Contrairement à ce qui a été fait pour les eaux maritimes et intérieures, les pêcheries des lagunes côtières et des estuaires des pays en développement n'ont guère été étudiées jusqu'à présent. Un certain nombre de facteurs ont contribué à cet état de choses, qui tient entre autres à ce que les lagunes côtières et les estuaires ne cadrent pas facilement avec les catégories habituelles d'eaux “maritimes” et “interiéures” en fonction desquelles la plupart des départements nationaux des pêches sont actuellement organisés. D'autre part, les pêcheries des lagunes côtières et des estuaires exploitent souvent des ressources multi spécifiques dont la disponibilité varie considérablement dans le temps et dans l'espace - “visiteurs” marins, “résidents permanents” eurhyalins, “visiteurs” venant des eaux douces et migrateurs catadromes et anadromes “de passage”. Cette complexité des stocks rend plus difficile l'évaluation des ressources et par conséquent l'élaboration de programmes d'aménagement. Une autre raison pour laquelle les pêcheries de lagunes et d'estuaires des pays en développement ont été relativement négligées est qu'elles relèvent en général de la petite pêche, de caractère artisanal ou de subsistance. Les pêcheries sont généralement expioitées par des pêcheurs individuels ou par des groupes familiaux qui utilisent des méthodes de pêche traditionnelles à fort coefficient de main-d'oeuvre et opèrent à partir de petites embarcations. Les pêcheurs et collectivités de pêcheurs sont parfois extrêmement dispersés et une bonne partie des captures vendues localement, sans passer par les circuits officiels; seuls les produits les plus précieux figurent dans les tableaux statistiques nationaux, et encore sans que soient mentionnés le plus souvent la lagune ou l'estuaire dont ils proviennent.
Certaines des caractéristiques qui rendent les pêcheries de lagunes côtières et d'estuaires si difficiles à aménager sont aussi celles qui leur donnent une valeur propre ou les rendent importantes du point de vue de leur effet potentiel ou réel sur d'autres pêcheries. Entre autres, certains des stocks qui sont exploités de façon plus ou moins intensive dans les lagunes et estuaires alimentent également les pêcheries maritimes industrielles au large où les pêcheries côtières artisanales; c'est le cas par exemple de la crevette. Sur le plan biologique, les estuaires et les lagons constituent des zones d'alevinage pour certains poissons et crustacés qui passent le reste de leur cycle biologique dans la mer ou dans les eaux douces. En outre, les lagunes et les estuaires constituent les voies d'entrée et de sortie des migrations de poissons anadromes et catadromes. Du point de vue socio-économique, ces pêcheries procurent, de par leur caractère limité et leur fort coefficient de maind'oeuvre, des revenus et des emplois aux populations côtières et assurent leur autosuffisance protéique, tandis que les captures excédentaires contribuent à l'approvisionnement alimentaire des centres urbains voisins. Dans certains cas, quand des ressources de valeur - crevettes, crabes et huîtres - sont exploitées pour l'exportation, les pêcheries de lagunes et d'estuaires contribuent également à l'économie nationale sous forme de devises. Enfin, les estuaires et les lagunes des pays en développement offrent de plus en plus de possibilités à une industrie aquacole en développement rapide et à la pêche de loisir. De toute évidence, l'importance et la compexité des pêcheries des lagunes côtières et des estuaires exigent que celles-ci soient correctement aménagées si l'on veut exploiter au mieux les ressources halieutiques et en tirer le maximum de bénéfices sociaux et économiques.
Dans ce contexte, le présent rapport devrait combler un vide en ce qu'il rassemble les renseignements actuellement disponibles pour l'aménagement des pêcheries de captures dans les lagunes côtières et les estuaires des pays en développement. I1 sert en partie à faire le point des activités d'aménagement des pêcheries dans les lagunes côtières et les estuaires. Parallèlement, à partir d'exemples tirés par un certain nomhre de pêcheries répondant à des situations technologiques, économiques et sociales différentes, il donne une vue d'ensemble de la portée des activités d'aménagement connues. On a tenté aussi de prévoir les interactions et les conflits qui pourraient devenir un élément important de l'aménagement dans un proche avenir.
Le présent rapport se limite, de façon assez stricte, à traiter de l'aménagement des pêcheries en soi; il devrait toutefois être suivi d'un autre rapport qui traitera des aspects plus généraux de l'aménagement des pêcheries des lagunes côtières et des estuaires -en fonction des altérations et perturbations du milieu et du point de vue de la pêche dans le contexte de l'utilisation polyvalente des lagunes et des estuaires. Enfin, un autre rapport actuellement en préparation réunira les renseignements disponibles concernant les rendements de la pêche et la prévision des rendements dans les lagunes côtières et les estuaires.
L'approche générale utilisée pour ce rapport consiste à décrire les problèmes d'amènagement au moyen d'exemples pris dans un certain nombre de pêcheries de lagunes et d'estuaires, et à examiner les solutions qui ont été appliquées ou suggérées, dans cette optique, on a examiné tout d'abord les approches classiques à l'aménagement des pêcheries de lagunes et d'estuaires - à savoir par réglementation des conditions d'accès, restrictions concernant les engins de pêche, les emplacements et les périodes de pêche. On examinera aussi la possibilité de remettre en honneur certaines méthodes traditionnelles d'aménagement des pêcheries. L'intérêt se porte ensuite sur les diverses possibilités d'aménager les pêcheries de lagunes et d'estuaires en recourant à des méthodes qui ne font pas intervenir de réglementations, c'est-à-dire celles qui consistent à accroître la productivité halieutique - travaux de génie hydraulique, lutte contre les prédateurs, empoissonnement et pêcheries en branchages. Enfin, dans une perspective différente, on examine l'aménagement des pêcheries de lagunes et d'estuaires du point de vue de leurs interactions, de leur concurrence ou de conflits réels ou potentiels avec d'autres types de pêcheries, interactions ethniques et socio-économiques, conflits potentiels avec l'aquaculture et interactions avec les pêcheries maritimes littorales et hauturières.