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Plantations de teck pour les petits exploitants

de Nakhon Sawan, Thaïlande

A. Mittelman

Andrew Mittelman est directeur d'Eco-Logic Consulting,
cabinet-conseil en matière de conservation
et d'aménagement durable des ressources en Asie.
Il est chargé de cours sur l'aménagement
communautaire des ressources au Département de la
vulgarisation agricole et du développement communautaire,
Université de Chiang Mai (Thaïlande).

Un projet d'agroforesterie et de foresterie communautaire a encouragé les agriculteurs à planter du teck afin d'inverser le déclin environnemental et économique local.

La baisse des disponibilités de bois d'œuvre tropical des forêts natu-relles pousse de nombreux pays à encourager les plantations et la production agroforestière pour développer de nouvelles sources de bois d'œuvre.

De 1990 à 1996, Save the Children/US a lancé un projet d'agroforesterie et de foresterie communautaire en Thaïlande qui a facilité la production de teck (Tectona grandis) dans les petites exploitations. La zone du projet, comprenant deux districts de la province de Nakhon Sawan (Thaïlande du Nord), avait connu une grave déforestation et dégradation des terres à la suite de 20 ans d'exploitation sauvage des ressources. Le projet, appuyé par un don du Gouvernement des Pays-Bas, visait à conjuguer le développement économique local avec la remise en état de l'environnement.

Le teck est une essence native d'une vaste zone de la Thaïlande du Nord; la zone du projet est située à l'extrémité méridionale de l'aire de répartition naturelle du teck dans le pays. Avant l'exploitation commerciale qui a eu lieu entre 1965 et 1980, les deux districts du projet, Phai Sali et Lat Yao, regorgeaient de peuplements hétérogènes de teck et d'essences diptérocarpacées. Il n'y a désormais plus un seul arbre de teck naturel à Phai Sali, tandis qu'il reste environ un millier d'hectares de forêts mixtes teck-diptérocarpacées dans le Parc national de Mae Wong à Lat Yao1.

Le teck est adapté aux petites plantations en raison de sa valeur élevée, de sa croissance relativement rapide et de sa culture facile. Sa valeur marchande a brusquement augmenté avec l'interdiction d'exploitation imposée par la Thaïlande en 1989 et la diminution des disponibilités régionales, facteurs dont les agriculteurs pauvres tiennent compte.

Toutefois, la plupart des petits exploitants de Thaïlande n'ont jamais pris en considération les avantages qu'ils pouvaient retirer de la plantation de teck, et ce, essentiellement pour deux raisons: leur besoin d'un rapport financier à court terme, et des lois forestières qui limitent fortement la coupe et le transport d'essences protégées. Le projet d'agro-foresterie et de foresterie communautaire de Save the Children - intitulé par ses concepteurs-participants locaux «Projet d'environnement rural et de revitalisation économique» - a servi d'intermédiaire en encourageant la plantation de teck et en facilitant les modalités de plantation et de récolte dans les petites exploitations, à la double satisfaction des responsables forestiers et des agriculteurs.

Les petits exploitants ont eu un accès extrêmement limité aux plants de qualité. Le projet a fourni aux agriculteurs des boutures de racines bourgeonnées peu coûteuses (0,20 dollar EU) obtenues auprès du Département royal des forêts. Entre 1992 et 1996, près de 100 000 arbres de teck ont été plantés dans les exploitations et sur les terres domaniales de 40 communautés appartenant aux deux districts du projet.

STRATÉGIE À MOYEN ET À LONG TERMES

La longue période de maturation requise par les feuillus avant d'atteindre une taille commercialement exploitable a eu un effet dissuasif considérable sur les agriculteurs pauvres. La plupart des fermiers de la zone visaient à obtenir des rendements à court et moyen termes, et n'étaient guère disposés à consacrer une partie de leurs terres à des cultures qui ne promettaient une rentabilité financière qu'au bout de 10 ans. Save the Children a encouragé la plantation de teck en attirant l'attention sur les possibilités d'un rapport financier à moyen et long termes sans pour autant sacrifier leurs activités à court terme. En agroforesterie, les avantages à long terme du teck peuvent être conciliés avec les revenus à court terme des cultures annuelles, des arbres fruitiers et des essences arboricoles à usages multiples et à croissance rapide. L'ombre de son couvert ne gênant pas les cultures qui ont besoin de lumière, le teck est un choix judicieux pour les cultures intercalaires. Il peut également être utilisé dans des créneaux agricoles comme les bordures de champs et les jardins familiaux autrement sous-exploités.

LOI ET POLITIQUE FORESTIÈRES THAÏLANDAISES ET PERCEPTIONS DES AGRICULTEURS

Le deuxième grand obstacle aux plantations de teck par les petits exploitants en Thaïlande est lié aux lois forestières nationales régissant la coupe, le transport et la commercialisation des essences protégées, qui rendent extrêmement difficiles la récolte et la vente légale du teck une fois qu'il a atteint une taille commercialisable. Si, d'une part, ces lois visent à éviter de pouvoir prétendre que le bois d'œuvre des forêts naturelles provienne des exploitations, d'autre part, elles découragent fortement la culture de teck à la ferme.

Le teck est officiellement classé parmi les essences protégées. À l'heure actuelle, la récolte commerciale du teck dans les forêts naturelles est interdite. Il faut demander une autorisation spéciale pour couper et transporter le teck au Département royal des forêts, faute de quoi, la récolte est illégale. Les agriculteurs et les transporteurs contrevenant aux règlements forestiers sont passibles d'une forte amende et d'incarcération.

En raison de restrictions de personnel, le Département royal des forêts n'a pu effectuer toutes les formalités administratives pour le suivi des petites cultures dispersées de feuillus à la ferme. L'utilisation croissante des systèmes d'information géographique (SIG) par les organismes gouvernementaux thaïlandais devrait permettre d'obvier à ce problème. Cela n'empêche pas, pour autant, que la rumeur de lourds «prélèvements officieux» sur la coupe et le transport du teck circule et vienne renforcer l'impression, pour la majorité des agriculteurs thaïlandais, que consacrer ne serait-ce qu'une petite part de leurs exploitations aux plantations de teck est difficile et guère rentable.

Les propriétaires des plus grandes plantations semblent avoir moins de problèmes à contourner ces obstacles. Les investisseurs urbains thaïlandais ont de plus en plus capitalisé sur le prix relativement faible des cultures pluviales d'altitude en les achetant et en les convertissant en plantations de teck de l'ordre de 5 à 100 ha, élargissant davantage le fossé existant entre agriculteurs riches et pauvres en Thaïlande.

Surmonter les obstacles juridiques

Le personnel du projet est intervenu au nom des agriculteurs auprès du Département royal des forêts afin de contourner les obstacles juridiques et les problèmes connexes perçus qui entravaient les plantations de teck dans les exploitations
locales.

En premier lieu, l'équipe du projet s'est entretenue avec le chef du Bureau forestier régional, Nakhon Sawan; il a été convenu que les responsables de terrain du Département royal des forêts seraient employés dans la cartographie des zones où les agriculteurs envisageaient de planter du teck (ou du teck mélangé à d'autres essences).

L'équipe du projet a alors organisé des réunions dans la zone du projet avec les responsables forestiers de district et les agriculteurs locaux afin de passer en revue les procédures convenues pour l'homologation des arbres de teck plantés à la ferme. Lors de ces réunions, les responsables forestiers de district ont assuré aux agriculteurs qu'il leur serait délivré, moyennant un coût modique (0,75 dollar EU par arbre), des certificats officiels les autorisant à couper et à transporter ces arbres.

En dépit de quelques difficultés créées par le personnel limité du Département royal des forêts, les cartes comportant les données spécifiques sur les sites de plantation et le nombre d'arbres ont été simples à préparer. Elles ont été officiellement estampillées, et des exemplaires ont été archivés dans les Offices forestiers du district et de la province et distribués aux agriculteurs de teck. Ces procédures ont été répétées chaque année.

LE TECK DANS LA ZONE DU PROJET NEUF ANS APRÈS LE DÉMARRAGE

À l'heure actuelle, des arbres de teck de trois à six ans sont plantés sur quelque 150 ha de terres domaniales agricoles et collectives appartenant aux districts du projet. Environ un tiers de cette superficie a été homologué par le Bureau forestier régional.

Les types de plantation comprennent:

Les familles participantes possèdent chacune de cinq à 3 000 arbres, avec des plantations moyennes pour un ménage oscillant entre 50 et 100 arbres sur une superficie d'environ 0,05 ha. De nombreuses plantations comprennent des cultures annuelles - en particulier sésame et haricot mungo; ce dernier est utilisé comme engrais vert enfoui dans le sol des plantations avant la maturation des semences. Au bout de six ans, avec un espacement de 3 x 3 m, les cultures annuelles n'ont pas encore été masquées par la zone d'ombre des arbres.

Les propriétaires des plus grandes plantations sont essentiellement des enseignants et des agents de santé. Étant salariés, ils ne sont pas fortement tributaires des revenus agricoles et peuvent consacrer des superficies plus étendues aux cultures arboricoles à maturation lente. La plupart des grandes plantations sont des monocultures de tecks plantés à intervalles de 2 x 3 m. Les plantations de monoculture n'ayant pas été débarrassées des arbres indigènes de plus de 15 cm de diamètre, le taux de peuplement moyen initial est de 1 000 troncs de teck par hectare (au lieu de 1 600). La plantation à faible espacement a pour but d'optimiser les revenus à long terme (car il reste davantage de gros arbres au bout de 20 ans).

La plupart des petites parcelles sont plantées à 3 x 3 m d'écartement et mélangées avec des essences arboricoles à usages multiples et à croissance rapide et des cultures annuelles de rapport. L'espacement plus large permet d'insérer les cultures intercalaires annuelles sur une plus longue durée. Les petits propriétaires de plantation visent à répartir leurs revenus plus équitablement et à optimiser les recettes à moyen terme d'investissements dans le développement agricole et familial (frais de scolarité des enfants, par exemple). Ils sont prêts à sacrifier leurs revenus à long terme pour atteindre ces objectifs.

Lorsque le teck est planté avec un écartement des lignes de 3 x 3 m, les plantations intercalaires avec les cultures commerciales annuelles d'altitude sont encore possibles après six ans de croissance

- A. MITTELMAN

PLANS DE RÉCOLTE, DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX ET REVENUS PROJETÉS

L'âge maximum du teck planté dans la zone du projet est de sept ans. Aucun arbre n'a été encore coupé. Les agriculteurs, toutefois, ont déjà été contactés par des intermédiaires leur proposant d'acheter leurs arbres et de les vendre à des fabricants de placage dans la province voisine de Petchabun. L'Alternative Farmers Cooperative, créée avec l'aide du projet, et encore opérationnelle, envisage d'étudier de plus près la commercialisation directe du teck afin de supprimer la rétribution de l'intermédiaire.

La stratégie de récolte et de vente prévoit l'éclaircie des peuplements de 10 ans en coupant les rangées alternatives ou la moitié de la population sur pied. Les arbres de six ans ont un diamètre à hauteur d'homme de 12 à 16 cm (en fonction de la fertilité naturelle du sol, de l'utilisation ou non d'engrais, et de la qualité variable des jeunes plants). On prévoit que les troncs des tecks de 10 ans d'âge atteindront un diamètre à hauteur d'homme de 22 à 25 cm.

Sur la base d'un prix moyen de 71,62 dollars EU le mètre cube pour des traverses de chemin de fer de 30 à 49 cm (Forest Industry Organization of Thailand, 2000), on devrait pouvoir vendre un tronc de teck de 10 ans à un prix oscillant entre 30 et 50 dollars EU (moyenne de 40 dollars), et un tronc de 20 ans pour environ 80 dollars EU(en dollars actualisés). Ces projections modestes se fondent sur des accroissements annuels moyens de 2 cm de diamètre et de 12 m3 par hectare (FAO, 1995; TEAKNET, 1998). Le tableau présente une projection des revenus escomptés de la vente de teck planté à la ferme dans des plantations de polyculture et de monoculture. Les projections se fondent sur l'hypothèse que les arbres dans un peuplement donné seront coupés par moitié à 10 ans et à 20 ans. Pour les plantations mixtes, le tableau établit une moyenne de la valeur estimée des autres composantes arboricoles et agricoles.

Tecks âgés de quatre ans plantés avec un écartement des lignes de 3 x 2 m; les essences arboricoles indigènes à multiples usages et à croissance rapide sont restées sur place

- A. MITTELMAN

Revenu net projeté pour les monocultures à la ferme et le teck en plantations mixtes par rapport à la monoculture de rapport annuelle (en dollars EU actualisés/ha)a

Composition des cultures

Revenu sur 10 ansb (cumulé)

Revenu sur 20 ans (cumulé)

Cultures de rapport d'altitude

 3 720

 7 440

Teck, essences arboricoles à usages multiples et cultures de rapportc

10 200d

21 795e

Monoculture de teckf

18 000g

58 000h

a Les projections de revenus se fondent sur un accroissement moyen annuel complété par des chiffres de croissance locale pour le teck, et sur des hypothèses de prix modestes.

b Moitié des troncs de teck coupés au bout de 10 ans.

c Sur la base de 240 troncs de teck par hectare.

d 120 troncs de teck à 40 dollars EU pièce = 4 800 dollars EU. Le reste provient de la production annuelle

et d'arbres fruitiers. (L'estimation inférieure correspond aux déchets.)

e Le total pour le teck seul (120 troncs, diamètre moyen 40 cm) est de 9 600 dollars EU.

f Calcul sur la base de 1 000 troncs de teck par hectare.

g Sur la base d'une valeur estimée de 40 dollars EU le tronc (et 12 m3/ha d'accroissement annuel moyen) avec

10 pour cent de déchets.

h 500 troncs (taux final de peuplement) vendus à un prix moyen de 80 dollars EU pièce.

POURSUIVRE LES ACTIVITÉS DU PROJET

Les plantations de teck ont continué à être recensées après l'achèvement officiel du projet. L'organisation communautaire locale créée à l'occasion du projet s'est chargée de mener à bien les activités lancées par le projet. Cette organisation continue à fonctionner de façon très efficace. À l'achèvement du projet, plusieurs de ces chefs ont été élus membres du conseil local de sous-district. Ils sont désormais conseillers en aménagement et développement durables des ressources, et se concentrent en particulier sur la poursuite et l'élargissement des activités du projet dans le sous-district et les sous-districts, districts et provinces voisins.

CONCLUSIONS

Le teck est une culture relativement simple par rapport à d'autres essences commerciales de feuillus. On peut en tirer d'importants revenus, même lorsque les plantations sont très espacées parmi les cultures de rapport à court terme.

Étant donné la demande grandissante de teck et la probabilité que les ressources forestières naturelles ne seront bientôt plus en mesure de la satisfaire, les gouvernements devraient soutenir la plantation de teck dans les petites exploitations et les plantations lorsqu'elles sont viables. Dans certains pays, la réticence des petits exploitants à planter des cultures à long terme a appelé l'attention des programmes nationaux de prêts agricoles qui permettent aux agriculteurs d'obtenir des crédits assortis de conditions à longue échéance. Les prêts de ce type compensent les reports de revenus jusqu'à ce que les investissements à plus long terme commencent à devenir rentables. Les lois forestières nationales et les politiques de soutien des prêts agricoles devraient être examinées avec soin et adaptées en conséquence. En outre, les obstacles juridiques à la production à petite échelle de teck et autres essences commerciales devraient être abolis. 

Bibliographie

1 Avec le Site du patrimoine mondial, la réserve naturelle Huay Kha Khaeng - Thung Yai Naresuan, le Parc national Mae Wong englobe une partie du Complexe forestier occidental (à la frontière avec le Myanmar), qui est la plus grande superficie de forêts encore intactes en Thaïlande.


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