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Législation communautaire sur les aflatoxines: incidences sur le commerce de l'arachide de bouche et de la pistache

M.BLANC

Michel Blanc est Directeur du Groupe des laboratoires Wolff, Département agricole, Clichy, France, et expert consultant de la FAO.

L'application du nouveau règlement européen sur les aflatoxines (CE n1525/98), en vigueur depuis le 1er janvier 1999, a notablement perturbé le commerce international de certains fruits secs et tout particulièrement celui de l'arachide de bouche (Hand Picked Selected [HPS]) et de la pistache. C'est ainsi que depuis l'entrée en vigueur de ce règlement, on a observé au sein de l'Union européenne une augmentation importante des litiges commerciaux et des refus de lots à l'importation de ces deux fruits à coque. Rappelons que Bruxelles a été conduite à suspendre en septembre 1997 toute importation de pistache iranienne (décision 97/613/CE) suite à un niveau de contamination trop élevé en aflatoxines relevé dans de nombreux lots (10 à 400 mg/kg). Si cette suspension d'importation a été levée fin décembre 1997 (décision 97/830/CE), la pistache iranienne reste aujourd'hui sous très haute surveillance de la part des autorités européennes (contrôle systématique de chaque lot à l'importation).

Plus récemment, en mai 1999, l'arachide d'Égypte a également fait l'objet, de la part de Bruxelles, d'une suspension provisoire d'importation et de mise sous surveillance et cela pour le même motif, à savoir un taux de contamination en aflatoxines supérieur aux exigences du règlement communautaire. Ces différentes mesures (embargo, refus de lots à l'importation) se sont traduites par une chute des importations de certaines origines, particulièrement visible au niveau de la pistache en provenance de la République islamique d'Iran, premier exportateur mondial et principale source d'approvisionnement du marché européen. C'est ainsi que les exportations de pistaches iraniennes vers la Communauté européenne sont passées de 90 000 tonnes avant l'embargo à 35 000 tonnes aujourd'hui. La Californie, deuxième exportateur mondial, a profité de cette situation pour augmenter sa position sur le marché européen.

Au niveau du refus des lots à l'importation, on observe des différences importantes de jugement entre États membres. C'est ainsi que pour les pistaches iraniennes, on a observé en 1999 un taux de refus à l'importation de 70 pour cent en France et au Pays-Bas, contre 50 pour cent en Allemagne et seulement 20 pour cent en Italie et en Espagne. Cette situation a conduit les opérateurs (exportateurs et importateurs) à boycotter les ports français (Marseille et Le Havre) et hollandais (Rotterdam), privilégiant Hambourg et Barcelone. Ces disparités de jugements sur un même produit et sur une même origine mettent en évidence un dysfonctionnement majeur dans l'application de ce règlement dont l'objectif premier était d'harmoniser le contrôle au niveau de l'ensemble des États membres de manière à éviter des distorsions de concurrence. Ces disparités s'expliquent en grande partie par des différences dans la lecture et l'interprétation de certains points de ce règlement et plus particulièrement de la directive 98/53/CE qui complète ce texte en définissant les conditions d'échantillonnage et d'analyse.

Ce règlement européen fait également aujourd'hui l'objet de vives critiques de la part des pays producteurs de ces produits qui le considèrent comme un obstacle au commerce international. Une étude conduite par la Banque mondiale sur l'impact de cette réglementation européenne sur les exportations de neuf pays africains a ainsi estimé à 47 pour cent la réduction du flux d'exportations vers l'Europe des fruits secs originaires de ces pays (Otsuki, Wilson et Sewadeh, 2000).

L'industrie arachidière américaine estime, quant à elle, que cette réglementation européenne conduira à rejeter 30 pour cent des exportations américaines d'arachide et qu'elle induira un coût supplémentaire évalué à 10 dollars EU la tonne soit 10 pour cent de la valeur du produit (National Peanut Council of America, 1997).

Le propos de cet article est de faire une étude critique objective de ce règlement et de la directive qui lui est attachée, en nous intéressant plus particulièrement aux points qui sont à l'origine des disparités de jugement au sein de l'Union européenne, et de proposer des aménagements en vue d'une meilleure application de ces deux textes. Le bien-fondé ou non des critiques formulées par les pays exportateurs sur ce règlement de la Commission européenne sera également examiné.

Règlement CE 1525/98

Le Règlement européen n1525/98 du 16 juillet 1998 (paru au JOCE L 201 du 17 juillet 1998) avait pour objectif, comme nous l'indiquions en introduction, l'harmonisation des niveaux de tolérance qui prévalaient dans les pays de l'Union européenne en fixant des limites maximales en aflatoxine B1 et en aflatoxines totales (B1+B2+G1+G2) dans certaines denrées alimentaires (arachides, fruits à coque, fruits séchés, céréales et produits dérivés), et celles de l'aflatoxine M1 dans le lait. Ces limites maximales en aflatoxines figurent au tableau 1.

TABLEAU 1

Limites en aflatoxines pour l'arachide et la pistache selon le règlement CE 1525/98

Produit

Aflatoxine
B1

Aflatoxines totales
B1+B2+G1+G2

Arachides destinées à être soumises à un traitement de triage ou à d'autres méthodes physiques avant leur consommation humaine ou leur utilisation comme ingrédient alimentaire

8 µg/kg

15 µg/kg

Pistaches destinées à être soumises à un traitement de triage ou à d'autres méthodes physiques avant leur consommation humaine ou leur utilisation comme ingrédient alimentaire

5 µg/kg

10 µg/kg

Arachides et pistaches et produits dérivés de leur transformation destinés à la consommation humaine directe ou comme ingrédient alimentaire

2 µg/kg

4 µg/kg

Contrairement à la majorité des réglementations existantes au niveau mondial, l'Union européenne a décidé de limiter à la fois la teneur en aflatoxine B1 et en aflatoxines totales (B1+B2+G1+G2). Compte tenu des valeurs retenues, c'est la limite en aflatoxine B1 qui est la plus contraignante dans la mesure où elle représente généralement entre 70 et 90 pour cent de l'aflatoxine totale. C'est ainsi que certains lots d'arachides ou de pistaches passent parfaitement la limite communautaire au niveau de l'aflatoxine totale, alors qu'ils sont rejetés pour leur teneur en aflatoxine B1. Il conviendrait d'envisager de revoir ces limites de manière à ce qu'elles soient plus cohérentes entre elles, c'est ainsi que pour une limite en aflatoxines totales de 4 mg/kg, une valeur de 3 mg/kg en aflatoxine B1 serait plus cohérente que la valeur de 2 mg/kg actuellement retenue.


Ce règlement européen fait également aujourd'hui l'objet de vives critiques de la part des pays producteurs de ces produits qui le considèrent comme un obstacle au commerce international


Les limites retenues font également une différence suivant que le produit est destiné à la consommation humaine directe ou amené à subir, avant consommation, un traitement de triage ou toute autre méthode physique conduisant à une réduction de la contamination en aflatoxines, l'arachide ayant, à ce niveau, bénéficié d'une tolérance plus large par rapport aux autres fruits à coque. La fixation de limites différentes suivant l'état du produit est actuellement une source d'interprétations différentes au niveau du classement des produits soumis au contrôle, cela étant tout particulièrement vrai pour l'arachide et la pistache qui sont, dans la majorité des cas, commercialisées après triage sous forme crue, et qui nécessitent pour être consommables de subir un traitement de grillage (sec ou dans l'huile). Il conviendrait à ce niveau de corriger l'ambiguïté du texte actuel en indiquant clairement comment classer l'arachide et la pistache crues (avant grillage).

Il serait également judicieux de mieux définir ce qu'entend le législateur, en dehors du triage, par «méthodes physiques», et de savoir si le traitement de grillage peut entrer dans cette catégorie, ainsi que celui de blanchiment (dépelliculage) de l'arachide, sachant que ces deux traitements ont un effet non négligeable sur la réduction de la contamination en aflatoxines.

Au niveau des limites retenues par ce règlement, qui est aujourd'hui parmi les plus sévères existant au niveau mondial, on peut se poser la question sur le fondement qui a conduit Bruxelles à retenir des limites aussi faibles en aflatoxines, et se demander si l'évaluation du risque aflatoxines pour le consommateur européen a été bien évalué. En effet, aujourd'hui, pour être en accord avec les règles du commerce international, et plus spécialement avec les mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS) définies par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'établissement de toute nouvelle réglementation sur les contaminants alimentaires doit être fondé sur les principes de l'analyse des risques telle que proposée dans le document publié en 1995 par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), (FAO/OMS, 1995).

Cette analyse permet de mesurer le risque que représente le contaminant concerné pour le consommateur sur la base d'éléments objectifs et de données scientifiques fiables découlant d'une triple évaluation, à savoir:

Du point de vue toxicologique, et sur la base d'expériences conduites en laboratoires sur de nombreuses espèces animales, il est reconnu que les aflatoxines figurent parmi les substances mutagènes et carcinogènes les plus actives connues aujourd'hui.

Au niveau épidémiologique, on observe une corrélation entre l'exposition aux aflatoxines et l'apparition du cancer du foie. Il convient toutefois de noter que ce développement du cancer primaire du foie a souvent été observé sur des personnes porteuses du virus de l'hépatite B, ce qui laisse à penser que l'aflatoxine ne serait qu'un cofacteur dans ce phénomène de cancérisation chez l'homme. Sur ces bases toxicologiques et épidémiologiques, le Centre international du cancer (CICR) a été amené à classer l'aflatoxine B1 comme substance carcinogène pour l'homme, sans pouvoir fixer une dose journalière admissible (DJA).

Au niveau de l'exposition, il convient de tenir compte à la fois de la teneur en aflatoxines dans les aliments à risque et du niveau d'ingestion de ces denrées alimentaires. Plusieurs problèmes tenant, d'une part à la difficulté de disposer de données fiables sur le niveau de contamination des produits à risque et, d'autre part, aux grandes différences d'exposition entre pays, se posent. Pour illustrer la difficulté de disposer de données fiables sur la contamination des denrées alimentaires par les aflatoxines, il suffit de se rapporter à l'étude conduite par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF), qui montre que le principal vecteur d'aflatoxines dans notre pays serait le blé (86 pour cent de l'apport en aflatoxine) et les fruits secs parmi lesquels l'arachide et la pistache ne représentent que 3 à 5 pour cent de l'exposition (Conseil supérieur d'hygiène publique de France, 1999).

Pour expliquer comment cette étude est arrivée à des résultats aussi surprenants, il suffit de constater que les auteurs de ce travail ont pris comme teneurs moyennes de contamination en aflatoxine du blé et des produits dérivés (farines, pain, etc.) une valeur de 0,63 mg/kg, ce qui est un chiffre totalement irréaliste dans la mesure où toutes les enquêtes et analyses qui ont été conduites sur cette céréale ont toujours montré des résultats négatifs, sauf cas exceptionnel d'un lot avarié (non commercial). En ce qui concerne la différence d'exposition d'un pays à l'autre, il convient par exemple de comparer le cas d'un consommateur sénégalais à celui d'un consommateur français. Le premier sera notablement plus exposé que le second compte tenu de l'importance que représente l'arachide dans la ration alimentaire d'un Sénégalais, du taux élevé de contamination en aflatoxine, et du pourcentage élevé de la population sénégalaise porteuse du virus de l'hépatite B. Ces différences d'exposition d'un pays ou d'un continent à l'autre rendent difficile une harmonisation mondiale et montrent qu'à l'inverse de ce que l'on observe actuellement, c'est dans les pays producteurs qui se trouvent dans des zones à risques (pays tropicaux) que les limites les plus faibles devraient être établies et non dans les pays importateurs où le risque est notablement plus faible.

Le Comité mixte FAO/OMS d'experts des additifs alimentaires (JECFA) a par ailleurs parfaitement montré dans une étude récente (OMS, 1998) que le passage d'une limite réglementaire de 10 à 20 mg/kg d'aflatoxines (limites théoriques) ne modifiait en rien le risque au niveau du consommateur européen, cette étude montrant que le risque passerait de 0,0039 à 0,0041 cas de cancer par an et par 100 000 personnes, soit une augmentation non significative de deux cancers par an et par milliard d'habitants. À l'inverse, la même étude conduite sur des populations vivant en Asie ou en Afrique, où le risque est plus élevé (forte contamination en aflatoxine des aliments, population porteuse du virus de l'hépatite B) montre que l'augmentation serait significative (+ 300 cas de cancers par an et par milliard d'habitants). Au vu de l'ensemble de ces données, il apparaît clairement que Bruxelles a volontairement surévalué le risque aflatoxine en privilégiant la protection du consommateur européen au détriment des règles du commerce international définies par l'OLe Comité mixte FAO/OMS d'experts des additifs alimentaires (JECFA) a par ailleurs parfaitement montré dans une étude récente que le passage d'une limite réglementaire de 10 à 20 mg/kg d'aflatoxines ne modifiait en rien le risque au niveau du consommateur européenMC.

Directive 98/53/CE

Le Règlement 1525/98 a été complété par la directive 98/53/CE qui définit les modalités d'échantillonnage (Annexe I) et de préparation et d'analyse des échantillons en laboratoire (Annexe II). L'application de cette directive publiée comme le règlement dans le JOCE du 17 juillet 1998 est entrée définitivement en vigueur le 31 décembre 2000.

TABLEAU 2 

Comparaison des plans d'échantillonnage des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la FAO appliqués sur 900 lots de graines d'arachide

Plan d'échantillonnage

Pourcentage de rejet

Moyenne de contamination des lots acceptés

Pays-Bas

48,5

0,75 mg/kg

FAO

23,0

1,15 mg/kg

Royaume-Uni

22,0

2,10 mg/kg

Annexe I - Mode de prélèvement des échantillons. Il convient ici de se féliciter que l'Union européenne ait prévu de définir les conditions d'échantillonnage dans la mesure où cette opération va avoir une incidence très importante sur les résultats des contrôles, cela étant tout particulièrement vrai pour les produits en grains compte tenu de la très grande hétérogénéité de contamination observée. Pour illustrer ce problème de l'hétérogénéité de contamination par les aflatoxines dans les produits en grains, il convient de savoir qu'il suffit d'une graine d'arachide ou de pistache sur 5 000 ou 10 000 graines pour avoir un taux significatif en aflatoxines du lot. Cela montre l'importance du choix et de la définition d'un protocole d'échantillonnage dans toute mise en place d'une réglementation sur les aflatoxines, ce qui veut dire également que la fixation de limites réglementaires sans définition d'un plan d'échantillonnage précis n'a aucun sens en particulier pour les produits en grains. La fixation d'un plan d'échantillonnage dans le cas des aflatoxines est une opération difficile, qui doit tenir compte du coût de l'opération (faisabilité économique) et arbitrer entre deux risques possibles d'erreur, à savoir:

De nombreux travaux ont été conduits dans ce domaine de l'échantillonnage en particulier sur l'arachide et le maïs auxquels on pourra se reporter (FAO,1993; Whitakert et al., 1995).

Avant d'arrêter un plan d'échantillonnage, la Commission européenne avait eu à étudier sur la base des données fournies par l'Association néerlandaise des transformateurs d'arachide trois protocoles déjà existants au niveau de l'arachide:

Cette étude, qui avait porté sur près de 900 lots d'arachides, a montré que sur la base de ces trois plans d'échantillonnage et pour une limite de 2 mg/kg en aflatoxine B1, on arrivait aux résultats de rejet indiqués au tableau 2. Elle montre également clairement la très grande incidence du plan d'échantillonnage retenu sur les résultats obtenus (rejet des lots). On voit, en particulier, que c'est le Plan d'échantillonnage du Royaume-Uni qui présente le meilleur équilibre entre le risque producteur et le risque consommateur avec une valeur moyenne de contamination la plus proche de la limite de 2 mg/kg prise en compte dans cette étude. Le Plan d'échantillonnage néerlandais est, à l'inverse, le moins équilibré et celui pénalisant le plus le producteur ou l'exportateur (refus de lots acceptables). Il est à regretter que la Commission européenne, sur la base de cette étude, ait finalement retenu la position défendue par les Pays-Bas en retenant un plan d'échantillonnage (tableau 3) très voisin (trois échantillons de 10 kg) de celui proposé par ce pays, plan qui pénalise les producteurs sans apporter une meilleure sécurité pour le consommateur européen.

TABLEAU 3 

Plan d'échantillonnage des lots d'arachides et de pistaches selon la directive 98/53 CE

Poids du lot (en tonnes)

Poids ou nombre des sous-lots

Nombre d'échantillons élémentaires

Poids de l'échantillon global (kg)

> 500

100 tonnes

100

30

>125 et <500

5 sous-lots

100

30

>15 et <125

25 tonnes

100

30

<15

-

10-100

3 à 30

Si la directive 98/53/CE définit bien le cadre général du plan d'échantillonnage à appliquer en fonction du type de produit et de la taille du lot à examiner, il reste que ce texte devrait mieux définir les procédures de prélèvements élémentaires et de confection des échantillons pour laboratoire. Il conviendrait, en particulier, que cette directive décrive plus précisément les points suivants:

Pour l'ensemble de ces opérations, il serait judicieux que la directive 98/53/CE s'inspire des normes d'échantillonnage déjà en vigueur aux niveaux européen et international dans le domaine, par exemple, des céréales ((ISO 13690, 1999) ou des graines oléagineuses (EN ISO 542, 1990).

Enfin, le dernier point de l'Annexe I de la directive, qui devrait faire l'objet d'une révision, a trait aux conditions d'acceptation ou de refus d'un lot ou d'un sous lot. En effet, il est indiqué dans ce texte que pour les arachides ou les pistaches destinées à la consommation humaine directe il suffit qu'un seul des sous-lots ait une teneur en aflatoxines supérieure aux limites du règlement (2 µg/kg en B1 et 4 µg/kg en B1+B2+G1+G2) pour que l'ensemble du lot soit refusé, cela même si la moyenne des résultats des trois sous-lots est inférieure aux limites. Cette disposition est certainement le point le plus contestable de ce texte communautaire dans la mesure où, compte tenu du problème de l'hétérogénéité de contamination par les aflatoxines, c'est la moyenne du plus grand nombre possible d'analyses qui représente le mieux le niveau réel de contamination d'un lot et non un seul résultat d'analyse pris isolément. Cette disposition revient finalement à exiger un niveau de contamination nul, ce qui est bien sûr totalement impossible à garantir sur des produits comme l'arachide et la pistache, et ce qui est contraire au principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable [aussi bas que raisonnablement possible]) défini par le Comité mixte FAO/OMS d'experts des additifs alimentaires (JECFA).

Le JECFA recommande, en effet, que les limites réglementaires pour un contaminant alimentaire soient fixées au niveau le plus faible qu'il est possible d'obtenir techniquement sans compromettre l'approvisionnement et le commerce des denrées alimentaires. À noter de plus que cette règle de refus à l'importation sur la base d'un seul résultat hors limite est rendue d'autant plus contraignante pour les opérateurs qu'aucun recours n'existe aujourd'hui au niveau du texte pour contester le résultat émis par le laboratoire des services officiels.

Annexe II - Préparation et analyse des échantillons en laboratoire: traitement des échantillons reçus au laboratoire. Selon cette annexe, chaque échantillon pour laboratoire dont la taille va de 1 à 30 kg doit être en totalité finement broyé et soigneusement mélangé selon une méthode garantissant une homogénéisation complète. Ce texte ne donne par contre aucune indication sur les conditions dans lesquelles doivent être conduits ce broyage et cette homogénéisation, le laboratoire pouvant retenir le broyeur de son choix. Ce point est actuellement un élément important de divergence de résultats entre laboratoires dans la mesure où c'est de la finesse de la mouture obtenue et de son homogénéité que va dépendre le résultat final d'analyse. C'est ainsi qu'aujourd'hui coexistent au sein de l'Union européenne deux techniques de broyage, à savoir le broyage à sec (dry grinding) et le broyage en milieu humide (slurry).

Pour le broyage à sec, différents types de broyeurs sont utilisés (broyeur à couteau, à marteau, à bille, etc.). Le facteur limitant de ce type de broyage est la finesse de la mouture obtenue du fait de la forte teneur en lipide des graines d'arachide et de pistache qui permet au mieux d'atteindre une granulométrie de 1 à 2 mm.

Le broyage en milieu humide consiste à broyer 10 kg de graines avec 15 litres d'eau en utilisant un broyeur mélangeur à grande vitesse (Warring) qui permet, quant à lui, d'atteindre une granulométrie très fine du produit (200 à 500 microns) assurant une parfaite homogénéisation de celui-ci, le produit étant transformé en une pâte.

L'étude comparative de ces deux techniques de broyage que nous avons conduite dans nos laboratoires (tableau 4) montre que c'est sans conteste le broyage humide qui permet d'obtenir la meilleure homogénéisation du produit et conduit à la meilleure répétabilité au niveau du dosage de l'aflatoxine. Nous recommandons donc, à ce niveau, que la directive soit modifiée pour imposer exclusivement le broyage humide, en décrivant parfaitement les conditions dans lesquelles doit être conduite cette opération (type de broyeur, temps de broyage, etc.).

TABLEAU 4 

Influence de la technique de broyage (sec et humide) sur la répétabilité du dosage

Échantillon
10 kg

Broyage à sec (dry grinding)

Broyage humide (slurry)

 

Résultats
µg/kg

Moyenne
µg/kg

Résultats
µg/kg

Moyenne
µg/kg

Arachide 1

5,6 8,9 9,2

7,9

9,2 8,8 9,5

9,2

Arachide 2

17,8 13,5 20,2

17,2

18,5 18,0 18,7

18,4

Pistache 1

2,0 3,9 1,8

2,6

3,2, 3,5 3,2

3,3

Pistache 2

28,0 39,2 25,6

30,9

30,2 31,0 30,5

30,6

Méthode d'analyse à mettre en œuvre par le laboratoire 

Au niveau de la méthode de dosage proprement dite, la directive ne fait référence à aucune méthode précise (normalisée ou validée), les laboratoires étant libres d'appliquer la méthode de leur choix à condition qu'elle respecte les critères de performance (taux de récupération et fidélité) énoncés au tableau 5. Il est à regretter que la directive ne fasse pas référence à une méthode bien précise d'analyse et laisse le soin au laboratoire d'utiliser une méthode de son choix (CCM, ELISA, CLHP, etc.) dans la mesure où nous considérons que cela va introduire un nouvel élément au niveau de la disparité des résultats d'analyse. Il serait judicieux, à ce niveau, de faire référence à la norme européenne EN 12955 publiée en 1999 par le Comité européen de normalisation (CEN).

TABLEAU 5

Critères de performance pour le choix de la méthode de dosage des aflatoxines

Critères de performance

Fourchette de concentration

Valeur recommandée

Valeur maximale admise

Valeur à blanc

Toutes concentrations

Négligeable

 

Taux de récupération des aflatoxines B et G

<1,0 µg/L
1 - 10 µg/L
>10 µg/L

50 à 120%
70 à 110%
80 à 110%

 

Fidélité RSDR

Toutes concentrations

Dérivée de l'équation d'Horwitz

Deux fois la valeur dérivée de l'équation d'Horwitz

Cette méthode, qui opère par chromatographie en phase liquide à haute performance (CLHP) et détection par spectrofluorescence après dérivation postcolonne par un halogène (iode ou brome) de la molécule d'aflatoxine, est actuellement la technique la mieux adaptée pour la détection et le dosage de cette mycotoxine dans de nombreuses matrices alimentaires, et celle la plus utilisée par les laboratoires européens. Il est à noter, par ailleurs, que les critères de performance actuellement définis dans la directive (taux de récupération de l'aflatoxine - fidélité de la méthode), et auxquels doit répondre la méthode mise en œuvre, ne nous paraissent pas suffisants pour garantir une bonne concordance de résultats entre laboratoires. C'est ainsi qu'au niveau du taux de récupération, il conviendra de définir si l'on doit ou non en tenir compte dans le calcul du résultat étant donné son incidence sur le jugement final (facteur de correction allant de 0,5 à 1,2). Le critère de fidélité retenu, qui s'appuie sur l'équation d'Horwitz (Horwitz, 1982) et qui se base uniquement sur la concentration (teneur) de l'analyte recherché sans prendre en compte la nature du produit analysé, n'est pas adapté au cas du dosage des aflatoxines dans les arachides et les pistaches pour lequel l'effet matrice est très important (hétérogénéité de contamination).

Compte tenu de la grande variabilité de résultats observée pour ce dosage des aflatoxines, il nous paraît essentiel de prendre en considération cette notion de fidélité de la méthode de dosage au niveau de la rédaction du rapport d'analyse. C'est ainsi que chaque résultat de dosage devrait être obligatoirement accompagné de l'incertitude de mesure comme l'exige d'ailleurs la norme EN/ISO/CEI-17025 qui est le référentiel pour l'accréditation des laboratoires d'analyse. Cette incertitude de mesure devant être elle-même prise en compte dans le jugement final de manière à ne pas pénaliser injustement les opérateurs (acceptabilité ou refus du lot). Pour fixer ces valeurs d'incertitudes, on peut s'appuyer sur les données de fidélité obtenues lors de la réalisation de circuits d'intercomparaison (interlaboratoires) organisés dans le cadre de la normalisation des méthodes d'analyse des aflatoxines.

Les circuits d'aptitudes organisés par le BIPEA (Bureau interprofessionnel d'études analytiques) en France et par le FAPAS (Food Analysis Performance Assessment Scheme) au Royaume-Uni pourront également servir pour fixer ces valeurs d'incertitude de la méthode d'analyse. À noter toutefois qu'il n'existe aujourd'hui aucune donnée fiable obtenue sur des graines d'arachide ou de pistache entières, l'ensemble des résultats disponibles découlant de circuits organisés sur des produits broyés ou pâteux. Il serait ainsi judicieux que l'Union européenne puisse organiser rapidement un circuit interlaboratoires sur des échantillons de 10 kg d'arachides et de pistaches préparés conformément à la directive de manière à pouvoir disposer de données de fidélité (répétabilité et reproductibilité) pour ce type de matrice (grains). Dans l'attente de ces données, on trouvera au tableau 6 les tolérances admises pour le dosage des aflatoxines dans le cadre du circuit organisé par le BIPEA, ainsi que celles qui découleraient du critère de fidélité défini par la directive 98/53/CE (deux fois la valeur dérivée de l'équation d'Horwitz)

TABLEAU 6

Évaluation des incertitudes de dosage des aflatoxines sur la base du circuit BIPEA et des critères de fidélité fixés par la directive 98/53/CE

Teneur en aflatoxine

Incertitudes de mesure basées sur les tolérances du circuit du BIPEA

Incertitudes de mesure calculées sur la base de deux fois la valeur dérivée de Horwitz

2 µg/kg

± 3,2 µg/kg

± 1,8 µg/kg

4 µg/kg

± 5,3 µg/kg

± 3,6 µg/kg

5 µg/kg

± 6,2 µg/kg

± 4,5 µg/kg

8 µg/kg

± 8,6 µg/kg

± 7,2 µg/kg

10 µg/kg

± 10,0 µg/kg

± 9,0 µg/kg

15 µg/kg

± 13,3 µg/kg

± 13,5 µg/kg

Conclusions

Les travaux conduits dans le cadre de l'Union européenne pour l'harmonisation de la réglementation en matière de contamination par les aflatoxines de certaines denrées alimentaires ont clairement montré le caractère indissociable des méthodes d'échantillonnage, d'analyse en laboratoire et des limites retenues, cela étant tout particulièrement vrai pour les produits en grains compte tenu de la grande hétérogénéité de contamination. La mise en œuvre de cette législation communautaire le 1er janvier 1999 a toutefois révélé des dysfonctionnements notables dans son application entre États membres, et a fortement perturbé le commerce international de certaines denrées alimentaires et tout particulièrement celui de l'arachide et de la pistache.

Les problèmes rencontrés étant dus à la fixation de limites réglementaires trop sévères en regard du plan d'échantillonnage rigoureux retenu par l'Union européenne (3 x 10 kg), ainsi qu'à un certain nombre d'imprécisions au niveau des textes conduisant à une lecture différente suivant les états membres, il est regrettable que la Commission européenne ait fixé d'une manière quelque peu arbitraire des limites très faibles en aflatoxines en surévaluant volontairement le risque pour le consommateur européen et cela au détriment des règles du commerce international définies par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) (Accord SPS).

Il apparaît urgent que Bruxelles révise ces limites qui sont aujourd'hui très difficiles à atteindre techniquement sur des produits comme l'arachide et la pistache sans exclure une partie importante de la production mondiale, ce qui est en opposition avec le principe ALARA défini par le JECFA.

Une harmonisation sur la base du Codex Alimentarius (échantillon pour laboratoire: 1 x 20 kg - limite: 15 µg/kg en aflatoxines totales) serait une solution réaliste cela dans la mesure où, comme l'a montré le Comité mixte FAO/OMS du JECFA, cette augmentation des limites n'aurait aucune incidence notable en matière de risque pour la santé du consommateur européen qui est très peu exposé au risque aflatoxines.

En ce qui concerne la directive 98/53/CE, en application depuis le 1er janvier 2001, il conviendrait de préciser et de clarifier certains points de ce texte (plan d'échantillonnage, condition de broyage, incertitude de mesure, interprétation et jugement), ces différents éléments étant, aujourd'hui, la principale cause des disparités de jugement relevées entre Etats membres (20 à 70 pour cent de refus de la pistache iranienne entre pays de l'Union européenne). Sans cette révision des limites réglementaires et l'aménagement de la directive sur l'échantillonnage et l'analyse, on s'expose à voir se développer des disparités de jugement entre États membres (distorsion de concurrence) et augmenter le nombre des litiges commerciaux entre opérateurs. En outre, cette réglementation européenne risque d'être, à juste titre, considérée par les pays exportateurs comme une entrave au commerce international et faire l'objet de la part de ces États d'un recours auprès des instances de l'OMC. Il est également à noter que cette législation risque de ruiner les efforts importants consentis ces derniers temps par les pays producteurs pour améliorer et maîtriser la qualité de leur production comme cela a été pu observé en Iran sur la pistache (Blanc, 2000) et au Sénégal sur l'arachide (démarche HACCP, traçabilité des produits, laboratoires d'analyses, etc.).

Bibliographie

Blanc, M. 2000. Mission d'étude de la filière de production des pistaches en République Islamique d'Iran. Document des laboratoires Wolff 12.

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Summary/Résumé/Resumen

Community legislation on aflatoxins: impact on trade in groundnuts and pistachios

For purposes of harmonization, the European Commission issued Regulation EC 1525/98 in July 1998, setting aflatoxin limits for selected foods together with Directive 98/53/EC, setting out methods of sampling and laboratory analysis. Implementation of this regulation since 1 January 1999 has revealed major practical shortcomings, with the limits set for groundnuts and pistachios resulting in a very high percentage of groundnut and pistachio imports to Europe being rejected. This article takes a close look at the regulation and its directive and proposes amendments to make them more precise and fairer in terms of balancing consumer and producer risk.

Législation communautaire sur les aflatoxines: incidences sur le commerce de l'arachide de bouche et de la pistache

Dans un but d'harmonisation, la Commission européenne a édicté, en juillet 1998, un Règlement (CE 1525/98) fixant des limites en aflatoxines pour un certain nombre de denrées alimentaires, ainsi qu'une Directive (98/53/CE) précisant les modalités d'échantillonnage et d'analyse en laboratoire. La mise en œuvre de cette réglementation depuis le 1er janvier 1999 a révélé des dysfonctionnements majeurs dans son application, et a montré que les limites retenues pour l'arachide et la pistaches conduisaient à rejeter un très fort pourcentage du flux des importations vers l'Europe de ces deux fruits à coque. Cet article fait une étude critique objective de ce règlement et de la directive qui lui est attachée et propose une série d'amendements de ces textes de manière à les rendre plus précis et plus équilibrés entre le risque consommateur et le risque producteur.

Legislación comunitaria sobre las aflatoxinas: incidencias sobre el comercio del maní y del pistacho con cáscara

Con fines de armonización, la Comisión Europea estableció en julio de 1998 un reglamento (CE 1525/98) por el que se fijan límites para aflatoxinas en algunos productos alimenticios, así como una directiva (98/53/CE) en la cual se especifican los métodos de muestreo y análisis de laboratorio.

La introducción de esta reglamentación a partir del 1º de enero de 1999 ha revelado disfunciones importantes en su aplicación y ha mostrado que los límites aplicados para el maní (cacahuete) y el pistacho llevaban a rechazar un porcentaje muy elevado del flujo de las importaciones a Europa de estos dos frutos con cáscara.

En este artículo se hace un examen crítico objetivo de este reglamento y de la directiva correspondiente y se propone una serie de modificaciones de los textos, con objeto de hacerlos más precisos y equilibrados por lo que respecta a los riesgos del consumidor y del productor.

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