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Propositions pour la gestion de la fertilité des sols
GESTION DE LA BIOMASSE
Au Rwanda, la majorité des paysans est trop pauvre pour acheter assez d'engrais minéraux pour intensifier la productivité de toutes leurs terres. Traditionnellement, pour maintenir ou restaurer la productivité de leurs champs, ils ne disposent que de la biomasse produite sur leurs champs, sur les jachères, les côtés des routes et les forêts communales, etc... L'application des méthodes de DRS + CES (les fossés) n'augmente pas la production de biomasse, mais réduit les surfaces productives. Par contre, la GCES attache beaucoup d'importance à l'amélioration de la production de biomasse et à la gestion judicieuse des matières organiques pour restituer rapidement au sol les nutriments indispensables à la production végétale.
Dans la forêt tropicale humide africaine, 8 à 15 t/ha de litière sont restituées au sol chaque année. Dans les savanes, ce sont 2 à 8 t/ha de feuilles qui retournent au sol à moins que le feu ou le bétail les détruisent ! Après défrichement (brûlis de la végétation naturelle et mise en culture), le taux de matières organiques des couches humifère diminue de 40 % en quatre à dix ans en fonction de la gestion des résidus organiques: fumier, compost, enfouissement direct ou paillage.
Sous culture, la biomasse disponible n'est pas négligeable:
- la culture de maïs et sorgho peut laisser 2 à 5 t/ha/6 mois de résidus utilisés actuellement pour nourrir le bétail ou pour pailler la plantation de café;
- soja, arachides et haricots produisent 0,5 à 2 t/ha de fourrage de qualité;
- manioc et patates douces fournissent 0,5 à 2 t/ha de biomasse utile pour nourrir les cochons ou pailler le café;
- la bananeraie (à densité 3 x 5 m) peut produire 3,3 t/ha de stipes et 2 à 6 t/ha de feuilles utilisées comme paillage ou fourrage;
- enfin, les jachères courtes (quelques mois entre les deux cycles culturaux) et les adventices fournissent 0,5 à 2 t/ha/an de matière verte.
L'AGROFORESTRIE
Elle peut augmenter fortement la production de biomasse des champs cultivés. Deux cents arbres (Grevillea robusta, Cedrella serrata, Polyscias fulva, etc...) plantés autour ou dans les champs peuvent produire assez de bois de chauffage pour toute la famille et en plus, 1 à 4 t/ha/an de feuilles et brindilles très appréciées pour le paillage.
Plantées tous les 5 à 10 mètres, les haies vives de Calliandra calothyrsus, Leucaena leucocephala ou diversifolia, ou de Cassia spectabilis, peuvent produire 3 à 9 t/ha/an de feuilles (excellent fourrage) et 2 à 7 t/ha/an de branchettes pour le feu. Ainsi, la biomasse produite sur un champ cultivé par les résidus de culture, les arbres et les haies vives peut dépasser celle des forêts primitives ou secondarisées. Cependant, il faut songer à en restituer suffisamment au sol.
LES REMONTEES BIOLOGIQUES DE NUTRIMENTS PAR L'AGROFORESTERIE
Si le sol n'est pas trop acide ni trop pauvre en phosphore, les arbustes sélectionnés pour former des haies vives sont capables de fixer l'azote de l'air. Selon les auteurs et les sites (Balasubramanian et Sekayange dans les savanes de l'Est, König et Ndayizigiye, 1992 autour de Butare dans le plateau central), les trois coupes des haies peuvent ramener à la surface du sol: 75 à 130 kg/ha/an d'azote, 2 à 20 kg de phosphore, 20 à 60 kg de potasse et autant de calcium et de magnésium, en fonction de la richesse du sol en ces éléments. Cet apport minéral avoisine celui de dix tonnes de fumier de ferme. Sans compter l'apport en litière des 200 arbres/ha, il est clair que l'agroforesterie peut contribuer largement à l'équilibre organique et minéral du sol de deux façons: en réduisant sérieusement les pertes en nutriments par érosion et drainage, mais aussi en captant l'azote de l'air et les solutions entraînées par drainage au-delà des racines des cultures annuelles.
LES APPORTS DE MATIERES ORGANIQUES ET LES COMPLEMENTS MINERAUX
A la figure 73, sont comparés les effets de trois types de haies vives sur l'érosion (t/ha/an), le ruissellement moyen annuel (KRAM %), la production de biomasse des haies, distantes de sept mètres, et la production de céréales.
Biomasse: La haie de Calliandra a donné deux fois plus de biomasse que le Leucaena (4 à 8 t/ha/an). Les émondes étalées sur le sol (trois fois l'an) couvrent 80 % de la surface pour Calliandra et 40 % sous Leucaena. Mais, au bout de deux semaines, toutes les petites feuilles ont disparu, digérées par la microflore du sol; il ne reste que les tiges que les enfants risquent de ramasser comme bois de feu. Il faudra peut-être chercher d'autres associations d'arbustes.
Ruissellement: Sauf durant le premier mois après plantation, le sol est bien couvert si bien qu'après deux ans, le ruissellement est très modéré: 12 % sur sol nu, 8 à 10 % sous culture traditionnelle, 1 à 2,5 % sous culture encadrée de haies vives chaque sept mètres. Le ruissellement n'est sérieux que lors des longues averses de la deuxième saison sous culture de sorgho sur un sol engorgé. Le ruissellement maximal journalier atteint 68 % sur jachère nue, 20 à 35 % sous les cultures.
Les pertes en terre: L'érosion en nappe et rigole décroît de 450 t/ha/an sur jachère nue à 80-120 t/ha/an sur cultures traditionnelles et 1 à 2 t/ha/an sous cultures, deux à trois ans après plantation de haies vives. Il faut noter que les cultures ont reçu 10 t/ha/an de fumier de ferme (et même 90 t/ha la troisième année). Même un tel apport de fumier n'a pas suffi à réduire l'érosion à un niveau tolérable: mais si l'érosion a tendance à augmenter d'année en année sous culture traditionnelle, elle diminue sur les parcelles protégées par des haies vives, à mesure que la pente du terrain cultivé diminue (de 27 à 15 %).
FIGURE 73 : Influence de haies vives de Leucaena leucocephale et Calliandra calothyrsus (un mètre tous les sept mètres) sur le ruissellement annuel moyen (KRAM %), l'érosion (t/ha/an), la production de biomasse de la haie (kg/100 m/an) et les récoltes des deux saisons culturales à la station ISAR de Rubona (Rwanda) sur une pente de 27 % et un sol ferralitique acide (d'après Ndayizigiye, 1 993) Erosion en fonction des precipitations annuelles Ruissellement (KRAM = % des pluies annuelles) Production de biomasse par les haies vives ( kg par cent mètres de haie) Récolte de haricots + maïs (kg/ha) en 1ère saison Récolte de sorgho grain (kg/ha) en 2ème saison
To = Témoin regional HC = Haie de Calliandra HL = Haie de Leucaena HCS = Haie de Calliandra + Setaria
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TABLEAU 41 : Exigence en NPK, chaux et fumier, propre à chaque culture sur les sols ferrallitiques acides du Rwanda (d'après Rutunga, 1991)
Cultures | N | P | K | Chaux, fumier, inoculum |
Haricot | 34 | 25-30 | 34 | en fonction des maladies cryptogamiques |
Soja | 20-40 | 40-50 | 30-50 | + inoculum + chaux si pH < 5 |
Pois | 34 | 34 | 34 | + inoculum + chaux + fumier |
Arachide | 30 | 30 | 0 | |
Sorgho | 60 | 60 | 17 | en altitude + fumier (+ chaux) |
Maïs | 42 | 42 | ||
Blé | 88 | 42 | 42 | |
Riz irrigué | 60 | 30 | 30 | pour deux tonnes de paddy |
100 | 60 | 60 | pour six tonnes de paddy | |
Pommes de terre | 50 | 100 | 200 | + chaux + fumier si en altitude |
Manioc | 100 | 50 | 100 | |
Maraîchage | 50 | 30-70 | 100-200 | ou 35 tonnes de fumier |
L'impact sur la production des cultures: La première année, les récoltes n'étaient pas significativement différentes: le champ est donc homogène au départ. La deuxième année, malgré 10 t/ha de fumier, la production a chuté de 10 à 30 %. La troisième année, suite à un apport de 30 t/ha de fumier, les rendements augmentent de 32 à 53-68 % dans les champs contenant des haies. Ce n'est que la quatrième année, lorsqu'on a ajouté 2,5 t/ha de CaCO3 +, 10 tonnes de fumier et N51, P51, K51, que les rendements ont crû sérieusement de 500 à plus de 2000 kg/ha de céréales et jusqu'à 2318 kg/ha entre les haies vives malgré la place occupée par les haies (15 %). Quant à la production de sorgho en deuxième saison, elle est restée faible (420 à 640 kg/ha) sauf après chaulage et fertilisation minérale complémentaire (jusqu'à 1544 kg sur les parcelles avec haie).
Dans cet essai sur sol ferrallitique acide, il semble que même si l'érosion et le ruissellement sont maîtrisés, la productivité continue à décroître ! Dix tonnes de fumier plus six tonnes de paillis de légumineuses n'ont pas suffi à augmenter significativement les rendements des céréales et haricots, car les plantes, les sols, les animaux et les fumures organiques sont carencés dans les mêmes éléments (surtout P et N). Par contre, on a pu tripler les rendements et valoriser les travaux de lutte antiérosive après correction du pH (2,5 t/ha/3 ans de chaux ont suffi pour éteindre la toxicité aluminique) et apport minéral complémentaire (60 unités de NPK suffisent pour les céréales).
Jusqu'ici, il semble que les paysans s'intéressent progressivement aux haies vives, plus en tant que source de fourrage en saison sèche et délimitation de leur propriété, qu'en tant que pratique conservatoire des sols. L'ensemble de la gestion des haies vives n'a pas encore été complètement assimilé, en particulier la taille des racines et des branches pour limiter la concurrence.
LA RESTAURATION DE LA FERTILITE DES SOLS
En dehors des zones volcaniques, les sols ferrallitiques désaturés sont très acides et comportent souvent une toxicité aluminique et un excellent drainage qui entraîne un grand risque de lixiviation des engrais dans les eaux de drainage, surtout si le ruissellement est supprimé sans intensification de la culture. Dans ce cas, la conservation des sols n'est pas acceptable par les paysans car elle ne valorise pas leur travail: il est indispensable d'introduire simultanément, la conservation des sols, le stockage des eaux et la restauration de la fertilité pour améliorer significativement les rendements.
Si l'on veut restaurer en un ou deux ans la fertilité des sols, il faut respecter les six règles suivantes:
- contrôler le ruissellement et l'érosion;
LA FUMURE D'ENTRETIEN
Comme on l'a vu dans l'essai de Rubona (figure 73), une fois l'érosion maîtrisée et la fertilité physique, biologique et chimique du sol restaurée à un niveau acceptable, il reste encore à nourrir les plantes cultivées (fumure localisée) à leur rythme (doses fractionnées) en fonction des objectifs de production (N = 40 à 160 kg/ha/an + P = 30 à 100 kg + K = 20 à 100 kg/ha/an) des plantes cultivées et des risques de lixiviation périodiques. En pratique, il faut gérer au mieux les résidus organiques et ajouter les compléments minéraux indispensables pour les cultures puisque les sols ferrallitiques ont une très faible capacité de stockage des nutriments et de l'eau.
Rutunga (1991) a constaté que sur les terres pauvres du Rwanda, le chaulage (2 à 5 t/ha) doit être renouvelé tous les trois ans et la fumure organique tous les trois cycles culturaux. Sur les terres moyennement riches, le chaulage n'est guère utile, mais bien la fumure minérale et organique. Quant aux riches terres volcaniques, les faibles doses de NPK n'ont entraîné jusqu'ici que de faibles améliorations de rendement.
CONCLUSIONS SUR L'APPROCHE GCES AU RWANDA [planche photographique 32] Dans les montagnes tropicales fortement peuplées d'Afrique Centrale, les risques d'érosion (300 à700 t/ha/an) et la dégradation de la fertilité des terres augmentent avec la pente et la densité de la population (150 à 800 habitants/km2 ) (figure 74). Il existe des systèmes de production capables de maintenir l'érosion à un niveau tolérable: le paillage sous caféiers, bananiers ou manioc, les gros billons en courbe de niveau, couverts en permanence, les engrais verts couvrant la surface du sol, la reforestation produisant une bonne litière. Le terrassement radical (1000 jours de travail) ou progressif (100 jours) et les autres structures antiérosives, sont moins efficaces que les systèmes biologiques (talus enherbés, haies vives) et exigent plus de travail d'entretien et d'espace. L'agroforesterie (par exemple 200 arbres/ha plus des haies vives tous les cinq à dix mètres) permet de contrôler l'érosion (1-3 t/ha/an), de produire fourrage et paillage (4 à 10 t/ha/an) et de récupérer des nutriments en profondeur (N 20 à 100; P 10 à 20; K 2 à 40, Ca + Mg 20 à 40, etc...) pour des temps de travaux raisonnables (10 à 30 jours par an). Cette biomasse peut être valorisée par l'élevage car le fumier est l'une des clés pour fertiliser les sols ferrallitiques, véritables passoires. Cependant, malgré l'apport de 10 t/ha/an de poudrette et de 4 à 8 t/ha de paillis de légumineuse, la production des terres est restée très basse (400 à 800 kg de haricot, maïs et sorgho, 3 à 8 t/ha de manioc). Pour relever le défi de doubler la production avant que la population ne double (17 ans), il est indispensable de proposer un paquet technologique comprenant à la fois la gestion de l'eau et de la fertilité des sols: citernes, haies vives, fertilisation organique (paillage, engrais verts et fumier de ferme amélioré) avec un complément minéral (NPK 40 à 100 kg/ha/an et chaulage 2-5 t/ha/3 ans). La CES ne suffit pas. On peut observer que les plus fortes populations du monde vivent dans des "jardins multiétagés" où les interactions positives entre l'élevage, les cultures et les arbres sont poussées à l'extrême. En Afrique, il reste encore beaucoup à faire pour atteindre l'intensité de la production des jardins asiatiques. |
FIGURE 74 : Les risques d'érosion et les propositions d'améliorations des collines granito-gneissiques du Rwanda Sols tourbeau hydromorphes :
- ou planches drainées + patates douces/soja/légumes - carrière d'argile ® briques - mares ® pisciculture Sols ferrallitiques
- forte lixiviation - carence P-N-KCaMg - bonne résistance à l'érosion (1 ) Battance et rigoles décapage de l'horizon humifère Problématique
- Comment évacuer les excès d'eau sur des pentes cultivées très fortes - Comment améliorer la gestion des bas-fonds Tentatives d'améliorations 1 Bas-fond à drainer et cultiver sur planches: très difficile tant que tout le bassin n'est pas aménagé 2 Versants: fixation des terres par haies vives tous les dix mètres et 200 arbres/ha.
® stabiliser les terres contre les glissements (racines), le ruissellement/paillis ® les arbres ramènent en suface des matières organiques + nutriments ® talus enherbés et haies vives 3 Nécessité absolue sur ces sols pauvres et acides: gestion biomasse + apports minéraux
® apport d'un complément minéral localisé fractionné aux plantes 4 Transformer les talus en zones fourragères stabilisées par les haies vives de légumineuses + herbes et rejets de labour (racines, brindilles, pierres) 5 Aménagement des pistes: enherbement généralisé et drainage organisé vers des citernes ou des fosses de sédimentation plantées en bananiers 6 Nécessité d'organiser le marché des produits agricoles (pistes, etc) et des intrants |
Chapitre 12 : Une nouvelle approche de lutte antiérosive en Haïti
Problematique
Diagnostic du milieu
Les stratégies traditionnelles paysannes et leurs limites
Les actions d'améliorations engagées
Bernard Smolikovski, Directeur du
PRACTIC (1988- 1992),
Mission de coopération à Praïa, République du
Cap Vert
Eric Roose, Directeur de Recherche en Pédologie,
ORSTOM, Montpellier, France
Michel Brochet, Directeur des études,
ENSAT/CNEARC, Montpellier, France
EXEMPLE D'UN TRANSECT CALCAIRE-BASALTE DANS LES COLLINES DU SUD QU'HAITI