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2. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROBLÈMES DE SANTÉ PUBLIQUE


2.1 Organismes Indésirables

2.1.1 Enterobacter sakazakii

Enterobacter sakazakii est une bactérie à Gram-négatif sans formation de spores, appartenant à la famille des Enterobacteriaceae. Elle a parfois été associée à des cas sporadiques ou à de brèves flambées de septicémie, de méningite, de cérébrite et d'entérocolite nécrosante. Même si E. sakazakii a causé des maladies dans tous les groupes d'âge, la réunion s'est concentrée sur les cas signalés chez les nouveau-nés de moins de 28 jours. Bien qu'incomplètes, les données publiées concernant ces nourrissons indiquent qu'environ la moitié d'entre eux avaient un poids de naissance inférieur à 2000 g, et que les deux tiers étaient des enfants prématurés, nés à moins de 37 semaines de gestation. Il est probable également que les nourrissons immunodéprimés ou médicalement compromis soient plus sensibles aux infections à +. Chez les enfants nés à terme, la structure de la morbidité est moins claire, certains des nourrissons touchés présentant des anomalies congénitales majeures (par exemple, malformations du tube neural et trisomie 21 [syndrome de Down]), tandis que d'autres ne semblent présenter aucune défaillance dans leurs mécanismes de défense, bien qu'atteints d'infection ou de méningite à E. sakazakii (Lai, 2001). Des bactériémies à E. sakazakii ont également été signalées chez les nourrissons plus âgés et les nouveau-nés à leur domicile (CDC, données non publiées). Par ailleurs, des cas ont été rapportés de nourrissons asymptomatiques dont les selles ou les urines contenaient E. sakazakii (Biering et autres, 1989; CDC, 2002; Block et autres, 2002), avec la présence établie de la bactérie dans les selles pendant une période allant jusqu'à 18 semaines (Block et autres, 2002).

Des taux de mortalité pour infections à E. sakazakii de 50 pour cent ou plus ont été signalés, mais ce chiffre est tombé à moins de 20 pour cent ces dernières années. Une morbidité importante sous forme de déficits neurologiques peut être attribuable à cette infection, notamment chez les sujets atteints de méningite cérébrale et de cérébrite. La maladie répond généralement bien à la thérapie antibiotique, mais divers auteurs ont signalé une augmentation de la résistance aux antibiotiques les plus couramment utilisés pour le traitement initial des infections soupçonnées à E. sakazakii. Des cas ont également été signalés concernant la production de b-lactamases et de céphalosporinases par E. sakazakii (Pitout et autres, 1997). Les séquelles neurologiques à long terme sont bien connues (Lai, 2001; Clark et autres, 1990).

Alors que le réservoir de E. sakazakii est dans bien des cas inconnu, des rapports de plus en plus nombreux ont indiqué les préparations en poudre pour nourrissons comme la source et le vecteur de l'infection (Biering et autres, 1989; Simmons et autres, 1989; Van Acker et autres, 2001; CDC, 2002). Dans plusieurs investigations sur les flambées d'infections à E. sakazakii survenues chez des nouveau-nés en unités néonatales de soins intensifs, les chercheurs ont pu montrer une association à la fois statistique et microbiologique entre l'infection et la consommation de préparations en poudre pour nourrissons (Simmons et autres, 1989; Van Acker et autres, 2001; CDC, 2002). Ces investigations comportaient des études de cohortes qui ont mis en cause les préparations consommées par les nouveau-nés infectés. Par ailleurs, il n'y avait aucune preuve d'une transmission de nourrisson à nourrisson ou par l'environnement; tous les cas considérés avaient consommé les préparations mises en cause (Simmons et autres, 1989; Van Acker et autres, 2001; CDC, 2002). Les préparations consommées par les nourrissons contaminés dans chacune de ces flambées d'infection contenaient E. sakazakii; dans deux de ces poussées infectieuses, des préparations provenant de récipients appartenant à un même lot de fabrication et qui n'avaient pas été ouverts auparavant, contenaient également E. sakazakii. Une combinaison de diverses méthodes de typage (analyse plasmidique, antibiogrammes, analyse de fragments de restriction chromosomique, ribotypage, typage par électrophorèse des protéines) a été utilisée pour évaluer les isolats de chaque flambée quant à leur lien avec celle-ci. Bien que les méthodes de typage aient différé, les isolats provenant des cas analysés et ceux obtenus à partir des préparations mises en cause, avaient en commun le même profil de typage dans chacune de ces investigations.

Par ailleurs, l'estomac des nouveau-nés, surtout des bébés prématurés, est moins acide que celui des adultes: ce facteur peut jouer un rôle important dans la persistance de l'infection à E. sakazakii chez les nourrissons. La fréquence de la contamination intrinsèque en E. sakazakii des préparations en poudre pour nourrissons est préoccupante, même si les niveaux de concentration intrinsèque de E. sakazakii sont d'ordinaire très faibles.

Dans une étude de la prévalence de la contamination par E. sakazakii portant sur 141 préparations en poudre pour nourrissons, 20 ont été trouvées positives en culture alors qu'elles étaient toutes conformes aux spécifications microbiologiques pour le dénombrement des coliformes dans les préparations destinées aux nourrissons (< 3 ufc/g) du Code du Codex en vigueur (Van Acker et autres, 2001; Muytjens, Roelofs-Willemse et Jasper, 1988). Ces préparations ont été associées à des flambées d'infection (Van Acker et autres, 2001). Par ailleurs, dans d'autres cas d'infection, les chercheurs n'ont pu déceler aucune défaillance dans les procédures de préparation des produits pour nourrissons (Van Acker et autres, 2001; CDC, 2002). Il semble donc que ni des niveaux de contamination élevés, ni des manquements dans l'hygiène de la préparation, ne soient nécessaires pour causer une infection due à la présence de E. sakazakii dans les préparations en poudre pour nourrissons. Si l'on peut supposer que des défaillances dans l'hygiène de la préparation ou bien la conservation prolongée à des températures non réfrigérées, pourraient déterminer une augmentation des niveaux de contamination au moment de la consommation, il n'est pas possible toutefois de mesurer la contribution de ces facteurs aux cas d'infection associés aux préparations en poudre pour nourrissons qui avaient une faible teneur en E. sakazakii. L'hypothèse actuelle est donc que de faibles niveaux de E. sakazakii dans les préparations destinées aux nourrissons (< 3 ufc/g) puissent être une cause d'infection.

Il a été prouvé que le matériel utilisé pour la préparation de produits en poudre pour nourrissons contaminé par E. sakazakii, avait été la cause de deux flambées d'infection (Noriega et autres, 1990; Block et autres, 2002), mais la source de E. sakazakii n'a pu être déterminée dans aucun des deux cas. L'écouvillonnage ambiant des lieux de préparation des produits pour nourrissons effectué au cours des investigations, n'a pas décelé la présence de E. sakazakii dans l'environnement. La bactérie a été détectée dans l'environnement d'installations de production de lait en poudre et d'autres sites de production alimentaire, ainsi que dans les foyers (Kanghai, Riej et Gorris, 2004). Tous les nourrissons infectés par E. sakazakii n'avaient pas été en contact avec des préparations en poudre et des infections à E. sakazakii peuvent également se produire chez les adultes (Lai, 2001). Aussi, bien qu'une source environnementale d'infection à E. sakazakii autre que les préparations pour nourrissons n'ait pas été strictement identifiée, il existe très certainement d'autres sources. La contribution relative des préparations en poudre pour nourrissons et d'autres sources aux maladies à E. sakazakii, n'est pas connue.

Les facteurs de virulence et le pouvoir pathogène de E. sakazakii sont très peu connus. Les travaux conduits par Pagotto et autres (2003) ont été les premiers à décrire les facteurs de virulence putatifs pour E. sakazakii. Des composés du genre entérotoxines ont été produits par certaines souches. À partir de cultures de tissus, certaines souches ont produit un effet cytotoxique. Deux souches (sur 18 isolats) ont été capables de causer la mort d'un souriceau nouveau-né par voie buccale. Il semble donc qu'il existe des différences en termes de virulence entre les souches de E. sakazakii et que certaines souches puissent ne pas être pathogènes. Les abcès du cerveau dus à E. sakazakii et à la bactérie associée (Citrobacter koseri) sont morphologiquement similaires et peuvent être dus à des mécanismes de virulence semblables (Kline, 1988).

2.1.2 Autres organismes indésirables en cause

Bien que les préparations liquides pour nourrissons, prêtes à l'emploi, soient commercialement stériles, les produits lactés en poudre ne le sont pas. Une étude effectuée en 1988 et portant sur 141 préparations pour nourrissons différentes provenant de 35 pays, a mis en évidence la présence d'entérobactéries dans 52 pour cent des produits considérés (Muytjens, Roelofs-Willemse et Jasper, 1988). Les entérobactéries sont également des étiologies communes pour l'infection systémique des nouveau-nés et, dans une moindre mesure, des nourrissons plus âgés. E. sakazakii peut être un organisme sentinelle, attirant l'attention du fait de sa relative rareté. D'autres entérobactéries provenant de préparations en poudre pour nourrissons peuvent également être responsables d'infections systémiques chez le nouveau-né, mais les informations dont on dispose ne permettent pas d'en déterminer le rôle. Une flambée d'infections à Citrobacter freundii dans une unité néonatale de soins intensifs a permis d'identifier les préparations destinées aux nourrissons comme le vecteur d'infection, mais il n'a pu être établi si leur contamination était intrinsèque (la source) ou extrinsèque.

La contamination des préparations pour nourrissons par les salmonelles a été responsable de nombreuses flambées d'infection (Picket et Agate, 1967; Rowe et autres, 1987; CDC, 1993; Usera et autres, 1996; Threlfall et autres, 1998; Olsen et autres, 2001; Bornemann et autres, 2002). Comme pour E. sakazakii, un faible niveau de contamination intrinsèque des préparations en poudre par les salmonelles était associé sur le plan épidémiologique et microbiologique aux infections enregistrées chez les nourrissons lors de ces flambées. Les taux de salmonellose sont eux aussi plus élevés chez les nourrissons que dans tout autre groupe d'âge (Olsen et autres, 2001). Parmi les facteurs qui entraînent un risque d'infection relativement élevé pour les nouveau-nés, on trouve l'achlorhydrie gastrique relative, le pouvoir tampon du lait, l'utilisation de préparations pour nourrissons enrichies en fer et la nécessité de changer fréquemment les couches (Miller et Pegues, 2000). Toutefois, contrairement à E. sakazakii et à d'autres entérobactéries, les salmonelles sont rarement décelées dans les enquêtes sur les préparations en poudre destinées aux nourrissons. Dans une étude portant sur 141 préparations différentes effectuée par Muytjens, Roelofs-Willemse et Jasper (1988), aucun des échantillons analysés ne contenait de Salmonella.

Les préparations en poudre pour nourrissons n'ont jamais été identifiées d'une façon véritablement convaincante comme un vecteur ou une source d'infection pour les cas sporadiques, contrairement aux flambées d'infection à Salmonella, mais cela pourrait être dû au fait que dans le cas d'infections sporadiques les vecteurs sont plus difficiles à identifier. Il ne s'agit pas d'en conclure que des infections sporadiques dues à des préparations en poudre pour nourrissons ne se sont jamais produites, mais leur fréquence n'est pas connue. Les études de grande envergure qui sont actuellement conduites aux États-Unis sur les cas sporadiques, seront d'une grande utilité pour déterminer l'existence éventuelle d'un lien entre de nombreux cas sporadiques de salmonellose et les préparations en poudre pour nourrissons.

2.2 Portée/Cas étudiés

La réunion a porté sur les maladies des nourrissons (c'est-à-dire des enfants de moins d'un an) liées à des microorganismes (ou à leurs toxines) et associées sur le plan épidémiologique ou microbiologique aux préparations en poudre pour nourrissons.

2.2.1 Identification des produits examinés

Les produits examinés étaient ceux en poudre, spécialement préparés et présentés à l'intention des nourrissons, et destinés à remplacer le lait maternel après adjonction d'eau, à modifier les substituts du lait maternel préparés, ou encore à enrichir le lait maternel. Il s'agissait donc notamment des préparations pour nourrissons (telles qu'elles sont définies dans la norme Codex Stan 78-1981[7]), des préparations de suite (telles qu'elles sont définies dans la norme Codex Stan 156-1987[8]), des préparations données à des fins médicales spéciales aux nourrissons (telles qu'elles sont définies dans l'Annexe V du document Codex Alinorm 04/27/26[9]), de préparations destinées à des fins médicales spéciales pour l'alimentation partielle des nourrissons (couvertes par la norme Codex Stan 180-1991[10]) et de produits d'enrichissement du lait maternel.

Les substituts du lait maternel sont nécessaires lorsque les nourrissons n'ont pas accès à ce lait pour diverses raisons. Les préparations commercialisées sont d'ordinaire des substituts du lait maternel destinés aux nourrissons de moins de 6 mois en bonne santé, et formulés industriellement conformément aux normes applicables du Codex. Les préparations données à des fins médicales spéciales aux nourrissons sont des substituts du lait maternel destinés aux nourrissons malades (patients). Bien qu'il soit possible d'utiliser d'autres laits après 6 mois, les préparations de suite peuvent remplacer le lait maternel chez le nourrisson plus âgé qui consomme également des aliments de complément. Ces trois types de préparations ne requièrent que l'adjonction d'eau pour pouvoir être consommées et sont aussi souvent disponibles sous forme liquide, prête à servir. Les préparations destinées à des fins médicales spéciales pour l'alimentation partielle des nourrissons nécessitent toutefois l'ajout de quantités définies d'autres aliments, souvent eux aussi en poudre, pour satisfaire les besoins nutritionnels spécifiques du patient en bas âge concerné.

Les produits d'enrichissement du lait maternel sont des suppléments en poudre qui peuvent être ajoutés au lait maternel exprimé lorsque les besoins nutritionnels des nourrissons de faible poids de naissance (< 2 500 g) et surtout de ceux de très faible poids de naissance (< 1 500 g) ne sont pas satisfaits par le seul lait maternel. Ces produits peuvent contenir des agents d'épaississement, tels que des amidons ou des céréales simples, spécialement préparés pour améliorer la consistance de l'aliment liquide et qui peuvent être ajoutés aux préparations destinées aux nourrissons souffrant de reflux gastro-œsophagien.

Dans le rapport suivant, le terme "préparations en poudre pour nourrissons" s'étend à tous les produits susmentionnés, à l'exclusion des céréales.

2.2.2 Définition des cas

La réunion a porté sur les maladies des nourrissons (c'est-à-dire des enfants < 1an) liées à des microorganismes (ou à leurs toxines) et associées, sur le plan épidémiologique ou microbiologique, aux préparations en poudre pour nourrissons. La figure 1 présente une synthèse graphique des questions rentrant dans le champ d'application des travaux et de celles qui ont été exclues. La zone d'intersection des trois cercles, c'est-à-dire la zone 7, représente l'objet de la réunion.

Il convient de noter que certaines maladies causées par des préparations en poudre pour nourrissons peuvent avoir été exclues, notamment dans les cas où aucun microorganisme n'a pu être identifié avec certitude (zone 5 de la figure 1) et lorsque le microorganisme responsable n'a pas été associé avec certitude aux préparations en poudre pour nourrissons (zone 4 de la figure 1). Par ailleurs, les bactéries décelées dans les préparations pour nourrissons n'ont pas été prises en compte par la réunion lorsqu'il manquait la preuve de leur lien avec la maladie chez les nourrissons (zone 6 de la figure 1).

Les jeunes enfants (c'est-à-dire > 1 an) consommant des préparations en poudre peuvent eux aussi être atteint d'une maladie associée à la contamination microbiologique de ces produits. Toutefois, ces maladies n'ont pas été prises en compte par la réunion, car il semblait que le spectre des maladies pouvait être représenté d'une manière adéquate par les nourrissons âgés de moins d'un an (et les sous-populations de nourrissons < 1 an), ces groupes étant considérés comme les populations les plus à risque.

Figure 1. Représentation graphique des questions examinées au moment de la définition de l'objet de la réunion.

1. Cas de maladies chez les nourrissons

2. Consommation de préparations en poudre pour nourrissons

3. Agents pathogènes identifiés

4. Maladie chez des nourrissons causée par un microorganisme spécifique (préparations en poudre pour nourrissons non liées à la maladie)

5. Maladie chez des nourrissons associée à la consommation de préparations en poudre pour nourrissons (microorganisme inconnu)

6. Microorganismes spécifiques présents dans les préparations en poudre pour nourrissons mais ne causant pas de maladie

7. Microorganismes spécifiques présents dans les préparations en poudre pour nourrissons ayant causé des maladies chez les nourrissons = objet de la réunion


[7] Actuellement disponible à l'adresse suivante: ftp://ftp.fao.org/codex/standard/en/CXS_072e.pdf.
[8] Actuellement disponible à l'adresse suivante: ftp://ftp.fao.org/codex/standard/en/CXS_156e.pdf.
[9] Actuellement disponible à l'adresse suivante: ftp://ftp.fao.org/codex/alinorm04/al04_26e.pdf.
[10] Actuellement disponible à l'adresse suivante: ftp://ftp.fao.org/codex/standard/en/CXS_180e.pdf.

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