Land issues and violence in Africa: prevention of conflicts, drawing from the case of North Kivu (1940 to 1994)
Since 1993, northern Kivu, in eastern Democratic Republic of the Congo (former Zaire) has been the scene of large-scale violent fighting between rural groups of differing socio-ethnic origin. Between March 1993 and early 1996, tens of thousands of civilians were killed and hundreds of thousands displaced. This slaughter is the culmination of a long process of escalating conflict fuelled by a number of factors: the demographic and ethnic imbalances resulting from migration, the expropriation of smallholders, the uncertainties and confusion of nationality and, finally, political manipulation. This article summarizes the causes of this escalation of tension and its violent polarization. It suggests lines of action that might prevent or at least restrain the emergence of similar conflicts, concentrating on three intervention areas: rural development, land management and governance.
Problemas de tenencia y violencia en �frica: la prevenci�n de los conflictos a partir del caso del norte de Kivu (1940-1994)
A partir de 1993, en la parte septentrional de Kivu (al este de la Rep�blica Democr�tica del Congo, antiguo Zaire) se han registrado enfrentamientos violentos entre grupos de campesinos de distintos or�genes sociales y �tnicos. Esa violencia ocasion� decenas de miles de muertos entre la poblaci�n civil y el desplazamiento de cientos de miles de personas entre marzo de 1993 y el comienzo de 1996. Tales masacres son el resultado de un proceso hist�rico de agravamiento de los conflictos en el cual interfieren numerosos tipos de tensiones: los desequilibrios demogr�ficos y �tnicos derivados de las migraciones, la privaci�n de la tenencia de los campesinos, las incertidumbres y la confusi�n en relaci�n con las cuestiones de la nacionalidad y, por �ltimo, las manipulaciones pol�ticas. En el art�culo se resumen las causas de este proceso de escalada y de polarizaci�n violenta de las tensiones. Luego se proponen diversas posibilidades de actuaci�n orientadas a prevenir o limitar la aparici�n de tales conflictos en los tres sectores de intervenci�n: desarrollo rural, gesti�n de la tenencia, gobierno.
Institut d'�tudes du d�veloppement, Universit� catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique
Facult� de droit, Universit� de Bukavu, R�publique d�mocratique du Congo
Facult� d'agronomie, Universit� de Butembo, R�publique d�mocratique du Congo
Depuis 1993, la partie nord du Kivu (est de la R�publique d�mocratique du Congo, ex-Za�re) a �t� le lieu d'affrontements massifs et violents entre groupes de paysans d'origines socioethniques diff�rentes. Ces violences ont fait des dizaines de milliers de morts civils et des centaines de milliers de personnes d�plac�es entre mars 1993 et d�but 1996. Ces massacres sont le r�sultat d'un processus historique d'escalade conflictuelle attis�e par plusieurs facteurs de tension: les d�s�quilibres d�mographiques et ethniques r�sultant des migrations; la d�possession fonci�re de la paysannerie; les incertitudes et la confusion relatives aux questions de nationalit�; et, enfin,
les manipulations politiques. L'article r�sume les causes de ces processus d'escalade et de polarisation violente des tensions. Il propose ensuite diverses lignes d'action susceptibles de pr�venir ou de limiter l'�mergence de tels conflits dans trois domaines d'intervention: le d�veloppement rural, la gestion fonci�re et la gouvernance.
Dans de nombreuses r�gions d'Afrique, les conflits dont font l'objet la terre et les ressources naturelles semblent devenir plus nombreux et plus violents. Un certain nombre de causes et de facteurs structurels sont souvent invoqu�s pour expliquer cette situation (Chauveau et Mathieu, 1998), notamment:
Les d�placements rapides et importants de population et les op�rations d'am�nagement de l'espace ont comme caract�ristique commune de cr�er des situations fonci�res nouvelles, et cela bien souvent sans que ni l'Etat, ni les m�canismes sociaux endog�nes n'aient d�fini la fa�on socialement acceptable dont les nouvelles valeurs du foncier pourront �tre redistribu�es et g�r�es. Dans de telles situations, ces changements rapides accroissent la raret� et la valeur de la terre, tout en modifiant l'�quilibre des pouvoirs dans l'espace local. Cela cr�e des opportunit�s de changement et des enjeux � deux niveaux: manipulations et sp�culations fonci�res profitables (appropriation des ressources), d'une part, recompositions politiques (restructuration des rapports de pouvoir), d'autre part. La colonisation agraire ou l'am�nagement technique de l'espace cr�ent donc n�cessairement des enjeux (� ces deux niveaux), des opportunit�s (surtout pour les plus riches, les plus puissants, les mieux inform�s ou ceux b�n�ficiant de relations et les plus rus�s), et des risques (pour les plus faibles). Toute intervention technique ou modification rapide du rapport populations/ressources entra�ne ainsi des implications sociales et des enjeux de pouvoir.
En fait, aucune des sources de tensions mentionn�es ci-dessus ne constitue � elle seule une cause n�cessaire et suffisante de conflits fonciers graves. Les processus conflictuels s'articulent selon des encha�nements variables entre diverses sources de tensions qui aboutissent � la remise en cause des r�gles auparavant reconnues comme l�gitimes pour l'attribution des diff�rents droits fonciers. En outre, les causes et les dimensions fonci�res et non fonci�res, li�es � l'environnement �conomique et politique, doivent �tre �galement prises en consid�ration pour rendre compte des diff�rents types de conflits.
Le Masisi est une zone de 4 700 km2 au nord-ouest de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Ces collines fertiles, encore bois�es et tr�s peu peupl�es au d�but de ce si�cle (12 habitants au kilom�tre carr� en 1940) ont attir� des flux importants de migrants en provenance du Rwanda depuis plus de 50 ans: immigration massive d'abord encadr�e et organis�e par les autorit�s coloniales (d�s 1937) puis largement spontan�e, suite aux famines et aux affrontements politico-ethniques entre Hutus et Tutsis au Rwanda voisin. Au d�but des ann�es 90, les diverses cat�gories de populations d'origine rwandaise (dont certaines, les plus anciennes, avaient obtenu la nationalit� za�roise entre l'ind�pendance et 1981) �taient devenues majoritaires, repr�sentant au moins 70 pour cent de la population totale de la zone de Masisi (estim�e � 800 000 personnes d�but 1994) et probablement entre 30 pour cent et 50 pour cent de la population du Nord-Kivu (trois millions d'habitants). Les densit�s effectives approchaient 300 habitants au kilom�tre carr� pour les terres cultiv�es par les paysans, alors que des propri�taires �trangers � la zone (politiciens, commer�ants, aussi bien za�rois que migrants r�cents d'origine rwandaise) occupaient, avec des titres fonciers officiels, de grands domaines de plantations et d'�levage extensif obtenus bien souvent en expulsant les paysans qui, auparavant, exploitaient ces terres.
Depuis 1991 et en particulier mars 1993 (donc bien avant l'arriv�e massive des r�fugi�s du Rwanda en juillet 1994), une grande partie de cette r�gion du Nord-Kivu, autour de la zone du Masisi au nord de Goma, a �t� le th��tre d'affrontements meurtriers entre groupes locaux anciennement implant�s (Hunde, Nyanga, Tembo) et membres de divers groupes Banyarwanda1. Parmi ceux-ci, certains �taient �tablis de longue date au Nord-Kivu, particuli�rement les habitants du canton traditionnel du Bwisha, � la lisi�re est du Nord-Kivu, inclus dans le Congo depuis les d�coupages des fronti�res coloniales de 1885-1910, mais qui faisait partie des royaumes historiques du Rwanda � l'�poque pr�coloniale. La plupart des Banyarwanda du Nord-Kivu sont cependant arriv�s au Masisi � partir de 1937, dans les d�placements de population organis�s par les autorit�s coloniales belges. Ces migrations ont continu� et sont rest�es importantes apr�s l'ind�pendance du Congo et du Rwanda. D�s les ann�es 60 cependant, la cohabitation difficile entre autochtones et migrants dans le Masisi avait entra�n� des tensions sociales tr�s vives. Celles-ci s'exprimaient principalement sur deux terrains: la rivalit� politique au sein des institutions politiques r�gionales, et des litiges locaux d'origine fonci�re entre paysans. Ces litiges �taient violents, souvent avec mort d'hommes, et ils ont �t� de plus en plus nombreux dans tout le Nord-Kivu (pas uniquement entre les groupes autochtones les plus anciens et les Banyarwanda) � partir de 1979 (Katuala-Kabala, 1984).
A partir des ann�es 60, tensions et incertitudes ont cr�� un sentiment de pr�carit� �conomique et d'ins�curisation fonci�re parmi les petits paysans en butte aux vexations et � l'arbitraire tant des chefs coutumiers locaux que des autorit�s administratives za�roises. Les discours des politiciens des deux bords, mobilisant leur �lectorat sur une base identitaire et cultivant les inqui�tudes et le ressentiment r�ciproque de paysanneries au bord de l'�touffement �conomique et foncier, ont exacerb� une angoisse socio�conomique croissante et des �logiques pers�cutrices�2 qui se sont cristallis�es sur deux facteurs centraux: la terre (la s�curit� fonci�re) et l'identit� (le droit � la nationalit� za�roise des divers groupes qualifi�s de Banyarwanda). Au terme de la Conf�rence nationale (1990-1992) et � l'approche d'�lections in�vitables, des massacres ont �t� d�clench�s en mars 1993 par des groupes de jeunes paysans autochtones, sans doute organis�s et manipul�s par les politiciens locaux. En quelques mois, les violences perp�tr�es par des milices et des bandes arm�es des deux camps ont fait entre 10 000 et 14 000 morts (suivant les estimations) et plus de 200 000 personnes d�plac�es pour �chapper aux exactions et au �nettoyage ethnique� ex�cut� par ces milices. Apr�s une br�ve accalmie d�but 1994, les m�mes troubles ont repris et ont connu une escalade continue des moyens utilis�s, du niveau de violence et du nombre de combattants avec l'arriv�e des anciennes FAR (Forces arm�es du Rwanda) et des Interhamwe dans les camps de Goma apr�s juillet 1994. En novembre 1994, une nouvelle �guerre du Masisi� reprend et s'�tend rapidement aux zones avoisinantes (Rutshuru, Walikale), apr�s que des membres des FAR et ex-Interhamwe arriv�s avec les r�fugi�s aient commenc� � intervenir dans les zones au nord de Goma (vols de b�tail des �leveurs tutsis, attaques de villages hunde). En mai 1996, les associations locales de droits de l'homme estimaient le nombre total de morts � 70 000 et celui des personnes d�plac�es � 250 0003. Cette escalade de la violence s'est poursuivie et �tendue ensuite dans tout le Kivu jusqu'� l'entr�e en sc�ne de l'AFDL (Alliance des forces d�mocratiques de lib�ration du Congo) et de ses alli�s fin octobre 1996.
On observe ici un cas de conflit complexe et �multidimensionnel� (Pourtier, 1996). Parmi les causes de l'escalade des tensions, il y a un malentendu foncier originel et une comp�tition � la fois fonci�re et politique entre les groupes. Un autre facteur est l'ins�curisation fonci�re structurelle et croissante � partir des ann�es 70, ins�curit� qui s'est exprim�e par de multiples conflits fonciers locaux et violents, � partir de 1979. Dans l'histoire de ce conflit, les enjeux de s�curisation et les conflits locaux, associ�s � d'autres sources de tensions, ont conduit � une escalade progressive qui s'est �cristallis�e� finalement sous la forme de combats rang�s dont le but �tait l'exclusion ou la destruction de l'autre groupe.
Apr�s avoir bri�vement r�sum� les causes complexes de l'escalade conflictuelle dans le cas du Nord-Kivu, le texte examine ensuite les types d'actions qui auraient pu pr�venir et limiter ces dynamiques conflictuelles. Ces propositions pr�sentent des axes d'interventions � prendre en compte de fa�on prioritaire dans une perspective de pr�vention des conflits li�s � la terre. Elles sont bien s�r tardives et sans doute inutiles � court terme dans le cas pr�cis du Kivu. Elles peuvent cependant �tre pertinentes pour le futur dans d'autres contextes africains: comment �viter la g�n�ralisation des escalades conflictuelles violentes � partir de situations de raret� fonci�re et d'incertitudes institutionnelles qui risquent de devenir plus fr�quentes. De nombreuses zones d'Afrique sont aujourd'hui, ou peuvent �tre demain, dans des situations analogues � celle du Kivu depuis une vingtaine d'ann�es: forte pression fonci�re, cohabitations ethniques difficiles entre des groupes diversifi�s, administrations et Etats affaiblis et instables.
Les processus historiques d'escalade du niveau de violence dans les conflits au Nord-Kivu r�sultent de causes multiples et complexes. Deux principaux facteurs d'inqui�tude et d'accroissement des tensions ont jou� un r�le d�terminant durant ces 25 ann�es: la question fonci�re et celle de la nationalit�.
La question fonci�re peut se r�sumer en quelques mots:
La gestion fonci�re (par les chefs coutumiers et les institutions l�gales modernes en interaction) a �t� � la fois un lieu d'enrichissement pour ceux qui la contr�laient et une cause d'inqui�tude (crainte d'�tre d�racin�s des terres qu'ils occupaient) pour ceux qui ne la contr�laient pas, donc pour les paysans des groupes craignant d'�tre exclus ou minoris�s dans le jeu du pouvoir politique.
La question de la nationalit� a �t� marqu�e par deux l�gislations successives et contradictoires promulgu�es � 10 ans d'intervalle (Pabanel, 1991).
La question de la nationalit� des migrants venus du Rwanda (mais � des �poques tr�s diff�rentes) a donc �t� marqu�e par une confusion politico-juridique inextricable, qui en a fait une question litt�ralement �ind�cidable�. Il �tait devenu impossible, dans le contexte institutionnel et politique du Za�re entre 1981 et 1993, de dire �qui �tait za�rois et qui ne l'�tait pas� au Nord-Kivu. Or, pour les acteurs locaux (les paysans, mais aussi les intellectuels et politiciens li�s aux premiers), la r�ponse � cette question �tait d'une importance vitale. En effet, dans le contexte de la d�mocratisation parachut�e et assez chaotique du Za�re (1990, autorisation du multipartisme; 1990-1992, Conf�rence nationale souveraine), le r�glement de la question de la nationalit� allait n�cessairement d�terminer quel serait, apr�s les �lections, le groupe ethnique capable de contr�ler les majorit�s politiques des assembl�es r�gionales, et donc le pouvoir politique dans les provinces. Derri�re la question de la nationalit�, il y en avait donc deux autres: celle de la comp�tition pour le pouvoir politique r�gional, et celle de la l�gitimit� sociale de l'implantation des migrants (anciens ou r�cents) d'origine rwandaise. Cette l�gitimit� �tait elle-m�me affaire de perceptions sociales et constituait l'enjeu des discours et des processus de repr�sentation id�ologique du groupe rival. Ainsi, la comp�tition politique et l'ins�curisation fonci�re s'associaient dans un contexte de client�lisme, de corruption institutionnelle et de paup�risation rurale intense pour cr�er un terrain favorable aux appels � l'extr�misme et � la violence de la part des politiciens li�s aux deux groupes ethniques.
Trois autres facteurs ont fortement contribu� aux dynamiques d'escalade conflictuelle entra�nant une mont�e en puissance des formes de violence et une radicalisation progressive des oppositions entre groupes socioethniques.
Les discours de politiciens x�nophobes ont pu d'autant plus facilement influencer l'imaginaire social qu'il n'y avait pas d'autres ar�nes de communication pour n�gocier ou arbitrer les pr�tentions politiques et fonci�res concurrentes des groupes en pr�sence. Aucun espace institutionnel de communication n'�tait disponible pour une n�gociation ou un arbitrage � propos des multiples enjeux et motifs de discorde entre les groupes sociaux: comp�tition pour la terre, pour les revenus, pour le pouvoir et question des identit�s nationales. Aucune de ces questions n'a trouv� de lieu d'arbitrage l�gitime et efficace ou de confrontation dialogu�e. Les seuls registres de communication sur ces questions et ces inqui�tudes ont �t� les discours des politiciens et les rumeurs populaires (souvent orchestr�es par ceux-ci).
L'Etat n'arbitrait pas r�ellement la comp�tition fonci�re car il n'avait ni la force, ni la l�gitimit�, ni la volont�, ni les ressources humaines et techniques pour le faire. Les agents de l'Etat accordaient des titres fonciers en contrepartie de paiements informels et en collusion avec les pouvoirs fonciers coutumiers. Ceux-ci ne contr�laient plus une comp�tition pour la terre qui mettait en jeu des sommes d'argent et des niveaux de pouvoir qui les d�passaient. Bon nombre de chefs coutumiers locaux (bami) se sont disqualifi�s par leur v�nalit� et leur d�pendance � l'�gard du politique moderne. Enfin, le march� foncier (qui est aussi une forme possible de r�gulation de la concurrence pour les ressources) �tait officiellement absent, mais en fait pr�sent (ou �mergent) sous une forme largement occulte, imparfaite, opaque et tributaire du politique, � travers les m�canismes de corruption et les relations client�listes.
Cette situation � premi�re vue chaotique b�n�ficiait en fait aux acteurs les plus riches et les plus puissants. Ceux-ci ont obtenu de vastes superficies de terres sous le r�gime juridique de la concession fonci�re � partir du milieu des ann�es 70. Une caract�ristique importante de cette situation �tait l'absence d'institutions juridiques de recours ou d'arbitrage accessibles et cr�dibles. Aussi bien dans la sph�re coutumi�re que dans les institutions �tatiques, il n'y avait aucun espace institutionnel cr�dible et accessible aux acteurs du foncier �� la base� (les petits paysans) pour exprimer leurs plaintes ou rechercher un arbitrage des litiges r�sultant d'une comp�tition fonci�re in�gale.
Enfin, la pr�sence d'importants groupes de jeunes d�soeuvr�s et de paysans sans terre, sans espoir d'acc�der � une vie �conomique et sociale �normale�, a �t� au Kivu, comme dans d'autres cas r�cents de violences de masse (Rwanda, 1994; S�n�gal-Mauritanie, 1989), un facteur d�cisif des violences massives. Ceux qui �taient d�poss�d�s de tout (et surtout d'espoir) dans la paix ont fini par croire qu'ils n'avaient rien � perdre et tout � gagner dans la violence meurtri�re et dans la guerre.
Lorsque des groupes sociaux entiers ont eu la conviction d'�tre menac�s dans leur survie mat�rielle (l'acc�s � la terre) et sociale (l'acc�s au pouvoir politique), la vis�e d'une ��limination s�curitaire� et violente de l'autre groupe a �t� facilement l�gitim�e comme une solution �vidente et n�cessaire par les discours de certains politiciens et intellectuels d�s 1991. A partir de ce moment, la violence du massacre populaire est devenue l'option la plus facile pour apaiser l'angoisse, � d�faut de r�soudre les vrais probl�mes ayant provoqu� celle-ci.
Une des causes primordiales favorisant les conflits fonciers locaux est la pauvret�, le d�nuement, le manque de terres des petits paysans pour qui l'agriculture est synonyme de subsistance.
Une des premi�res recommandations est donc d'appuyer les actions de d�veloppement rural b�n�ficiant aux petits paysans, notamment dans les domaines suivants: cr�ation d'emplois ruraux non agricoles (diminuant la pression sur les terres), diffusion de progr�s techniques agricoles (permettant de conserver les sols fragiles, d'augmenter les rendements et donc les revenus qui peuvent �tre obtenus � partir de parcelles de petite taille), et am�lioration de la commercialisation et/ou des prix agricoles (augmentant le revenu mon�taire tir� d'une m�me production physique).
Les recommandations sont au nombre de trois:
Recommandation 1 - Un d�veloppement rural incorporant la cr�ation d'activit�s non agricoles: artisanat, transformation des produits agricoles. Un processus de d�veloppement rural int�grant agriculture et activit�s non agricoles, contribuant ainsi � all�ger la pression sur la terre en cr�ant des opportunit�s de revenus et des emplois non directement tributaires de la production agricole et de la terre comme facteur limitant.
Recommandation 2 - Un d�veloppement agricole soutenant les possibilit�s d'intensification et de diversification, par des activit�s accessibles aux paysans: arboriculture, commercialisation du petit �levage, int�gration agriculture-�levage, commercialisation des produits vivriers, intensification des cultures paysannes de rente (caf�, pyr�thre, papa�ne, etc.). Un tel soutien au secteur de la production agricole paysanne passe par de nombreuses actions sectorielles (innovations agronomiques et techniques, cr�dit, commercialisation, formation, etc., dans une approche g�n�rale d'appui aux initiatives locales, approche souple et adaptable aux sp�cificit�s locales, oppos�e aux recettes et paquets technologiques tout pr�ts et uniformes pour toute une r�gion.
Recommandation 3 - Equilibrer les relations entre l'agriculture paysanne et le secteur agricole capitaliste �moderne� latifundiaire (concessions de grande surface, plantations modernes, domaines d'�levage extensif). Le secteur d'�levage extensif en particulier -fortement encourag� par diverses aides ext�rieures - a constitu� un facteur d'accroissement de la comp�tition fonci�re et de la polarisation sociale, sans g�n�rer de revenus (priv�s) r�investis sur place, ni de revenus publics (taxes, imp�ts) qui auraient pu financer le d�veloppement r�gional.
Pour toute action de d�veloppement, il s'agit donc de savoir quel type d'agriculture et quelles cat�gories sociales sont favoris�s ou d�favoris�s par les actions de l'homme. Dans un espace rural dens�ment peupl�, toute action technique qui accro�t les capacit�s d'expansion d'une utilisation sp�cifique de l'espace par une cat�gorie sociale se fera en effet n�cessairement aux d�pens d'autres groupes, et en entra�nant des tensions sociales accrues. Dans la d�finition de leurs priorit�s, les aides ext�rieures et les plans de d�veloppement r�gional devraient donc anticiper et prendre en compte toutes les cons�quences sociales des options techniques et sectorielles qu'elles envisagent d'appuyer.
Pour �viter que le secteur de l'agriculture extensive dit �moderne� (latifundia) soit une cause de conflits fonciers et de polarisation sociale excessive, l'extension de ce secteur doit �tre contr�l�e et r�gul�e dans la perspective d'un d�veloppement r�gional int�gr�. Cela implique l'existence d'institutions r�gionales de pilotage du d�veloppement, anim�es par des administrations gestionnaires et comp�tentes, entretenant des relations de concertation avec les acteurs et op�rateurs de d�veloppement de la soci�t� civile.
Orientation g�n�rale. Favoriser la transparence et la communication sur les objets et enjeux d'affrontements, � partir de l'existant et non � partir de r�glementations nouvelles.
Pour illustrer cette perspective, nous reprenons ici un passage des conclusions d'une �tude sur les probl�mes fonciers dans le centre-ouest ivoirien, r�gion �galement marqu�e par de nombreux conflits fonciers et des relations interethniques tendues:
Recommandations op�rationnelles en mati�re fonci�re. De tr�s nombreuses actions institutionnelles et fonci�res peuvent accro�tre la s�curisation fonci�re en limitant les facteurs d'incertitude. Il n'est sans doute pas r�aliste, � court terme, de vouloir proposer de nouvelles l�gislations fonci�res, puisque ce sujet est hautement politis� et conflictuel, et que la meilleure l�gislation ne vaut que par les administrations charg�es de sa mise en oeuvre et par son ad�quation avec la soci�t� o� elle s'inscrit.
Sans passer � des interventions lourdes, longues et tr�s politiques de modification des l�gislations fonci�res, des actions pragmatiques sont possibles et devraient s'inspirer de quelques principes simples en mati�re fonci�re:
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Quelques exemples d'actions pouvant contribuer � la clarification et � la s�curisation des droits fonciers des paysans Favoriser l'enregistrement �crit et syst�matique des transactions fonci�res, avec l'appui des administrations locales, form�es et �quip�es pour le faire. L'enregistrement �crit des transactions fonci�res (ventes, locations, h�ritages) est une pratique nouvelle et en extension, �manant au d�part des paysans eux-m�mes, et qui peut certainement contribuer � diminuer les litiges ainsi que les possibilit�s d'arbitraire des autorit�s coutumi�res, ainsi qu'� accro�tre le niveau g�n�ral de s�curit� des transactions et des droits fonciers. De fa�on pragmatique et sans modifications l�gislatives, cette pratique peut m�me �tre syst�matis�e et renforc�e par une �reconnaissance administrative� des modes d'enregistrement locaux (semi-formels) des transactions, lorsque ce sont des administrations locales qui enregistrent ou authentifient de fa�on pragmatique les documents attestant des transactions fonci�res entre paysans. Au Rwanda (avant 1994), en C�te d'Ivoire, au Burkina Faso notamment, cette pratique administrative a jou� ou joue encore un r�le significatif. (Bruce, Migot-Adholla, et Atherton, 1994; Mathieu, 1996a). Faciliter l'acc�s des paysanneries � l'information et aux proc�dures relevant du droit foncier moderne, en vue de leur permettre d'utiliser ces proc�dures pour s�curiser leurs droits fonciers. Cet acc�s � l'information et � une certaine ma�trise des proc�dures de droit �crit peut �tre appuy� par l'action d'ONG locales de service, travaillant en milieu rural avec l'aide de �juristes aux pieds nus� se chargeant de vulgariser l'information sur les lois fonci�res en milieu rural, et jouant un r�le d'interm�diaire en dispensant des conseils en mati�re de proc�dures. De telles actions ne sont pas possibles dans n'importe quel contexte social et ne peuvent �tre r�alis�es que par des personnes ou des organisations connaissant bien le milieu social. Des actions de ce type ont �t� tent�es ou sont en cours dans certains pays africains (S�n�gal, Niger et Afrique du Sud). Projets de d�veloppement agricole et gestion des ressources naturelles, incorporant un volet de s�curisation fonci�re. Dans ce type de projet, la s�curisation des droits fonciers est li�e � des interventions communautaires pour la gestion des ressources naturelles: actions de reboisement, conservation des eaux et des sols et am�nagement de bassins versants. Des exp�riences int�ressantes dans ce sens ont �t� r�alis�es (notamment � Madagascar et au Sahel) associant ces actions avec une s�curisation juridique des droits fonciers paysans. Formation, appui et suivi des administrations fonci�res r�gionales. �Le rem�de efficace au probl�me des spoliations des terres r�side dans l'intervention du l�gislateur. Ce dernier doit, au sens de l'article 385 de la loi n� 73-021 du 20 juillet 1973, d�finir la nature juridique des droits immobiliers li�s aux terres des communaut�s locales. Cette d�finition devra aller de pair avec le recensement de ce qui reste encore des terres coutumi�res et de leurs d�tenteurs. L'intervention du l�gislateur ne deviendra efficace qu'avec le recyclage et la formation tant technique que morale de nos agents du Service des titres fonciers, ainsi que de tous ceux qui interviennent dans le processus d'octroi des terres, qu'ils soient cadres politico-administratifs ou autorit�s coutumi�res. Cela �viterait les enqu�tes de vacance de complaisance. La solution au probl�me des �spoliations� requiert aussi une justice r�aliste et �quitable fond�e essentiellement sur les descentes sur les lieux des concessions litigieuses et l'information juridique et judiciaire du peuple sur ses droits� (Katuala, 1984). |
Orientation g�n�rale. La s�curisation ou la pacification du foncier et l'ensemble de la d�marche �clarification de la nationalit� n'auraient �t� r�alisables au Kivu qu'en �tant accompagn�s de processus de communication relevant � la fois du politique et de la soci�t� civile:
Propositions op�rationnelles. Appuyer l'Etat pour que celui-ci engage un processus de d�centralisation qui contribue � sa r�habilitation aux yeux des populations locales et rende plus efficaces ses interventions. Pour ce faire, des actions de coop�ration pourraient notamment:
1Cette appellation d'usage courant dans l'est du Za�re servait � d�signer (depuis les ann�es 40) toutes les personnes install�es dans la r�gion et ayant en commun des racines culturelles et/ou g�ographiques rwandaises, ainsi que l'usage de la m�me langue (le kinyarwanda, parl� au Rwanda). Cette d�signation tr�s englobante et apparemment �vidente (les individus ainsi d�sign�s sont en effet clairement identifiables, au moins par l'usage de la langue) recouvrait en fait des groupes sociaux tr�s divers: les petits paysans (hutus) n�s au Masisi de parents transplant�s par le pouvoir colonial dans les ann�es 40, les paysanneries de culture rwandaise habitant le canton du Bwisha depuis des si�cles (historiquement rattach�es aux royaumes traditionnels du Rwanda), les migrants clandestins (agriculteurs hutus) arriv�s du Rwanda � la recherche de terres avant ou apr�s 1960, les �leveurs tutsis arriv�s avec leur b�tail � diverses �poques, ou encore les intellectuels et hommes d'affaires cosmopolites (souvent aussi d'origine tutsi) arriv�s en plusieurs vagues � partir de 1959.
2Selon l'expression de Willame (1997): ce terme indiquant que chaque groupe se voit menac� par la malveillance et le complot des �autres� soup�onn�s de part et d'autre de vouloir l'�limination du groupe rival.
3Chiffres rapport�s par le journal za�rois Le Soft, 6 mai 1996, cit� par Pourtier (1996).
4Ue pr�sentation r�sum�e de cette intervention pacifiante de la soci�t� civile se trouver dans l'ouvrage de Willame (1997), p. 124-130, et dans la revue Dialogue (Bruxelles) n� 192 (1996), p. 47-49.
Bruce, W., Migot-Adholla, S. et Atherton, J. 1994. The findings and their policy implication: institutional adaptation or replacement. In J. W. Bruce et S. Migot-Adholla (�ds), Searching for land tenure security in Africa. Kendall/Hunt Publishing Company, for the World Bank, Dubuque, Iowa, Etats-Unis..
Chauveau, J.-P. 1994. Jeu foncier, institutions d'acc�s � la terre et usage de la ressource. Une �tude de cas dans le centre-ouest ivoirien. Colloque Crises, ajustement et recomposition en C�te d'Ivoire, ORSTOM-GIDIS-CI. (� para�tre)
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