
0287-C2
Josée Pâquet[1], Gilles Chantal[2]
La tempête de verglas qui a touché le Québec pendant lhiver 1998 a été dune ampleur sans précédent. Les précipitations verglaçantes ont considérablement affecté les forêts du sud du Québec. Le premier message livré aux propriétaires de boisés sinistrés en a été un de prudence et patience. Les dangers liés à la circulation en forêt étaient accrus en raison de la glace et des arbres cassés ou ployés. De plus, une intervention trop rapide ou trop intense pouvait causer des torts irréparables aux peuplements résiduels.
Ainsi, quelque 30 000 propriétaires ont vu leur forêt endommagée à divers degrés. Les gouvernements du Canada et du Québec se sont entendus pour offrir trois programmes dassistance financière visant à apporter une aide technique aux propriétaires afin de les conseiller sur les actions à privilégier et de les soutenir dans la restauration de leurs boisés, et une aide financière pour effectuer les travaux de restauration des boisés.
La région touchée par le verglas de 1998 est particulièrement riche sur le plan de la biodiversité. Des mesures ont été mises en place pour assurer la sauvegarde des espèces et des habitats mis en péril par les effets conjugués du verglas et des travaux de restauration.
La première année de mise en uvre aura permis didentifier des éléments damélioration à apporter aux programmes. La gamme des services conseils et des travaux admissibles a été élargie. Un bilan effectué après le 31 mars 2002 a permis de constater que ces améliorations répondaient mieux aux attentes des propriétaires. Une évaluation est en cours afin de statuer sur la valeur de lintervention et aussi de guider laction gouvernementale dans léventualité de circonstances semblables.
Mots Clés: Verglas, programmes daide, restauration des boisés privés, services conseils, biodiversité, forêts privées, érablières, catastrophe.
La tempête de verglas qui a touché le Québec, lOntario, le Nouveau-Brunswick et le nord-est des États-Unis du 5 au 9 janvier 1998 a été dune ampleur et dune durée exceptionnelle. À Montréal, les 100 mm de pluie verglaçante et de grésil entremêlés dun peu de neige qui sont tombés pendant cette période représentaient plus du double de la précipitation enregistrée lors de la dernière grande tempête de verglas en 1961. Durant ces quelques jours, il est tombé pendant plus de 80 heures des précipitations verglaçantes, comparativement à la moyenne annuelle totale denviron 45 à 65 heures (Environnement Canada, 1998).
Cest au Québec que la tempête a sévi le plus durement. Les effets de cette tempête ont été marquants pour la population. Quelque 900 000 foyers du sud du Québec ont été privés délectricité, certains pendant près dun mois. De nombreuses personnes se sont vues forcées de quitter leur foyer et de nombreuses entreprises ont dû interrompre leurs activités.
Les effets des précipitations verglaçantes persistantes ont également été considérables sur les forêts et les activités qui sy rattachent. Au lendemain de la tempête, le ministère des Ressources naturelles du Québec (MRN) a réalisé un recensement aérien qui a permis de localiser les dommages causés par le verglas. Dès lors, le MRN a mis à la disposition des propriétaires de boisés une ligne sans frais. Ce service visait à mettre en contact les propriétaires et les spécialistes du ministère afin de les informer sur les mesures à prendre et les méthodes dintervention à privilégier selon lurgence de la situation. Le message véhiculé était Prudence et patience! Prudence en raison des dangers liés à la présence de glace, darbres ployés ou cassés. Patience car il faut voir quelle sera la réaction des arbres endommagés; on sattend à ce que les arbres se rétablissent (Gouvernement du Québec, 1998a). De plus, une coupe soudaine et trop intense risque de causer des torts irrémédiables aux peuplements résiduels (Boulet, 1998). La priorité de récolte des bois en perdition est établie en fonction des risques de dégradation des différentes essences, de limportance des débris qui limitent laccès à la forêt, de la qualité et de la valeur des tiges à récupérer ainsi que des contraintes de mise en marché (Boulet et al. 2000).
Les régions du Québec sinistrées sont celles des Bois-Francs, de la Chaudière, de lEstrie, des Laurentides, de la Montérégie et de lOutaouais (figure 1). Les peuplements forestiers ont été endommagés à divers degrés (figure 2). Des 1,8 millions dhectares de boisés touchés, près de 74 000 ont subi des dommages très graves. Ces dommages spectaculaires touchent dune part les jeunes peuplements particulièrement composés de bouleaux ou dérables (Gouvernement du Québec, 1998b). Dautre part, du côté des peuplements commerciaux, les érablières, prédominantes dans le sud du Québec, ont été les plus affectées.
Figure 1. Territoires dagences affectés par le verglas de janvier 1998
Figure 2. Dommages causés à la forêt par le verglas de janvier 1998
Après avoir complété son évaluation préliminaire des dommages, le MRN a évalué que quelque 30 000 propriétaires ont vu leurs boisés endommagés à divers degrés. Le MRN a scruté les différentes pistes qui soffraient à lui pour venir en aide à ces propriétaires. Compte tenu de lampleur du verglas de 1998, le Québec pouvait se prévaloir des Accords daide financière en cas de catastrophe (AAFCC). En vertu des AAFCC, administrés par le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile (BPIEPC), le Canada dispose de fonds pour aider financièrement les gouvernements des provinces et des territoires lorsque le coût des mesures prises pour faire face à une catastrophe représente un fardeau excessif pour leur économie. Les AAFCC permettent dapporter une aide aux particuliers après la catastrophe lorsque leur principale source de revenus a été détruite. Dans le cas de la tempête de verglas de 1998, le gouvernement du Québec a reçu une aide en vertu de cet accord qui lui permet ainsi doffrir des services aux producteurs agricoles possédant un boisé (10 000 propriétaires) et aux propriétaires de lots boisés qui tirent leur revenu principal de la forêt (principal gagne-pain ou PGP) (500 propriétaires). En vertu de ces accords, le gouvernement fédéral peut financer jusquà 90 % des dépenses affectées à ces deux premiers programmes.
Le recours aux AAFCC ne permettait au MRN de venir en aide quà 10 500 des propriétaires sinistrés. Les 19 500 propriétaires qui possèdent un lot boisé et dont la principale source de revenu ne provient ni de lagriculture ni de lactivité forestière ne se qualifiaient donc pas en vertu des AAFCC.
Ainsi, par souci déquité pour ces 19 500 propriétaires forestiers qui ne tirent pas leur principal gagne-pain de la forêt (non principal gagne-pain ou NPGP), mais qui ont été tout autant affectés, le MRN et Ressources naturelles Canada (RNCan) se sont entendus pour offrir un troisième programme destiné à cette clientèle en proposant la même assistance. Ce programme est financé à parts égales par le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec.
Lestimé des dépenses pour ces trois programmes a été de 60 M$ dont 34 M$ sont prévus pour le programme destiné aux NPGP.
La mise en uvre des programmes forestiers a débuté un an après lévénement. La coordination des programmes forestiers est effectuée par le MRN. Le mandat de voir à lapplication des mesures gouvernementales a été confié aux six agences régionales de mise en valeur des forêts privées dont le territoire a été affecté par le verglas. Les agences, qui sont constituées de représentants du MRN, de lindustrie forestière, des propriétaires de lots boisés et du monde municipal, accréditent et assurent la formation des conseillers forestiers qui mettent en uvre les programmes verglas auprès des propriétaires. Créées dans la foulée du Sommet sur la forêt privée tenu en 1995, les agences traduisent la volonté des partenaires de sengager de façon durable dans laménagement des forêts privées.
Les programmes forestiers ont eu pour objet de fournir une assistance aux personnes les plus concernées, soit les propriétaires de boisés endommagés par la tempête de verglas de janvier 1998. Essentiellement, laide a consisté à procurer de la formation, des services conseils et des services techniques aux propriétaires sinistrés et à soutenir financièrement la réalisation de travaux de restauration et de remise en production des boisés. Seuls les peuplements lourdement endommagés, cest-à-dire les peuplements où plus de 30 % de la surface terrière est constitué darbres ayant moins de 20 % de cime résiduelle (figure 3), étaient admissibles à une aide financière. Pour les peuplements ayant subi des dommages moins intenses, il est recommandé de laisser la nature suivre son cours. Les suivis démontrent que ces peuplements ont en effet une bonne résilience.
Figure 3. Les classes de gravité des dommages
Les principaux services conseils rendus aux propriétaires admissibles aux programmes visaient lévaluation des dommages, la réalisation de plans de récupération et de restauration des jeunes peuplements ainsi que le martelage des tiges à récupérer ou à dégager. Ces activités sont essentielles à la remise en état des boisés sinistrés puisquelles permettent de mieux orienter les actions sur le terrain. En ce qui a trait aux travaux de restauration des boisés, la coupe de récupération partielle est le traitement le plus souvent prescrit. Au 31 mars 2002, cest plus de 7 000 ha de forêt qui ont été ainsi traités. Les travaux visant la restauration des jeunes peuplements ont connu une nette progression au cours de 2001-2002, soit un an après lélargissement de la gamme des travaux admissibles. Toujours au 31 mars 2002, près de 1 700 ha de jeunes peuplements ont été restaurés.
À cet effet, il importe de spécifier que des ajustements aux programmes ont été apportés par décret le 3 mai 2000. Ces ajustements ont permis délargir de façon importante la gamme des travaux admissibles. Parmi les nouveaux travaux, on retrouvait notamment la remise en état de jeunes peuplements, la préparation de terrain, la mise en terre de plants ainsi que la construction ou lamélioration de la voirie forestière pour permettre la réalisation des travaux de restauration des boisés endommagés. À nouveau, le 21 novembre 2001 un autre décret a été adopté; celui-ci permet la prolongation de la période dapplication des programmes. Ainsi, toutes les interventions liées à laide à lexécution sont prolongées jusquau 30 septembre 2002. Cette modification visait à permettre aux propriétaires de bénéficier dune deuxième saison pour la mise en terre de plants et la restauration des jeunes peuplements. Sur le plan administratif, les programmes prennent fin le 31 mars 2003.
Par ailleurs, le verglas de 1998 a dévasté des régions du Québec particulièrement riches sur le plan de la biodiversité. Les programmes forestiers ont donc innové en développant un volet pour favoriser la protection des écosystèmes forestiers exceptionnels, des espèces animales ou végétales menacées ou vulnérables et des habitats fauniques jugés essentiels. Lapplication de ce volet exige la collaboration des propriétaires pour assurer la sauvegarde des espèces, des habitats ou des écosystèmes mis en péril par les effets conjugués du verglas et des activités de récupération. Essentiellement, après vérification par le conseiller forestier pour déterminer si la propriété renferme un élément particulier de biodiversité, le MRN précise, en collaboration avec le ministère de lEnvironnement du Québec et la Société de la faune et des parcs du Québec, les mesures de protection qui doivaient être intégrées au plan de récupération ou de restauration et respectées lors de lexécution des travaux. Le vécu à ce jour révèle la sensibilité des propriétaires de lots boisés à cet égard.
Après trois années de mise en uvre des programmes, au 31 mars 2002 quelque 11 000 propriétaires avaient enregistré leurs propriétés pour obtenir de laide gouvernementale. La dépense budgétaire totale jusquau 31 mars 2002 est de 17,6 M$. Les dépenses anticipées pour la dernière année sont de 7,3 M$ et se situent toujours dans les balises du cadre financier prévu.
À ce jour, le coût de laide se situe largement en dessous de lestimé préliminaire établi au lendemain de la catastrophe en 1998. Certains facteurs peuvent expliquer cet écart. Pour certains, la durée des discussions relatives à la pertinence et au contenu des mesures daide a nui à la participation des propriétaires. Cependant, ces délais auront donné le temps à la nature de faire son uvre et ainsi, lors de lévaluation des dommages en vue de travaux de restauration, de juger du niveau de rétablissement des peuplements affectés par le verglas. En effet, les recherches en cours nous permettent de croire à un rétablissement de la forêt supérieur à ce que nous aurions pu anticiper au lendemain de la tempête de verglas. La nature est vigoureuse et, immédiatement après la tempête de verglas, de nombreux intervenants ont fait appel à la patience et à la prudence. Il nen demeure pas moins que les dommages auront été importants.
Les premiers mois de mise en uvre ont fait ressortir quelques correctifs à apporter aux programmes pour mieux les adapter aux besoins des propriétaires et à la sylviculture de peuplements affectés par le verglas. Les ajustements apportés par les décrets du 3 mai 2000 et du 21 novembre 2001 auront permis de mieux répondre aux attentes exprimées.
Pour sa part, le programme destiné aux propriétaires NPGP fait présentement lobjet dune évaluation par une firme indépendante. Cette évaluation permettra danalyser les fondements du programme, de décrire les services offerts, de mesurer les résultats obtenus et de statuer sur la valeur de lintervention. Concernant ce dernier aspect, lévaluation permettra de déterminer si les mesures daide offertes ont donné satisfaction aux propriétaires pour atténuer les pertes occasionnées à leurs boisés par la tempête de verglas et en permettre une restauration adéquate. Les résultats seront disponibles en février 2003 et pourront être communiqués lors du XIIe Congrès forestier mondial. En quelque sorte, lévaluation permettra de mieux saisir les points forts et les écueils du programme en vue de guider lintervention gouvernementale dans léventualité de circonstances semblables.
Une telle catastrophe aura tout particulièrement mis en évidence limportance que revêt la forêt pour ceux qui y vivent et en vivent. Les programmes spéciaux dassistance financière au Québec sont le fruit dune collaboration Canada-Québec soutenue pour venir en aide aux propriétaires de boisés affectés par la tempête de verglas de janvier 1998. Le statut varié des propriétaires (agricole, forestiers PGP et NPGP) a donné naissance à trois programmes distincts sur le plan administratif, mais identiques au plan des services offerts sur le terrain.
Létablissement des programmes forestiers aura permis le développement dune foresterie dexception adaptée aux réalités des forêts privées et plus particulièrement en matière de sylviculture de peuplements verglacés. Cette situation aura aussi stimulé le développement dune expertise en matière de désastre forestier et concrétisé la capacité dagir des agences régionales de mise en valeur des forêts privées.
Boulet, B., 1998. Le verglas de 1998. Les conséquences probables dans les peuplements forestiers touchés. Ministère des Ressources naturelles, Direction de la conservation des forêts. 12 p.
Boulet, B., F. Trottier et G. Roy, 2000. Laménagement des peuplements forestiers touchés par le verglas. Ministère des Ressources naturelles. 68 p.
Environnement Canada, 1998. La pire tempête de verglas de lhistoire canadienne. La Voie verte. Le site WEB dEnvironnement Canada (www.msc-smc.ec.gc.ca/).
Gouvernement du Québec, 1998a. La forêt sous le verglas: prudence et patience. Avis du comité ad hoc en recherche forestière et acéricole. Ministère des Ressources naturelles. 12 p.
Gouvernement du Québec, 1998b. Dommages causés à la forêt par le verglas de janvier 1998. Résultats préliminaires dune reconnaissance aérienne réalisée entre le 19 janvier et le 4 février 1998. Ministère des Ressources naturelles, Direction de la conservation des forêts. 13 p.
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[1] Service de la mise en valeur
des forêts privées [2] Ressources naturelles
Canada |