J. MASSAMBA, G.M. ADOUA-OYILA ET S. TRÈCHE
Joachim Massamba est maître-assistant à la Faculté des sciences de l'Université Marien Ngouabi de Brazzaville, Congo.
Guy-Mesmin Adoua-Oyila est assistant au Programme alimentaire mondial de Brazzaville, Congo.
Serge Trèche est directeur de recherche à l'Unité R106 «Nutrition, alimentation, sociétés» de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) de Montpellier, France.
La chikwangue, pâte dense (35 à 45 g de matière sèche pour 100 g de produit) et de texture élastique, est issue de la transformation par voie humide de racines de manioc. Les principales étapes de cette transformation consistent en une immersion des racines dans l'eau (rouissage), précédée ou immédiatement suivie par un épluchage, un défibrage effectué à l'aide d'un peigne ou par filtration/décantation, un laminage de la pâte, une première cuisson, un malaxage de la pâte précuite suivi d'un modelage et d'un emballage dans des feuilles de plantes spontanées, qui précédent la cuisson terminale (Trèche et Massamba, 1995). La chikwangue est largement consommée au Congo, aussi bien dans les zones rurales qu'en milieu urbain (Massamba et Trèche, 1995; 1997; Trèche et Massamba, 1996). Principalement approvisionnées par le milieu rural, les villes congolaises ont vu apparaître en leur sein leurs propres ateliers de fabrication de chikwangues.
Au début des années 90, dans le cadre d'un partenariat entre l'Institut de recherche-développement Agricongo, la Faculté des sciences de Brazzaville et le centre ORSTOM-DGRST du Congo, des innovations technologiques ont été mises au point en vue d'assurer aux chikwangues une qualité constante et de réduire la pénibilité de leur fabrication (Trèche et al., 1993; Brochier et al., 1994).
Simultanément des enquêtes ont été entreprises pour caractériser le contexte de production et de consommation des dérivés des racines de manioc à Brazzaville et définir les conditions d'acceptation des chikwangues améliorées, en vue de leur mise sur le marché. Les informations relatives à la production des chikwangues à Brazzaville sont principalement issues d'une enquête sur les modes de fonctionnement des ateliers de fabrication de chikwangues réalisée en 1991 à Brazzaville (Ikama et Trèche, 1995). Celles relatives à l'importance de la consommation des chikwangues proviennent d'une enquête budget-consommation réalisée en 1992 auprès de 300 ménages brazzavillois (Ofouémé-Berton et Trèche, 1995). Enfin, celles relatives à la perception et l'acceptation de la chikwangue améliorée proviennent de deux enquêtes similaires réalisées, à deux années d'intervalle, en 1990 et 1992, auprès d'échantillons de 900 personnes représentatifs de la population brazzavilloise adulte (Adoua-Oyila et al., 1995).
À partir d'une synthèse des résultats de ces différentes enquêtes dont les méthodologies et les résultats ont déjà été détaillés dans des rapports spécifiques aux différents aspects abordés, cet article a pour objectif de mettre en évidence certains facteurs pouvant influer sur l'acceptabilité d'innovations technologiques touchant aux aliments de base dans les pays en développement.
Plusieurs types de chikwangues se distinguant les unes des autres par leur aspect et leur origine sont présents sur les marchés de Brazzaville (Trèche et Muchnik, 1993). Parmi les chikwangues d'origine rurale, on distingue le ngudi-yaka, grosse chikwangue de 5 à 9 kg produite dans le sud du pays, le moungouélé originaire du centre et du nord du pays et le moussombo, chikwangue à une seule cuisson, de forme allongée et également originaire du nord du pays.
Les ateliers de Brazzaville élaborent des chikwangues de plus petite taille que celles d'origine rurale (Ikama et Trèche, 1995): le fabriqué, qui pèse environ 600 g et correspond à une forme réduite du ngudi-yaka, et le moungouélé urbain pesant environ 750 g et accessoirement le moussombo urbain.
Le recensement, réalisé en 1991 à l'occasion de l'enquête sur les modes de fonctionnement des ateliers de fabrication de chikwangue effectuée à Brazzaville (Ikama et Trèche, 1995), a permis d'estimer à 2 900, le nombre d'ateliers de fabrication de chikwangues à Brazzaville. Les ateliers étaient inégalement répartis dans les quartiers de la ville et, en particulier, quasiment inexistants en son centre. Ces unités de production sont en général des entreprises féminines et individuelles, avec une opératrice unique qui décide de son activité en fonction de ses moyens et de son environnement socioéconomique. Elles sont intégrées dans l'économie familiale tant par le lieu de production, qui est confondu avec le lieu de résidence de la productrice, que par le partage du temps de la responsable entre les activités productives et les activités familiales. Ce sont des entreprises de «façonnage» de la pâte rouie, matière première que les productrices achètent généralement dans des sacs dans les gares ou au port fluvial de Yoro.
Les différents types de chikwangue traditionnelle commercialisés à Brazzaville
Le moungouélé et le fabriqué sont de loin les deux produits les plus couramment élaborés. Le prix des chikwangues urbaines est fixé à 100 FCFA l'unité à Brazzaville, quelle que soit la période de l'année. Pour amortir les fluctuations saisonnières du prix des matières premières, les fabricantes préfèrent jouer sur le poids des chikwangues plutôt que d'en modifier le prix. En 1991, la production urbaine était estimée à environ 1,2 million de chikwangues par mois avec une part réservée à l'autoconsommation évaluée à 24 pour cent (Trèche et al., 1993). Pour la plupart des femmes s'adonnant à cette activité, la transformation de la pâte rouie de manioc en chikwangues constitue leur principale source de revenus.
Plus des deux tiers des fabricantes de chikwangues de Brazzaville dénoncent la pénibilité de l'ensemble des procédés de transformation nécessaires à leur préparation.
Elles considèrent le malaxage à chaud de la pâte précuite et, à un moindre degré, le défibrage comme les opérations les plus pénibles. Par ailleurs, les fabricantes de chikwangue sont conscientes du caractère peu lucratif de leur activité (Ikama et Trèche, 1995).
La seule innovation importante qu'elles reconnaissent avoir réalisée au cours de ces 30 dernières années a consisté au remplacement du défibrage au peigne par le défibrage par filtration/décantation, aujourd'hui généralisé en zones urbaines. Par la suite, les passoires en rotin originellement utilisées pour le défibrage ont été remplacées par des passoires métalliques, correspondant le plus souvent à des casseroles de récupération volontairement criblées de trous, qui ont été préférées aux passoires en rotin en raison de la faible durée d'utilisation et du prix d'achat relativement élevé de ces dernières.
Les fabricantes n'ont, dans la plupart des cas, pas d'idée précise sur les améliorations qu'elles souhaiteraient apporter à l'organisation de leur travail. Mais, lorsqu'on leur en suggère, elles sont près de 15 pour cent à souhaiter des améliorations visant à diminuer la durée du travail et 75 pour cent à souhaiter en réduire la pénibilité. Cependant, près de 10 pour cent des fabricantes ne souhaitent pas introduire d'innovations technologiques de peur que le changement technique au niveau des procédés ne s'accompagne, inévitablement, d'une altération de la qualité des produits (Ikama et Trèche, 1995).
La fréquence de consommation de la chikwangue varie avec le quartier de résidence et le groupe ethnique des personnes interrogées: elle est davantage consommée, d'une part, dans les quartiers sud et centraux que dans les quartiers nord de Brazzaville et, d'autre part, par les groupes ethniques originaires du sud du pays que par ceux originaires du nord et du centre (Adoua-Oyila et al., 1995).
Par ailleurs, elle est préférée au foufou (pâte préparée à partir de la farine de manioc, beaucoup moins dense que la chikwangue, et de texture plus élastique) par près des deux tiers des consommateurs. Cette préférence est davantage marquée pour les hommes que pour les femmes, dans les groupes ethniques du sud du pays que dans les autres, et chez les personnes ayant été élevées en ville par rapport à celles ayant essentiellement vécu en milieu rural. Le pain a tendance à concurrencer davantage la chikwangue dans les quartiers centraux de la ville, chez les jeunes, chez les personnes ayant toujours vécu dans les villes et chez celles de niveaux d'instruction et économique plus élevés (Massamba et al., 1996).
Les autres aliments de base (plantain, igname, riz, pomme de terre) sont davantage préférés à la chikwangue dans les quartiers centraux et nord de la ville, par les femmes, par les personnes ayant été élevées en ville et par celles de niveau d'instruction le plus élevé. Le sexe, l'âge et l'origine des personnes interrogées sont significativement liés à l'importance qu'elles attachent au moment de l'achat, à l'origine et aux modes de préparation des chikwangues: les femmes, les personnes âgées et celles ayant longtemps vécu en zones rurales se montrent plus curieuses sur l'origine des produits (Adoua-Oyila et al., 1995).
Il existe des préférences très marquées pour tel ou tel type de chikwangue en fonction du quartier de résidence, du groupe ethnique et du sexe (tableau 1): le ngudi-yaka et le fabriqué sont préférés dans les quartiers sud, principalement habités par les Kongos et les autres ethnies originaires du sud du pays, alors que les moungouélés connaissent plus de succès chez les groupes M'bochis et Tékés, qui résident le plus souvent dans les quartiers centraux et/ou du nord de Brazzaville. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à préférer les chikwangues préparées dans les ateliers urbains (moungouélé de Brazzaville et fabriqué).
TABLEAU 1 Influence de certaines caractéristiques socioculturelles des personnes interrogées sur leurs préférences entre les différents types de chikwangues* | ||||
Moungouélé de Brazzaville |
Fabriqué |
Moungouélé du nord |
Ngudi-yaka | |
Ensemble de la population |
16,2 |
13,8 |
27,9 |
42,0 |
Quartiers de résidence: |
||||
- quartiers sud |
4,3 |
24,4 |
7,7 |
63,5 |
- quartiers intermédiaires |
22,0 |
8,2 |
32,6 |
37,2 |
- quartiers nord |
30,9 |
2,2 |
64,7 |
2,2 |
Origine ethnique: |
||||
- groupe Kongos |
4,7 |
19,7 |
11,1 |
64,5 |
- groupe Tékés |
31,8 |
4,7 |
58,9 |
4,7 |
- groupe M'bochis |
37,6 |
4,2 |
52,1 |
6,1 |
Sexe: |
||||
- masculin |
14,0 |
11,4 |
29,4 |
45,2 |
- féminin |
18,4 |
16,1 |
26,6 |
39,0 |
* En pourcentage des personnes ayant déclaré préférer tel ou tel type de chikwangue en fonction de leur quartier de résidence, de leur sexe et de leur groupe ethnique d'appartenance. |
Il semblerait, par ailleurs, que plus le niveau économique des personnes est élevé plus elles ont tendance à préférer les chikwangues préparées en ville. Enfin, on constate que les femmes, les personnes appartenant aux groupes ethniques du sud et celles à niveau économique supposé le plus bas achètent plus souvent que les autres leurs chikwangues sur les marchés formels (Adoua-Oyila et al., 1995).
La fréquence de consommation de la chikwangue, exprimée en pourcentage, des personnes interrogées en ayant consommé au moins une fois la veille de l'enquête, était - tous types de chikwangues confondus - de 54 pour cent en 1990 et de 53,6 pour cent en 1992. En considérant les fréquences journalières de consommation des différents types de chikwangue, on constate que les chikwangues d'origine rurale sont les plus fréquemment consommées (24 pour cent pour le ngudi-yaka et 17 pour cent pour le moungouélé du nord), loin devant les chikwangues préparées en ville (8 pour cent pour le fabriqué et 7 pour cent pour le moungouélé de Brazzaville) (Massamba et Trèche, 1995).
En ce qui concerne l'origine des chikwangues consommées, on constate que près des trois quarts d'entre elles proviennent des zones rurales et que le moungouélé de Brazzaville et le fabriqué ne représentent donc qu'environ un quart des chikwangues consommées dans les ménages brazzavillois. Parmi les chikwangues d'origine rurale, les grosses chikwangues du sud (ngudi-yaka) sont sensiblement plus importantes que les moungouélés du nord. Par ailleurs, l'enquête budget-consommation réalisée en 1992 (Ofouémé-Berton et Trèche, 1995) a révélé que les dépenses relatives à l'achat de produits dérivés du manioc représentaient les deux tiers des dépenses consacrées à l'acquisition d'aliments amylacés et 21 pour cent des dépenses alimentaires totales, que l'achat de chikwangues correspondait au tiers des dépenses consacrées à l'achat de produits dérivés du manioc et que les sommes dépensées pour l'achat de chikwangues d'origine rurale étaient environ quatre fois plus importantes que celles relatives à l'achat de chikwangues produites à Brazzaville. En outre, cette enquête a permis d'estimer la part de l'énergie alimentaire consommée dans les ménages brazzavillois à partir des aliments amylacés. Celle-ci provient en moyenne pour 59 pour cent du foufou, pour 20 pour cent des différents types de chikwangue, pour 14 pour cent du pain, pour 5 pour cent du riz et pour 1 pour cent des autres aliments amylacés locaux ou importés.
La production de chikwangues par Agricongo a commencé en 1988 avec la mise au point d'une ligne de production de chikwangue dans la station de Kombé, située à 17 km au sud de Brazzaville (Trèche et al., 1993; Brochier et al., 1994). Cette ligne se compose principalement d'un défibreur, d'un pétrisseur et d'un cuiseur-malaxeur mécaniques. Contrairement aux chikwangues traditionnelles emballées dans des feuilles de plantes spontanées, le produit obtenu est emballé dans une gaine plastique. Son poids est voisin de celui du moungouélé dont il a, par ailleurs, adopté la forme.
Après optimisation des prototypes, cette ligne semi-mécanisée de fabrication de chikwangues a été transférée, en 1990, dans un groupement de jeunes agriculteurs, localisé à 45 km au nord de Brazzaville. Des opérations publicitaires furent réalisées pour faire connaître le produit par le public. Le caractère moderne des chikwangues Agricongo ne les destinant pas à être soumises à la concurrence directe des produits traditionnels, leur commercialisation a été préférentiellement confiée à des petites boutiques d'alimentation générale n'ayant pas l'habitude de vendre des produits dérivés du manioc.
Entre 1990 et 1992, le pourcentage de personnes représentatives de la population brazzavilloise déclarant avoir déjà goûté la chikwangue Agricongo est passé de 7,2 pour cent à 9,6 pour cent. Ce faible gain de notoriété s'explique par le fait que la promotion du produit est restée localisée à un nombre restreint de quartiers de la ville, compte tenu des faibles niveaux de production (Trèche et al., 1993). En revanche, la perception du produit s'est sensiblement améliorée entre 1990 et 1992 puisque, en 1992, 93 pour cent des personnes interrogées contre 75% en 1990, ont accepté d'en goûter, et 77 pour cent au lieu de 28 pour cent ont déclaré la préférer aux chikwangues traditionnelles. Cette amélioration de la perception du produit traduit vraisemblablement une amélioration de sa qualité, bien que les appréciations portées sur ses qualités hygiéniques, son aptitude à la conservation, son emballage et sa forme n'aient guère changé entre 1990 et 1992 (tableau 2).
TABLEAU 2 Évolution de la notoriété et de la perception de la chikwangue Agricongo entre 1990 et 1992 à Brazzaville | ||
1990 |
1992 | |
Pourcentage de personnes ayant déjà goûté la chikwangue Agricongo |
7,2 |
9,6 |
Pourcentage de personnes ayant accepté d'en goûter pendant l'enquête |
74,7 |
93,2 |
Pourcentage de personnes ayant préféré: |
||
- la chikwangue Agricongo |
28,4 |
77,4 |
- les chikwangues traditionnelles |
25,6 |
8,0 |
Pourcengage de personnes estimant que la chikwangue Agricongo: |
||
- est plus hygiénique |
91,3 |
85,2 |
- se conserve plus longtemps |
79,0 |
93,2 |
- a une longueur correcte |
80,5 |
61,6 |
- a un diamètre correct |
70,4 |
74,3 |
Pourcentage de personnes qui préféreraient que la chikwangue |
||
Agricongo soit emballée dans un plastique non transparent |
10,4 |
15,0 |
Source: D'après Trèche et al., 1995. |
En 1992, plus de 80 pour cent des personnes interrogées ayant accepté de goûter la chikwangue Agricongo ont déclaré la préférer aux chikwangues traditionnelles pour chacune des caractéristiques suivantes: couleur, aspect de l'emballage, élasticité, collant, odeur, teneur en fibres, acidité, et goût. De plus environ quatre personnes sur cinq pensent que la chikwangue Agricongo se conserve plus longtemps que la chikwangue traditionnelle. Interrogées sur la nature du principal avantage de la chikwangue Agricongo, les personnes ayant accepté d'en goûter ont principalement cité sa qualité hygiénique (78 pour cent). Elles ne sont que, respectivement, 12 pour cent et 8 pour cent, à mentionner son caractère nouveau et ses qualités organoleptiques, et moins de 1 pour cent à faire allusion à son prix et à la possibilité de s'en procurer en boutique. En revanche, la difficulté de s'en procurer a été citée par 83 pour cent des personnes comme étant son plus grand inconvénient.
Lorsqu'elles ont à parler des caractéristiques organoleptiques de la chikwangue Agricongo présentant le plus d'avantages ou d'inconvénients par rapport aux chikwangues traditionnelles, les personnes interrogées citent dans l'ordre: le goût et la consistance dans la bouche (37 pour cent), la couleur (34 pour cent), la consistance dans la main (20 pour cent), l'odeur (7 pour cent) en ce qui concerne les avantages; le goût et la consistance dans la bouche (50 pour cent), l'odeur (22 pour cent), la consistance dans la main (16 pour cent) et la digestibilité (9 pour cent) en ce qui concerne les inconvénients. Certaines caractéristiques organoleptiques, notamment le goût, font donc l'objet de jugements très contrastés.
Plusieurs caractéristiques du niveau socioéconomique des personnes interrogées sont significativement liées (tableau 3) au fait qu'elles avaient ou non déjà goûté la chikwangue Agricongo au moment de l'enquête, et à leurs intentions de consommation (Trèche et al., 1995).
TABLEAU 3 Relation entre différentes caractéristiques socioéconomiques des personnes interrogées en 1992 et leur attitude vis-à-vis de la chikwangue Agricongo | ||||
Consommation antérieure(1) |
Souhait de consommation(2) | |||
Régulière |
Occasionnelle |
Refus | ||
Ensemble de la population |
9,6 |
79,6 |
14,7 |
5,7 |
Quartiers de résidence: |
||||
- quartiers sud |
14,4 |
64,4 |
28,9 |
6,6 |
- quartiers intermédiaires |
8,0 |
77,5 |
14,3 |
8,1 |
- quartiers nord |
3,7 |
84,1 |
4,0 |
11,9 |
Origine ethnique: |
||||
- groupe sud |
11,2 |
72,2 |
21,9 |
5,9 |
- groupe Tékés |
5,7 |
68,0 |
18,0 |
14,0 |
- groupe nord |
8,7 |
81,6 |
8,6 |
9,7 |
- étrangers |
6,2 |
73,3 |
20,0 |
6,0 |
Sexe: |
||||
- masculin |
13,5 |
77,1 |
17,4 |
5,5 |
- féminin |
5,6 |
69,7 |
19,1 |
11,2 |
Age: |
||||
- < de 25 ans |
10,5 |
86,2 |
10,6 |
3,2 |
- de 25 à 35 ans |
14,5 |
75,9 |
18,0 |
6,2 |
- de 35 à 45 ans |
5,5 |
62,7 |
27,7 |
9,5 |
- > de 45 ans |
2,5 |
59,5 |
13,9 |
26,6 |
Niveau d'instruction: |
||||
- non scolarisé |
0 |
48,5 |
21,2 |
30,3 |
- primaire |
4,4 |
58,7 |
27,9 |
13,5 |
- premier cycle |
8,8 |
74,1 |
19,4 |
6,5 |
- second cycle + supérieur |
14,9 |
82,7 |
13,2 |
4,1 |
Position familiale: la personne vit |
||||
- seule |
19,6 |
74,1 |
18,5 |
7,4 |
- chez ses parents |
13,3 |
80,6 |
14,8 |
4,6 |
- avec conjoint et enfants |
6,9 |
69,3 |
20,4 |
10,2 |
Taille du groupe alimentaire: |
||||
- < 5 personnes |
12,1 |
80,5 |
14,5 |
5,0 |
- de 5 à 8 personnes |
8,7 |
74,3 |
17,2 |
8,5 |
- > 8 personnes |
8,6 |
67,4 |
22,2 |
10,4 |
1 Pourcentage des personnes interrogées ayant déjà goûté de la chikwangue Agricongo avant l'enquête. |
Les personnes habitant les quartiers sud, qui appartiennent en majorité au groupe ethnique Kongos et qui sont des consommateurs préférant le ngudi-yaka, sont plus nombreuses que celles des quartiers intermédiaires et des quartiers nord à avoir goûté la chikwangue Agricongo. Ce résultat est surprenant dans la mesure où, au cours des trois dernières années, le réseau de commercialisation s'est presque exclusivement étendu aux quartiers intermédiaires. Il est probable qu'un grand nombre de personnes aient eu l'occasion de goûter le produit lors des premiers essais réalisés sur le marché "Total", situé dans un des quartiers sud ou que de nombreuses chikwangues améliorées aient été commercialisées directement depuis la station Agricongo de Kombé située au sud de la ville. La proportion de personnes souhaitant consommer régulièrement le produit est d'autant plus élevée que ces personnes habitent loin de leur zone de commercialisation.
Les hommes sont plus nombreux que les femmes non seulement à avoir déjà goûté la chikwangue Agricongo, mais aussi à souhaiter en consommer régulièrement. Ce sont les personnes de la tranche d'âge 25-35 ans qui sont les plus nombreuses à avoir déjà goûté le produit, tandis que les moins de 25 ans sont celles qui souhaitent le plus en consommer régulièrement. Notons que les personnes de plus de 45 ans sont quatre fois moins nombreuses que l'ensemble de la population à avoir déjà consommé le produit, et que plus d'un quart d'entre elles refusent d'en consommer à l'avenir.
La proportion des personnes ayant déjà goûté la chikwangue Agricongo, ou souhaitant le faire régulièrement, est d'autant plus élevée que leur niveau d'instruction est élevé. Elle est également de manière significative plus forte chez les personnes vivant seules ou relevant de groupes alimentaires de moins de cinq personnes. Par ailleurs, interrogées sur le prix auquel elles accepteraient d'acheter au moins deux fois par semaine la chikwangue Agricongo, les personnes ayant accepté d'en goûter, et qui ont l'habitude d'acheter à 100 FCFA les chikwangues traditionnelles, ont répondu oui à 91 pour cent si elle était vendue au même prix, mais seulement à 11 pour cent si elle était vendue 125 FCFA (17pour cent seulement des personnes interrogées connaissait le vrai prix de vente qui était de 125 FCFA). Il semble donc que le prix de vente soit un facteur déterminant de l'acceptation du produit par les consommateurs.
Avant que l'expérience de production de la chikwangue améliorée n'ait dû être arrêtée suite aux graves troubles sociopolitiques survenus au Congo à partir de 1993, un certain nombre d'enseignements relatifs à la perception et à l'acceptation des innovations technologiques ayant permis la mise sur le marché d'un produit amélioré ont pu être tirés.
Il ressort que l'innovation a été plus facilement acceptée par les hommes, les jeunes et les personnes instruites que par les femmes, les personnes âgées et les personnes de faible niveau d'instruction. Cela peut s'expliquer par un attachement plus ou moins marqué aux valeurs traditionnelles et par une sensibilité plus ou moins importante de ces différents groupes de population à des qualités relativement abstraites comme la sécurité sanitaire de l'aliment et son aptitude à la conservation. Par ailleurs, la bonne perception de la chikwangue améliorée par les personnes vivant seules ou au sein de groupes alimentaires de petite taille semble être liée à sa grande commodité d'usage. Le fait que certaines caractéristiques organoleptiques puissent être mises en avant par les consommateurs, autant comme argument positif que négatif pour justifier le jugement qu'ils portent sur la nouvelle chikwangue, montre que la perception et l'acceptation de ce type de produit sont davantage la résultante de préjugés favorables ou défavorables que d'un jugement objectif porté sur les caractéristiques des produits.
Comme cela est généralement observé dans les essais d'introduction d'innovations de même type (Montaigne, 1993), le prix auquel la chikwangue améliorée peut être proposée aux consommateurs apparaît comme un facteur déterminant de son acceptation dans la mesure où les principaux acteurs impliqués dans la réussite de l'innovation, les producteurs et les consommateurs, ont à ce niveau des intérêts contradictoires.
Il semble donc que la réussite de la diffusion d'une innovation technologique portant sur les aliments de base implique non seulement que celle-ci soit intégrée dans les modèles de représentation des groupes sociaux auxquels elle est destinée (Muchnik et Ferré, 1993), mais aussi, qu'un compromis soit possible entre la rentabilité économique de l'activité productive et le prix que les consommateurs acceptent de payer.
Les recherches qui ont produit les données examinées dans cet article ont été financées par la DG XII de la CEE dans le cadre du programme STD2 «Science et technique au service de Développement» (contrat n° TS2A-0226) et par le Ministère français de la coopération et du développement dans le cadre de la procédure de financement «Réseau TPA» (Financement n° 010 900 du 19.11.90). Par ailleurs, le Département Soutien et formation des communautés scientifiques du Sud (DSF) de l'IRD et «AIRE développement» ont contribué à la rédaction de cet article en finançant les séjours scientifiques de J. Massamba au Laboratoire de nutrition de l'Unité R106 de l'IRD à Montpellier.
Bibliographie
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Brochier, J., Boukambou, G., Legros, O. et Trèche S. 1994. Periurban farming systems and food processing in the Congo. Dans G. Scott, P.I. Ferguson et J.E. Herrera, éds. Product development for root and tubers crops, Vol. III (Africa). Ibadan (Nigéria)/IITA et Lima (Pérou)/CIP. p. 465-469.
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