ETUDE DE MARCHÉ PRÉLIMINAIRE SUR LES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX COMMERCIALISÉS DANS LES MARCHÉS DE POINTE-NOIRE (CONGO-BRAZZAVILLE)

Victor Kimpouni

Résumé

Cette étude préliminaire sur les PFNL au Congo-Brazzaville concerne uniquement la ville de Pointe-Noire. Un certain nombre d'études ethnobotaniques ont montré que la flore congolaise fournit une game diversifiée de PFNL qui sont commercialisés. Beaucoup de ces produits ont été rencontrés au cours de notre enquête. En terme de quantité, les PFNL les plus importants sont les feuilles d'emballage, les aphrodisiaques, les plantes rituelles, les légumes feuillus tels que Gnetum africanum et bucholzianum, les plantes utilisées pour les arts et l'artisanat et le vin de palme, obtenu à partir de Elaeis guineensis et Raphia vinifera.

Mots clés: Congo-Brazzaville, Pointe-Noire, produits forestiers non ligneux, marchés.

1. Introduction

Dans la République du Congo, les PFNL en tant que tels n'ont pas fait l'objet d'études très importantes, sauf dans le cadre du PAFT du Congo (Profizi et al., 1993). Cependant, un certain nombre d'études ethnobotaniques (Adjanohoun et al., 1988; Kimpouni, 1993, Kimpouni et Koubouana, 1997), suggère que les catégories principales de PFNL sont les plantes alimentaires et les plantes médicinales. Les études de marché, basées sur les produits ayant une valeur économique, ne reflètent pas bien l'importance réelle des ces PFNL. En effet, ces études ne prennent pas en compte la grande variété de produits destinées à l'usage domestique et qui n'entrent donc pas dans les circuits commerciaux officiels.

Cette étude préliminaire, basée sur des études de marché, analyse les principaux PFNL à haute valeur économique, en mettant en évidence la grande variété des PFNL issus de la forêt et en soulignant la valeur importante de ces produits pour la population locale.

2. Le site étudié

Pointe-Noire, la capitale économique du Congo, est la deuxième ville par ordre d'importance après la capitale Brazzaville. Située entre l'Océan Atlantique et le Mayombe, Pointe-Noire (4°53'S et 11°49'E) dispose d'un accès libre vers les marchés du Gabon au nord et aux marchés du Congo-Kinshasa (via Cabinda) au sud. Les deux marchés principaux de Pointe-Noire sont le Marché Central (ou «Grand marché»), ouvert 5 jours par semaine, et le marché «Tie-Tie», ouvert 6 jours par semaine. Pointe-Noire compte également deux autres marchés moins importants: le "marché de la gare" et le "marché de frontière". Ces marchés ne sont pas inclus dans notre étude.

3. Méthodologie

Pour les besoins de notre étude, nous avons suivi la méthodologie décrite par Clark et Sunderland (voir dans la présente publication). Cette méthodologie comprend un inventaire botanique approfondi des étals de marchés et des interviews en profondeur auprès de nombreux vendeurs. Lors de ces interviews on rassembla les données suivantes: les parties de plantes collectées, leurs utilisations, les techniques de conservation des produits, l'environnement écologique dans lequel les produits ont été recoltés, et enfin toute autre information pertinente complémentaire.

Résultats

4.1. Les principaux PFNL

Lors de notre étude, nous avons identifié une centaine d'espèces de PFNL utilisées pour l'alimentation, la pharmacopée traditionnelle, les arts et l'artisanat, l'emballage, etc. (voir l'annexe 1). Les dix PFNL les plus commercialisés (en quantité et en fréquence dans nos inventaires) peuvent être classés en 5 catégories principales:

· Les plantes alimentaires (fruits forestiers ou légumes);

· Les aphrodisiaques, les plantes utilisées dans la magie et les rites et les plantes médicinales;

· Les plantes utilisées pour la fabrication de boissons (alcoolisées et non alcoolisées);

· Les plantes utilisées dans les arts et l'artisanat;

· Les plantes utilisées pour l'emballage des aliments.

4.1.1. Les plantes alimentaires

Durant la période d'étude, de mars à avril, on trouva peu de fruits frais venant de la forêt tels que Dacryodes edulis. Ceci vient du caractère saisonnier de la production de fruits, qui explique l'absence de fruits forestiers dans les marchés locaux durant la période d'observation. En revanche les plantes alimentaires les plus courantes lors de cette période sont les légumes Gnetum africanum, G. bucholzianum et Basella alba et les condiments Piper guineense et Xylopia aethiopica.

4.1.2. Aphrodisiaques, plantes magiques et rituelles, plantes médicinales

Les plantes appartenant à cette catégorie sont utilisées dans des rites de magie pour éloigner les mauvais esprits ou comme aphrodisiaques pour stimuler la libido. Dans la plupart des cas, le vendeur n'était pas un praticien traditionnel et il ne connaissait ni les plantes utilisées dans les concoctions médicinales, ni le nom de la maladie qu'elles devaient soigner. C'est pourquoi nous n'avons pas d'informations sur le mode de préparation de la majorité des espèces médicinales citées dans l'annexe 1. Cependant, de nombreux étals de marchés vendent les parties de plantes servant dans des remèdes généraux de médecine traditionnelle. Ceux-ci sont utilisés pour soigner des maladies courantes tels que l'anémie, la diarrhée, la malaria, les maux d'estomac et les douleurs liées à l'accouchement. La majorité de la clientèle pour les espèces aphrodisiaques est composée d'hommes et d'adolescents alors que la majorité des autres espèces médicinales ou rituelles est achetée par des femmes âgées ou à des guérisseurs traditionnels.

4.1.3. Les boissons

Les espèces dont on tire le vin de palme sont Elaeis guineensis et Raphia vinifera, auxquelles on ajoute l'écorce de Garcinia kola pour renforcer le goût du vin et faciliter la digestion. On trouve aussi couramment dans le commerce une tisane à base d'infusion de Lippia adoensis.

4.1.4. Arts et artisanat

On utilise les fibres des fruits de Cocos nucifera et les nervures des folioles d'Elaeis guineensis pour la fabrication de balais, alors que les fibres de certaines espèces de Raphia spp. servent pour la confection de vêtements traditionnels. La vente de rotin (Eremospatha spp. et Laccosperma secundiflorum) n'est pas très répandue dans les marchés que nous avons étudiés. En effet, celle-ci se limite le plus souvent aux ateliers spécialisés en rotin.

4.1.5. Feuilles d'emballage

Les espèces les plus souvent utilisées pour l'emballage alimentaire appartiennent à la famille des Marantaceae (Megaphyrynium spp., Sarcophrynium spp., Marantochloa, etc... ), mais on utilise également les feuilles de Cyrtosperma senegalense et de Palistota spp. (de la famille des Commelinaceae).

4.2. Les vendeurs

La majorité des vendeurs que nous avons rencontrés sont généralement d'âge mur et possèdent une longue expérience dans la vente de produits forestiers. Comme l'étude a été réalisée sur une zone urbaine étendue, l'origine des vendeurs de PFNL et de leurs produits varie considérablement. Toutefois la majorité des vendeurs et des produits qu'ils commercialisent viennent de localités situées autour de Pointe-Noire (Niari, Lekoumou, Bouenza, Kouilou). Les vendeurs connaissent donc bien la demande locale ainsi que la préférence pour certains PFNL. Les seuls PFNL présents dans les marchés de Pointe-Noire et venant de contrées plus lointaines sont les feuilles d'emballage.

4.3. Traitement et conservation des produits

On conserve de nombreux PFNL (surtout les écorces, les racines et les autres structures végétatives lignifiées) par un traitement de séchage. Celui-ci peut être naturel ou faire appel à une source de chaleur telle qu'une gazinière. Certains produits, tels que Pterocarpus soyauxii, font l'objet d'un traitement ultérieur de broyage pour obtenir de la poudre.

Les feuilles de Gnetum spp. sont vendues entières ou finement hachées. Lorsqu'elles sont vendues hachées, elles ont une plus grande valeur sur le marché: à titre d'exemple, un paquet de feuilles de Gnetum entières est vendu au prix de 100 francs CFA, alors qu'en hachant les feuilles, le vendeur peut aisément vendre la même quantité à un prix situé entre 300 et 400 francs CFA.

5. Discussion

Ces études de marché, ainsi que d'autres recherches (Kimpouni & Koubouana, 1988; Profizi et al., 1993; Kimpouni, 1993; Kimpouni, en préparation; Adjanohoun et al., 1988) ont montré que le Congo-Brazzaville est riche en PFNL, avec une grande variété d'utilisations. Toutefois, le fait que quelques PFNL de grande valeur soient relativement peu représentés dans les marchés de Pointe-Noire ne signifie pas forcément qu'ils ne sont pas utilisés dans la région. Ceci peut s'expliquer par le fait que leur consommation et leur vente se limitent aux ménages ou que la vente est limitée au niveau du village.

Les produits forestiers les plus importants en termes de valeur d'usage dans les marchés urbains de Pointe-Noire sont les plantes médicinales, surtout les aphrodisiaques et les produits utilisés dans les rites et la magie. Leur importance, ainsi que leur diffusion dans les marchés, sont sans doute liées au fait que l'utilisation des connaissances traditionnelles et des plantes médicinales est très répandue dans la population locale.

Les PFNL utilisés dans l'industrie artisanale comme le rotin (Laccosperma secundiflorum et Eremospatha spp.) ne sont pas vendues dans les marchés les plus importants. Après leur récolte, on les amène directement dans des ateliers locaux où on organise également la vente des produits finis. Cependant il est possible de trouver certains articles d'artisanat à base de PFNL dans les marchés principaux, comme par exemple, certains outils fabriqués à base de feuilles de Marantaceae ou de tiges de Cyperus papyrus.

D'après les résultats de notre enquête, les PFNL étudiés ont un potentiel commercial, tant au niveau local qu'au niveau international. Dans les marchés locaux, on n'exploite pas pleinement le potentiel commercial de nombreux PFNL de valeur élevée, tels que les exsudats de Burseraceae, les amandes d'Irvingia et de Panda oleosa, les graines de Xylopia aethiopica et Ricinodendron heudelotii, alors que la demande internationale pour ces produits est très importante (Tabuna, dans la présente publication). Toute stratégie de développement du marché, se voulant à la fois rentable d'un point de vue économique et respectueuse de l'environnement, devra se baser sur une évaluation sérieuse des PFNL et de leur aménagement.

Références

Adjanohoun E.J. et al., 1988. Médecine traditionnelle et pharmacopée: Contribution aux études Ethnobotaniques et floristique en République populaire du Congo. ACCT, Paris, 605 p.

Kimpouni V. 1993. Le potentiel alimentaire de la flore sauvage des réserves naturelles d'Afrique centrale peut être évalué par interprétation des données ethnobotaniques disponibles dans les zones adjacentes. Thèse annexe (doctorat), Univ. Libre de Bruxelles, 30 p.

Kimpouni V. et Koubouna F. 1997. Etude Ethnobotaniques sur les plantes médicinales et alimentaires dans et autour de la réserve de Conkouahi 65 p. PROGECAP/GEF-Congo, UICN.

Kimpouni V. (en préparation). Contribution aux études ethnobotaniques et floristiques de la forêt de lossi (Nord-Congo): Plantes de cueillette à usage alimentaire.

Profizi J. P. et al., 1993. Plan d'action Forestier tropical du Congo: Les ressources végétales non ligneuses des forêts du Congo. Rapport d'étude, Fac. Sc. Univ. Marien Ngouabi, Brazzaville, 67 p. 5 annexes.

Annexe 1: Liste générale des PFNL trouvés dans les marchés de Pointe Noire au Congo-Brazzaville.