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Sécurité alimentaire et
nutritionnelle: importance
de la production vivrière

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE AU COURS DES 50 DERNIÈRES ANNÉES

Entre 1945 et 1952, l'Europe a fait des efforts considérables pour retrouver le niveau de production, de consommation et de sécurité alimentaire de l'avant-guerre. L'Asie, considérée à juste titre comme la région la plus fragile, dans laquelle la population était terriblement exposée à la sous-alimentation chronique, n'y était pas encore parvenue au milieu des années 60. En 1960-1962, la famine en Chine a fait entre 23 et 30 millions de morts. En 1965 et 1966, l'Asie du Sud a évité de peu une famine. Plus de 75 pour cent des Asiatiques (90 pour cent de ceux qui sont sous-alimentés) sont tributaires de la production vivrière.

La période suivante a été caractérisée dans une grande partie du monde par une croissance rapide, la révolution verte, des réformes agraires et un recul de la pauvreté. La proportion de personnes souffrant de sous-alimentation chronique dans les pays en développement est tombée de 36 pour cent en 1970 à 20 pour cent en 1990. La proportion d'enfants de moins de cinq ans souffrant d'insuffisance pondérale dans le monde est tombée de 42 pour cent en 1975 à quelque 32 pour cent à la fin des années 90. Le recul de la sous-alimentation a été rapide en Asie de l'Est, assez rapide en Asie du Sud et en Amérique latine, mais négligeable en Afrique, et la situation s'est récemment aggravée dans l'ex-Union soviétique; dans ces deux dernières régions, le taux de mortalité est en hausse. De plus, à l'échelle mondiale, les progrès de la lutte contre la pauvreté et la sous-alimentation ont été plus lents en 1987-2000 qu'en 1970-1985, en raison d'un ralentissement de l'augmentation des rendements des cultures vivrières, de la redistribution des terres et, par conséquent, de la création d'emplois ruraux. Malgré les progrès antérieurs, dans les années 90, 20 pour cent des habitants des pays en développement avaient un apport calorique inférieur au minimum nécessaire pour le métabolisme, le travail et les autres fonctions. Il y a aujourd'hui dans le monde plus de 150 millions d'enfants de moins de cinq ans souffrant d'insuffisance pondérale et plus de 200 millions (plus d'un sur quatre) souffrant d'un retard de croissance. Ces facteurs paraissent être une des causes de la moitié environ des 12 millions de décès annuels d'enfants de moins de cinq ans.

Nonobstant le ralentissement des progrès dans la lutte contre la pauvreté et la sous-alimentation, le recul massif de l'insécurité alimentaire a été de plus en plus attribué aux gouvernements. À l'échelon national, le colonialisme a considérablement reculé à deux reprises, entre 1947 et 1965 et au début des années 90, si bien que dans la plupart des pays l'État est devenu officiellement responsable du bien-être de ses citoyens. Dans ces deux périodes, de nombreux pays (non seulement les ex-colonies) ont fait des progrès vers la démocratie. De plus, les populations se sont organisées de plus en plus efficacement en «sociétés civiles», phénomène qui s'est accompagné d'une expansion de l'alphabétisation, de l'information, de la communication et d'un accroissement de la capacité d'exercer des pressions sur les pouvoirs publics pour obtenir un accès satisfaisant à l'alimentation. À l'échelon international, la sécurité alimentaire a bénéficié d'évolutions parallèles des institutions et de la sensibilisation du public. Sur le plan des institutions, le processus a commencé lorsque la Conférence de Hot Springs de 1943 a dressé les plans de la FAO. Durant le reste du siècle, les organisations internationales ont obtenu un appui, notamment financier, des contribuables de presque tous les pays pour promouvoir les principaux éléments de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

À la Conférence de Hot Springs en 1943, où ont été jetées les bases de la FAO, les pays ont accepté la responsabilité de garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Le Fonds international de développement agricole (FIDA) a été un des premiers à mettre l'accent sur la pauvreté en tant que principale cause de l'insécurité alimentaire. Depuis 1973, la Banque mondiale se préoccupe de l'impact de ses actions sur la pauvreté; mais, depuis les années 80, elle s'est mise à donner la priorité aux stratégies de prêts aux pays. Dans un premier temps ces stratégies mettaient l'accent sur la stabilisation, mais, depuis 1990, elles visent de plus en plus à réduire la pauvreté. Le Président actuel, James Wolfensohn, demande qu'on juge la Banque en fonction de son action sur la pauvreté. Bien que le montant des prêts affectés directement à l'amélioration de la nutrition soit peu élevé (mais non négligeable), la démarche de la Banque part du postulat que la réduction de la pauvreté résultant de l'accroissement de la production agricole est la principale voie qui mène vers la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Toutefois, la proportion des prêts de la Banque (et du total de l'aide) affectée à l'agriculture est en diminution depuis le début des années 80.

Plusieurs conférences internationales, et en particulier la Conférence mondiale sur l'alimentation de 1974, ont précisé les enjeux mais ont aussi suscité des commentaires sarcastiques concernant leurs «résolutions sans résolution». Néanmoins, en 1996, le Sommet mondial pour le développement social de Copenhague (le Sommet social) et le Sommet mondial de l'alimentation de Rome ont adopté pour objectifs de réduire de moitié la pauvreté et la sous-alimentation à l'échelle mondiale pour l'an 2015 et l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a appuyé des mesures visant à faire en sorte que les objectifs soient spécifiés par pays, que les progrès soient évalués et qu'une aide soit affectée à la réalisation de ces objectifs.

Les objectifs de réduction de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire ne sont pas irréalistes. En Asie de l'Est, entre 1970 et 1985, ces deux fléaux ont reculé plus rapidement, ce qui est dû en partie à la transition démographique caractérisée par une forte chute du ratio enfants/adultes et une hausse du ratio travailleurs/personnes à charge (voir la section Populations et besoins: la transition démographique et la sécurité alimentaire, p. 205). Une transition démographique encore plus prononcée est maintenant engagée en Afrique et en Asie du Sud.

L'accroissement de la production alimentaire est nécessaire mais non suffisante pour améliorer la sécurité alimentaire - il faut aussi que les quantités attribuées à chacun augmentent.

Tendances et problèmes passés et actuels: incidences pour le début du XXIe siècle

Les enseignements de la période de l'après-guerre montrent que, pour que la sous-alimentation continue de reculer rapidement dans les pays d'Afrique et d'Asie à bas revenus dans lesquels elle est la plus grave, il faudra que l'augmentation annuelle des rendements des principales cultures vivrières - qui n'a pas dépassé 1 pour cent par an dans les pays en développement dans les années 90 comme dans la période 1950-1965 - retrouve le rythme de 3 pour cent obtenu dans les années 70 et que ces gains de rendement s'étendent aussi à certaines cultures vivrières négligées et aux terres relativement arides délaissées par la révolution verte, particulièrement en Afrique. Malheureusement, en termes réels, le financement de la recherche agricole publique dans les centres internationaux stagne depuis le milieu des années 80 et a diminué en Afrique et en Amérique latine.

En ce qui concerne les facteurs ayant une influence sur la sécurité alimentaire et la nutrition, on peut observer depuis 1945 plusieurs grandes tendances mondiales:

En partie pour cette raison, on se préoccupe de plus en plus de l'équilibre entre l'alimentation, l'état de santé, l'apport en nutriments et l'activité et de la qualité de l'alimentation, qui exige un apport équilibré de micronutriments et pas seulement des calories; de la santé (notamment de la bioabsorption et du biodétournement), du travail et du bien-être des enfants, et non seulement de l'apport alimentaire; et enfin de la suralimentation au même titre que de la sous-alimentation.

En raison des considérations ci-dessus, l'accroissement de la production vivrière, considéré comme un moyen de créer des emplois et d'accroître la consommation locale, est devenu un objectif moins prioritaire depuis le début des années 80. Cela est dû aussi à l'accroissement de la production et des rendements des cultures vivrières en Europe et en Asie; au déclin du prix réel des denrées essentielles; à des préoccupations écologiques; au fait qu'on tend à oublier que de nombreuses personnes pauvres ont besoin d'une production supplémentaire de denrées essentielles pour obtenir un accès à l'alimentation lié au travail; et au fait que l'exploitation de l'avantage comparatif et du commerce international est considérée comme un moyen de réduire la sous-alimentation par la création d'emplois essentiellement non agricoles.

L'augmentation des rendements des cultures vivrières, qui atteignait 3 pour cent par an dans les pays en développement durant les années 70, est retombée à 1 pour cent environ dans les années 90. Il sera d'autant plus nécessaire d'accroître les rendements et, par conséquent, de créer des emplois et d'améliorer l'accès à l'alimentation grâce à l'expansion de la production d'aliments de base dans les régions pauvres que la population active progressera de 2 à 2,5 pour cent par an dans la plupart des pays d'Asie et d'Afrique jusqu'en 2025.

Le rendement potentiel des cultures vivrières tropicales et sous-tropicales a progressé considérablement dans le cas du maïs durant les années 50 et, dans le cas du riz et du blé, durant les années 60, mais depuis le rythme s'est beaucoup ralenti. Dans la plupart des pays dans lesquels la malnutrition est généralisée, contrairement à ce que l'on croit en général, pour accroître rapidement la production d'aliments de base, il faut obtenir une augmentation du rythme de croissance du rendement potentiel. Si l'on veut réorienter la recherche de façon à ce qu'elle réponde aux besoins encore considérables de la lutte contre la malnutrition, il faut éviter de négliger l'action publique nationale et internationale au profit des forces du marché au moins dans un domaine essentiel, celui de la biotechnologie.

Ces considérations suggèrent trois thèmes:

i) L'opposition entre les approches «productivistes» et «distributives» de la sécurité alimentaire ou, en d'autres termes, entre l'insuffisance de la disponibilité alimentaire et celle de l'accès à l'alimentation en tant que cause de la famine et de la faim chronique est dépassée. Pour la plupart des personnes souffrant de sous-alimentation, le revenu additionnel du travail lié à la production des aliments de base locaux a été la clé de l'amélioration de l'accès à l'alimentation entre 1950 et 2000, comme nous le verrons plus loin. Il en restera de même entre 2000 et 2025, en raison de la croissance rapide et durable de la population active et de la nécessité de stabiliser le prix des denrées locales. La création d'emplois suppose, d'une part, un accroissement du rendement des cultures vivrières et, d'autre part, une amélioration de l'accès à la terre, au crédit et aux institutions. Le ralentissement des gains de rendement des cultures vivrières et de leur impact sur l'emploi depuis les années 70 pose de nouveaux problèmes. La révolution verte a montré qu'on pouvait résoudre ces problèmes d'une manière propice à l'amélioration de l'accès à l'alimentation et de la sécurité alimentaire des familles. Toutefois, jusqu'à présent les nouveaux outils prometteurs de la biotechnologie n'ont pas été exploités pour accroître les rendements des cultures vivrières des petits agriculteurs pauvres.

ii) On attache une importance accrue à la sécurité nutritionnelle (voir la section De l'adéquation de l'apport énergétique à la sécurité nutritionnelle, p. 203) en raison du progrès des connaissances, de l'apparition de nouveaux problèmes et de la prise en considération du fait que la nutrition englobe des aspects tels que la qualité et l'équilibre de l'alimentation, la sécurité des aliments et les activités physiques permettant de prévenir l'obésité.

iii) Il faut que les personnes et les organisations qui souhaitent améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle réagissent correctement à l'évolution du rôle de l'État par rapport au marché et de leur action commune à l'égard des groupes particulièrement exposés au risque nutritionnel qui sont plus faibles ou moins actifs sur le plan politique (populations rurales, populations isolées, enfants, femmes, minorités et réfugiés) et aux éventuelles discriminations dont ces groupes sont victimes. Les pouvoirs publics comme le marché ont un rôle essentiel à jouer pour faire en sorte que ces groupes obtiennent les revenus, l'accès à l'alimentation et l'information nécessaires pour assurer la sécurité nutritionnelle. De nombreux adversaires du libre-échange ou de la mondialisation craignent que ces phénomènes, en raison d'interactions perverses entre les États et les entreprises monopolistiques, ne contribuent en rien à améliorer la sécurité nutritionnelle de ces groupes exposés et risquent même d'y nuire. Toutefois, il existe beaucoup d'éléments tendant à montrer que de façon générale, même si la concurrence peut appauvrir encore certains groupes pauvres, les pays qui libéralisent leur marché sont ceux qui ont les meilleures chances d'accroître les revenus, ce qui tend à réduire plus rapidement la pauvreté.

DE L'ADÉQUATION DE L'APPORT ÉNERGÉTIQUE À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Pour la plupart des pauvres du monde, la sécurité alimentaire c'est la garantie que les repas futurs apporteront suffisamment d'énergie. L'encadré 18 donne les différentes définitions de la sécurité alimentaire employées dans le texte.

Encadré 18

ADÉQUATION DE L'ALIMENTATION, SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
ET MALNUTRITION PROTÉINO-CALORIQUE

L'adéquation de l'apport alimentaire individuel (AAAI) est assurée à court terme si l'apport calorique répond aux besoins, lesquels varient en fonction de l'âge, de l'état de santé, du travail et de la stature des adultes, à moyen terme s'il n'y a pas de malnutrition protéino-calorique (MPC)1 aiguë (qui se traduit par une insuffisance pondérale des enfants en fonction de l'âge ou une insuffisance pondérale des adultes en fonction de la taille); et à long terme s'il n'y a pas de MPC chronique (retard de croissance des enfants de moins de cinq ans). Souvent, on considère qu'il y a retard de croissance ou insuffisance pondérale en fonction de l'âge ou de la stature lorsque ces indicateurs sont inférieurs de plus de deux écarts types à la médiane de la population des États-Unis.

La sécurité alimentaire individuelle (SAI) est la possibilité d'avoir accès à une alimentation sûre et nourrissante suffisante pour mener une vie saine, accès qui doit être relativement garanti2. En d'autres termes, la SAI équivaut à un apport alimentaire individuel suffisant raisonnablement garanti. En l'absence d'une telle garantie, les gens ont un comportement excessivement prudent qui les empêche d'échapper à la faim chronique.

La plupart des pauvres obtiennent 70 à 80 pour cent des calories dont ils ont besoin (et de la plupart des autres nutriments) par la consommation d'un ou deux des sept aliments de base consommés dans le monde, qui sont généralement les sources d'énergie et de la plupart des autres nutriments les moins chères. Pour les pauvres, l'accès à ces denrées essentielles est la clé de la SAI.

La sécurité alimentaire des familles (SAF) est nécessaire pour assurer la SAI, mais n'est pas suffisante car la nourriture disponible n'est pas toujours répartie entre les membres de la famille proportionnellement à leurs besoins.

La sécurité alimentaire nationale (SAN) correspond à la capacité du pays de garantir la SAF et la SAI sans renoncer à d'autres objectifs importants. Souvent, pour déterminer le niveau de SAN pour une année donnée, on se fonde: sur la disponibilité énergétique alimentaire (DEA) par personne, tenant compte de la répartition des aliments et des besoins entre les personnes et dans le temps; ou sur le ratio importations de produits alimentaires/exportations totales (mais il faut tenir compte de l'aide alimentaire); ou sur le niveau des stocks de denrées essentielles (stocks publics ou stocks susceptibles d'être mis en vente en cas de hausse des prix) rapporté à la consommation normale.

1La cause immédiate de la MPC paraît être l'insuffisance de l'apport calorique compte tenu des besoins et des maladies infectieuses. Bien que l'insuffisance de l'apport énergétique cause des dommages importants et fréquents, la plupart des nutritionnistes rejettent aujourd'hui l'idée ancienne que l'insuffisance de l'apport protéique (et plus encore l'insuffisance de l'apport de tel ou tel acide aminé) est un problème indépendant qui nécessite la fourniture d'une alimentation spéciale riche en protéines, de compléments alimentaires ou de variétés de céréales particulières. Il est rare qu'un problème de manque de protéines ne puisse pas être résolu simplement par l'accroissement de la consommation de calories.

2 FAO. 1996. La Sixième enquête mondiale sur l'alimentation. Rome

LES CONDITIONS CADRES: POPULATIONS, ALIMENTATION, ACCÈS À L'ALIMENTATION

Populations et besoins: la transition démographique et la sécurité alimentaire

Les 50 dernières années ont été caractérisées par une transformation démographique stupéfiante. La croissance démographique s'est accélérée entre 1940 et 1960 en Amérique latine et en Asie et 10 ans plus tard en Afrique. Elle a concerné essentiellement les enfants de moins de cinq ans, si bien que le ratio enfants/adultes a augmenté. Dix à 20 ans plus tard, ces enfants, lorsqu'ils ont survécu, arrivent sur le marché du travail et les parents, ne craignant désormais plus pour la survie de leurs enfants, ont commencé à réduire leur taux de fécondité. À mesure que la croissance démographique se ralentit, le ratio adultes/enfants, et donc la proportion d'épargnants et de travailleurs dans la population, commence à augmenter rapidement.

De même que la première phase de la transition démographique, caractérisée par une augmentation rapide de la population d'enfants, a eu un effet négatif sur la croissance économique, la distribution des revenus et, par conséquent, la réduction de la pauvreté et de la MPC, la phase suivante, lorsque les enfants atteignent l'âge de travailler et la fécondité diminue, a eu un effet positif. Ces effets sur la sécurité alimentaire sont considérables. Les effets directs sont dus au fait que les familles moins nombreuses sont généralement moins pauvres et, pour un niveau de pauvreté donné, sont moins exposées à la MPC. De façon indirecte, l'augmentation du ratio adultes/enfants explique environ le tiers de l'accroissement des revenus réels par habitant en Asie de l'Est allant de 1965 à 1992. Dans plus de 50 pays en développement et en transition pour lesquels on dispose de données suffisantes sur la pauvreté, les effets de la réduction de la fécondité, par le biais de l'amélioration de la distribution des revenus, sur la réduction de la pauvreté, sont à peu près aussi importants que les effets résultant de l'accélération de la croissance1.

L'avantage démographique que représente l'accroissement du rapport travailleur-personne à charge pourrait aider l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud à réduire l'insécurité alimentaire, comme autrefois l'Asie de l'Est.

Les deux bastions de la pauvreté dans le monde, l'Asie du Sud et l'Afrique subsaharienne, ont entamé leur transition démographique et, au cours des deux prochaines décennies, le ratio travailleurs et épargnants/personnes à charge augmentera très rapidement. Ainsi, au Kenya, selon la projection médiane de l'ONU, le ratio des adultes, qui sont les principaux travailleurs et épargnants, rapporté aux enfants de moins de 15 ans passera de 1,24 en 2000 à 1,87 en 2020. Cette évolution entraînera-t-elle, comme elle l'a fait en Asie de l'Est, une réduction rapide de la pauvreté et de la MPC en Afrique et en Asie du Sud? Pour cela, il faudrait que, comme en Asie de l'Est, il devienne intéressant pour les employeurs de créer des emplois nouveaux et mieux rémunérés permettant d'absorber une population active en expansion. En Asie de l'Est, cette évolution a résulté, dans un premier temps (du milieu des années 60 à la fin des années 80) d'une augmentation des rendements des cultures vivrières et des créations d'emplois liés à la révolution verte; les pays qui ont réussi à poursuivre la lutte contre la pauvreté et la malnutrition sont ensuite entrés dans une deuxième phase caractérisée par un accroissement de l'emploi urbain et rural non agricole.

La forte augmentation du ratio adultes/enfants et par conséquent du ratio travailleurs/personnes à charge et de l'épargne qui est imminente en Asie du Sud et en Afrique offre à ces régions une occasion exceptionnelle d'éliminer les poches de pauvreté et de MPC qui subsistent, comme l'Asie de l'Est a réussi à le faire. Le fait que l'intensification de l'agriculture au moyen de méthodes adaptées aux conditions locales peut permettre d'obtenir de tels résultats durables également dans une grande partie de l'Asie du Sud et de l'Afrique est démontré par le fait qu'elle a eu un tel effet en Asie de l'Est.

FAO/20729/A. PROTO

La pauvreté rurale au Honduras La pauvreté n'est pas la
seule cause de la sous-alimentation

- FAO/20729/A. PROTO

Pauvreté et accès à l'alimentation

La faim, et pas seulement la famine, touche principalement ceux dont l'accès à l'alimentation est insuffisant2. Comme l'a souligné Sen, la production vivrière reste importante car c'est d'elle que dépend pour l'essentiel l'accès à l'alimentation des pauvres, qu'il soit lié à l'agriculture à petite échelle ou à un emploi salarié. Toutefois, on s'attendrait à ce que l'amélioration de la sécurité alimentaire constatée dans l'après-guerre soit associée à un recul massif de la pauvreté. Dans l'ensemble, tel a bien été le cas. La pauvreté a reculé (et l'alimentation et la DEA ont progressé) modérément en Afrique subsaharienne, davantage en Amérique latine principalement entre 1965 et 1978, et en Asie principalement entre 1975 et 19903. La récente réapparition de la pauvreté dans les pays en transition est manifestement liée à l'aggravation de la malnutrition dans ces pays4. Néanmoins, de nombreuses familles pauvres ne souffrent pas de sous-alimentation en raison de l'importance considérable accordée au bien-être des enfants, du faible niveau des besoins en énergie ou d'autres adaptations du comportement. Pour des raisons opposées, de nombreuses familles, qui ne sont pas pauvres, souffrent quand même de sous-alimentation.

Toutefois, la pauvreté et sa principale cause immédiate, à savoir l'insuffisance du revenu retiré du travail salarié ou des activités indépendantes et par conséquent de l'accès à l'alimentation, expliquent en grande partie le risque de sous-alimentation collectif à long terme. Si l'on compare les différentes régions d'un pays et les différents pays, les écarts en matière de recul de la pauvreté sont en partie corrélés avec le recul de l'insuffisance de l'apport calorique et de la sous-alimentation anthropométrique. Par contre, la corrélation entre la réduction de la pauvreté et l'amélioration de la DEA est imparfaite:

Quoi qu'il en soit, ces différentes réserves n'infirment pas l'existence d'une forte corrélation entre la pauvreté et l'insécurité alimentaire et la MPC, qui s'exerce par le biais de l'insuffisance de la DEA.

L'autosuffisance en matière de produits de base n'est pas une indication de la sécurité alimentaire nationale.

Encadré 19

L'AUTOSUFFISANCE NATIONALE EN ALIMENTS DE BASE CONTRIBUE-T-ELLE
À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE?

L'autosuffisance nationale en aliments de base n'est pas nécessairement favorable à la sécurité alimentaire. L'Inde est parvenue à cette autosuffisance et cela n'empêche qu'il y subsiste une malnutrition massive: l'autosuffisance a été obtenue non seulement grâce au fait que la révolution verte a permis d'accroître les rendements et la production du riz et du blé, mais aussi grâce à la persistance d'une pauvreté importante, quoiqu'en déclin. C'est en partie parce que les pauvres ne peuvent pas acheter suffisamment d'aliments de base, c'est-à-dire à cause de l'insuffisance de la sécurité alimentaire des ménages, que la production vivrière est «suffisante».

Lorsqu'ils se développent, de nombreux pays abandonnent progressivement la production vivrière pour exploiter leur avantage comparatif dans le secteur des cultures de rente ou dans la production industrielle, qui permettent d'exporter pour acheter davantage de nourriture. Si, comme c'est le cas en Malaisie, ces exportations accroissent le revenu salarié des pauvres, la diminution du taux d'autosuffisance peut améliorer la sécurité alimentaire des familles. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les importations d'aliments de base ne représentaient que 0,9 pour cent du commerce mondial de ces produits en 1962-1970 et cette proportion est montée jusqu'à 5,7 pour cent en 1989-1997, parallèlement à de grands progrès en matière de nutrition. En revanche, l'évolution similaire observée durant la même période en Afrique subsaharienne (de 2,7 à 4,7 pour cent) ne s'est pas accompagnée de progrès comparables, car peu des pays concernés ont réussi à accroître notablement l'emploi dans les secteurs autres que la production vivrière et leurs exportations, et en conséquence la capacité du pays ou des particuliers d'acheter des aliments de base importés ne s'est guère améliorée.

Dans le processus de développement, l'évolution du degré d'autosuffisance en aliments de base passe généralement par deux phases. Dans la première phase, les importations nettes de ces aliments diminuent, car la production nationale augmente et est absorbée par la population, dont l'état nutritionnel s'améliore en conséquence. Dans la deuxième phase, les importations nettes augmentent, car lorsque le pays atteint un stade de développement plus avancé, les travailleurs quittent l'agriculture et la consommation alimentaire évolue (à mesure que la population est mieux nourrie et moins pauvre) au profit des produits animaux, dont la production nécessite deux à six fois plus de céréales par 1 000 calories de consommation humaine, que la consommation directe de céréales ou de pain. En Extrême-Orient, le déficit vivrier (mesuré par la part du pays dans le commerce mondial des aliments de base) est tombé de 8,4 pour cent dans la première phase (1962-1970) à 4,7 pour cent en 1983-1988. Dans la deuxième phase, il est remonté jusqu'à 10,3 pour cent en 1995-1997. Durant les deux phases, la malnutrition protéino-calorique a beaucoup reculé. Dans ces conditions et compte tenu de l'avantage comparatif, il faut se demander si l'accroissement du taux d'autosuffisance pour les aliments de base est un moyen efficient d'améliorer la sécurité alimentaire des familles:

  • dans les environnements agroécologiques appropriés;

  • aux premiers stades du développement, durant lesquels la réduction de la pauvreté dépend essentiellement de la création d'emplois ruraux viables; et

  • dans les pays ou les régions isolées qui sont très vulnérables ou dans lesquels le transport des produits alimentaires est coûteux?

  • NIVEAUX ET TENDANCES D'ÉVOLUTION DE L'APPORT ÉNERGÉTIQUE

    Autosuffisance pour les aliments de base et sécurité alimentaire nationale

    Pour accroître la sécurité alimentaire nationale (voir encadré 19), on peut chercher à accroître le taux d'autosuffisance pour les aliments de base, la capacité d'importation d'aliments de base ou les stocks. L'évolution du taux d'autosuffisance en produits alimentaires de base d'un pays ne reflète pas fidèlement l'évolution de la sécurité alimentaire, même si elle aide à en comprendre les causes:

    On peut employer un autre indicateur de la sécurité alimentaire nationale, à savoir le ratio importations de produits alimentaires/exportations totales. Les pays dans lesquels ce ratio est faible peuvent surmonter sans trop de dommages des mauvaises récoltes ou une forte hausse du prix des aliments importés. Dans les années 1988 à 1990, il y avait 11 pays d'Afrique (dont l'Éthiopie, l'Égypte et le Mozambique) dans lesquels ce ratio était supérieur à 55 pour cent, niveau qui n'est atteint, parmi les pays en développement non africains, qu'en Haïti, à Samoa et au Yémen. Le tableau 10 ci-après indique un ratio encore plus pertinent, celui des importations nettes d'aliments de base rapportées aux exportations de produits non vivriers, pour quelques grands pays.

    Tableau 10

    DÉFICITS VIVRIERS

     

    1961-63

    1965-67

    1975-77

    (millions de $EU)

    1985-87

    1995-97

    Brésil
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    168,5
    1 323,8
    12,7


    138,7
    1 613,8
    8,6


    310,0
    10 101,5
    3,1


    770,2
    21 752,4
    3,5


    1 933,1
    33 079,7
    5,8

    Chine
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    330,3
    1 467,5
    22,9


    245,9
    2 036,1
    12,1


    260,4
    6 721,7
    3,8


    360,9
    32 556,4
    1,1


    1 601,4
    160 073,2
    1,0

    Inde
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    367,0
    1 466,5
    25,0


    797,7
    1 659,1
    48,1


    1 019,3
    5 301,1
    19,2


    -175,3
    9 862,0
    -1,8


    -1 162,9
    32 041,0
    -3,6

    Indonésie
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    123,3
    720,5
    17,1


    68,3
    681,6
    10,0


    555,0
    8 828,9
    6,3


    258,6
    18 380,9
    1,4


    1 609,7
    49 525,0
    3,2

    Kenya
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    -1,0
    169,6
    -0,6


    -1,3
    234,7
    -0,6


    -4,9
    810,5
    -0,6


    +17,1
    1 041,9
    1,6


    112,4
    2 074,3
    5,4

    Mexique
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    19,6
    840,9
    2,3


    74,6
    1 036,7
    7,2


    329,4
    3 382,2
    9,7


    434,0
    20 332,7
    2,1


    1 397,2
    57 340,6
    2,4

    Nigéria
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    18,6
    496,3
    3,7


    21,0
    741,1
    2,8


    296,5
    10 102,1
    2,9


    378,5
    9 045,4
    4,2


    422,0
    16 246,5
    2,6

    Soudan
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    10,4
    199,6
    5,2


    9,6
    200,4
    4,8


    10,7
    538,6
    2,1


    1 308,3
    383,5
    34,1


    1 092,0
    554,1
    19,7

    Ex-URSS
    1. Importations nettes d'aliments de base
    2. Exportations non vivrières
    3. 1 rapporté à 2 (pour cent)


    -378,3
    6 263,7
    -6,0


    69,3
    8 444,8
    0,8


    2 138,0
    37 943,5
    5,6


    3 612,0
    96 580,4
    3,8


    1 906,7*
    64 766,5*
    3,0*

    *1995 seulement
    Source: FAO.

    Ce ratio donne une meilleure indication de la sécurité alimentaire nationale que le taux d'autosuffisance. Il confirme la précarité de la situation alimentaire en Chine au début des années 60, en Inde en 1965 et 1966 lorsque les revenus salariaux des paysans sans terre ont brutalement diminué en raison d'une succession de moussons catastrophiques, et au Soudan durant la guerre civile. Toutefois, il faut l'employer avec précaution. Le recul des importations nettes d'aliments de base peut être dû non seulement à une augmentation de la production nationale, mais aussi à une paupérisation de la population. L'augmentation des exportations non vivrières (comme les exportations de pétrole du Nigéria, de l'ex-URSS et de l'Indonésie) contribue parfois beaucoup moins qu'on ne pourrait s'y attendre à l'amélioration de l'offre vivrière par le biais de l'importation. Le ratio stocks publics/consommation normale donne des indications sur la sécurité alimentaire nationale. Ces stocks permettent, dans les années de pénurie, de mettre sur le marché une quantité importante de produits vivriers, ce qui aide les pauvres en freinant la hausse des prix. En outre, ils encouragent les négociants à vendre leurs stocks plutôt que de pratiquer l'accaparement lorsque les prix commencent à augmenter; au Bangladesh, le fait qu'il y a eu une famine en 1974 et qu'il n'y en a pas eu en 1984 s'explique probablement par le fait que dans un cas les pouvoirs publics avaient les moyens de mettre des stocks sur le marché et pas dans l'autre6.

    Sous-alimentation: DEA quotidienne potentielle et effective

    Pour les Première et Deuxième enquêtes mondiales sur l'alimentation7, la FAO avait mesuré la sous-alimentation potentielle en comparant la disponibilité énergétique alimentaire (DEA) moyenne par personne et par jour, à l'échelon national et régional aux besoins moyens. Depuis la Troisième enquête et surtout depuis la Quatrième, elle a aussi tenu compte de la distribution des produits alimentaires disponibles. L'estimation de la disponibilité dépend souvent de données peu fiables sur la production et l'estimation des besoins est controversée. Toutefois, les tendances de fonds et les inflexions majeures de la DEA sont généralement significatives et, comme nous le verrons plus tard, sont nettement corrélées avec la MPC et, par conséquent, la sécurité alimentaire des familles. Le tableau 11, p. 212, récapitule les données relatives à la DEA sur une longue période.

    Tableau 11

    DEA PAR HABITANT DANS CERTAINES RÉGIONS ET PAYS, 1934-1997

     

    1934-381

    1946-492

    1961-63

    1976-78

    1988-90

    1995-97

         

    (kcal/jour)

       

    Afrique

       

    2100

    2220

    2320

    2415

    Subsaharienne

       

    2040

    2060

    2080

    2190

    Centrale3

    2060

    2080

    2150

    2150

    2050

    2080

    Orientale

       

    1980

    2040

    1960

    2010

    Occidentale

       

    2090

    2030

    2200

    2400

    Ghana

       

    2020

    2020

    2090

    2620

    Ouganda

     

    2100

    2240

    2250

    2170

     

    Kenya

    22304

    -

    2130

    2260

    1950

    1980

    Mozambique

       

    1950

    1950

    1830

    1780

    Nigéria

       

    2160

    1970

    2190

    2750

    Asie

       

    1920

    2170

    2520

    2660

    Asie du Sud

    1970

    1770

    2020

    2040

    2270

    2350

    Bangladesh

       

    2090

    2040

    2050

    2080

    Cambodge

    18505

    1560

    2020

    1620

    1920

    2050

    Chine

    2230

    2030

    1710

    2120

    2640

    2840

    Inde

    19706

    1700

    2040

    2040

    2290

    2470

    Amérique latine et Caraïbes

       

    2340

    2600

    2710

    2770

    Amérique centrale

       

    2390

    2720

    2910

    2924

    Amérique du Sud

       

    2350

    2570

    2650

    2790

    Brésil

    2150

    2340

    2250

    2550

    2760

    2930

    Mexique

    1800

    2050

    2530

    2880

    3080

    3110

    Pérou

    1860

    1920

    2170

    2120

    2120

    2360

    Pays en transition

       

    3150

    3410

    3380

    2780

    Europe de l'Est

    3160

    3470

    3420

    2950

       

    Pays en développement

       

    1960

    2200

    2490

    2627

    Pays développés

       

    2970

    3190

    3300

    3220

    1 1931-1937 pour la Chine; 1935-1939 pour le Brésil.
    2 1949-1950 pour l'Inde et la Chine.
    3 Afrique centrale et tropicale pour 1934-1938 et 1946-1949.
    4 Y compris l'Ouganda.
    5 Indochine française.
    6 Y compris le Pakistan.
    Note: Les moyennes triennales ont été estimées pour la période 1961-1963 à 1995-1996. Les périodes choisies après 1961-1963 correspondent à celles durant lesquelles on a observé une inflexion de l'évolution de la DEA dans plusieurs régions. La FAO emploie la méthode du bilan alimentaire, qui dépend de la fiabilité des données relatives à la production vivrière, laquelle est toute relative pour les cultures de racines et tubercules des petits agriculteurs et les cultures de céréales en Afrique subsaharienne. Il convient d'ignorer les variations mineures sur de courtes périodes. Tous les chiffres sont arrondis.
    Sources: FAOSTAT; FAO. 1946. La Première enquête mondiale sur l'alimentation. Washington; FAO. 1953. La Deuxième enquête mondiale sur l'alimentation. Rome

    Avant 1939, sur des territoires habités par plus de la moitié de la population mondiale, la disponibilité alimentaire au niveau du commerce de détail était inférieure à 2 250 calories par habitant et par jour. Dans de nombreux grands pays, la disponibilité énergétique totale moyenne était d'environ 2 000 calories ou moins8. L'Europe a rapidement réussi à surmonter les pénuries de l'après-guerre, mais la proportion de la population mondiale vivant dans des pays dans lesquels la DEA était inférieure à 2 200 calories par jour est passée d'environ 40 pour cent juste avant la guerre à quelque 60 pour cent à la fin des années 40. Dans la plupart des pays d'Extrême-Orient, où vit près de la moitié de la population mondiale, la DEA a diminué de 10 pour cent environ. Dans les années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, elle était inférieure de 24 pour cent aux besoins en Inde, de 21 pour cent dans l'Afrique du Nord occupée par la France et de 18 pour cent au Mexique9.

    Les chiffres du tableau 11 ci-dessus montrent qu'en Chine, en Inde et au Kenya, même en 1976-1978, la DEA n'avait pas retrouvé le niveau atteint en 1934-1938, lui-même insuffisant; par contre, la situation s'était beaucoup améliorée en Amérique latine. La série des moyennes triennales confirme que la période de 1976-1978 a marqué un tournant. En Inde, en Chine et dans quelques autres pays d'Asie, la DEA qui n'avait jusque-là guère évolué s'est rapidement accrue. En Afrique centrale et en Afrique de l'Est, la stagnation a été suivie d'une détérioration durable. En Afrique de l'Ouest, il est intéressant de constater qu'il n'y a pas eu de variation notable entre 1961-1963 (2 090 kcal) et 1982-1984 (1 990 kcal) mais qu'ensuite la DEA a régulièrement progressé jusqu'à atteindre 2 400 kcal en 1995-1997.

    Encadré 20

    SOUS-ALIMENTATION CALORIQUE ET ANTHROPOMÉTRIQUE, PAR RÉGION

    Région

    Années

    Population sous-alimentée

       

    Calorique1

    Statut anthropométrique des enfants de moins de cinq ans

       

    Population dont le MB est inférieur à 1,54 Millions (%)

    Dépérissement2 Millions (%)

    Retard de croissance2 Millions (%)

    Insuffisance pondérale3 Millions (%)

    ENSEMBLE DES PAYS EN
    DÉVELOPPEMENT

    1969-71

    918

    35

               
     

    1979-81

    906

    28

           

    164,0

    37,8

     

    1990-92

    841

    20

    47,9

    9,1

    215,2

    40,7

    183,5

    34,3

    Asie de l'Est et du Sud-Est4

    1969-71

    476

    41

               
     

    1979-81

    379

    27

           

    22,8

    39,1

     

    1990-92

    269

    16

    9,4

    5,2

    59,8

    33,3

    19,9

    31,3

    - Chine

    1980

               

    20,5

    23,8

     

    1990

               

    23,6

    21,8

    Asie du Sud

    1969-71

    238

    33

               
     

    1979-81

    303

    34

           

    89,9

    63,7

     

    1990-92

    255

    22

    26,6

    17,1

    92,7

    59,5

    101,2

    58,5

    Afrique subsaharienne

    1969-71

    103

    38

               
     

    1979-81

    148

    41

           

    19,9

    28,9

     

    1990-92

    215

    43

    6,1

    7

    33,7

    38,8

    28,2

    29,9

    Afrique du Nord et Proche-Orient

    1969-71

    48

    27

               
     

    1979-81

    27

    12

             

    17,2

     

    1990-92

    37

    12

    4,4

    8,8

    16

    32,4

    6,8

    13,4

    Amérique latine et Caraïbes

    1969-71

    53

    19

               
     

    1979-81

    48

    14

               
     

    1990-92

    64

    15

    1,5

    2,6

    12,7

    22,7

    11,7

    20,4

    - Amérique centrale/Caraïbes

    1980

               

    3,1

    17,7

     

    1990

               

    3,0

    15,4

    - Amérique du Sud

    1980

               

    3,1

    9,3

     

    1990

               

    2,8

    7,7

    Sources:
    1 FAO. 1996. La Sixième enquête sur l'alimentation dans le monde, Rome. Les estimations les plus récentes sur le nombre de personnes sous-alimentées se trouvent dans FAO. 1999. L'état de l'insécurité dans le monde 1999. Rome.
    2 FAO. 1996. La Sixième enquête sur l'alimentation dans le monde, Rome.
    3 ONU CAC/SCN. 1992. Second Report on the World Nutrition Situation, Vol. 1, p. 67. Washington. Les projections pour 2020 proviennent de
    M. Rosegrant. M. Agcaioli-Sombilla et D. Perez. 1995.Global food projections to 2020: implications for investment. Food, Agriculture and Environment Discussion Paper No. 5. IFPRI, Washington.
    Asie du Sud- Est uniquement pour la colonne «insuffisance pondérale», car des données distinctes sont données pour la Chine.
    Définitions:
    MB: Métabolisme basal.
    Dépérissement: Insuffisance pondérale par rapport à la taille, mesurée par rapport à la valeur médiane de la population de référence des États-Unis. Le seuil retenu ici est égal à la médiane moins deux écarts types. Les chiffres du tableau indiquent la prévalence totale du dépérissement (modéré et grave).
    Retard de croissance: Taille insuffisante par rapport à l'âge, en comparaison avec la valeur médiane d'une population de référence normalisée. Seuil identique au précédent.
    Insuffisance pondérale: Insuffisance du poids par rapport à l'âge, par comparaison avec la valeur moyenne d'une population de référence normalisée. Seuil identique au précédent (UNICEF. 1993. Child malnutrition country profiles. New York).

    La DEA par personne a augmenté d'environ 20 pour cent à ce jour par rapport au milieu des années 70 en Afrique de l'Ouest et en Asie et d'environ 7 pour cent en Amérique latine (mais la situation initiale y était bien meilleure). Durant la même période, elle semble avoir diminué d'environ 2 à 3 pour cent en Afrique de l'Est et en Afrique centrale, à partir d'un niveau déjà insuffisant. Le fait qu'une amélioration du potentiel de réduction de la sous-alimentation (amélioration de la DEA journalière moyenne calculée sur la base du bilan alimentaire) se traduit par une réduction effective de la proportion de personnes sous-alimentées peut être montré de deux façons:

    L'accroissement des disponibilités alimentaires se traduit par une réduction de la sous-alimentation.

    Selon certains observateurs, le manque de fiabilité connu des estimations de la production alimentaire nationale pour la plupart des pays d'Afrique entraîne une sous-estimation considérable de la DEA moyenne sur ce continent. Quoi qu'il en soit, au niveau des pays et des régions, les indicateurs anthropométriques et la DEA évoluent généralement dans le même sens (encadré 20).

    L'accroissement considérable de la DEA et, comme nous le verrons plus loin, de la MPC à l'échelle mondiale ne doit pas inciter à un optimisme excessif en ce qui concerne la sécurité alimentaire. Plus de 800 millions de personnes sont encore gravement sous-alimentées en termes de DEA. En Afrique, il n'y a eu aucune amélioration séculaire et dans les pays en transition la DEA réelle pourrait être en recul. Surtout, malgré des signes encourageants dans les pays les plus touchés par l'insuffisance de la DEA et par la MPC - transition démographique en Afrique et accélération de la croissance en Asie du Sud - il se peut que les conditions d'une amélioration continue de l'accès à l'alimentation, à savoir la croissance de l'emploi et l'augmentation du rendement des cultures vivrières, se détériorent.

    Tableau 12

    ÉVOLUTION DE LA MPC DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT: ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS POUR LESQUELS LES INDICATEURS SONT INFÉRIEURS À DEUX ÉCARTS TYPES EN DESSOUS DE LA MÉDIANE DES ÉTATS-UNIS

    Région (Nations Unies)

    Retard de croissance

    Insuffisance pondérale

    Émaciation

     

    1980

    1990

    1995

    2000

    1980

    1990

    1995

    2000

    1995

    Afrique

    Orientale

    Du Nord

    Occidentale

    40,5

    46,5

    32,7

    36,2

    37,8

    47,3

    26,5

    35,5

    36,5

    47,7

    23,3

    35,2

    35,2

    48,1

    20,2

    34,9

    26,2

    24,9

    17,5

    30,1

    27,3

    30,4

    15,6

    33,3

    27,9

    33,2

    14,8

    34,9

    28,5

    35,9

    14,0

    36,5

    9,6

    7,0

    7,2

    15,6

    Asie

    Méridionale-centrale

    Sud-orientale

    52,2

    60,8

    52,4

    43,3

    52,2

    42,6

    38,8

    48,0

    37,7

    34,4

    43,7

    32,8

    43,9

    58,1

    43,5

    36,5

    50,9

    39,9

    32,8

    47,3

    32,6

    29,0

    43,6

    28,9

    10,4

    15,4

    10,4

    Amérique latine et Caraïbes

    Caraïbes

    Amérique centrale

    Amérique du sud

    25,6

    27,1

    26,1

    25,1

    19,1

    21,7

    25,0

    17,2

    15,8

    19,0

    24,5

    13,2

    12,6

    16,3

    24,0

    9,3

    14,2

    22,9

    15,1

    13,2

    10,2

    17,2

    15,2

    8,2

    8,3

    14,4

    15,3

    5,7

    6,3

    11,5

    15,4

    3,2

    2,9

    n,a,

    4,9

    1,8

    PAYS EN
    DÉVELOPPEMENT

    47,1

    39,8

    36,0

    32,5

    37,4

    32,1

    29,2

    26,7

    9,4

    Sources: CAC/SCN. 2000. Fourth Report on the World Nutrition Situation. Genève; et WHO Global Database on child Growth, 1990.

    Sécurité alimentaire des familles et MPC

    L'incidence de la MPC chez les enfants, mesurée d'après le poids en fonction de la taille, la taille en fonction de l'âge ou le poids en fonction de l'âge, est scandaleusement élevée, bien qu'elle tende à diminuer. En 1995, quelque 36 pour cent des enfants de moins de cinq ans des pays en développement (197 millions d'enfants) présentaient un retard de croissance, 29 pour cent une insuffisance pondérale en fonction de l'âge et 9 pour cent une insuffisance pondérale en fonction de la taille, symptômes qui, dans les pays riches, conduisent généralement à une hospitalisation. On considère que la MPC est associée au décès d'environ 6 millions d'enfants par an et à la persistance jusqu'à l'âge adulte d'une arriération mentale, d'une capacité de travail physique réduite et d'une réponse immunitaire insuffisante pour des millions d'autres.

    Le manque de fiabilité des estimations est moins problématique lorsqu'on cherche à déterminer l'évolution de la MPC que lorsqu'on cherche à établir son niveau. Le tableau 12 fait apparaître une amélioration lente mais régulière des indicateurs de MPC et, par conséquent, de l'adéquation de l'apport alimentaire individuel, dans les régions autres que l'Afrique subsaharienne. Cette évolution est confirmée par des enquêtes nationales portant sur les retards de croissance des enfants de moins de cinq ans sur la période 1980-199511 et de l'insuffisance pondérale sur la période 1976-199512. Si l'on pouvait comparer toutes les périodes de 50 ans de l'histoire de l'humanité, la période 1950-2000 serait presque certainement celle durant laquelle l'amélioration de l'état nutritionnel a été la plus rapide et la plus généralisée.

    FAO/11231/Y. MULLER

    Insécurité alimentaire résultant des catastrophes
    naturelles
    Un enfant mal nourri à cause de la perte d'une
    récolte de céréales dans le district de Navrongo (Gambie),
    où les deux tiers des récoltes ont été détruites par la
    sécheresse

    - FAO/11231/Y. MULLER

    SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ ALIMENTAIRES: ÉCARTS DANS LE TEMPS ET DANS L'ESPACE

    Saisons, années et famines

    Au-delà de l'insuffisance de l'apport calorique «normal», les personnes vulnérables sont exposées à des périodes de détérioration brutale - mauvaises saisons ou mauvaises années. L'amélioration de la DEA moyenne réduit l'insécurité alimentaire liée à ces périodes néfastes, de même que l'intégration du marché des produits alimentaires et les mesures publiques visant à réduire l'instabilité de l'apport nutritionnel et du prix des produits alimentaires. C'est pourquoi les famines sont devenues beaucoup plus rares depuis 1945; depuis 1963 elles sont presque inexistantes en Asie alors qu'elles se sont multipliées en Afrique; depuis les années 70, la plupart des famines sont dues à des situations de guerre, de guerre civile ou d'anarchie. Une des raisons du recul et du déplacement géographique des famines est à rechercher dans les progrès du pluralisme et de l'ouverture politiques; à l'ère de la communication instantanée et notamment de la télévision, il est presque impossible que la famine (par opposition à la sous-alimentation chronique parfois mortelle) persiste dans une société ouverte et démocratique13. Depuis la grande catastrophe qui a touché la Chine en 1959-1961, il n'y a quasiment pas eu de famines faisant plus de 500 000 morts en Asie, alors que de tels événements étaient assez fréquents autrefois. La plus grave famine asiatique depuis cette date, celle qui a touché le Bangladesh en 1974-1975, a fait moins d'un demi-million de morts. L'Afrique subsaharienne est la région qui a payé le plus lourd tribut à la famine, mais le nombre de morts n'a approché le million qu'en Éthiopie en 1984-198514. À l'échelle mondiale, la mortalité due à la famine ou à la sécheresse a beaucoup fluctué; ainsi, pendant la période 1982-1986, il y a eu une accumulation de guerres ou de troubles civils dans plusieurs pays frappés par la sécheresse (tableau 13). Depuis le milieu des années 60, la MPC chronique, dont sont actuellement victimes quelque 800 millions de personnes et qui tue 6 millions d'enfants de moins de cinq ans chaque année, a fait beaucoup plus de morts que les famines.

    Tableau 13

    SÉCHERESSES ET FAMINES, 1972-1996

    Année

    Nombre moyen de personnes tuées par la famine et la sécheresse

    Nombre moyen de personnes affectées

    Nombre moyen de sans-abri

       

    (Milliers)

     

    1972-76

    1977-81

    1982-86

    1987-91

    1992-96

    254

    0

    112

    2

    0,5

    43563

    52123

    103247

    75852

    21480

    0

    0

    100

    10

    0

    Source: Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. 1998; World Disasters Report. Oxford University Press, Oxford, Royaume-Uni.
    Note: Les chiffres 0 et 0,5 sont manifestement très sous-estimés.

    Le nombre de cas de dégradation saisonnière grave de la nutrition a aussi presque certainement diminué, mais on dispose d'un très grand nombre d'éléments montrant que ce phénomène cause des dommages considérables. Dans les régions où on observe des fluctuations saisonnières, la population s'adapte de façon à réduire le stress, tant dans son comportement (stockage ou emprunt) que sur le plan biologique (tendance à accumuler et à perdre de la graisse plutôt que du muscle)15. Toutefois, certaines mauvaises saisons sont pires que la moyenne ou font suite à de mauvaises récoltes ou à des périodes de récession économique et les pauvres, en particulier s'ils souffrent d'une insuffisance de la DEA moyenne et, par conséquent, d'un sous-développement physique, sont plus exposés au stress saisonnier et ont plus de mal à y faire face. Les facteurs humains ont une influence considérable: en 1994, quelque 370 millions d'Asiatiques ruraux vivaient dans des zones dans lesquelles ils étaient exposés aux effets nutritionnels de fortes variations saisonnières des récoltes, alors que ce n'était le cas que pour 33 millions d'Africains. Toutefois, comme en Asie l'irrigation est beaucoup plus développée et l'accès à l'alimentation est meilleur, il est probable que le déficit nutritionnel saisonnier touche davantage d'Africains que d'Asiatiques.

    Trois catégories de personnes sont particulièrement exposées aux fluctuations saisonnières de la disponibilité alimentaire. Le taux de mortinatalité augmente si la disette se produit durant le deuxième trimestre de la grossesse et le taux de mortalité augmente en cas de sous-alimentation des enfants âgés de six à 12 mois, c'est-à-dire la période où ils perdent leur immunité passive avant qu'elle ne soit remplacée entièrement par l'immunité active16. En outre, les enfants nés en période de disette sont exposés à un risque de mortalité considérablement accru à l'âge adulte. En Gambie, on a étudié les chances de survie de plus de 3 000 enfants nés en différentes saisons sur plus de 50 ans, ce qui a montré que le taux de mortalité était beaucoup plus élevé chez les adultes nés durant la saison creuse. Les maladies infectieuses et leurs effets secondaires étaient la principale cause de ces décès additionnels, ce qui donne à penser que la sous-alimentation dans le très jeune âge entraîne une fragilité permanente du système immunitaire17.

    La sous-alimentation saisonnière a des conséquences durables sur la santé physique et économique.

    RÉPARTION PAR GROUPE ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

    L'insécurité alimentaire et nutritionnelle des populations rurales ou isolées, des femmes, des réfugiés et des personnes déplacées ainsi que celle des minorités ethniques et des enfants18 aggravent les autres facteurs de vulnérabilité de trois manières.

    Les handicaps ci-après se rencontrent généralement plus souvent associés les uns aux autres: éloignement géographique, ruralité, discrimination à l'égard des femmes, manque d'écoles, mauvais assainissement, absence ou éloignement des soins de santé, pauvreté, travail lourd avec des pointes saisonnières même pendant les périodes de grossesse et faible consommation de calories par personne20.

    Ruralité

    La consommation moyenne de calories est généralement un peu plus élevée dans les campagnes que dans les villes, mais pas parmi les plus pauvres. Dans les campagnes de l'Inde, le décile le plus pauvre de la population ne consommait que 1 212 kcal par personne et par jour en 1972-1973 (malgré le fait que l'alimentation représentait 82 pour cent de ses dépenses de consommation), contre 1 316 (79 pour cent) dans les villes, ce qui reste très insuffisant. Dans les zones rurales, le travail est généralement plus dur et les infections plus fréquentes et les femmes ont davantage de grossesses que dans les villes, en particulier dans les familles qui dépendent d'un travail salarié, si bien que les besoins alimentaires sont accrus. Comme l'insuffisance relative de l'alimentation est plus grave dans les campagnes que dans les villes, l'insuffisance pondérale et les retards de croissance y sont généralement 1,5 fois plus fréquents21.

    Depuis 1980 environ, en raison de la réaffectation des zones agricoles et de l'exode rural, la proportion de personnes souffrant de MPC vivant dans les villes a augmenté, de même que, en général, le nombre absolu d'habitants des villes souffrant de MPC. Toutefois, l'incidence de la sous-alimentation, déjà plus grande dans les campagnes, a eu tendance à s'aggraver encore par rapport à celle observée dans les villes. Le rapport entre l'incidence rurale et l'incidence urbaine de l'insuffisance pondérale, des retards de croissance, de la pauvreté et des décès précoces a eu tendance à augmenter, sauf en Afrique où les disparités étaient déjà les plus grandes au départ. Les 60 pour cent de la population mondiale qui vivent en Asie ont bénéficié de progrès considérables en matière de sous-alimentation, de mortalité infantile et de pauvreté, mais dans la plupart des pays cela s'est accompagné par une aggravation des disparités entre les villes et les campagnes et entre les différentes régions22.

    Un des aspects de ce «cumul des handicaps» est que, même si les indicateurs nutritionnels divergent dans les mêmes proportions pour les femmes et les hommes entre les campagnes et les villes, les femmes rurales souffrent davantage. Par rapport aux femmes qui habitent dans les villes, les risques liés à l'insuffisance de la consommation alimentaire sont aggravés par le fait qu'elles ont moins de chances d'obtenir l'aide d'un professionnel pour les accouchements et d'accéder à l'éducation.

    Disparités régionales

    En Chine, dans la plupart des autres pays d'Asie et en Amérique latine, les régions isolées, marginales, arides ou montagneuses sont les plus exposées à la fois à la sous-alimentation calorique et aux autres handicaps qui accentuent son impact sur la mortalité et sur le développement des survivants: insuffisance des soins de santé, des écoles et du réseau routier, forte proportion de populations souffrant de discrimination linguistique ou autre, notamment les minorités ethniques. Au Brésil, la pauvreté n'explique qu'en partie pourquoi l'état nutritionnel est beaucoup moins bon dans le nord et le nord-est que dans le reste du pays; l'insuffisance de l'accès aux soins de santé est probablement l'autre explication principale23.

    Ressources productives

    Dans certaines régions (zones rurales d'Afrique du Sud, nord-est du Brésil), les inégalités de revenu sont si grandes qu'une croissance même rapide n'a guère d'impact sur la MPC ou la pauvreté, ce qui est généralement dû en grande partie à l'extrême inégalité de la répartition des actifs productifs, en particulier la terre et l'éducation. La mortalité infantile, qui est très liée à la MPC, est souvent plus forte parmi les paysans sans terre que parmi les petits agriculteurs. Des réformes agraires ont été associées à des progrès considérables en matière de lutte contre la sous-alimentation et la pauvreté.

    Les femmes instruites se marient plus tard et ont moins d'enfants. Leurs familles sont mieux nourries car elles ont de meilleures connaissances en matière d'alimentation et d'agriculture, la proportion de personnes à charge est moins grande et il y a moins de rivalité entre les frères et sœurs24. Ce que l'on sait moins, c'est que lorsque l'accès à l'éducation est extrêmement inégal (selon les régions, le sexe ou le niveau de revenu), la MPC est aggravée, en particulier chez les plus vulnérables (les jeunes enfants), par le fait que les parents peu instruits ont davantage d'enfants.

    Discrimination entre les sexes

    Quel est le rôle de la discrimination entre les sexes dans la MPC et/ou la suralimentation? Dans certains pays, des études ont montré que les retards de croissance ou l'insuffisance pondérale étaient beaucoup plus fréquents que ne laisse prévoir la DEA moyenne. Cela résulte en partie d'une adaptation, mais aussi du fait que l'accès à l'alimentation et aux soins de santé (et par conséquent le traitement des maladies infectieuses qui a une incidence sur l'efficience de l'alimentation) est particulièrement inégal entre les sexes dans certains pays. Ce facteur explique la gravité de l'insuffisance pondérale et des retards de croissance en Inde (dans le nord de l'Inde, comme au Bangladesh et au Pakistan, la répartition de la nourriture est très défavorable aux fillettes âgées de deux à cinq ans, ce qui a des effets néfastes avérés)25; il en va probablement de même en Mauritanie. Les effets négatifs de la discrimination sexuelle sur l'état nutritionnel peuvent s'aggraver même lorsque l'état nutritionnel général s'améliore. En Inde, l'indice de masse corporelle chez les adultes était inférieur à 16 (troisième degré de carence calorie chronique) chez 11,4 pour cent des hommes en 1975-1979 mais seulement chez 8,8 pour cent en 1988-1990, alors que pour les femmes la proportion n'est passée que de 12,7 pour cent à 11,3 pour cent26.

    Les fillettes âgées de deux à quatre ans sont très défavorisées par rapport aux garçons en ce qui concerne la DEA relative (rapportée aux besoins) et/ou l'accès aux soins de santé, et par conséquent en ce qui concerne la MPC, dans de nombreuses parties d'Asie, mais pas en Afrique subsaharienne ni en Amérique latine27. En outre, presque partout les filles ont moins accès à l'éducation que les garçons, et par conséquent moins de possibilités d'obtenir un emploi qualifié.

    Outre leur incidence directe sur la sécurité alimentaire des femmes, les disparités entre les sexes ont des effets négatifs sur la sécurité alimentaire des enfants, par deux mécanismes. Premièrement, le revenu - et tout revenu additionnel - a plus de chances d'être consacré à l'amélioration de l'alimentation des enfants de moins de cinq ans s'il revient à la mère. Deuxièmement, la discrimination dont sont victimes les fillettes en matière d'alimentation ou de soins de santé ramène l'espérance de vie des femmes au même niveau que celle des hommes - alors qu'ailleurs elle la dépasse de trois à six ans - et se répercute sur les générations suivantes. Les difficultés de la grossesse dues à la petitesse de l'utérus se traduisent par une insuffisance pondérale à la naissance qui met en danger la vie et le développement de l'enfant, ce qui explique peut-être en partie pourquoi, dans plusieurs pays d'Asie du Sud, l'insuffisance pondérale et les retards de croissance sont plus fréquents que dans de nombreux pays d'Afrique dans lesquels l'apport calorique est inférieur et sa distribution entre les familles est similaire28.

    Réfugiés et personnes déplacées

    Le nombre de réfugiés était estimé à 1,8 million en 1960 et est resté compris entre 1,5 et 2,5 millions jusqu'en 1976. Ensuite il a fortement augmenté pour culminer à 18 ou 19 millions en 1991-1992, avant de retomber à quelque 12 millions à la fin de 1998. En Afrique subsaharienne, le nombre total de réfugiés et de personnes déplacées est tombé d'un maximum de 16 millions en 1995 à 12 millions en 1997; en Asie, le nombre de réfugiés est tombé de 5,8 millions à la fin de 1993 à 4,5 millions à la fin de 1995, auquel il faut ajouter plus de 1,7 million de personnes déplacées.

    Toutefois, les personnes déplacées souffrent souvent d'une sous-alimentation extrême, voire pire, en particulier lorsque le déplacement est brutal, résulte d'un conflit, d'une sécheresse ou d'une catastrophe naturelle, dure longtemps, sépare les victimes de la terre ou des autres moyens de production ou touche particulièrement les femmes, les enfants et les personnes âgées. Ces victimes, souvent privées de l'appui du chef de famille (qui est au combat), sont exposées à de nombreuses menaces qui réduisent leur accès à l'alimentation et aux soins de santé, et entraînent une détérioration de la nutrition, en particulier chez les jeunes enfants.

    PRODUCTION D'ALIMENTS DE BASE ET ACCÈS AUX ALIMENTS

    Évolution de la conception de la disponibilité, de l'accès et de la production, 1945-2000

    Dans la présente partie, on verra que la conception traditionnelle de l'après-guerre, à savoir que, dans un premier temps, les populations très pauvres et essentiellement agricoles échappent à la pauvreté principalement en accroissant leur production d'aliments de base, était après tout très sage, malgré les caprices ultérieurs des modes en matière de développement. Entre 1945 et 1965, les pays en développement, responsables de leur propre sécurité alimentaire, mais souhaitant réserver leurs recettes en devises à l'industrialisation, ont privilégié l'autosuffisance en aliments de base. Peu de chercheurs contestaient que les pays tropicaux disposaient d'un avantage comparatif pour la production des aliments de base locaux. C'est pourquoi durant cette période, l'accroissement de cette production était considéré comme la clé de l'amélioration de la disponibilité alimentaire, censé garantir la SAF.

    Trois choses ont changé après le milieu des années 60:

    Il en est résulté une forte expansion de la production vivrière des petits agriculteurs et de l'emploi, qui a considérablement amélioré l'accès à l'alimentation lié au travail et entraîné un recul considérable de la pauvreté et de la MPC dans la plupart des pays d'Asie et d'Amérique latine entre 1965 et 1988.

    Depuis le début des années 80, les facteurs suivants ont conduit les pays dans lesquels il subsiste des poches de MPC à accorder moins d'importance à l'expansion de la production d'aliments de base:

    Toutefois, l'accroissement de la production vivrière locale doit rester un des éléments de la lutte contre les problèmes de nutrition. La MPC reste la principale cause de mortalité et de souffrance dans le monde. La grande majorité des 800 millions de personnes qui en sont victimes le sont principalement parce qu'elles (ou leurs parents ou enfants qui travaillent) sont incapables de produire suffisamment de nourriture ou de gagner assez pour l'acheter.

    Production d'aliments de base, rendement et revenus du travail

    Dans les pays en développement, le recul de la pauvreté, de la sous-alimentation calorique et de la MPC a généralement été de pair avec une augmentation rapide de la production d'aliments de base. Le tableau 14 ci-après en explique les raisons. Les personnes habitant dans ces régions restent tributaires de l'exploitation de leurs terres ou du travail agricole salarié. Pour les pauvres, les revenus tirés de ces activités restent de loin la principale manière d'accéder à l'alimentation. Ceux qui sont le plus exposés à l'insécurité alimentaire, c'est-à-dire les plus pauvres, les populations rurales ou isolées, sont encore plus dépendants de l'agriculture. L'accroissement de la production locale d'aliments de base, qui permet de créer des emplois ou des activités indépendantes permettant d'obtenir un accès fiable à l'alimentation, est généralement la clé de la sécurité alimentaire, jusqu'au moment où les gains de productivité agricole, suivis par une diversification réussie, permettent de ramener l'emploi agricole à un niveau comparable à celui enregistré actuellement en Asie de l'Est et en Amérique latine.

    Ceux qui souffrent le plus d'insécurité alimentaire sont tributaires de la production locale de denrées de base jusqu'à ce qu'ils parviennent à diversifier leurs sources de revenus.

    Durant la période 1945-1959, la croissance de la production d'aliments de base s'est quelque peu accélérée, principalement grâce à la mise en culture de nouvelles terres et au développement de l'irrigation (en Asie). À partir de la fin des années 50, en raison de l'expansion démographique et urbaine, les possibilités de mise en culture de nouvelles terres arables de bonne qualité se sont épuisées tandis que le nombre de demandeurs d'emplois a augmenté plus rapidement que jamais et que l'industrialisation s'est révélée plus lente et moins créatrice d'emplois que les planificateurs ne le pensaient. Heureusement, les années 1965 à 1985 ont été très fastes en ce qui concerne l'accroissement du rendement des principales cultures vivrières d'Asie et d'Amérique latine, la révolution verte offrant un nombre croissant de variétés adaptées à la petite agriculture à forte intensité de travail. Le tableau 15 récapitule l'évolution intervenue depuis 1961.

    Comme le montre le tableau 15, la progression des rendements en Afrique et en Asie a fléchi au milieu des années 80, même si le moment exact de l'inflexion varie selon les produits et les régions. De plus, bien que l'augmentation du rendement des cultures vivrières continue de créer beaucoup plus d'emplois par unité de PIB additionnel que, par exemple, l'élevage extensif, l'industrie ou la construction et la plupart des activités urbaines, cet effet sur l'emploi s'est atténué.

    Tableau 14

    PROPORTION DE TRAVAILLEURS TRIBUTAIRES DES REVENUS AGRICOLES

    Région

    1950

    1960

    1970

    1980

    1990

    >2000 1

    Asie du Sud et du Sud-Est

    Asie du Sud

    Afrique subsaharienne

    Amérique latine/Caraïbes

    Ensemble des pays en développement

    76

    76

    87

    55

    79

    71

    71

    84

    50

    74

    64

    69

    81

    43

    69

    56

    66

    74

    35

    63

    51

    60

    69

    26

    58

    41

    55

    64

    21

    52

    1 Estimation.
    Source: FAOSTAT.

    Les conclusions générales relatives à la pauvreté, à la sécurité alimentaire et au déficit calorique sont liées à celles qui concernent la production d'aliments de base, l'emploi et les rendements. Cela ne signifie pas qu'un accroissement de la disponibilité alimentaire mondiale fera disparaître la faim, mais au contraire que l'accès à davantage d'aliments de base produits localement et de façon fiable, accès qui résulte essentiellement du travail consacré à la production de ces aliments, reste pour la plupart des populations vulnérables du monde le meilleur moyen d'échapper à la pauvreté et à la MPC dans un premier temps et que les pays qui réussissent leur industrialisation le font presque toujours après avoir réussi à accroître le rendement de leurs cultures vivrières.

    Tableau 15

    PROGRESSION DU RENDEMENT DES CULTURES VIVRIÈRES, 1961-1998

     

    Pays en développement

    Asie du Sud et du Sud-Est

    Amérique latine et Caraïbes

    Asie du Sud

    Afrique subsaharienne

    Afrique

         

    (Pourcentage par an)

       

    Céréales

               

    1961-71

    1971-81

    1981-91

    1991-98

    1966-82

    1982-98

    2,76

    2,76

    1,86

    1,55

    2,7

    1,67

    1,96

    2,03

    1,67

    0,86

    2,36

    1,35

    1,43

    2,38

    0,74

    2,72

    2,23

    2,05

    1,88

    2,33

    3,09

    1,7

    2,3

    2,69

    (0,29)

    2,04

    (-0,07)

    (0,97)

    1,76

    (0,06)

    1,03*

    1,98

    (0,75)

    (1,13)

    1,94

    0,75

    Racines et tubercules

               

    1961-71

    1971-81

    1981-91

    1991-98

    1966-82

    1982-98

    2,95

    1,19

    0,73

    0,99

    1,12

    0,7

    (0,4)

    2,92

    1,06

    (0,09)

    2,38

    (0,21)

    1,57

    -0,77

    1,07

    1,02

    -0,56

    0,87

    4,13

    1,73

    1,62

    1,09

    2,04

    1,5

    0,65

    1,44

    1,91

    (0,25)

    0,52

    1,42

    0,65

    1,52

    1,95

    (0,34)

    0,61

    1,42

    Source: FAOSTAT. Régressions calculées par l'auteur. Taux de croissance tendancielle linéaire sur chaque période.
    Note: Lorsque les chiffres sont entre parenthèses, la tendance n'est pas significative; lorsque les chiffres sont accolés à un astérisque, la tendance est significative à 10 pour cent; pour les autres chiffres, la tendance est significative à 5 pour cent.

    L'accès à l'alimentation des pauvres et des personnes sous-alimentées dépend essentiellement de leurs revenus ou de ceux de leurs parents ou enfants. Ces revenus sont presque entièrement retirés du travail. L'essentiel de ces revenus et de ce travail, de même que l'essentiel de la population pauvre et mal nourrie, est aujourd'hui et sera toujours en 2025 lié au monde rural30. Par conséquent, l'accès des pauvres et des quasi-pauvres à l'alimentation continuera de dépendre en grande partie des revenus de l'activité agricole, indépendante ou salariée. La croissance des revenus du travail rural et donc l'amélioration de la sécurité alimentaire des personnes vulnérables resteront tributaires de la création d'emplois et de l'expansion des revenus dans l'agriculture locale. L'exode rural n'invalide pas ce raisonnement, pour plusieurs motifs.

    Dans la plupart des pays d'Asie et d'Afrique, qui sont ceux où vivent et travaillent la plupart des personnes souffrant d'insécurité alimentaire, la mise en culture de nouvelles terres devient ou est déjà prohibitivement coûteuse ou même impossible. Par conséquent, la croissance des revenus salariés ou indépendants tirés de l'agriculture ne peut être obtenue que dans la mesure où: