Une mauvaise gestion peut faire échouer des initiatives au départ prometteuses en agriculture contractuelle. Ce chapitre décrit la démarche que doit suivre la direction afin de coordonner les activités de production et la livraison des produits par les agriculteurs aux installations de transformation ou de gestion, ou aux deux. On insistera sur le fait qu'il faut que toutes les activités se déroulent de façon transparente et participative afin que les agriculteurs comprennent entièrement leurs obligations et celles de la direction. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel que les relations entre la direction et les agriculteurs contractuels soient harmonieuses.
Il est nécessaire d'accomplir un certain nombre de tâches spécifiques, relatives à l'administration et à l'organisation, avant le début de la production. Les problèmes clefs que la direction doit aborder à l'avance sont les suivants:
Après avoir choisi un environnement physique et social adéquat (chapitre 2), la direction doit ensuite sélectionner des superficies spécifiques, faciles d'accès pour les services de vulgarisation et de logistique. Il est en général important pour les agriculteurs contractuels d'être situés relativement près des installations de transformation et de conditionnement. Cela permet non seulement aux denrées périssables d'être transformées sans délai mais aussi à la direction et aux vulgarisateurs d'être basés dans un endroit central. La matière première de nombreuses plantes de culture (par ex. le palmier à huile, le thé, la canne à sucre) est beaucoup plus volumineuse que le produit fini, et en situant les installations de transformation près des producteurs du secteur primaire, les frais de transport peuvent être réduits au minimum.
Dans certaines situations, il est cependant plus pratique de répartir la production sur une grande superficie. Cela est faisable lorsque les agriculteurs, installés dans de nombreux districts, envoient leur production à plusieurs unités de transformation dirigées par un seul promoteur. La culture de produits agricoles dans des zones différentes peut également réduire le risque d'une perte totale due à un régime climatique irrégulier ou à une maladie. Cette stratégie contribue à garantir un approvisionnement régulier pour la transformation et la commercialisation. Dans ces cas-là, les vulgarisateurs ont intérêt à habiter dans les zones dont ils sont responsables ou près de celles-ci. Il arrive que les zones les plus adaptées aux cultures ne conviennent pas à l'installation d'une usine. Les légumes destinés aux conserves peuvent, par exemple, être cultivés très loin de la fabrique. Aux Philippines, une conserverie a organisé la culture du maïs nain et du maïs doux dans une vaste région afin de tirer parti de différents climats et de garantir un approvisionnement régulier tout au long de l'année. Au Kenya, les haricots verts destinés aux conserves sont cultivés à une distance de 150 à 230 kilomètres de l'usine parce que le climat de la zone de production permet de ne pas avoir recours à l'irrigation. Lorsque le choix porte sur plusieurs zones, la quantité produite doit être suffisante pour assurer la rentabilité des services fournis aux agriculteurs.
Après le choix des zones de production, il convient ensuite de sélectionner les agriculteurs. La direction doit décider des critères de sélection et du nombre d'agriculteurs à qui l'on proposera un contrat.
On peut s'adresser à eux individuellement par le biais des services des ministères de l'agriculture, des responsables des communautés et des coopératives agricoles, ou les inviter publiquement à postuler. Les critères de sélection devraient, au départ, être fondés sur une évaluation du caractère approprié des terres des agriculteurs et sur la confirmation qu'ils en ont bien la jouissance. Si ces deux conditions sont remplies, il faut évaluer l'expérience éventuelle de l'intéressé, sa production passée, son désir de coopérer et l'apport de main-d'uvre fourni par sa famille. Toutes les pré-évaluations concernant la sélection doivent tenir compte de la complexité de l'économie du ménage et examiner comment la culture sous contrat peut s'inscrire dans l'ensemble des activités agricoles de l'agriculteur ou de l'agricultrice.
On peut en général se fier aux responsables des communautés et aux fonctionnaires des administrations locales qui connaissent les capacités et les attitudes des agriculteurs de leurs villages et de leurs districts. La direction devrait toutefois être consciente que les rivalités mesquines et les obligations envers la famille étendue caractérisent certaines société rurales. La sélection devrait aussi reposer sur l'intuition de la direction et des évaluations faites indépendamment. Dans le cas de la production de haricots verts au Kenya, mentionnée ci-dessus, la fabrique a utilisé l'administration locale, les services de vulgarisation des pouvoirs publics et son propre personnel de terrain pour sélectionner les agriculteurs. Les critères utilisés pour la sélection sont: la nature du sol, l'expérience de l'agriculture, la compétence et fiabilité des agriculteurs associées à leur faculté de coopérer avec les autres.
Bien que le fait de ne pas choisir certains agriculteurs puisse causer des rancurs, la sélection arbitraire de certains exploitants qui ne produisent pas la qualité et les quantités requises peut avoir un effet désastreux sur le commerce. Dans un projet en Thaïlande, par exemple, on a estimé que la sélection des agriculteurs pour cultiver des légumes à mettre en conserve, avait été faite de manière très laxiste. Le produit étant très demandé et les terres insuffisantes, la société avait pratiquement accepté tous les cultivateurs. En outre, les formulaires de demande sont parvenus après que la plupart des agriculteurs avaient signé leur contrat, ce qui a créé une atmosphère de confusion et semé le doute33. La direction devrait, dans la mesure du possible, s'assurer que le potentiel de production d'une région dépasse ses besoins afin d'avoir toute latitude pour choisir les agriculteurs les plus qualifiés.
Les critères de sélection des agriculteurs sont susceptibles de varier selon le type de culture. Des normes moins rigoureuses peuvent être adoptées pour des cultures saisonnières à court terme dans la mesure où les agriculteurs qui échouent peuvent être exclus des contrats suivants. Cependant, en ce qui concerne les cultures arboricoles demandant un engagement à long terme, les promoteurs doivent s'assurer du sérieux des agriculteurs et de leur capacité à poursuivre leur activité pendant de nombreuses années. Dans un projet concernant le palmier à huile au Ghana, par exemple, la majorité des agriculteurs étaient des «vétérans» qui avaient au moins vingt-cinq ans d'expérience. On pouvait donc s'attendre à ce que l'âge et la composition du ménage augmentent les contraintes pesant sur la production future parce qu'ils y avait peu de jeunes agriculteurs et que les exploitants étaient limités à la main-d'uvre de la famille proche34. L'émigration ou les programmes de relocalisation dans le contexte d'une plantation-mère comportent le risque que les agriculteurs n'aiment pas leur nouvel environnement et souhaitent retourner chez eux. Des procédures de sélection rigoureuses peuvent réduire au minimum un tel risque sans toutefois l'éviter complètement.
Les produits tels que le coton, le maïs, le tabac et les légumes sont cultivés dans le cadre de contrats qui sont normalement révisés et renégociés chaque saison. Des révisions périodiques permettent de fixer les prix et de faire des ajustements techniques au début de chaque saison, d'inscrire de nouveaux agriculteurs, et le cas échéant, de réduire les quotas de ceux dont la production est la plus basse à un niveau qu'ils peuvent raisonnablement atteindre. Lorsqu'un agriculteur a besoin de main-d'uvre extérieure, il convient d'estimer si elle est disponible et s'il est capable de la diriger.
Bien qu'une société traite habituellement avec les agriculteurs par le biais de son service de vulgarisation, il peut être avantageux d'organiser les petits agriculteurs en groupes. Ces groupes peuvent remplir un certain nombre de fonctions comme assumer conjointement la responsabilité des crédits ou des avances, suivre les demandes d'intrants et s'entendre pour la livraison de ceux-ci et le départ d'un produit après la récolte. Les groupes organisés officiellement peuvent se constituer en unités adéquates pour la fourniture des conseils de vulgarisation. Au Malawi, par exemple, les planteurs de thé relevant du même contrat, sont divisés en 21 groupes. Chaque groupe a un comité responsable de questions telles que la résolution des conflits. Il s'assure également que les membres suivent les techniques culturales recommandées et remplissent les conditions du contrat. Certains tabaculteurs locataires sont aussi divisés en groupes, chaque groupe ayant un chef qui organise les activités communes, dont celles ayant trait à une pépinière et à la conservation des sols. L'épandage des engrais se fait en groupe pour éviter que ceux-ci ne soient détournés et utilisés pour les jardins maraîchers ou mis en vente libre.
La plus grande société cotonnière du Zimbabwe fournit des intrants à des groupes qui procèdent à leur propre sélection. Tout le groupe est pénalisé si un membre ne rembourse pas; l'entourage a donc tendance à exercer une pression. Les groupes dont le taux de remboursement est élevé sont récompensés par de l'argent. D'autre part, ceux qui ne paient pas sont rapidement poursuivis et leurs biens risquent d'être saisis. Au début, la société constituait des groupes d'un minimum de 50 agriculteurs, mais l'expérience a montré que c'était trop et l'on établit maintenant des groupes de 25 agriculteurs au maximum. Une société exportatrice de vanille d'Ouganda fonctionne avec des groupes d'exploitants organisés en associations locales. Les associations jouent un rôle prépondérant dans la sélection des agriculteurs, le recouvrement des emprunts et le ramassage de la vanille pour la vente35. De même, l'encadré 12 présente un exemple de groupes ou d'associations d'agriculteurs qui contrôlent la production, le promoteur n'ayant de contacts directs avec les exploitants que lorsqu'il organise des cours de formation.
La fourniture d'intrants matériels aux agriculteurs est une caractéristique importante de l'agriculture contractuelle. Avant le début de chaque campagne, la direction devra calculer les besoins en pesticides et en engrais de chaque exploitant ou exploitante à partir de ses quotas de production. Les avances matérielles peuvent parfois comprendre un financement pour des bufs ou des chevaux de trait, des charrues, du matériel d'arrosage, de petites pompes d'irrigation et d'autres outils agricoles accessoires. On peut aussi avancer des tracteurs et du matériel lourd aux agriculteurs qui ont fait leurs preuves. Les promoteurs garantissent parfois les paiements à tempérament pour du matériel lourd aux banques ou aux établissements de crédit. Ces règlements sont déduits des recettes de l'agriculteur et, bien entendu, peuvent s'étaler sur de nombreuses années. L'annexe 1 donne un exemple des mesures prises par le promoteur en matière d'avances de fonds et de matériel dans un projet comportant un haut niveau d'intrants matériels.
Tous les intrants devront être commandés et fournis à l'agriculteur bien avant l'ensemencement ou le repiquage. La procédure administrative habituelle est que le personnel administratif établit un relevé de compte pour chaque agriculteur sur lequel sont crédités les achats des produits et sont débitées les avances en matériel. Habituellement, la méthode de remboursement des intrants et des autres aides fournies consiste à déduire les avances du règlement final. Le prix des intrants et des services de production peut être une question délicate et les promoteurs ne devraient pas facturer un montant supérieur aux prix en vigueur dans le commerce. Lorsque les promoteurs achètent les intrants en gros pour les livrer aux agriculteurs, les frais de manutention et de transport devront leur être clairement expliqués. Les frais imputés aux agriculteurs pour des services tels que le labourage et la récolte ne devront pas être augmentés pour couvrir l'inefficacité de la direction. Lorsque des services de labourage existent sur le marché, les agriculteurs devront avoir la possibilité de les utiliser s'ils sont moins chers que ceux offerts par la société. Lorsque l'on a recours à l'extérieur, il incombe aux vulgarisateurs de s'assurer que le travail est du niveau requis. En règle générale, la direction paie le coût du service au fournisseur du tracteur après approbation du travail et le répercute ensuite sur les comptes des agriculteurs.
Au Ghana, les sociétés cotonnières fournissaient des intrants «gratuits» aux agriculteurs et offraient ensuite un prix relativement bas pour les graines de coton afin de rentrer dans leurs frais. Ce système n'a cependant pas été jugé satisfaisant car, plus les agriculteurs produisaient plus ils remboursaient, et les sociétés se sont rapidement mises à déduire les avances faites individuellement aux agriculteurs38. L'idée de payer un produit à bas prix pour récupérer le coût des intrants fournis à crédit n'est pas nouvelle. Les offices pour les cultures d'exportation l'ont souvent mise en pratique dans une grande partie de l'Afrique.
Une autre fonction clef de la direction est l'organisation de la distribution d'intrants, de la livraison des contenants (sacs, caisses, ballots, etc.) et du calendrier strict du transport, en particulier au moment de la récolte. Ce domaine est vital pour la direction car les problèmes logistiques compromettent les bénéfices du promoteur et ses relations avec l'agriculteur. Aux Philippines, par exemple, le promoteur d'un contrat sur des poulets de chair a eu des problèmes parce que les fournisseurs éprouvaient, parfois, des difficultés à assurer l'envoi des aliments aux dates prévues. Les exploitants ont réagi soit en réduisant les rations, ce qui a entraîné le cannibalisme chez les poulets, soit en achetant des aliments de substitution dont les ingrédients et les suppléments entrant dans la composition n'étaient pas nécessairement identiques. De mauvais accords concernant le transport causaient aussi des problèmes car on ne venait pas chercher à temps les volailles vendables. En outre, les agents de la société étaient accusés de chaparder des poulet vivants.
Des problèmes particuliers peuvent se poser quand il faut transformer un produit végétal immédiatement après l'avoir récolté. Ces cultures comprennent le thé, la canne à sucre, le tabac, et certains légumes destinés aux conserves. Au Malawi, le thé cultivé par les petits exploitants fut refusé par ce qu'il était trop flétri, la société n'ayant pas fourni le transport immédiatement après la récolte. Elle était tenue d'avertir les agriculteurs quand elle ne pouvait pas respecter l'horaire prévu, mais souvent ne le faisait pas. Malgré la négligence de la société, aucune indemnisation ne fut payée. On trouve la même situation au Kenya en ce qui concerne l'industrie sucrière. La société sucrière fournit le transport mais il incombe aux agriculteurs de s'assurer que leur canne à sucre sera livrée dans les 72 heures. Un mauvais soutien logistique détériore inévitablement les relations avec les agriculteurs et réduit la viabilité des projets.
La direction doit s'assurer que son équipe achète bien la production à l'agriculteur comme prévu. On doit s'efforcer d'éviter la corruption au cours de l'achat. Les agriculteurs doivent avoir la possibilité de vérifier le poids des produits qu'ils vendent au promoteur. De plus, lorsqu'on refuse un produit en l'absence de l'exploitant, une suspicion se développe inévitablement. Dans aucun cas, le promoteur ne devrait disposer du produit refusé sans avoir au préalable donné l'occasion à l'agriculteur de l'inspecter. Selon les circonstances, on peut acheter au départ de l'exploitation, à des points de regroupement ou parfois à l'usine de transformation. La plupart des produits s'achètent peu de temps après la récolte ou après leur transformation sur place pour une présentation optimale. Lorsque l'achat s'effectue à l'usine, il est souvent peu pratique de retourner le produit refusé à l'agriculteur. Les vulgarisateurs devront cependant donner les raisons du refus à l'agriculteur ainsi que la chance de se rendre à l'usine pour inspecter la livraison refusée. Une bonne direction veille à ce que les agriculteurs ou leurs représentants soient présents lors de l'achat d'un produit.
En Chine, une importante joint venture à laquelle participaient plus de 23 000 agriculteurs a cessé de fonctionner au bout de sept ans parce que la direction avait été incapable d'organiser et de gérer les récoltes et le classement par qualité. Il est donc important que la direction forme non seulement des équipes de vulgarisation compétentes mais établisse aussi des calendriers de production efficaces. Pendant la saison de la production, il est essentiel que les équipes de vulgarisation supervisent toutes les activités relatives à la culture, pour s'assurer notamment que les agriculteurs sont en mesure d'appliquer certaines pratiques recommandées. Les facteurs significatifs de la performance de tout projet comprennent:
Les vulgarisateurs employés dans les projets d'agriculture contractuelle sont habituellement le lien primordial et l'interface directe entre l'administration du promoteur et les agriculteurs. Il doivent posséder un certain nombre de compétences clefs parmi lesquelles:
Ils doivent aussi avoir des notions d'agronomie, de techniques de gestion agricole et comprendre les capacités potentielles des agriculteurs avec lesquels ils travaillent. Lorsque l'on sélectionne les vulgarisateurs, on devra tenir compte des aptitudes personnelles et des diplômes de chaque postulant. Pour les grands projets, les cadres et les agronomes sur le terrain devraient normalement avoir un niveau universitaire ou grandes écoles. On peut recruter localement le personnel subalterne au sein des communautés agricoles. Il manquera peut-être de diplômes mais aura l'avantage de connaître le terrain et pourra avoir un effet bénéfique sur les relations entre le promoteur et les agriculteurs. Inversement, les relations étroites avec la famille proche et étendue peuvent corrompre la distribution de quotas et les pratiques d'achat.
L'annexe 6 décrit dans les grandes lignes les diverses tâches qu'un vulgarisateur est censé accomplir. Les vulgarisateurs doivent d'abord être crédibles et obtenir la confiance des agriculteurs qu'ils conseillent afin de mener à bien les politiques du promoteur. Il leur sera ensuite plus facile d'appliquer la stricte réglementation qui est souvent nécessaire au respect des normes de qualité et à l'homogénéité des produits agricoles.
L'emploi des vulgarisateurs peut varier considérablement. Dans le Pacifique, une société qui achetait du maïs, du tabac, des cultures maraîchères et des papayes pour l'exportation a attribué un vulgarisateur pour 55 agriculteurs. Dans un projet concernant le riz en Afrique de l'Ouest, chaque vulgarisateur supervisait 300 agriculteurs tandis qu'en Chine une joint venture fournissait un technicien pour 500 agriculteurs39. Le degré de responsabilité des vulgarisateurs sur le terrain dépend de la structure du projet tandis que le rapport vulgarisateur agriculteurs dépend principalement du type d'entreprise. La canne à sucre et les céréales nécessitent un rapport moins élevé. Les cultures intensives qui demandent une surveillance constante sont les fleurs, les légumes et le tabac. Outre le travail de coordination des agriculteurs, le plus difficile est probablement pour les vulgarisateurs de les encourager à prendre des décisions, tout en maintenant des relations positives entre l'exploitant et le promoteur.
Les agriculteurs n'accepteront les nouvelles technologies que si les adaptations donnent des rendements plus élevés et une meilleure qualité, ou les deux, et si l'augmentation des recettes en compense suffisamment le coût. L'introduction de technologies peut causer des problèmes d'adaptation d'ordre culturel aux petits exploitants, même si celles-ci constituent souvent le bénéfice le plus important du contrat. L'exemple de l'industrie bananière d'Amérique Centrale illustre bien cela. On a remarqué que les agriculteurs qui n'avaient pas ou peu de notions de cette culture étaient plus à même d'accepter les nouvelles techniques. N'ayant pas d'idées préconçues sur la façon de cultiver les bananes, ils les ont donc acceptées d'emblée40. Avant de transférer une technologie par le biais de leurs vulgarisateurs, les directeurs et les agronomes en agro-alimentaire devront examiner les quatre questions fondamentales suivantes:
Le processus suivi pour introduire une nouvelle technologie passe normalement par les étapes suivantes41:
Etablir un calendrier, c'est établir un programme d'activités qui se dérouleront à certaines dates et dans un certain ordre. Cette démarche est importante car elle permet de tenir compte des types de climat et d'approvisionner régulièrement et uniformément les installations de transformation ou de conditionnement, ou les deux, du promoteur. Il est essentiel d'avoir un calendrier efficace lorsqu'il faut synchroniser la production de milliers d'agriculteurs en vue d'irriguer, d'uniformiser la qualité et d'organiser le transport au moment de la récolte. On peut, par exemple, accroître les capacités de transformation de manière appréciable, en échelonnant le repiquage ou la transplantation. Les agriculteurs ont ainsi la possibilité de planter deux champs dans la même saison, éventuellement à quatre semaines d'intervalle.
Il incombe aux vulgarisateurs de programmer la préparation des lits de semences, le repiquage ou la transplantation ainsi que la culture et la récolte du produit sous contrat pour une saison climatique définie et selon les propres régimes de culture de l'agriculteur. Au début de chaque campagne, la direction, les vulgarisateurs et les agriculteurs devront discuter de tous les calendriers prévus et les confirmer. La direction expliquera le déroulement de chaque activité culturale aux agriculteurs avant les premiers ensemencements et en précisera les dates. Le tableau 5 est un exemple de calendrier des diverses activités que les agriculteurs et la direction doivent entreprendre pour assurer l'exécution des spécifications figurant au contrat.
Tableau 5
Calendrier pour la culture contractuelle du tabac blond
ACTIVITÉ |
PÉRIODE |
REMARQUES |
Planification de la culture |
Novembre-décembre |
Responsabilité de la direction |
Enregistrement annuel des agriculteurs et réunion |
Décembre-janvier |
Direction-agriculteurs |
Sélection des champs |
Décembre-janvie |
Responsabilité de la direction |
Préparation des champs |
Février-avril |
Spécification 1 du contrat |
Réunion des agriculteurs et de la direction |
Début février |
Direction-agriculteurs |
Préparation des semis |
20 février-31 mai |
Spécification 2 du contrat |
Lutte contre les ravageurs et les maladies |
20 février-31 juillet |
Spécification 3 du contrat |
Billonnage - épandage d'engrais |
1 avril-30 avril |
Spécification 4 du contrat |
Réunion de la direction et des agriculteurs avant la plantation |
Fin avril |
Direction-agriculteurs |
Transplantation |
1er mai-10 mai |
Spécification 5 du contrat |
Culture des champs et lutte contre les mauvaises herbes |
1er mai-31 juillet |
Spécification 6 du contrat |
Irrigation |
Lorsqu'il y a lieu |
Spécification 7 du contrat |
Réunion de la direction et des agriculteurs avant la récolte |
Début juillet |
Direction-agriculteurs |
Récolte |
15 juillet-10 octobre |
Spécification 8 du contrat |
Classement par qualité et achat |
15 juillet-15 octobre |
Spécification 9 du contrat |
Contrôle des résidus dans les champs |
1 octobre-15 octobre |
Responsabilité de l'agriculteur |
Réunion finale de la direction et des agriculteurs |
Octobre |
Direction-agriculteurs |
Source: d'après Eaton, C.S., 1998b: 127
Les régimes stricts imposés par les calendriers des cultures peuvent changer les habitudes de travail des agriculteurs. Cela peut altérer les relations sociales, modifier la division du travail selon le sexe ainsi que le contrôle et l'utilisation des ressources de la terre et de l'exploitation. Les agriculteurs renoncent nécessairement à une certaine part de leur autonomie lorsqu'il acceptent des calendriers et des spécifications exigeants mais ils le font car ils espèrent en retirer des compensations économiques.
La direction peut envisager d'organiser des programmes de formation pour les vulgarisateurs et les agriculteurs sous la forme d'exposés et de journées sur le terrain régulières ainsi que par le biais de parcelles de démonstration. La formation des vulgarisateurs peut être assurée par des professeurs de la direction et des professeurs provenant d'institutions scientifiques ou par le biais de cours à l'extérieur. Ce n'est que lorsque les vulgarisateurs auront acquis une parfaite connaissance du ou des produits et compris leurs responsabilités administratives qu'ils seront véritablement en mesure de transférer la technologie aux cultivateurs.
La formation des agriculteurs peut se dérouler de diverses façons. Les visites d'inspection de routine faites par les vulgarisateurs peuvent en général inclure un élément de transfert technologique. On peut aussi organiser régulièrement des réunions plus formelles conduites par des vulgarisateurs expérimentés et des chercheurs avec les groupes d'agriculteurs pour se concentrer sur l'activité du moment, à savoir, l'ensemencement, le repiquage, l'épandage d'engrais, la lutte contre les ravageurs et les maladies ou la récolte. Le nombre de réunions nécessaires pourrait atteindre six au cours d'une même campagne. Lorsque l'on aborde des questions sujettes à controverse telles que les normes de classement par qualité ou les procédures d'achat, il est préférable que les directeurs de projet soient aussi présents. Une autre façon d'expliquer des méthodes innovatrices est d'organiser des journées sur le terrain, sur les parcelles expérimentales des promoteurs ou dans les champs des agriculteurs les plus importants. La direction et les chercheurs peuvent faire des exposés et les agriculteurs devront être encouragés à s'exprimer sur les résultats positifs ou négatifs des nouvelles adaptions.
Toutes les cultures agricoles demandent une certaine recherche sur des sujets tels que le comportement des variétés, les pratiques culturales, les taux et les méthodes d'application des pesticides et des engrais. Si une exploitation est assez grande, elle peut financer son propre programme de recherche; les petites sociétés et les promoteurs individuels doivent en général compter sur les services des pouvoirs publics ou la recherche industrielle. Dans la pratique, la plupart des projets ont un programme de recherche limité qui est axé principalement sur la collecte de semences, les parcelles expérimentales et l'enseignement.
Comme on l'a déjà dit, développer et maintenir de bonnes relations entre la direction et les agriculteurs est crucial pour la stabilité de toute entreprise. Les incitations économiques adéquates, les règlements rapides, les services de vulgarisation efficaces, la fourniture d'un appui logistique en temps opportun et de bons rapports de communication entre la direction et les agriculteurs jouent tous un rôle central dans ce processus.
L'établissement de réunions qui favorisent le dialogue entre les agriculteurs et la direction sur des sujets tels que les spécifications des contrats, les exigences en matière d'agronomie et la résolution des malentendus et des conflits est essentiel. Bien que presque toutes les structures de contrat soient nécessairement hiérarchiques par nature, la participation des agriculteurs est essentielle. Les réunions sont un moyen pour les agriculteurs expérimentés de contribuer à la structure des contrats et de donner des conseils sur les conditions locales. La direction doit peut-être aborder des questions d'ordre social et choisir la façon dont elle peut contribuer positivement à la vie sociale et culturelle de la communauté. On ne peut pas considérer cette approche comme une alternative à une supervision efficace mais comme une mesure complémentaire42. Les trois questions les plus importantes que la direction doit traiter sont les suivantes:
Les organismes intermédiaires qui font le lien entre la direction et les agriculteurs à des fins de négociation et d'interaction sont nécessaires pour tous les contrats. L'absence de communication entre les agriculteurs et la direction peut conduire à des opinions erronées, des malentendus et finalement, des affrontements et des conflits. En organisant des réunions ou par des moyens semblables, les promoteurs peuvent négocier les contrats soit directement, soit par l'intermédiaire de leurs représentants.
Les organismes qui sont créés pour représenter les agriculteurs ne doivent pas être un prolongement de la direction avec quelques représentants des exploitants pour la forme. L'industrie sucrière du Kenya a, par exemple, connu des problèmes parce que l'organisme censé représenter les producteurs, tenus de payer une cotisation pour couvrir les frais d'exploitation, était dirigé par un conseil d'administration où siégeait seulement quatre représentants des agriculteurs, alors qu'il y avait trois représentants du gouvernement, un de la société et un banquier.
La désignation par les agriculteurs d'au moins un représentant de chaque localité permet à la direction de communiquer avec les agriculteurs contractuels directement plutôt que par le biais des vulgarisateurs. L'idéal serait que les représentants se réunissent avec la direction au moins trois fois par saison. La première réunion devrait se tenir au début de chaque campagne afin d'approuver la structure des prix et de débattre des calendriers des cultures de la saison et de toute nouvelle adaptation souhaitée par la direction. Une deuxième réunion est souhaitable immédiatement avant la récolte pour discuter des progrès de la culture et pour confirmer les procédures d'achat. Une réunion finale pour analyser la performance à la fin de la récolte peut coïncider avec le solde versé aux agriculteurs.
En Thaïlande, un accord contractuel impliquant un promoteur étranger a mis en évidence son inexpérience. L'idée d'un contrat écrit était nouvelle dans la région, mais le promoteur ne fit attention à ses détails que peu de temps avant que les agriculteurs ne transplantent leur première culture. En conséquence, le contrat n'était pas encore distribué que déjà le produit était à demi poussé. De plus, il fut nécessaire de réviser le contrat quatre fois et d'obtenir l'approbation du siège du promoteur. Un des résultats insatisfaisants fut que les contrat étaient rédigés de telle manière que c'était les représentants des agriculteurs qui étaient responsables de l'application des conditions et non la société. Dans un autre projet au Kenya, les agriculteurs n'avaient apparemment pas saisi ni compris les conditions du contrat et s'attendaient à être payés malgré le fait que les rendements ne couvraient pas le coût du soutien fourni à la production.
Ces deux expériences justifient qu'il y ait un dialogue entre les agriculteurs et la direction. De plus, il est désirable que tous les agriculteurs assistent aux réunions formelles d'enregistrement au début de chaque saison. Celles-ci fournissent l'occasion d'expliquer le programme de culture de la direction, les spécifications du contrat et les obligations de l'agriculteur selon les termes du contrat. De franches discussions publiques sur la formule des contrats et la clarification des spécifications techniques sont aussi importantes que la ratification formelle de l'accord lui-même.
L'agriculture contractuelle peut être le catalyseur de l'antagonisme entre les hommes et les femmes, ce qui peut avoir une incidence sur la productivité et le moral de l'agriculteur. Dans nombre de pays en développement, les contrats sont automatiquement établis avec les chefs de famille masculins. En Chine, les contrats d'un grand projet intéressant des milliers d'agriculteurs avaient été exclusivement dressés au nom de l'homme le plus âgé de la famille, alors qu'en réalité, les femmes faisaient le gros du travail. Lorsque le titulaire du contrat ne fait pas le travail, les véritables travailleurs risquent de ne pas voir leurs efforts récompensés. Dans un projet, la production de produits végétaux déclinait régulièrement et la proportion de ceux qui abandonnaient volontairement était élevée dans un certain district. L'enquête démontra que les épouses, les surs et les filles exécutaient bien la plupart des tâches, mais que les hommes, signataires des contrats, ne les payaient pas correctement. Les femmes refusèrent de travailler les saisons suivantes, ce qui entraîna beaucoup d'abandons. Le promoteur corrigea la situation en changeant de politique. Il stipula que le contrat devait être enregistré aux noms des véritables travailleurs. Les anciens titulaires furent révoltés mais leur réaction fut de courte durée; on restaura la productivité et les relations entre la société et les agriculteurs s'améliorèrent beaucoup. Par la suite, plusieurs agricultrices furent élues représentantes des producteurs à l'assemblée du projet.
Au Kenya, la Tea Development Authority a connu des tensions entre la direction et les femmes. On n'encourageait pas les femmes à s'établir comme planteurs de thé indépendants, la politique de l'Autorité favorisant seulement les chefs de famille hommes. Cela conduisit les femmes en activité à se désintéresser du travail43. Ces exemples montrent combien on fait peu de cas des aspirations des agricultrices ainsi que des besoins alimentaires des agriculteurs contractuels et de leur famille. En résumé, on devrait se préoccuper d'accorder des contrats et d'effectuer des règlements aux travailleurs principaux plutôt qu'aux chefs de famille. On doit cependant reconnaître que cela peut être difficile à appliquer là où prédominent les coutumes traditionnelles. Le facteur critique n'est pas tant qui est le titulaire du contrat enregistré mais comment les bénéfices sont répartis par rapport à la contribution apportée et à l'effort fourni pour le travail.
Le conflit ne se borne pas seulement à l'utilisation de la main-d'uvre et à la distribution des retombées économiques. L'utilisation de la terre et les différentes priorités par rapport aux cultures de subsistance et sous contrat peuvent être la source de graves conflits familiaux. En Afrique de l'Est, l'introduction de la culture du tabac sous contrat s'est heurtée à la culture du millet, importante culture de subsistance. Dans un autre exemple, la production de riz sous contrat s'est heurtée à la culture du sorgho, cultivé traditionnellement par les femmes. On sortit de l'impasse seulement après les femmes eurent négocié un compromis avec leurs maris44.
Les activités éducatives, sportives et culturelles de la communauté rurale sont souvent très importantes. L'engagement des promoteurs et de leurs personnels dans la communauté locale aident à créer une atmosphère positive de partenariat. Des malentendus entre les promoteurs et les agriculteurs peuvent parfois être éclaircis lors d'événements sociaux, suivi naturel des assemblées plus officielles entre les agriculteurs et la direction.
Un projet privé concernant le sucre au Zimbabwe a fourni des installations d'égout, des canalisations d'eau potable, un réseau routier, des installations médicales et sportives, des logements et des écoles à ses agriculteurs. Dans un autre projet, des courses de chevaux de bienfaisance ont été organisées par la direction, les vulgarisateurs et les agriculteurs volontaires45. On a récolté des sommes considérables qui ont été distribuées aux écoles, aux bibliothèques et aux dispensaires, surtout à ceux de la zone opérationnelle du projet.
Les politiques des sociétés, basées sur des responsabilités sociales et écologiques reconnues, créent un environnement social positif. Les contributions faites hors contrat par les promoteurs aux communautés rurales dans lesquelles ils opèrent ne sont pas seulement une contribution positive à l'ensemble de la communauté mais aident à renforcer le système. Toutefois, ce soutien ne doit clairement pas dépasser les limites de la logique économique, et les communautés ne devraient pas devenir dépendantes de ces contributions.
34 Daddieh, C.K., 1994: 202-204.
35 Springfield, R., Lucey, T. et McKone, C., 1996: 28
36 Glover, D. et Kusterer, K., 1990: 105.
37 Adapté de Goldberg, R. et McGinty, R., éd.., 1979: 557-8.
38 Shepherd, A.W. et Farolfi, S., 1999: 33, qui citent Coulter, J., Stringfellow, R. et Asante, E.O., 1995.
39 Carney, J.A., 1994: 170.
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41 D'après Lionberger, H.E., 1960: 3.
42 Springfellow, R., 1996: 23.
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44 Jones, C. en Watts, M.J., 1994: 67; Heald, S. en Watts, M.J., 1994: 68.
45 Jackson, J.C. et Cheater, A.P., 1994: 144.