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Politiques et législations


Photo 20. Intégration des noyers (Juglans regia) à l'écosystème aride de la vallée d'Imlil au Maroc. (© Bellefontaine/Cirad)

Les arbres hors forêts relèvent tantôt d'une législation agricole tantôt d'une législation forestière, parfois des deux ou encore ni de l'une, ni de l'autre. Les législations et réglementations nationales traitant de l'arbre peuvent se contredire. Très souvent, les politiques forestières et les services institutionnels chargés de la gestion des ressources ligneuses étendent leurs prérogatives à l'ensemble des arbres, même si ces derniers se situent sur des terres agricoles. Sur ces politiques et textes légaux se greffent des règles foncières et d'accès aux ressources, officielles ou coutumières.

Politiques et législations entre domaine forestier et domaine agricole

Politiques forestières

En ce qui concerne les politiques forestières, le couvert arboré et le rôle économique du bois conditionnent fréquemment le degré d'attention portée aux arbres hors forêt. Dans les pays où le couvert est substantiel, l'Etat intervient dans l'exploitation du bois, stimule les industries et favorise les plantations, alors les arbres hors forêt sont moins considérés. Dans les pays arides au faible couvert arboré, les forêts et l'agriculture sont davantage intégrées: politiques forestières et agricoles ne sont pas totalement dissociées. L'arbre est perçu comme un vecteur d'amélioration des systèmes de production, de satisfaction des besoins en énergie, en bois de service et en produits dits forestiers. Ainsi, les politiques forestières prennent parfois en compte les usages paysans et ruraux de l'arbre. En Libye, le rôle des produits forestiers non ligneux dans l'économie rurale est reconnu. En Iraq, les terres forestières sont ouvertes au pâturage en toute saison et pour tous les animaux sans limitation de nombre (FAO, 1993). Au Niger, la politique forestière a soutenu des schémas d'approvisionnement en bois et la création de marchés ruraux de bois de feu (Bertrand, 1993).

Depuis deux décennies, les politiques forestières des pays en développement insistent, par le biais de la foresterie communautaire ou rurale, sur une gestion consensuelle des ressources ligneuses afin de lutter contre la désertification et de contribuer à la sécurité alimentaire. Elles prônent l'intégration de la foresterie à l'agriculture et à l'élevage ainsi qu'une participation active, volontaire et responsable des communautés rurales (FAO, 1996c).

Législations forestières

Les lois forestières réglementent les terrains soumis au régime forestier et peuvent s'appliquer sur tout espace qui a vocation à devenir forestier, donnant ainsi compétence à l'administration forestière pour agir sur une grande partie du territoire. Elles sont fondées sur le statut de la terre et ne tiennent pas toujours compte du couvert, les deux ne concordant pas systématiquement. Quelques pays tiennent compte de ce décalage, comme l'Inde, où une distinction est effectuée entre les zones répertoriées comme forestières et les autres zones boisées. De façon générale, les législations forestières considèrent la forêt comme un domaine d'Etat réservé, où la plupart des usages sont interdits. Dans certains pays, elles se démarquent en transférant des droits aux usagers (Kinara, 1993, cité par FAO, 1996c), comme au Zimbabwe (FAO, 1996c) et en Gambie (encadré 20).

Encadré 20.

Transfert des droits aux usagers

La Gambie a lancé en 1991 un Plan d'action environnemental et, depuis 1998, la législation forestière définit les forêts communautaires ainsi que la participation des communautés à la gestion des forêts (République de Gambie, 1998). Des mentions particulières sont faites à l'agroforesterie, aux arbres forestiers hors forêt, aux arbres non forestiers* et à la foresterie urbaine. Cette loi encourage légalement la plantation d'arbres sur les terres agricoles et de pâture, ainsi que le long des routes. Elle innove en ce qui concerne les droits d'accès aux arbres. L'usage des arbres forestiers hors forêt et des arbres non forestiers est permis; toutefois l'exploitation et l'abattage des premiers restent contrôlés (article 6). Les arbres non forestiers sont la propriété de la personne ou de la communauté qui les a plantés ou qui en a hérité, mais le transport des grumes provenant de ces arbres nécessite l'obtention d'un permis (article 7). Cette législation représente une avancée par la reconnaissance spéciale qu'elle fait des arbres situés en dehors des forêts.

* Cette loi entend par arbres non forestiers, les arbres plantés en dehors de la forêt par une personne ou une communauté dans une végétation existante qui ne constitue pas une forêt.

Encadré 21.

Législations relatives à l'arbre en milieu urbain

En Turquie, les forêts urbaines sont définies par la loi forestière et 270 aires récréatives boisées sont régies par la législation forestière (FAO, 1993). Au Soudan, la politique forestière, datant de 1986, considère la récréation comme une fonction de la forêt. Au Kenya, la plantation d'arbres en zones périurbaines est encouragée et sujette à compensation si un plan d'aménagement, approuvé par le gouvernement, exigeait leur abattage (Profous et Loeb, 1990, cités par Carter, 1995). En Autriche, à Vienne, les arbres des terres publiques et privées sont réglementés par une loi de protection (Carter, 1995). Au Brésil, le code municipal de Curitiba indique que la coupe des arbres en zone urbaine requiert la permission du Secrétariat à l'environnement et que l'autorisation est soumise à remplacement: deux arbres doivent être plantés ou donnés à la ville. Dans les zones vertes, l'abattage de l'Araucaria procède d'une autorisation spéciale (Spathelf, 2000).

Il faut noter qu'au cours des dernières décennies les législations, très contrastées d'un pays à l'autre, ont concerné la plantation, la protection et l'utilisation de l'arbre en milieu urbain et périurbain. Elles peuvent définir des règles d'usage particulières à certaines espèces, mettre en exergue des situations spécifiques (parcs, sites protégés), régir les permis et autorisations sur les terres privées et/ou publiques, traiter des opérations liées à l'arbre (abattage, remplacement) (encadré 21).

Parfois, les législations forestières incluent les systèmes agroforestiers et les plantations dans le domaine forestier, ce qui induit que nombre d'arbres hors forêt dépendent sans ambiguïté du régime forestier. Tel est le cas au Pérou, où une distinction est opérée entre forêt naturelle et forêt cultivée (article 9 de la loi forestière), au Guatemala, où trois types de forêt naturelle sont distingués, gérée, non gérée, à gestion agroforestière (décret 101-96 de la loi forestière), au Costa Rica, où les plantations et les systèmes agroforestiers entrent dans la catégorie «plantations» pour laquelle l'utilisation des arbres n'est pas soumise aux lois de la gestion forestière (Kleinn, 1999).

Règles coutumières

Les dispositions précitées dépendent des politiques et textes nationaux forestiers. S'y ajoutent les règles foncières régissant l'occupation du sol et les arbres sur ce sol, qui peuvent relever de la législation nationale et des régimes fonciers locaux. Les textes nationaux et légaux sont parfois en contradiction avec les règles coutumières en vigueur dans de nombreux pays.

Les législations modernes ont fréquemment ignoré les règles coutumières et imposé leurs normes écrites. Certaines font preuve d'originalité en accordant une reconnaissance juridique aux groupements traditionnels (Pacifique Sud), d'autres ont été amendées pour attribuer des droits aux usagers (Côte d'Ivoire). En Papouasie-Nouvelle-Guinée, la loi permet la constitution de groupements en société de propriétaires qui détiennent un pouvoir de décision sur la terre et les ressources. Dans les îles Salomon, «la gestion forestière se caractérise par le pouvoir juridique accordé aux propriétaires fonciers coutumiers» (Karsenty, 1996). En outre, les législations ont rarement intégré un principe coutumier majeur, celui de la dissociation de la propriété des arbres de celle du sol, sauf quelques-unes comme au Sénégal où «les formations forestières, régulièrement implantées sur le domaine national, sont la propriété des personnes privées, physiques ou morales qui les ont réalisées à l'exclusion de toute appropriation du terrain du domaine national» (loi 98.03 du 8 janvier 1998).

A la différence des textes de lois, le régime coutumier ne constitue pas «un mode d'emploi» figé des ressources et de la terre, il est plutôt une expression des relations sociales (Riddell, 1987). Il a une certaine capacité à s'adapter aux changements pour rendre compte du rapport aux ressources au sein de la société. Par exemple, en Afrique de l'Ouest, un groupe peut avoir des droits de «propriété» sur la récolte de gomme arabique, un autre utiliser la même terre pour faire paître son bétail et un troisième être possesseur du droit de ramassage du bois mort. Dès lors, le découpage de l'espace en terres privées ne remplace pas toujours avantageusement la répartition des ressources et le contrôle social, effectués par les usages coutumiers. Traduire le droit coutumier en termes législatifs peu flexibles est réducteur, d'autant que la propriété collective, qui prévaut souvent dans la gestion des ressources ligneuses, est souvent incompatible avec les législations fondées sur l'individualité. Le clivage entre une vision «occidentale» de la propriété privée et la complexité des droits d'accès et d'usage des ressources crée une confusion et des incohérences entre le domaine législatif et le droit coutumier, propices à une insécurité foncière (Thébaud, 1995).

Propriété de l'arbre et accès à la ressource

La notion de propriété, ou cumul du droit d'user, de jouir des fruits et d'abuser (usus, fructus et abusus), n'est en rien universelle et, dans bien des régions, le sol et les arbres relèvent de régimes d'accès différents (Riddell, 1987).

Par rapport à la législation

Comme évoqué, les arbres en dehors des systèmes et peuplements forestiers peuvent dépendre aussi bien du domaine privé que public. La plupart des législations forestières reconnaissent la propriété forestière privée: de l'Etat, des collectivités ou des individus. Au Pakistan, de vastes zones de forêts privées existent, mais les propriétaires, ayant le sentiment d'être contraints, se sont désintéressés de la gestion (FAO, 1993). En Inde, la législation forestière a été amendée pour stimuler les plantations sur les terres privées. Les forêts sont répertoriées en forêts classées, protégées (qui peuvent être ou avoir été exploitées), non classées, équivalant respectivement à 55, 29,5 et 15,5 pour cent. Les deux premiers types, régis par la loi forestière, appartiennent au gouvernement et le dernier peut être propriété du gouvernement, de la collectivité, de la famille, du clan ou de l'individu. Toutefois, la législation de ce pays n'autorise pas l'exploitation commerciale du bois à titre particulier, freinant le reboisement à l'initiative des exploitants agricoles (Bon, 1997). Dans l'Etat d'Uttar Pradesh, le texte de 1976 sur la préservation des arbres a été assoupli en 1991 avec la levée des interdictions de coupe sur environ vingt essences. L'exploitation des arbres spontanés ou plantés sur les terres privées est libre seulement là où la couverture forestière est inférieure à 1 pour cent (Pandey, 2000).

Dans plusieurs pays, il existe un domaine national, parfois appelé domaine rural, distinct du domaine public. L'Etat a des droits de gestion sur ce domaine mais reconnaît que la propriété individuelle peut se constituer, permettant ainsi de prendre en compte les usages existants. Par exemple, en Côte d'Ivoire, la nouvelle loi foncière de 199811 a entériné la constitution de propriétés privées dans le domaine rural qui sont immatriculées à titre privé ou collectif. Cependant l'Etat, par le biais du régime forestier, peut garder un pouvoir de gestion sur tous les arbres du territoire. La loi sénégalaise (98-03/98) prévoit que l'Etat concède aux collectivités locales des forêts du domaine national, ce qui équivaut à un transfert de propriété. Par ailleurs, l'article L9 précise que «la collecte, la coupe de produits forestiers et la transformation du bois en charbon de bois, lorsqu'elles sont réalisées par la personne physique ou morale propriétaire de la plantation, sont libres». En Turquie, la législation (1986) permet la conversion des terres couvertes d'arbustes ou de maquis en terres agricoles et leur attribution aux villageois (FAO, 1993).

Sur le plan juridique, le statut des terres où pousse l'arbre détermine en premier lieu les droits; est ensuite pris en compte le fait que l'arbre ait été planté ou non. La propriété d'un jeune arbre, qui a été de toute évidence planté, ne sera pas contestée, alors que les arbres spontanés, plus anciens, pourront être revendiqués par l'Etat. Parmi les arbres plantés, les fruitiers des vergers occupent le plus souvent des terres privées; ils sont généralement assimilés aux cultures agricoles et ne dépendent pas des services forestiers. En Jordanie, les forêts privées sont sous le régime de la loi agricole de 1973 (FAO, 1993). Au Zimbabwe, dans les unités agricoles commerciales de grande échelle, l'exploitation des arbres plantés et de la végétation ligneuse est permise, mais le propriétaire doit en informer la Commission forestière. Dans les unités de petite échelle, la terre et le bois appartiennent à l'Etat qui accorde cependant une permission d'exploitation pour l'autoconsommation. En Côte d'Ivoire, l'appropriation foncière par l'agriculture arbustive (cacaoyers, caféiers) demeure juridiquement floue et ne se transforme pas en droit de propriété (Verdeaux, 1998). En Egypte, la plupart des arbres plantés sur les limites de parcelles ou comme brise-vent relèvent de la propriété privée individuelle, tandis que le gouvernement est propriétaire des arbres plantés le long des routes et des canaux, dans les parcs, et dans le désert (grâce à une irrigation d'eau sommairement traitée provenant des eaux usées domestiques de grandes villes).

Dans l'ensemble, les législations nationales sont insuffisamment développées pour soutenir l'investissement privé dans les ressources ligneuses, même en dehors de la forêt. L'idée que la mise en valeur des terres (et consécutivement leur appropriation) passe essentiellement par une conversion agricole a contribué à la disparition du couvert forestier. Certaines lois, comme au Sénégal ou en Gambie, semblent refléter une volonté d'attribuer davantage de droits aux populations, mais maintiennent des restrictions sur l'abattage, l'exploitation des autres produits étant libre. Les règles nationales restent, dans la majeure partie des cas, indépendantes et peu compatibles avec les règles coutumières. Ces dernières, qui ont le mérite de ne pas dresser de frontière entre le domaine forestier et le domaine agricole, attribuent généralement davantage de droits aux personnes qui gèrent et entretiennent les arbres sur les terres agricoles.

En fonction de la tenure de l'arbre

Le concept de tenure de l'arbre a été développé au cours de la dernière décennie (Dubois, 1997). Le mode de tenure est reconnu comme un facteur déterminant dans la conservation ou la plantation d'arbres (Godoy, 1992; Warner, 1993). En Europe, la propriété du sol induit celle des ressources qui y prospèrent, en dessous et au-dessus. La propriété des arbres n'est, dans ce cas, pas distincte de celle du sol. Cette configuration est beaucoup plus rare dans les règles coutumières: droits sur les arbres et droits sur la terre peuvent être différents. D'après Fortmann et Riddell (1985), la tenure de l'arbre se décline en quatre types de droits: le droit de posséder et d'hériter, le droit de planter, le droit d'usage, le droit de disposer de l'arbre (vente, cessation), qui, les uns et les autres, sont influencés par la nature de l'arbre (sauvage, planté), des usages (subsistance, commercial) et du régime foncier (privé, communautaire).


Photo 21. Les produits ligneux provenant des brise-vent de peupliers s'ajoutent aux revenus des agriculteurs, Ksar el Kébir, Maroc. (© Bellefontaine/Cirad)

Souvent, l'appropriation de l'arbre précède et entraîne celle de la terre, comme en témoignent les stratégies foncières déployées par les pionniers (Karsenty et Sibelet, 1999). L'exploitation et la plantation de l'arbre peuvent être indépendantes de la propriété du sol. Saul (1988) rapporte que sur des terres empruntées le droit à la récolte de karité indique le maintien de droits permanents. En zone semi-aride d'Afrique de l'Est, dans le régime coutumier, les arbres restent la propriété de celui qui les a plantés même si la terre cesse de lui appartenir (Banana et al., 1999). Dans le Yatenga au Burkina Faso, les feuilles, les fruits, le bois de feu des arbres d'une terre prêtée procèdent des droits exclusifs du propriétaire et non de l'exploitant (Boffa, 1991). A Anjouan aux Comores, quand le nombre de parcelles est insuffisant pour que chacun des enfants puisse en bénéficier, les uns peuvent hériter du sol, les autres des arbres (Sibelet, 1995).

Les arbres et leurs produits peuvent être exploités collectivement. Sène (1979) signale que dans certaines régions du Sénégal, les arbres des champs, Faidherbia albida et Cordyla pinnata, deviennent un bien commun en saison sèche et peuvent être librement utilisés par les éleveurs. Certains arbres sont considérés comme appartenant à la communauté même s'ils se trouvent sur les terres privées. Par exemple, les personnes d'ethnie iteso considèrent comme sacrés, et accessibles à tous, les arbres sources de nourriture (Banana et al., 1999).

Le CIRAF a montré qu'il existait une corrélation entre le régime foncier et la couverture forestière. En Ouganda, il a été constaté que le boisement des terres gérées sous un régime foncier coutumier croissait, alors que le couvert diminuait considérablement sur les terres publiques (Banana et al., 1999). Chez les Kikuyu au Kenya, la délimitation des terres par des arbres est reconnue de longue date par le foncier coutumier et est antérieure à la période coloniale et aux interventions de «foresterie sociale». Ces haies étaient plantées pour prévenir les discussions d'ordre foncier entre lignages ou régler des conflits en cours (Dewees, 1995). De plus, le système foncier, qui garantit des droits aux propriétaires sur les produits forestiers ligneux et non ligneux, décourage les locataires de planter des arbres.

Au regard du statut de l'individu dans la société

Le statut accordé et la place reconnue à chaque personne ou groupe de personnes dans la société influent sur le droit à la propriété, l'accès aux ressources et à leur contrôle. Les principes coutumiers dans ce domaine témoignent d'une certaine récurrence dont les composantes majeures sont l'appartenance au lignage, l'ancienneté et l'identité au terroir. L'accès au foncier en termes de propriété et d'usage est restreint quand il s'agit de certains groupes de la population, comme les jeunes, les immigrants et particulièrement les femmes.

Bien que les femmes soient le pivot de la production agricole, assurant plus de 50 pour cent de la production alimentaire mondiale (FAO, 1999b), leur accès à la terre est moindre que celui des hommes, par le fait de la loi et de la culture. D'un côté on trouve des situations où le droit coutumier les écarte de la terre, même si la loi leur reconnaît cette possibilité, de l'autre, on rencontre des cas où c'est la loi elle-même qui leur en restreint l'accès, en n'accordant des titres de propriété qu'aux chefs de famille de sexe masculin, disposition souvent reprise par les programmes de réformes agraires et foncières. Dans certains cas, la femme a un rôle central et l'héritage des biens nobles, comme la terre et le bétail, suit une lignée matriarcale. Mais dans des communautés de nombreux pays de divers continents, l'organisation sociale peut considérer les femmes comme des «étrangères» dans la famille de leur mari et «en sursis» dans leur propre famille. De ce fait, elles ne peuvent ni posséder la terre ni en hériter. Elles travaillent comme main-d'œuvre dans les champs du chef de famille, lui-même fréquemment usufruitier d'une terre appartenant en dernière instance à la communauté villageoise. Parfois, elles jouissent d'une capacité d'usage de lopins de terre, mais sans aucune sécurité foncière, sans parler de droit ou de garantie.

Il en va de même pour l'usage des ressources, notamment des ressources arborées, qui s'inscrivent dans un continuum de significations excluant ceux qui ne maîtrisent pas la gestion des terres (Le Roy et al., 1996). Le recours à des analogies ou à des symbolismes directement liés à la nature de la femme, et variables d'une société à une autre, permet la légitimation des interdictions ou la reconnaissance d'une certaine primauté à leur encontre. Dans de nombreux cas cependant, les femmes ne disposent que du droit éphémère de cueillette et de ramassage du bois, rarement de celui de la coupe et de la plantation. Au Zimbabwe, sur les arbres qu'elles ont plantés lors de leur mariage, les femmes divorcées n'ont aucun droit et les femmes veuves bénéficient d'un droit informel sur les produits mais n'en possèdent pas sur les arbres eux-mêmes (Fortman et al., 1997).

Création de droits et sécurité foncière

«Un arbre, cela vaut n'importe quel papier timbré!» (Bertand, 1993). Ce propos au sujet des rôniers plantés affirme le rôle de marqueur foncier assigné à l'arbre. Les arbres peuvent être plantés pour avoir accès au facteur de production qu'est la terre. La plantation d'espèces exotiques, plutôt que d'espèces indigènes, peut permettre l'appropriation du sol. Au sud du Niger, l'exploitation du palmier dattier (Phoenix dactylifera) ne suit pas les règles appliquées aux ressources spontanées, comme le palmier doum (Jahiel, 1996). Le palmier dattier maintient les droits sur le sol et devient un facteur de sécurisation foncière. Toutefois, l'appropriation privative et individualisée des terres, par la marque tangible d'un arbre planté, peut être redoutée car elle devient source potentielle de conflits.


Photo 22. Arbre conservé, jouant le rôle de marqueur foncier, au bord d'un champ de colza, France. (© Bellefontaine/Cirad)

Riddell (1987) note qu'en Amérique latine la revendication du sol passe par le défrichement à des fins d'installation de cultures. L'investissement en travail crée des droits de propriété ou d'usage (Shepherd, 1992). Souvent selon le droit d'usage, la terre est à celui qui la met en valeur. La conversion en terres agricoles est de longue date considérée comme la seule mise en valeur des terres (Thébaud, 1995).

La notion de «mise en valeur» mériterait d'être élargie à une gestion environnementale sur le long terme. La reconnaissance par l'Etat et par les aménageurs de l'utilisation sylvopastorale des terres et des friches forestières comme mode de mise en valeur permettrait un meilleur dialogue avec les acteurs locaux pour une gestion «partagée» des arbres. La garantie de la sécurité foncière est souvent un préalable à cette valorisation. Au Zimbabwe, Fortman et al. (1997) ont démontré, à partir de la situation des femmes, qu'il existait un lien très fort entre sécurisation foncière et plantation d'arbres. Les femmes, quand elles n'ont ni garantie foncière ni droit d'usage assurés, planteront dans certains cas moins d'arbres que les hommes dans les concessions. En revanche, elles ont un comportement identique à celui des hommes sur les parcelles communautaires puisqu'elles sont susceptibles de profiter de leur investissement. L'appropriation privée, souvent perçue comme le meilleur moyen d'accéder à une sécurité foncière, garante d'une gestion durable des ressources arborées, ne l'est cependant pas toujours. Les réponses à cette question sont contradictoires et varient forcément selon les fonctionnements culturels et les schémas de sociétés.

D'une part, l'insécurité foncière (encadré 22) est d'ordinaire perçue comme un facteur de dégradation des ressources et l'appropriation privée comme le moyen de remédier à cette dérive. Dans bien des cas, les terres communautaires ou en accès libre ont été surexploitées, par exemple les communaux ou panchayat en Inde (Pant, 1983, cité par Riddell, 1987). Sur les terres privées, la tendance serait inverse. L'expérience acquise par des projets de foresterie sociale montre que les populations rurales plantent des arbres principalement sur les terres privées ou appropriées de façon permanente, et plus particulièrement quand il n'y a pas de petits bois ou de forêts à proximité (Barrow, 1991; Shepherd, 1992). Brokensha et Riley (1987) ont constaté qu'à Mbeere au Kenya le taux de plantation d'arbres avait notablement augmenté après l'attribution de titres de propriété privée. La sécurité foncière apparaît ici comme un gage de la conservation des ligneux.

D'autre part, l'expérience montre que la détention de droits privés ne garantit aucunement une bonne gestion (Thébaud, 1995). La privatisation peut avoir des effets pervers; elle ne garantit pas, entre autres, l'égalité d'accès aux ressources, notamment des plus pauvres et des groupes de population sans droit reconnu ni accès garanti aux ressources. Elle a également bien souvent conduit à l'exacerbation des problèmes fonciers et aux dynamiques de dégradation des ressources (Le Roy et al., 1996). Par ailleurs, la sécurité foncière est une notion relative qui dépend certes de la législation, mais également du contexte général d'exercice des droits d'accès aux ressources et à la terre (ibid.).

Encadré 22.

Insécurité foncière et marquage des terres

En Guinée-Bissau, la libéralisation économique de 1986 a bouleversé les règles foncières et entraîné une dynamique d'appropriation privée des terres par les notables, dits ponteiros, aux dépens des paysans. Une course à la terre et des conflits ouverts se sont alors déclenchés. Si l'appropriation des terres par les ponteiros était légale, elle paraissait illégitime aux yeux des paysans qui géraient jadis ces terres selon les procédures traditionnelles. De plus, elle remettait en cause l'organisation sociale des villageois placés de fait en situation d'insécurité foncière. Afin d'y faire face, les paysans ont défriché les forêts et planté à leur place des anacardiers (Anacardium occidentale) «marqueurs fonciers», cherchant par ce biais à s'assurer des réserves foncières (Bertrand, 1993).

La privatisation des terres peut donc être une façon d'assurer la sécurité foncière, mais ce n'est ni la seule, ni la meilleure option, sachant que ces deux notions ne sont pas assimilables l'une à l'autre. Parallèlement, le droit d'usage incite les populations à conserver des arbres sur les terres agricoles. L'enjeu est donc d'assurer un statut foncier garant de droits à long terme, sans marginaliser la frange de population la moins fortunée, et permettant une valorisation des terres par le maintien et la plantation d'arbres. De plus, les dispositions législatives devraient favoriser la responsabilisation des collectivités locales à l'égard des arbres hors forêt. Ce qui revient à favoriser des usages raisonnés des ressources, plutôt que d'appliquer des interdits, et à reconnaître les savoirs et les systèmes locaux de gestion. Les politiques qui incluraient l'arbre comme objectif et outil stratégique d'aménagement par le biais d'incitations à la plantation par exemple, permettraient certainement, en plus de reconnaître la valeur de l'arbre, de valoriser la terre.


11 En Côte d'Ivoire, le Programme national de gestion des terroirs et d'équipement rural (PNGTER) comprend un volet «sécurisation foncière», dans lequel est inscrit, depuis 1990, le Plan foncier rural (PFR). Les décrets d'application de la loi foncière de 1998 reconnaissent le PFR comme une instance de régulation pour l'émission des certificats fonciers.

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