1.1 Cadre et objectifs de l'étude
Les pays en voie de développement en général, les nations africaines en particulier, se trouvent enfoncés dans un engrainage aux issues incertaines, constitué par un ensemble des problématiques socio-économiques, politiques et environnementaux. Face aux préoccupations engendrées par ces problématiques, à savoir les booms démographique galopants, la paupérisation de la population, notamment les populations rurales et périurbaines, limitation des ressources naturelles, humaines et financières, les conflits internes et sous régionaux etc., qui ne cessent de s'accentuer et d'aggraver les impacts négatifs du changement climatique global de la planète, les nations africaines découvrent avec stupeur et horreur que l'avenir du secteur forestier risque d'être sérieusement affecté.
Cette prise de conscience connaît son aboutissement dans une initiative prise par les pays africains lors de la 11e session de African Forestry and Wildlife Commission qui s'est tenue à Dakar(Sénégal) en Avril 1998. Par le biais de ladite commission, les pays africains ont demandé à la FAO d'entreprendre une Etude Prospective du Secteur Forestier en Afrique(FOSA).
La République de Djibouti, malgré l'insignifiance de son secteur forestier de part sa superficie réduite, est consciente de l'importance qu'il revêt du point de vue écologique au niveau mondial, régional et sous-régional, et de ce fait, lui attache un intérêt particulier. Ainsi, à l'instar des autres nations africaines, notre pays, pleinement conscient de l'avenir incertain de son secteur forestier, a pris part dans l'initiative africaine ci dessus précisée.
Grâce à l'appui de la Banque Africaine de Développement, de la Commission Européenne et de la Banque Mondiale, ce projet d'étude prospective a pu démarrer en 1999 et continuera jusqu'en 2002. Dans le cadre de ce projet, les parties se sont s'acquitté de l'obligation de préparer un document de communication de prospective du secteur.
Ce présent rapport, a pour objectifs spécifiques de décrire et d'examiner la situation actuelle des forêts en République de Djibouti et de visualiser les évolutions les plus plausibles du secteur à l'horizon 2020, tenant compte des principaux facteurs et/ou moteurs du changement futur . L'étude mettra en exergue les conséquences socio-économiques et environnementales probables.
1.2.1 Situation géographique et géomorphologie
La République de Djibouti est un petit pays(23200km²) situé dans l'hémisphère nord à mi-distance entre l'équateur et le tropique du cancer, entre 10° 55 ' 12°45' de latitude Nord; 41° 45' et 43°25' de longitude est, à l'extrême Nord-est de la corne d'Afrique. Elle est entourée par la Somalie au sud, l'Ethiopie à l'ouest et l'Erytrée au nord. Le pays occupe une place peut être modeste de part sa superficie mais de première importance par sa position géographique. Il se trouve au carrefour de l’Afrique et de l’Asie à l’entrée de la Mer Rouge et représente à la fois une avancée extrême de l'Afrique vers l'est et un premier jalon de l'Asie vers l'Ouest. Cette situation lui donne une position stratégique. De ce fait, il présente des intérêts socio-économiques, politiques importants notamment au niveau sous-régional, régional et international.
Du point de vue géologique, le pays se trouve à la jonction de trois rifts(la mer Rouge, l'Océan Indien et le rift est africain), cela lui permet d'être le siège des phénomènes géologiques exceptionnel(Volcanisme, séismes et l'ouverture d'un océan nouveau !). De fait, géomorphologiquement, le territoire djiboutien se caractérise par un relief d'origine basaltique et rhyolithique très accidenté(allant de -178 m en desous du niveau de la mer à lac Assal et atteignant 2020 m à Moussa Ali, point culminant du pays), marqué par une succession des hauts plateaux et massifs montagneux et des plateaux et collines de moyenne altitude. Ces formations sont entrecoupées par des dépressions sédimentaires ou fluviolacustres et plaines endoréiques. L'ensemble de ces formations est sillonnée par un important réseau hydrographique.
1.2.2 les sols
Les sols de la République de Djibouti ont été très peu étudiés. A ce jour, on dispose uniquement d'une étude morphopédologique sommaire, réalisée en 1982 par Gobel et All.
On distingue dans le pays deux types de sols:
Les sols en place
Sols bruns: Ces sols issus de basalte sont en général assez profonds. Ils sont souvent recouverts d'une couche de blocs ou de pierrailles. Ils présentent parfois, notamment dans le massif du Goda, un horizon humifère assez important(1,10 m selon Blot 1986, pour un profil situé dans la forêt du Day).
Lithosols: Les massifs rhyolitiques ou gréseux, au relief accidenté, et, plus rarement, les massifs basaltiques portent des sols jeunes ou lithiques qui alternent avec des éboulis plus ou moins décomposés. Les sols issus de grès ou de rhyolites sont toujours plus acides et pauvres en éléments fins que les sols issus de basalte.
Sables calcaires coralliens: Ces sols correspondent à la décomposition superficielle des plateaux madréporiques. Ce sont des sables calcaires contenant des fragments de coraux.
Sols d'apport
Colluvions: Ils sont formés par les matériaux déposés au pied des massifs montagneux (glacis, cônes de déjections, etc.). Très hétérogènes, ils sont constitués de blocs de dimensions variables inclus dans des sables souvent grossiers.
Alluvions fluviolacustres: Ce sont des matériaux transportés par les oueds au cours des crues et déposés plus ou moins loin, selon la taille des éléments.
1.2.3 Le climat
La République de Djibouti, située dans la zone intertropicale possède un climat de type tropical, aride ou semi-aride. Cependant, ce climat loin d'être homogène varie dans l'espace et dans le temps. On y distingue principalement deux grands types de climat :
Une saison fraîche d’octobre à avril caractérisée par:
Une assez forte humidité relative de l’air qui est de 60 % à 85 % dans les régions littorales et montagneuses. Elle varie de 50 % à 65 % dans les régions basses de l’intérieur.
Des températures douces oscillant entre 22° C et 30° C , janvier étant le mois le plus frais.
Une saison chaude et sèche de mai à septembre caractérisée par:
Des températures élevées fluctuant entre 30° C et 40° C. Les températures les plus élevées sont relevées sur le littoral et à l’ouest d’une ligne Balho / As-Eyla où elles dépassent 35 °C et sont responsables d’une importante évapotranspiration.
Les pluies de la période chaude suivant un régime tropical sur le versant continental. Ces précipitations sont faibles et consécutives au passage du Front Intertropical (FIT) au nord du pays et donc à l’affrontement entre les moussons atlantique et indienne.
Un vent de sable violent, chaud et sec soufflant de l’Ouest (le Khamsin) durant cinquante jours.
1.3 L'état actuel du secteur forestier
1.3.1 Analyse phytogéographique
Malgré les conditions géoclimatiques généralement peu favorables à la vie, Djibouti constitue une particularité parmi les pays arides. Loin d'être désertique, le pays abrite sur son territoire, des écosystèmes forestiers fascinants, caractéristiques à ceux des régions à climat méditerranéen. Ces écosystèmes forestiers aux microclimat humide, contradictoire avec le contexte physico-climatiques du reste de pays, sont considérés avoir survécus sur des montagnes qui pourraient avoir servi de refuge durant les périodes les plus sèches du pléistocène. On y trouve en effet réunis des écosystèmes des climats hyper arides où végètent et se développent des types de végétation spécifiques résultant d'une rude sélection naturelle, des écosystèmes forestiers de type méditerranéen, des hauts plateaux africains et de la péninsule arabique où sont décrites de nombreuses espèces et variétés, en passant par de multiples écosystèmes steppiques et milieux naturels confinés où la diversité floristique varie dans le temps et dans l’espace.
La flore de Djibouti, remarquable, appartient à la souche d’endémisme Somalie-Masai, cependant très proche de la souche d’endémisme Afro-montagnarde, de la zone de transition Saharo-Soudanienne, particulièrement sa partie arabique. Les limites phytogéographiques entre ces différentes souches d’endémisme n’étant pas claires, l’hypothèse selon laquelle la flore de la RDD assurerait des liaisons floristiques remarquables entre ces endémismes n’est pas à exclure (Audru et al. 1987). L'inventaire de la diversité floristique montre que le pays présente une richesse floristique importante. Le tableau ci-dessous présente une synthèse non exhaustive de cette diversité floristique.
Tableau 5. Diversité des plantes terrestres à Djibouti
|
Groupe |
Nombre d'Espèces |
||
|
Connu |
Potentiel |
Total |
|
|
Ptéridophytes |
13 |
? |
13 |
|
Gymnospermes |
2 |
0 |
2 |
|
Monocotylédones |
158 |
8 |
166 |
|
Dicotylédones |
653 |
100 |
753 |
|
Total |
826 |
108 |
934 |
Source : Monographie nationale de la diversité biologique (mai 2000)
1.3.2 Le secteur forestier
La superficie totale de terres boisées(biomasse ligneuse) est de 70 000 ha dont 22 000 sont occupée par les formations forestières et 48 000 ha par des formation steppiques, arborées et arbustives. Ce rapport ne considère que les formations forestières.
Dans le pays, on distingue trois catégories de forêts dont la nature et la densité varient avec l'altitude et le climat :
1.3.2.1 Les forêts de montagnes
Ces forêts de montagne qui constituent les forêts les plus denses du pays ( les forêts du Goda et de Mabla), se composent de deux types de formations :
La forêt dense de conifères à Juniperus procera
Coordonnées du centre du site: 11°48’N, 42°41’E
Superficie approximative: 900 ha
Densité : 80%
Altitude: 1000 - 1 800 m
Cette forêt correspond au microclimat le plus humide du pays et représente la végétation la mieux développée de forêts de montagnes. C'est une formation climatique en ce sens que sa structure est étroitement tributaire des facteurs climatiques et de la nature du sol.
Cette formation occupe l'étage supérieur de la forêt du Day(écosystème unique et la seule forêt véritable du pays) et couvre une surface d'environ 900 ha à des altitudes comprises entre 1000 et 1783 m. Elle est le vestige d'une forêt ancienne qui couvrait autrefois une superficie considérable et qui se contracta au rythme des réchauffements terrestres de l'aire quaternaire. Plus récemment des feux pastoraux au 18e siècle et l'éruption de 1862 ont réduit la forêt au domaine qu'elle occupe présentement.
Actuellement cette formation est en régression par suite de la mortalité élevée des genévriers avec une faible possibilité de régénération en raison de l’effet combiné des coupes excessives, du surpâturage, de l'effet d'un champignon parasite de faiblesse(Armillaria sp.) et des changements climatiques défavorables. Elle s'écarte inexorablement de l'état climatique idéal. Malgré les projets de restauration de ces sites fragilisés, l’idée d’un retour rapide à l'état naturel antérieur est improbable et la régression qui ne cesse de s’accentuer en l’absence de régénération satisfaisante de la végétation constitue une hypothèque majeure pour l’avenir des peuplements animaux et des populations humaines qui dépendent de cette forêt. La forêt du Day occupait en 1987 une superficie de 900 ha alors qu’elle s’étendait à plus de 7 500 ha il y a deux siècles et à peu près 2 300 ha en 1949 (CNE 1991 Blot 1987). Cette régression a pu être mise en évidence grâce à l’existence de vestiges de Juniperus isolés et éparpillés sur l’ensemble des Monts Goda et Mabla.
Forêts à Terminalias brownii
Les forêts du Goda et du Mabla se rencontrent sur ces deux massifs à une altitude comprise entre 500 à 900 m, et sont composées essentiellement de Terminalia brownii. Ces forêts couvrent une superficie totale d'environ 13 900 ha
Massif du Goda
Coordonnées du centre du site: 11°48’N, 42°41’E
Superficie approximative: 8 300 hectares
Altitude: 180 – 1000 m
Au niveau du Mont Goda, cette formation occupe l’étage inférieur à celle de la Forêt du Day composé de Juniperus procera avec toutefois un certain amalgame des deux espèces dans les zones de transition. La strate supérieure de la forêt est dominée par Terminalia avec une couverture végétale de 5 à 10%, alors que la strate basse est occupée par Buxus hildebrandtii. Ce type de formation est associé à de nombreuses es pèces (par ex.: Commiphora spp., Acacia seyal). La couverture végétale de ce niveau est de 20 à 60%. Enfin la strate herbacée varie en fonction du couvert ligneux et de l’état de dégradation de Terminalia brownii.
La taille et la densité des ligneux varient beaucoup et dépendent du sol et du microclimat. A haute altitude, on retrouve Olea africana et Acacia seyal, alors qu’à basse altitude Acacia mellifera et Premna resinosa deviennent importants. Sur les pentes escarpées les Buxus sont en augmentation. Les espèces du genre Aizoon canariense et Blepharis ciliaris envahissent la strate herbacée.
Massif du Mabla
Coordonnées du centre de site: 11°58’N, 42°59’E
Superficie approximative: 5 600 ha
Altitude: 370 – 1 250 m
C’est la seconde aire la plus vaste de forêt de montagne à Djibouti et l’on pense qu’il y eut autrefois une forêt de genévriers semblable à celle de la forêt du Day dans le massif du Goda. Cependant aujourd’hui, peu de ces genévriers survivent, et les espèces dominantes sont l’Acacia seyal, Buxus hildebrandtii et l’Acacia etbaica - ce dernier est très nombreux à certains endroits. L’Acacia mellifera est aussi fréquent localement. Comparée à la forêt du Day, la structure de la forêt est plus ouverte avec peu de grands arbres, et des zones de végétation dense limitées aux ravins et aux versants des montagnes. La région du Mabla n’a pas été visitée par les scientifiques depuis plusieurs années à cause du manque de sécurité. Elle reste l’une des zones de Djibouti sur lesquelles la documentation est la plus maigre.
1.3.2.2 Forêts à Accacias nilotica des plaines et dépressions
Coordonnées du centre des sites : 12°21’N, 42°28’E et 12°19’N, 42°25’E
Superficie totale : 5400 ha
Densité : 40 à 70 %
Il s'agit essentiellement des formations d'Acacia nilotica localisées dans les plaines et dépressions inondables et non salées de Madgoul et d'Andabba situées dans le nord du pays au pied de Moussa-Ali, et celle de Ginni Bad située au sud du pays sur le plateau de Dakka. Le centre de ces formations est dominé par Acacia nilotica et la périphérie par Acacia ehrenbergiana. Le taux de recouvrement de ces formations varie de 40 à 70%. Elles ne comportent pas de strate herbacée à l'exception de Aponogeton nudifloris, une plante aquatique à tubercule qui se développe à Madgoul et à Andabba, considérée comme une espèce à protéger.
1.3.2.3 Les Forêts de mangroves
Superficie totale : 800 ha
Densité : > 80%
Ce sont des forêts marécageuses maritimes très particulières. Elles sont périodiquement inondées par les marées, ne comportent pas de strate herbacée mais le plus souvent plusieurs strates ligneuses dont le couvert dépasse 80%.
Les trois zones les plus importantes sont: La forêt de Godoriya, la forêt de Khor Angar et la forêt de Ras Siyan. Ces forêts de mangroves couvrent au total environ 700-800 ha et se trouvent actuellement en régression sous les pressions des interactions des facteurs naturels et celles dues aux activités de l'homme. En République de Djibouti, huit aires de mangroves ont été identifiées sur tout le littoral. Les trois zones les plus importantes se trouvent toutes sur la Côte Nord entre Obock et Doumeira:
1) La forêt de Godoriya
2) La forêt de Khor Angar
3) La forêt de Ras Siyan
Ailleurs, on en rencontre quelques reliques sur la côte sud entre Djibouti et Loyada, à l'embouchure de l'Oued Ambouli, à proximité du Palais Présidentiel, ainsi que dans les Iles Moucha, cependant elles ne sont pas considérées comme des forêts.