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1. LA METHODE STATISTIQUE DANS LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Comme dans toute autre branche de la science, la recherche forestière est basée sur une méthode scientifique familièrement appelée approche induco-déductive. Toute méthode scientifique passe par la formulation d’hypothèses à partir de faits observés, puis par des cycles successifs de déduction et de vérification. Les faits sont des observations qui sont considérées comme vraies, alors qu’une hypothèse est une conjecture provisoire concernant le phénomène à l’examen. Des déductions sont faites à partir des hypothèses, au moyen d’arguments logiques qui sont eux-mêmes vérifiés par des méthodes objectives. Le processus de vérification peut déboucher sur de nouvelles hypothèses, déductions et vérifications s’enchaînant dans un long processus au cours duquel émergent des théories, des principes et des lois scientifiques.

Ceci peut être illustré par l’exemple suivant : supposons que l’on observe que les arbres se trouvant aux limites d’une plantation poussent mieux que ceux qui sont à l’intérieur. L’une des hypothèses provisoires qui pourraient être formulées à partir de ce fait est « la croissance des arbres est plus rapide à la périphérie de la plantation, parce qu’il rentre davantage de lumière par les côtés ouverts ». On peut ensuite en déduire qu’en variant l’espacement entre les arbres, ce qui permet de contrôler la quantité de lumière qui rentre, on peut modifier la croissance des arbres. Ceci conduira à planifier une expérience d’espacement dans laquelle on plantera des arbres à des espacements différents, pour observer leur croissance. Si, à l’issue de cette expérience, on observe que des arbres plantés à la même distance n’ont pas la même croissance, on sera amené à formuler une deuxième hypothèse «  la variation de la fertilité du sol est la cause des différences de croissance ». Ceci pourrait conduire à planifier un nouvel essai d’espacement avec engrais. Si le chercheur observe à l’issue de celui-ci que des arbres soumis au même espacement et recevant la même dose d’engrais n’ont pas la même croissance, il peut être incité à conduire un essai d’espacement, avec engrais et variétés. A la fin d’une série d’expériences, on peut en arriver à la conclusion que la loi des facteurs limitants s’applique, c’est-à-dire que la croissance des plantes cultivées est entravée par le facteur environnemental le plus limitant.

Les deux principales caractéristiques d’une méthode scientifique sont sa répétabilité et son objectivité. Alors que ces conditions sont rigoureusement vérifiées dans le cas de nombreux processus physiques, les phénomènes biologiques sont caractérisés par la variation et l’incertitude. Des expériences répétées dans des conditions similaires ne donnent pas nécessairement les mêmes résultats, car elles sont soumises à des fluctuations dues au hasard. En outre, il est souvent impossible d’observer l’ensemble complet des individus qui forment la population et, dans de telles situations, les déductions doivent être faites sur la base d’un ensemble d’échantillons d’observations. La science des statistiques est utile pour choisir objectivement un échantillon, faire des généralisations valables à partir des observations faites sur l’ensemble d’échantillons, mais aussi pour mesurer le degré d’incertitude, ou la fiabilité, des conclusions tirées.

La collecte des données et leur interprétation sont deux aspects pratiques majeurs des investigations scientifiques. Les données peuvent être obtenues dans le cadre d’une enquête par sondage sur une population existant dans la nature, ou dans le cadre d’un plan d’expérience portant sur une population fictive. Les données collectées sont résumées et des informations utiles en sont extraites à l’aide de techniques d’inférence statistique. En outre, la simulation est une autre méthode, d’une importance capitale pour la recherche forestière, qui gagne du terrain depuis quelques années, avec l’apparition de l’informatique. Cette méthode est particulièrement utile dans le secteur forestier car les techniques de simulation peuvent remplacer des expériences en champ à grande échelle qui sont extrêmement coûteuses et longues. La méthode consiste à élaborer des modèles mathématiques captant la plupart des caractéristiques pertinentes du système examiné, puis à faire des essais sur ordinateur plutôt qu’en conditions réelles. Nous allons commencer par examiner quelques traits distinctifs supplémentaires de ces trois approches – à savoir enquête, expérience et simulation – avant de passer à une description détaillée des techniques concernées, dans les chapitres suivants.

Au sens large, toutes les études in situ impliquant des observations indépendantes sur la nature peuvent être classées dans la catégorie des enquêtes. Ces enquêtes peuvent être entreprises pour diverses raisons, par exemple pour estimer les paramètres d’une population, pour comparer des populations différentes, pour étudier le mode de distribution de certains organismes, ou pour découvrir les interactions entre plusieurs variables. Les relations observées dans le cadre de ces études sont rarement des relations de cause à effet, mais elles ont une valeur prévisionnelle. Les études portant sur des sciences comme l’économie, l’écologie et la biologie de la faune rentrent généralement dans cette catégorie. La théorie statistique des enquêtes repose sur l’échantillonnage aléatoire, qui assigne une probabilité de sélection donnée à chaque unité d’échantillonnage de la population.

Les expériences servent à vérifier des hypothèses dans des conditions que l’on maîtrise. Dans le secteur forestier, les expériences sont réalisées en forêt, en pépinière ou en laboratoire, à l’aide de traitements déterminés au préalable, sur des unités expérimentales bien définies. L’expérimentation repose sur les trois principes de la randomisation, de la répétition et du contrôle local, qui sont indispensables pour obtenir une estimation valable de l’erreur et réduire son ampleur. L’allocation aléatoire des unités expérimentales aux différents traitements garantit l’objectivité, la répétition des observations accroît la fiabilité des conclusions et le principe du contrôle local réduit l’incidence de facteurs extérieurs sur la comparaison des traitements. Les essais sylvicoles en plantations et en pépinières et les essais en laboratoire sont des exemples typiques d’expériences forestières.

Une expérimentation relative à l’état d’un système, faite à l’aide d’un modèle temporel, est appelée simulation. Un système peut être défini comme un ensemble d’éléments, également appelés composantes. Un ensemble d’arbres dans un peuplement forestier, ou des producteurs et des consommateurs dans un système économique sont des exemples de composantes. Les éléments (composantes) ont certaines caractéristiques, ou attributs, auxquels sont attachées des valeurs numériques ou logiques. Il existe des relations entre les éléments, de sorte que ceux-ci interagissent. L’état d’un système est déterminé par les valeurs numériques ou logiques des attributs des éléments qui le composent. Les interactions entre les éléments d’un système peuvent être exprimées au moyen d’équations mathématiques ; il est donc possible de prévoir l’état du système dans d’autres conditions possibles, au moyen de modèles mathématiques. La simulation revient à tracer l’évolution d’un système à travers le temps, dans le cadre de diverses hypothèses.

Les enquêtes, les expérimentations et les simulations sont des éléments essentiels de tout programme de recherche scientifique, mais il importe de les incorporer dans un cadre plus large et plus stratégique, pour garantir l’efficacité de l’ensemble du programme. Il est désormais reconnu qu’une analyse de systèmes fournit un tel cadre, dont l’objet est d’aider les décideurs à choisir une ligne d’action rationnelle ou de prévoir l’issue d’une ou plusieurs lignes d’action qui semblent souhaitables. Selon une autre définition plus formelle, l’analyse de systèmes désigne l’organisation ordonnée et logique des données et de l’information dans des modèles, suivie d’une vérification et d’une exploration rigoureuses de ces modèles, en vue de les valider et les améliorer (Jeffers, 1978).

Dans le domaine forestier, les recherches vont du niveau moléculaire à l’ensemble de la biosphère. La nature du matériel étudié détermine dans une large mesure les méthodes employées pour les enquêtes. De nombreux niveaux d’organisation dans la hiérarchie naturelle, par exemple des micro-organismes ou des arbres, peuvent faire l’objet d’expérimentations, alors que d’autres niveaux se prêtent uniquement à des observations passives et à des exercices de modélisation. Quels que soient les objets à l’étude, on constate que le cadre logique de l’approche scientifique et de l’inférence statistique restent inchangés. Le présent manuel décrit essentiellement les différentes méthodes statistiques qui permettent en toute objectivité de collecter des données et d’en tirer des déductions valables.

 

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