1. Contexte ecologique et socio-politique du developpement des zones arides et de la desertification dans l'ex-URSS


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1.1 Les processus de changement en CEI - qu'ils soient d'ordre économique, social, politique ou institutionnel dans le domaine du développement et de la recherche - sont très rapides. Les résultats cités dans le présent rapport n'ont donc qu'un caractère provisoire. Ils devront être actualisés régulièrement par d'autres missions et consultations avec les experts et organisations concernés.

1.2 Il est impossible de comprendre la désertification et, plus largement, toute dégradation de l'environnement naturel dans les pays de la Communauté d'états indépendants (CEI) sans faire appel à la géographie et à l'histoire de l'Union soviétique, parfois même de la Russie des tsars. Jusqu'à la fin de 1991, l'Union soviétique était le plus grand pays du monde (22,4 millions de km²), s'étendant à partir des déserts de glace au nord, à travers des toundras, des forêts de conifères, mixtes et feuillues, jusqu'à des steppes, des semi-déserts et des déserts subtropicaux au sud. Dans la langue russe, de même que dans la langue française, le mot "désert" (poustyni) est utilisé aussi bien pour désigner les déserts situés dans les zones arides et semi-arides, où la pauvreté de la végétation et de la faune résulte du déficit en eau, que pour désigner les déserts de glaces où cette pauvreté est due essentiellement au froid. Parfois, le terme "désert" est utilisé également lorsque l'on se réfère aux terrains situés en altitude au niveau nival. Cependant, ce terme peut être utilisé sans adjectif uniquement pour désigner les déserts situés dans les zones arides et semi-arides et, dans d'autres cas, un adjectif est indispensable (liedovyïe poustyni - déserts de glaces, gornyïe poustyni - déserts de montagnes). Le terme "désertification" (opoustynivaniïe) n'est utilisé que lorsqu'il se réfère aux terrains situés dans les zones arides et semi-arides.

1.3 L'objet de la mission portait exclusivement sur les déserts des zones arides et semiarides. La différence entre la problématique des recherches scientifiques relatives aux déserts subtropicaux et aux déserts de glaces est si importante que ces problèmes sont abordés dans la CEI par des instituts scientifiques différents, et rarement seulement, dans le cadre d'un seul institut géographique, par des équipes scientifiques différentes. Mais on n'a pas rencontré de cas de coopération entre des spécialistes de déserts subtropicaux et des spécialistes de déserts de glaces, ni de scientifique qui s'occuperait des problèmes de ces deux régions.

1.4 Les zones arides et semi-arides se sont trouvées dans les limites de la Russie relativement tard; certaines à peine vers la fin du XIXe siècle (déserts de l'Asie centrale). L'exploitation scientifique a commencé presqu'en même temps que la conquête. On s'est posé alors la question sur le caractère des changements climatiques et sur l'aridisation éventuelle du climat. Les recherches étaient menées par des principaux centres à Saint Pétersbourg et à Moscou. Ce sont surtout des travaux limnologiques de L.S. Berg qui ont contribué à la domination de l'opinion qu'en Asie centrale on a plutôt affaire à des variations plus ou moins rythmiques de la pluviosité qu'à l'aridisation du climat et à la désertification (cf. fiche bibl. 114). Cela a sans doute provoqué une diminution de l'intérêt pour des problèmes de la désertification, surtout s'il s'agit des travaux théoriques. L'accent a été mis sur les questions techniques étroitement liées à l'aménagement des terres arides et semi-arides.

1.5 Après la création de l'Union soviétique, presque toutes les régions arides et semiarides de ce pays se sont trouvées en dehors de la frontière de la République fédérative de Russie, la plus grande, économiquement et politiquement prédominante, c'est-à-dire au Turkménistan, au Tadjikistan, en Ouzbékistan, au Kazakhstan et aussi dans les républiques caucasiennes et en Ukraine. Le système soviétique d'organisation de la science attribuait le rôle primordial dans les recherches à l'Académie des sciences et non aux Universités. Le centre à Moscou a conservé sa position prépondérante, mais toutes les Républiques avaient leurs académies des sciences qui devaient concentrer leurs travaux sur les problèmes propres à chaque république. Cela signifie que les questions concernant les zones arides et semi-arides (désertification comprise) relevaient désormais des centres de recherche des Républiques. Ce sont les centres d'Achkhabad (Turkménistan), de Bakou (Azerbaïdjan) et d'Alma Ata (Kazakhstan) qui se sont montrés les plus dynamiques. Néanmoins, presque toutes les publications étaient éditées en russe.

1.6 L'ampleur des entreprises réalisées ayant pour but la transformation du milieu naturel, ainsi que la thèse officiellement prônée de l'harmonie entre le développement de l'économie socialiste et l'exploitation rationnelle des ressources naturelles ont considérablement influencé le caractère des recherches scientifiques. Les problèmes de désertification des terres arides en URSS étaient très peu abordés.

1.7 Au milieu des années 70, des informations sur la désertification en URSS n'apparaissent que dans quelques articles, mais ce sont surtout des études analytiques concernant des espaces plutôt petits (cf. fiches bibl.. 76, 112, 147). Il en est de même pour les travaux portant sur la dégradation du milieu naturel en URSS à cette époque-là. Nombreuses sont par contre des études, souvent très détaillées, concernant le milieu naturel des régions arides et semi-arides (végétations, sols, géochimie, paysage - cf. fiches bibl. 80, 120) et décrivant des méthodes de lutte contre la désertification et le déroulement des actions concrètes (cf. fiches bibl. 5, 62, 118).

1.8 A la fin des années 70, la problématique de la désertification fait partie des plus importantes questions de la science mondiale. L'intérêt des scientifiques soviétiques pour la désertification augmente remarquablement d'autant plus que, grâce, entre autres, aux travaux des dissidents soviétiques, la question de l'état catastrophique du milieu naturel cesse lentement d'être un tabou (cf. fiche bibl. 43). Au cours de la Conférence des Nations unies sur la désertification à Nairobi en 1977, l'URSS a présenté des documents rendant compte non seulement de l'aménagement des déserts mais aussi de la dégradation des terres arides et semi-arides. Il ne faut pas non plus oublier les travaux terminologiques portant sur l'environnement des déserts, qui ont constitué un apport non négligeable (cf. fiches bibl. 59, 68) à la réflexion globale sur les problèmes de la désertification. Cependant ce sont toujours des travaux concernant la désertification d'une manière plus indirecte que directe. Après 1977 des documents sont publiés sur la désertification en URSS qui accentuent les principaux traits caractéristiques des processus de dégradation et de leurs mécanismes biologiques (cf. fiches bibl. 12, 45, 46 79 et autres). A la fin des années 80, dans "Problïemy osvoïeniïa poustyn"', les articles traitant directement de la désertification prennent déjà une position prédominante. Ce sont des études régionales, des analyses de processus et des rédactions méthodologiques et terminologiques (cf. fiches bibl. 34, 38, 40, 101, 144 et autres).

1.9 On peut suivre parfaitement bien l'évolution des opinions soviétiques au sujet de la désertification en prenant l'exemple des publications concernant la mer d'Aral. Au départ, c'est l'optimisme officiel qui était de vigueur: grâce au détournement des fleuves sibériens il était considéré qu'il devait être possible d'effectuer d'énormes irrigations (cf. fiches bibl. 50, 61, 87, 104) et d'assurer l'avenir de la mer. Les publications contemporaines, en revanche, décrivent l'état catastrophique de la mer et de ses environs, ainsi que le manque de solutions.

1.10 Pendant les dernières dix années, on a pu observer un intérêt croissant des scientifiques soviétiques pour ce qui se passe dans d'autres pays. Bien que ce sujet ait toujours été présent, aujourd'hui on le voit de plus en plus nettement. Les régions principales qui attirent l'attention des scientifiques sont: les déserts et les semi-déserts de l'Asie et de l'Afrique (cf. fiches bibl. 4, 49, 63, 85, 109).

1.11 Le trait caractéristique des travaux sur la désertification publiés en URSS réside dans une nette concentration sur des problèmes biologiques et géochimiques et une négligence vis à vis des questions sociales. Les études qui concernent le milieu naturel sont beaucoup plus concrètes tandis que celles, moins nombreuses, qui concernent les problèmes sociaux tombent dans l'idéologie et sont pleines de généralités. Des tendances pareilles se maintiennent pendant toute la période analysée et elles sont également visibles aujourd'hui, ce qui trouve son reflet dans la bibliographie dominée par des travaux biologiques, pédologiques, géochimiques etc.

1.12 En ce qui concerne l'avenir des terres arides et semi-arides, il convient d'être très prudent avant de prononcer tout pronostic. Au cours des dernières décennies, il y a eu un développement important mais en même temps l'environnement a subi une dégradation. Il est difficile de prévoir les conséquences de la désintégration de l'Union soviétique. Plusieurs scénarios sont possibles. D'une part, la terre et l'eau commencent à acquérir une valeur économique, et la décentralisation de la gestion et la privatisation pourraient contribuer à I imiter le gaspillage. Mais d'autre part, la résolution des problèmes - comme celui particulièrement sérieux de la mer d'Aral qui exige une coopération d'au moins 5 pays (Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kirghizie) et sans doute de la Russie - requiert des moyens financiers dont aucun de ces pays ne dispose.

1.13 Le démembrement de l'URSS risque d'avoir des résultats fort négatifs pour les recherches sur la désertification. Le scénario "pessimiste", qui n'est pas inévitable, prévoit que les instituts scientifiques de tous les pays de la CEI publient leurs travaux exclusivement en leurs langues nationales, moins connues dans le monde que le russe. On peut craindre aussi l'arrêt de la coopération entre les instituts, le départ d'une partie des scientifiques d'origine russe vers la Russie où ils ne pourront pas travailler aussi facilement dans le domaine du développement des terres arides, peut-être même la liquidation des instituts scientifiques à cause des difficultés pécuniaires et des conflits intérieurs. Il est également évident que le manque d'argent va limiter les travaux sur l'aménagement des zones arides et la lutte contre la désertification.