Pour permettre leur croissance végétative et leur développement, les plantes ont besoin deau appropriée en qualité et en quantité, à portée de leurs racines et au bon moment. La plus grande partie de leau absorbée par une plante sert à transporter les nutriments dissous du sol jusquaux organes aériens des plantes, doù elle est libérée dans latmosphère par transpiration: lutilisation de leau en agriculture est intrinsèquement consommatrice. Chaque culture a des besoins en eau particuliers, qui varient selon les conditions climatiques locales. A titre indicatif, la production dun kilogramme de blé nécessite environ 1 000 litres deau qui retournent dans latmosphère, alors que le riz peut en exiger deux fois plus. La production de viande requiert entre six et vingt fois plus deau que celle des céréales, selon le facteur de conversion aliments/viande applicable. Le tableau 3 donne la valeur de léquivalent en eau propre à divers produits alimentaires. Il est possible, à partir de ces valeurs, de déduire très approximativement le volume deau nécessaire à la ration alimentaire humaine, en fonction de la taille et de la composition des repas (voir encadré 1).
Tableau 3 Equivalent en eau des principaux produits alimentaires
Produit |
Unité |
Equivalent en eau en m3 par unité |
Bovins |
tête |
4 000 |
Moutons et chèvres |
tête |
500 |
Boeuf frais |
kg |
15 |
Agneau frais |
kg |
10 |
Volaille fraîche |
kg |
6 |
Céréales |
kg |
1.5 |
Agrumes |
kg |
1 |
Huile de palme |
kg |
2 |
Légumineuses, racines et tubercules |
kg |
1 |
Source: FAO, 1997a.
Ce tableau donne des exemples des volumes deau nécessaires à la production dune unité des principaux produits alimentaires dont le bétail, qui consomme le plus deau par unité. Les céréales, les cultures oléagineuses et les légumineuses, racines et tubercules consomment beaucoup moins deau.
ENCADRÉ 1 Evaluation des besoins en eau douce pour la production alimentaire mondiale La quantité deau mobilisée pour la production alimentaire est considérable et pour lessentiel fournie directement par les pluies. On peut calculer sommairement les besoins mondiaux en eau de la production alimentaire à partir des volumes deau spécifiques nécessaires pour produire la nourriture dune personne. Selon la composition des repas et compte tenu des pertes après récolte, la consommation alimentaire moyenne de 2 800 kcal/personne/jour retenue pour lheure nécessite environ 1 000 m3 deau par an pour sa production. Ainsi, pour une population mondiale de 6 milliards dhabitants, il faut 6 000 km3 deau pour produire la nourriture nécessaire (à lexclusion des pertes dues au transport dans les systèmes dirrigation). La plus grande partie de leau utilisée par lagriculture provient des pluies stockées dans le sol. Seulement 15 pour cent environ de leau utilisée par les cultures est fournie par lirrigation. Lirrigation a donc besoin de 900 km3 deau par an pour les cultures alimentaires (auxquels il faut encore ajouter leau pour les cultures non alimentaires). En moyenne, environ 40 pour cent de leau prélevée pour lagriculture dans les rivières, lacs et nappes souterraines participe réellement à la production agricole, le reste se perdant dans lévaporation, linfiltration profonde ou la croissance des adventices. On estime par conséquent les prélèvements actuels deau destinés à lirrigation à 2 000-2 500 km3 par an dans le monde. |
Lagriculture non irriguée (pluviale) dépend entièrement de leau de pluie stockée dans le sol. Ce type dagriculture nest possible que dans les régions où la répartition des pluies permet au sol de garder suffisamment dhumidité pendant les périodes critiques de la croissance des plantes cultivées. Lagriculture non irriguée représente environ 60 pour cent de la production des pays en développement. Dans ce type dagriculture, la gestion des terres peut in fluer considérablement sur le rendement des cultures: une bonne préparation des terres qui amène le ruissellement de surface à sinfiltrer près des racines préserve davantage lhumidité du sol. Diverses formes de récupération de leau peuvent contribuer à retenir leau in situ. En plus de fournir davantage deau aux cultures, leau récupérée peut contribuer à la reconstitution des stocks deaux souterraines et à la réduction de lérosion du sol. Dautres méthodes consistent à capter les eaux de ruissellement en les stockant dans le sol ou dans des lacs ou barrages de retenue pour pouvoir les utiliser pendant les périodes sèches. Récemment, les pratiques de lagriculture de conservation telles que les méthodes aratoires antiérosives ont démontré leur efficacité pour mieux préserver lhumidité du sol.
Les perspectives damélioration du rendement de lagriculture non irriguée sont limitées dans la mesure où les précipitations sont soumises à dimportantes variations saisonnières et interannuelles. Le risque élevé de perte de rendements ou de perte totale des récoltes que font peser les périodes sèches et les sécheresses décourage les agriculteurs dinvestir dans les intrants, que ce soit les fertilisants, les variétés à haut rendement ou les moyens de lutte contre les ravageurs. Limpératif prépondérant, pour les agriculteurs des régions semi-arides qui ne disposent que de peu de ressources, est dassurer la nutrition de leur ménage jusquà la prochaine récolte. Ils peuvent atteindre cet objectif en utilisant des variétés robustes, résistantes à la sécheresse mais à faible rendement. Le génie génétique na pas encore mis au point de variétés résistantes à la sécheresse et offrant des rendements élevés, une entreprise difficile puisque pour la plupart des plantes cultivées, la résistance à la sécheresse va de pair avec de faibles rendements.
En agriculture irriguée, leau utilisée par les cultures est partiellement ou totalement fournie par lhomme. Leau dirrigation est prélevée sur un point deau (rivière, lac ou nappe aquifère) et conduite jusquau champ grâce à une infrastructure de transport appropriée. Pour satisfaire leurs besoins en eau, les cultures irriguées bénéficient à la fois de lapport deaux de pluie naturelles plus ou moinsfiables et de celui deaux dirrigation. Lirrigation constitue un outil de gestion efficace contre les aléas des précipitations. Elle permet de choisir des variétés à haut rendement en appliquant les fertilisants nécessaires, ainsi que les traitements de lutte contre les ravageurs et dautres intrants, et rend ainsi ces cultures économiquement intéressantes. Elle a pour effet de favoriser laugmentation des rendements. La figure 3 illustre laugmentation type des rendements dune culture de céréale en réaction à un bon apport en eau, ainsi que la synergie entre irrigation, variétés et intrants. Lirrigation est cruciale pour les ressources alimentaires mondiales. En 1998, les terres irriguées représentaient environ un cinquième de lensemble des terres arables dans les pays en développement, mais produisait les deux cinquièmes de toutes les récoltes et près de trois cinquièmes de la récolte céréalière.
Figure 3 Réaction type des cultures céréalières à lapport en eau
Le graphique montre la réaction des cultures à lapport en eau. Les variétés à haut rendement produisent davantage que les cultures pluviales seulement si elles reçoivent un apport en eau suffisant.
Source: Smith et al., 2001.
Un quart des superficies irriguées du monde (67 millions dhectares) se situent dans les pays développés. Laugmentation annuelle des surfaces irriguées y a atteint un maximum de 3 pour cent dans les années 70 pour retomber à seulement 0,2 pour cent dans les années 90. Dans ce groupe de pays, la population ne saccroît que très lentement et on ny prévoit par conséquent quune augmentation très lente de la demande et de la production des denrées agricoles. Lexpansion de lirrigation devrait donc essentiellement se produire dans les pays en développement qui connaissent une forte croissance démographique. La compétition croissante que lui livrent les secteurs industriels et domestiques à plus fort rapport économique se traduit par une diminution des volumes globaux deau attribués à lirrigation. La figure 4 illustre le cas du système dirrigation du Zhanghe en Chine.
Figure 4 Utilisations concurrentielles de leau dans le district dirrigation du Zhanghe, en Chine
Cette figure montre que laugmentation de la compétition et de la demande des secteurs industriels et domestiques entraînent la diminution de la part de lirrigation dans les volumes deau utilisés.
Source: Molden, non publié.
Carte 1 Zones aménagées pour lirrigation en pourcentage des terres cultivées par pays (1998)
Source: FAOSTAT, 2002
La carte 1 montre les terres irriguées en pourcentage des terres arables dans les pays en développement. En général, la proportion de terres irriguées est élevée dans les pays et régions dotés dun climat aride ou semi-aride. La faible quantité de terres irriguées en Afrique sub-saharienne met toutefois en évidence le problème du sous-développement des infrastructures dirrigation. La figure 5 montre les données et prévisions concernant les terres irriguées dans les pays en développement par comparaison avec leur potentiel dirrigation. Les chiffres indiquant le potentiel dirrigation tiennent déjà compte des disponibilités en eau. Le graphique montre quune part importante du potentiel dirrigation est déjà utilisée dans la région du Proche-Orient/Afrique du Nord (où leau est le facteur restrictif) et en Asie (où la terre est souvent le facteur restrictif) alors quun potentiel non négligeable est encore inutilisé en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine.
Selon les prévisions de la FAO, la part de lirrigation dans la production agricole mondiale devrait augmenter au cours des prochaines décennies. Dans les pays en développement en particulier, il est prévu que les superficies aménagées pour lirrigation auront augmenté de 20 pour cent (40 millions dhectares) dici 2030. Cela signifie que 20 pour cent de lensemble des terres qui ont un potentiel dirrigation mais ne sont pas encore aménagées seront irriguées, et que 60 pour cent de toutes les terres possédant un potentiel dirrigation (402 millions dhectares) seront exploitées dici 2030. La nette augmentation des terres irriguées (40 millions dhectares, 0,6 pour cent par an) prévue pour 2030 représente moins de la moitié de laccroissement enregistré pour les 36 années précédentes (99 millions dhectares, 1,9 pour cent par an). Le ralentissement anticipé de lexpansion de lirrigation reflète laffaiblissement prévu du taux de croissance de la demande alimentaire, auquel sajoute la rareté croissante de zones propres à lirrigation et de ressources en eau dans certains pays, ainsi que le coût grandissant des investissements en irrigation. Les projets dirrigation les plus intéressants sur le plan économique ont déjà été mis en uvre, et labsence daugmentation conséquente du prix des denrées agricoles nencourage pas les agriculteurs à investir dans les projets dirrigation de second choix qui sont plus coûteux.
Figure 5 Pourcentage de superficies irriguées par rapport au potentiel dirrigation dans les pays en développement
Cette.gure montre quune part importante du potentiel dirrigation est déjà utilisée en Asie et au Proche-Orient mais quil reste un vaste potentiel encore inexploité en Afrique sub-saharienne et en Amérique latine.
Source: FAO, 2002.
Lexpansion des terres irriguées se fait essentiellement par la conversion de terres déjà exploitées par lagriculture pluviale ou qui pourraient être cultivées sans irrigation mais qui ne sont pas encore utilisées. Cest en Asie du Sud, en Asie de lEst et au Proche-Orient/Afrique du Nord que le développement de lirrigation devrait être le plus important. Dans ces régions, les possibilités de développement de lagriculture non irriguée sont restreintes, voire même inexistantes. Par contre, lexpansion des terres arables restera un facteur important de croissance de la production agricole dans de nombreux pays dAfrique sub-saharienne et dAmérique latine, ainsi que dans quelques pays dAsie de lEst bien quà une échelle beaucoup plus modeste que par le passé. Dans les pays en développement, la croissance de la production de blé et de riz procédera de plus en plus daugmentations des rendements, alors que celle du maïs continuera à résulter essentiellement de lexpansion des terres cultivées.
Dans de nombreux pays en développement, les investissements réalisés dans les infrastructures dirrigation ont utilisé une part conséquente du budget global de lagriculture pendant la seconde moitié du vingtième siècle. Le coût unitaire du développement de lirrigation varie selon les pays et les types dinfrastructure dirrigation, et séchelonne en général entre 1 000 $E.-U. et 10 000 $E.-U. par hectare, bien quil puisse atteindre dans des cas exceptionnels 25 000 $E.-U. par hectare (ces prix ne comprennent pas le coût du stockage de leau car le coût de la construction des barrages varie avec chaque cas). Cest en Asie que les coûts dinvestissement dans lirrigation sont les plus faibles, car cest là que les aménagements sont les plus nombreux et que par conséquent des économies déchelle sont possibles. Les projets dirrigation les plus coûteux se trouvent en Afrique sub-saharienne, où les systèmes dirrigation sont en général de dimensions plus modestes et où la mise en valeur des ressources en terre et en eau coûte plus cher.
A lavenir, lexpansion des terres irriguées devrait représenter un investissement annuel denviron 5 milliards de $E.-U., mais lessentiel de linvestissement dans lirrigation, soit entre 10 et 12 milliards de $E.-U. par an, servira certainement à la nécessaire réhabilitation et modernisation des périmètres irrigués vieillissants qui ont été construits entre 1960 et 1980. Dans les années 90, linvestissement dans le stockage de leau dirrigation a été estimé à environ 12 milliards de $E.-U. (CMB, 2000). On peut donc estimer que les effets opposés de laffaiblissement de la nécessité de développer lirrigation et de laugmentation du coût unitaire du stockage de leau se traduiront par un investissement annuel qui devrait varier entre 4 et 7 milliards de $E.-U. au cours des trente prochaines années.
En règle générale, les chiffres de linvestissement ne comprennent pas la part fournie par lagriculteur sous forme daménagement des terres et dirrigation à la ferme, qui peut représenter jusquà 50 pour cent de linvestissement total. Dans lensemble, on estime que linvestissement annuel dans lagriculture irriguée sera par conséquent compris entre 25 et 30 milliards de $E.-U., soit environ 15 pour cent des investissements annuels prévus dans le secteur de leau.
Lévaluation de limpact de lirrigation sur les ressources en eau disponibles nécessite une estimation des prélèvements totaux effectués pour lirrigation dans les rivières, lacs et nappes aquifères. Le volume extrait est considérablement plus important que la consommation de lirrigation à cause des pertes dues au transport entre le site de prélèvement et la rhizosphère des plantes. Lefficience dutilisation de leau est un indicateur souvent employé pour exprimer le niveau de performance des systèmes dirrigation entre la source et les plantes cultivées: cest le ratio entre les besoins estimés des plante et leau réellement prélevée.
Lefficience globale dutilisation de leau employée pour lirrigation serait en moyenne de 38 pour cent dans les pays en développement. La carte 2 montre limportance de lagriculture dans le bilan hydrique des pays et la figure 6 indique la croissance prévue des prélèvements en eau pour lirrigation entre 1998 et 2030. Ces prévisions sont élaborées en se basant sur lhypothèse daméliorations possibles de lefficience de lirrigation dans chaque région. Ces hypothèses tiennent compte du fait quune eau abondante et peu coûteuse nincite pas les agriculteurs à léconomiser, mais que par contre, sils peuvent irriguer profitablement davantage de terres en utilisant pour le mieux leau qui leur est allouée, lefficience de lirrigation peut atteindre des niveaux plus intéressants.
Lamélioration de lefficience de lirrigation est un processus lent et difficile qui dépend essentiellement de lampleur de la pénurie deau à léchelle locale, peut être coûteux et exige de la volonté, du savoir-faire et de linitiative à différents niveaux. Le tableau 4 montre lefficience actuelle et prévue de lutilisation de leau pour 1998 et 2030, selon les estimations de la FAO. Des décisions dinvestissement et de gestion visant une meilleure efficience de lirrigation sont prises à lheure actuelle, qui mettent à contribution à la fois ladministration des systèmes dirrigation et les agriculteurs tributaires de ces systèmes. Les politiques nationales de leau peuvent encourager les économies deau dans les zones de pénurie en prenant des mesures dincitation et en assurant lapplication de pénalités. Lorsque les gestionnaires en amont ne peuvent garantir lefficience du transport, on peut comprendre que les utilisateurs de leau ne soient pas très motivés pour améliorer lefficience à leur niveau. Lorsquil sagit deaux souterraines, ce décalage est plus atténué car en général les utilisateurs voient davantage où est leur intérêt; les utilisateurs deaux souterraines sont dans bien des cas beaucoup plus efficaces que ceux qui sont tributaires des eaux de surface. Lencadré 2 récapitule différents aspects des possibilités damélioration de lefficience dutilisation de leau en agriculture.
Carte 2 Prélèvements en eau pour lagriculture en pourcentage des ressources en eau renouvelables (1998)
Cette carte illustre limportance de lagriculture dans le bilan hydrique des pays. Alors que les prélèvements en eau pour lagriculture ne représentent dans la majorité des pays quune petite partie de lensemble des ressources en eau renouvelables, certaines régions comme le nord-est de lAfrique et lAsie occidentale se distinguent en ce que leurs prélèvements pour lagriculture comptent pour plus de 40 pour cent de leurs ressources en eau totales. Dans certaines parties du Proche et du Moyen-Orient, les prélèvements en eau pour lagriculture dépassent le total de leurs ressources.
Source: AQUASTAT, 2002.
Figure 6 Lirrigation et les ressources en eau: prélèvements actuels (1999) et prévus (2030)
Cette figure montre laugmentation prévue des prélèvements deau pour lirrigation pour la période 1999-2030. Une augmentation est attendue dans toutes les régions, et plus particulièrement en Asie du Sud, mais la région de lAfrique subsaharienne devrait maintenir ses très faibles niveaux de prélèvement deau pour lirrigation.
Source: Données et prévisions de la FAO.
Tableau 4 Efficience dutilisation de leau en 1998 et 2030 (prévisions) dans 93 pays en développement
|
Afrique sub-saharienne |
Amérique latine |
Proche-Orient/ Afrique du Nord |
Asie du Sud |
Asie de lEst |
Tous pays |
||||
Efficience dutilisation de leau en irrigation (%) |
||||||||||
1998 |
33 |
25 |
40 |
44 |
33 |
38 |
||||
2030 |
37 |
25 |
53 |
49 |
35 |
42 |
||||
Prélèvements deau pour lirrigation en pourcentage des ressources en eau renouvelables (%) |
||||||||||
1998 |
2 |
1 |
53 |
36 |
8 |
8 |
||||
2030 |
3 |
2 |
58 |
41 |
8 |
9 |
Source: FAO, 2002
ENCADRÉ 2 POTENTIEL DAMÉLIORATION DE LEFFICIENCE DUTILISATION DE LEAU EN AGRICULTURE Les stratégies mondiales dutilisation de leau ont tendance à mettre laccent sur la nécessité daugmenter lefficience dutilisation de leau en agriculture, de réduire le gaspillage et de libérer de gros volumes deau pour dautres utilisations plus productives tout en permettant aux lacs et aux rivières de continuer à jouer leur rôle essentiel pour lenvironnement. Des progrès sont possibles en matière dutilisation de leau pour lagriculture, mais ces améliorations seront lentes à se mettre en place et sont limitées par plusieurs facteurs. Dabord, de vastes superficies dagriculture irriguée se trouvent dans la zone tropicale humide où leau ne manque pas et où une efficience améliorée ne se traduira pas par une augmentation de la productivité de leau. Ensuite, lefficience dutilisation de leau est en général calculée à léchelle de lexploitation ou du périmètre irrigué, mais la plus grande partie de leau qui nest pas utilisée par les cultures retourne dans le système hydrologique et peut être employée en aval. Dans ces conditions, les améliorations de lefficience dutilisation de leau réalisées au niveau du champ ne font progresser que très modérément lefficience globale à léchelle du bassinfluvial. En fin, chaque système de culture a un potentiel différent damélioration de lefficience dutilisation de leau. En règle générale, les cultures arbustives et les légumes sadaptent bien aux technologies dirrigation localisées qui sont très efficaces. Par contre, ce type déquipement ne convient pas aux céréales et à bien dautres cultures. |
Dans les pays en développement, les prélèvements en eau pour lirrigation devraient augmenter denviron 14 pour cent en passant de 2 130 km3 par an actuellement à 2 420 km3 en 2030. Cette constatation, qui confirme le chiffre de lencadré 1, procède cette fois spécifiquement des évaluations individuelles réalisées pour chaque pays en développement. Les superficies irriguées récoltées (la superficie cumulée de toutes les cultures sur une année) devrait saccroître de 33 pour cent, de 257 millions dhectares en 1998 à 341 millions dhectares en 2030. Laugmentation disproportionnée des superficies récoltées sexplique par lamélioration prévue de lefficience dirrigation, qui entraînera une diminution des prélèvements bruts en eau dirrigation par hectare cultivé. Un faible pourcentage de cette réduction reflète les changements que connaît la Chine en matière de systèmes de culture, puisque lévolution des préférences des consommateurs provoque une diminution de la part relative de la production de riz au profit de celle du blé.
Bien que certains pays aient atteint des niveaux extrêmes dutilisation de leau pour lagriculture, lirrigation représente encore une part relativement faible de lensemble des ressources en eau des pays en développement. Laugmentation prévue des prélèvements en eau ne modifiera pas sensiblement la situation. Toutefois, il existe déjà, à léchelle locale, de graves cas de pénurie deau, en particulier dans la région du Proche-Orient/Afrique du Nord et dans de vastes zones en Asie.
Parmi les quatre-vingt-treize pays en développement étudiés par la FAO, dix utilisent déjà plus de 40 pour cent de leurs ressources en eau renouvelables pour lirrigation, un seuil qui marque le moment où les pays doivent en général faire un choix difficile entre leur secteur agricole et lapprovisionnement en eau de leurs villes. Huit autres pays utilisent plus de 20 pour cent de leurs ressources, un seuil qui peut servir dindicateur dune pénurie deau imminente. Dici 2030, lAsie du Sud aura atteint le niveau des 40 pour cent, et la région du Proche-Orient/Afrique du Nord un pourcentage de 58 pour cent. Par contre, en 2030, la proportion des ressources en eau renouvelables allouées à lirrigation restera vraisemblablement bien en dessous des seuils critiques en Afrique sub-saharienne, en Amérique latine et en Asie de lEst.
Leau contenue dans les nappes souterraines peu profondes a joué un rôle important pour le développement et la diversification de la production agricole, ce qui est logique du point de vue de la gestion des ressources: lorsque les eaux souterraines sont accessibles, elles constituent une protection de premier ordre contre les aléas du climat et la faible fiabilité de nombreux systèmes de distribution deau dans les périmètres irrigués. Elles offrent également des avantages plus subtils.
Laccès aux eaux souterraines favorise considérablement légalité de la distribution, et pour de nombreux agriculteurs, lexploitation de ces eaux représente un système dapprovisionnement idéal. Parce quils en disposent à la demande et juste au moment où ils en ont besoin, ils décident parfois dinvestir dans les technologies dexploitation des eaux souterraines de manière privée pour pallier au manque de fiabilité et déquité des services dirrigation qui distribuent les eaux de surface. A bien des égards, lutilisation des eaux souterraines a permis aux agriculteurs déchapper à la gestion traditionnelle des périmètres irrigués. Ce type dexploitation permet déviter certains des problèmes de gestion que posent les grands aménagements dirrigation de surface, mais limpact total dun grand nombre dutilisateurs individuels peut être préjudiciable, et il sest avéré difficile de modérer la «course au pompage». Néanmoins, comme le pompage des eaux souterraines a un coût direct, les agriculteurs ont tout intérêt à les utiliser efficacement. Lorsque le coût de lénergie est subventionné, ce frein nest plus aussi efficace. Ces manquements ont sans doute accéléré lépuisement des eaux souterraines dans certaines parties de lInde et du Pakistan.
Les principes techniques de la gestion durable des eaux souterraines et des nappes aquifères sont bien connus mais la mise en pratique de la gestion des eaux souterraines a posé de sérieuses difficultés, dues essentiellement au statut légal de ces eaux qui traditionnellement sont assimilées aux propriétés foncières, et aussi aux intérêts concurrentiels des agriculteurs qui prélèvent leau des nappes aquifères communes (Burke et Moench, 2000). Les prélèvements peuvent entraîner une baisse des niveaux deau jusquà une profondeur qui soit économiquement au-delà de la portée des technologies de pompage, ce qui pourrait pénaliser les agriculteurs les plus pauvres et rendre des zones impropres à la production agricole. A proximité de la mer, ou deaux souterraines salines, les nappes aquifères trop pompées sont sujettes à lintrusion deaux salées. La qualité des eaux souterraines est aussi menacée par lapplication des fertilisants, herbicides et pesticides qui sont lessivés dans les nappes aquifères. Il faut souvent beaucoup de temps pour repérer ces sources de pollution diffuse issues de lactivité agricole, mais leurs effets peuvent être tenaces, en particulier lorsquil sagit de polluants organiques persistants.
Les eaux souterraines fossiles, cest-à-dire les eaux souterraines contenues dans des aquifères qui ne sont pas activement alimentés, représentent une ressource précieuse mais épuisable. Par exemple, les vastes nappes aquifères sédimentaires dAfrique du Nord et du Moyen-Orient, qui ne sont plus alimentées, ont déjà été exploitées pour des aménagements agricoles à grande échelle selon un processus de tarissement planifié. Dans certains cas, la poursuite des prélèvements sera limitée par les contraintes économiques du pompage, et favorisée lorsque lagriculture et lapprovisionnement urbain feront peser une forte demande économique (Schiffie, 1998). Deux pays, la Jamahiriya arabe libyenne et lArabie saoudite, utilisent déjà considérablement plus deau pour lirrigation que leurs ressources en eau renouvelables ne le leur permettent, en prélevant sur leurs réserves deaux souterraines fossiles. Dans une moindre mesure, plusieurs autres pays recourent aux eaux souterraines fossiles pour leur irrigation. Lorsque ces réserves deaux souterraines possèdent une valeur stratégique élevée sur le plan de la sécurité de lapprovisionnement en eau, on peut juger contestable leur tarissement pour satisfaire les besoins de lirrigation.
ENCADRÉ 3 LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET SES INDICATEURS Selon la définition adoptée par la FAO, la sécurité alimentaire est laccès physique, social et économique pour tous les êtres humains à une nourriture suffisante, saine et nutritive qui leur permette de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. A linverse, linsécurité alimentaire est létat des personnes qui vivent dans la faim et la peur de la famine. La sécurité alimentaire exige:
Létat de santé des individus entre aussi dans le cadre de la sécurité alimentaire puisque des personnes malades sont gênées ou incapables dassurer leur propre sécurité alimentaire ou celle de leur ménage. De même, les personnes sous-alimentées sont beaucoup plus prédisposées à la maladie. La ration alimentaire par personne et par jour, en kilocalories, sert dindicateur de la sécurité alimentaire pour les besoins des évaluations régionales et mondiales. Cet indicateur est obtenu à partir des statistiques de la production agricole et du commerce. Au niveau national, une ration alimentaire inférieure à 2 200 kcal/jour reflète un très faible niveau de sécurité alimentaire et un pourcentage élevé de la population touché par la malnutrition. Un niveau de plus de 2 700 kcal/jour indique que seul un faible pourcentage de personnes est sous-alimenté. Lorsque les personnes ont accès à la nourriture, la ration alimentaire par personne augmente rapidement mais se stabilise autour de 3 500 kcal/jour. Il faut souligner que la ration alimentaire par personne exprimée en calories nest quun indicateur de la sécurité alimentaire: une alimentation adéquate nécessite, en plus des calories, une diversité équilibrée daliments offrant tous les nutriments nécessaires. |