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Chapitre 1. Techniques et processus de compostage


Le compostage est un processus naturel de «dégradation» ou de décomposition de la matière organique par les micro-organismes dans des conditions bien définies. Les matières premières organiques, telles que les résidus de culture, les déchets animaux, les restes alimentaires, certains déchets urbains et les déchets industriels appropriés, peuvent être appliquées aux sols en tant que fertilisant, une fois le processus de compostage terminé.

Le compost est une source importante de matière organique. La matière organique du sol joue un rôle important dans la durabilité de la fertilité, et donc pour une production agricole durable. En plus d’être une source d’éléments nutritifs pour les cultures, la matière organique améliore les propriétés biologiques et physico-chimiques du sol. Suite à ces améliorations, le sol: (i) devient plus résistant aux agressions telles que la sécheresse, les maladies et la toxicité, (ii) aide la culture à mieux prélever les éléments nutritifs, (iii) présente un cycle nutritif de bonne qualité en raison d’une activité microbienne vigoureuse. Ces avantages se manifestent par une réduction des risques pour les cultures, des rendements plus élevés et une réduction des dépenses des agriculteurs pour l’achat d’engrais minéraux.

Types de compostage

Le compostage peut être divisé en deux catégories selon la nature du processus de décomposition. Lors du compostage anaérobie, la décomposition se produit quand l’oxygène (O) est absent ou présent en quantité limitée. Dans ce processus, les microorganismes anaérobies dominent et élaborent des composés intermédiaires comme du méthane, des acides organiques, du sulfure d’hydrogène et d’autres substances. En l’absence d’oxygène, ces composés s’accumulent et ne sont pas métabolisés. Un grand nombre de ces composés ont des odeurs fortes et certains d’entre eux présentent une phytotoxicité. Comme le compostage anaérobie est un processus s’effectuant à basse température, les graines d’adventices et les pathogènes ne sont pas affectés. De plus, le processus nécessite souvent plus de temps que le compostage aérobie. Ces inconvénients contrebalancent les avantages de ce processus, à savoir le peu de travail nécessaire et la perte limitée d’éléments nutritifs au cours du processus.

Le compostage aérobie a lieu en présence d’une grande quantité d’oxygène. Au cours de ce processus, les micro-organismes aérobies décomposent la matière organique et produisent du gaz carbonique (CO2), de l’ammoniac, de l’eau, de la chaleur et de l’humus, qui est le produit organique final relativement stable. Bien que le compostage aérobie puisse produire des composés organiques intermédiaires comme certains acides organiques, ceux-ci sont ensuite décomposés par des micro-organismes aérobies. Le compost ainsi obtenu, qui a une forme relativement instable de matière organique, ne comporte que très peu de risque de phytotoxicité. La chaleur générée accélère la décomposition des protéines, des graisses et des sucres complexes tels que la cellulose et l’hémicellulose et réduit la durée du processus. De plus, ce processus détruit de nombreux micro-organismes, qui sont des pathogènes pour les humains ou les plantes, ainsi que les graines d’adventices, dans la mesure où la température atteinte est suffisamment élevée. Bien que les éléments nutritifs soient perdus en quantité plus importante lors du compostage aérobie, celui-ci est considéré plus efficace et utile que le compostage anaérobie pour la production agricole. La présente publication traite d’ailleurs majoritairement du compostage aérobie.

Un effet de compostage peut aussi être obtenu par dégradation enzymatique des matières organiques qui passent à travers le système digestif des vers de terre. Ce processus est appelé vermicompostage.

Le processus de compostage aérobie

Le processus de compostage aérobie débute par la formation du tas. Dans de nombreux cas, la température atteint rapidement 70 à 80°C au cours des deux premiers jours. Tout d’abord, des organismes mésophiles (dont la température de croissance optimale est comprise entre 20 et 45°C) se multiplient rapidement grâce aux sucres et acides aminés facilement disponibles (figure 1). Ils produisent de la chaleur par leur propre métabolisme et élèvent la température à un point tel que leurs propres activités sont inhibées. Alors, quelques champignons ainsi que de nombreuses bactéries thermophiles (dont la température de croissance optimale est comprise entre 50 et 70°C) poursuivent le processus, en augmentant la température du compost à 65°C, voire même plus. Cette hausse de température est cruciale pour la qualité du compost car la chaleur tue les pathogènes et les graines d’adventices.

La phase active de compostage est suivie par une période de maturation, pendant laquelle la température du tas diminue graduellement. Le début de cette phase est identifiable lorsque le retournement ne provoque plus d’augmentation de la température du mélange. A ce stade, un autre groupe de champignons thermophiles apparaît, responsables d’une étape importante de décomposition des matériaux composant les membranes cellulaires végétales comme la cellulose et l’hémicellulose. La maturation du compost permet d’éviter les risques entraînés par l’utilisation d’un compost immature: faim d’azote (N) et déficience en oxygène, et effets toxiques des acides organiques sur les plantes.

Finalement, la température diminue jusqu’à la température ambiante. Quand le compost est prêt, le tas devient plus homogène et moins biologiquement actif bien que des organismes mésophiles recolonisent le compost. Le matériau devient brun foncé à noir. Les particules sont plus petites et homogènes, et la texture ressemble à celle d’un sol. Au cours du processus, la quantité d’humus augmente, le rapport entre le carbone et l’azote (C/N) diminue, le pH devient neutre, et la capacité d’échange du matériau augmente.

FIGURE 1
Les changements de température et les populations de champignons dans un compost à base de paille de blé

Note: Ligne continue = température; ligne en tiret = population de champignons mésophiles; ligne en pointillée = population de champignons thermophiles; axe des Y (gauche) = populations fongiques (logarithme du nombre d’unités formant des colonies (ufc) par gramme de compost placé dans une boîte de gélose); axe des Y (droit) = température au cœur du compost. a, b, c et d = différentes phases de la courbe de température.
Source: http://helios.bto.ed.ac.uk/bto/microbes/thermo.htm

Facteurs influençant le compostage aérobie

Aération

Le compostage aérobie nécessite d’importantes quantités d’oxygène, tout particulièrement lors du stade initial. L’aération est la source d’oxygène, et se trouve être ainsi un facteur indispensable pour le compostage aérobie. Quand l’approvisionnement en oxygène n’est pas suffisant, la croissance des micro-organismes aérobies se trouve limitée, ce qui ralentit la décomposition. De plus, l’aération permet de diminuer l’excès de chaleur et d’éliminer la vapeur d’eau et les autres gaz piégés dans le tas. L’évacuation de la chaleur est particulièrement importante dans les climats chauds, compte tenu des risques plus élevés de surchauffe et d’incendie. Par conséquent, une bonne aération est indispensable pour un compostage efficace. Celle-ci pourra être atteinte si la qualité physique des matériaux (taille des particules et teneur en eau), la taille du tas et la ventilation sont contrôlées et si le mélange est fréquemment retourné.

Humidité

L’humidité est nécessaire pour assurer l’activité métabolique des micro-organismes. Le compost devrait avoir une teneur en eau de 40 à 65 pour cent. Si le tas est trop sec, le processus de compostage est plus lent, alors qu’au-dessus de 65 pour cent d’humidité, des conditions anaérobies se rencontrent. En pratique, il est conseillé de commencer le tas avec une teneur en eau de 50 à 60 pour cent, pour atteindre à la fin du processus, une humidité de 30 pour cent.

Éléments nutritifs

Les micro-organismes ont besoin de C, N, phosphore (P) et potassium (K) comme éléments nutritifs principaux. Le rapport C/N est un facteur particulièrement important. Le rapport optimal C/N se situe entre 25 et 30 bien que des rapports situés entre 20 et 40 soient aussi acceptables. Quand le C/N est supérieur à 40, la croissance des micro-organismes est limitée, et implique une durée de compostage plus longue. Un rapport C/N inférieur à 20 entraîne une sous-utilisation de l’azote et le surplus d’azote pourra alors être perdu dans l’atmosphère sous forme d’ammoniac ou d’oxyde nitreux, et l’odeur pourra devenir un problème. Le rapport final C/N devrait se situer entre 10/1 et 15/1.

Température

Le processus de compostage met en œuvre deux gammes de température: mésophile et thermophile. Alors que la température idéale pour la phase initiale de compostage est de 20 à 45°C, par la suite, les organismes thermophiles ayant pris le contrôle des étapes ultérieures, une température située entre 50 et 70°C est idéale. Les températures élevées caractérisent les processus de compostage aérobie et sont les indicateurs d’une activité microbienne importante. Les pathogènes sont en général détruits à 55°C et plus, alors que le point critique d’élimination des graines d’adventices est de 62°C. Le retournement et l’aération peuvent être utilisés pour réguler la température.

Teneur en lignine

La lignine est un des principaux constituants des parois cellulaires des plantes, et sa structure chimique complexe la rend hautement résistante à la dégradation microbienne (Richard, 1996). La nature de la lignine a deux implications. Premièrement, la lignine réduit la biodisponibilité des autres constituants des parois cellulaires, ce qui se traduit par un rapport réel C/N (rapport entre C biodégradable et N) plus faible que celui généralement mentionné. Deuxièmement, la lignine sert d’amplificateur de porosité, ce qui crée des conditions favorables pour le compostage aérobie. Par conséquent, alors que l’apport de champignons décomposeurs de lignine peut dans certains cas augmenter le carbone disponible, accélérer le compostage et réduire les pertes azotées, dans d’autres cas, cela risque d’entraîner un rapport réel C/N plus élevé et une porosité médiocre, deux facteurs responsables d’un allongement de la durée de compostage.

Polyphénols

Les polyphénols comprennent les tannins hydrolysables et condensés (Schorth, 2003). Les tannins insolubles condensés lient les parois cellulaires et les protéines et les rendent physiquement et chimiquement moins accessibles aux décomposeurs. Les tannins solubles condensés et hydrolysables réagissent avec les protéines et réduisent leur dégradation microbienne et donc les rejets azotés. Les polyphénols et la lignine attirent plus l’attention en tant que facteurs inhibiteurs. Palm et al. (2001) ont suggéré que les teneurs de ces deux substances soient utilisées pour classer les matières organiques afin d’obtenir une meilleure utilisation des ressources naturelles au sein de l’exploitation agricole, y compris le compostage.

Valeur du pH

Bien que l’effet tampon naturel du compostage permette l’utilisation de substances dans une large gamme de pH, celui-ci ne devrait pas être supérieur à 8. A des pH plus élevés, une plus grande quantité d’ammoniac est générée et risque d’être perdue dans l’atmosphère.

Techniques pour un compostage aérobie efficace

Une simple reproduction des pratiques de compostage ne donne pas toujours le meilleur résultat. En effet, le compostage a lieu dans diverses régions, sous des climats différents et utilise des matières différentes dotées de propriétés physiques, chimiques et biologiques variées. La compréhension des principes, des options techniques et de leurs applications pourra être précieuse pour offrir un environnement optimal au tas de compost.

Aération améliorée

Afin d’obtenir un produit final de qualité homogène, l’ensemble du tas devrait recevoir une quantité suffisante d’oxygène pour que les micro-organismes aérobies prospèrent de manière uniforme. Les méthodologies présentées dans cette publication ont utilisé les techniques décrites ci-dessous.

Taille du tas et porosité du compost

La taille du tas est d’importance capitale et est évoquée dans les sections relatives au compostage passif des tas de fumier (chapitre 2) et au retournement des andains (chapitre 3). Quand le tas ou l’andain est trop grand, des zones anaérobies peuvent se former à proximité du centre, ce qui ralentit le processus dans ces zones. Par contre, les tas ou les andains qui sont de trop petite taille perdent rapidement leur chaleur et ne vont pas atteindre une température suffisamment élevée pour permettre l’évaporation de l’eau et l’élimination des pathogènes et des graines d’adventices. Les paramètres tels que certaines propriétés physiques (porosité) du compost et la façon de former le tas devraient être pris en compte pour définir la taille optimale des tas et des andains. Alors que les matières plus poreuses permettent de créer des tas plus grands, des poids importants ne devraient pas être placés au sommet du tas et les matières devraient être gardées aussi foisonnantes que possible. Le climat est aussi un facteur à prendre en compte. Afin de minimiser les pertes de chaleur, les tas de grande dimension sont appropriés pour les climats froids. Cependant, dans les climats plus chauds, ces tas peuvent surchauffer, voire même dans certains cas extrêmes (75°C et plus) prendre feu.

Ventilation

La possibilité de ventiler complète les efforts visant à optimiser la taille du tas. Les méthodes de ventilation sont variées. La méthode la plus simple est de faire des trous dans le tas à plusieurs endroits. La méthode chinoise de compostage à température élevée (chapitre 2) implique l’insertion de tiges de bambou dans le tas, tiges qui sont enlevées un jour plus tard, laissant ainsi des trous d’aération. L’aération est améliorée en apportant davantage d’air à la base du tas, où l’insuffisance en oxygène est fréquente. En plus des tronçons verticaux de bambous mentionnés ci-dessus, le compostage dans une exploitation agricole en Équateur utilise un treillage de branches mortes à la base afin de permettre à une plus grande surface du tas de rester en contact avec l’air. La durée de compostage est ainsi réduite de deux à trois mois pendant les saisons chaudes. Cette technique est aussi utilisée par la méthode de compostage rapide élaborée par l’Institut des sciences biologiques (IBS) aux Philippines (chapitre 2), où la plate-forme devrait se trouver à 30 cm au-dessus du sol. La méthode des andains aérés passivement (chapitre 3) utilise une méthode plus sophistiquée, exigeant un enfouissement de tuyaux perforés dans le tas. Compte tenu de l’ouverture à l’extrémité des tuyaux, un flux d’air apparaît et l’oxygène est ainsi apporté continuellement au tas. Le système d’aération utilisé dans la méthode du tas aéré statique (chapitre 3) va encore plus loin car un ventilateur produit un flux d’air afin de créer une dépression (aspiration) dans le tas et de l’air frais est ainsi apporté de l’extérieur.

Retournement

Une fois le tas formé et la décomposition débutée, la seule technique permettant d’améliorer l’aération est le retournement. Comme le montre le tableau 1, la fréquence de retournement est cruciale pour la durée de compostage. Alors que la méthode indienne Bangalore (chapitre 2) demande entre six et huit mois pour arriver à maturation, la méthode indienne Coimbatore (chapitre 2), avec un seul retournement, ne nécessite que quatre mois, et trois mois sont exigés pour la méthode rurale chinoise de compostage en fosses (tas retourné trois fois). Un exemple extrême est celui de la méthode de compostage rapide Berkley (chapitre 2), où le retournement se fait quotidiennement, et le produit final est obtenu au bout de deux semaines. Dans certains cas, non seulement le retournement répartit l’air dans tout le tas, mais il permet d’éviter la surchauffe en éliminant les micro-organismes dans le tas et met fin à la décomposition. Cependant, un retournement trop fréquent peut s’avérer être un facteur de diminution de la température.

Inoculation

Alors qu’une aération améliorée peut suffire pour augmenter les activités microbiennes, l’inoculation de micro-organismes peut parfois s’avérer nécessaire. Les microorganismes utilisés pour le compostage sont principalement des champignons tels que Trichoderma sp. (compostage rapide IBS et compostage des adventices - chapitre 2) et Pleurotus sp. (compostage Coir Pith (chapitre 2) et compostage des adventices). Cette publication s’intéresse également aux «micro-organismes efficaces» (processus de production rapide de compost basé sur les ME, chapitre 2). Les inoculums sont économiquement abordables pour les agriculteurs qui ont accès au marché et ceux qui n’ont que très peu de ressources. Le coût de production peut être réduit dans la mesure où les inoculums utilisés sont prélevés dans les fosses à compost (méthode indienne Indore, chapitre 2), en achetant le produit commercial et en le multipliant au niveau de l’exploitation (processus de production rapide de compost basé sur les ME), et en utilisant des inoculums naturels issus des sols et des feuilles de plantes.

TABLEAU 1

Principales caractéristiques de techniques de compostage aérobie à petite échelle

Méthode

Caractéristiques principales

Durée

Réduction de la taille du substrat

Intervalle entre les retournements (jours)

Apport d’un surplus d’aération

Inoculation microbienne

Amélioration de la nutrition microbienne

Fosses Indore


+15, +30, +60


Inoculum des anciennes fosses


4 mois

Tas Indore

Hachage

+42, +84




4 mois

Fosse chinoise


+30, +60, +75



Superphosphate

3 mois

Compost chinois à haute température

Hachage

+15

Trous d’aération dans le tas grâce à des tiges de bambous / tiges de maïs


Superphosphate

2 mois

Compostage à la ferme en Équateur


+21

Treillage de branches mortes / bâtons à la base du tas



2-3 mois en été; 5-6 mois en hiver

Compostage rapide Berkley

Broyage

Retournement quotidien ou un jour sur deux




2 semaines avec retournement quotidien et 3 semaines avec retournement un jour sur deux

Compostage à chaud de l’université de l’état du Nord Dakota

Hachage

+3 ou +4

4-5 trous au centre du tas


0,12 kg N pour 90 cm de matière sèche

4-6 semaines

Compostage rapide basé sur les microorganismes efficaces

Hachage

+14, +21


ME

Mélasses

4-5 semaines

Compostage rapide de l’IBS


+7, +14, et ensuite chaque deux semaines

Plate-forme surélevée / tiges de bambous perforées

Trichoderma sp


3-7 semaines

Apport nutritionnel supplémentaire

Les techniques mentionnées ci-dessus ont souvent besoin d’être associées à un apport d’éléments nutritifs. Une des pratiques les plus courantes est d’ajouter des engrais minéraux, tout particulièrement de l’azote, afin de diminuer un rapport C/N élevé. De la même manière, du phosphate est quelquefois appliqué car le rapport C/P du mélange est également un facteur important (ce rapport devrait se situer entre 75 et 150). Lorsque des micro-organismes sont inoculés, ils ont besoin de sucres et d’acides aminés afin de stimuler leurs premières activités, aussi des mélasses sont souvent ajoutées à cet effet.

Déchiquetage/hachage/broyage

La réduction de la taille ou le déchiquetage/broyage des matières, est une technique très utilisée qui augmente la surface disponible pour l’action des micro-organismes et offre une meilleure aération. Cette technique est d’ailleurs particulièrement efficace et nécessaire pour des matières dures comme le bois.

Autres mesures

L’addition de chaux est aussi présentée dans cette publication. La chaux est supposée affaiblir la structure ligneuse des plantes et augmenter la population microbienne. Cependant, dans certains cas, le chaulage n’est pas recommandé car le tas risque de devenir trop alcalin ce qui pourrait ainsi provoquer une importante perte d’azote.


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