P. Girard
Philippe Girard est chef de l’Unité pour l’environnement et l’énergie de la biomasse, Département des forêts, Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD-Forêts), Montpellier (France).
L’expansion de l’urbanisation force de façon croissante les populations africaines à délaisser le bois de feu et à choisir le charbon de bois pour la cuisson et le chauffage domestiques.
L’urbanisation et le développement économique entraînent des changements dans les habitudes de consommation et une augmentation des revenus des ménages dans les pays en développement, qui sont à l’origine de mutations profondes dans le secteur des énergies domestiques. Le passage rapide du bois de feu au charbon de bois, en particulier en Afrique, a suscité des inquiétudes parmi les écologistes et les responsables du développement et de l’aménagement des forêts.
Le présent article décrit la progression du charbon de bois en Afrique, identifie les problèmes liés à la ressource et met en relief certaines exigences pour le développement durable de ce secteur.
D’une manière générale, la consommation d’énergie reste faible en milieu rural en Afrique, et elle concerne presque exclusivement le bois de feu. Toutefois la consommation d’énergie et le type de combustible utilisé par les ménages évoluent au fur et à mesure que les pays se développent. Une enquête réalisée pour le Programme d’assistance pour la gestion du secteur énergétique (ESMAP) de la Banque mondiale, dans 45 villes de 12 pays, entre 1984 et 1993 (Waddams Price, 2000) a montré que l’abandon progressif du charbon de bois au profit de produits pétroliers était à l’évidence lié à une amélioration des revenus, ainsi qu’aux nouveaux programmes et aux nouvelles politiques établis par les gouvernements.
La consommation d’énergie et les types de combustibles sont aussi influencés par les flux migratoires importants et l’accroissement rapide des populations urbaines. Bien que les personnes qui migrent vers les villes conservent leurs habitudes et leurs traditions rurales pendant plusieurs générations, les exigences de la vie urbaine (modernisation de l’habitat, manque de temps, etc.) font rapidement basculer de nombreuses villes du bois de feu à d’autres combustibles comme le gaz de pétrole liquéfié (GPL) ou le kérosène. Des femmes urbaines interviewées dans le cadre d’enquêtes sur l’énergie domestique en Ethiopie, au Tchad, à Madagascar, au Mali, au Niger et au Sénégal n’aimaient pas cuisiner au bois car elles trouvaient que ce matériau était difficile à allumer, peu pratique à manipuler, dangereux pour les enfants, salissant et faisait de la fumée (Madon, 2000). Le charbon de bois n’aurait pas ces défauts et aurait un prix plus compétitif que le GPL et le kérosène, qui sont encore trop chers pour beaucoup de gens (Foster, 2000). Une étude réalisée à Dar-es-Salaam, en République-Unie de Tanzanie, par exemple, a mis clairement en évidence que le charbon de bois utilisé en foyer amélioré est le combustible le moins cher par unité d’énergie (Foster, 2000). C’est pourquoi, on l’utilise souvent avant de passer à d’autres combustibles modernes plus coûteux.
Le passage du bois de feu au charbon de bois en milieu urbain, est illustré par le cas de Bamako (Mali) où en 1990 plus de 85 pour cent des familles utilisaient le bois comme combustible domestique de tous les jours. Aujourd’hui ces familles sont moins de 50 pour cent, et en 1997 le charbon de bois, jusque-là réservé à des usages spécifiques (thé, barbecue, etc. ) a détrôné le bois, comme premier combustible à Bamako (voir figure). La faiblesse du revenu des ménages est probablement le seul facteur qui freine le passage aux combustibles fossiles, au GPL et au pétrole.
Le fait le plus notable est la progression du charbon de bois dans les villes de moyenne importance, voire parfois en milieu rural. Par exemple, une récente enquête sur la consommation des ménages dans toutes les villes de la province septentrionale de Mahajanga (Madagascar) a révélé que le charbon de bois était le combustible le plus employé (CIRAD, 1999). Les chiffres révèlent une progression de la consommation de charbon de bois par rapport à une enquête de 1992 réalisée pour la Banque mondiale par l’Unité de planification des besoins en énergie domestique du Ministère de l’énergie et des mines (CIRAD, 1992).
Avec l’urbanisation, le secteur du charbon de bois a acquis un poids économique considérable. Les travaux menés dans le cadre de l’ESMAP au Niger et au Mali à partir de la fin des années 80 ont montré que ce secteur, largement informel, représente un chiffre d’affaires annuel de plusieurs millions de dollars pour bon nombre de pays africains. En termes d’emploi, sinon en termes financiers, son ordre de grandeur est comparable à celui des cultures de rente (Matly, 2000).
Dans l’ensemble, l’utilisation du bois de feu croît au rythme de la population. La croissance de la demande se situe donc entre 3 et 4 pour cent par an suivant les pays (Amous, 2000). Au cours des deux dernières décennies, on a acquis une meilleure compréhension des systèmes de dendroénergie, et l’on s’est aperçu que les sources d’approvisionnement étaient plus diversifiées qu’on ne le supposait auparavant, puisqu’elles comprennent non seulement les zones forestières mais aussi les arbres hors forêt. Ainsi, les prévisions alarmistes des années 70, qui annonçaient une “crise du bois de feu” avec un déficit de l’offre par rapport à la demande, se sont révélées infondées.
Toutefois, dans les zones où les ressources arborées existantes sont soumises à une forte pression, du fait de la consommation élevée de bois de feu et de charbon de bois et de l’insuffisance de la ressource (densité de population élevée, faibles revenus et/ou de conditions climatiques rigoureuses), la déforestation et la destruction du couvert végétal suscitent encore de grandes inquiétudes.
Le passage du bois de feu au charbon de bois, même s’il ne devait durer que quelques décennies, pourrait avoir des conséquences écologiques importantes s’il n’était pas maîtrisé. Toutefois, comme les fours à charbon ont un meilleur rendement que les fours à bois, le bilan énergie utile/ énergie primaire est presque le même qu’avec le bois de feu. Ainsi, s’il est supervisé, géré et soutenu comme il convient, ce passage ne devrait pas se traduire par une augmentation significative de l’utilisation des ressources.
En revanche, ce qui est très inquiétant, c’est que, contrairement au bois utilisé comme combustible, le charbon de bois est très souvent produit à partir de ressources forestières. Ainsi, l’utilisation de la biomasse forestière pour la production de charbon pourrait encore représenter une menace pour les ressources futures au niveau local, en particulier dans certaines situations caractérisées par une forte demande (par exemple à la périphérie de grands centres urbains pauvres en ressources) et par l’absence de pratiques de gestion et de réglementations forestières appropriées.
Si l’on adopte des pratiques d’aménagement forestier, de supervision et de contrôle appropriées, l’utilisation accrue du charbon de bois ne doit pas avoir d’impact significatif sur les zones forestières qui approvisionnent les centres de consommation. Les travaux menés au Niger et au Mali, par exemple, ont indiqué que la maîtrise de la ressource par les populations visant dans les zones de production du charbon de bois, peut favoriser une bonne gestion de la ressource tout en améliorant les revenus des populations locales (CIRAD, documents inédits, 2001).
Malgré quelques exemples réussis de ce type, au cours des deux dernières décennies bon nombre de gouvernements africains, préoccupés par la menace que pouvait représenter la production de charbon pour les ressources forestières, ont lancé des programmes pour encourager la substitution du charbon par d’autres combustibles (en particulier GPL et kérosène), moyennant des subventions et en fournissant de l’équipement aux ménages. Bien que du matériel ait effectivement été distribué (à Dakar, au Sénégal, plus de 60 pour cent des familles ont été dotées d’équipements fonctionnant au GPL), ces programmes ont échoué, en partie parce que les villes africaines ne prennent pas facilement des habitudes urbaines (Matly, 2000).
Toutefois, les programmes de substitution ont aussi eu pour effet négatif de créer du chômage dans les zones forestières où la production de charbon de bois a été abandonnée. Le manque d’emploi a entraîné une augmentation des migrations vers les zones urbaines et périurbaines et accentué la demande de bois de feu et, surtout de charbon de bois, ces deux produits étant les principales sources d’énergie à la portée des pauvres.
L’interdiction de la production et/ou de la commercialisation du charbon de bois, comme cela a parfois été fait (par exemple en Mauritanie et au Kenya) s’est révélée contreperformante: en fait les interdictions ne limitent pas la production, elles poussent simplement les producteurs dans la clandestinité, ce qui empêche de contrôler comme il convient les procédés de production (FAO, 1993).
La production et l’utilisation durables du charbon de bois, grâce à une gestion et à une planification appropriées des sources d’approvisionnement, ainsi que des infrastructures de commercialisation rationnelles et utilisées de manière efficace, peuvent aussi avoir un impact positif majeur, en favorisant la conservation de la ressource, une réduction des migrations des zones rurales ou boisées et une augmentation des revenus des populations. Toutefois, les interventions nécessaires pour des solutions à long terme sont difficiles à mettre en œuvre, en particulier dans des pays tropicaux pauvres qui manquent à la fois de moyens financiers, de capacités institutionnelles et de personnel qualifié.
Utilisation de bois ou de charbon, comme combustible au Mali |
Source: World Bank, 2000. |
Les charbons de bois traditionnels sont souvent produits à partir d’espèces permettant d’obtenir un charbon dense à combustion lente. Il s’agit d’espèces à croissance lente, qui sont donc particulièrement vulnérables à la surexploitation, d’où la nécessité d’encourager la diversification et l’utilisation d’essences de plantations ou d’espèces produisant un charbon moins dense. Si les propriétés physiques des charbons moins denses sont différentes, il n’en est rien au niveau énergétique (voir tableau). Comme le charbon de bois est commercialisé par unité de volume (tas, sacs, etc.), un produit plus lourd donne au consommateur l’impression d’acheter plus. Bien qu’à volume égal, le charbon dense contienne plus d’énergie, ce n’est pas le cas par unité de poids.
Là où l’on encourage l’utilisation d’autres essences pour la production de charbon, il est indispensable de réévaluer les procédés entrant en jeu dans la chaîne de production et d’utilisation du charbon de bois. Il conviendrait en particulier de revoir la conception des foyers améliorés à charbon, car la plupart de ceux que l’on utilise aujourd’hui ne conviennent pas bien aux charbon de bois d’essences légères, qui y brûlent trop rapidement et avec une trop forte intensité, non conformes aux attentes des consommateurs.
Lorsque le charbon de bois passe au statut de combustible pour la cuisson dans un pays donné, l’introduction rapide de procédures encourageant l’utilisation de charbons légers (vente au poids, prix variant en fonction de la qualité, contrôle des essences exploitées, etc.) permettrait de limiter la surexploitation et de favoriser la production à partir d’essences de plantations, pour le plus grand bénéfice de l’environnement et des consommateurs. Une formation professionnelle et des mesures de supervision devraient aussi permettre de réduire la pression actuelle sur les essences à charbon dense.
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Dans les pays industrialisés, un grand nombre de solutions techniques plus performantes sont mises au point pour mettre aux normes environnementales et énergétiques les procédés de carbonisation et améliorer leurs rendements, du fait de la hausse des prix du bois. L’objectif essentiel est de produire plus de charbon avec moins de bois.
Les solutions sont nombreuses – fours-cornues discontinus où le bois est carbonisé par une source de chaleur externe; fours ouverts métalliques avec incinérateurs de fumée, et fours continus type Lambiotte dans lesquels le bois est introduit dans la partie haute du four, alors que le charbon est extrait dans la partie basse, les vapeurs étant brûlées pour fournir la chaleur nécessaire à la carbonisation. Toutes ces solutions nécessitent des investissements importants et sont habituellement trop chères pour les artisans charbonniers des pays tropicaux.
La plupart des techniques de carbonisation traditionnelles ou traditionnelles améliorées donnent de bons rendements pour un investissement relativement faible, si elles sont bien utilisées. Toutefois, elles demandent beaucoup de main-d’œuvre.
Nombre de projets “charbon de bois” n’ont pas donné les résultats escomptés car ils n’ont considéré que l’aspect énergétique du procédé technique, sans intégrer la dimension sociale et économique. Cependant, des économies considérables peuvent être réalisées dans le secteur (voir encadré).
De nombreuses scieries produisent des volumes importants de déchets qui sont souvent brûlés en pure perte ou carbonisés de façon très rudimentaire. La mise en œuvre de solutions semi-industrielles, avec incinération des gaz de pyrolyse et récupération de chaleur, pourrait être une solution satisfaisante pour valoriser les sous-produits des scieries, puisque celles-ci ont les moyens techniques et humains nécessaires (FAO, 1985). Il existe quelques exemples de ce type en zone tropicale humide (Côte d’Ivoire, Brésil).
Le choix d’une technologie doit toujours être déterminé par une analyse du contexte socioéconomique. Il ne faut surtout pas chercher à appliquer une “recette”, même si elle a donné d’excellents résultats dans un autre contexte.
Si, au niveau mondial, on peut s’attendre à une diminution de la consommation de charbon de bois dans le futur proche, au niveau local ou dans des pays spécifiques (développés et en développement), la consommation pourrait encore augmenter compte tenu des nouvelles opportunités de marché de “l’énergie verte” industrielle qui sont en train de s’ouvrir. Les services des forêts et les agences de l’énergie devraient donc accorder une attention particulière au charbon de bois et à sa production et à son utilisation durables. Voici quelques mesures qui pourraient être efficaces:
Si la production de charbon est considérée comme une source de revenu complémentaire ou comme un travail féminin, il est probable que l’on investira moins dans la formation et que l’on privilégiera les solutions qui demandent moins de main-d’œuvre – mais qui sont aussi les moins productives – ce qui limitera les améliorations possibles. L’éducation et la formation de planificateurs forestiers, de vulgarisateurs et de charbonniers, et la mise en œuvre de technologies de carbonisation plus durables, peuvent contribuer de manière décisive à améliorer les conditions de travail du secteur, ainsi que les impacts environnementaux et le rendement énergétique.
Le charbon fait partie d’un ensemble de combustibles à usage domestique que l’on doit impérativement intégrer dans tout programme de rationalisation de l’utilisation des ressources énergétiques dans les pays tropicaux. Plutôt que d’en faire l’ennemi public du forestier, une bonne compréhension des problèmes et la mise en œuvre de solutions appropriées devraient permettre au planificateur de tirer le meilleur parti du charbon de bois.
Tas de charbon de bois traditionnel en Afrique de l’Ouest (Guinée) |
Département des forêts de la FAO/CFU000334/R. Faidutti |
Ce four en métal du type “Subri-fosse” semi-permanent et bon marché à Madagascar a été conçu pour carboniser les chutes provenant des scieries |
P. GIRARD |
Les fours en métal dotés d’incinérateurs à vapeur (ici, en France) peuvent réduire la pression sur l’environnement en augmentant le rendement du charbon de bois; ils tendent toutefois à être trop coûteux dans les pays en développement |
P. GIRARD |
Les enjeux économiques et environnementaux en quelques chiffres Les rendements massiques d'une meule casamançaise et d'une meule traditionnelle bien maîtrisée sont de l'ordre de 25 pour cent C'est à dire qu'avec 1 tonne de bois, on produit 250 kg de charbon. Avec des techniques plus rudimentaires, les rendements ne dépassent cependant généralement pas 15 à 20 pour cent, soit 150 à 200 kg pour 1 tonne de bois. Beaucoup de charbonniers utilisent par exemple du bois vert et, comme l'énergie nécessaire au séchage du bois est fournie par une partie de la charge, le rendement est réduit à 15 pour cent. La teneur en carbone du bois et du charbon étant respectivement de 50 et 90%, l'équivalent carbone est donc le suivant :
Lorsqu'on carbonise 1 tonne de bois, on libère dans l'atmosphère respectivement avec une technique mal maîtrisée et une meule améliorée, 365 kg et 275 kg de carbone. La technique améliorée permet ainsi d'éviter l’émission de 90 kg de carbone par tonne de bois carbonisée, ce qui représente 300 kg de carbone soit 1,1 tonne de CO2 partonne de charbon consommé. Pour la ville d'Abidjan qui consomme environ 300 000 tonnes de charbon par an, l'économie annuelle représente :
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Bibliographie
Amous, S. 2000. Review of wood energy reports from ACP African countries. EC-FAO Partnership Programme working document. Rome.
Banque mondiale. 2000. ESMAP Household Energy Strategy. (brochure)
CIRAD. 1992. Approvisionnement en combustible ligneux d’Antananarivo et Mahajanga. Project report, Ministère de l’énergie et des mines/UPED, Madagascar.
CIRAD. 1999. Programme pilote intégré d’approvisionnement durable en bois énergie de la région de Mahajanga. Project report, Mahajanga Integrated Pilot Program (PPIM).
FAO. 1985. Industrial charcoal making. Document FAO: Forêts no 63. Rome.
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Foster, V. 2000. Measuring the impact of energy reform – practical option. Dans Energy services for the world’s poor. Energy and Development Report 2000, p. 34-42. Banque mondiale, Washington, Etats-Unis.
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Madon, G. 2000. An assessment of tropical dry-land forest management in Africa: what are its lessons. Presented at the World Bank seminar Communication for Village Power 2000, Empowering People and Transforming Markets, Washington, Etats-Unis, 4-8 décembre 2000.
Matly, M. 2000. La mort annoncée du bois énergie à usage domestique. Bois et Forêts des Tropiques, 266(4): 43-55.
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