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PREMIÈRE PARTIE

LES FORÊTS ET LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

A. Le carbone et l'effet de serre

La communauté scientifique semble être arrivée à un consensus sur la réalité d'un phénomène global de modification du climat à l'échelle de la planète (GIEC, 2001). Les experts s'accordent pour attribuer ce changement climatique à l'augmentation de la concentration des gaz dits « à effet de serre » dans l'atmosphère suite à certaines activités humaines, les principales étant la consommation de combustibles fossiles, la production de ciment et le déboisement en zone tropicale.

Le gaz carbonique (CO2) est le principal gaz à effet de serre. Il est issu de l'oxydation du carbone provenant de différents réservoirs :

Un schéma simplifié des stocks et des échanges de carbone entre la terre et l'atmosphère

Source : Edinburgh Centre for Carbon Management (http://www.eccm.uk.com/climate.htm)

On constate qu'une partie des émissions attribuables à l'activité humaine (de l'ordre de 6 GtC/an) est réabsorbée par les écosystèmes terrestres et les océans. Au final, l'augmentation nette de l'ordre de 3 GtC/an dans l'atmosphère paraît faible par rapport à la taille des réservoirs de carbone. Il semble néanmoins que ce flux, qui a débuté il y a plus d'un siècle avec la révolution industrielle en Occident et ne cesse de croître, soit suffisant pour expliquer un réchauffement global et induire un déséquilibre du système climatique.

B. Place des forêts dans la dynamique du changement climatique

Les forêts participent au phénomène climatique à travers différents processus et sous plusieurs formes. Elles peuvent être  :

· Des réservoirs de carbone

Les forêts constituent d'importants réservoirs de carbone en interaction permanente avec l'atmosphère, et sensibles aux éléments extérieurs comme à l'activité humaine. Ce carbone provient directement du prélèvement dans l'atmosphère du CO2 et se retrouve au niveau de quatre principaux réservoirs :

- la végétation : biomasse végétale vivante constituée des tissus ligneux (bois) et non ligneux. Si la partie aérienne est la plus visible, il ne faut pas négliger la biomasse souterraine constituée par le système racinaire. La teneur en carbone de la biomasse dépend des tissus : elle oscille entre 35 et 65 pour cent (pour l'ensemble, on prend souvent 50 pour cent comme valeur par défaut).

- la litière : nécromasse ou biomasse végétale morte, constituée des débris végétaux. Elle constitue un support important d'éléments minéraux nécessaires à la croissance des plantes.

- les sols, dont la fraction organique (humus) provient de la décomposition de la litière et la fraction minérale de processus géologiques. Difficile à mesurer et présentant des variations lentes, le carbone du sol représente néanmoins un réservoir très conséquent. Selon le rapport spécial du GIEC sur les activités « Utilisation des terres, changement d'utilisation des terres et foresterie » (Land Use, Land Use Change and Forestry - LULUCF) (2000), 19 pour cent du carbone dans la biosphère terrestre sont stockés dans la végétation et 81 pour cent dans les sols. En forêt (tropicale, tempérée, boréale), environ 31 pour cent le sont dans la biomasse et 69 pour cent dans les sols. En forêt tropicale, environ 50 pour cent du carbone sont stockés dans la biomasse et 50 pour cent le sont dans les sols.

Les produits boisés issus de la forêt exploités par l'homme constituent aussi d'importants réservoirs de carbone, dont la longévité dépend de leur utilisation : moins d'un an pour le bois énergie et plusieurs dizaines d'années pour le bois matériau.

· Des sources de gaz à effet de serre (GES)

Les forêts deviennent des sources de gaz à effet de serre quand elles sont en régression : la biomasse se dégradant ou brûlant, le carbone organique retourne à l'atmosphère sous forme de CO2.

· Des puits de CO2

Grâce à la photosynthèse2, les forêts fonctionnent comme des pompes ou « puits » de CO2 fixé au niveau des parties chlorophylliennes des plantes puis stocké dans les différents réservoirs sous forme de végétaux comme matière organique. Le GIEC (2000) donne la définition suivante des puits: « Tout processus ou mécanisme qui absorbe un gaz à effet de serre ou un précurseur de gaz à effet de serre présent dans l'atmosphère. Un réservoir donné peut être un puits de carbone atmosphérique, et ce durant un certain laps de temps quand il absorbe plus de carbone qu'il n'en libère. » Les puits réalisent un « piégeage » ou une « fixation » de carbone, défini comme : « processus tendant à faire augmenter la teneur en carbone d'un bassin ou d'un réservoir de carbone autre que l'atmosphère ».

On estime qu'il existe dans la biosphère terrestre un puits de carbone qui absorbe environ 2,3 GtC annuellement, soit près de 30 pour cent des émissions fossiles (qui sont de 6,3 à 6,5 GtC/an), et que ce taux tend à augmenter (Valentini et al., 2000). Il est remarquable de noter que ce chiffre est à peu près du même ordre de grandeur que celui des émissions de CO2 liées à la déforestation, estimé entre 1,6 et 2 GtC/an. L'absorption de carbone par les écosystèmes contrebalance donc globalement les émissions de la déforestation tropicale.

La capacité future d'absorption du carbone par les écosystèmes forestiers est devenue un enjeu de connaissance. Elle passe d'abord par une meilleure compréhension des nombreux déterminants du cycle du carbone :

Mortalité, chute de débris ligneux, chute des feuilles...

Oxydation

Les actions des différents déterminants sont complexes. Ainsi, les conditions climatiques et la concentration atmosphérique en CO2 interviennent à la fois au niveau de la photosynthèse et de la dégradation de la matière organique par respiration hétérotrophe. Dans ce cas, la distinction entre facteurs naturels et anthropiques (si l'homme est effectivement responsable du changement climatique) est particulièrement difficile à faire. 

Plusieurs modèles ont montré que l'accroissement du CO2 dans l'atmosphère avait un « effet fertilisant » sur la croissance des végétaux, augmentant ainsi l'absorption de carbone et la taille potentielle du réservoir (GIEC, 2000), ce qui expliquerait la tendance actuelle de progression forestière. Les estimations de l'effet fertilisant du CO2 sur la photosynthèse sont très variables suivant les études (GIEC, 2001, p.195) : +33%, +25%, +60% pour les arbres, +14% pour des pâturages et cultures, etc., ces estimations étant données pour des concentrations de CO2 doubles de celles d'avant l'ère industrielle.

Mais des questions subsistent sur le devenir à long terme du carbone fixé. Plusieurs modèles bio-climatiques avancent que la capacité d'absorption des écosystèmes est proche de son maximum, et que celle-ci devrait diminuer dans l'avenir, voire s'inverser (la forêt devenant source nette d'émissions) entre 50 et 150 ans : le réchauffement accroîtrait la respiration hétérotrophe (dégradation de la matière donnant lieu à émission de CO2) et diminuerait donc l'efficacité de la « pompe », voire transformerait les écosystèmes forestiers en source nette d'émissions de CO2 (Scholes, 1999).

D'après les 18 scientifiques signataires d'un article de synthèse dans la revue Science, la « force » du puits devrait augmenter dans l'avenir (de l'ordre de 10 à 20%) sous l'effet de la fertilisation du CO2 (accroissement de la concentration de CO2 dans l'atmosphère), puis décliner et tendre vers la saturation à long terme (autour de 100 ans ou plus) du fait de l'augmentation de la respiration induite par la hausse des températures moyennes (Falkowski P., Scholes R.J. et al., 2000). Il faut noter que ces prévisions se placent a priori dans une hypothèse d'écosystèmes non utilisés à des fins productives, sans mesures de gestion (liée à l'exploitation de forêts aménagées ou une réhabilitation des sols dégradés) et de reboisement.

C. Les activités forestières: un moyen de lutte contre le changement climatique

La foresterie est susceptible de contribuer de différentes manières à l'atténuation du changement climatique, du fait de son rôle dans le cycle du carbone.

· Comme puits de carbone

Les activités forestières peuvent être sollicitées dans leur fonction de puits de carbone pour la contribution à l'atténuation du changement climatique, même si l'on comprend bien que ce potentiel est borné pour de simples raisons de limites physiques (limites à la croissance des plantes, limites aux surfaces à reboiser ou réhabiliter) et qu'ils ne peuvent aucunement dispenser l'humanité de réduire les émissions de gaz à effet de serre issues de l'utilisation des combustibles fossiles.

- Les projets de plantation de bois d'œuvre sont doublement intéressants du point de vue du stockage de CO2, dans la mesure où le stockage dans des produits durables comme des planches, contreplaqués, ou des meubles, vient compléter le stock permanent constitué par les arbres sur pied4. Même si la durée de vie des produits est limitée, une durée moyenne de plusieurs dizaines d'années est significative5 car elle permet de «gagner du temps» en attendant que des technologies économes dans le domaine de l'énergie et des transports arrivent à maturité, et elle peuvent contribuer à éviter des pics de concentration de CO2 dans l'atmosphère de la planète. Si une partie de la récolte annuelle reste stockée dans des produits-bois, la capacité de stockage de la plantation s'accroît sans qu'il y ait pour cela extension de son aire d'occupation spatiale.

- Les projets de plantation d'arbres à usages multiples (fruitiers, hévéas, etc.) peuvent également être considérés pour l'éligibilité au MDP si «l'additionnalité carbone» est mesurable. Dans cette catégorie peuvent entrer des micro-projets villageois mais, en pratique, leur prise en compte dépendra de l'existence de fonds d'investissements ad hoc qui pourraient jouer un rôle d'interface entre des investisseurs à la recherche de certificats de réduction d'émission (et d'aide publique) et un ensemble d'activités forestières ou agroforestières villageoises.

· En protégeant les forêts existantes

Mais la dimension de puits de carbone ne constitue qu'un aspect du rapport entre la forêt et le changement climatique. Le réservoir de carbone constitué par la biomasse aérienne et les sols est très important, ce qui montre toute l'importance qu'il est nécessaire d'accorder à la conservation des forêts naturelles et aux modifications de certaines pratiques agricoles, lorsque celles-ci contribuent au déclin de ces réservoirs.

L'un des aspects du débat sur les puits de carbone est la prise en considération ou non des activités de conservation, lorsque celles-ci visent à « protéger » un massif forestier menacé de déboisement par des activités humaines, agricoles notamment. Cette option de conservation est considérée par des spécialistes du climat comme la « meilleure stratégie de maintenance des puits » (Valentini et al., 2000) dans la mesure où elle contribue plus efficacement au stockage du carbone dans les sols et qu'elle préserve la biodiversité associée à la présence de forêts anciennes.

· En réduisant les émissions de gaz à effet de serre

Il ne faut pas oublier que de nombreuses activités liées à la forêt sont émettrices de gaz à effet de serre et qu'il est souvent possible, par la mise en œuvre de techniques appropriées, de réduire ces émissions. Ce sont l'exploitation des forêts naturelles, qui peut conduire à d'importants dégâts sur les sols et le peuplement lorsqu'elle n'est pas maîtrisée, et la transformation du bois, qui génère des quantités plus ou moins importantes de déchets, lesquels peuvent être réduits ou valorisés par leur utilisation comme matière première ou comme combustibles.

- L'exploitation à faible impact (EFI), dans le cadre de plans d'aménagement forestier, consiste à mettre en œuvre un ensemble de techniques (planification des pistes de débardage, optimisation de l'emplacement des parcs à bois, abattage maîtrisé, utilisation d'engins appropriés pour le débardage) et à réduire les dégâts d'exploitation liés aux opérations forestières, qui se traduisent par une mortalité accrue des ligneux.

- L'amélioration de l'efficacité de l'industrie de transformation du bois permet de réduire la quantité de déchets engendrés par le processus de production. Cela peut passer par l'amélioration des rendements matière réduisant la quantité de chutes de bois, par l'adjonction de chaînes de fabrication valorisant ces chutes (parqueterie, moulure, etc.). L'utilisation des déchets dans des unités de cogénération chaudière/turbine (produisant à la fois de la chaleur pour le séchage du bois et de l'énergie pour alimenter les machines et fournir de l'électricité aux alentours) participe de cette réduction des émissions en constituant un ultime stade de valorisation des déchets qui viennent alors se substituer à des combustibles fossiles6. Cette valorisation énergétique des déchets intéresse en outre la plupart des agro-industries en zone rurale (sucreries, huileries de palme) qui produisent des volumes importants de déchets fermentescibles, lesquels, non valorisés, produisent du méthane (CH4), gaz trente fois plus actif du point de vue de l'effet de serre que le CO2. Il y a également la carbonisation du bois, dont l'efficacité est très variable selon les méthodes et techniques utilisées et qui peut être nettement améliorée.

- L'utilisation de bois d'œuvre en substitution des matériaux dont la fabrication nécessite beaucoup d'énergie (ciment, acier) permet de contribuer doublement à la lutte contre l'effet de serre, comme par exemple le remplacement des constructions en béton ou en acier par des constructions en bois (charpentes, poutres, etc.),. L'utilisation de 1 m3 de bois transformé dans le bâtiment permet de stocker environ 1 tonne de CO2 pour une durée moyenne de 20 ans et d'éviter en outre l'émission nette, hors sous-produits, de 0.3 t de CO2 si l'on remplace du béton, 1.2 t de CO2 si l'on remplace de l'acier.

· Comme source de combustible renouvelable

L'utilisation de bois énergie issu de sources pérennes contribue à l'atténuation du changement climatique en combinant la constitution de puits et la réduction des émissions par substitution énergétique. La constitution de plantations ou la gestion durable des ressources boisées permet l'établissement d'un puits de carbone, à la fois en biomasse aérienne et en biomasse souterraine et dans les sols. Deuxièmement, l'utilisation de ce bois, lorsqu'il se substitue à d'autres combustibles fossiles (charbon minéral, ou pétrole), soit pour des usages domestiques, pour la production d'électricité ou enfin pour des usages industriels (fonte de fer, par exemple) permet de réduire les émissions liées à l'utilisation de ces derniers. L'utilisation énergétique de la biomasse conduit à un rendement soutenu des massifs forestiers c'est-à-dire à un accroissement de la force du puits (capacité annuelle d'absorption de CO2 de l'atmosphère) par rapport à des formations végétales qui seraient laissées à elles-mêmes, sans acte de gestion.

Les projets de bois énergie ne peuvent toutefois être assimilés simplement aux autres projets de puits de carbone, dans la mesure où fixation et substitution interagissent mutuellement, et que les bénéfices spécifiques des deux activités se combinent : l'utilisation de biomasse-énergie comme substitut aux ressources fossiles favorise une évolution du système énergétique du pays hôte vers l'utilisation de ressources renouvelables, en plus de son rôle déclencheur pour la constitution ou la gestion soutenue des puits de carbone. En outre, la substitution de bois énergie d'exploitation pérenne à des combustibles fossiles neutralise le problème de la possible non permanence des puits.

L'hypothèse implicite du renouvellement automatique de la ressource biomasse est prise en défaut dans un certain nombre de pays arides ou semi-arides, comme les pays sahéliens d'Afrique par exemple. Là, les politiques nationales et les programmes régionaux tentent de faire baisser la consommation de bois-énergie pour diminuer la pression sur la ressource, constituée généralement de forêts naturelles. C'est notamment le cas dans les programmes «énergie domestique» au Niger et au Mali, en cours d'extension à plusieurs pays de la région et à Madagascar (où la majorité du bois énergie provient dans ce cas de plantations), qui visent à rééquilibrer l'offre et la demande de bois énergie.

Si la substitution de bois de feu aux combustibles fossiles s'effectue au travers de la dégradation irréversible des formations boisées d'un pays, le bilan carbone sera clairement négatif. 

La présomption de «neutralité carbone» découlant des règles adoptées par le GIEC (1996) pour la comptabilité des émissions issues de la combustion de biomasse, empêche d'apprécier l'intégralité des bénéfices (en termes d'additionnalité) de ces activités: stock permanent de carbone dans les sols et les racines non pris en compte, constitution d'un stock de biomasse sur pied rapidement mobilisable et incitant à la conversion des systèmes fossiles, bénéfices importants en milieu rural, bénéfices écologiques associés.

En ce qui concerne les projets liés à cette activité, il faut mentionner:

- Les projets d'accroissement de l'offre de bois énergie: la constitution (par plantation) ou le maintien actif (par l'aménagement des massifs forestiers) de biomasse. Leur contribution à la maîtrise de l'effet de serre est proportionnelle d'une part au volume stocké en permanence sur pied (stock moins récolte annuelle), d'autre part à la croissance annuelle de la biomasse utilisable en substitution à des énergies fossiles. Ce type de projet existe dans plusieurs pays sahéliens ainsi qu'à Madagascar.

- Les projets visant à accroître l'efficacité de la conversion pour la transformation du bois en charbon. En Afrique, il n'est pas rare d'observer des rendements massiques de l'ordre de 10 à 15 pour cent qui se traduisent par des rendements énergétiques (énergie utile) de 20 à 40 pour cent. Des techniques bien maîtrisées, y compris des solutions traditionnelles, permettent d'obtenir des rendements massiques de 25 à 30 pour cent, soit des rendements énergétiques variant de 65 à 80 pour cent (Girard et Bertrand, 2000). Ces projets sont tout à fait pertinents dans les pays africains, dans la mesure où, avec l'urbanisation, le passage des ménages du bois au charbon de bois s'effectue rapidement (moins de 5 ans à Bamako)7. Par ailleurs, à poids équivalent, le charbon de bois est 2 à 5 fois plus concentré. Il permet ainsi de réduire les émissions dues au transport, mais également de mieux répartir dans l'espace les sources d'approvisionnement en rentabilisant le transport provenant de massifs forestiers éloignés8.

- Bien que logiquement liées au type de projet précédent, l'amélioration et l'adaptation des foyers à charbon est nécessaire, tant pour l'amélioration de l'efficacité énergétique que pour éviter la surexploitation de certaines essences, lesquelles, peu denses, brûlent dans les foyers actuels trop vite et avec trop d'intensité.

Commentaires:

· Les activités de gestion des réservoirs de carbone visent à la fois à accroître et maintenir les stocks de carbone dans les systèmes forestiers. Les activités de conservation des réservoirs appartiennent aux deux approches, car elles permettent de réduire les émissions anthropiques attribuables au changement d'affectation des terres et elles maintiennent l'activité du puits de carbone que constitue généralement le massif forestier.

· Les activités de réduction des émissions, hors celles qui sont liées au changement d'affectation des terres, ressemblent dans leur principe aux projets classiques de réduction des émissions dans le secteur de l'énergie ou des transports. La principale différence provient des difficultés possibles, pour certaines d'entre elles, à mesurer précisément les quantités d'émissions évitées (cas, par exemple, de l'exploitation à faible impact). Notons toutefois que dans le secteur énergétique, il est aussi parfois très difficile d'estimer précisément les émissions évitées par l'adoption de techniques différentes (problème de détermination du scénario de référence). Si par exemple un programme vise à remplacer des constructions en béton ou en acier par des constructions en bois (charpentes, poutres, etc.), «l'additionnalité carbone» sera constituée par l'économie des émissions de gaz à effet de serre qui se seraient produites en fabriquant des volumes de matériaux non employés.

· Les activités de substitution énergétique sont généralement assimilées à des activités de réduction des émissions du fait de la convention «d'émission zéro» proposée par le GIEC pour la combustion de biomasse dans les inventaires d'émissions de gaz à effet de serre. Mais d'un point de vue biophysique, c'est bien la dimension «puits de carbone» qui importe dans la lutte contre l'effet de serre (mis à part l'intérêt économique indéniable de l'utilisation de biomasse renouvelable). Ces raisons nous ont conduit à laisser cette activité dans une position intermédiaire entre la constitution de puits et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Tout le problème est qu'il faudra choisir entre créditer les activités de gestion améliorée des forêts naturelles ou de boisement/reboisement (par exemple: plantations pour la fourniture de bois énergie) et créditer la substitution énergétique afin d'éviter une double comptabilisation. Les effets distributifs et incitatifs ne seront alors pas les mêmes dans l'un ou l'autre cas.

Le tableau suivant récapitule les possibilités de la foresterie en termes d'activités pour atténuer l'effet de serre :

TABLEAU DES TYPES D'ACTIVITÉS POSSIBLES LIÉES À LA FORESTERIE

et contribuant à la lutte contre l'effet de serre

CONSTITUTION DE PUITS ET GESTION DES RESERVOIRS DE CARBONE

REDUCTION DES EMISSIONS DE GES

Réservoirs biomasse et matière organique du sol

Émissions provenant de l'utilisation des terres et de la foresterie

Accroissement des stocks par introduction d'arbres sur terrains non ou peu boisés: plantations industrielles et villageoises, plantations de protection des bassins versants, vergers et cultures pérennes, agroforesterie

Amélioration de la gestion des forêts naturelles : reboisement d'enrichissement dans les forêts naturelles dégradées, amélioration des techniques sylvicoles, accroissement de la durée des rotations

Conservation des stocks existants (évitement des émissions liées au changement d'affectation des terres) : défense des forêts menacées de déboisement,

lutte contre incendies, ravageurs, etc.

Émissions de CO2 liées aux dégâts d'exploitation ou aux déchets ligneux industriels  : exploitation forestière à faible impact sur le peuplement forestier, réduction des quantités de déchets de bois de l'industrie (par amélioration de l'efficacité de la transformation)

Émissions de CO2 liées au bois énergie: meilleure efficacité énergétique (conversion) lors de la fabrication et de la combustion du charbon de bois

Produits réservoirs

(bois d'œuvre et papier, etc.)

Émissions évitées grâce aux produits forestiers et agroforestiers

Orientation de la production vers des produits à longue durée de vie

Allongement de la durée de vie des produits par recyclage ou traitements

Utilisation des déchets de bois et des résidus de récolte, ou issus des activités agro-industrielles, comme combustibles en substitution à des sources fossiles

« Substitution matériau » : utilisation de bois d'œuvre en substitut aux matériaux dont la production émet beaucoup de GES (ciment, acier)

Substitution énergétique

Utilisation de biocombustibles issus de sources durables en substitut aux combustibles fossiles

ou au bois issu de ressources forestières surexploitées, pour les besoins domestiques ou industriels,

pour la production d'électricité

D. Les dividendes multiples des projets carbone

En plus de contribuer à la protection de l'environnement global, ces activités forestières offrent des perspectives de bénéfices globaux, régionaux et locaux, à condition d'être adaptées au contexte où elles sont développées.

· Des activités économiques

- Elles peuvent offrir des revenus potentiels à des populations rurales vivant généralement loin des centres d'activité (zones forestières, par exemple). Les projets de plantation industrielle génèrent des emplois (travaux d'établissement, entretien de pépinières, contrôle, récolte, activités dérivées). Quant aux projets de développement de plantations villageoises, ils visent la rétribution directe - par le biais d'un fonds d'investissement - des populations rurales participant à ces activités.

- Les projets de plantation de bois d'œuvre, surtout s'ils sont couplés à des projets d'accroissement de l'efficacité des industries du bois, renforcent la compétitivité de la filière bois d'un pays forestier, à travers un accroissement de la valeur ajoutée de la transformation et une augmentation de la production. En outre, le développement de ces industries permet la fourniture de matériaux de construction adaptés aux populations tant urbaines que rurales. Dans des pays où des industries du bois de dimension significatives (avec souvent des surcapacités de transformation) se sont développées (Nigeria, Côte d'Ivoire, Ghana, Cameroun) corrélativement au recul des surfaces et de la qualité des forêts naturelles, la fourniture par ces plantations de bois d'œuvre comparable à celui qui est prélevé dans les forêts naturelles serait susceptible de réduire la pression (notamment l'exploitation illégale) sur celles-ci.

- Les bénéfices en terme de développement des projets « exploitation à faible impact » sont décalés dans le temps, mais pas moins réels. En limitant la dégradation des massifs forestiers consécutive à des pratiques d'exploitation destructrices, ces projets contribuent au maintien d'une production durable de bois d'œuvre.

· L'adaptation au changement climatique, la lutte contre la désertification

- Le développement de plantations d'arbres à usages multiples contribue à la lutte contre la désertification et l'érosion dans les régions soumises à ce type de dégradation. La Tunisie, ainsi qu'un certain nombre de pays sahéliens, considèrent que ces plantations constituent l'une des options les plus intéressantes, dans le domaine de l'agriculture et de la forêt, pour la fixation du carbone, l'apport de revenus aux ruraux, la fourniture de matériaux combustibles.

- La conservation des massifs forestiers est un moyen d'adaptation au changement climatique : elle permet en effet la protection contre l'érosion superficielle, la régulation du régime des eaux, la limitation des glissements de terrains et des éboulements. Les forêts de protection du littoral offrent une protection contre l'érosion éolienne et l'envahissement par les eaux et le sable.

· L'indépendance énergétique

- L'amélioration de la gestion des formations naturelles fournissant du bois énergie et les plantations destinées au même usage contribuent à l'approvisionnement énergétique des citadins (après transformation en charbon de bois) à des coûts modérés et permettent de réduire la dépendance du pays vis-à-vis des importations de combustibles fossiles. La valorisation énergétique de la biomasse peut en outre permettre une production décentralisée d'électricité dans des zones mal desservies par les réseaux nationaux. Les zones sèches, en particulier le Sahel, sont particulièrement concernées par cette perspective.

Voyons quelles opportunités offre la Convention-cadre sur les changements climatiques pour exploiter ce potentiel forestier dans la réalisation d'actions favorables à la fois à l'environnement global et l'environnement local, et comment la foresterie africaine peut s'en saisir pour faire face à ses difficultés.

2 Synthèse de sucres à partir du CO2 atmosphérique et de l'eau au niveau des parties chlorophylliennes des végétaux : CO2 + H2O · CHO + O2

3 « Recent results from long-term soil warming in a boreal forest contradict the idea that the projected rise in temperature is likely to lead to forests that are now carbon sinks becoming carbon sources in a foreseeable future".

4 En principe, ces activités devraient prendre en compte tant le carbone stocké dans la biomasse que celui qui est stocké dans le sol, en relation avec le développement du système racinaire et le couvert végétal. Le carbone stocké dans le sol est difficile à quantifier et peut varier considérablement d'une période à l'autre. La prise en compte de cette dimension de la fixation reste tributaire des méthodes de mesure qui sont développées par la recherche.

5 Exemple de durée de vie de certains produits bois: charpente traditionnelle: 50 ans; bardage, agencement ou cloison: 20 ans, ameublement: 10 ans.

6 Les déchets de bois étant des sous-produits ultimes de l'activité de transformation du bois, leur utilisation énergétique est toujours une économie nette de combustible fossile, donc une réduction des émissions de CO2.

7 Seule la faiblesse des revenus freine encore le passage au GPL ou au pétrole, mais ce basculement est toutefois inévitable dans les agglomérations.

8 La dégradation des ressources forestières dans les pays sahéliens est plus liée à une mauvaise répartition des coupes sur les territoires (les massifs proches des villes, y compris en zone humide, sont surexploités, les autres souvent sous-exploités) qu'à un niveau global excessif de prélèvement. Les prédictions alarmistes des années 1970 sur une crise du bois énergie ont été partiellement démenties et la ressource apparaît plus abondante - et résiliente - que prévue (avec des exceptions comme la Mauritanie). Le passage massif au charbon de bois peut toutefois, s'il n'est pas maîtrisé, avoir des impacts écologiques négatifs importants, notamment au niveau local.

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