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Des marchés pour les services forestiers environnementaux: réalité et potentiel

M. Katila et E. Puustjärvi

Marko Katila est Chef pour la recherche et le développement, et Esa Puustjärvi est consultant forestier principal, Savcor Indufor Oy, Helsinki, Finlande.

Les mécanismes et les règles du marché contribuent de concert à accroître la demande pour les services procurés par la gestion durable des forêts.

Le développement fondé sur le marché des services forestiers environnementaux a récemment attiré l’attention du grand public pour son rôle potentiel dans la promotion de la gestion durable des forêts et ce, moyennant l’offre de nouvelles sources de financement et d’incitations visant l’adoption de pratiques durables de gestion. La biodiversité, le piégeage du carbone, la protection des bassins versants et la beauté des paysages forestiers ont souvent été cités comme étant les services dont le potentiel commercial est le plus élevé. Les services fondés sur le marché paraissent éminemment susceptibles de compléter ceux financés par le secteur public, et de contribuer à la gestion durable des forêts. À l’heure actuelle, les marchés sont encore en voie d’établissement et les domaines qu’ils influencent sont encore limités. L’expansion des marchés forestiers environnementaux sera lente, à l’exception peut-être des échanges de titres compensatoires de carbone. Malgré les progrès accomplis récemment, il importe d’être réaliste et d’éviter de se leurrer.

La biodiversité, le piégeage du carbone, la protection des bassins versants et la beauté du paysage sont les services forestiers environnementaux qui paraissent avoir le meilleur potentiel commercial
FAO/FO-0858/S. BRAATZ

CLARIFIER LES CONCEPTS LIÉS AUX SERVICES FORESTIERS ENVIRONNEMENTAUX

La notion de services forestiers environnementaux se prête à de multiples interprétations. Dans le présent article, elle se rapporte aux services fournis par les écosystèmes forestiers, à savoir des résultats désirables comme l’atténuation des inondations et la réduction du réchauffement de la planète qui sont bénéfiques pour les êtres humains. Les marchés pour ces services ne couvrent, au sens strict, que ceux procurés par les écosystèmes forestiers, à l’exclusion des marchés pour les produits forestiers (produits forestiers non ligneux et bois), indépendamment de leur utilisation finale (Daily, 1999).

La littérature existante sur les marchés pour les services environnementaux procurés par les forêts a souvent adopté une définition élargie du marché (Landell-Mills et Porras, 2002, par exemple) pour indiquer toute transaction où une compensation financière, ou parfois en nature, est offerte aux fournisseurs d’un service environnemental. Ces transactions peuvent comprendre les échanges entre gouvernements (par le truchement du Fonds pour l’environnement mondial [FEM] ou les échanges dette-nature) ou des négociations plus spontanées obéissant aux lois du marché où intervient le secteur privé. Implicite dans cette définition élargie est la notion de saisie des valeurs environnementales par l’introduction de mécanismes visant à transformer la volonté de payer pour les services environnementaux en paiements effectifs. Cependant, il est important d’éviter de confondre toutes ces interventions avec les approches axées sur le marché et d’assimiler l’évaluation des services environnementaux aux marchés de ces services. Dans de nombreux projets de gestion des aires protégées financés par le FEM, par exemple, l’État est intervenu en qualité de gestionnaire, contrôleur et «acheteur» du service. Ces projets n’ont que bien peu à voir avec les approches axées sur le marché.

De même, il serait fallacieux de classer les crédits bilatéraux ouverts à titre de dons ou le financement des banques de développement pour la conservation de la biodiversité forestière comme une demande du marché, bien qu’ils puissent être considérés comme un indicateur de la demande de services mondiaux pour la conservation de la biodiversité. Il pourrait être improductif de définir les marchés pour les services forestiers environnementaux de manière trop générale car on risque de confondre les rôles du marché (secteur privé) et de l’État, déterminant l’adoption de politiques et d’initiatives de développement inefficaces et aboutissant par là même à une distribution inéquitable des avantages et des coûts (Simpson, 1999). Comme il est envisagé dans le présent article, le marché vise à réunir un acheteur et un vendeur afin qu’ils puissent échanger des produits, qu’ils s’agisse de services ou de biens. Conformément à cette définition, l’évaluation des facteurs relatifs à la demande et l’offre déterminera, en définitive, la création de marchés pour les services forestiers environnementaux.

Cependant, il pourrait être difficile, voire inutile, de définir les marchés de façon trop étroite. Il existe un ensemble homogène d’approches axées sur le marché ayant des niveaux différents de d’intervention publique. Le bien-fondé et la pertinence d’une approche dépendra, dans une large mesure, du contexte socioéconomique, concurrentiel et politique régnant.

Le présent article se fonde sur le rapport rédigé en 2003 par les auteurs et intitulé Impact des nouveaux marchés pour les services environnementaux sur le commerce des produits forestiers, une contribution à l’étude de la FAO «Impact Assessment of Forest Products Trade in the Promotion of Sustainable Forest Management» (disponible à l’adresse suivante: www.fao.org/forestry/site/9609).


RÔLE LIMITÉ À CE JOUR DES MARCHÉS «RÉELS»

Il n’existe à l’heure actuelle de grands marchés que pour les produits forestiers directement consommables, comme le bois. Les marchés pour les services environnementaux proprement dits sont rares. Ces services, comme la protection des bassins versants et la conservation de la biodiversité, ne peuvent être normalement échangés sur le marché, du fait notamment que, dans la plupart des cas, ils sont souvent considérés comme des biens publics.

Malgré la prolifération de différents types de programmes privés de paiement pour les services forestiers environnementaux, la plupart d’entre eux dépendent encore de la participation et du financement actifs du secteur public. Les transferts internationaux ou publics, par le biais, par exemple, du FEM, ou les financements bilatéraux, dominent les «marchés». Les exemples de marchés établis, qui réunissent un acheteur et un vendeur intéressés à la commercialisation sur un marché donné d’un service forestier environnemental, sont encore relativement rares et d’une portée limitée, à l’exception des échanges de titres compensatoires de carbone.

La capacité des différents services environnementaux de créer un marché varie considérablement, car certains services se prêtent mieux que d’autres à être échangés, alors que parfois l’offre peut être mieux garantie par des mécanismes comme la taxation et les règlements établis par l’État (voir le tableau). La création d’un marché pour les services environnementaux peut être influencée par de nombreux facteurs, tels que le dynamisme de la demande et de l’offre, la valeur et le bien-fondé du service, l’emplacement géographique du marché, la possibilité de transformer le service en produit, la facilité de définir et de mettre en vigueur un droit de propriété, la force du pouvoir d’exclusion (mesure dans laquelle le propriétaire d’une ressource peut exclure les autres de son exploitation) et la rivalité vis-à-vis du service fourni, les coûts de transaction, l’incertitude scientifique et la possibilité de vérification, et les risques. Les contraintes étant différentes, les mesures nécessaires pour promouvoir les marchés pour les services environnementaux varient en fonction du service.


LES COÛTS DE TRANSACTION COMME OBSTACLE À LA FORMATION DE MARCHÉS

Parmi les facteurs qui limitent normalement la création de marchés efficaces pour les services forestiers environnementaux figurent les coûts des transactions. Ils sont souvent ignorés ou sous-estimés, bien qu’ils puissent influencer considérablement l’établissement des prix pour un service forestier environnemental, notamment lorsque les coûts encourus pour la création de marchés sont élevés. Les coûts de transaction varient en fonction du service, mais ils comprennent normalement d’autres coûts liés au temps, à l’effort et aux ressources nécessaires pour identifier, amorcer, négocier et compléter une opération. Des coûts de transaction sont également encourus lors de la phase opérationnelle (pour la surveillance et la vérification, par exemple). Ils contractent le marché et, dans certains cas, (comme pour les services de gestion de bassins versants) ils peuvent être si élevés qu’ils entravent la formation d’un marché.

Parmi les moyens de réduire les coûts de transaction figurent: la normalisation de la conception du projet et des procédures d’approbation, les systèmes de certification fondés sur des critères et indicateurs types et le groupage des services environnementaux (voir ci-dessous). Les organisations de donateurs ont souvent facilité la création de marchés en couvrant les coûts de transaction, mais les programmes ainsi aidés ne seront financièrement viables qu’à condition que se poursuive le financement extérieur ou que l’on identifie et applique des moyens aptes à réduire ces coûts. Le programme de paiement pour les services environnementaux du Costa Rica, par exemple, est aux prises à l’heure actuelle justement avec la question de la viabilité.


LES TITRES COMPENSATOIRES DE CARBONE – UN SERVICE COMMERCIALISÉ AU PLAN MONDIAL

Le piégeage du carbone sera sans nul doute le service forestier environnemental le plus important sous l’angle des échanges. Jusqu’à présent, les incertitudes concernant la ratification du Protocole de Kyoto et les règlements définitifs pour son application pratique ont entravé le plein essor des échanges, et le volume commercialisé est resté limité. Néanmoins, en 2003, il y avait environ 110 projets couvrant une superficie totale de près de 5 millions d’hectares, dont la moitié portait sur la conservation des forêts, une activité qui ne détermine pas l’octroi de crédits par le Protocole de Kyoto; la superficie totale intéressée par des projets de plantations forestières ne représentait qu’environ 450 000 ha (Katila et Puustjärvi, 2003). À l’heure actuelle, les possibilités d’accroître le piégeage du carbone par le boisement ou le reboisement au titre du Mécanisme pour un développement propre (MDP) dépassent la demande. D’après les estimations disponibles (Bernoux et al., 2002), la taille effective de ce marché, en tonnes de carbone admises au titre du MDP, ne représentera que le cinquième environ du maximum consenti pour la première période d’engagement (de 2008 à 2012). L’établissement de 14 millions d’hectares de nouvelles plantations dans les zones subtropicales entre 2002 et 2012 pourrait satisfaire cette demande.

La ratification du Protocole de Kyoto par la Fédération de Russie en novembre 2004 et le démarrage du programme d’échanges d’émissions de l’Union européenne en 2005 ont stimulé les échanges de carbone et les investissements con­nexes. Malheureusement, l’intérêt pour les projets de puits de carbone forestiers du MDP est encore relativement faible.


MARCHÉS RESTREINTS POUR LES SERVICES RELATIFS À LA BIODIVERSITÉ

La prolifération des programmes commerciaux et des données sur le financement accru du secteur privé pour la fourniture de services relatifs à la biodiversité laisse entendre que ces marchés ont récemment crû très rapidement et que cette tendance est susceptible de se poursuivre. Les aires protégées, les droits de bioprospection et les produits respectueux de la biodiversité sont les produits les plus répandus dans le commerce relatif à la biodiversité, les aires protégées couvrant plus de 90 pour cent de la superficie (avec quelques chevauchements). Elles ont été gérées traditionnellement grâce au financement du secteur public, y compris par le biais d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’organisations écologistes internationales. S’il est vrai que les aires de conservation dans les forêts privées se multiplient il n’en demeure pas moins qu’elles ne représentent encore qu’un faible pourcentage de l’ensemble des aires protégées, à l’exception de quelques pays d’Afrique australe et d’Amérique centrale.

Les servitudes et concessions à des fins de conservation assurent la protection de nouvelles terres forestières tout en permettant une utilisation restreinte mais continue de la terre pour la production; la simplicité de ces mécanismes les rend de plus en plus populaires. Une servitude établie à des fins de conservation est un accord juridique au titre duquel une fiducie foncière à but non lucratif, une organisation publique ou une ONG, qui veut protéger certains écosystèmes, verse une somme à un propriétaire foncier, afin qu’il gère sa terre de façon durable dans le but de fournir des services environnementaux comme la protection d’un écosystème, la gestion d’un bassin versant ou un panorama. Ce type d’accord a gagné du terrain, notamment aux États-Unis où environ un million d’hectares ont été ainsi protégés. Le Gouvernement du Guyana a octroyé en 2002 à Conservation International la première concession à des fins de conservation laquelle couvre une superficie de 80 000 ha. Récemment, une ONG péruvienne, avec l’aide de Conservation International, a obtenu une concession pour 135 000 ha.

Dans l’ensemble, l’offre d’occasions d’assurer la conservation est encore bien supérieure à la volonté d’en payer le coût. La forte concurrence qui caractérise l’offre, à savoir entre les projets prêts à être financés et une demande relativement faible, tend à abaisser les paiements affectés à la conservation à un niveau à peine supérieur au coût d’opportunité de la terre. Il faudra dès lors mettre davantage l’accent sur les mesures aptes à renforcer la demande afin de stimuler la compétition et la volonté de payer pour la gestion et la conservation de la biodiversité. Un autre grave problème pour leur développement est la difficulté de transformer en produits les services relatifs à la biodiversité (voir le tableau).

Possibilités de développement des marchés de services environnementaux clés procurés par les forêts

Caractéristique permettant la commercialisation

Biodiversité

Carbone

Protection des bassins versants

Écotoursime

Facilité avec laquelle le droit de propriété peut être défini et appliqué

Possible seulement pour certains aspects

Facile pour les crédits de carbone; parfois problématique pour les ressources forestières

Difficile dans maints cas

Normalement assez facile pour certains objectifs touristiques et la faune sauvage, mais impossible pour la protection du paysage

Pouvoir d’exclusion et rivalité

Possible dans certains cas

Possible pour les titres compensatoires mais pas pour le piégeage

Possible dans certains cas

Impossible pour la protection du paysage

Possibilité de transformation en produit

Difficulté de créer un remplacement mesurable et vérifiable à commercialiser

Déjà sous forme de produit

Potentiel élevé si l’on peut établir un lien entre les services forestiers et ceux relatifs aux bassins versants

Élevé

Demande et offre/valeur du service

L’offre excède encore la demande dans de nombreux cas

La demande et l’offre devraient s’accroître

Demande et offre peu claires; la valeur du service pourrait être limitée

Demande élevée; les avantages bénéficiant les fournisseurs des services sont souvent limités

Emplacement du marché

Essentiellement mondial; pas de marchés secondaires

Mondial, national, local

Essentiellement locale; pas encore transfrontière

International et local

Coûts de transaction

Peut être excessivement élevée

Initialement élevé; peut être réduit par la croissance du volume commercial et l’élaboration de normes

Souvent élevée en raison du grand nombre d’intervenants et de problèmes de surveillance

Faible à modéré

Incertitude scientifique

Élevé mais avec une forte variation locale

Faible car les preuves scientifiques sont fortes

Le manque de preuves scientifiques des avantages est le principal obstacle à la création de marchés

Sans objet

Risque

Élevé en raison de problèmes d’incertitude scientifique et d’application

Élevé car de nombreux problèmes restent irrésolus aux plans international et national

Le risque d’une non-fourniture des services demandés est élevé en raison de l’incertitude scientifique

Risque de dégradation de l’environnement dû à l’excès de consommation

Impact sur le commerce

Impacts positifs essentiellement locaux, mais impacts nationaux, voire mondiaux, de la conservation traditionnelle

Valeur considérable pour les échanges de crédits; les impacts sur le commerce des produits forestiers seront sans doute faibles

Insignifiant au niveau mondial, mais pourrait avoir de l’importance au niveau national pour certains pays

Insignifiant aux niveaux national et mondial

Impact sur la gestion durable des forêts

Contribution positive en fonction des mécanismes mais une amélioration s’impose

Pourrait accroître notablement la superficie des plantations; l’impact sur la gestion durable des forêts et la biodiversité sera sans doute limité sans la gestion des forêts naturelles et l’élimination du déboisement préconisée par le Protocole de Kyoto.

Contribution positive; insignifiant au niveau mondial mais pourrait avoir de l’importance au niveau national pour certains pays

Positif mais normalement faible pour la protection du paysage; possibilité d’impacts mixtes de l’utilisation de la faune sauvage


L’expansion de l’écotoursime, comme l’observation de la faune sauvage, assurera un surcroît de financement à la gestion des aires protégées, bien qu’il soit probable que le budget de l’État restera la principale source de revenu
FAO/17376/K. DUNN

DES MARCHÉS CROISSANTS POUR LES SERVICES LIÉS À L’ÉCOTOURISME

Les forêts procurent de nombreux services qui contribuent à l’essor de l’écotourisme et aux loisirs. Cependant, il est difficile d’estimer la part qui revient aux services forestiers dans les marchés de l’écotourisme, et les estimations de l’importance de ce tourisme varient elles-mêmes considérablement. Pourtant il est estimé que le taux de croissance de l’écotourisme est plus élevé que celui pour le tourisme dans son ensemble (TIES, 2003).

Les coûts de la fourniture de services forestiers sont normalement couverts par le revenu qui est tiré de l’écotourisme et affecté à la gestion des aires protégées. La croissance globale de l’écotourisme assurera un surcroît de financement à la gestion de ces aires, mais les tendances actuelles indiquent que le budget de l’État restera la principale source de revenu, du moins dans les court et moyen termes. Il existe quelques exemples de succès, comme le Costa Rica, où est imputable au tourisme plus du quart des crédits affectés aux aires protégées publiques. Cependant, dans la plupart des pays tant développés qu’en développement, le revenu tiré du tourisme s’élève à beaucoup moins (s’établissant normalement entre zéro et 15 pour cent) (Katila et Puustjärvi, 2003).

Hors des aires protégées, les permis de chasse sont une source notable de revenu pour les propriétaires forestiers de certaines régions. Certains des niveaux de revenu les plus élevés seraient le fait des États-Unis; dans les États du sud-est du pays, les permis annuels de chasse et de pêche pour toutes les espèces de gibier varient entre 5 et 100  dollars EU l’hectare (MSU, 2001).

Le marché pour l’écotourisme et les services forestiers connexes est important et va en augmentant. Le problème réside donc moins dans la création de marchés que dans l’assurance qu’une part équitable des avantages sera réinvestie dans la gestion des aires protégées et de conservation. Si cet objectif ne se réalise pas, l’écotourisme peut être une affaire rentable mais n’aura sans doute qu’un impact limité sur l’utilisation durable de la ressource.

Le mode de paiement le plus répandu pour les services relatifs aux bassins versants prévoit que les budgets gouvernementaux nationaux, sous-nationaux ou municipaux, et non les bénéficiaires directs, financent la plantation d’arbres ou la protection des forêts dans le bassin versant
FAO/20774/J. SPAULL

BONNES PERSPECTIVES POUR LA DEMANDE DE SERVICES RELATIFS AUX BASSINS VERSANTS

Les services relatifs aux bassins versants ont été parmi les premiers services forestiers environnementaux reconnus comme étant ouverts à des transactions commerciales. La notion de base, selon laquelle les activités en amont produisent des avantages en aval et les bénéficiaires paient pour ce service, est normalement comprise et acceptée par le grand public. Cependant, les marchés existants pour les services relatifs aux bassins versants sont modestes et locaux, intéressant souvent des bassins versants qui desservent des agglomérations urbaines ou rurales voisines. Normalement, les programmes de paiement ne transcendent pas les frontières nationales. À l’échelle mondiale, les accords commerciaux ne concernent qu’un faible pourcentage de tous les bassins versants; sous l’angle de la superficie forestière, les accords existants couvrent rarement plus de 10 000 ha dans un pays donné. Il est vrai qu’aux États-Unis, en Chine et au Viet Nam, la superficie intéressée par ces programmes dépasse 100 000 ha, mais elle est encore très modeste par rapport à la superficie totale des bassins versants dans chacun de ces pays (Katila et Puustjärvi, 2003).

L’arrangement de loin le plus pratiqué, au plan de la superficie couverte, consiste en un programme de paiement public où le financement pour la plantation d’arbres ou la protection de la forêt naturelle dans la zone du bassin versant provient de budgets gouvernementaux nationaux, sous-nationaux ou municipaux, et non des bénéficiaires directs. Dans certains cas, les bénéficiaires offrent un financement complémentaire, comme certaines industries en Chine et quelques compagnies de production d’énergie hydroélectrique au Costa Rica (Lu et al., 2002; Pagiola, 2002). Les arrangements conclus sans la participation du gouvernement sont rares; on les rencontre dans des cas exceptionnels où les avantages sont considérables et le lien entre la protection du bassin versant et les avantages en aval est très direct et clair. D’autres arrangements, comme les programmes commerciaux et les paiements réalisés par des fiducies privées tendent à se concrétiser et sont même en voie d’expansion dans les pays développés, mais l’absence d’un cadre institutionnel robuste et de capital privé freine leurs progrès dans les pays en développement. À l’avenir, tout porte à croire que les programmes de financement publics resteront le système dominant en raison des hauts coûts de transaction inhérents aux autres types d’arrangements et du caractère de bien public des services relatifs aux bassins versants.

Un certain nombre de facteurs limitent la demande, notamment l’absence de preuves scientifiques de la contribution des forêts aux services concernant les bassins versants. Les opinions sur l’impact du couvert forestier et de divers modes de gestion varient largement et sont souvent contradictoires. C’est ainsi que le programme de financement utilisé en Afrique du Sud adopte un pratique qui est contraire à la tendance générale: le paiement d’une redevance est imposé pour les boisements commerciaux (y compris ceux établis dans les bassins versants) afin de compenser les coûts de l’eau prélevée par les arbres ((Department of Water Affairs and Forestry, 2004).

Le développement futur des marchés des services forestiers liés aux bassins versants est sujet à un grand nombre d’incertitudes. À l’heure actuelle, les principales forces qui déterminent la demande sont la dégradation permanente des bassins versants et l’incapacité des mesures réglementaires de les protéger adéquatement, en même temps que croît la demande d’eau propre. La pénurie croissante d’eau potable pourrait augmenter la valeur des services liés aux bassins versants et encourager la mise en place de mécanismes commerciaux pour ces bassins.


DEMANDE CROISSANTE DE SERVICES ENVIRONNEMENTAUX GROUPÉS

Les coûts associés à la création d’un marché performant pour les services environnementaux et à la réalisation de transactions commerciales limitent les marchés de ces services. Dans de nombreux cas, les forêts fournissent divers services collectifs, comme ceux relatifs aux bassins versants, à la biodiversité et au piégeage du carbone. La vente de services environnementaux groupés peut réduire les coûts de transaction du point de vue tant de l’offre que de la demande. Les marchés pour les services groupés vont en augmentant, notamment en raison de l’évolution des mécanismes de distribution et intermédiaires et de la prise de conscience croissante des possibilités offertes par une production conjointe.

Parmi les exemples figurent la FACE Foundation et le Fonds prototype pour le carbone de la Banque mondiale, qui groupent les services relatifs au carbone ainsi que d’autres services environnementaux. Le programme de paiement pour les services environnementaux du Costa Rica a mis en place une infra­structure novatrice de marché pour la vente de différents services, comme la gestion des bassins versants, la beauté du paysage, la biodiversité et la réduction des unités de carbone (l’approche du «panier à provisions») à des acheteurs locaux, nationaux et internationaux, tout en groupant les paiements versés aux gestionnaires fonciers (Chomitz, Brenes et Constantino, 1998; Landell-Mills et Porras, 2002).


BESOIN DE VÉRIFICATION

L’expansion des marchés pour les services forestiers environnementaux exigera une vérification pour assurer la crédibilité du service offert; les investisseurs privés et les autres bénéficiaires veulent savoir qu’ils reçoivent leur dû. Les acheteurs de services exigent aussi transparence et responsabilité. La certification indépendante de tiers aiderait les gestionnaires fonciers à gagner la confiance et la crédibilité du grand public. Cependant, tant la vérification que la certification viennent s’ajouter aux coûts de transaction et, de ce fait, réduisent les occasions de marché – hormis dans le cas des services groupés, où la certification peut au contraire réduire ces coûts et faciliter la commercialisation de multiples services. Lier la vérification des services environnementaux à la certification de la gestion durable des forêts représente un autre moyen de réduire les coûts de transaction. Cependant, les critères de certification ne sont pas nécessairement compatibles avec la production d’un service environnemental donné.


CONCLUSIONS

La naissance de marchés pour les services forestiers environnementaux peut offrir aux propriétaires et gestionnaires forestiers à faible revenu dans de nombreux endroits l’occasion de tirer des avantages économiques de la bonne gestion de leurs ressources forestières, notamment dans les pays développés. Cependant, les marchés sont souvent trop limités pour encourager l’application de pratiques améliorées. Les programmes de paiement direct pour la gestion et la conservation de la biodiversité forestière, y compris les concessions et servitudes à des fins de conservation et le financement privé octroyé à cet effet, sont ceux susceptibles d’avoir les impacts les plus favorables sur la gestion durable des forêts. Les impacts positifs d’autres mécanismes dépendront de la mesure dans laquelle le produit commercialisé est lié au service environnemental lui-même.

La plupart des mécanismes commerciaux exerceront leur influence principalement sur la durabilité de zones forestières déjà protégées. L’enjeu consiste à transformer le revenu accru dégagé en initiatives incitant les gestionnaires des ressources à adopter des pratiques plus durables.

Les marchés ne peuvent se développer et opérer sans l’intervention de l’État. Les accords et règlements environnementaux internationaux ont de grandes possibilités d’accroître la demande des services procurés par la gestion durable des forêts. Il faut des marchés aussi bien que des règlements; en jeu sont d’une part l’équilibre entre ces deux éléments et, d’autre part, les points forts et les points faibles du mécanisme du marché. Les incitations à gérer les forêts de façon durable ne pourront être créées que si le revenu produit par les marchés établis de services forestiers environnementaux dépasse les coûts commerciaux totaux, et si les «gains» sont partagés équitablement entre les gestionnaires fonciers.

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