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La convention sur le climat et l'avenir du marché forestier des réductions d'émissions de carbone

P. Moura-Costa

Pedro Moura Costa est directeur général
de la compagnie EcoSecurities Ltd., Oxford
(Royaume-Uni), une société de conseils
spécialisée dans les aspects techniques
et financiers de la foresterie, qui œuvre
dans le secteur du piégeage du carbone
depuis 1992, et a lancé une série d'initiatives
financières novatrices en faveur de
l'environnement.

Bien que le rôle que jouent les forêts dans l'atténuation des changements climatiques soit encore incertain, le nombre des projets forestiers visant la réduction des émissions va en s'accroissant, et représente un potentiel d'investissement considérable dans ce secteur.

Bien que la CCNUCC ne soit pas encore en vigueur, des projets visant le piégeage du carbone par les plantations forestières ont déjà été mis au point dans l'attente d'avantages à venir

- DÉPARTEMENT DES FORÊTS DE LA FAO/FO-0405/C. PALMBERG-LERCHE

Depuis l'institution de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en 1992, les politiques forestières visant l'atténuation des niveaux atmosphériques de gaz de serre ont fait l'objet de changements rapides et complexes. Le Protocole de Kyoto, avec ses engagements contraignants en matière de réduction des émissions de ces gaz, cite le boisement, le reboisement et le déboisement parmi les activités d'utilisation des terres à prendre en compte dans la réalisation des objectifs de la Convention. Pour ce faire, trois mécanismes de flexibilité sont proposés. Cependant, la place que devrait occuper la foresterie dans le Protocole n'a pas été clairement définie et se prête à de nombreuses interprétations, notamment en ce qui concerne l'intégration des activités liées à l'affectation des terres dans le mécanisme pour un développement propre.

Malgré ces incertitudes, un nombre croissant de projets forestiers visant la réduction des émissions ont été établis parallèlement aux politiques en vigueur. À ce jour, plus de 40 de ces projets ont pour objectif prioritaire de stocker le carbone ou d'empêcher sa libération dans l'atmosphère. Bien que le marché forestier des émissions de carbone dépende encore de décisions politiques, il est susceptible d'attirer des investissements considérables. Pour cela, il faut que les forestiers acquièrent des connaissances plus approfondies sur les marchés du carbone et les mécanismes de crédit, ainsi que sur la manière dont ce nouveau produit affectera les pratiques de gestion.

Le présent article passe en revue l'évolution du processus de négociation et son incidence sur le marché des réductions des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, certaines tendances et situations analysées ici sont susceptibles de changer suite à la deuxième partie de la sixième Conférence des Parties à la CCNUCC (COP-6), qui devrait se tenir en juillet 2001.

LES POLITIQUES

La CCNUCC et la notion de Mise en œuvre conjointe

En juillet 1992, les représentants de 155 pays se sont réunis à Rio de Janeiro (Brésil) pour participer à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED). Reconnaissant la menace légitime que pose le changement climatique, les Parties ont signé la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCCC) qui a débouché sur l'engagement volontaire des pays industrialisés (pays de l'Annexe I) de réduire leurs émissions à l'aube du XXIsiècle jusqu'au niveau de 1990. L'accord prévoyait la mise en œuvre conjointe de la Convention en vue de réduire les gaz à effet de serre. Les investisseurs finançant les activités exécutées conjointement auraient droit à des crédits d'émission équivalant au carbone piégé grâce aux investissements, et ils seraient autorisés à utiliser les crédits pour diminuer leurs obligations en matière de production de gaz à effet de serre (impôts sur les émissions de carbone, plafonnement des émissions, etc.) dans leurs propres pays. La Mise en œuvre conjointe se justifie par le fait que les coûts marginaux de la réduction des émissions ou du piégeage du dioxyde de carbone sont normalement plus bas dans les pays en développement que dans les pays développés.

Phase pilote pour les «Activités exécutées conjointement»

Le désaccord exprimé par les pays du G77 à l'égard du principe de la Mise en œuvre conjointe à suscité une opposition croissante à ce modèle. Les pays estimaient, entre autres, qu'il s'agissait d'un mécanisme permettant aux pays industrialisés de contourner les problèmes réels liés à la réduction des émissions par les sources. On craignait également que les pays en développement puissent céder à faible prix leurs permis d'émission aux pays industrialisés pendant cette phase initiale où ils n'étaient pas tenus de réduire leur propre production de gaz à effet de serre.

Au cours de la première Conférence des Parties à la CCCC, tenue en 1994, ce désaccord s'est traduit par le rejet officiel de la Mise en œuvre conjointe. À sa place, les participants ont accepté un compromis proposant l'établissement d'une phase pilote pendant laquelle les projets seraient appelés «Activités exécutées conjointement». Au cours de cette phase, ces projets auraient eu pour objectif l'établissement de protocoles et d'expériences, mais sans échange effectif des crédits d'émission entre les pays développés et en développement.

Le Protocole de Kyoto

Le Protocole de Kyoto a été conçu pendant la troisième Conférence des Parties (COP-3) à la CCCC en décembre 1997. L'aspect le plus important de ce protocole est l'engagement contraignant pris par 39 pays développés et des pays aux économies en transition (les pays inscrits à l'Annexe B, appelés pays de l'Annexe I dans la CCCC) de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d'environ 5,2 pour cent par rapport au niveau de 1990 au cours de la période d'engagement allant de 2008 à 2012. Le protocole approuvait également l'emploi de trois mécanismes de flexibilité pour faciliter la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à savoir: l'échange des engagements chiffrés en matière de limitation et de réduction des émissions (QUELRO), la Mise en œuvre conjointe et le Mécanisme pour un développement propre.

Un autre résultat important de l'accord a été la reconnaissance du rôle des activités forestières ou «puits» dans la réduction de la concentration nette des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Cette reconnaissance est mentionnée dans les Articles 3.3 et 3.4 du Protocole qui traitent du «boisement, reboisement et déboisement» et des «activités anthropiques supplémentaires ayant un rapport avec ... le changement d'affectation des terres et de la foresterie», respectivement. Le Protocole de Kyoto énonce clairement que les pays inscrits à l'Annexe I de la CCCC doivent signaler tout changement d'affectation des terres survenu depuis 1990 et qu'ils sont responsables de toute modification des stocks de carbone associée à ces changements. Le Protocole est moins clair en ce qui concerne les activités forestières pouvant être admises au titre de l'Article 12, à savoir du Mécanisme pour un développement propre (voir ci-dessous).

Le Protocole de Kyoto devait être ratifié le 16 mars 1998 et serait devenu juridiquement contraignant 90 jours après sa ratification par le cinquante-cinquième pays, à condition que ces 55 pays soient responsables de 55 pour cent au moins des émissions des pays développés en 1990. Le 25 juin 2001, 84 parties avaient signé le Protocole de Kyoto et 35 l'avaient ratifié. À ce jour, les États-Unis (la principale source individuelle d'émissions) ne l'ont pas ratifié et l'on soupçonne même qu'ils n'y adhéreront pas du tout.

Mécanismes liés aux projets: le Mécanisme pour un développement propre et la Mise en œuvre conjointe

Deux des mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto sont liés à des activités de projet: le Mécanisme pour un développement propre et la Mise en œuvre conjointe. Le Mécanisme pour un développement propre prévoit le financement par les pays développés de projets visant la réduction des émissions de carbone dans des pays en développement. Comme indiqué dans le Protocole, il poursuit un double objectif: premièrement, aider les pays en développement (Parties non visées à l'Annexe I) à progresser vers un développement durable et à contribuer aux objectifs de la CCCC; et deuxièmement, aider les pays développés et les pays aux économies en transition (Parties visées à l'Annexe I) à remplir leurs engagements en matière de réduction des émissions. Les Parties ne figurant pas à l'Annexe I devraient tirer des avantages aux plans économique, du développement et de l'environnement des activités exécutées dans le cadre de projets qui se traduisent par des Réductions d'émissions certifiées exportables. Un aspect important du Mécanisme pour un développement propre est que ces Réductions d'émissions certifiées deviendraient échangeables dès l'application du mécanisme prévue initialement en 2000.


Les forêts et le piégeage du carbone: principes scientifiques

Le piégeage du carbone par les activités forestières se fonde sur deux principes: tout d'abord, le dioxyde de carbone est un gaz atmosphérique qui circule autour du globe; c'est pourquoi tous les efforts visant à l'éliminer de l'atmosphère auront la même efficacité, qu'ils s'accomplissent à proximité de sa source ou de l'autre côté de la planète. En deuxième lieu, les plantes vertes absorbent le dioxyde de carbone atmosphérique pendant la photosynthèse et le transforment en sucres et autres composés organiques servant à leur croissance et leur métabolisme. Les plantes ligneuses adultes emmagasinent le carbone dans le bois et les autres tissus jusqu'à leur mort ou leur décomposition, quand le carbone est libéré dans l'atmosphère sous forme de dioxyde de carbone, de monoxyde de carbone ou de méthane, ou incorporé dans le sol sous forme de matière organique.

Les tissus végétaux ont une teneur variable en carbone. Les tiges et les fruits en contiennent davantage par gramme de poids sec que les feuilles, mais les plantes ayant généralement des tissus riches et des tissus pauvres en carbone, on admet normalement une concentration de 45 à 50 pour cent (Chan, 1982). On peut donc calculer la quantité de carbone stockée dans les arbres d'une forêt si l'on connaît la quantité de biomasse ou de tissu végétal vivant et que l'on applique un facteur de conversion pour transformer le poids de la biomasse en poids de carbone.

La fixation du carbone par les activités forestières est fonction de l'accumulation et du stockage par la biomasse. C'est ainsi que toute activité ou pratique d'utilisation des terres, qui altère le volume de la biomasse dans une zone, influence sa capacité d'emmagasiner ou de piéger le carbone. On peut recourir à un grand nombre de pratiques de gestion des forêts pour réduire l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. L'une consiste à accroître le volume stocké ou le taux d'accumulation du carbone, c'est-à-dire à créer ou multiplier les «puits». Ce mécanisme est important pour les plantations forestières. Une autre pratique consiste à interdire ou à réduire la libération du carbone déjà fixé dans un «réservoir» de carbone existant.

Les nouvelles plantations d'arbres prévues par les plans de boisement, de reboisement et de remise en état des forêts ou les programmes agroforestiers déterminent le stockage du carbone pendant la croissance de l'arbre, c'est-à-dire la création de nouveaux puits. Dans le cadre du Protocole de Kyoto, ces activités sont conformes au principe de l'Article 3.3 (voir texte). À part l'établissement de nouvelles forêts, on peut également fixer le carbone en améliorant les taux de croissance de forêts existantes par des traitements sylvicoles comme l'éclaircie, la coupe de dégagement, le désherbage ou la fertilisation. Des quantités importantes de carbone étant emmagasinées dans le sol, les pratiques de gestion qui augmentent la teneur en matières organiques du sol en favorisent le piégeage. Ces activités s'accordent avec l'esprit de l'Article 3.4 du Protocole de Kyoto.

Au plan du stockage du carbone, les forêts n'ont pas toutes les mêmes propriétés. En général, les vieilles forêts au bois très dense emmagasinent davantage de carbone par volume que les forêts jeunes, à faible densité, composées d'arbres à croissance rapide. Cependant, il ne faut pas en conclure que les techniques de stockage qui s'appliquent aux arbres de haut fût et à croissance lente soient nécessairement meilleures que celles qui prévoient des plantations d'arbres à croissance rapide ou inversement, car le piégeage est fonction des taux de croissance et du stockage au fil du temps (Moura-Costa, 1996a, 1996b).


Parmi les autres aspects du Mécanisme pour un développement propre figurent les suivants:

Étant donné que la structure, le cadre organisationnel et le mode d'opération du Mécanisme pour un développement propre n'ont pas encore été définis, sa date de démarrage reste incertaine. Elle dépend aussi, de toute évidence, de la survie du Protocole de Kyoto.

Par ailleurs, la Mise en œuvre conjointe est un mécanisme parallèle axé sur des projets n'impliquant que les Parties inscrites à l'Annexe I. L'Article 6 du Protocole prévoit, dans le cadre de la Mise en œuvre conjointe, que toute Partie visée à l'Annexe I peut céder à toute autre partie ayant le même statut, ou acquérir auprès d'elle, des unités de réduction des émissions découlant de projets visant à réduire les émissions par les sources ou à renforcer les absorptions par les puits. Comme le stipule le Protocole de Kyoto, les crédits de la Mise en œuvre conjointe ne s'appliqueront qu'au moment du démarrage de la première période d'engagement, soit de 2008 à 2012.

Les activités liées à l'utilisation des terres sont-elles admises dans le Mécanisme pour un développement propre?

Bien que l'article 3.3 du Protocole de Kyoto mentionne spécifiquement l'incidence du boisement, du reboisement et du déboisement (mais pas de la conservation des forêts) pour la réalisation des objectifs agréés par les pays visés à l'Annexe B, l'Article 12 sur le Mécanisme pour un développement propre ne traite que des «réductions des émissions» mais ne cite aucune activité spécifiquement admissible. Le manque de clarté du Protocole à cet égard a autorisé une interprétation d'une liberté troublante et des points de vue entièrement contradictoires ont été exprimés.

Les pays partisans de l'inclusion de la foresterie ont soutenu que l'Article 12 se réfère implicitement aux activités mentionnées dans le corps principal du texte du Protocole de Kyoto (Articles 3.3 et 3.4), alors que les pays contestataires arguent que seules les activités visant la réduction des émissions de combustibles fossiles devraient être prises en compte. Les promoteurs de l'inclusion des activités forestières, eux-mêmes, ne parviennent pas à s'entendre sur les types d'activités forestières à considérer. Certains pays se contenteraient des activités visées à l'Article 3.3 (boisement, reboisement et déboisement) alors que d'autres souhaiteraient l'inclusion d'une gamme beaucoup plus étendue qui traduirait mieux l'esprit de l'Article 3.4 («autres activités»).

La controverse relative à l'inclusion de la foresterie dans le Mécanisme pour un développement propre a amené les délégués de la quatrième Conférence des Parties (COP-4), tenue à Buenos Aires (Argentine) en novembre 1998, à renvoyer toute décision à la sixième Conférence des Parties (COP-6). Lors de cette dernière, le point en question a déterminé la rupture des pourparlers en novembre 2000. La question devra faire l'objet d'une révision pendant les prochains cycles du processus de négociation.

En 1998, l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique de la CCCC a demandé que soit rédigé un rapport spécial sur l'utilisation des terres, le changement d'affectation des terres et la foresterie, rapport qui a été préparé par un réseau international de chercheurs forestiers sous l'égide du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Le rapport avait pour objectif de fournir aux décideurs les informations nécessaires pour mettre en œuvre les aspects du Protocole de Kyoto qui touchent aux forêts moyennant l'examen des besoins et des résultats d'un choix de mesures. Le Chapitre 5 du rapport spécial traite des projets forestiers, et reconnaît, d'une manière générale, le bien-fondé de l'inclusion de la foresterie pour l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GIEC, 2000).

ÉVOLUTION DU MARCHÉ

Au cours des 10 ans environ qui se sont écoulés depuis la CNUED, les activités forestières de fixation du carbone ont évolué, passant d'une idée théorique à un mécanisme commercial visant la protection de l'environnement mondial. À ce jour, plus de 40 projets forestiers ont été entrepris avec l'objectif prioritaire de fixer le carbone ou d'empêcher sa libération dans l'atmosphère (Moura-Costa et Stuart, 1998) (voir figure).

Phase consécutive à la CNUED

Le premier projet forestier de ce type a été conçu en 1992 par la Face1 Foundation, une organisation créée par la Commission néerlandaise d'électricité. Cette fondation avait pour mandat de promouvoir la plantation d'un nombre suffisant de forêts pour absorber la quantité de dioxyde de carbone correspondant aux émissions d'une centrale électrique à charbon de taille moyenne (400 mégawatts) pendant les 40 ans de sa durée de vie (Face Foundation, 1994; Djik et al., 1994). Ce premier projet consistait en des plantations d'enrichissement réalisées en Malaisie sur 25 000 ha (Moura-Costa et al., 1996). Cette initiative a été suivie de quatre autres projets, à savoir le reboisement par de petits exploitants de pâturages dégradés en Équateur (1992), la restauration d'un parc endommagé par les pluies acides dans la République tchèque (1992), un projet de foresterie urbaine aux Pays-Bas (1993) et la remise en état de forêts ombrophiles en Ouganda (1994).

Nouveaux projets de piégeage du carbone mis au point au cours de cinq phases depuis 1989

Note: Les chiffres relatifs à la phase post-Kyoto se fondaient sur des données non officielles et ont été adaptés pour donner une estimation de la contribution d'une année; certains chiffres sont basés sur des annonces de presse et pourraient contenir des imprécisions.

D'autres projets exécutés au cours des premières années qui ont fait suite à la CNUED comprennent (Putz et Pinard, 1994; Moura-Costa et Tay, 1996):

Tous ces projets ont été exécutés à titre volontaire. Certains, établis en prévision de changements dans la législation sur l'environnement, qui auraient imposé aux pollueurs de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, étaient aussi des exercices de relations publiques. Étant donné que les émissions de CO2 n'étaient pas pénalisées (et, en fait, ne le sont pas encore), les compagnies voulaient s'assurer que leurs investissements seraient en harmonie avec les règlements futurs. Initialement, les institutions de réglementation n'étaient pas autorisées à accepter ou rejeter des projets en fonction de crédits d'émission; toutefois, elles pouvaient accepter ou rejeter des projets à inclure dans un système d'enregistrement national.

Au cours des premières années, les sociétés d'investissement payaient tous les coûts des activités de piégeage du carbone, contre la promesse des crédits de carbone découlant de leurs activités. Le montant payé correspondait donc presque invariablement à des coûts marginaux, calculés selon une approche transparente pour les besoins du processus de surenchère de la sélection des projets. La société chargée de l'exécution du projet était normalement remboursée de tous les frais encourus pour la réalisation du projet, et elle conservait le droit d'exploiter tous les produits forestiers tirés du projet.

Perte d'intérêt pendant les Activités exécutées conjointement de la phase pilote

Après l'établissement de la phase pilote d'exécution conjointe des activités en 1994, l'intérêt porté aux projets de réduction des émissions de carbone s'est affaibli car les projets visaient essentiellement la formulation de protocoles, alors que les échanges de crédits d'émission entre les pays développés et les pays en développement n'étaient pas encore autorisés. La phase pilote devait servir à stimuler la Mise en œuvre conjointe, en fournissant des informations de fond qui auraient permis aux décideurs de définir un système d'échange des émissions entre les pays et les entités privées. Cependant, l'impossibilité de transférer les crédits a contribué dans une large mesure à émousser les enthousiasmes, notamment dans le secteur privé. Seuls trois nouveaux projets de plantation d'arbres ont été mis en route en 1997: un projet de reboisement de 6 000 ha à l'aide d'arbres de l'espèce Araucaria hunsteinii au Costa Rica; un projet de foresterie communautaire intéressant 13 000 ha au Mexique, financé par l'International Automobile Association, et un projet de foresterie communautaire pour la production de bois de feu au Burkina Faso, financé par le Gouvernement norvégien par le biais de la Banque mondiale.

Après Kyoto

Après la mise au point du Protocole de Kyoto en 1997, l'établissement d'engagements contraignants a eu un effet de stimulation. D'après une étude réalisée par l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) aux États-Unis et par la Banque mondiale (Ellermann, Jacoby et Decaux, 1998), la réalisation des objectifs de réduction par les échanges d'émissions de gaz à effet de serre aurait généré une demande d'unités de réduction de l'ordre de 20 milliards de dollars EU par an. L'approbation du concept des échanges a déclenché une réaction immédiate dans le marché naissant du carbone. Dans les mois qui ont fait suite au Protocole de Kyoto, une série d'initiatives ont été annoncées. Parmi celles-ci figurent:

Parmi les grandes initiatives lancées après 1997 figure le programme national du Costa Rica, la première initiative mondiale de réduction des émissions de carbone impulsée par un producteur et la première à utiliser la certification et l'assurance indépendantes. Le programme a attiré les financements du Gouvernement norvégien. En 1998, State Forests of New South Wales, une organisation gouvernementale australienne, a commencé à vendre les services de piégeage du carbone de certaines de ses plantations à des compagnies d'électricité australiennes et japonaises. D'autres compagnies forestières se sont aussi aperçu qu'elles pouvaient obtenir des fonds dérivant du carbone pour financer leurs propres opérations, comme le montrent les fonds d'investissement australiens destinés à mobiliser des capitaux pour l'industrie forestière. À la même époque à peu près, la Banque mondiale a lancé son Fonds prototype du carbone avec un capital initial de 150 millions de dollars EU, qui inclura quelques projets forestiers (initialement dans des pays aux économies en transition inscrits à l'Annexe I).

Les incertitudes actuelles

Bien que le Protocole de Kyoto n'ait pas encore été ratifié par un nombre suffisant de pays pour être mis en vigueur, les initiatives visant l'investissement dans le piégeage du carbone grâce aux forêts se poursuivent dans le but d'influencer les politiques. Entre-temps, la foresterie est devenue un sujet extrêmement controversé dans les négociations du Protocole de Kyoto. D'une part, les États-Unis et les autres principaux participants (Australie, Canada, Islande, Japon, Nouvelle-Zélande, Norvège et Fédération de Russie) sont très favorables à l'inclusion dans le Protocole des puits de carbone estimés indispensables pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre. D'autre part, le Bloc européen a pris une position dure sur la question des puits, insistant sur l'utilisation intensifiée de réductions directes à partir des sources pour réaliser les objectifs (bien que les Pays-Bas et la Norvège se soient exprimés plus favorablement à l'égard des puits).

Même si diverses raisons ont été avancées pour justifier le refus des puits (scientifiques, d'intégrité environnementale, d'équité et de déontologie, etc.), elles sont dues largement à la prise de conscience que leur exclusion du Mécanisme pour un développement propre accroîtrait considérablement les coûts de l'atténuation des émissions aux États-Unis, ce qui donnerait un avantage comparatif aux pays de l'Union européenne (UE). Les perspectives d'un impact négatif sur l'économie des États-Unis a poussé le Président, George W. Bush, à peine élu, à retirer son pays du processus de Kyoto dans son état actuel en mars 2001.

Les répercussions de cette prise de position sont très graves car les États-Unis sont le principal producteur individuel de gaz à effet de serre du monde. Bien que l'UE ait insisté sur la ratification du protocole même en l'absence des États-Unis, une telle décision accroîtrait énormément ses coûts de production, et aurait des conséquences néfastes pour le commerce international. Simultanément, une stratégie d'atténuation des gaz à effet de serre qui exclurait les États-Unis aurait, au mieux, un impact limité. Certains commentateurs estiment que l'importance que revêtirait un protocole de dimension mondiale pourrait inciter ces parties à réconcilier leurs points de vue et à chercher un compromis réaliste fondé sur les principes initiaux du Protocole de Kyoto, et qui comprendrait le recours, ne fût-ce que limité, aux puits. Par ailleurs, il est improbable que les États-Unis se retirent du processus sans proposer une solution de rechange. Certains sont de l'avis qu'une telle solution comprendrait l'expansion du programme américain de réduction des gaz à effet de serre, lancé en 1993, et qui se fonde largement sur l'investissement dans des projets d'atténuation en Amérique latine et dans d'autres pays en développement, et sur l'emploi de puits dans les projets nationaux aussi bien qu'internationaux.

Malgré ces incertitudes, un grand nombre de nouvelles initiatives ont été lancées depuis l'annonce du Président Bush. Elle incluent l'offre d'achat d'Unités de réduction des émissions du Gouvernement des Pays-Bas, des initiatives étatiques d'investissement dans des projets aux États-Unis (États du Massachusetts et de Washington, par exemple), et les demandes de propositions du secteur privé aux États-Unis. Il est estimé que les initiatives mises en œuvre récemment par ces derniers visent toutes à influencer les politiques, notamment en prévision des restrictions sur l'émission de gaz à effet de serre qui seront probablement appliquées dans ce pays.

LA VOIE A SUIVRE

À ce jour, les financements affectés à l'atténuation des gaz à effet de serre intéressent une superficie mondiale totale de 4 millions d'hectares de forêts. D'après le GIEC (Brown et al., 1996), la foresterie pourrait absorber environ 15 pour cent des émissions de gaz à effet de serre du monde, une solution partielle au problème global. Si la tendance actuelle à l'investissement se poursuit, on pourrait assister à une importante injection de nouveaux capitaux dans le secteur forestier, ce qui aurait d'énormes répercussions pour la foresterie, la durabilité des ressources naturelles et leur conservation.

La taille potentielle du marché forestier des réductions d'émissions dépend encore beaucoup de mesures administratives, à savoir comment comptabiliser les réductions et quelles activités forestières seront admises au titre du Mécanisme pour un développement propre et du mécanisme de Mise en œuvre conjointe. Le rapport spécial du GIEC mentionné plus haut (GIEC, 2000) aidera les décideurs à prendre des décisions sur ces questions. D'après le rapport, cette solution est réalisable et permettrait la réduction des gaz à effet de serre. Il a été estimé que les projets axés sur la forêt, s'ils ne sont pas limités par les règlements, pourraient attirer des financements de milliards de dollars (GIEC, 2000; Ellerman, Jacoby et Decaux, 1998) qui, à leur tour, détermineraient des niveaux encore plus élevés d'investissement dans l'ensemble du secteur forestier.

Toutefois, pour orienter les investissements il faut créer des marchés. Les fournisseurs devront apprendre en quoi consiste ce nouveau produit ou service écologique offert par leurs entreprises. Une nouvelle possibilité de production existe désormais, mais elle implique l'établissement d'un équilibre entre la valeur des produits forestiers traditionnels et cette nouvelle valeur écologique qu'est le piégeage du carbone, et les gestionnaires forestiers devront s'en rendre compte afin de maximiser la production forestière.

Les investisseurs devront mesurer avec précision l'étendue de leurs obligations vis-à-vis de l'environnement et utiliser les mécanismes du marché pour les réduire par l'achat de crédits ou d'options. Il pourrait en résulter un accroissement de l'investissement dans les activités forestières au niveau mondial, ce qui conférerait une rentabilité accrue à la réalisation de certains des objectifs environnementaux mondiaux.

Bibliographie

1 Forests Absorbing Carbon-dioxide Emissions (forêts absorbant les émissions de dioxyde de carbone).


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