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B - Les associations d’immigrés mexicains à Los Angeles: les cas de la communauté de Oaxaqueños


1 - Les associations d’immigrés mexicains à Los Angeles

Plus de 300 associations d'immigrés mexicains ont été répertoriées dans une dizaine d'Etats des Etats-Unis (Méndez Lugo 1997). Ces associations se concentrent majoritairement dans le sud de la Californie, principale destination des migrants mexicains. Le Consulat du Mexique à Los Angeles (L.A.) a recensé près de 1703 associations d'immigrés mexicains (clubes de oriundos) et 25 fédérations d'associations provenant de 18 Etats mexicains (Zabin et Escala 1997: 2).

Il existe des écarts très importants dans la distribution des associations par Etat de départ sans rapport avec le nombre d'immigrés par Etat (Tableau 1). Les communautés d'immigrés de Jalisco, Zacatecas, Nayarit et Oaxaca se distinguent des autres communautés d'immigrés mexicains par leur dynamisme associatif, en particulier les deux dernières, si l'on prend en compte leur faible poid dans la population des immigrés mexicains. Leur cas s'oppose à celui des immigrés originaires du Michoacàn qui constituent la deuxième communauté mexicaine de L.A. en nombre. Cette communauté n'a que 11 associations repertoriées au Consulat.

Plusieurs facteurs liés aux caractéristiques socio-culturelles des immigrés, aux caractéristiques des lieux de départ et le contexte de la migration, explique ces écarts. Le nombre d'associations d'immigrés de Zacatecas s'explique principalement par l'existence d'une puissante Fédération d'associations d'immigrés de Zacatecas qui avec le soutien du gouvernement de son Etat d'origine a stimulé la création d'associations orientées vers le développement de la région d'origine. Dans le cas de la communauté d'immigrés de Jalisco, l'appui des autorités mexicaines à travers le programme de soutien aux immigrés mis en place au début des années 90 par le gouvernement mexicain (PACME) a contribué à la formation de nouvelles associations. Dans le cas de Oaxaca, comme nous le verrons plus loin, des facteurs socio-culturels ont favorisé l'organisation des communautés de oaxaqueños en Californie.

Tab. 1 Les associations d’immigrés et leurs fédérations à Los Angeles; d’après Zabin et Rabadan, 1998.


Immigrés mexicains enregistrés auprés du Consulat du Mexique

Estimation de la distribution des immigrés Mexicains par Etat d’origine

Nombre estimé des immigrés Mexicains dans la région de L. A.

Nombre d’associations d’immigrés

Existence d’une ou plusieurs Fédérations

Jalisco

107,622

29%

503,819

49

oui

Michoacan

55,744

15%

260,959

11

non

Zacatecas

36,434

10%

170,561

51

oui

Guanajuato

19,556

5%

91,549

1

non

Distrito Federal

19,173

5%

89,756

0

non

Sinaloa

13,566

4%

63,508

11

oui

Durango

13,306

4%

62,290

4

oui

Nayarit

12,774

3%

59,800

9

oui

Guerrero

12,221

3%

57,211

1

non

Puebla

10,164

3%

47,582

5

non

Edo. de Mexico

10,052

3%

47,057

0

non

Oaxaca

8,731

2%

40,873

8 (16)1

oui (3)

Otros

47,624

13%

222,946

20

n.a.

TOTAL

366,967

100%

1,717,911

170


1 (Selon la liste du Consulat du Mexique).

a) Organisation, fonctionnement et activités des associations d’immigrés mexicains

Comme dans d'autres communautés d'immigrés, les associations de migrants mexicains reposent sur une identité commune, principalement la communauté d'origine. Tous les immigrés originaires du village d'origine sont en général considérés membres. Il existe différents niveaux d'organisation des immigrés mexicains. Le type d'association le plus répandu repose sur l'identité villageoise et s'articule autour d'un bureau composé d'un Président, un Trésorier, un Secrétaire et d'un ou plusieurs postes subsidiaires selon l'association et ses activités. Ces responsables, tous bénévoles, sont le plus souvent élus par les membres de l'association et renouvelés régulièrement. Il arrive parfois qu'ils soient désignés par les autorités de la communauté. Les responsables sont souvent des immigrés de longue date, bien intégrés. Les femmes occupent rarement les postes de responsabilités.

La principale tâche des membres du bureau est de proposer aux immigrés au cours d'assemblées génerales des objectifs et des activités. Ces derniers varient selon les communautés d'immigrés et les associations sont le plus souvent financées par les bénéfices obtenus de l'organisation d'événements socio-culturels (bals; comémorations religieuses) et sportifs (tournois de basket ou de football) ou plus rarement par la côtisation des membres (Smith 1998). Les activités se décomposent entre des initiatives en faveur des membres de l'association (formation, information sur les conditions pour obtenir la régularisation de la situation migratoire et la nationalité, organisation d'événements socio-culturels) et le financement de micro-projets de développement en direction de la communauté d'origine.

Pour ce dernier aspect, les associations d'immigrés originaires de l'Etat de Zacatecas et dans une moindre mesure de celui de Jalisco se distinguent nettement des autres communautés d'immigrés par le nombre de projets en direction de leur communauté d'origine. Cela s'explique surtout par l'ancienneté, par leur dynamique associative, par leur capacité à se grouper à l'intérieur d'une fédération régionale dont l'objectif est de venir en support à ces inititiatives (lobbying; formation) ainsi que par le soutien accordé par les différents niveaux institutionnels concernés (l'Etat fédéral, l'Etat d'origine; la Municipalité) aux projets des associations.

b) La relation entre les autorités mexicaines et les associations d’immigrés

Après plusieurs décennies de relative indifférence à l'égard de la communauté d'immigrés Mexicains aux Etats-Unis, l'administration du Président Salinas (1988 -1994) a renforcé le rôle des Consulats mexicains aux Etats-Unis, en créant plusieurs programmes en faveur des immigrés. Le principal programme qui s'adresse aux associations d'immigrés s'appelle Programa de Atencion a la Comunidad Mexicana en el Extranjero (PACME). Ce programme couvre de secteurs aussi variés que la santé, l'éducation et la culture, la protection des migrants aux Etats-Unis comme au Mexique (Programa Paísano) ou l'appui aux entrepreneurs immigrés.

Au travers du PACME, les Consulats mexicain n'ont pas seulement promu la formation d'associations d'immigrés, mais aussi encouragé celles-ci à investir dans leur communauté au Mexique. Egalement connu comme le programme "2 por 1", le PACME propose que pour chaque dollar que l'association d'immigré investit dans un projet de développement en faveur de son village d'origine le Gouvernement Fédéral et celui de l'Etat d'origine en ajoutent deux. Ainsi, la mise en place de ce programme s'est traduit par la réalisation d'infrastructures publiques (routes, construction de dispensaires), par la donation d'équipements (ambulances, etc.); par l'envois d'argent pour des projets de développement; la promotion de l'éducation (bourses d'études, financement de la construction d'écoles, envois de matériels éducatifs).

Le succés du PACME a dépendu du degré de participation des Etats d'origine et des municipes dans le programme. Les communautés d'immigrés qui profitèrent plus de ce programme furent celles originaires de Zacatecas et dans une moindre mesure de Jalisco. Cela s'explique par le dynamisme associatif des migrants originaires de Zacatecas qui réussirent à réunir les associations en une seule fédération active et influente. C'est cette dernière qui au cours des années 80, négocia directement avec succés un programme d'appui du Gouvernement de l'Etat de Zacatecas aux projets de développement local qui inspira quelques années plus tard le "2 por 1" (Smith, 1997). La bonne collaboration entre l'Etat et la Fédération a permis le financement de nombreuses petites initatives en faveur des communautés d'origine des immigrés de Zacatecas.

Avec un nouveau programme appelé "Mi comunidad", l'Etat de Guanajuato cherche à canaliser les envois de fonds des immigrés vers la création de petites entreprises textiles par l'intermédiaire des associations d'immigrés et des entrepreneurs migrants. Ce programme propose aux immigrés de réunir aux moins 60.000 $ destiné à la création de l'entreprise. En échange l'Etat offre un prêt (matching loan) et une formation de trois mois pour les employés (Susan Ferriss 1998). A ce jour, deux entreprises qui emploient une douzaines de personnes ont été créées dans deux communautés rurales et d'autres doivent voir le jour. Celles-ci travaillent pour les maquiladoras situées dans la capitale de l'Etat. Les postes de responsabilité sont occupés principalement par d'anciens migrants que mettent au service de l'entreprise le capital technique et l'expérience qu'ils ont acquis aux Etats-Unis.

Ces appuis essentiellement financiers (en particulier le "2 por 1") ont permis de mettre en place (ou de moderniser) des infrastructures urbaines/sociales dans les communautés d'origine. Peu de projets productifs ont été entrepris probablement en raison de leur coût et de leur complexité ainsi que du contexte des lieux de départ qui se caractérisent par l'absence d'une grande partie de la population active. Ces projets restent par ailleurs circonscrits à quelques régions émettrices en raison de la diverse implication des collectivités locales.

2 - Le cas des associations d’immigrés originaires de Oaxaca

a) La migration international des oaxaqueños

L'émigration aux Etats-Unis s'inscrit dans une longue tradition migratoire des oaxaqueños. Depuis le début de ce siècle, les populations rurales de Oaxaca participent à deux flux migratoires intérieurs: une migration quasi définitive en direction de la ville de Oaxaca et de la capitale du pays, et une migration temporaire comme salarié agricole, d'abord vers les exploitations des Etats voisins comme Veracruz, et plus récemment vers les exploitations et entreprises agro-exportatrices des Etats de Sinaloa et de Basse Californie. La migration récente aux Etats-Unis des populations Mixtèques s'inscrit dans la continuation de cette dernière migration.

Dans de nombreuses communautés rurales de Oaxaca, la migration est aujourd'hui un phénomène massif et quasi structurel. La Mixteca Alta et la Mixteca Baja sont les principales zones de départ (Zabin, 1993:2). La forte participation à la migration des populations rurales de l'Etat de Oaxaca resulte des conditions économiques et écologiques difficiles que connaissent les communautés rurales de Oaxaca.

La migration de Oaxaqueños aux Etats Unis est apparue avec le programme Bracero. Mais c'est surtout à partir des années 70 que la migration aux Etats-Unis depuis Oaxaca a pris de l'ampleur, augmentant en volume au cours des années 80 avec un début de regroupement familial (Zabin et Escala 1997).

Les migrants "oaxaqueños" appartiennent principalement à trois communautés ethniques: les Mixtèques, les Zapotèques et dans une moindre mesure les Triquis (Zabin 1992). Les Mixtèques migrent principalement dans les zones rurales de Californie où ils sont employés temporairement comme travailleurs agricoles. Les Zapotèques et une partie des immigrés mixtèques se concentrent dans l'agglomération de Los Angeles. A l'exception de quelques communautés d'origine qui connaissent une importante dispertion aux Etats-Unis de leurs émigrés, la plupart orientent leurs membres vers peu de destinations comme cela se produit dans le cas de la migration avec réseau social (Runsten et Kearney 1994). Selon une enquête réalisée par le California Institute for Rural Studies, les immigrés "oaxaquenos" en Californie sont originaires de 203 villages et se concentrent dans plus de 100 localités californiennes appartenant à 24 comtés (Runsten et Kearney, 1994: chap. 3). Cependant, il existe dans certains groupes d'immigrés ruraux oaxaqueños une importante mobilité saisonnière.

La communauté de oaxaqueños aux Etats-Unis se distinguent des autres groupes d'immigrés mexicains par sa population jeune et son caractère indien. Ce dernier aspect et l'histoire récente de cette migration sont à l'origine de toute une série de problèmes. En effet, les immigrés oaxaqueños occupent les plus bas niveaux du marché du travail, notamment dans les zones rurales. Dans les villes, les immigrés oaxaqueños réussisent en général à obtenir des emplois plus stables et mieux rémunérés. Leur identité de jeunes indiens et les problèmes d'écart culturel et de langue contribuent à isoler les migrants oaxaqueños dans la société américaine mais aussi à l'intérieur de la communauté d'immigrés mexicains les exposant ainsi à de nombreux problèmes d'exclusion et de racisme (Runsten et Karney 1994).

b) Caractéristiques des associations d'immigrés oaxaqueños

Les associations d'immigrés oaxaqueños en Californie reposent principalement sur une identité villageoise commune. La dynamique associative des immigrés oaxaqueños a connu une expension remarquable malgré son caractère très récent. Le Consulat du Mexique à Los Angeles a recensé 16 associations d'immigrés originaires de Oaxaca (clubes de oriundos) et 3 fédérations d'associations dans l'agglomération californienne.

La dynamique associative s'explique en grande partie par la cohésion et la tradition d'organisation des communautés rurales de l'Etat de Oaxaca. Elle vise dans le contexte de la migration à répondre aux difficultés rencontrées dans le pays d'accueil en maintenant la cohésion de la communauté d'immigrés (Zabin et Escala, 1997: 21). Mais, si l'organisation des immigrés oaxaqueños s'effectue bien autour de l'identité locale, les oaxaqueños ont encore des difficultés à s'organiser à un niveau ethnique et régional. Cela tient pour une partie à la division des immigrés oaxaqueños en plusieurs groupes ethniques. De plus, cela s'explique par le fait que l'identité collective se limite le plus souvent à la communauté d'origine. En effet, des raisons géographiques (isolement des communautés entre elles) mais surtout historiques et politiques caracterisées principalement par des disputes entre communautés sur leurs limites géographiques et l'utilisation des ressources naturelles ne permirent pas la création d'organisations paysannes horizontales.

Cependant, une conscience ethnique et plus largement indienne qui va au delà de l'appartenance à la communauté d'origine s'impose progressivement avec la migration. En effet, celle-ci favorise la concentration dans un même lieu des oaxaqueños de différentes origines qui partagent souvent une culture et une langue communes mais surtout les mêmes problèmes aussi bien dans leur communauté d'origine qu'aux Etats-Unis (racisme, abus, etc.). Ainsi, trois fédérations d'associations d'immigrés originaires de Oaxaca sont apparues ces dix dernières années au sein de la communauté de oaxaqueños. A l'exception de la FIOB qui a vocation de regrouper les différentes ethnies, elles regroupent des associations dont les membres appartiennent à une même origine ethnique et géographique. Cependant, ces fédérations continuent à connaître des problèmes internes qui se traduisent par de nombreux changements dans leur composition. Les tentatives de se regrouper en une seule fédération ont échoué en raison de divergence quant au rôle de celle-ci.

A la différence des responsables des autres associations de mexicains, les leaders des associations de oaxaqueños sont jeunes. Cette caractéristique reflète le profil de la majorité des immigrés oaxaqueños (Zabin et Escala, 1997: 20).

c) Les inititatives des associations d'immigrés oaxaqueños

La mise en oeuvre d'initiatives en faveur du développement de leur village d'origine est une modalité très récente pour les associations d'immigrés oaxaqueños. Jusqu'en 1997, la réalisation de projets de développement entrepris par les associations de oaxaqueños à Los Angeles était exceptionnelle. En 1998 trois associations de oaxaqueños ont demandé à participer au programme "Uno por Uno". Cependant, il est important de noter que le gouvernement de l'Etat de Oaxaca n'a pas cherché à promouvoir ce programme et à en assurer sa réalisation. De plus, le gouvernement de cet Etat exige que les associations, en grande partie informelles, soient enregistrées au Mexique pour leur venir en appui. Différents facteurs expliquent la faible participation des associations d'immigrés oaxaqueños au PACME. Le caractère récent et peu stabilisé de la migration de oaxaqueños aux Etats Unis fait que les immigrés et leurs organisations se consacrent plus pour l'instant à l'amélioration de leur condition de vie et de travail. De même, l'absence de fédérations solides qui puissent promouvoir et coordonner des projets en faveur des communautés et régions d'origine comme ce fut le cas pour la communauté d'immigrés de Zacatecanos, n'a pas encore permis d'enclencher une dynamique positive en faveur des communautés d'origine. Enfin, et surtout, les rapports difficiles entretenus depuis toujours entre les communautés indiennes et les représentants de l'Etat mexicain rendent encore difficile la participation de ces acteurs dans le PACME.


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