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LA PRESSE ÉCRITE PUBLIQUE ET PRIVÉE
(EN FRANÇAIS ET EN LANGUES NATIONALES)

La presse écrite au Burkina Faso est née dans un contexte d'oralité où la place de la communication interpersonnelle était dominante. Celle-ci était le vecteur principal du transfert d'héritage culturel et d'informations sociales.

Des origines aux premières décennies de l'Indépendance, l'évolution socio-historique de la presse s'est caractérisée par:

L'évolution en dents de scie de la presse de la première génération est liée au caractère instable des régimes qui limitent la liberté de presse, "toutes les fois que l'unité nationale s'en trouve menacée."

La presse voltaïque de 1919 à 1977 est en général une presse qui ne s'embarrasse pas de légalité. Les parutions de scolaires, de groupes culturels ou d'associations de jeunesse, de syndicats ou les productions socioprofessionnelles sont loin d'avoir tous les attributs d'une presse conforme. Ces éditions revêtent souvent un caractère artisanal.

Cette presse est souvent éphémère dans sa durée de vie et se présente rarement comme une publication de professionnels mais souvent comme une œuvre de profanes privés.

Durant cette période, 80% sont éditées à Ouagadougou, 10% à Bobo-Dioulasso et les autres dans les quelques localités intérieures bénéficiant d'une relative expansion scolaire.

SOUS LA 3ème RÉPUBLIQUE ET À PARTIR DE 1978

La presse a quantitativement accru ses performances. On note un crescendo. Si on peut juger du dynamisme de la presse à partir des titres qu'elle anime, on peut également l'évaluer sur la base de son contenu. Or, 1978 correspond à une plus grande possibilité de déploiement des opinions en raison de l'effet continu de la grogne des syndicats antérieurs. C'est une époque de multipartisme célébrant la différence. C'est une presse certes d'information, mais aussi d'action; c'est une presse de revues gouvernementales mais aussi de titres privés. Mais c'est en général beaucoup plus une presse de périodiques que de quotidiens. Et c'est véritablement la presse du quotidien qui a bâti la chronique de la 3ème République, notamment avec l'Observateur.

C'est une presse qui se divise relativement en 11 groupes:

Sous le Conseil du salut du peuple (CSP) et la période révolutionnaire, quinze journaux sont inventoriés avec quelques fait majeurs:

DU FRONT POPULAIRE À LA 4ème RÉPUBLIQUE

Il n'y a pas de changement fondamental dans le traitement de l'information dans la presse d'Etat mais on note l'émergence de publications privées; l'Observateur Paalga reprend cependant du service et gagne en notoriété et en qualité.

En août 1991, plus de 80 journaux ont reçu l'autorisation de paraître. 40 ont eu une existence effective. On note que 15 n'ont jamais paru; une dizaine qui exerçaient leurs activités ont cessé de paraître.

Au décompte, il y a environ une vingtaine de titres qui sont sur le terrain à la même période et beaucoup ont une parution irrégulière, la cause étant un manque de finances. Il a été constaté une absence de maîtrise dans le management des règles qui président à la gestion des entreprises de presse. Ces maladies infantiles de la presse au Burkina contraignent les journaux à une existence de nanisme.

Le pays entier connaît le sceau du pluralisme. Plus de 60 partis politiques existent au Burkina. Le libéralisme ouvert fait que la presse burkinabé demeure fortement politisée. Les hebdomadaires et surtout les quotidiens en sont le thermomètre. Les rubriques les plus fournies sont la culture, le sport et surtout la politique avec un minimum de 32% d'espace rédactionnel à elle consacrée toutes origines confondues, de secteur public ou privé.

En fait, l'information est un prétexte pour véhiculer ou parler de faits politiques, du climat social. La forte politisation de la presse est à l'image de la communauté nationale faite traditionnellement d'opinions contradictoires exacerbée par le trop vif intérêt accordé à la chose publique et au besoin grandissant des citoyens d'avoir un maximum de contrôle sur leur environnement au sens large du terme. Bien sûr que cette forme de presse se nourrit d'insuffisances constatées, sortes de pathologies éruptives fréquentes dues essentiellement à la primauté de l'information dirigée, au non respect de la déontologie et quelquefois à l'absence de la preuve de la charge.

Ce mouvement de création des titres résulte de la dynamique politique enclenchée en 1988 au lendemain de l'avènement du Front Populaire, et qui a abouti à la rédaction, au cours de la même année, de l'avant projet de constitution instituant le multipartisme.

Sur le plan média, le Front Populaire organisera du 15 au 16 novembre 1990, un séminaire national sur l'utilisation des moyens de communication de masse dans les projets de développement, où la nécessité d'utiliser les médias pour le développement sera affirmée.

Mais dans les faits, les titres créés sont souvent timides sur les questions de développement et préfèrent accorder plus de place aux activités des pouvoirs publics au détriment de celles du monde rural.

Après le vote de la Constitution le 2 juin 1991, le mouvement de création sera désormais continu. Le Code de l'information (1993) viendra conforter davantage les promoteurs de presse: 36 titres en 1992; 27 en 1993; 39 en 1994; 28 en 1995; 26 en 1996; 36 en 1997; 28 en 1998 et depuis le début de 1999, 5 titres. Au total, plus de trois cents titres seront créés de 1989 à 1999.

Sur l'ensemble des titres, toutes langues confondues, seule une dizaine de journaux sont édités à Bobo-Dioulasso (7 déclarés au parquet de cette ville et un non déclaré). En y ajoutant l'hebdomadaire Le Matin édité à Bobo mais déclaré à Ouagadougou, cela fait au total 9 titres pour Bobo-Dioulasso. Le seul journal en langue nationale (Jula), Le Partenaire, qui paraissait dans cette ville, a interrompu sa publication.

Hormis Bugumdaki, Sôore et Teeguembiiga, fondés respectivement en 1975 et 1984, et Laabaali (1988), la plupart des autres journaux en langues nationales trouvent leur origine dans les mutations sociales et politiques de l'après 1987. Au moins quatorze titres en langues nationales ont vu le jour.

RÉPARTITION PAR GENRE DES TITRES CRÉÉS ENTRE 1989 ET 1999

Informations générales

:

81

Informations spécialisées

:

90

- courses

:

19

- et sport

:

18

Organes de partis

:

8

Journaux confessionnels

:

15

Journaux en langues nationales

:

23

Journaux à genres inconnus

:

133

Les courses et le sport sont les plus représentés au sein des titres spécialisés (respectivement 19 et 18 titres). Le reste des titres spécialisés couvrent des domaines variés qui vont de la culture au droit des affaires en passant par les marchés régionaux, la finance, le commerce, les entreprises, l'économie, les banques, l'éducation, la jeunesse, etc. En fait, c'est tout le champ social, économique et culturel qui se trouve ainsi investi.

Mais de ces trois centaines de titres créés, seulement moins d'une centaine continue de paraître en 1999. Certains des titres ont disparu avant d'avoir produit le moindre numéro. D'autres ont produit quelques numéros parfois avec des parutions très irrégulières avant de s'éclipser, à la manière d'étoiles filantes. Quelques-uns sont revenus parfois de leur éclipse avant de sombrer définitivement.

Cette situation de fort taux d'écrémage des titres (à peu près 74% de taux de disparition), n'est pas toutefois spécifique du Burkina Faso. Cette brièveté de la durée de vie de la majorité des titres de presse est un phénomène préoccupant. Le produit presse est une entreprise particulière qui nécessite une armature particulière qu'ici, comme ailleurs, les amateurs euphoriques n'ont généralement pas toujours.

Cet engouement des promoteurs de la presse écrite burkinabé relève un dynamisme des entrepreneurs de presse mais il laisse apparaître la marginalisation relative de l'arrière-pays, excepté Bobo-Dioulasso, où l'on note quelques initiatives privées.

LES PRINCIPAUX TRAITS CARACTÉRISTIQUES DE LA PRESSE ÉCRITE BURKINABÉ

En excluant des quotidiens les publications consacrées aux courses (le tiercé), qui sont au nombre de trois, et le Fespaco News, qui ne paraît que pendant la durée du festival, il reste tout de même six titres sûrs de quotidiens d'informations générales. L'existence d'une demi-douzaine de quotidiens sûrs, nous semble-t-il, témoigne d'un dynamisme certain des entrepreneurs de presse burkinabé.

Mais, la plupart des entrepreneurs burkinabé s'assurent-ils, d'abord et avant toute chose, de savoir un minimum sur "comment créer et gérer son propre journal" avant de se lancer à corps perdus dans l'aventure?

Cette presse écrite bipolaire (presse en langue française/presse en langues nationales) discrimine le lectorat (d'un côté, les seuls scolarisés en français, de l'autre, les alphabétisés dans la langue nationale concernée) et se trouve dans des rapports de complémentarité.

LES ATOUTS DE LA PRESSE ÉCRITE BURKINABÉ

  1. Après 1987, l'émergence d'un environnement politique favorable est sans conteste le premier des atouts de la presse burkinabé. Le processus de démocratisation ouvert par l'adoption de la Constitution du 2 juin 1991 et qui s'est, peu à peu consolidé depuis cette date (mais sans doute pas suffisamment encore), en apportant le pluralisme politique, a permis aussi une liberté d'opinion (partis politiques et syndicats), d'expression et d'entreprise, du moins au terme de la loi, et surtout dans le domaine de l'information qui a vu fleurir une presse de toute nature: trois centaines de titres de presse écrite et plusieurs radios publiques et privées (associatives et confessionnelles).
  2. Ce processus s'est surtout accompagné (il n'en a pas toujours été ainsi à toutes les périodes de desserrement des libertés) d'une appropriation par la société civile des acquis: élaboration de textes appropriés dont un Code de l'information, assez libéral au demeurant, même s'il peut encore être amélioré dans le sens d'un meilleur développement de la presse, et mise sur pied de structures, notamment de régulation: Conseil supérieur de l'information (CSI)
  3. D'autre part, les acteurs du monde de l'information et de la communication ont pris conscience de la nécessité de s'organiser pour faire face à la nouvelle donne d'un régime concurrentiel. Cette prise de conscience s'est concrétisée par la création d'organisations professionnelles et de syndicats en vue de la défense des intérêts professionnels, l'élaboration d'une charte des journalistes et des tarifs normalisés des journaux et de la publicité, par la Société des éditeurs de la presse privée (SEP). Si bien que cet environnement politique favorable a entraîné chez le burkinabé le développement d'un esprit nouveau d'entreprise, notamment dans le domaine de la presse écrite, avec bien sûr certains travers et excès qu'on peut aisément comprendre.
    Dans le domaine de l'imprimerie, un des secteurs clés de la presse écrite, les promoteurs, auparavant timorés, se sont réveillés brusquement et essaient de combler leur retard par rapport aux structures d'impression des pays voisins: Bénin, Côte d'Ivoire, Togo, qui ont pris une longueur d'avance quantitativement et qualitativement.
  4. La prise de conscience par l'Etat de la nécessité de développer la presse, en particulier par son Ministère de la communication, est aussi un important facteur de progrès. Cette prise de conscience de l'Etat s'est concrétisée par l'organisation de débats-forums dont l'une des matérialisations est le "Livre blanc de la communication". De même, le Ministère ne ménage pas ses efforts pour servir de catalyseur dans l'organisation de la profession des journalistes. Toutefois, l'action de l'Etat devrait se limiter et se borner au seul horizon de catalyse, sinon on pourrait aboutir à un dirigisme à rebours. Le projet, patronné par le Ministère de la communication, de la création d'un ordre des journalistes compte, en particulier en de nombreux points du texte, certaines des actions de l'Etat qui peuvent emprunter le chemin du dirigisme. Les défiscalisations et les aides ou subventions à la presse privée sont des actions attendues et salutaires dans le sens d'une consolidation de la presse. En effet, sur trois années consécutives (1997, 1998 et 1999), l'Etat a subventionné les journaux privés.
  5. L'autre atout de la presse écrite est certainement la confiance et l'espoir des partenaires étrangers (Etats, oranisations internationales et ONG) de contribuer à la consolidation de la démocratie et à un développement durable, et le rôle prééminent que ceux-ci accordent à l'information et à la communication. L'aide bilatérale et celle de nombreuses institutions et ONG du Nord subventionnent plusieurs projets de presse nationale, en particulier la presse écrite en langues nationales.
  6. L'engouement de plus en plus croissant du public pour la chose écrite est également un facteur positif. Ainsi, lors de certains grands événements, les quotidiens sont obligés d'imprimer à deux reprises pour satisfaire la demande.
  7. Enfin, l'étroitesse du marché peut être encore repoussée car des progrès ont été enregistrés ces dernières années en matière de scolarisation, dont le taux passe de 33,7% en 1996 à 41% en 1998. Ces résultats sont à cumuler avec les progrès enregistrés dans le domaine de l'alphabétisation en langues nationales (21% en 1998).

LES FAIBLESSES, CONTRAINTES ET FACTEURS DE BLOCAGE

telles sont quelques-unes des grandes faiblesses qui marquent la presse écrite burkinabé.

L'extrême faiblesse des recettes est le principal souci des journaux. Or, éditer un journal nécessite une mise de fonds importante. Un journal se fabrique toujours plus cher qu'il ne se vend. Son coût de fabrication est toujours supérieur à son prix de vente. En règle générale, c'est la publicité qui compense ce déficit. Or, la publicité dans la presse burkinabé est d'un apport tout dérisoire (cent mille francs de pleine page dans les hebdomadaires; soixante quinze mille dans les quotidiens. Résultat: les journaux, du moins ceux qui ont cette manne publicitaire, essaient d'en mettre au maximum à chaque parution, au prix d'un déséquilibre du rapport entre surface rédactionnelle et surface publicitaire. Ce déséquilibre entre surface rédactionnelle/surface publicité atteint quelquefois des seuils d'extrême saturation dans certains journaux de la place.

FORCES ET FAIBLESSES DES JOURNAUX EN LANGUES NATIONALES

LES FORCES

En une décennie d'actions, les journaux en langues nationales ont contribué à la formation d'un environnement lettré en milieu paysan et à la promotion des langues nationales. Certains des titres (Sôore, Laabaali, etc.) sont devenus des instruments d'alphabétisation et de post-alphabétisation, et les acteurs de l'alphabétisation (Ministère de l'enseignement de base et de l'alphabétisation, Directions provinciales de l'enseignement de base, Ministère de l'agriculture en sont contents et fiers. Ils sont très appréciés par les organisations paysannes et réclamés par les producteurs qui ont, à travers leurs colonnes, un tremplin pour promouvoir, non seulement leurs activités, mais aussi pour se faire connaître et communiquer entre eux.

Ces journaux forment les producteurs dans les domaines de l'agriculture, de l'élevage, de la protection de l'environnement et de la santé. Cette dernière est même devenue l'une des rubriques prisées (aussi bien des lecteurs de Sôore que de ceux de Laabaali que nous avons pu visiter). Dans certains cas, ils constituent le ciment identitaire provincial et régional.

Par leur action, les paysans des zones couvertes ont pu, par ailleurs, s'ouvrir à la conscience régionale, nationale et internationale. La recension des rubriques d'un titre tel Sôore est explicite à ce titre car il couvre:

  • actualité,
  • étranger,
  • sport,
  • drames,
  • alphabétisation,
  • agriculture et élevage,
  • gestion de l’environnement,
  • changement de mentalité,
  • culture générale,
  • politique,
  • coutume,
  • éditorial,
  • développement,
  • femmes,
  • éveil à la connaissance,
  • pensée.

Grâce aux journaux ruraux, les paysans peuvent s'exprimer. Du reste, la plupart des journaux en langues nationales sont écrits par eux. Par exemple, 62,3% des articles de Sôore sont écrits par les lecteurs (même si ces articles se concentrent sur une seule page et portent essentiellement sur les problèmes et conseils dans le domaine de la santé) contre 31,7% par les rédacteurs.

Les contenus des journaux en langues nationales sont bons, relativement à des équipes de rédaction qui ne comportent pas un seul professionnel. Ces contenus peuvent encore être améliorés, pour peu que soient organisées, pour les rédacteurs, des sessions annuelles d'initiation à l'écriture journalistique et aux techniques du secrétariat de rédaction. La formation du monteur de Laabaali sur PAO (publication assistée par ordinateur), qui a été assurée par Ferdinand Dabiré, produit des résultats intéressants qui placent ce titre parmi les mieux présentés des journaux en langues nationales.

L'initiation à l'écriture journalistique est également une nécessité pour les correspondants. Sur ce point, un titre comme Laabaali est dans la bonne direction, d'abord parce qu'il recrute ses correspondants sur test, et ensuite parce qu'il organise, chaque année, des sessions de formation pour eux (cette formation est assurée, entre autres, par le correspondant local de l'Agence d'information du Burkina (AIB), Issaka Ouédraogo).

Les rédactions de ces journaux auraient besoin aussi d'être épaulées par un professionnel de la presse pour une meilleure organisation des contenus, pour une offensive marketing en direction des annonceurs (ventes des espaces publicitaires devenues une nécessité à l'étape actuelle du développement et des contraintes propres à ces journaux), et pour une stratégie de commercialisation plus dynamique (surtout dans le domaine de l'abonnement et de la distribution). Cette assistance pourrait se faire sur une courte durée, un mois par exemple dans l'année, le temps d'y enraciner une petite culture d'entreprise de presse.

Enfin, les journaux en langues nationales ont un taux de pénétration très intéressant dans les campagnes. Sôore, par exemple, quadrille tous les vingt et un départements de l'ancien Yatenga comprenant trois provinces, Lorum, Yatenga et Zandoma, et pénètre même, hors de sa zone naturelle d'influence, dans les provinces comme le Kadiogo, le Kouritenga, l'Oubritenga et le Bam. Au total, Sôore entretient dix-neuf comités départementaux de rédaction, plus de six cents clubs de lecture, même si actuellement une partie de ceux-ci ne sont plus très fonctionnels, et le titre est disponible dans les bibliothèques départementales de la province.

D'autre part, ayant les mêmes cibles que les associations, les ONG, les services et projets de développement ainsi que les collectivités territoriales décentralisées, ces journaux peuvent aider à les toucher à travers leur colonnes.

LES FAIBLESSES

Les journaux en langues nationales connaissent d'énormes et sérieuses difficultés qui, à terme, peuvent compromettre la pérennité d'un grand nombre d'entre eux. Sur la vingtaine de titres recensés, seule une demi-douzaine de titres paraissent assez régulièrement: Laabaali, Sôore, Hakilifalen, Venegda, Bângr-kûnga. En fait, ces difficultés se concentrent surtout autour des problèmes financiers, en particulier de distribution (méventes, non-recouvrement des recettes, etc.) entraînant, pour la majorité des titres, une grande faiblesse des recettes et, par contre coup, l'absence de motivations tant chez les rédacteurs que chez les distributeurs et dépositaires vendeurs.

Ainsi, par exemple, au moment de notre visite à Sôore, la rédaction se trouvait dans une situation de démobilisation presque totale. Cela faisait, en effet, trois mois que le personnel n'avait pas perçu de salaire, parce que le financement de la coopération suisse qui subventionne le journal à hauteur de 80% n'était pas encore arrivé. Les rédacteurs étaient donc plutôt préoccupés par des problèmes plus terre à terre de survie que par ceux d'écriture des articles. En fait, le journal se trouvait placé dans un cercle vicieux. Les exercices 96 et 97 ayant produit des résultats très médiocres (18,7% de taux de réalisation sur la vente du journal en 1997 contre 49% en 1996), ceci explique-t-il cela? Or, s'il y a des temps morts dans la production, les exercices suivants peuvent être encore plus catastrophiques.

D'autre part, Sôore dépense, sur l'année, plus de vingt millions de francs CFA quand, dans les même temps, ses recettes sont seulement d'environ cinq millions. On mesure tout l'écart que le journal doit combler pour passer de la subvention de la coopération suisse à l'autofinancement.

Dans l'ensemble, il semble que les responsables des journaux en langues nationales aient été très peu préparés à assumer la gestion et le management de leurs publications. En effet, le tout n'est pas de produire un journal. Il est important de pouvoir et de savoir le vendre, et d'être aussi capable de produire une valeur ajoutée qui permette de poursuivre sa fabrication et de motiver les rédacteurs et tous les agents qui, dans la chaîne, contribuent à sa production.

De ce point de vue, seul Laabaali, qui appartient au complexe PAG (Programme d'alphabétisation au Gulmu) de l'Association Tin Tua, une machine assez bien huilée, semble faire figure d'exception, par une gestion qui paraît manifester un très grand dynamisme. Sur un tirage de 5 300 exemplaires1, qui était celui de Laabaali jusqu'en janvier 1999, on dénombre 4 009 abonnés; donc bien loin des quelques dizaines d'abonnés déclarés par Sôore et, ce, douze années après la création de ce titre (cf. rapport intermédiaire d'évaluation, 1998). Les abonnements de Laabaali ratissent large sur tout ce que le Gulmu compte comme potentialités dans ce domaine. Dans la partie des "Six S", le Yatenga, qui regorge en outre d'une multitude d'ONG, de services et de projets, ceux-ci manifestement semblent très peu concernés par les abonnements de Sôore, sauf quelques services comme la Direction provinciale de l'enseignement de base et de l'alphabétisation qui elle-même connaît depuis quelque temps des problèmes de financement.

Autre fait unique à l'actif de Laabaali, ses correspondants, au nombre de 45 et répartis sur tout le Gulmu, sont dotés, chacun, d'une bicyclette, d'un appareil photo et d'un magnétophone (les indispensables outils du parfait reporter). Chaque mois, le correspondant peut envoyer au plus deux articles, payés cinq mille francs l'unité. Ailleurs, les correspondants n'ont rien de tout cet équipement nécessaire au bon accomplissement de leur travail.

Les difficultés de recouvrement des recettes de vente proviennent surtout de ce que vraisemblablement les commissions sont très peu gratifiantes. Mais quelquefois aussi, les distributeurs et dépositaires-vendeurs qui se trouvent être souvent les comités de rédactions et les superviseurs, et qui tous écrivent pour le journal, ne comprennent pas toujours très bien pourquoi, dans ces conditions, ils doivent se fatiguer pour vendre et retourner après l'argent à d'autres. Certains des vendeurs, pour pouvoir écouler leurs stocks, seraient obligés de faire le portage de marché en marché de villages, à pied, et sans qu'on leur donne le moindre petit sac en plastique pour protéger les journaux des intempéries. Ce qui provoque parfois leur colère quand on refuse de reprendre leurs invendus sous le prétexte qu'ils ont été salis ou abîmés. Entreprendre suppose pourtant qu'on consente à un investissement minimum.

Ce problème de recouvrement des recettes de ventes, à Sôore comme un peu partout ailleurs, ne permet pas toujours d'estimer et a fortiori de connaître exactement le taux d'invendus des journaux en langues nationales. Ainsi, sur un tirage total de 38 000 exemplaires répartis sur huit numéros en 1997, la comptabilité de Sôore n'aura perçu, en recettes de vente, que 1 027 045 F CFA, soit en défalquant les commissions des vendeurs, quelque chose comme l'équivalent de 9 871 journaux vendus. Ce qui représenterait environ 75% d'invendus.

La réorganisation de la distribution des journaux en langues nationales passe certainement par une remotivation du personnel permanent et des collaborateurs. Une solution de pis-aller semble avoir été choisie par Sôore qui fait à la fois de ses rédacteurs départementaux ses distributeurs-dépositaires-vendeurs, une confusion des fonctions qui peut être fort dommageable. Ici encore, la stratégie de Laabaali, qui consiste à distinguer nettement les fonctions de rédaction et de vendeur, est réaliste.

Les problèmes que rencontrent les journaux en langues nationales sur leur chemin sont ardus mais non insolubles. Mais cela passe avant tout par une grande vision dans la stratégie de l'entreprise et une grande rigueur dans la gestion. Les publications ne sont pas toujours outillées dans ce sens, mais celles qui manifestent la volonté d'aller dans cette direction mériteraient d'être aidées. La sauvegarde de ce maillon de communication est essentielle pour tous les partenaires du développement.

RECOMMANDATIONS

Au terme de cette étude, il convient de dégager quelques recommandations clefs dans la perspective de la promotion de la presse écrite et, en particulier, d'une presse écrite qui participe au développement rural.

Les recommandations sont à la fois d'ordre structurel et fonctionnel.

RECOMMANDATIONS D'ORDRE STRUCTUREL

LA CRÉATION D'UNE MESSAGERIE DE PRESSE

Le sous-développement de la presse écrite au Burkina se caractérise par sa très faible circulation. Il faut créer une messagerie qui prendrait la forme d'une coopérative placée sous la responsabilité de la Société des éditeurs de presse (SEP). Des études ont été réalisées dans ce sens par le Ministère chargé de la communication.
L'utilisation rationnelle des moyens de transport en commun reliant les villes entre elles constitue pour le moment le meilleur circuit à faible coût pour la distribution des feuilles. La distribution pourrait, à l'intérieur du pays, s'appuyer sur les moyens de transport courant (vélo et vélomoteurs). Il convient dans cette perspective de revoir les circuits de la distribution habituelle que sont:

LA CRÉATION D'UNE CENTRALE D'ACHAT DES MATIÈRES PREMIÈRES

Le coût des matières premières est l'une des conséquences du coût élevé des feuilles d'information. La création d'une centrale d'achat diminuerait les coûts des facteurs de production.

La centrale d'achat fonctionnerait sous forme de coopérative des éditeurs de presse. Reconnue par l'Etat, elle jouirait d'un abattement fiscal important sur les matières premières importées.

LA CRÉATION DE GROUPES DE PRESSE

La viabilité de la presse écrite passe par une nouvelle vision de son statut et de sa conception des journaux dont la plupart sont des entreprises individuelles qui fonctionnent artisanalement et n'ont pas les moyens nécessaires pour survivre ou d'être réellement rentables.

Aussi serait-il préférable d'encourager le regroupement des feuilles d'information sous forme d'entreprise à action publique. Les plus importants pourraient évoluer en groupes de presse.

RECOMMANDATIONS D'ORDRE FONCTIONNEL

LE RENFORCEMENT DES CAPACITÉS OPÉRATIONNELLES DES ENTREPRISES DE PRESSE

La performance des médias écrits passe par celle de leurs équipements et de la qualité des journalistes. Dans ce but, le renforcement des capacités opérationnelles des journaux concerne:

LE RENFORCEMENT DE LA LIBERTÉ DE PRESSE

La révision du Code de l'information est nécessaire pour réexaminer toutes les dispositions qui limitent la liberté de la presse. Dans ce sens, nous proposons la modification des articles 87 à 90 relatifs aux crimes et délits commis par voie de presse ainsi que de l'article 123 relatif à la procédure judiciaire. La procédure de flagrant délit ne devrait plus s'imposer aux délits de presse. La possibilité d'emprisonnement ferme devrait être supprimée, sauf pour des cas d'une extrême gravité mettant en danger la cohésion nationale (haute trahison, l'incitation au racisme, au tribalisme, à la guerre civile, etc.).

LA FORMATION À LA DÉONTOLOGIE ET À L'ÉTHIQUE

Une attention particulière devrait être accordée à la formation des journalistes en matière de déontologie et d'éthique. La plupart des fautes commises par les journalistes traduisent leur méconnaissance des règles morales qui régissent leur profession.

LA RÉFORME DE L'AIDE DE L'ETAT À LA PRESSE PRIVÉE

Les critères de l'aide de l'Etat à la presse privée devraient être plus rigoureux. L'aide doit aller aux journaux qui s'efforcent de paraître régulièrement et qui privilégient l'information générale et la communication pour le développement.

En plus de la subvention déjà octroyée, l'Etat pourrait également offrir des facilités pour la distribution postale et alléger les charges fiscales des entreprises de presse.

En l'absence d'une structure de contrôle de diffusion, le Conseil supérieur de l'information pourrait servir de structure chargée du choix des journaux retenus pour bénéficier de l'aide de l'Etat. Sur ce point, l'atelier national préconise de revoir entièrement la structure de la commission paritaire dans le sens d'une plus grande autonomie et de transparence dans le choix du président de ladite commission par la profession.

DE LA TRANSPARENCE DANS LA GESTION DES JOURNAUX

Il convient de mettre en place un mécanisme qui favoriserait la transparence dans le financement des journaux. Le Conseil supérieur de l'information, ou tout autre organe indépendant, devrait avoir la possibilité de vérifier les sources de financement des journaux.

LA CRÉATION D'UN OBSERVATOIRE DE LA PRESSE

L'Observatoire de la presse serait une structure indépendante constituée des éditeurs de presse, eux-mêmes chargés de veiller au respect de la déontologie dans les journaux.

Le Conseil supérieur de l’information pourrait intervenir en tant qu’instance arbitrale si des conflits éclataient entre journaux pour des raisons déontologiques ou d’intérêt professionnel. Le Conseil supérieur de l’information pourrait également veiller au respect des règles régissant la publication (déclaration préalable, dépôt légal, etc.).

LE RESPECT DU DÉPÔT LÉGAL

Dans l'attente de la mise en place effective de la bibliothèque nationale, une structure ou une direction du Ministère chargée de la culture devrait gérer le dépôt légal pour le compte de l'Etat. Cette disposition comblerait les graves négligences des entreprises de presse en matière de dépôt légal.

L'ENREGISTREMENT DES TITRES

Un soin particulier devrait être apporté par le parquet dans l'enregistrement des titres. Il devrait veiller au respect des formes légales de la déclaration. Pour ce faire, l'utilisation d'un fichier informatique faciliterait l'enregistrement des titres, leur mise à jour et leur consultation par les chercheurs.

LA CRÉATION D'UN RÉSEAU DE JOURNALISTES SPÉCIALISÉS EN COMMUNICATION RURALE

La création d'un tel réseau passe par la formation de journalistes ou d'animateurs ruraux de presse dans le domaine du développement rural. Des rubriques consacrées au monde rural seraient créées dans les grands journaux d'information. Le lancement d'un journal spécialisé sur les questions relatives au monde rural devrait être soutenu.

L'ensemble des journalistes s'intéressant à ces questions pourront créer un réseau d'information et d'échanges sur des sujets relatifs au développement rural.

L'ÉLABORATION D'UN RÉPERTOIRE ANNUEL DE LA PRESSE

Le Conseil supérieur de l'information pourrait publier chaque année un annuaire ou un répertoire des titres d'information paraissant au Burkina.

L'ORGANISATION DU SECTEUR DE L'IMPRIMERIE

La création d'un syndicat des imprimeurs contribuerait à la modernisation du secteur et à l'amélioration de la gestion et des conditions de travail des imprimeurs.

L'OUVERTURE D'UN CENTRE DE FORMATION AUX MÉTIERS DU LIVRE ET DE L'IMPRIMERIE

La plupart des travailleurs des imprimeurs sont formés sur le tas. L'insuffisance de qualification explique souvent la mauvaise qualité du produit fini des imprimeries.

L'AMÉLIORATION DU STATUT ET DU TRAITEMENT DES JOURNALISTES DE LA PRESSE PRIVÉE

Les journalistes de la presse privée sont mal rémunérés et ne bénéficient pas souvent d'une couverture de la sécurité sociale. On pourrait pallier à cette situation par l'adoption d'une convention collective des travailleurs de la presse qui s'appliquerait à toutes les entreprises de la presse.


1 C’est le chiffre du tirage jusqu’en janvier 1999, Depuis cette date, celui-ci a été réajusté et abaissé à 3 600 exemplaires pour tenir compte de la sur-évaluation qui avait été faite des bibliothèques et pour tenir compte aussi du fait qu’une part importante du potentiel de lecteurs est déjà touchée par les abonnements.

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