, la gestion et la fertilité des sols, la lutte contre les ravageurs, le recyclage des déchets agricoles, les ressources génétiques, la surveillance des forêts et des ressources aquatiques et la gestion des pêcheries. La Conférence de Stockholm a activé la création à Nairobi en 1973 du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Ses recommandations très ambitieuses étaient probablement en avance sur les idées et théories officielles contemporaines. Il avait fallu encore une décennie et plus pour que l'accumulation de preuves de la détérioration profonde de l'environnement mondial - destruction des forêts, épuisement de la couche d'ozone, accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, pollution marine, etc. - mobilise l'opinion publique à l'appui des premières mesures correctives nécessaires.

L'environnement a été une préoccupation majeure de la FAO dès sa création. Le chapitre spécial de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1971 passe en revue les effets de la pollution des eaux sur les ressources biologiques des milieux aquatiques et sur les pêcheries. Il identifie les principales caractéristiques de la pollution des eaux et décrit ses effets biologiques et écologiques sur les pêcheries. Il appelle l'attention sur les caractéristiques différentes de la pollution aquatique selon les régions et propose des critères et des systèmes pour le suivi de ce phénomène ainsi que des mesures juridiques et institutionnelles pour réduire la pollution des eaux dans le cadre de l'effort plus général de développement durable.

Dans le cadre du suivi de la Conférence mondiale de Stockholm de 1972, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1977 consacrait un chapitre spécial à l'état des ressources naturelles et de l'environnement humain: sols, eaux, parcours et ressources fourragères, forêts, faune, pêcheries et ressources génétiques. Il contenait une analyse de l'impact de l'intensification de l'agriculture sur l'environnement et des aspects législatifs de la lutte contre la dégradation des ressources naturelles et la pollution de l'environnement. Il indiquait que les principales causes de la pollution dans les pays développés étaient l'industrialisation à outrance et les systèmes agricoles à forte intensité d'énergie. Au contraire, dans les pays en développement, le principal problème environnemental n'était pas la pollution mais plutôt la dégradation et l'épuisement des ressources naturelles. Le chapitre spécial proposait une méthode plus efficace et plus cohérente de collecte des données, des recherches multidisciplinaires pour déterminer l'impact de différents types d'aménagement du territoire sur la productivité des ressources naturelles, l'adaptation des savoirs locaux pour améliorer l'efficience de l'utilisation des ressources naturelles et la mise en place de systèmes institutionnels et juridiques appropriés pour gérer les ressources naturelles.

Population et disponibilités alimentaires

La préoccupation générale que suscitaient le risque de déséquilibre entre les ressources naturelles et les besoins résultant de l'accélération de la croissance démographique ont été les principaux moteurs de la Conférence mondiale des Nations Unies sur la population, tenue en août 1974 à Bucarest.

Cette conférence a adopté un Plan d'action mondial sur la population qui faisait une place particulière à la nécessité d'accroître la production et la productivité des cultures vivrières pour que les pays en développement soient approvisionnés en vivres à des prix raisonnables. La contribution de la FAO à la Conférence de Bucarest a pris la forme d'un chapitre spécial de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1974 intitulé Population, approvisionnement alimentaire et développement agricole. Ce chapitre faisait le bilan des tendances de la croissance démographique et des disponibilités alimentaires entre 1952 et 1972 et signalait les possibilités d'accroître la production vivrière. Il soulignait l'ampleur et les causes du phénomène de la faim et de la malnutrition et les facteurs qui influent sur la demande à long terme de produits alimentaires.

Pêche

La troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS III) a eu lieu à Genève du 17 mars au 9 mai 1975, mais elle n'a pas permis d'aboutir à un accord formel sur le problème fondamental des droits d'exploitation des mers et des fonds marins. Toutefois, un nombre croissant d'États côtiers étendaient leur juridiction sur les zones de pêche au-delà de la limite de 12 milles marins, qui avait été la norme depuis quelque 300 ans. En 1979, l'adoption par la Conférence de la FAO du principe des zones économiques exclusives (ZEE) a donné aux activités de la FAO dans le secteur de la pêche une nouvelle dimension. Du fait du nouveau régime juridique des océans, les ressources halieutiques des États côtiers relevaient désormais directement de leur juridiction nationale dans le cadre des ZEE.

Le chapitre spécial de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1980 a été consacré aux pêches maritimes à l'ère des nouvelles juridictions nationales. Il décrivait les nouvelles possibilités et les défis qui se dessinaient pour les pêcheries côtières à la suite de l'acceptation par la communauté internationale de la juridiction sur les ZEE. Il expliquait les conséquences des modifications du droit de la mer pour les captures des États côtiers, les effets de la liberté d'accès, les problèmes d'ajustement pour les États côtiers, les répercussions pour les pays ayant d'importantes flottilles en haute mer, l'effet des ZEE sur le commerce international des produits de la pêche et la gestion des pêcheries côtières dans le cadre de ce nouveau système.

Expansion des échanges: les négociations commerciales multilatérales du Tokyo Round

Les années 70 ont été une époque d'expansion fulgurante du commerce international, stimulée par la hausse du prix du pétrole et par la redistribution radicale des richesses nationales qu'elle a entraînées. Les échanges de produits agricoles ont aussi augmenté, mais tous les pays n'en ont pas profité dans la même mesure. Les pays peu développés tributaires des exportations agricoles ont souffert de la grave détérioration de leurs termes de l'échange et de leur capacité d'importation: en effet, la hausse de leurs factures d'importation de produits industriels et de produits pétroliers a fait plus que compenser la valeur de l'accroissement de leurs exportations qui consistaient principalement en produits agricoles.

Les négociations commerciales multilatérales du Tokyo Round ont été lancées en 1973 sous l'égide de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). La tentative d'étendre aux marchés internationaux les interventions qui régissaient les marchés agricoles intérieurs au moyen d'une série d'accords internationaux sur les produits (céréales, oléagineux, produits laitiers et viande) a échoué et le Tokyo Round, qui s'est soldé simplement par un accord modeste sur l'agriculture, a inversé la tendance de l'intervention des gouvernements sur les marchés agricoles internationaux; la nouvelle tendance devait se poursuivre pendant la décennie turbulente qui a suivi.

LES ANNÉES 80

Une «décennie perdue» pour beaucoup de pays d'Amérique latine et d'Afrique. Stabilisation économique et ajustement structurel, famine en Afrique, environnement et développement durable, tensions commerciales et lancement du Cycle d'Uruguay

La crise économique et l'ajustement

Les années 80 ont été en grande partie dominées par la longue récession économique qui a frappé de nombreux pays tant développés qu'en développement, à des périodes différentes, et qui a freiné leur développement d'ensemble et leur développement agricole. Année après année, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture faisait état d'un processus apparemment interminable de dégradation dans beaucoup de pays en développement, en dépit des énormes efforts de stabilisation et de redressement économiques et malgré la mise en place de sévères politiques d'austérité. Le rapport de 1990 présentait diverses conclusions concernant cette période de crise dans un chapitre spécial intitulé Ajustement structurel l'agriculture.

La détérioration croissante des conditions macroéconomiques dans les pays en développement a entravé les progrès dans les domaines du commerce des produits agricoles, de la sécurité alimentaire et de l'aide au développement.

La crise a commencé à se dessiner au début des années 80 à la suite d'une transformation soudaine et inattendue de l'environnement économique et international qui était jusqu'alors caractérisé par des liquidités abondantes sur les marchés financiers et par des politiques budgétaires et monétaires expansionnistes dans beaucoup de pays en développement. En 1979, le deuxième choc pétrolier, contrairement à celui de 1974, incita de nombreux pays développés à adopter des politiques d'austérité monétaire et budgétaire qui ont beaucoup ralenti leur activité économique. Ce ralentissement a entraîné une réduction de leur demande d'importation, qui a coïncidé avec une forte chute du cours international des produits de base et l'a encore accentuée. Les sources internationales de crédit ont soudain tari et les entrées de capitaux dans les pays en développement ont pratiquement cessé. Beaucoup de pays qui empruntaient massivement pendant les années 70 mais qui avaient investi les fonds ainsi empruntés dans des projets à faible productivité ne pouvaient plus assurer le service de leur dette extérieure. Quand le Mexique reconnut en 1982 qu'il n'avait pas de quoi rembourser sa dette, il en résulta une crise financière mondiale qui dégénéra en une récession profonde dans une grande partie du monde en développement. Les pays d'Amérique latine qui étaient très tributaires du commerce extérieur et lourdement endettés en ont particulièrement souffert. L'Asie est la seule région dans laquelle les revenus par habitant n'ont pas diminué pendant la décennie. La crise a aussi entraîné une contraction des échanges en 1982, pour la première fois depuis 25 ans, et une croissance paresseuse des échanges pendant le reste de la décennie. Le fardeau de la dette extérieure des pays en développement a augmenté de façon inquiétante.

La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture a fait observer à plusieurs reprises que les politiques adoptées face à la crise dans les pays en développement avaient des effets récessifs, qui, du moins au début, ne faisaient qu'aggraver la crise. Les pays voulaient stabiliser leur économie au plus vite et le seul moyen d'y parvenir était de réduire les dépenses budgétaires et les importations. Les programmes d'ajustement structurel (PAS), imposés à beaucoup de pays par les organismes internationaux de prêt, sont devenus le remède auquel les gouvernements devaient obligatoirement recourir pour guérir l'économie malade de leurs pays. Ces programmes, et les prêts dont ils étaient assortis, comportaient des «conditionnalités»: réduction des dépenses publiques, dévaluation de la monnaie, libéralisation du marché et privatisation des entreprises publiques. Ces réformes ont provoqué dans beaucoup de pays en développement un terrible choc économique et social. Les salaires réels ont baissé en même temps que les services sociaux fournis par le secteur public diminuaient et que le chômage augmentait, si bien que le secteur urbain a aussi souffert. Les interventions de l'État, y compris les programmes sociaux, ont été abandonnées en faveur des marchés libéralisés. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture a fait observer que si la stabilisation était incontournable (pour rétablir les équilibres économiques) et l'ajustement souhaitable (pour créer une base plus solide pour la croissance), le coût social immédiat de ces mesures était inadmissible et méritait une attention particulière de la part des gouvernements et des institutions financières: c'était «l'ajustement de l'ajustement».

La crise et les mesures prises pour y parer ont eu des effets directs sur l'agriculture. Beaucoup de paysans, surtout dans les pays où l'agriculture était relativement exposée aux forces du marché, ont été pris dans un étau, la baisse du prix des produits de base coïncidant avec une hausse des taux d'intérêt réels. Les programmes publics de soutien de l'agriculture ont été réduits ou abandonnés, à commencer par ceux qui aidaient les pauvres sans pouvoir politique. Les impératifs économiques prioritaires ont amené à différer l'amélioration des systèmes d'agriculture, de commercialisation et de fourniture d'intrants. La réduction de leurs revenus et les restrictions du crédit obligeaient beaucoup d'agriculteurs à employer moins de travailleurs et à acheter moins d'engrais et d'autres intrants. Tout cela fit baisser la productivité de l'agriculture et créa de grandes difficultés pour les ruraux dans beaucoup de pays. En Amérique latine et dans les Caraïbes, le taux de croissance de la production agricole tomba à 2,2 pour cent pendant les années 80, contre 3,5 pour cent pendant les années 70. Dans les autres régions, l'impact de la crise sur la croissance de la production agricole a été moins visible globalement, mais, dans le cas de l'Afrique, le taux de croissance de la production vivrière est resté inférieur à celui de la population.

Le commerce agricole a aussi beaucoup souffert. Le taux de croissance des exportations agricoles du monde en développement tomba à moins de 3 pour cent pendant les années 80 contre 15 pour cent pendant la décennie précédente. Ce ralentissement était dû essentiellement à la baisse fulgurante du cours des produits de base. Le prix réel des exportations agricoles des pays en développement était en 1989 d'un tiers inférieur à ce qu'il était en 1980, malgré la brève flambée de 1987/88. L'effondrement du prix des produits de base s'explique par plusieurs causes: endettement massif de beaucoup de pays - qui les obligeait à accroître la production d'exportation tout en réduisant leurs importations -, marasme de la demande de leurs produits agricoles d'exportation et accès insuffisant aux marchés des pays développés. De plus, la compétitivité des pays en développement sur les marchés de plusieurs produits de base avait été sérieusement érodée par les politiques de protection de l'agriculture qu'appliquaient les pays industrialisés et en particulier par la subvention massive des exportations. Ce climat économique défavorable a exacerbé les pressions protectionnistes et les tensions commerciales tout en entravant les efforts internationaux visant à renforcer les arrangements multilatéraux concernant le commerce agricole, la sécurité alimentaire et l'aide au développement. Les accords internationaux de produits, déjà languissants, se sont effondrés à cette époque.

Réformes de vaste portée en Chine

Pourtant, tous les programmes de réforme radicale de politique économique et agricole n'allaient pas avoir des conséquences aussi néfastes. À la fin des années 70, le Gouvernement chinois a commencé à appliquer une série de réformes du secteur rural pour améliorer les résultats de l'agriculture qu'il trouvait trop médiocres. Les premières mesures mises en place en 1978 visaient à l'origine à accroître la production agricole grâce à un régime plus incitatif tant en ce qui concerne les prix qu'en ce qui concerne les revenus; elles ont rapidement été suivies par une restructuration complète de tout le secteur agricole. En moins de cinq ans, les fermes collectives qui contrôlaient les ressources et la production ont été remplacées par des exploitations familiales Au début des années 80, le système des communes avait été démantelé, le système de responsabilité des ménages avait été mis en place et la réforme avait laissé le libre jeu des prix et des marchés déterminer l'utilisation des intrants et la production.

Ces réformes n'ont pas été traitées immédiatement dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. Elles ont été présentées pour la première fois en 1985 dans le contexte d'un examen global de milieu de décennie. Le rapport de 1985 attribue en grande partie le mérite de l'amélioration spectaculaire de la productivité de l'agriculture et des revenus ruraux en Chine à la réforme. Il fait état d'une accélération du taux de croissance annuel de la production vivrière (qui est passé de 3 pour cent en moyenne entre 1971 et 1980 à près de 8 pour cent entre 1980 et 1984) et des revenus agricoles par habitant (de 0,5 pour cent à 5 pour cent par an pendant la même période). Rétrospectivement, nous comprenons aujourd'hui que ces bonds remarquables de la productivité étaient aussi dus à une longue période d'investissement dans les infrastructures agricoles, qui remontait aux années 50 mais dont la politique de centralisation de la commercialisation et des achats n'avait pas permis de cueillir les fruits. Cette expérience d'ajustement a montré à quel point il était important que les politiques de développement agricole soient équilibrées et apportent des solutions appropriées à toute une gamme de problèmes et pas seulement à un seul.

Sécurité alimentaire

Au milieu des années 80, la gravité de la crise économique et les effets qu'elle avait un peu partout sur les pauvres ont incité la FAO à remettre en question sa conception et son approche de la sécurité alimentaire. Selon la nouvelle conception, la sécurité alimentaire reposait sur trois éléments essentiels: disponibilité de vivres, stabilité des approvisionnements et accès à la nourriture. On pensait précédemment que c'était essentiellement en agissant sur l'offre que l'on arriverait à garantir la sécurité alimentaire, c'est-à-dire en assurant la disponibilité de vivres et la stabilité des approvisionnements, notamment en constituant et entretenant des stocks suffisants d'aliments aux niveaux national et/ou régional et international. La nouvelle conception de la sécurité alimentaire intégrait aussi des considérations relatives à la demande. Il fallait améliorer l'accès aux vivres en stimulant la production pour l'autoconsommation ou accroître les possibilités de gagner de quoi en acheter au moyen d'activités agricoles ou extra-agricoles.

La première moitié des années 80 a aussi été marquée par un autre grand choc: la famine en Afrique. En janvier 1983, le SMIAR de la FAO a pour la première fois donné l'alerte au sujet des conséquences catastrophiques de la sécheresse qui frappait l'Afrique australe. Des nouvelles de plus en plus inquiétantes sont ensuite venues tant d'Afrique australe que d'autres parties du continent africain. Cette sécheresse, une des pires qu'ait connues le XXe siècle, a culminé en 1984, brûlant tout dans de nombreux pays, principalement dans le Sahel et en Afrique australe et orientale. Dans certains pays, les effets de la guerre civile se sont ajoutés à ceux de la destruction des récoltes. La famine a anéanti quelque 20 pour cent de la population éthiopienne et des sociétés traditionnelles sahéliennes étaient sur le point de disparaître. Des centaines de milliers de personnes périrent dans les pays sinistrés.

La généreuse réaction face à la crise africaine a empêché que la catastrophe ne prenne des dimensions encore plus vastes. Les systèmes d'information existants, notamment le SMIAR, ont fonctionné de façon beaucoup plus efficace que lors de la précédente grande crise alimentaire qui avait frappé l'Afrique 12 ans plus tôt. Une quantité sans précédent d'aide alimentaire - environ 7 millions de tonnes de céréales en 1985 et 1986 - a été déversée dans les zones sinistrées. Tirant les enseignements de cette crise, la FAO a proposé l'adoption d'un Pacte mondial de sécurité alimentaire aux termes duquel les pays s'engageraient à tout faire pour éradiquer les causes de la faim. Même si ce pacte était particulièrement pertinent dans le contexte de la crise alimentaire africaine et de la situation qui régnait dans beaucoup de pays d'autres régions où l'agriculture avait été longtemps négligée et dont l'économie était vulnérable aux chocs extérieurs, il n'a pas bénéficié d'un large appui. Sans doute la notion de pacte était-elle trop contraignante juridiquement à une époque où les gouvernements évitaient les engagements.

Financement du développement agricole et rural

Les apports de ressources financières aux pays en développement, souvent octroyées à des conditions favorables, ont augmenté rapidement à partir du début des années 70 et ont continué pendant les années 80. Ces flux extérieurs ont augmenté de 5 à 6 pour cent par an en valeur réelle (c'est-à-dire à prix constants) pendant cette période. Les investissements intérieurs ont aussi augmenté, souvent favorisés par le laxisme budgétaire, d'où des déficits croissants des finances publiques. Cette poussée des investissements a peut-être été stimulée par le Rapport Pearson de 1969, mais aussi par l'idée très répandue que les investissements effectués sous l'égide de l'État et financés par des flux croissants de ressources accéléreraient la croissance économique et le développement agricole et rural. Toutefois, après les crises financières du début des années 80 et à la suite des processus de stabilisation économique et d'ajustement structurel évoqués plus haut, ces flux ont plafonné et même diminué à partir du milieu des années 80: l'enthousiasme pour l'assistance extérieure s'érodait chez les donateurs bilatéraux et multilatéraux et les réalités économiques imposaient leur loi. L'investissement étranger direct privé a pratiquement cessé, sauf dans certains pays privilégiés, principalement en Asie. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1986 a consacré à cette question un chapitre spécial intitulé Le financement du développement agricole. L'analyse de ce chapitre appelait l'attention sur les déséquilibres financiers insoutenables que connaissaient beaucoup de pays en développement. Elle signalait aussi que la théorie du développement avait changé après 30 à 40 ans d'efforts guidés par l'idée que le secteur public, et en particulier la politique budgétaire et financière, devaient jouer un rôle de premier plan dans la promotion de la croissance économique.

La nouvelle priorité accordée aux institutions efficaces de développement a entraîné une modification des recommandations de politique générale.

Une autre théorie qui avait favorisé le rôle majeur de l'assistance extérieure dans cet effort était celle du «double déficit», selon laquelle la pénurie chronique de capital et de devises créait de graves contraintes au développement. L'expérience de la première moitié des années 80 a sérieusement ébranlé cette théorie. L'équilibre budgétaire et la qualité des projets d'investissement sont devenus des considérations primordiales. Le chapitre spécial de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture appelait l'attention sur les moyens de mobiliser l'épargne rurale pour l'investissement au lieu de compter uniquement sur l'assistance extérieure ou sur le laxisme financier et soulignait la nécessité de trouver des moyens d'attirer des financements privés sans créer de dette extérieure (par exemple des participations au capital-actions).

On notera que cette période a été marquée par une réorientation de la théorie du développement inspirée par une meilleure compréhension de l'importance du développement institutionnel et notamment en ce qui concerne les forces du marché, les coûts transactionnels, les droits de propriété, etc.; c'est ainsi qu'est apparue la «nouvelle économie des institutions», au début des années 90.

Protection de l'environnement, gestion des ressources naturelles et développement durable

Les préoccupations dans ces domaines ont beaucoup évolué au cours des années 80. L'attention a été mobilisée par des alertes toujours plus graves dans divers domaines: dévastation des forêts, épuisement et gaspillage des ressources halieutiques, effets de serre provoqués par l'accroissement des émissions de CO2 et d'autres gaz et destruction durable de la couche d'ozone protectrice par certains gaz industriels.

En 1987, deux rapports ont fait date: le Rapport de la Commission mondiale de l'environnement et du développement (le Rapport Brundtland), qui a été présenté cette année-là à l'Assemblée générale des Nations Unies et le Rapport sur les perspectives environnementales à l'horizon 2000 et au-delà du PNUE. Ces deux rapports ont mis à l'ordre du jour la notion de développement durable, qui a été encore affinée au cours de la décennie suivante.

La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1989 revenait sur la question du développement durable et de la gestion des ressources naturelles, déjà abordée en 1977. Dans le dessein de donner une réalité opérationnelle à la notion de développement durable, des actions concrètes étaient suggérées dans plusieurs domaines: les pays développés devaient s'efforcer d'atteindre leurs objectifs économiques sans continuer à provoquer autant de dégâts écologiques préjudiciables aussi bien à eux-mêmes qu'aux autres nations; il fallait réexaminer sérieusement les stratégies de survie des pauvres, dans la mesure où ces stratégies se traduisaient par une surexploitation des ressources dont ils dépendaient; il fallait concevoir de grandes stratégies pour les différents types et combinaisons de types et de classes de qualité des ressources en terre et en eau et les différents types d'utilisation de ces ressources - terres à potentiel élevé et à faible potentiel, forêts, pêcheries, et, dans ce contexte, réserves génétiques; il fallait mieux intégrer les considérations économiques et les considérations environnementales et dûment comptabiliser les coûts de la dégradation de l'environnement résultant des stratégies, programmes et projets de développement.

Les préoccupations que suscitaient les secteurs de la pêche et des forêts ont donné lieu à plusieurs événements importants. Unclos III a achevé ses travaux à la fin d'avril 1982, avec l'adoption de la Convention internationale sur le droit de la mer qui a été ouverte à la signature en décembre de la même année. Cette convention et les initiatives des États ont abouti à l'extension de la juridiction des États côtiers sur les ressources halieutiques à 200 milles marins de la côte. Pour beaucoup d'États côtiers, cela a créé non seulement de nouvelles possibilités prometteuses, mais aussi d'énormes problèmes, responsabilités et défis.

Au milieu de 1984, la FAO a organisé la Conférence mondiale sur l'aménagement et le développement des pêches qui était la première initiative internationale visant à affronter la réalité pratique du nouveau régime juridique des mers, signé en 1982. Cette conférence a marqué une étape importante dans l'évolution de la gouvernance des ressources halieutiques mondiales. Pour la première fois, presque tous les pays se sont réunis pour s'entendre sur des mesures détaillées en vue de faire face aux conséquences pratiques du nouveau régime de la mer et d'améliorer la gestion des pêcheries potentielles en tant que source essentielle de nourriture, d'emploi et de revenu. Pour aider les pays en développement à accroître la productivité et à améliorer les conditions de vie des pêcheurs, la Conférence de 1984 a adopté une stratégie et un ensemble intégré de cinq programmes d'action sur la planification, la gestion et le développement des pêches; le développement de la pêche artisanale; le développement de l'aquaculture; le commerce international des poissons et autres produits de la pêche; et la promotion du rôle de la pêche dans la lutte contre la sous-alimentation.

Le neuvième Congrès forestier mondial, tenu à Mexico en juillet 1985 - 1985 était l'Année internationale de la forêt - et dont le thème était Les ressources forestières dans le développement intégral de la société s'est plus particulièrement occupé de la dégradation et de la destruction des forêts provoquées par la pauvreté dans les zones tropicales et arides. Le Congrès a souligné l'importance et l'urgence du Plan d'action forestier tropical adopté par le Comité de la mise en valeur des forêts dans les tropiques au début de l'année. C'est aussi en 1985 que la Conférence de la FAO a adopté le Code international de conduite pour la distribution et l'utilisation des pesticides. Ce code a été la première étape dans la voie d'une réglementation internationale pour assurer la sécurité dans la manutention, l'utilisation et le commerce des pesticides.

Commerce et négociations commerciales

Dans le climat de tension croissante qui caractérisait alors la scène du commerce international, un événement important a eu lieu: le lancement en septembre 1986 du Cycle d'Uruguay de négociations commerciales multilatérales. C'était la première fois que l'agriculture avait la vedette dans un cycle de négociations commerciales multilatérales. Dans la Déclaration qui annonçait officiellement l'ouverture du Cycle, les ministres reconnaissaient «qu'il était urgent de soumettre le commerce agricole mondial à plus de discipline et de le rendre plus prévisible en corrigeant et prévenant les restrictions et les distorsions, y compris celles qui tiennent aux excédents structurels, de façon à réduire l'incertitude, les déséquilibres et l'instabilité sur les marchés agricoles mondiaux».

La conjoncture sur les marchés agricoles mondiaux se retourna en 1987/88. Pour certains produits importants, les gros excédents des années précédentes se transformèrent en déficits et les prix internationaux, qui étaient tombés à leur niveau le plus bas depuis longtemps, remontèrent notablement. Après avoir atteint un niveau record, les stocks fondaient. Il fallut attendre 1988 pour assister à la première véritable reprise des prix agricoles des années 80; encore cette reprise a-t-elle été limitée essentiellement au sucre, aux céréales et aux oléagineux et aux produits dérivés. Les prix des boissons tropicales restèrent déprimés. Dans le cas des céréales, la flambée des prix a été provoquée par deux années successives de baisse de la production, la sécheresse qui avait frappé l'Amérique du Nord en 1988 ayant eu des effets particulièrement marqués. Cependant, même pendant cette vague de prospérité, les prix de beaucoup de produits restèrent en dessous du niveau du début des années 80, même les prix nominaux. Les prix réels des produits agricoles n'atteignaient pas en 1988 plus des trois quarts de leur niveau de 1980.

Problèmes sociaux

Dans le contexte de la préparation de la Conférence mondiale, chargée d'examiner et d'évaluer les résultats de la Décennie des Nations Unies pour la femme, qui devait se tenir en 1985 et qui avait été lancée en 1975, le chapitre spécial de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1983 visait à faire mieux comprendre la problématique hommes/femmes dans le secteur de l'alimentation et de l'agriculture. Intitulé La femme dans le développement agricole, il passait en revue les problèmes spécifiques des paysannes et leur contribution importante à la production et à la commercialisation des produits alimentaires ainsi qu'à l'entrepreneuriat en milieu rural. Il analysait aussi des problèmes d'actualité concernant les difficultés et les inégalités auxquelles se heurtaient les femmes, les effets de la modernisation de l'agriculture sur leurs conditions et la nécessité de concevoir des projets de développement qui puissent les atteindre. Il recommandait d'intégrer la problématique hommes/femmes dans toutes les activités de développement au lieu de concevoir des projets et des institutions spécifiquement à l'intention des femmes.

Toujours pour répondre aux préoccupations sociales croissantes des années 80, l'urbanisation, l'agriculture et les systèmes alimentaires on fait l'objet d'un chapitre spécial dans le rapport de 1984. Ce chapitre décrivait les problèmes et les possibilités créés par l'urbanisation dans les pays en développement du point de vue de la production des denrées alimentaires et de leur distribution aux populations urbaines. Il rappelait que l'urbanisation et les migrations n'étaient pas des mécanismes à régulation automatique et qu'elles risquaient d'entraîner une détérioration des conditions de vie tant pour les ruraux que pour les citadins si elles se déchaînaient sans contrôle. En conclusion, il était indiqué que les pouvoirs publics pouvaient infléchir la tendance à l'exode rural, à l'urbanisation rapide et à l'expansion excessive des mégapoles de façon à atténuer les effets négatifs de la modernisation accélérée sur les sociétés agraires. L'intervention des pouvoirs publics pouvait consister simplement à affranchir les politiques agricoles de leur subordination aux intérêts du secteur urbain ou du moins à les coordonner. Dans certains cas, des mesures plus spécifiques seraient nécessaires, par exemple des déplacements de populations ou le transfert d'emplois en faveur des ruraux. Ces mesures pouvaient aller d'une simple aide à l'exode rural spontané jusqu'à des programmes publics plus complexes et coûteux de colonisation et d'industrialisation rurales. Des mesures destinées à freiner la croissance démographique à long terme pourraient faciliter les choses.

Encadré 16

ÉVOLUTION DES RÈGLES DU COMMERCE INTERNATIONAL

L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) a pris effet en 1947 en tant que cadre pour négocier les concessions tarifaires et réguler le commerce international. Le GATT devait à l'origine faire partie d'une Organisation internationale du commerce (OIC) dont la compétence ne devait pas être limitée au domaine spécifique des tarifs douaniers et du commerce (politique commerciale), mais s'étendre à une vaste gamme de questions touchant au commerce (par exemple emploi, développement, pratiques commerciales restrictives et politique de produits). Mais les gouvernements membres n'ont jamais ratifié la Charte de l'OIC. Le GATT a donc vu le jour en tant qu'arrangement «provisoire» ou «intérimaire» et il est resté dépourvu de cadre organisationnel formel jusqu'à la conclusion des Accords du Cycle d'Uruguay en 1994; il a alors été intégré dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) - qui a pris effet le 1er janvier 1995 - sous le nom de GATT 1994.

Au début du GATT, en 1947, il y avait 23 parties contractantes (États) et la valeur des échanges mondiaux était de 10 milliards de dollars EU. À la fin du huitième cycle de négociations du GATT, le Cycle d'Uruguay, il y avait 128 parties contractantes et la valeur des échanges mondiaux avait atteint 5 000 milliards de dollars EU, dont 12 pour cent pour le commerce de produits agricoles.

Les règles commerciales établies dans le cadre du GATT étaient basées sur quatre principes généraux: réciprocité, chaque pays accordant des concessions tarifaires en échange de concessions analogues de la part de ses partenaires; non-discrimination, consacrée par la clause de la «nation la plus favorisée» (NPF) aux termes de laquelle toute concession accordée à une partie contractante est automatiquement étendue à toutes les autres; traitement national, c'est-à-dire interdiction pour les pays importateurs d'exercer une discrimination entre les produits importés et les produits d'origine nationale; et «tarification», c'est-à-dire obligation d'utiliser uniquement des droits de douane - consolidés dans des listes de concessions tarifaires - pour réguler les importations.

Le GATT 1947 contenait 38 articles ou règles qui donnaient effet à ces principes fondamentaux et établissaient des disciplines concernant le règlement des différends et les mesures correctives (mesures commerciales) pouvant être appliquées par exemple contre les pratiques commerciales déloyales (dumping, subventions à l'exportation) ou les augmentations soudaines des importations (sauvegardes). Dans le cas du commerce des produits agricoles, certains articles prévoyaient aussi des exceptions aux règles générales du GATT.

Traitement de l'agriculture dans le GATT

Contrairement à l'actuelle OMC, le GATT original ne comportait aucune règle concernant explicitement l'agriculture, mais deux exceptions notables aux règles générales s'appliquaient aux produits agricoles. Une exception était l'interdiction générale d'utiliser des restrictions quantitatives à l'importation, et l'autre, l'interdiction d'utiliser des subventions à l'exportation.

Ces exceptions dont bénéficiait l'agriculture s'expliquaient en partie par l'existence de vastes programmes de soutien des prix et des revenus dans les grandes puissances de l'époque d'après-guerre. Beaucoup de ces programmes avaient été mis en place à la suite de la grande dépression des années 30 et de l'effondrement des revenus agricoles qu'elle avait provoqué, mais certains avaient leur origine dans l'encadrement du secteur agroalimentaire qui avait été nécessaire pendant la guerre dans de nombreux pays. On pensait qu'il serait dans bien des cas nécessaire de les maintenir un certain temps pour promouvoir le redressement de l'agriculture et pour compenser l'effondrement prévu des prix agricoles après la guerre.

En fait, en 1947, seul un petit nombre de pays appliquaient des politiques agricoles de façon systématique. Parmi ces pays, les États-Unis étaient le seul gros exportateur de produits agricoles, suivi par l'Australie et quelques autres, notamment le Canada, l'Argentine et la Nouvelle-Zélande. La Loi américaine sur l'ajustement agricole de 1933, avec ses additifs et ses modifications, habilitait les autorités à utiliser des droits de douane et des restrictions quantitatives des importations ainsi que des subventions à l'exportation pour stabiliser les prix à la production dans le pays et le soutien de l'agriculture est resté important en application du principe de la «parité» entre les revenus agricoles et les revenus non agricoles. Quant à l'Europe, elle commençait tout juste à se remettre de la guerre et la sécurité alimentaire y était une préoccupation majeure; la fondation de la Communauté économique européenne (CEE) et l'instauration de sa Politique agricole commune (PAC) ne sont venues que beaucoup plus tard, avec le Traité de Rome en 1956. La grande majorité des pays en développement étaient alors encore des colonies ou venaient tout juste d'accéder à l'indépendance.

C'est sur cette toile de fond - insécurité alimentaire très répandue dans la plupart des pays du monde, y compris en Europe, et baisse du ratio entre revenus agricoles et revenus non agricoles dans certains pays - que les exceptions au profit de l'agriculture ont été incluses dans le GATT.

À l'origine, les règles du GATT n'interdisaient pas les subventions à l'exportation non plus que les subventions intérieures. Toutefois, en 1955, un Protocole à l'Accord général a introduit l'interdiction de subventionner les exportations de tous les produits sauf les produits primaires; et même pour ces derniers, les subventions n'étaient autorisées qu'à condition de ne pas permettre au pays intéressé de s'approprier de la sorte «plus qu'une part équitable» du commerce mondial du produit agricole subventionné.

Quant à l'interdiction des restrictions quantitatives à l'importation, le GATT n'exemptait à l'origine les produits agricoles et halieutiques de cette règle que quand ces restrictions étaient utilisées pour «appliquer des politiques intérieures ayant pour effet de restreindre la production ou la commercialisation de produits analogues ou de résorber un excédent temporaire». Toutefois, en 1955, les États-Unis ont obtenu une dérogation aux règles du GATT pour appliquer des restrictions à l'importation même quand aucune mesure limitant la production ou la commercialisation n'était en place. Cette dérogation touchait en particulier les importations de sucre, d'arachides et de produits laitiers. Elle a duré 40 ans, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'Accord sur l'agriculture issu du Cycle d'Uruguay.

Beaucoup de pays qui commençaient à se tailler une part du marché des produits agricoles ont bénéficié de ce précédent, ainsi que des autres exceptions aux règles générales du GATT concernant l'agriculture. Ces exceptions, ainsi que la multiplication des recours aux mesures de la «zone grise» (par exemple autoli-mitation des exportations, prix minimums à l'exportation, prélèvements variables) pendant les années 60 et 70 ont en fait maintenu le secteur agricole hors des disciplines du GATT. C'est donc sur les trois questions des restrictions quantitatives, du soutien interne et de la protection et des subventions à l'exportation qu'a été concentré l'essentiel de l'attention lors des négociations du Cycle d'Uruguay sur l'agriculture et dans l'Accord sur l'agriculture qui en est issu.

Le Cycle d'Uruguay - ses résultats et ce qu'il reste à faire

Au début des années 80, à la suite des frictions commerciales croissantes dans le secteur agricole, il a été généralement reconnu que le commerce agricole mondial était complètement «anarchique»; faute de disciplines effectives du GATT, il était faussé par toutes sortes de distorsions, surtout en ce qui concerne les produits de la zone tempérée. Le Cycle d'Uruguay s'est donc ouvert en 1986 sur la toile de fond d'un régime de soutiens internes très élevés au bénéfice des producteurs (équivalant à environ 60 pour cent de la valeur de la production agricole dans les pays de l'OCDE en 1986-1988) qui rendait nécessaires des subventions à l'exportation pour écouler les excédents sur les marchés mondiaux; de tensions commerciales croissantes, et notamment de guerres des subventions à l'exportation; et de politiques agricoles très coûteuses pour les budgets des pays industrialisés. Un aspect très important des négociations a été la reconnaissance explicite du fait que les politiques nationales de soutien de l'agriculture avaient des effets sur le commerce et devaient aussi être disciplinées.

Les principaux résultats incorporés dans l'Accord sur l'agriculture peuvent se résumer comme suit:

Pour les mesures de soutien interne, des règles ont été établies définissant les mesures qui peuvent fausser les échanges, et doivent donc être disciplinées, et celles qui devraient être autorisées. Les dépenses budgétaires consacrées au premier type de mesures devaient être graduellement réduites au cours de la période de mise en œuvre par rapport au niveau d'une période de référence. Les membres de l'OMC ne devaient pas dépasser les limites fixées pour le soutien interne.

En ce qui concerne l'accès aux marchés, il a été convenu que les restrictions non tarifaires aux importations devaient être interdites et que la régulation du commerce devait se faire uniquement au moyen des droits de douane ordinaires. La plupart des droits de douane ont été consolidés pour la première fois et ils devait être graduellement réduits de pourcentages convenus au cours de la période de mise en œuvre. Étant donné le taux élevé des droits de douane qui résultait de la conversion de l'ensemble des mesures en droits de douane (la tarification), des contingents tarifaires pour
l'accès «minimum» et pour l'accès «courant» ont été établis.

Au sujet de la concurrence à l'exportation, les parties se sont entendues sur ce qui constitue les subventions à l'exportation et, comme pour les dépenses de soutien interne, une période de référence par rapport à laquelle l'enveloppe budgétaire devait être réduite au cours de la période de mise en œuvre a été définie. Il est prohibé aux États membres de l'OMC de dépasser les plafonds ainsi déterminés pour les subventions.

L'Accord prévoyait un traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement, qui bénéficiaient d'une période de mise en œuvre plus longue, de taux de réduction moins importants, de l'exemption de certaines disciplines applicables aux pays développés; en outre, ils devaient bénéficier d'une assistance technique et financière.

L'Accord sur l'agriculture était en outre complété par plusieurs accords et décisions tels que la Décision sur les mesures concernant les effets négatifs possibles du Programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, qui prévoit certaines mesures correctives au cas où le processus de réforme de l'agriculture rendrait trop difficile à ces pays de payer leurs importations alimentaires indispensables.

L'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires et l'Accord sur les obstacles techniques au commerce ont été formulés pour faire en sorte que les réglementations ayant des effets restrictifs sur le commerce ne s'appliquent que dans la mesure strictement nécessaire pour protéger la vie ou la santé des personnes, des animaux ou des végétaux.

En conclusion, l'effet le plus important du Cycle d'Uruguay a été de «rapprocher» considérablement les règles applicables au commerce agricole des règles générales du GATT, mais sans les intégrer complètement dans les règles générales car certaines mesures, notamment les subventions à l'exportation, demeurent autorisées pour les produits agricoles mais non pour les autres. En conséquence, les Accords du Cycle d'Uruguay n'ont peut-être pas beaucoup réduit les distorsions du commerce agricole international. Toutefois, l'Accord sur l'agriculture constitue un cadre pour de nouvelles réformes et son Article 20 prévoit de nouvelles négociations en vue de poursuivre le processus de réforme au moyen d'importantes réductions progressives du soutien et de la protection. Ces négociations ont démarré en mars 2000.

LES ANNÉES 90

L'émergence d'un nouvel ordre politique, économique et commercial. Libéralisation, mondialisation, crises financières, sécurité alimentaire - le Sommet mondial de l'alimentation, la CNUCED -
développement agricole et rural durable, le commerce -
conclusion du Cycle d'Uruguay

La charnière entre les années 80 et les années 90 a été marquée par des bouleversements politiques d'une ampleur sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Une succession d'événements extraordinaires a préludé à l'effondrement des régimes communistes en Union soviétique et en Europe orientale et donné l'espoir qu'une nouvelle ère de collaboration plus étroite dans les relations internationales allait succéder aux affrontements politiques et idéologiques de la période précédente.

La fin de la guerre froide a suscité des réactions optimistes concernant une collaboration internationale et amené à apporter une attention accrue aux pays en transition.

Le passage de l'économie centralement planifiée à l'économie de marché qui a suivi cette mutation politique s'est situé dans le contexte de graves problèmes économiques, sociaux et institutionnels, accompagnés dans certains pays par des événements politiques dramatiques. Des tensions ethniques et politiques se sont aussi développées et ont dégénéré en conflits dévastateurs dans l'Ex-Yougoslavie ainsi que dans certains pays d'Afrique centrale. Le démantèlement des anciennes structures économiques et commerciales et le désordre qu'il a provoqué dans les systèmes de production et de distribution n'ont pas épargné le secteur agro-alimentaire dans les pays d'Europe orientale. Certains de ces pays ont connu de graves pénuries même des produits les plus essentiels, offrant ainsi un nouveau champ d'action à l'assistance internationale, y compris l'aide alimentaire. Toutefois, plusieurs d'entre eux se sont montrés de plus en plus capables de s'adapter aux nouvelles circonstances et se sont lancés dans un processus d'intégration économique et politique plus important avec le reste de l'Europe. Certains ont commencé à montrer des signes crédibles de redressement.

Dans les pays industrialisés, l'évolution économique a été contrastée durant les années 90. L'intégration s'est accélérée dans l'UE, malgré les problèmes politiques complexes et les difficultés dus au marasme économique, aux pressions incitant à la discipline budgétaire et financière et la montée irrésistible du chômage dans une bonne partie de l'UE. Le Japon, jusqu'alors modèle éclatant de succès dans le monde industrialisé, souffrait d'une grave récession dans laquelle il se débat encore. Les États-Unis au contraire sont entrés en 1992 dans un processus sans précédent de croissance économique, de faibles taux de chômage et d'inflation et de commerce dynamique.

Pour beaucoup de pays en développement, les années 90 ont été une période de reprise après les résultats désastreux des années 80. Sur l'ensemble de la période 1991-1999, le taux de croissance global de leur PIB s'est établi en moyenne à plus de 5 pour cent et il a dépassé 6 pour cent pendant cinq années de suite (1992-1996), et ce malgré la conjoncture mondiale de récession du début de la décennie et les fluctuations prononcées des taux de croissance sous l'effet des conflits, des catastrophes climatiques particulièrement graves (notamment une manifestation exceptionnellement dévastatrice de El Niño) et d'une série de chocs financiers. L'environnement général est devenu plus favorable à la croissance et à la sécurité alimentaire grâce aux progrès de la démocratisation, particulièrement en Afrique, et à la consolidation des réformes économiques, qui commençaient enfin à porter fruit. Beaucoup de pays en développement, notamment certains des plus grands et des plus peuplés, ont bénéficié de ce processus et ont remporté de nouvelles victoires sur les problèmes séculaires de la faim et de la malnutrition. Ce fut particulièrement le cas dans les pays d'Asie, qui pendant longtemps avaient été considérés comme des modèles de dynamisme et de stabilité. Toutefois, la croissance exceptionnellement rapide dans la région asiatique s'est brutalement interrompue en 1997 à la suite des graves crises financières qui avaient éclaté en Asie du Sud-Est. Ces crises, nées dans plusieurs des pays les plus dynamiques, se sont rapidement propagées, transmettant des ondes de choc déstabilisatrices et récessionnistes à d'autres pays de la région et du reste du monde. Toutefois, vers la fin de la décennie, la reprise économique se confirmait rapidement en Asie.

La crise financière asiatique a également eu des répercussions dans la région Amérique latine et Caraïbes, qui avaient déjà été frappées par une crise analogue en 1994 - la crise mexicaine - dont elle était sortie avec une énergie surprenante. Les événements récents donnent à penser que la plupart des pays de la région réagissent plutôt bien à la nouvelle crise; c'est un exploit dont on peut attribuer le mérite à l'amélioration des facteurs économiques fondamentaux et aux enseignements tirés de la décennie précédente. Toutefois, la crise a déjà coûté très cher, particulièrement au Brésil, sous forme de ralentissement de la croissance et de tensions sociales; elle a de plus freiné les réformes et l'intégration régionale. En Afrique, beaucoup de pays affichent depuis 1995 de biens meilleurs résultats économiques, favorisés en particulier par le dynamisme des exportations agricoles. S'il est vrai que cette reprise tient en grande partie à des facteurs conjoncturels et en particulier à la hausse du prix des produits de base en 1996/97 et au succès de la dévaluation dans les pays de la zone du franc CFA, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture a souligné que la reprise n'aurait pas été si durable ni si générale si d'autres forces plus fondamentales n'avaient pas joué, en particulier les politiques de réforme et le progrès de l'annulation de la dette. Cette interprétation est confirmée par les taux de croissance relativement élevés - plus de 3 pour cent pour 1999 et plus de 5 pour cent pour 2000 - prévus par le FMI. Le rapport rappelait toutefois que cette amélioration succédait à une récession prolongée qui avait plongé beaucoup de pays dans la région dans une misère économique et sociale extrême.

Au Proche-Orient, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture faisait état d'un progrès général des conditions économiques au cours des années 90, accompagné dans presque tous les pays d'une amélioration de l'état nutritionnel. Ces progrès ont été réalisés malgré d'énormes problèmes: croissance médiocre du secteur agricole, fluctuation prononcée des résultats sous l'effet de facteurs climatiques, instabilité du prix du pétrole et des autres produits de base et conflits divers qui ravageaient la région. On pouvait toutefois se féliciter des efforts accrus en vue d'instaurer la paix et la coopération dans la région ainsi que des profondes réformes économiques et agricoles mises en œuvre dans plusieurs pays.

Sur cette toile de fond, le rapport analysait aussi un certain nombre de problèmes et de dangers qui continuaient à menacer le monde en développement et qui avaient des effets directs sur la sécurité alimentaire: crises alimentaires et troubles civils à répétition, dont la fréquence et la gravité n'étaient pas moins graves qu'au cours des décennies antérieures; persistance du paupérisme et des tensions sociales dans beaucoup de pays, surtout dans les zones rurales, même dans les pays où les paramètres macroéconomiques s'étaient beaucoup améliorés; processus de libéralisation qui promettait de créer des bases plus solides pour la croissance mais qui comportait le risque manifeste de creuser encore les inégalités de revenus et de chances entre les pays et dans chaque pays; fardeau encore accablant de la dette extérieure pour beaucoup de pays; et risques croissants de tempêtes financières à la suite de la libéralisation des marchés financiers.

Nutrition et sécurité alimentaire

La Conférence internationale sur la nutrition, tenue sous les auspices conjoints de la FAO et de l'OMS, s'est tenue à Rome en décembre 1992. Cette initiative a été inspirée par la prise de conscience du fait que quelque 800 millions d'êtres humains étaient sous-alimentés et que dans beaucoup de pays l'incidence de la malnutrition ne faisait que croître: d'où la nécessité de mieux connaître les causes, la nature et l'ampleur du problème afin de définir des stratégies coordonnées et des objectifs réalistes, de renforcer la solidarité internationale et de mobiliser les ressources nécessaires. La Conférence a proclamé une Déclaration mondiale sur la nutrition, affirmant la volonté des États participants de coopérer pour assurer à tous, et ce de façon durable, un bon état nutritionnel; elle a aussi lancé un Plan d'action mondial recommandant des politiques, programmes et activités en vue d'atteindre ces objectifs.

La constatation que la Conférence sur la nutrition et les autres initiatives prises dans le même sens n'avaient pas suffisamment mobilisé au niveau le plus élevé la volonté politique d'extirper le scandale trop répandu de la faim a amené à organiser en 1996 le Sommet mondial de l'alimentation. Ce sommet exceptionnel réunit des délégations de 185 États et de l'Union européenne, dont beaucoup étaient représentées au niveau politique le plus élevé, ainsi que des institutions internationales, des chefs religieux et plus de 1 000 ONG de 80 pays: au total, près de 10 000 participants. Le message fondamental du Sommet était que, même si plus de 800 millions de personnes souffraient encore de malnutrition dans le monde, la sécurité alimentaire mondiale était un objectif réaliste.

Le Plan d'action adopté par les participants au Sommet réaffirmait la volonté de la communauté internationale d'éradiquer la faim et la malnutrition dont souffrait environ un cinquième de la population du monde en développement et plus précisément de réduire de moitié le nombre des sous-alimentés en 20 ans. Le Sommet a aussi confirmé un consensus sur plusieurs points importants, notamment sur le fait que la faim et la malnutrition sont essentiellement liées à la pauvreté et sont aggravées par les conflits et l'instabilité politique et que la sécurité alimentaire ne consiste pas simplement à assurer des approvisionnements mais aussi à garantir qu'ils soient accessibles et stables, et que ceux qui en ont besoin puissent y accéder. Pour atteindre l'objectif ambitieux de réduire de moitié l'incidence de la faim avant 2015, il fallait des efforts concertés à tous les niveaux de la société, tant au niveau international qu'au niveau national et au niveau des communautés.

La Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire a réaffirmé «le droit de chaque être humain d'avoir accès à une nourriture saine et nutritive, conformément au droit à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chacun d'être à l'abri de la faim» et le Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation comprenait sept engagements (voir encadré 17).

Environnement, ressources naturelles et changements climatiques

Plusieurs réunions d'importance majeure pour ces questions ont eu lieu pendant les années 90: la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUCED), à Rio de Janeiro en 1992; la Convention sur la diversité biologique aux Bahamas en 1994; la création du Groupe intergouvernemental sur les forêts en 1995; la première session de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification à Rome en 1997; et la troisième Conférence des Parties (COP-3) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques à Kyoto (Japon) en 1997.

La CNUCED a attiré beaucoup d'attention, mais ses résultats ont été décevants. De grandes divergences de vues ont persisté sur des problèmes aussi importants que les délais à fixer pour la réduction des émissions de dioxyde de carbone; l'utilisation durable et équitable de la diversité biologique; et la création d'un fonds spécial pour aider les pays en développement à mettre en œuvre Action 21, le «Plan d'action pour le XXIe siècle». Toutefois, la CNUCED a réussi à faire prendre conscience à l'opinion publique et aux gouvernements de l'importance des enjeux et elle a énoncé des directives opérationnelles pour l'action future. Elle a aussi beaucoup appuyé le courant qui préconise une réforme du mode d'utilisation des ressources naturelles. En dehors d'Action 21, les principaux résultats de la CNUCED ont été: la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement qui énonce les principes directeurs concernant les droits et devoirs des États dans l'établissement d'un partenariat mondial pour le développement durable; deux conventions-cadres - l'une sur les changements climatiques et l'autre sur la conservation de la diversité biologique; une déclaration de principes juridiquement non contraignants, mais faisant autorité sur la gestion, la conservation et le développement écologiquement viable de tous les types de forêts; la décision d'entamer des négociations en vue d'une convention internationale pour lutter contre la diversification; un programme d'action sur les ressources en eau douce, dont l'origine remonte à la Conférence sur l'eau et l'environnement tenue à Dublin en 1992.

Encadré 17

ENGAGEMENTS DU SOMMET MONDIAL DE L'ALIMENTATION

1. Assurer un environnement politique, social et économique propice.

2. Mettre en œuvre des politiques visant à éradiquer la pauvreté et les inégalités et à améliorer l'accès physique et économique de tous à une alimentation suffisante.

3. Poursuivre des politiques et méthodes participatives et durables de développement alimentaire et rural dans les régions à potentiel élevé comme dans celles à faible potentiel.

4. Faire en sorte que les politiques commerciales soient propres à promouvoir la sécurité alimentaire pour tous.

5. Prévenir les catastrophes naturelles et les crises provoquées par l'homme, y être préparés et répondre aux besoins alimentaires provisoires d'urgence.

6. Encourager l'affectation et l'utilisation optimales de l'investissement public et privé pour faire progresser les ressources humaines, les systèmes agricoles durables et le développement rural dans les zones à fort comme à faible potentiel.

7. Assurer la mise en œuvre, le contrôle et le suivi du Plan d'action.

La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992 affirme la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et dispose que les pays développés doivent d'abord se proposer pour objectif de ramener pour l'an 2000 et au-delà les émissions à leurs niveaux de 1990; toutefois, des exemptions sont prévues pour certains pays. La Conférence de Kyoto de 1997 a repris ces questions et elle est convenue que les pays industrialisés devraient réduire leurs émissions globales de 5,2 pour cent en moyenne pour 2005. L'accord comporte une «clause de flexibilité» aux termes de laquelle les pays pourront échanger des quotas d'émission pour encourager les réductions là où elles sont possibles avec le «meilleur rapport coût-efficacité». La question du réchauffement du climat mondial a aussi été traitée dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1997, en particulier la question des incidences positives ou négatives des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays en développement et leur agriculture.

Dans le domaine de la gestion des ressources et de l'environnement, les problèmes relatifs aux disponibilités d'eau douce et à l'utilisation de cette eau ont aussi mobilisé l'attention et fait l'objet de grandes réunions mondiales: la CNUED et la Conférence de Dublin sur l'eau et l'environnement en 1992 et la réunion des ONG à Montréal en 1990. En 1993, le chapitre spécial de La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture, intitulé Politiques de l'eau et agriculture, présentait les problèmes et les options dans le domaine du développement agricole et de l'utilisation des eaux. Il faisait observer que l'eau manquait déjà dans beaucoup de régions du monde; que l'agriculture était de loin le secteur consommant le plus d'eau douce et que l'utilisation de l'eau dans le secteur agricole était très subventionnée, avait un faible un faible rendement et produisait relativement peu de valeur.

Le chapitre spécial de 1992 intitulé Pêches maritimes et droit de la mer: 10 ans de mutations, traitait de la durabilité et des aspects économiques du secteur de la pêche. Il a analysait les faits nouveaux intervenus au cours des 10 années précédentes et les conséquences à en tirer pour la gestion future des pêches. Le chapitre spécial soulignait les gaspillages considérables qui résultaient de l'accès libre aux pêcheries. Pour la première fois, il présentait une estimation provisoire des coûts de la pêche et des recettes qu'elle engendrait, aboutissant à la conclusion remarquable que les coûts annuels d'exploitation de la flottille de pêche mondiale étaient en 1999 d'environ 22 milliards de dollars supérieurs au montant total des recettes produites. Ce chapitre a provoqué un débat animé.

Le PNUE ouvrit la première session de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique en novembre 1994. Cette convention visait à assurer la conservation et l'utilisation durables de la diversité biologique et un partage juste et équitable des avantages produits par les ressources génétiques. Pour la première fois, un instrument juridique international décrivait les droits et obligations des parties en matière de coopération scientifique, technique et technologique.

FAO/13925

Cultures sur brûlis La déforestation a été l`un des moyens
d'accroître les superficies cultivées avec des conséquences
dramatiques pour l'environnement

- FAO/13925

Au cours de sa troisième session, en avril 1995, la Commission du développement durable (CDD) a créé le Groupe intergouvernemental sur les forêts (IPF) pour continuer et stimuler le dialogue international sur les politiques forestières ouvert sous l'égide de la CNUED.

Le Conseil économique et social et des Nations Unies (ECOSOC), dans sa réunion de fond annuelle tenue à Genève en juillet 1997, a créé une instance ad hoc à composition non limitée, le Forum intergouvernemental sur les forêts (IFF), pour poursuivre le dialogue sur plusieurs questions laissées en suspens par le IPF à la fin de son mandat. Depuis lors, le IFF a tenu quatre réunions d'organisation dont la dernière a eu lieu à New York du 31 janvier au 11 février 2000.

La première session de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification a eu lieu à Rome en 1997 en vue de promouvoir une nouvelle approche de la gestion des écosystèmes arides et de gérer les flux d'aide au développement qui, dans le passé, avaient été une source de différends entre les organismes d'aide et les bénéficiaires. La Convention devait également s'attaquer aux graves problèmes de la dégradation des terres arides, qui résultaient à l'époque non seulement de facteurs économiques et sociaux, y compris la surexploitation, le surpâturage, le déboisement et les mauvaises pratiques d'irrigation, mais aussi des effets des violents conflits nationaux ou internationaux. Plus de 250 millions de personnes souffrent directement de la désertification et près d'un milliard sont menacées par elle. Les programmes visant à aider à prévenir ou inverser le processus de désertification étaient un des thèmes majeurs de la Convention, qui a été signée par 110 pays. Des programmes d'action nationaux ont été élaborés pour s'attaquer aux causes profondes de la désertification et de la sécheresse et pour identifier des mesures de prévention appropriées. Ces programmes d'action devaient ensuite être complétés par des programmes régionaux et sous-régionaux en permettant d'affiner les évaluations et la mise en œuvre.

Évolution de l'ordre commercial international

En avril 1994, l'Acte final des négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay a été signé à Marrakech. Lancé en 1986, ce cycle s'est achevé avec la conclusion d'un accord portant création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui devait remplacer le GATT. La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1995 a indiqué que les résultats du Cycle d'Uruguay pour ce qui est de l'accès aux marchés et de la réduction des aides internes et de la subvention des exportations étaient quelque peu décevants étant donné l'importance des problèmes en cause et compte tenu du fait que les négociations avaient été dures et avaient duré sept longues années. La protection de l'agriculture restait considérable et les marchés agricoles avaient toutes chances de continuer à en souffrir à l'avenir aussi bien sous ses formes traditionnelles que sous de nouvelles formes.

Le chapitre spécial du rapport de 1995 intitulé Le commerce agricole: à l'aube d'une ère nouvelle? analysait les succès et les échecs du Cycle d'Uruguay en se référant particulièrement à l'Accord sur l'agriculture, et soulevait un certain nombre de questions qui restent pertinentes aujourd'hui, dans le contexte de la préparation d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales. Le rapport suggérait que l'on était peut-être à l'aube d'une «ère nouvelle», caractérisée par la déréglementation de l'économie mondiale; la présence croissante des pays en développement sur les marchés mondiaux; les nouveaux flux d'échange résultant des mutations en cours en Europe orientale, dans la CEI et dans les États baltes; et la transformation des marchés mondiaux et des règles commerciales qui avait résulté de la conclusion du Cycle d'Uruguay et de la création de l'OMC. Toutefois, le risque persistait que ces régimes commerciaux ouverts ne restent injustes et ne perpétuent la distribution asymétrique des chances et des bénéfices, des risques et des pertes entre les pays.

La politique d'ouverture commerciale laisse présager une intégration accrue des marchés des produits agricoles mais menace d'exclure certains pays des gains.

CONCLUSIONS

La conception du développement a beaucoup changé au cours du dernier demi-siècle: les problèmes considérés comme les plus importants ne sont plus les mêmes, les priorités ont changé et le rôle que doit jouer l'État dans la promotion du bien-être et du progrès social n'est plus du tout envisagé de la même façon. Dans ce contexte politique changeant, l'agriculture et la sécurité alimentaire n'ont pas toujours occupé une position prioritaire, ce qui permet de penser que l'on avait mal compris le rôle irremplaçable que doit jouer le secteur agricole dans le développement économique et social. Ce relatif désintérêt de la part des autorités correspondait à un désintérêt analogue de la presse et donc de l'opinion publique en général. Bien que de plus en plus, on emploie l'expression «l'ère de l'information» pour désigner les dernières décennies, la presse est relativement silencieuse au sujet de la faim et de l'insécurité alimentaire, qui semblent n'attirer une attention prioritaire que quand des catastrophes exceptionnelles font apparaître leurs manifestations les plus dramatiques. Il en va de même des progrès accomplis dans ce domaine, qui sont encore moins médiatisés. Il est étonnant que l'on se soit si peu intéressé à ce qui peut être considéré comme une des réalisations les plus importantes de l'humanité au cours des 50 dernières années, à savoir l'important recul de la faim dans le monde, particulièrement dans les pays densément peuplés d'Asie, qui prouve que l'insécurité alimentaire, même massive et extrême, peut être vaincue.

En 50 ans le problème de la faim dans le monde a été sensiblement réduit grâce à une meilleure compréhension des difficultés ainsi qu'à une amélioration des institutions et à un accroissement de la productivité agricole.

À l'aube du nouveau millénaire, un consensus se fait jour au niveau international sur la nécessité de combattre la pauvreté et l'insécurité alimentaire car c'est là une condition essentielle pour que le monde devienne plus juste et plus sûr pour tous. Cette tendance gagne du terrain dans le contexte d'une intégration et d'une interdépendance économiques internationales croissantes et d'une plus grande convergence de vues sur les avantages qui peuvent résulter d'une libéralisation et d'une ouverture des marchés. L'ordre international qui naîtra de l'interaction complexe entre tous ces facteurs et toutes les influences est difficile à prévoir. Un défi majeur, qui est traité dans les sections suivantes du présent chapitre, sera d'intégrer les pays et les peuples marginalisés et désavantagés dans le progrès économique et social mondial et de faire en sorte que tous profitent des avantages de la libéralisation et de la mondialisation.

NOTES

1 En Europe comme en Asie, la production céréalière n'a retrouvé les niveaux moyens de 1934-1938 qu'en 1950.

2 A.K. Sen. 1993. Scientific American, mai 1993.

3 CNUCED, document TD/L 37. Avril 1968.

4 A.K. Sen. 1981. Poverty and famines: an essay on entitlement and deprivation, p. 111-112., Clarendon Press, Oxford, Royaume-Uni.

5 L'Engagement international sur la sécurité alimentaire, publié en 1974, invitait les pays à participer volontairement à des programmes en vue d'assurer des réserves alimentaires adéquates à utiliser en temps de pénuries et de crises ainsi que pour amortir les fluctuations de la production et des prix.


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