R. Brouwer
Rolland Brouwer effectue des recherches sur le reboisement des communaux dans le nord du Portugal, conjointement avec les Facultés de foresterie et de droit agraire de l'Université d'agronomie de Wageningen et ce, avec le soutien financier de la Fondation néerlandaise pour la recherche scientifique sur le droit et l'administration publique (ReOB).
Bien que les baldios (terres communales) aient évolué avec le temps, dans de nombreux villages du Portugal ils remplissent encore des fonctions importantes.
Au Portugal, les baldios sont une ancienne coutume; les lettres royales, par lesquelles les rois reconnaissaient les privilèges au Moyen Age, font état des baldios. Ceux-ci ont toujours constitué une pomme de discorde entre les riches et les paysans, les bergers et les agriculteurs, les groupes locaux et les autorités centrales (y compris le service forestier). Jusqu'en 1875, les baldios couvraient une superficie de plus de 4 millions d'hectares, mais lorsque le régime d'Estado Novo (nouvel Etat) a pris le pouvoir en 1933, l'usurpation et la privatisation soutenues par le gouvernement les avaient réduits à quelque 450 000 ha (soit 5 pour cent environ du territoire portugais). Ces terres communales restantes sont concentrées dans le nord et dans l'intérieur du pays.
Le régime d'Estado Novo (qui est demeuré au pouvoir jusqu'en 1974) a interprété littéralement le sens du mot baldio (qui dérive d'un idiotisme germanique signifiant stérile, inculte ou dénudé). Le gouvernement considérait ces terres soit comme totalement inutilisées ou du moins exploitées d'une façon qui, à son avis, était impropre ou inopportune (Gouvernement du Portugal, 1940). Les biens communaux étaient synonymes d'abandon, du point de vue de l'utilisation et de l'administration, en dépit de leur importance énorme pour les communautés locales.
L'importance des baldios est liée au rôle qu'ils jouent dans le système d'exploitation traditionnel D'ordinaire, ils fournissaient des matériaux de construction, du combustible, des pâturages pour les chèvres, les moutons et les vaches, et des litières pour les animaux dans les étables. Chaque année au printemps, les étables étaient nettoyées et les litières, souillées par les déjections animales, étaient épandues sur les champs cultivés privés des membres de la communauté. Ainsi, les communaux constituaient également une source d'engrais. Bien souvent, le bétail de diverses familles était gardé avec les troupeaux communaux.
Les baldios constituaient la base matérielle de l'organisation communautaire et une structure complexe existait pour l'administration des biens communaux. Les principaux éléments du système de gestion traditionnel des baldios étaient l'exclusion, le zonage et l'allocation. Seuls ceux qui étaient acceptés par la communauté y avaient accès. Les baldios étaient à la base de la sécurité sociale des paysans pauvres sans terre, qui pouvaient temporairement y faire paître leur bétail et y cultiver des parcelles. Les conseils villageois ou chamades décidaient si certaines zones étaient ouvertes ou non au pâturage, quelles terres étaient réservées à la repousse de la lande (végétation broussailleuse) et quels terrains devaient être utilisés pour la récolte de la broussaille de l'année. Le contrôle de l'application des décisions du conseil était confié à des gardiens élus ou zeladores (voir par exemple: Peixoto, 1908; Dias, 1948; 1984; Fontes, 1977; Polanah, 1981).
En dépit de l'importance des communaux pour la population locale, le régime d'Estado Novo a intensifié les politiques précédentes et renforcé notamment l'élément boisement. Environ 300 000 ha de baldios ont été plantés en arbres, généralement en Pinus pinaster (Baptiste, 1976; DGSFA, 1972; Estêvão, 1983) et confiés à la gestion du service forestier d'Etat. Les activités de boisement ont effectivement amputé un bon nombre de droits de jouissance traditionnels (fondés sur les forêts claires à pâturer et non pas sur les forêts denses) et ont obligé de nombreux membres des communautés locales à abandonner l'élevage au profit d'autres occupations, voire même à émigrer. Les populations locales ont réagi avec hostilité et ont résisté au service forestier d'Etat, et à l'effort de boisement, bien que le gouvernement ait promis des dédommagements lorsque le bois serait récolté. Dans certains cas, les projets de boisement n'ont pu être exécutés que sous la protection de la police. En 1966, le code civil a été révisé pour abolir la propriété communale et pendant les 10 années successives, les baldios ont cessé d'exister, du moins officiellement.
En 1974, un coup d'Etat, militaire inspiré par la gauche a mis fin au régime d'Estado Novo. Un des problèmes auxquels le gouvernement a dû faire face était celui des baldios. Nombreux ont été les appels pour que leur contrôle soit transféré aux communautés villageoises ou aux autorités communales. Le service forestier s'est fermement opposé à la délégation de pouvoirs aux conseils municipaux dans la crainte que cette solution puisse signifier la division des terres communales, le défrichement des superficies boisées et la fin du reboisement. En outre, les superficies forestières gérées par le service forestier seraient ainsi tombées de quelque 500 000 ha (ce qui déjà n'est qu'une faible partie des près de 3 millions d'ha de forêts du pays dont la plupart appartiennent à des particuliers qui les gèrent) à 49 000 ha seulement. C'est ainsi que le service forestier a convoqué un groupe de travail et l'a chargé de la formulation de propositions pouvant satisfaire les exigences locales, tout en protégeant les forêts et les intérêts du service forestier. Ce groupe a soutenu que la division des communaux serait incompatible avec les aspirations de la population et entrerait en conflit avec la coutume. Il a proposé au contraire de conserver les communaux dans leur ensemble et de les restituer aux communautés villageoises. Il a également suggéré de verser à la population non plus 25 pour cent, mais plus de 60 pour cent des recettes brutes provenant de la vente du bois et d'autres produits récoltés (la façon dont ces recettes devaient être distribuées n'était pas précisée). C'est ainsi que le service forestier, qui avait été L'«ennemi» des baldios, en est devenu le défenseur. En 1976, une loi a été adoptée (loi 39/76) rendant la terre aux communautés qui les exploitaient à l'origine.
Cette loi restituait les communaux aux populations, sous réserve de deux conditions préalables institutionnelles particulières. En premier lieu, la population devait s'organiser en groupes d'utilisateurs. Les membres qui, selon les règles et les traditions coutumières, avaient le droit d'exploiter les communaux et étaient considérés comme appartenant à la commune, se sont réunis dans une assemblée de «compairs», devenue le représentant démocratique officiel légitime des villageois pour ce qui est des affaires de gestion communale et des recettes financières provenant des terres communales. Cette assemblée des compairs était tenue d'élire une commission de gestion composée de cinq membres, chargée du contrôle au jour le jour de l'exploitation des communaux.
Une clause a été introduite permettant à l'assemblée des compairs d'inviter l'Etat à désigner un représentant auprès de la commission de gestion (d'ordinaire le garde forestier local relevant du service forestier). En conséquence, il existe deux types de commissions de gestion: le type A, qui est composé de cinq compairs; et le type B où siègent quatre compairs et un représentant de l'Etat En créant ce second type, le gouvernement entendait donner la possibilité aux membres de la communauté d'obtenir une assistance technique pour l'aménagement des forêts, sur leurs terres, en vue de favoriser la gestion judicieuse des forêts ainsi que le développement et l'utilisation efficace des ressources et recettes. Il y avait probablement aussi le désir d'améliorer les rapports entre le service forestier et la population locale, qui, sous l'ancien régime, s'étaient dégradés pendant la vaste opération de boisement.
La seconde condition préalable institutionnelle était la reconnaissance par l'Etat de l'assemblée des compairs et de la commission de gestion. Cette condition tenait au fait que la restitution des communaux à leurs propriétaires précédents exigeait l'identification des groupes appropriés. Etant donné que dans certains cas, le boisement avait eu lieu il y a plus de 40 ans, il n'était pas toujours évident quelle terre appartenait à quelle communauté. C'est pourquoi un mécanisme était nécessaire pour permettre à plus d'une commission de se présenter devant l'Etat comme le propriétaire légitime d'un territoire donné et pour pouvoir régler les différends. Cette tâche a été confiée au service forestier.
La loi de 1976 visait à restituer les communaux aux membres des communes. Depuis les années 30 toutefois, d'importants changements avaient eu lieu dans les campagnes. Tout d'abord, les communaux confiés à la garde du service forestier d'Etat, avaient été boisés. De ce fait, de nouvelles ressources avaient été ajoutées à la lande et au bois de feu des pâturages traditionnels le bois d'uvre et la résine. La loi de 1976 n'ignorait pas la conséquence de cette évolution et ne se bornait pas à accorder simplement les communaux aux villages, mais elle tentait également de créer un système de gestion rationnel permettant de concilier les droits coutumiers de la population avec le fait que, sur initiative des services forestiers d'Etat, de vastes zones avaient été boisées. Aux yeux de la loi, cette nouvelle condition des communaux exigeait certaines garanties pour un aménagement des forêts de niveau professionnel et pour la mise en place de mécanismes qui aideraient les compairs à utiliser à bon escient l'argent provenant de la vente prévue du bois d'uvre et des concessions de résine.
Cependant, d'autres faits n'ont pas été pris en considération. Lorsque le service forestier a commencé de boiser les communaux villageois, il avait temporairement interdit le pâturage dans certaines zones et, en conséquence, les bergers avaient perdu leur source de revenus et avaient été forcés d'abandonner l'élevage. Quand, après quelques années, les terrains ont été rouverts, il n'y avait plus personne et plus d'animaux. A partir des années 60, nombreux sont ceux qui ont émigré (temporairement ou pour toujours) vers le nord-ouest de l'Europe. Les villages, qui dépendaient de l'élevage des moutons et des chèvres, ont particulièrement souffert de cette hémorragie de population et ont couru le risque de devenir des villes fantômes complètement dépeuplées.
En outre, les engrais chimiques, autrefois trop coûteux pour les paysans pauvres, étaient devenus d'usage courant. Par le passé, les agriculteurs employaient la végétation broussailleuse des communaux comme engrais pour leurs propres champs, où ils cultivaient le seigle et le maïs. Ainsi, encore que la plupart des exploitants aient continué d'employer les engrais verts et le fumier, ils n'en dépendaient donc plus complètement. Cela a influé sur la valeur des communaux et sur la façon dont ils devaient être gérés.
Enfin, il y avait une tendance générale à abandonner la production agricole. Au niveau national, entre 1970 et 1990, la part de la population active employée dans le secteur agricole primaire est tombée de 32,4 à 17,9 pour cent. Dans le nord et dans l'intérieur, elle a reculé de 70 à 50 pour cent (Gaspar, 1981; INE, 1991; CCRN, 1990). La politique agricole commune de la Communauté européenne renforce cette tendance car elle vise clairement à développer les exploitations modernisées et encourage les agriculteurs «marginaux» à cesser toute activité productive et à accepter la retraite anticipée. Les familles rurales diversifient actuellement leurs sources de revenus et nombreux sont ceux qui sont employés dans l'industrie ou le bâtiment. L'ensemble de ces tendances a réduit le rôle des formes traditionnelles d'exploitation des communaux, alors que de nouvelles formes liées à la présence des arbres ont pris de l'importance.
En application de la loi de 1976, 637 commissions ont été créées qui demandaient au service forestier et aux conseils municipaux que leurs terres communales leur soient restituées (Gouvernement du Portugal, 1990; 1992). En dépit des tensions précédentes, 84 pour cent d'entre elles ont opté pour la gestion de leurs terres en coopération avec l'Etat (c'est-à-dire commission de gestion du type B). La plupart des commissions se trouvent dans deux districts: Vila Real et Viseu (Rodrigues, 1987). Les sections ci-après concernent les communes de Campeã et Cidadelhe de Aguiar, situées toutes deux dans le district de Vila Real.
Campeã
Campeã se trouve à 15 km à l'ouest de la ville de Vila Real, chef-lieu de district, dans les replis orientaux de la Serra do Marão. La commune a une superficie de quelque 2 500 ha. Elle comprend une vaste cuvette à fond plat, à 750 m d'altitude, et les montagnes environnantes qui atteignent jusqu'à 1 400 m. Les versants des montagnes constituent environ la moitié de la superficie de la commune et sont officiellement enregistrés comme propriété commune. Les quelque 2 000 habitants de la commune vivent disséminés dans 18 hameaux, dont la plupart sont situés le long de la ligne qui divise la vallée des montagnes. Les hameaux sont groupés en 12 territoires ou limites, qui renferment les terres tant privées que communales. Depuis toujours, les habitants ou vizinhos de chaque territoire ont eu leur propre conseil villageois et ont élu leurs propres gardiens, chargés notamment de veiller sur l'utilisation des communaux à l'intérieur de leurs territoires. Ces territoires formaient des éléments autonomes dans la commune.
L'accès aux terres communales pouvait être obtenu de plusieurs façons: en étant un membre de plein droit de la communauté; en travaillant des champs sur le territoire de la commune, pour permettre leur fumure; ou en louant des terres - les habitants des hameaux de Montes et Cotorinho louaient une partie des communaux de la commune voisine d'Ansiães pour y faire paître leurs moutons et chèvres.
L'Etat est intervenu dans la gestion des terres de la commune dans les années 50 et près de 625 ha situés dans pratiquement tous les territoires à l'intérieur de la commune de Campeã ont été boisés, alors que quelque 200 ha ont été alloués à des ménages individuels. Cette intervention a porté gravement préjudice aux communautés de Cotorinho et Montes. Les restrictions à la garde des moutons et des chèvres qui en découlaient ont obligé les bergers de ces villages à vendre leurs animaux et à abandonner l'élevage. Entre 1950 et 1960, le nombre des animaux dans ces hameaux a diminué brutalement. Privés de leur principale source de subsistance, de nombreux habitants sont partis temporairement ou définitivement à la recherche d'autres moyens d'existence au Brésil ou en Europe occidentale et les hameaux ont été progressivement abandonnés.
Après 1976, les villageois qui restaient se sont organisés en assemblées de compairs et en commissions qui servaient principalement à canaliser vers les villages les recettes provenant de la coupe des forêts plantées par l'Etat où elles ont été utilisées pour la construction d'une route. Jusqu'alors, les villages ne pouvaient être atteints que par des sentiers de montagne et étaient inaccessibles aux véhicules. Les commissions ne se sont pas occupées de l'aménagement des forêts; pour cela, elles s'en sont remises entièrement au service forestier. Elles se comportaient en quelque sorte comme un propriétaire foncier vis-à-vis du service forestier et se contentaient de recevoir leur part des recettes (en général, les recettes ont été utilisées pour des travaux publics et n'ont pas été partagées entre les villageois).
Aveçãozinho. A Aveçãozinho, un autre hameau dans la commune de Campeã l'Etat est intervenu dans les années 50 en allouant 14 ha des terres communales à 20 des 58 ménages du village et en boisant 50 ha environ. La zone la plus basse, soit 20 autres ha, a été laissée aux 38 familles restantes pour l'exploitation communale permanente. Lorsque les communaux nationalisés ont été restitués en 1976 à la communauté, les membres de la commune restants ont créé une commission de gestion pour leur administration. Bien qu'officiellement responsable de la totalité des communaux (environ 70 ha), cette commission n'a en réalité exercé son autorité que sur les 20 ha qui n'avaient pas été administrés par le service forestier. Jusque-là, la gestion étatique de la zone élevée des communaux n'avait guère profité à la population. Au début des années 80, les pins que le service forestier y avait plantés ont brûlé avant de parvenir à maturité. Peu après l'incendie, le service a replanté certaines parties avec des douglas (Pseudotsuga menziesii) et en 1990, il a ouvert des bandes pare-feux. Ces décisions ont été prises sans consulter la commission de gestion. La commission de gestion d'Aveçãozinho s'est concentrée sur la partie la plus basse des communaux. Etant donné que les moutons et les chèvres n'avaient jamais joué un rôle important dans l'économie du village Aveçãozinho, était par tradition une zone d'élevage de vaches) et que la coupe des buissons et de la bruyère pour fertiliser les champs privés était faite avec grand soin, afin de permettre la croissance des jeunes plants, le territoire était désormais couvert de pins, qui avaient été soit plantés par la population elle-même, soit qui s'étaient régénérés naturellement à partir de la forêt domaniale voisine.
Encore que la lande ait son importance dans le système d'exploitation locale pratiquement tous les agriculteurs ramassent une ou deux fois par semaine un plein chargement de broussailles pour leurs étables -, le fauchage n'est plus réglementé. Par le passé, c'était le conseil villageois qui limitait aussi bien la superficie totale pouvant être fauchée que la quantité que chaque ménage pouvait récolter. Chaque année, la communauté allouait à chaque ménage une surface déterminée pour la collecte des broussailles (Peixoto, 1908). Ce système a été délaissé; l'abandon des restrictions traditionnelles n'a pas compromis la durabilité du système; on peut facilement observer que la croissance de la végétation broussailleuse n'est pas menacée. Apparemment, l'existence de landes privées comme source de fourrage et la disponibilité des engrais chimiques ont atténué la pression excessive exercée autrefois sur la lande communale.
Le pâturage, seconde forme traditionnelle d'utilisation des terres communales, a perdu également de son importance. En 1941, on estimait que seuls 5 pour cent des aliments du bétail provenaient des terres communales et aujourd'hui, trois ménages seulement font paître leurs chèvres régulièrement dans les communaux et pendant une courte période uniquement.
Par ailleurs, les communaux ont pris de l'importance en ce qui concerne le bois de feu. Avec l'accroissement du couvert forestier à partir des années 50, la commission a pour rôle principal d'organiser l'attribution du bois de feu aux ménages individuels. Chaque été, elle marque les arbres et les distribue au moyen d'une loterie effectuée entre les membres de la commune. Ce système est calqué sur le système précédent qui était utilisé pour la répartition de la végétation broussailleuse.
En résumé, on peut dire que même si la commission d'Aveçãozinho n'exerce aucune des fonctions traditionnelles de gestion (à savoir la réglementation du pâturage et de la collecte de broussailles), elle suit encore des pratiques traditionnelles en s'acquittant de sa nouvelle fonction, c'est-à-dire en allouant le bois de feu à l'aide des mêmes procédures héritées des temps anciens pour assigner des parcelles de lande. Toutefois, cette tradition se conserve avec difficulté. Au printemps de 1993, la commission a refusé d'organiser l'attribution des arbres qui avaient souffert de fortes chutes de neige et de gros orages. Comme elle n'a pris aucune initiative, un des villageois qui avait un tracteur est allé en ramasser la majeure partie, au grand dam des autres membres de la communauté. Plus tard dans l'année, la commission a décidé de vendre une quarantaine de pins pour le bois d'uvre. Elle a utilisé le produit de cette vente pour couvrir les canaux d'irrigation avec des plaques de fer, là où ceux-ci traversaient la route dans le village.
Cidadelhe de Aguiar
A Cidadelhe de Aguiar, un hameau à 20 km au nord de Vila Real, la situation est bien différente. Tout d'abord, le hameau dispose d'une superficie communale de 700 ha, beaucoup plus vaste que celle de Campeã En second lieu, le hameau a assumé la pleine responsabilité de ce territoire; l'Etat n'est plus représenté au sein de la commission.
Les communaux ont été boisés par l'Etat entre 1945 et 1965, ce qui a gravement compromis l'économie locale, presque totalement tributaire de l'élevage des moutons et des chèvres. En conséquence, de nombreux habitants sont partis chercher du travail à l'étranger.
Aujourd'hui toutefois, les choses ont changé. Les forêts, qui avaient obligé les résidents à émigrer, offrent maintenant des avantages considérables à la population villageoise. Chaque année, la communauté de 135 membres encaisse quelque 8 000 dollars EU de la seule vente de résine. En outre, elle gagne de l'argent grâce aux éclaircies occasionnelles et peut compter sur les recettes des premières coupes définitives d'ici quelques années. Dans l'ensemble, de 1986 à 1989, la commission a administré un revenu annuel brut de 25 000 dollars. Elle a investi ses capitaux principalement dans des infrastructures d'intérêt public; quelque 46000 dollars ont servi à améliorer le système d'irrigation en construisant un nouveau canal cimenté de 9 km et en remplaçant les canaux secondaires à ciel ouvert par des tubes en béton. En conséquence, les pertes d'eau pendant le transport de la source aux champs ont diminué considérablement. De nouveaux investissements sont effectués pour améliorer les infrastructures villageoises, comme des passerelles et un centre communautaire. La commission a également contribué à la construction d'un terrain de football (sur les terres communales) et elle subventionne les droits d'inscription des jeunes joueurs au club de football et paie leurs tenues de sport et leur matériel.
Etant donné que la commission agit indépendamment de l'Etat elle doit assumer toutes les fonctions normalement assignées au service forestier. Il lui faut veiller sur les peuplements et déterminer si des éclaircies sont nécessaires ou si des coupes définitives peuvent être faites. Elle a également organisé les ventes publiques, où les bûcherons achètent le bois sur pied et où les entreprises spécialisées concourent pour obtenir la concession de récolter la résine.
La régénération des peuplements est souvent le fait de la repousse spontanée par germination des graines présentes dans le sol. Si la commission décide de replanter, elle passe un contrat avec des ouvriers agricoles qui sont payés pour effectuer le travail. Elle fait office d'entrepreneur forestier moderne. La commission a pour seules obligations de conserver le couvert forestier conformément aux conditions légales et de verser au service forestier 30 pour cent des recettes brutes provenant du bois. Quant au service forestier, il est tenu de fournir des avis et de veiller à ce que la commission respecte les directives générales en matière d'aménagement des forêts.
Le territoire communal sert donc à améliorer ou à soutenir la viabilité du hameau. Toutefois, la mesure dans laquelle cette fonction peut être exercée avec succès dépend non seulement de la communauté elle-même, mais aussi de facteurs externes. Par exemple, la commission de gestion dépensé 19 000 dollars pour la construction d'une salle de traite collective car la coopérative laitière de la région a accepté de fournir l'équipement nécessaire. Mais elle refuse maintenant de le faire car, dans l'intervalle, les règlements de la CE en ce qui concerne le contingentement de la production laitière sont entrés en vigueur. C'est ainsi qu'une initiative locale est étouffée par des politiques formulées à des échelons supérieurs.
Depuis la publication de la loi de 1976, 637 commissions de gestion ont été créées. Depuis lors toutefois, nombre d'entre elles ont cessé de fonctionner ou ont été dissoutes; aujourd'hui, seules 132 sont encore opérationnelles et environ un tiers seulement des communaux (141 000 ha) est administré effectivement par les communautés locales (Gouvernement du Portugal, 1990; 1992).
Une des causes de ce déclin est sans aucun doute l'incertitude politique qui a caractérisé la question des terres communales (voir Ostrom, 1992). Depuis 1976, 17 projets de loi ont été présentés au parlement, qui visaient directement ou indirectement à la dissolution des communautés d'usagers et au transfert de leurs pouvoirs de gestion aux autorités locales, c'est-à-dire aux conseils communaux. Jusqu'à tout récemment, faute d'accord entre les partis les plus importants représentés au parlement, aucun de ces projets de loi n'a pu être adopté, mais en 1993, on est arrivé à un compromis et une nouvelle loi (loi 68/93) a été publiée le 4 septembre 1993.
Il est encore trop tôt pour évaluer l'incidence de la nouvelle législation sur les communaux, mais on peut déjà faire quelques conjectures. Tout d'abord, la nouvelle loi, contrairement aux projets précédents, laisse intacte l'idée de l'administration locale par les membres de la commune. Les commissions se composent uniquement des membres de la communauté, sans représentant de l'Etat (art. 20). Toutefois, toutes les commissions où l'Etat et les communautés coopèrent (type B) continuent de fonctionner tant que les deux parties décident de maintenir leurs relations (art. 37). La création d'une nouvelle commission chargée de superviser l'administration financière de la commission de gestion constitue la principale modification de la structure administrative (art. 11 ).
D'autres modifications importantes concernent la protection contre la privatisation des biens communaux et le contrôle effectué par des institutions étatiques. Alors que la loi précédente interdisait toute aliénation des terres communales, la nouvelle loi permet de déléguer les fonctions administratives à une autre entité (le conseil communal ou un organisme public compétent - par exemple, le service forestier) (art. 22); elle autorise l'expropriation par l'Etat des biens publics; la privatisation en faveur de la construction de logements ou de l'industrie (art. 29); et l'extinction, à la suite de la décision unanime prise par les membres de la commune eux-mêmes ou du «délaissement manifeste» pendant trois ans (art. 26, 27).
Ces mesures constituent une grave menace pour la persistance des biens communaux portugais. L'allocation des terres communales pour la construction de logements est déjà une pratique courante; par exemple, au cours des 10 dernières années, huit parcelles de 400 m² en moyenne ont été vendues à cette fin à Aveçãozinho,
En outre, même dans le secteur agricole, il n'est pas rare que les terres soient laissées en friche. Dans le sud du Portugal, les grands propriétaires terriens pratiquent sur leurs champs des jachères de sept ans ou plus. En particulier, dans les hameaux qui sont menacés par l'émigration, les communaux peuvent facilement devenir la proie des autorités communales ou municipales, lorsque les jeunes, partis temporairement, laissent le village aux anciens qui vivent de leur retraite et non plus de l'agriculture et que les terres communales sont ainsi abandonnées. Enfin, il apparaît très étrange que les biens communaux soient soumis à une restriction qui n'existe pas pour la propriété privée individuelle.
Par ailleurs, la nouvelle loi confirme certaines pratiques déjà existantes et généralement acceptées. L'autorisation de libérer de petites parcelles des communaux pour construire des habitations correspond à une coutume ancienne: dans les archives de la commune de Campeã qui remontent à 1890, il y a plusieurs exemples d'aliénation des terres communales pour la construction de logements en faveur des habitants de la commune qui ne possédaient pas suffisamment de terre. En outre, lors d'une enquête effectuée dans cette commune, 38 des 41 chefs de ménages interviewés approuvaient l'aliénation des communaux dans ce but. Toutefois, seuls 24 d'entre eux appuyaient la vente à des personnes étrangères à la commune. La plupart des interviewés ont également approuvé l'aliénation des terres pour la construction d'industries. Il semble qu'à cet égard le projet de loi puisse compter sur le soutien des membres de la commune eux-mêmes. Mais ils se sont clairement prononcés contre l'extinction des communaux (Brouwer et Kwakkenbos, 1993).
Au Portugal, les communaux existent encore; après 40 ans de contrôle étatique, ils ont été restitués à la population en 1976 et, dans de nombreux villages, des assemblées de compairs et des commissions de gestion ont été créées pour administrer le patrimoine séculaire. Cependant, pendant la période entre l'intervention de l'Etat et la satisfaction de leurs exigences, les villageois eux-mêmes et leurs terres communales avaient changé. Nombre d'entre eux avaient été temporairement des ouvriers à l'étranger; certains avaient abandonné totalement l'agriculture, alors que d'autres avaient modernisé leurs méthodes agricoles et étaient passés à l'emploi d'engrais chimiques et de purin. Leurs communaux, autrefois pâturage pour les moutons et les chèvres et source d'engrais vert et de fumier, sont devenus une source de bois et de résine commercialisables. La gestion n'exige plus la réglementation du pâturage et de la collecte de broussailles, mais l'organisation de ventes aux enchères; l'obtention de bons prix sur le marché; des négociations avec les concessionnaires, les négociants et le service forestier; et l'utilisation des recettes obtenues dans l'intérêt de la communauté. En tout état de cause, les communaux permettent aujourd'hui aux villages de se doter des équipements qu'ils ne pourraient évidemment pas obtenir autrement: des canaux d'irrigation couverts, des systèmes d'irrigation améliorés, de meilleures infrastructures, etc.
Les membres de la commune semblent être en mesure d'utiliser les instruments de loi de 1976 au profit de la collectivité.
Dans cette perspective, le danger d'extinction et d'aliénation dû à la nouvelle loi apparaît comme un pas en arrière et non pas comme une amélioration.
Baptista, F.O. 1976. Portugal 1975. Os campos. Lisbnne, Affrontamento.
Brouwer, R. et Kwakkenhos, C. 1993. A questão dos baldíos: ser ou não ser. Poder Local, 126: 42-50.
CCRN. 1990. Os sectores agrícola e agroindustrial na região de Trás-os-Montes e Alto Douro. Porto, Portugal, Comissão Coordenadora Região Norte.
DGSFA. 1972. Algunos elementos estatísticos relativos ás sua actividades. Lisboa, Direcçao Geral dos Serviçios Florestais e Agrícolas.
Dias, J. 1948. Vilarinha da Fuma, arma aldeia comunitária. Lisboa. Imprensa Nacional, 1983.
Dias, J. 1984. Rio de Onor. Comunitarismo agri-pastoril. 3e édicion. Lisbnne, Editorial Presença.
Estêvao, J.A. 1983. A florestação dos baldíos. Análise Social, 19: 1157-1260.
Fontes, A.L. 1977. Etnografía transmontana II - O comunitarismo de barroso. Montalegre, Portugal.
Gaspar. 1981. Portugal em mapas e números. Lisbnne, Livros Horizonte.
Gobierno du Portugal. 1940. O plano de povoamento florestal. Lisbonne, Ministère de l'agricultura.
Gobierno du Portugal. 1990. Duarte, C. Intervenção ; discussão do Projecto de Lei 532/V. Grupo Parlementar do Partido Social Democrático, Assembleia da República, Lisboa, 30 novembre de 1990.
Gobierno du Portugal. 1992. Condesso, F. Intervenção. Grupo Parlementar do Partido Social Democrático, Assembleia da República, Lisboa, 2 de julio de 1992.
INE. 1991. Censos 91. XIII recensemento da população, III recensemento geral de habitação - norte; resultados preliminares. Lisboa, Instituto Nacional de Estatística.
JCI. 1941. Plano geral do aproveitamento dos baldíos reservados. Volume II, Os distritos de Viana de Castelo e Vila Real. Lisboa, Ministerio de Economía.
Ostrom, E.1992. The rudiments of a theory of origins, survival and performance of common-property institutions. En: Bromley, D.W., Feeny, D., McKean, M.A., Peters, P., Gilles, J.L., Oakerson, R.J., Runge, C. et Thomson, J.T. (éds). Making the commons work: theory, practice and policy. San Francisco, California EE.UU., Institute for Contemporary Studies Press.
Peixoto, R. 1908. Formas da vida comunalista. En: Vilaverde Cabral, M. ed. Materiais para a história da questão agrária em Portugal, p. 391-407. Porto, Portugal. Editorial Inova 1974,
Polanah, L. 1981. Comunidades camponêses no parque nacional da Peneda Gerês. Lisbonne, Serviçio Nacional de Parques, Reservas e Património Paisigístico.
Rodrigues, M. 1987. Os baldios. Lisbonne, Caminho.