Page précédente Table des matières Page suivante


EVALUATION DES TECHNIQUES DE REGULATION DE L'EFFORT DE PECHE

Résumé du rapport

126.   L'une des raisons qui a motivé le ré-examen approfondi du Droit de la mer il y a dix ans ou plus est l'inquiétude que suscitaient l'appauvrissement de nombreux stocks de poissons et les difficultés de trouver une solution à ce problème dans le cadre du régime international alors en vigueur. La nouvelle Convention a apporté aux pays les possibilités, mais aussi les responsabilités, d'aménager les pêcheries, spécialement dans les zones économiques exclusives nationales. En l'absence d'aménagement, les ressources pourraient être menacées, la quantité et la stabilité des approvisionnements de poissons réduites et les pays pourraient ne pas bénéficier des avantages économiques et sociaux considérables qu'offrent une industrie et des communautés de pêcheurs bien organisées ; mais le coût de toute mesure d'aménagement, quelle que soit la forme d'intervention gouvernementale, tend à augmenter avec l'importance et la complexité de l'opération. Il faut donc que s'établisse un équilibre favorable entre les coûts et les avantages de toute mesure d'aménagement proposée. Cet équilibre variera avec le degré de développement du pays et de la pêcherie intéressée. Il peut même y avoir des cas où les conditions (faible dimension de la pêcherie, difficulté d'intervention, et.) justifient la décision du gouvernement de ne pas chercher à réglementer l'effort de pêche.

127.   Les participants à la Consultation avaient été choisis en fonction de leur expérience en matière de régulation de l'effort de pêche, expérience acquise essentiellement bien sûr dans les pays développés de l'Atlantique Nord et du Pacifique Nord où la surcapacité pose un problème crucial depuis environ 20 ans. Ayant identifié les facteurs de succès et d'échec dans les pays développés, ils estiment qu'il faudrait procéder à de nouvelles études et consultations pour évaluer les possibilités de mettre cette expérience en pratique sous forme de conseils spécifiques fournis à chaque pays en développement. Etant donné toutefois la grande variété de situations dans chaque pays, il serait souhaitable que ces consultations ultérieures se déroulent au niveau régional (par exemple Asie du Sud-Est, Amérique Latine, etc.) comme déjà prévu, par exemple au Comité sur le développement des pêches dans l'Atlantique Centre Est (COPACE) en 1983.

Objectifs

128.   La Consultation a étudié les objectifs généraux d'aménagement et les critères d'évaluation des différents systèmes. Elle a souligné qu'il fallait avoir une idée claire des objectifs avant de commencer à aménager mais qu'il n'était pas pour autant nécessaire de les spécifier en détail; en fait, il pourrait même être souhaitable au début de ne les définir qu'en termes généraux. Les objectifs que l'on peut envisager sont très variés. Ils ne peuvent pas toujours être atteints simultanément et il pourrait être bon de ne prendre les décisions pertinentes que progressivement, dans le cadre du processus normal d'aménagement.

129.   Ces objectifs peuvent se classer en trois groupes : maintien des ressources, performance économique et équité (ou besoins sociaux). Ils pourraient servir de critères d'évaluation des résultats des différents plans d'aménagement, mais il faudrait en outre tenir compte des coûts des opérations (coûts de la recherche, de l'administration et de la mise en vigueur des règlements). Autrement dit, le coût nécessaire pour atteindre l'ensemble des objectifs (coûts/avantages) fait partie intégrante du processus itératif de détermination et d'affinement des objectifs. Certes la quantification des avantages est parfois difficile, mais elle est indispensable à ceux qui doivent prendre les décisions sur l'ampleur, les méthodes et la complexité de la réglementation.

130.   La Consultation a reconnu que le principal objectif de l'aménagement des pêches n'est pas normalement de parvenir à une rente économique maximale. Même si l'on est d'accord sur ce point, il ne faut pas pour autant négliger les objectifs d'efficacité économique car, à long terme, le secteur des pêches deviendrait un fardeau pour la société au lieu d'être une source sûre d'emplois et d'approvisionnements alimentaires. Les critères utilisés pour déterminer l'efficacité économique varieront évidemment d'un pays à l'autre en fonction des besoins en matière d'emploi, de l'abondance ou de la pénurie de carburant et d'autres conditions spécifiques.

131.   On est très conscient des conflits/arbitrages entre objectifs, par exemple entre un taux élevé d'emplois et un revenu élevé par personne. Ce que l'on dit moins, c'est que les tentatives visant à s'assurer un rendement annuel élevé accroissent le risque d'un effondrement des stocks. Il y a donc arbitrage entre le risque et le volume des captures et entre frais administratifs et autres dépenses. Les coûts de la recherche seront sans doute également moindres si l'on peut faire accepter une diminution du rendement par rapport au maximum théorique, et adopter un niveau de rendement raisonnable.

132.   Un objectif couramment mentionné est celui de parvenir à une forme quelconque de stabilité, par exemple dans le revenu des pêcheurs ou dans les approvisionnements aux producteurs ou aux consommateurs. Toutefois, tous les stocks de poissons connaissent des fluctuations naturelles, parfois importantes. On ne peut demander aux mesures d'aménagement d'éliminer ces fluctuations et leur incidence ultérieure sur les captures. Un objectif plus raisonnable est d'essayer de les réduire, mais ceci sera particulièrement difficile si l'on veut avoir un rendement moyen élevé. On peut atténuer l'effet néfaste de ces fluctuations en recourant à des fonds “d'assurance” qui, dans certains pays, peuvent faire partie intégrante du système d'aménagement des pêches.

133.   La plupart des objectifs intéressent les pêcheurs et presque toutes les mesures d'aménagement ont des répercussion sur leur vie. Ces mesures ne donneront de bons résultats que si les pêcheurs participent étroitement à tous les stades de l'aménagement, et comprennent et soutiennent les mesures proposées.

Choix des instruments d'aménagement

134.   Le responsable de l'aménagement dispose de nombreux moyens - contingents de captures, interdiction de la pêche dans certaines zones, limitation des engins, etc. Selon les participants, il faudra, dans la plupart des cas, en employer plusieurs simultanément. L'un d'entre eux - le contingent de captures - ne peut qu'avoir des résultats limités. Ayant eu la possibilité d'étudier l'utilisation de ces différents instruments d'aménagement grâce à l'expérience des participants, la Consultation a fait observer que chaque type de mesure aurait sans doute des effets analogues quel que soit le lieu où elles sont appliquées, bien qu'on puisse s'attendre à quelque variation entre les pêcheries selon la latitude. En fait le choix doit répondre aux conditions particulières de chaque pêcherie.

135.   Il importe que les mesures d'aménagement soient souples. Le responsable devrait être en mesure de modifier rapidement la réglementation sur la base de nouvelles informations, par exemple d'interdire la pêche pendant une certaine période dans une zone où la proportion de junéviles est particulièrement élevée. Le cadre juridique et administratif du système d'aménagement devrait être tel qu'il permette cette souplesse.

136.   Dans le passé, des méthodes indirectes telles que l'interdiction de pêche dans certaines zones et le contrôle du maillage ont été souvent les premières à être appliquées. Dans certaines circonstances, spécialement lorsqu'elles peuvent assurer la protection du poisson jusqu'à ce qu'il ait frayé au moins une fois, elles peuvent suffire à garantir une protection adéquate des ressources. Des mesures supplémentaires sont parfois nécessaires pour des raisons économiques ou sociales, bien que certaines mesures indirectes (fermeture de ceintures côtières, maillage des chaluts, etc.) puissent aussi aider. Dans d'autres circonstances (pêcheries monospécifiques au chalut) les réglementations du maillage ou l'interdiction de certaines zones peuvent contribuer considérablement à améliorer l'aménagement. Dans certaines pêcheries, ces mesures ne seront pas aussi utiles mais lorsqu'elles sont applicables elles sont généralement comprises et acceptées par les pêcheurs; elles sont donc utiles et relativement faciles à appliquer.

137.   Les pêcheries multinationales posent des problèmes particuliers. Des méthodes indirectes, comme la réglementation du maillage, peuvent être appliquées à tous les participants, mais l'adoption de mesures directes exige une décision sur l'attribution à chaque pays. Cette dernière devrait se faire, a-t-on estimé, en termes de captures, par exemple, d'attribution de parts de PTA. Toutefois, les pays peuvent encore choisir entre de nombreuses méthodes (contingents de captures, limitation de l'effort, etc.) pour s'assurer que leurs captures restent en deça des quantités qui leur ont été attribuées.

138.   Le contrôle au moyen des limites de captures a été l'objet d'une attention particulière, dûe partiellement à son importance historique dans les pêcheries internationales. A quelques exceptions près (espèces très variables à cycle biologique court), les PTA peuvent en principe résoudre le problème de la conservation d'une espèce donnée. Toutefois, les flottilles de pêche peuvent encore avoir une capacité excédant de loin celle qui est nécessaire à un rendement équilibré. Les pressions politiques et sociales qui en résultent peuvent menacer les objectifs de conservation. Pour l'application des PTA il est indispensable de disposer de bonnes statistiques et ceci limite leur valeur dans les pays en développement. Faire respecter les PTA et assurer la surveillance scientifique régulière nécessaire peut être coûteux. En outre leur intérêt peut être limité dans les pêcheries multi-spécifiques.

139.   Les difficultés économiques et sociales peuvent être moindres si les PTA nationales (ou les parts des PTA multinationales) sont attribuées à des groupes de pêcheurs du pays, bien que d'importants problèmes de contrôle subsistent. Cette allocation - qui peut être considérée comme une forme de droit de propriété - pourrait être faite par exemple, comme dans plusieurs pays représentés à la Consultation - pêcheurs artisanaux de subsistance (qui ne pêchent que pour leur propre consommation), engins fixes, engins semi-mobiles et engins mobiles en dernier.

140.   Un contrôle direct du nombre de navires de pêche par la limitation de l'accès aux ressources ou des permis semble constituer le meilleur moyen de résoudre les problèmes de la surcapacité. En principe, cette approche devrait également résoudre les problèmes de conservation. A long terme toutefois l'incidence effective sur le stock peut atteindre des niveaux excessifs en raison de l'accroissement de la dimension et de l'efficacité de chaque navire. Ce résultat est également indésirable sur le plan économique en raison des fortes dépenses en capital en jeu. La limitation des permis devrait toujours comprendre des contrôles sur la capacité effective de pêche du navire autorisé (sur le tonnage ou la puissance par exemple). Même ainsi quelques améliorations technologiques seront généralement intervenues. Pour résoudre ce problème, les responsables de l'aménagement doivent à long terme être en mesure de réduire le nombre de navires autorisés (ou leur tonnage global). Pour certains stocks, comme les espèces pélagiques en bancs, une menace plus grave à court ou à moyen terme pourrait être la capacité de la flottille de se concentrer sur les bans survivants d'une ressource en voie de disparition.

141.   Adopter des mesures comme la limitation des permis ou de l'accès peut être plus facile et entraîner moins de perturbation dans une pêcherie qui est encore en développement que dans une pêcherie qui connaît déjà des problèmes de surcapacité ou de sur-exploitation. Il est difficile d'obtenir une réduction immédiate de l'intensité de pêche grâce à ces mesures et l'effet immédiat de leur introduction, ou de la menace de leur introduction, peut en fait accroître l'effort de pêche. Toutefois, adoptées suffisamment tôt, elles peuvent arrêter l'expansion et si l'on n'y prend pas garde, aisément dépasser les limites fixées. On peut aussi faire des objections pratiques aux mesures prises de bonne heure; par exemple, les gouvernements n'aiment pas dépenser de l'argent pour résoudre des problèmes qui ne se poseront pas avant quelques années. Le plus grand intérêt de la limitation des permis, du moins dans les pêcheries développées, est probablement d'être une mesure de complément des contingents de captures.

142.   Les mesures financières - soutien, notamment subventions, taxes directes ou structure des taxes, (taux d'amortissement) - peuvent constituer des instruments stratégiques utiles pour guider les décisions (des pêcheurs, des sociétés de pêche ou des investisseurs) dans la direction désirée. Elles peuvent être mal utilisées les soutiens financiers sont généralement poursuivis trop longtemps. En outre, elles sont lentes à produire leurs effets et n'ont donc aucune valeur comme “arme tactique”; enfin, elles ne sont bien souvent pas utilisées lorsque l'aménagement est le plus nécessaire. Quelques politiciens augmenteront les taxes sur une industrie qui est dans une mauvaise passe, même si cette situation est due à la capacité excédentaire. Les subventions sont à éviter autant que possible. Lorsque certaines formes de soutien financier peutent être utiles - par exemple pour encourager la pêche d'un stock sous-exploité, - elles ne doivent être accordées que pour une période strictement limitée. Les taxes seraient plus utiles dans les phases finales d'un bon aménagement pour orienter les profits “excessifs” et devraient essentiellement servir à couvrir les dépenses d'aménagement.

143.   Les organismes d'aide bilatérale, les banques internationales de développement et autres organismes exercent parfois des pressions financières pour accroître la dimention et la capacité des flottilles de certains pays en développement. Ces pressions qui prennent la forme de prêts à faible intérêt, etc. peuvent être extrêmement bienvenues lorsqu'elles sont exercées prudemment; mais, appliquées sans discrimination, elles peuvent conduire à importer des méthodes de pêche inadéquates, à avoir des navires trop nombreux pour les ressources, à endommager ces dernières et à entraîner des pertes pour les pêcheurs et pour le pays.

144.   A cet égard, les participants ont souligné qu'un navire utilisant la technologie avancée n'est pas nécessairement rentable. Il est rare que les grands chalutiers - usines capturent le poisson dans des conditions aussi avantageuses que les petits navires locaux qui consomment peu de carburant.

145.   Les droits de propriété peuvent prendre plusieurs formes - contingents individuels de captures, droits d'usage territorial, etc. Ils présentent un certain nombre d'avantages. Lorsque les pêcheurs considèrent les stocks de poisson comme leur propriété, ils adoptent une attitude plus positive envers les mesures de conservation et d'aménagement, dont la mise en vigueur est généralement plus facile et moins coûteuse. Le produit peut souvent être débarqué dans de meilleures conditions et au cours d'une campagne plus longue, au grand bénéfice du consommateur. En général, la Consultation a estimé que l'octroi de droits de propriété, quelle que soit leur forme, est l'une des mesures d'aménagement les plus prometteuses, spécialement dans les pays en développement comptant une forte population de pêcheurs artisanaux.

146.   En résumé, les principales conclusions de la Consultation sont les suivantes:

  1. Il est indispensable d'aménager les pêcheries, faute de quoi on ne peut en tirer les grands avantages qu'elles sont en mesure de fournir - quantités importantes de produits alimentaires, emplois dans les communautés côtières (particulièrement dans les régions éloignées) et forte contribution au bien-être économique.

  2. Dans l'aménagement de leurs pêcheries, les pays développés ont commis beaucoup d'erreurs pour plusieurs raisons et notamment l'impossibilité où ils étaient de contrôler les pêcheries au large de leurs côtes dans le cadre du régime international précédent. Les pays en développement, spécialement ceux qui ont des pêcheries en voie de développement, seraient bien inspirés de tirer les leçons de ces erreurs au lieu de prendre pour exemples les pratiques actuellement en vigueur dans les pays développés.

  3. L'aménagement des pêcheries peut être coûteux, selon le niveau souhaité de développement, spécialement pour ce qui est de la recherche et de la mise en vigueur des règlements. Les décisions relatives à l'aménagement doivent rechercher un équilibre entre les coûts et les avantages escomptés.

  4. Les pêcheurs et autres membres de l'industrie (commerçants, travailleurs à terre, transformateurs, etc.) devraient être associés à l'aménagement des pêches. Ils devraient avoir la possibilité d'y participer à tous les stades, depuis l'élaboration et le choix des mesures d'aménagement jusqu'à leur application et leur mise en vigueur. S'ils peuvent eux-mêmes se charger de cette dernière, c'est évidemment plus efficace et meilleur marché mais il faudra prévoir une surveillance.

  5. Il n'existe pas de méthode simple et universelle pour réglementer l'effort de pêche. Pour obtenir de bons résultats il faut faire appel à plusieurs réglementations et mesures simultanément. La meilleure combinaison de mesures diffère d'une pêcherie à l'autre. Elle doit être adaptée aux conditions spécifique de chaque pêcherie.

  6. On ne peut séparer l'aménagement du développement. Il arrive souvent que des mesures prises sans discrimination pour encourager la croissance d'une pêcherie (l'introduction de subventions par exemple) compromettent gravement le succès ultérieur de l'aménagement. Les fonctions administratives liées au “développement” et à “l'aménagement”, qu'il s'agisse d'un pays ou d'un organisme international, devraient être étroitement intégrées.


Page précédente Début de page Page suivante