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La sous-alimentation dans le monde

La réduction de la sous-alimentation au cours de la dernière décennie

Selon les dernières estimations de la FAO, on dénombrait en 1997-1999 à travers le monde 815 millions de personnes sous-alimentées, dont 777 millions dans les pays en développement, 27 millions dans les pays en transition et 11 millions dans les pays industrialisés.

S'agissant des pays en développement, ce chiffre représente une réduction de 39 millions de personnes relativement à celui, révisé, de 816 millions pour la période 1990-1992 - période de référence utilisée au Sommet mondial de l'alimentation1. Ainsi, la réduction moyenne annuelle s'établit à présent à environ 6 millions de personnes.

Il y a donc, à l'évidence, ralentissement du déclin du nombre de personnes sous-alimentées dans le monde. Par conséquent, si l'on veut atteindre l'objectif fixé au Sommet mondial de l'alimentation, à savoir diminuer de moitié le nombre des personnes sous-alimentées dans les pays en développement pour 2015 au plus tard, la moyenne annuelle qu'il convient d'atteindre n'est plus de 20 millions mais de 22 millions - chiffre qui dépasse considérablement les résultats actuels.

Le recul enregistré de façon globale dans les régions en développement masque, en réalité, des évolutions contradictoires d'un pays à l'autre: en effet, sur les 99 pays en développement étudiés, 32 seulement ont vu diminuer le nombre de leurs citoyens sous-alimentés entre 1990-1992 et 1997-1999. Le total de la réduction obtenue pour ce groupe de pays est de 116 millions de personnes; il convient de le comparer avec l'augmentation totale de 77 millions, enregistrée pour 48 pays dans lesquels on a observé une augmentation du nombre des sous-alimentés.

Figure 2. Proportion représentée par les personnes sous-alimentées dans les pays en développement, par catégorie de prévalence, 1990-1992 et 1997-1999

Étant donné que ce groupe comprend un certain nombre de grands pays, tels que la Chine, l'Indonésie et la Thaïlande en Asie ou le Nigéria en Afrique, la réduction globale obtenue a plus que compensé l'augmentation totale du deuxième groupe de pays, numériquement plus important. On obtient donc une réduction nette de 39 millions (voir figure 3).

Figure 3. Degré de pénurie alimentaire: évolution du nombre des sous-alimentés entre 1990-1992 et 1997-1999

Ainsi, le nombre des personnes sous-alimentées a considérablement augmenté dans la majorité des pays en développement. (À noter que cette analyse exclut l'Éthiopie et l'Érythrée, qui ne constituaient pas deux pays séparés au début des années 90, et qu'elle exclut également les neuf pays en développement dans lesquels, en 1990-1992, les personnes sous-alimentées représentaient moins de 2,5 pour cent de la population.)

Si l'on prend le nombre des personnes sous-alimentées dans un pays, non pas en termes absolus mais en tant que proportion de la population totale, on obtient un tableau sensiblement différent, car on observe alors que la proportion des sous-alimentés a en réalité décliné dans la majorité (58) des pays en développement (voir figure 2).

Toutefois, il faut se bien garder d'interpréter ce chiffre de façon trop optimiste, puisque dans 18 de ces pays, ce recul proportionnel a coïncidé avec une augmentation du nombre absolu des sous-alimentés. Dans ces pays, la réduction du nombre des sous-alimentés n'a pas suffi à compenser les conséquences de la croissance démographique. Ainsi, la prolifération rapide des bouches à nourrir suscite de nouvelles difficultés face à l'objectif fixé par le Sommet mondial de l'alimentation.

1 Les estimations de la FAO font l'objet d'une révision annuelle à la mesure que parviennent de nouvelles informations.

Les résultats pays par pays

Les progrès accomplis de manière globale dans la réduction du nombre des personnes sous-alimentées du monde en développement entre 1990-1992 et 1997-1999 ont comme effet pervers de masquer les évolutions contradictoires d'un pays à l'autre. Alors que certains pays ont avancé à pas de géant, d'autres n'ont cheminé que lentement, lorsqu'ils n'ont pas stagné. D'autres enfin ont même régressé, la plupart de façon modérée mais, pour quelques-uns d'entre eux, avec un recul sévère.

Les voies empruntées par les pays qui ont obtenu de bons résultats sont diverses. Certains ont consacré davantage de ressources à l'intensification de la production agricole - la meilleure option lorsqu'on souhaite stimuler la croissance économique et, lorsqu'on peut obtenir la participation des petits exploitants agricoles et des consommateurs pauvres, le meilleur moyen de créer une société plus équitable. D'autres ont importé de grandes quantités de nourriture, acquise sur les marchés internationaux des denrées ou reçue sous forme d'aide alimentaire. Cette dernière méthode permet peut-être aux pays qui subissent depuis longtemps les conséquences d'une guerre civile, ou qui ont été frappés récemment par une crise ponctuelle, d'obtenir des résultats supérieurs à ceux initialement escomptés. En outre, il se peut que ces performances soient le reflet d'un redressement consécutif à des résultats médiocres - par exemple, lorsque la proportion des personnes sous-alimentées chute rapidement après le rétablissement de la paix civile et la remise sur pied de l'agriculture. Au demeurant, cette observation vaut, mais à l'inverse, pour les résultats négatifs.

Les performances, des meilleures aux pires

Toutes choses étant égales par ailleurs, l'évolution du nombre de personnes sous-alimentées dans un pays est vouée à être proportionnelle à l'importance de sa population: plus la population est importante, plus l'augmentation ou la réduction portera sur un chiffre élevé. Toutefois, le facteur population joue un rôle qui est source de confusion en matière de statistiques sur la sous-alimentation. Alors qu'une augmentation de la proportion des personnes sous-alimentées comporte une augmentation de leur nombre absolu, le mouvement inverse n'entraîne pas forcément un déclin, toujours en termes absolus. Ainsi, un taux élevé d'expansion démographique peut entraîner une augmentation du chiffre absolu des sous-alimentés; on voit donc que les changements intervenant dans la proportion des personnes sous-alimentées fournissent un critère de performance indépendant du facteur que représente la croissance démographique.

Lorsqu'on effectue l'analyse sur une telle base, on voit se dégager 12 pays en «tête du peloton», c'est-à-dire ayant réduit la proportion de leur population sous-alimentée de plus d'un point de pourcentage par an entre 1990-1992 et 1997-1999. À l'autre extrémité de l'éventail figurent 10 pays que l'on pourrait classer comme «les derniers du peloton», étant donné que la proportion des sous-alimentés s'y est accrue de plus d'un point de pourcentage par an (voir figure 4). À première vue, l'incorporation de certains pays à cette liste semble peu justifiée. À titre d'exemple, il pourrait sembler surprenant de voir figurer le Soudan dans la liste des meilleures performances. Cependant, les données reflètent les changements intervenus entre deux périodes, l'une centrée sur 1991 et l'autre sur 1998, si bien que la sécheresse qui sévit actuellement au Soudan déchiré par la guerre ne se traduit peut-être pas encore dans les données.

Figure 4. Pays ayant réussi les réductions ou subi les augmentations les plus marquées de population sous-alimentée, entre 1990-1992 et 1997-1999

Dans toutes les régions en développement, on trouve des pays dont les résultats vont du meilleur au pire, y compris en Afrique subsaharienne, où la proportion des personnes sous-alimentées par rapport à la population totale est la plus élevée. En fait, sept des pays «en tête de peloton» et quatre des «traînards» se trouvent en Afrique subsaharienne. Ce phénomène reflète l'extrême diversité des résultats obtenus en matière de production face à des conditions agroécologiques différentes et en mutation rapide comme de l'éventail des choix politiques dans la région. Cependant, dans la majorité de ces pays d'Afrique, la proportion des personnes sous-alimentées était très élevée en 1990-1992 et, même s'agissant des pays «en tête du peloton» comme le Tchad, le Mozambique, le Malawi et l'Angola, la proportion demeurait élevée en 1997-1999. Du fait de leur taux de croissance démographique élevé (3,2 pour cent par an), le Mozambique et l'Angola n'ont pas réussi, en dépit de leurs bonnes performances, à réduire de façon significative le nombre de personnes sous-alimentées. Cette observation met en relief le rôle négatif joué par une croissance démographique élevée face à l'effort de réduction du nombre des personnes sous-alimentées.

Tableau 1. Pays ayant contribué de la façon la plus marquée à l'évolution du nombre de personnes sous-alimentées, de 1990-1992 à 1997-1999

RÉDUCTIONS

   

AUGMENTATIONS

   

Pays

Nombre

Pourcentage

Pays

Nombre

Pourcentage

 

(millions)

du total

 

(millions)

du total

Chine

76

66

*Rép. dém. du Congo

17

22

*Pérou

6

5

Inde

11

14

Indonésie

5

4

*Rép.-Unie de Tanzanie

6

8

Nigéria

4

3

*Rép. pop. dém. de Corée

5

6

*Thaïlande

4

3

Bangladesh

5

6

Viet Nam

4

3

Afghanistan

3

4

Brésil

3

3

*Venezuela

3

4

*Ghana

3

3

Ouganda

2

3

Pakistan

2

2

Kenya

2

3

*Soudan

2

2

*Iraq

2

3

Tous les autres

7

6

Tous les autres

21

27

Total

116

100

Total

77

100

* Pays également inclus à la liste des 10 meilleures ou des 10 plus mauvaises performances exprimées en évolution de pourcentage.

Bien que les résultats soient influencés par l'importance, en termes absolus, des populations nationales ainsi que par leur taux de croissance, le nombre des personnes qui viennent s'ajouter ou qu'il convient de soustraire au chiffre total des sous-alimentés ne manque certes pas d'affecter le taux général de progression. On verra, au tableau 1, les 10 pays qui contribuent de la façon la plus marquée - positivement et négativement - à l'adjonction ou à la soustraction de millions de personnes au ou du total mondial. Il convient d'apporter quelques précisions concernant l'évolution des chiffres à l'échelon national:

Rôle de la croissance démographique et du développement agricole

Comme cela a déjà été mentionné, la majorité des pays en développement ont été victimes d'une augmentation marquée du nombre absolu de leurs citoyens sous-alimentés. Il s'agit là d'une tendance préoccupante, mais qui reste masquée par les meilleurs résultats de quelques-uns.

Figure 5. Évolution du nombre des personnes sous-alimentées par région, de 1990-1992 à 1997-1999

Compte tenu de la croissance démographique, il faut, pour renverser la tendance, soit accélérer la croissance des disponibilités alimentaires par habitant, soit prévoir un accès plus équitable à la nourriture - ou encore associer les deux démarches. L'importance relative de ces deux méthodes de réduction de la sous-alimentation varie toutefois en fonction de la situation spécifique d'un pays et des différents facteurs qui prévalent en fonction de la conjoncture. Cela dit, lorsque les catégories très défavorisées sont victimes d'une dénutrition aiguë, il appartient aux gouvernements et à leurs partenaires de la communauté internationale d'intervenir directement par le biais d'une gamme de programmes dits «filets de sécurité».

On trouvera, au tableau 2, les chiffres concernant la population, la disponibilité alimentaire et les taux de croissance de la production concernant deux groupes de pays: ceux dans lesquels le nombre des sous-alimentés a connu une croissance marquée, et ceux dans lesquels ce nombre a décliné entre 1990-1992 et 1997-1999.

Tableau 2. Croissance des approvisionnements alimentaires, de la production et des ressources dirigées vers l'agriculture relativement à l'évolution du nombre des sous-alimentés

Groupe de pays

Taux de croissance annuel moyen de 1990-1992 à 1997-1999

Changement de 1990-1992 à 1997-1999

 

Population

totale

Disponibilité

énergétique

alimentaire

par personne

Production

alimentaire

par personne

Production

agricole

par personne

Immobilisations

du secteur agricole

par travailleur

Aide extérieure

au secteur

agricole

par travailleur

 

(%)

(%)

(%)

(%)

($EU)

($EU)

1. Pays où le nombre des sous-alimentés a augmenté de façon marquée

2,1

0,1

0,4

0,4

-65

-14

2. Pays où le nombre des sous-alimentés a reculé de façon marquée

1,4

1,4

3,8

3,4

118

-1

Comme on pouvait s'y attendre, le premier groupe a enregistré un taux de croissance démographique nettement plus élevé et un taux de progression beaucoup plus faible de la disponibilité alimentaire par habitant, que le groupe pour lequel le nombre des sous-alimentés avait régressé.

En outre, dans le premier groupe, le taux de croissance des disponibilités alimentaires et de la production agricole par habitant est beaucoup plus faible que dans le second groupe, ce qui met en relief le rôle vital du développement agricole pour la promotion d'une croissance plus rapide des disponibilités alimentaires.

Le tableau fournit également des informations sur l'évolution des ressources internes et externes allouées à l'agriculture, toujours en fonction de ces deux groupements de pays. Les ressources internes canalisées vers l'agriculture sont représentées par la valeur totale nette des immobilisations dans le secteur agricole, à savoir, le bétail, les tracteurs, les infrastructures d'irrigation, les améliorations apportées aux terres ou les cultures permanentes. L'évolution annuelle de ce chiffre reflète les investissements dans le secteur agricole à l'échelon national. Quant aux ressources externes, qui correspondent à l'assistance extérieure orientée vers l'agriculture, elles se composent des engagements pris en faveur du développement agricole par les donateurs multilatéraux et bilatéraux. Dans les pays où le nombre des sous-alimentés a progressé alors que la croissance des disponibilités alimentaires et agricoles par habitant est restée très faible, on a assisté en fait à un déclin du rapport entre les immobilisations et le nombre des travailleurs du secteur agricole, alors que ce coefficient a augmenté dans le groupe des pays qui ont vu reculer le nombre des sous-alimentés. En revanche, le niveau d'assistance extérieure à l'agriculture, exprimé comme coefficient du nombre de travailleurs du secteur agricole, a décliné dans les deux groupes - ce déclin étant plus marqué dans le premier groupe. On peut en déduire que les mauvais résultats obtenus par ce dernier groupe peuvent être attribués à l'insuffisance des ressources allouées au développement agricole.

Enfin, le contraste concernant l'évolution des ressources allouées à l'agriculture apparaît de façon plus marquée lorsque le groupe des pays «en tête du peloton» est comparé à celui des «derniers du peloton» (voir tableau 3).

Tableau 3. Ressources canalisées vers l'agriculture dans les pays aux meilleurs et aux plus mauvais résultats, entre 1990-1992 et 1997-1999

Groupement de pays

Immobilisations nettes dans le secteur agricole par travailleur

Aide extérieure au secteur agricole par travailleur

 

($EU)

($EU)

Meilleurs résultats

88

5,3

Plus mauvais résultats

-158

-31,0

Les groupements de variables

Lors des analyses préliminaires, deux groupements de variables sont apparus comme étant très étroitement liés à l'évolution du phénomène de la sous-alimenation:

En d'autres termes, il existe une corrélation inverse très accentuée entre ces traumatismes, qu'ils soient d'origine naturelle ou humaine, et les progrès accomplis dans la réduction du nombre des sous-alimentés; on observe en outre une forte corrélation entre l'augmentation de la productivité agricole et la réduction du nombre des sous-alimentés. Cette vision équilibrée de la manière dont on peut réduire la sous-alimentation est encore renforcée par une étude récente effectuée par l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), qui examine la relation entre une gamme de facteurs et la réduction du nombre des enfants dont le poids est inférieur à la normale dans 63 pays en développement, entre 1970 et 1995. Selon cette étude, lstatistique de la présence d'un nombre inférieur d'enfants souffrant d'insuffisance pondérale est axée sur les déterminants suivants, à caractère proportionnel:

Femmes mettant des haricots en bouteille

FAO/22396/R.Faidutti

Pour conclure, il n'est pas très utile de chercher à isoler une cause simple à l'origine des résultats, qu'ils soient bons ou mauvais. Un nombre limité de variables ne saurait expliquer, sinon de façon très étroite, les changements se produisant dans des contextes nationaux extrêmement diversifiés, voire uniques. Les analyses de la FAO montrent que la production alimentaire et l'accès à la nourriture sont importants, mais qu'ils ne sont pas les seuls facteurs à l'œuvre. Les guerres civiles et autres traumatismes extrêmes contribuent à expliquer la situation d'un sous-ensemble de pays; toutefois, ces situations peuvent s'accompagner de la présence ou de l'absence d'aide alimentaire, ainsi que d'une certaine aptitude à la survie des secteurs agricoles pris dans la tourmente. On peut également émettre l'hypothèse que l'éducation des femmes, ou les paramètres fondamentaux de la santé, peuvent jouer un rôle important dans les pays où la situation est plus stable. Il demeure vital que de telles analyses soient conduites non seulement à l'échelle internationale mais également à l'intérieur des pays pris individuellement, en s'appuyant sur des bases de référence fiables et en y déployant les ressources nécessaires pour assurer le suivi et l'évaluation des indicateurs clés sur une période donnée.

Vers un accès plus équitable à la nourriture

L'insuffisance de moyens permettant d'accéder à la nourriture représente une source majeure de privations et de carences pour les personnes pauvres, notamment dans les centres urbains mais également dans les régions rurales manquant de terres cultivables. Le monde a-t-il progressé sur la voie d'un meilleur accès et d'une réduction du fossé entre, d'une part, les régimes alimentaires abondants et variés dont bénéficient les riches et, d'autre part, la maigre pitance dont doivent se contenter les pauvres?

Au cours des trois dernières décennies, la production alimentaire mondiale a progressé plus vite que la croissance démographique. Entre 1969-1971 et 1997-1999, la quantité de nourriture disponible par habitant est passée de 2 410 à 2 800 kcal par jour dans l'ensemble du monde, et de 2 110 à 2 680 kcal par jour dans les pays en développement.

La croissance remarquable des disponibilités alimentaires à laquelle sont parvenus les pays en développement a plus que réduit de moitié la proportion des sous-alimentés pour l'ensemble de la population, qui est passée de 37 pour cent en 1969-1971 à 17 pour cent en 1997-1999. Toutefois, cette réduction n'a pas suffi à réduire de moitié le nombre absolu des sous-alimentés dans le monde en développement, estimé à 956 millions en 1969-1971 et qui demeurait à 777 millions en 1997-1999, lors de la dernière estimation triennale de la FAO.

À l'évidence, il faut que la production alimentaire à l'échelle mondiale continue de croître si l'on veut atteindre l'objectif fixé par le Sommet mondial de l'alimentation de 1996, à savoir réduire de moitié le nombre des sous-alimentés pour 2015 au plus tard. En théorie, une augmentation plus modeste de la production suffirait si cette croissance s'accompagnait d'un accès plus équitable à la nourriture. Un tel résultat pourrait être obtenu par le biais de la redistribution - soit de la nourriture elle-même, soit des moyens de la produire ou encore du pouvoir d'achat nécessaire à son acquisition - en faveur de ceux qui se trouvent au bas de l'échelle de l'accès à la nourriture.

Vente de poisson au marché

FAO/16216/L.Spaventa

Il est possible de mesurer l'inégalité d'accès à la nourriture entre les pays, de même qu'à l'intérieur d'un même pays, ou encore d'un ménage à l'autre et entre les membres d'un même ménage:

Tableau 4. Évolution de la répartition des disponibilités énergétiques alimentaires et coefficient de Gini correspondant entre 1969-1971 et 1997-1999

 

1969-1971

1979-1981

1990-1992

1997-1999

Catégories de DEA

Nombre

Population

Nombre

Population

Nombre

Population

Nombre

Population

(kcal/personne/jour)

de pays

(%)

de pays

(%)

de pays

(%)

de pays

(%)

Moins de 1 900

16

6,9

11

2,2

13

3,0

7

2,7

1 900-2 100

26

41,8

12

20,4

13

4,3

17

3,5

2 100-2 300

35

11,0

42

13,6

23

7,0

21

5,2

2 300-2 500

27

5,9

15

24,8

23

21,2

18

23,1

2 500-2 700

12

5,3

16

3,8

21

7,0

21

3,4

2 700-2 900

8

3,2

19

7,3

15

28,5

18

11,7

2 900-3 100

10

8,2

16

4,1

14

5,0

16

31,5

3 100-3 300

16

7,1

11

9,6

18

11,4

19

5,6

3 300-3 500

8

10,4

12

11,3

7

3,0

12

5,7

3 500 ou plus

1

0,2

5

2,8

12

9,5

10

7,5

TOTAL

159

100,0

159

100,0

159

100,0

159

100,0

Coefficient de Gini

 

0,116

 

0,105

 

0,091

 

0,089

C'est le coefficient de Gini, adopté communément en analyse distributive qui sert à l'évaluation des changements dans l'inégalité de l'accès à la nourriture entre les pays et à l'intérieur du pays - thème principal de cette section. Selon la théorie, le coefficient de Gini va de zéro, paramètre qui signifie une distribution égale entre les unités en considération (pays ou ménages, dans notre cas), à 1, paramètre qui signifie l'inégalité absolue - en d'autres termes, la concentration sur une seule unité. Plus le coefficient s'éloigne de zéro, plus la distribution est inégale.

Inégalité d'accès entre pays

Aux fins du présent rapport, le coefficient de Gini a été établi en vue de déterminer l'inégalité d'accès à la nourriture entre une sélection de pays classés en 10 catégories de la DEA par personne. Le coefficient a été calculé en fonction de la proportion de la population mondiale représentée par les différentes catégories entre 1969-1971 et 1997-1999 (voir tableau 4).

Le tableau indique que l'accès à la nourriture entre les pays ne présente pas d'inégalité criante, puisque le coefficient de Gini est de l'ordre de 0,10. Le tableau indique également que l'on observe un déclin continu de cette forme d'inégalité au cours des trois dernières décennies. À de tels niveaux d'inégalité, les déclins enregistrés au cours d'une période de 27 années sont accentués, bien que légers en apparence. Cela traduit le fait que l'on a vu davantage de pays passer de la catégorie inférieure à la catégorie moyenne de DEA, que de pays passer de la catégorie moyenne à la catégorie supérieure de DEA. À titre d'exemple, entre 1969-1971 et 1997-1999, le nombre de pays qui ont quitté les trois catégories les plus basses se montait à 32, alors que 16 seulement sont passés dans les trois catégories supérieures. À partir de cet effet de regroupement, il est possible de conclure que, depuis 1969-1971, la croissance des disponibilités alimentaires à l'échelle mondiale a été en fait accompagnée d'une redistribution en faveur des pays qui, auparavant, avaient une faible disponibilité alimentaire par habitant.

L'inégalité d'accès entre les ménages

À l'intérieur d'un pays, l'inégalité d'accès à la nourriture est principalement attribuable aux différences de revenus et au pouvoir d'achat entre les ménages.

La meilleure façon, ou la plus directe, d'évaluer ce genre d'inégalité consisterait à examiner les données concernant la consommation alimentaire des ménages en fonction des catégories de revenus. Toutefois, les données sont rares dans ce domaine et lorsqu'elles existent, il s'agit de clichés ponctuels plutôt que de séries de données traduisant une évolution chronologique. Toutefois, il existe des données concernant la répartition des revenus et des dépenses des ménages pour un nombre important de pays en développement. En outre, les séries chronologiques de coefficient de Gini se rapportant à ces données sont également disponibles.

La sous-alimentation vis-à-vis de la pauvreté


L'évaluation, réalisée par la FAO, de la prévalence de la sous-alimentation s'appuie sur la répartition de la consommation et de la disponibilité alimentaire au sein des ménages, alors que le critère de mesure utilisé par la Banque mondiale pour estimer la prévalence de la pauvreté extrême est basé sur la répartition des dépenses consacrées aux produits consommables au sein des ménages. Il existe une relation positive et étroite entre la consommation alimentaire et la dépense de produits consommables dans les ménages à faible revenu. En outre, les calculs relatifs à l'inégalité de la répartition de la consommation et de la disponibilité alimentaire à l'intérieur des ménages ont, dans de nombreux cas, été effectués à partir de données concernant l'inégalité de la répartition du revenu et des dépenses des ménages, si bien que ces deux exercices séparés pourraient fort bien produire des résultats analogues. Afin de déterminer si tel est le cas, les estimations de la FAO concernant l'incidence de la sous-alimentation dans les pays ont été regroupées afin de correspondre aux estimations régionales de la Banque mondiale concernant la prévalence de la pauvreté extrême. Les résultats figurent au tableau.

À une exception près, les estimations concernant la pauvreté extrême sont plus élevées que celles concernant la sous-alimentation. L'exception concerne le Proche-Orient et l'Afrique du Nord, où la prévalence de la pauvreté extrême est estimée à 2 pour cent seulement, relativement à 7,7 pour cent concernant la sous-alimentation. Une telle anomalie reflète les faiblesses des approches des deux organisations lorsqu'elles sont appliquées à de faibles niveaux de prévalence.

Dans les estimations de la FAO, la consommation alimentaire est exprimée en termes d'apport alimentaire et les personnes qui, dans un ménage, consomment moins que la quantité d'énergie minimale préfixée sont considérées comme sous-alimentées. Le besoin quotidien minimum, qui prend en compte les calories nécessaires au maintien du poids corporel, en supposant une activité légère, varie d'un pays à l'autre, mais est estimé à environ 1 900 kcal par personne, en fonction de l'âge, du sexe et de la taille moyenne.

Dans les estimations de la Banque mondiale, les dépenses consacrées aux produits consommables alimentaires et non alimentaires sont exprimées sur la base du dollar international et ajustées en fonction de la parité de pouvoir d'achat (PPP). Les personnes vivant au sein de ménages présentant une dépense par habitant inférieure à 1,08 dollar EU par jour (PPP) sont considérées comme vivant dans une pauvreté extrême. La ligne de pauvreté établie à 1,08 dollar EU (PPP) s'obtient en calculant la médiane des 10 seuils nationaux de pauvreté les plus faibles parmi les 33 calculés par la Banque mondiale. Les seuils nationaux de pauvreté prennent en compte la valeur du panier de la ménagère au niveau le plus élémentaire, qui prévoit également une estimation des besoins énergétiques. Ceux-ci se rapportent aux besoins moyens, qui sont d'environ 2 200 kcal par personne et par jour.

En conséquence, le seuil de pauvreté international utilisé par la Banque mondiale pour définir la pauvreté extrême s'appuie sur un niveau de consommation alimentaire plus élevé que celui utilisé dans la définition FAO de la sous-alimentation. Ce facteur explique la tendance générale selon laquelle les estimations de la pauvreté extrême effectuées par la Banque mondiale s'établissent à des niveaux plus élevés que les estimations de sous-alimentation de la FAO. Il renforce également une conviction largement partagée: les sous-alimentés se trouvent majoritairement parmi les plus pauvres des catégories extrêmement pauvres. En conséquence, si l'on veut combattre la sous-alimentation, il faut s'attaquer aux conditions les plus extrêmes de pauvreté.


Prévalence de la sous-alimentation relativement à la pauvreté extrême dans des régions sélectionnées

Région

Prévalence de la

sous-alimentation

Prévalence de la

pauvreté extrême

 

(1997-1999)

(1998)1

 

(Pourcentage de la population)

Asie de l'Est

9,7

15,3

Asie du Sud

23,6

40,0

Afrique subsaharienne

27,8

46,3

Europe orientale et Asie centrale

4,2

5,1

Proche-Orient et Afrique du Nord

7,7

2,0

Amérique latine et Caraïbes

10,6

15,6

TOTAL

15,0

24,0

1 Source: S. Chen et M. Ravallion. 2000. How did the world's poorest fare in the 1990s? Document de travail de la Banque mondiale consacré à la recherche sur les politiques n° 2409. Washington.


Étant donné que l'inégalité d'accès à la nourriture entre les ménages est en grande partie déterminée par l'inégalité des revenus, l'évolution de ce paramètre peut être utilisée comme témoin de l'évolution de l'accès des ménages à la nourriture.

Des données comparables concernant la répartition du revenu ont été examinées pour 23 pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie, pour la période 1970-19931. Sur la base de cette étude, on peut proposer les observations suivantes:

Fruits et légumes dans un marché couvert

FAO/21032/R.Faidutti

La part occupée dans le budget des ménages par la nourriture tend à décliner à mesure que le revenu augmente. En outre, il existe des limites supérieures et inférieures à la consommation alimentaire (exprimée en kcal), alors que tel n'est pas le cas pour les revenus. Cela signifie que les modifications réelles de l'accès à la nourriture, par opposition à celles concernant le revenu, tendent à être infériures à celles pouvant être observées à partir de l'analyse.

On peut par conséquent en déduire que, sur une période donnée, les fluctuations réelles de l'égalité en matière de consommation alimentaire au sein des ménages tendent à être très limitées, et parfois difficilement perceptibles. C'est pour cette raison quconvient que les pays mettent sur pied des programmes spéciaux visant à augmenter le niveau de revenus disponibles des personnes appartenant aux catégories de revenus les plus faibles et qui présentent le taux le plus élevé de malnutrition.

En conclusion, bien que l'on ait observé un déclin régulier de l'inégalité d'accès à la nourriture entre les pays de la planète (voir tableau 4), aucune tendance analogue n'est observable entre les ménages des pays en développement.

1 Les données ont été obtenues à partir de la Base de données sur l'inégalité des revenus à l'échelle mondiale (WIID) établies par l'Institut mondial de recherche sur les aspects économiques du développement de l'Université des Nations Unies à Helsinki.

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