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Protection du personnel dans la lutte contre les incendies de forêts

A. R. KING et I. S. WALKER

ALLAN ROY KING est chargé principal de recherches et IAN SAVILLE WALKER chargé de recherche à la Division de chimie physique de l'Organisation de recherche scientifique et industrielle du Commonwealth (CSIRO), Melbourne (Australie).

Utilisation des propriétés réfléchissantes de l'aluminium à l'égard des radiations infrarouges

Quand un incendie éclate dans la forêt, la brousse ou la prairie, le personnel qui doit maîtriser le feu sur le front même de l'incendie travaille souvent dans des conditions pénibles et même dangereuses. Sans parler de la fatigue imposée par un travail très dur, ces hommes sont soumis à une tension extrême et à une chaleur intense. L'eau, le sel, la nourriture et le repos permettent certes de remédier en partie à cet état de choses (King, 1962), mais les effets de la chaleur et la tension nerveuse, particulièrement dans des situations dangereuses, posent un problème qu'il faut malheureusement accepter comme un aspect normal de ce genre de travail. Le surcroît de fatigue provoqué par la chaleur ambiante et l'appréhension très justifiée que peut éprouver le personnel quand il se trouve placé dans des endroits où sa vie pourrait être en danger si l'incendie s'y développait avec violence, contribuent à réduire l'efficacité des opérations de lutte contre le feu. C'est ce qui explique que l'on ait cherché à améliorer la protection et la sécurité du personnel engagé sur le front de l'incendie.

ACTION DE LA CHALEUR DÉGAGÉE PAR LES FLAMMES

Il a été démontré (CSIRO, 1962) que c'est surtout par le rayonnement de particules chaudes de carbone que la chaleur des flammes se transmet aux régions ambiantes froides (matières combustibles, personnel de lutte et véhicules). Plus de 90 pour cent de ces radiations se trouvent dans la bande de l'infrarouge; le reste appartient à la région visible et se manifeste par la luminosité rouge à jaune du manteau de flammes. L'importance négligeable de la convection d'air chaud provenant du foyer dans le processus de transfert de la chaleur ressort du fait qu'au voisinage du front d'un violent incendie la température de l'air ne dépasse jamais de plus d'une vingtaine de degrés la température ambiante à une assez grande distance de l'incendie (CSIRO, op. cit).

L'organisme humain peut respirer et supporter pendant une bonne demi-heure de l'air à 93°C sans ressentir de malaise grave (Buettner, 1950), mais on verra, d'après le graphique 1, que tout près d'un front d'incendie d'assez modestes proportions, l'intensité du rayonnement est assez forte pour causer aux régions exposées de l'épiderme une douleur qu'il est impossible de tolérer plus d'une vingtaine de secondes. Dans les mêmes conditions, les vêtements absorbent aussi une forte proportion des radiations et s'ils protègent tout d'abord la peau contre leur action directe, 50 pour cent au moins de la chaleur qu'ils absorbent finit par se transmettre au corps par radiation, convection et conduction.

EFFETS DE LA CHALEUR SUR LE PERSONNEL DE LUTTE CONTRE L INCENDIE

Nous allons considérer les effets de la chaleur sur le personnel du point de vue du rendement du travail et de l'existence même des hommes.

Rendement du travail

Déjà lorsqu'on accomplit un travail de force par temps chaud, le mécanisme de régulation thermique du corps arrive tout juste à dissiper tant la chaleur produite dans l'organisme par l'exercice physique que la chaleur absorbée sous l'action des rayons solaires et de l'air ambiant. Dans un incendie, le supplément de chaleur absorbé du fait des radiations de la flamme dépasse à un tel point les possibilités de ce mécanisme naturel qu'assez rapidement apparaissent les signes d'intolérance à l'égard de la chaleur. Le premier effet est une diminution rapide des possibilités de travail, qui va parfois jusqu'à la défaillance.

Il arrive souvent que l'ouvrier veuille s'approcher pendant un temps assez bref (2 minutes) du front de l'incendie (jusqu'à 60-120 cm), mais au bout de quelques secondes, la brûlure des radiations lui cause une douleur intolérable sur les parties de l'épiderme qui ne sont pas protégées (par exemple, les mains qui tiennent un outil et le visage, qu'on ne peut protéger complètement en remontant le col ou en rabattant le chapeau ou le casque spécial). C'est de situations de ce genre que peut dépendre le succès ou l'échec de la lutte contre le feu.

FIGURE 1. - Action réfléchissante crèmes à l'égard de la chaleur rayonnée par un feu.

Niveau de radiation A: 1,80 m de distance d'une flamme de 1 m de hauteur; B: 60 cm de distance d'une flamme de 30 à 60 cm de hauteur C: 1,20 m de distance d'une flamme de 1,20 m de hauteur. Chaque courbe porte le pourcentage de radiation réfléchie. (D'après Buettner 1950 et King 1962.)

Danger de mort

II n'est pas rare que lorsqu'on ouvrier se trouve pris dans l'incendie, il soit exposé à un rayonnement assez intense pour lui causer au bout de 2 secondes une souffrance intolérable. Même s'il est placé de telle manière que le feu ne puisse jamais l'atteindre (par exemple, sur une route traversant une plantation de pins), il mourra. L'effort imposé au mécanisme de régulation thermique de son organisme suffit pour amener une défaillance du coeur, même si la période de radiation intense ne dure pas plus de 1 à 2 minutes. Il peut arriver aussi que, pris de panique sous l'effet de la douleur, il se mette à courir (ce qui impose un effort de plus au mécanisme en question) et qu'il essaie même de traverser les flammes qui sont, en général, très épaisses dans ce genre de situation.

RÉDUCTION AU MINIMUM DES EFFETS DE LA CHALEUR EXTÉRIEURE PAR RÉFLEXION DES RADIATIONS

Pour réduire au minimum l'action du rayonnement sur les hommes luttant contre l'incendie, il faut évidemment trouver le moyen de les empêcher d'en être atteints. Les matériaux isolants (en l'occurence les vêtements) ne sont utiles qu'autant qu'ils ne se réchauffent pas eux-mêmes, car leur efficacité dépend uniquement de leur faible conductivité thermique. Il est, par conséquent, bien préférable de chercher à repousser la chaleur de rayonnement par réflexion.

Divers métaux dont la surface est très polie ont la propriété de réfléchir les radiations infrarouges. L'aluminium est sans doute celui qui se prêterait le mieux à cet usage car, outre qu'il est peu coûteux, on le trouve facilement dans le commerce, en feuilles minces ou en poudre; celle-ci est formée de flocons qui peuvent être appliqués par frottement ou à la brosse sur un support approprié et se disposent à plat sur la surface traitée. Sous ces diverses formes, l'aluminium arrive à réfléchir de 50 à 99 pour cent des radiations infrarouges qui l'atteignent. On utilise cette propriété pour protéger les hommes et leurs véhicules des diverses manières indiquées ci-après.

PROTECTION DU PERSONNEL

Dans les conditions normales de travail

On a mis au point un enduit pour la protection des mains, des poignets, et éventuellement aussi du visage et du cou. Il s'agit d'une des crèmes protectrices que l'on trouve ordinairement dans le commerce (composées essentiellement de lanoline émulsionnée dans l'eau) à laquelle on incorpore jusqu'à 82 pour cent d'eau. On y ajoute intimement de la poudre d'aluminium (finesse 200-300 Tyler) jusqu'à ce que la crème en contienne 27 pour cent (2 parties de poudre d'aluminium pour 1 partie de crème solide).

On trouve dans le commerce des «crèmes à l'aluminium» déjà préparées, composées de poudre d'aluminium, d'une substance grasse et d'un solvant au pétrole, qui ont d'assez bonnes propriétés (elles peuvent toutefois irriter fortement les yeux et causer des dermatites). Il est probable que l'on pourrait améliorer beaucoup le produit en modifiant légèrement la formule.

La figure 1 montre les avantages de cette crème. Elle donne les courbes des intensités de radiation calorifique et du temps pendant lequel elles peuvent être supportées par la peau nue ou protégée par des crèmes réfléchissant 50, 65, 75, 80 pour cent des radiations. On a porté aussi sur le graphique l'intensité du rayonnement mesurée dans diverses conditions de travail. Ainsi, un homme qui pourrait résister les mains nues pendant 9 secondes à 120 m de distance d'un rideau de flammes de 120 cm de haut pourrait tenir jusqu'à 1 minute s'il était protégé par une crème réfléchissant 65 pour cent du rayonnement. Cette crème n'a pas seulement pour effet de protéger contre la douleur, elle atténue aussi la charge de chaleur qui pèse sur le corps et, par conséquent, aussi la fatigue.

La crème doit être appliquée en la frottant à la main sur l'épiderme sec; elle y forme une pellicule sèche et brillante qui masque complètement la couleur naturelle de la peau.

II n'existe pas de méthode simple pour mesurer avec précision le pouvoir réfléchissant de ces pellicules appliquées sur la peau, mais l'auteur en indique une (King, 1961) qui a donné des résultats satisfaisants. L'élément récepteur est un radiomètre spécial enduit avec la crème à expérimenter et que l'on expose à des rayonnements dont on connaît l'intensité. On a:

Réflectivité (%) = 100 - transmission (%) + absorption (%).

A l'aide de cette méthode, on a pu établir que la crème en question réfléchissait approximativement 65 pour cent des radiations émises par une source de chaleur maintenue à environ 650°C.

Les essais sur le terrain ont confirmé les avantages de cette crème; les hommes étaient cependant peu disposés tout d'abord à se l'appliquer sur le visage à cause de sa couleur argentée. Mais comme on peut se protéger le visage en baissant la tête, surtout si l'on porte un chapeau, on obtient déjà un résultat intéressant en utilisant la crème sur les mains.

Dans les situations périlleuses

Un abri portatif appelé «tente de sauvetage» a été imaginé pour protéger les personnes surprises dans un incendie. Il s'agit d'un tissu spécial de laine de verre, de 0,05 mm d'épaisseur, doublé d'une feuille d'aluminium de même épaisseur collés ensemble avec un produit adhésif qui dégage des vapeurs non toxiques sous l'action de la chaleur. La rigidité du tissu permet à l'abri de tenir debout sans l'aide d'aucun support.

La tente a la forme d'un V renversé. Elle mesure à la base 2,40 m X 1,20 m, sur 0,60 m de hauteur (figures 2 et 3). Les extrémités sont pratiquement fermées mais des fentes permettent de voir à l'extérieur. La stabilité de la tente est assurée par des bandes, disposées dans le sens de la largeur et sur lesquelles s'étend l'occupant; il peut en outre replier sous lui les pans des côtés. Ces précautions sont indispensables car les courants d'air engendrés par le feu pourraient arracher la tente, laissant l'occupant exposé à un rayonnement intense.

Cette tente a été imaginée en partant des considérations suivantes:

1. L'écran des parois d'aluminium peut, dans une large mesure, protéger l'occupant contre la chaleur, mais il ne faut pas que l'évaporation de la transpiration soit gênée, d'où la nécessité de laisser une certaine circulation d'air à l'intérieur de l'abri.

2. Au niveau du sol, l'air est en général moins chaud que dans les couches supérieures et la température du sol n'augmente pas sensiblement sous l'effet du rayonnement. Rien ne prouve, à la connaissance des auteurs, qu'à proximité du feu l'air se désoxygène au point de devenir irrespirable avec danger d'intoxication par l'oxyde de carbone.

3. En général, un homme pris soudainement dans une situation dangereuse (Australie) a devant lui au moins 3 minutes avant que les conditions deviennent intolérables. Ce délai lui permet de dégager le terrain de toute matière combustible sur un espace de 3,60 m de côté ou de trouver un endroit remplissant ces conditions - route, chemin, lieu de campement, espace déjà dégagé par râtissage ou par le feu.

4. Pour être pratique, l'abri de sécurité doit être léger, peu encombrant, assez résistant pour pouvoir subir un maniement un peu rude, facile à dresser et d'un prix abordable. Des tentes de ce modèle ont été expérimentées avec succès en Australie avec des occupants humains dans des conditions où la survie aurait été normalement impossible (CSIRO, op. cit.). Elles diminuent considérablement les risques de mort, mais on ne peut assurer qu'elles suffisent dans toutes les circonstances. Les expériences sur le terrain ont montré, en outre, la nécessité pour l'occupant de se munir d'un masque simple, par exemple du modèle indiqué dans l'ouvrage cité (King, 1962) pour se protéger contre la fumée.

FIGURE 2. - L'abri individuel.

FIGURE 3. - Essai de l'abri individuel dans des conditions réelles d'incendie. L'abri et son occupant sont sur le point d'être engloutis par le front de l'incendie.

Protection des véhicules

Les véhicules automobiles utilisés dans la lutte contre les feux de forêt doivent être protégés contre la chaleur rayonnante, car ils doivent parfois avancer à proximité d'une flamme intense et, en cas de danger, servir d'abri aux hommes.

La chaleur rayonnante pose trois problèmes importants:

1. Les pneus peuvent se détériorer sous l'action de la chaleur et perdre rapidement leur résistance avec risque de crevaison, ou même prendre feu.

2. Les tôles de la carrosserie peuvent être portées à une température à laquelle les peintures se décomposent en dégageant à l'intérieur ou à l'extérieur du véhicule des vapeurs désagréables ou même toxiques; elles peuvent se déformer et bloquer les portières et les fenêtres.

3. Le moteur peut chauffer, d'où perte de puissance. Le second problème et, dans une certaine mesure, le troisième, peuvent être en bonne partie résolus en utilisant de l'aluminium pour la carrosserie. Mais une solution plus pratique consiste à appliquer sur la carrosserie ainsi que sur la face extérieure des pneus une peinture d'aluminium. Le pouvoir réfléchissant de peintures d'aluminium spéciales a été expérimenté par la méthode décrite précédemment pour les crèmes.

En ce qui concerne les pneus, on a exposé à deux différentes intensités de radiations (tableau 1) des morceaux de pneus, l'un à l'état naturel, les deux autres protégés par deux sortes de peintures à l'aluminium. Au bout de 40 minutes, l'échantillon traité était beaucoup plus détérioré que les deux autres (figure 4). Une exposition aussi prolongée à la chaleur ne se produit que dans des cas exceptionnels (nettoyage du terrain, par exemple, au cours duquel les véhicules peuvent se trouver parqués au voisinage de tas de combustibles lourds en train de se consumer).

Souvent, il est tout à fait possible que la chambre à air, plus exposée à la chaleur qui lui est communiquée non seulement par le pneu mais aussi par l'échauffement de la jante, cède bien avant que le pneu soit sérieusement endommagé. D'ailleurs, la durée des pneus et des chambres à air risque d'être très abrégée par de fréquentes expositions à des rayonnements d'intensités relativement faibles.

En cas de danger, quand le véhicule devient un refuge, on pourrait rendre réfléchissante la surface extérieure des fenêtres par une couche de peinture appliquée a la brosse de préférence, ou encore par pulvérisation (peintures confectionnées sous pression). On peut aussi, et cela vaut mieux, fixer sur les vitres des feuilles d'aluminium de 0,12 à 0,50 millimètre d'épaisseur, déjà préparées aux dimensions voulues. Dans la plupart des cas, on aurait le temps nécessaire pour appliquer aux fenêtres du véhicule ces dispositifs de protection. La peinture à l'aluminium aurait toutefois deux inconvénients: celui de rendre peu visible le véhicule dans une épaisse fumée et celui d'éblouir le conducteur et les personnes situées au voisinage, par réverbération de la lumière sur le capot et les flancs. Mais on a pu constater effectivement, avec une voiture du laboratoire mobile de la CSIRO, Section des feux de brousse, qui avait été traitée de cette manière, que ces inconvénients n'ont rien de grave.

TABLEAU 1. - Effets de la chaleur rayonnante sur des sections de 15,2 cm de pneus de 5,3 X 49 cm


Intensité de radiation et traitement du pneu

Durée de l'exposition

jusqu'au dégagement de fumée

jusqu'à l'apparition de craquelures

jusqu'à l'inflammation

0,35 cal./cm2/sec.1:

minutes

sans traitement

1/3

3

31/2

peinture A5

13/4

5-6

81/4

peinture B6

13/4

8-9

111/2

0,17 cal./cm2/sec.2:

sans traitement3

3/4-1

51/2

4101/2-153/4

peinture A5

41/2

21

440

peinture B6

31/4

181/4

440

1 Intensité de rayonnement correspondant à ce que l'on constate ordinairement à 1,50 m au-dessus du sol et à 1,50 m de distance d'une flamme de 3 à 6 m de hauteur.
2 Intensité de rayonnement correspondant à ce que l'on constate ordinairement au niveau du sol et à 1,50 m de distance d'une flamme de 3 à 6 m de hauteur.
3 Résultats de deux expériences le moment de l'inflammation dépend du mode particulier d'apparition des craquelures.
4 Inflammation «pilote» immédiate pour les pneus non traités; au terme de 40 minutes elle s'est produite après 4 et 5 secondes respectivement avec les peintures A et B. On entend par inflammation «pilote» celle qui se produit au contact direct du matériau inflammable avec une flamme, tandis que l'inflammation spontanée est amorcée par l'interaction des gaz chauds qui se dégagent du pneu en décomposition et de l'oxygène de l'air.
5 Réflexion moyenne de la chaleur 66 pour cent.
6 Réflexion moyenne de la chaleur 60 pour cent.

FIGURE 4. - Effet de la chaleur rayonnante sur des sections de pneus (l'une sans traitement, les deux autres protégées par une peinture d'aluminium).

OUVRAGES CITÉS

BUETTNER, K. J. 1950. Amer Med. Ass., 144, 732

COMMONWEALTH SCIENTIFIC AND INDUSTRIAL RESEARCH ORGANIZATION (CSIRO) 1962. Preliminary report on a survival tent for rural firefighters, Division of Physical Chemistry, Melbourne, Australia.

KING, A. R. 1961. Brit J. Appl. Phys., 12, 663

KING, A. R. 1962. The efficiency of rural firefighters. Commonwealth Scientific and Industrial Research Organization Chemical Research Laboratories, Technical Paper No. 4, 1962.


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