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Terres et forêts d'Amazonie: Pour quoi et pour qui?

Marc J. Dourojeanni 1


Résumé

Le présent document analyse la relation entre l'homme et la forêt, en mettant l'accent sur le conflit entre les utilisations des terres recouvertes de forêts axées sur l'obtention de produits et de services forestiers d'une part et de produits agricoles de l'autre. Après une analyse des efforts faits pour stabiliser la frontière entre l'agriculture et la foresterie, en particulier en Amazonie, nous concluons que le seul moyen pour que les activités agricoles ne continuent pas à se développer aux dépens de la forêt, est d'accroître la compétitivité économique de cette dernière. L'une des meilleures options dont nous disposons à cet effet est de faire payer les services de protection de l'environnement rendus par les forêts. Il est essentiel non seulement de mettre en place des mécanismes nationaux et internationaux pertinents, mais aussi de veiller à ce que la société civile ait la possibilité de participer plus efficacement à la gestion de la foresterie et des problèmes liés à l'agriculture.


Introduction

À propos des forêts, on peut dire en gros que la population est divisée en trois groupes: i) une majorité qui est indifférente ou ne se rend pas compte de la situation; ii) un grand nombre de personnes qui ont besoin de la forêt ou connaissent son importance; iii) une catégorie tout aussi nombreuse qui doit ou préfère détruire la forêt pour mener à bien d'autres activités. Mis à part les indifférents - en général les habitants des villes - les deux autres groupes forment une dichotomie antagoniste qui a modelé la face de la terre depuis que l'agriculture et l'élevage existent. La relation entre ces deux groupes - dans laquelle tous ceux qui sont indifférents sont aussi impliqués sans le savoir - est le résultat de l'évolution des besoins humains. Le sentiment général est que ce conflit aurait dû être résolu par un consensus, en laissant de la place pour les deux groupes, étant donné que chacun d'eux est nécessaire à l'autre. Alors que ce consensus existe dans les pays développés, ce qui explique que les frontières entre l'agriculture et la foresterie en Amérique du Nord et en Europe soient restées à peu près stables au cours des cent dernières années, il n'en est pas ainsi dans les régions tropicales. En Amérique latine, cette situation ne saurait être due à l'absence de législation, vu l'abondance des lois en la matière. Un consensus est peut-être nécessaire pour renforcer la légitimité de ces lois mais, en vérité, le problème est beaucoup plus complexe.

Dans ce document, nous analyserons les conséquences du conflit auquel nous avons fait allusion, pour les forêts. Nous allons aussi examiner, en nous référant spécifiquement à l'Amazonie, les enseignements tirés des efforts accomplis pour stabiliser la frontière entre l'agriculture et la foresterie et, pour finir, tenter de voir comment nous pourrions réussir mieux que par le passé à maintenir la production de biens forestiers et à obtenir des services de protection de l'environnement grâce aux forêts.

Pour qui devons-nous conserver la forêt?

Les hommes qui ont besoin de la forêt ou qui pensent qu'elle est importante et qui, en principe, préfèreraient la conserver, forment un groupe qui n'a rien d'homogène. D'une manière générale, ils peuvent être divisés en trois groupes : i) ceux qui sont tributaires de la forêt dont ils tirent leurs moyens d'existence, soit directement - les indigènes et les habitants traditionnels des forêts, soit indirectement - ceux qui dépendent des industries forestières et du commerce des produits forestiers; ii) les amoureux de la nature qui sont prêts à payer le prix qu'il faut pour préserver un bien qui, à leurs yeux, représente des valeurs éthiques et esthétiques particulières, et iii) ceux qui ont réalisé que les fonctions environnementales des forêts et d'autres écosystèmes naturels et semi-naturels, revêtent une importance croissante pour la sécurité future. Cette catégorie inclut ceux qui pensent que ces services offrent de nouvelles opportunités commerciales. Il n'existe pas de division bien tranchée entre les trois groupes.

Les membres du premier de ces trois groupes sont les seuls à participer souvent à des activités qui endommagent la forêt pour compléter leur revenu ou accumuler des richesses. La majorité des personnes qui tirent profit de la forêt la considèrent seulement comme un moyen de gagner leur vie ou de s'enrichir. Pour les autres, en particulier les indigènes, la forêt qui pourvoit à leur subsistance est aussi le lieu où ils vivent.

Contrairement à ce que l'on croit généralement, les trois groupes sont importants. Le premier est estimé à 1 600 millions de personnes. Le second est tout aussi important puisqu'il comprend les dizaines de millions de volontaires qui contribuent à la conservation de la nature dans le monde entier, et les centaines de millions d'individus qui utilisent les forêts à des fins récréatives, comme le tourisme. Le troisième groupe est celui qui s'accroît le plus rapidement et qui aura probablement le plus d'influence, grâce aux découvertes scientifiques récentes largement divulguées. La communauté internationale commence à voir la forêt comme un facteur de sécurité mondiale. Grâce à des économistes novateurs, les services de protection de l'environnement commencent à être reconnus comme des biens matériels, voire marchands. Il s'ensuit que ce groupe assume aussi quelques caractéristiques du premier groupe, car il considère que la forêt est plus qu'un simple fournisseur de produits forestiers et attend avec impatience que l'on trouve des moyens qui lui permettent d'en tirer d'autres avantages.

Pour qui la forêt est-elle principalement un obstacle ?

Si le couvert forestier continue à diminuer en Amérique latine, ce n'est pas à cause de la forêt, mais le plus souvent à cause de l'expansion de l'agriculture et de l'élevage. Celle-ci est parfois, mais pas toujours, due à des raisons économiques, comme dans le cas de l'élevage extensif de bétail en Amazonie. Dans cette région, l'empiètement de l'agriculture sur la foresterie a été encouragé et subventionné de diverses manières par les gouvernements nationaux et régionaux depuis la fin du XIXème siècle. Il y a à cela toute une série de raisons, allant de considérations géopolitiques jusqu'à la volonté d'éviter des réformes de l'agriculture dans d'autres régions. Le résultat a été la destruction de 12 à 15% de la forêt amazonienne, même si certaines sources moins officielles font état d'une perte beaucoup plus élevée. Le même processus a abouti à la destruction de 40% de la végétation dans le cerrado brésilien (forêt de broussailles). L'expansion de l'agriculture, en particulier des cultures de soja, de riz, de coton et de maïs, à l'aide des nouvelles technologies disponibles, notamment pour la production de variétés transgéniques, est extrêmement rentable sur des sols considérés comme infertiles il y a trente ans. La progression de l'agriculture intensive, impulsée par de puissantes entreprises à laquelle sont alloués des fonds publics, est frappante dans les États du Mato Grosso, de Parà, de Rondonia et à présent en Amazonie.

L'agriculture se développe aussi, mais de manière plus dispersée, parmi les ruraux et les urbains pauvres dans d'autres régions du pays. L'accès étant facilité par des programmes de construction de routes, parfois financés de manière précaire par des programmes d'établissements humains, des millions de ruraux pauvres sont arrivés et continuent d'affluer à la frontière entre l'agriculture et la forêt. Pour les nouveaux arrivés, la forêt représente juste deux choses: un obstacle et une crainte. Elle est un obstacle pour les cultures et l'élevage, et elle inspire la crainte comme tout ce qui est inconnu. C'est pourquoi ils la détruisent. Ces derniers temps, grâce à l'augmentation de l'information et à la demande croissante de bois, lls tournent facilement cet obstacle en profit, en vendant de beaux bois pour payer les frais de leur première récolte. Cependant, qu'il s'agisse d'un obstacle, d'un motif de crainte ou d'une source de profit, tous ces éléments vont contre la forêt et contre l'intérêt commun. Or, comme ces ruraux pauvres n'ont pas accès aux technologies ou aux financements, ils sont pour la plupart condamnés à la culture itinérante.

De plus en plus souvent, ces migrants pauvres sont pris pour des gens de la forêt et il ne fait aucun doute que beaucoup sont pris en compte dans les statistiques qui indiquent que, dans le monde, 1 600 millions de personnes sont tributaires des forêts. Or eux ne dépendent pas de la forêt mais de sa destruction. En outre, dans la région amazonienne des pays andins, les habitants des forêts sont remplacés par des fermiers andins, tout comme les communautés forestières de l'Amazonie brésilienne sont remplacées par des travailleurs ruraux du nord-est et du sud. Une analyse de la pauvreté réalisée en Amazonie a révélé que d'anciennes communautés forestières vivent aujourd'hui dans les ceintures de pauvreté péri-urbaines et que la majorité des personnes qui vivent actuellement en zone rurale viennent d'autres régions du pays. Soixante-dix pour cent de la population de l'Amazonie brésilienne est urbaine. La proportion de ruraux vivant actuellement en forêt est faible, et principalement constituée d'indigènes.

Résultats des efforts visant à concilier les demandes concurrentes pesant sur les terres recouvertes de forêts

Quelles sont les mesures qui ont été prises en Amazonie pour concilier les utilisations des terres recouvertes de forêts et créer les conditions pour que la destruction des forêts ne dépasse pas les limites de ce qui est juste et nécessaire ? De nombreuses tentatives ont été faites et peuvent être classées dans trois groupes de mesures stratégiques: i) mesures visant à contrôler ou à gérer l'occupation des terres; ii) mesures visant à rendre le secteur forestier plus compétitif par rapport à l'agriculture, et iii) mesures visant à réduire l'expansion de l'agriculture en élevant la productivité. D`une manière générale, le deuxième et le troisième groupes de mesures ont eu moins de succès que le premier, néanmoins certains signes sont encourageants.

La stratégie consistant à accroître la productivité agricole pour qu'il soit moins nécessaire d'accroître les superficies cultivées a échoué principalement pour deux raisons: premièrement, elle a été sabordée par les gouvernements qui ont continué à consentir l'accès à de nouvelles terres, et deuxièmement, les technologies visant à élever la productivité n'étaient accessibles qu'aux agriculteurs riches. En outre, comme on pouvait le prévoir, faute d'intervention des autorités, l'augmentation des profits résultant de l'élévation de la productivité a conduit à une expansion de l'agriculture. Récemment seulement, le gouvernement de l'état d'Acre a commencé à appliquer sérieusement cette stratégie et les premiers résultats semblent bons.

Certaines stratégies de gestion des terres valent la peine d'être mentionnées, notamment: i) cartographie de l'écologie et des sols, montrant le potentiel d'utilisation des terres; ii) zonage écologique et économique; iii) suppression des incitations fiscales perverses ; iv) établissement de zones de conservation permanentes sur certaines terres; v) création de réserves et d'habitats forestiers humains; vi) création de zones et de terres protégées indigènes, vii) fourniture d'incitations en faveur de la conservation de la nature sur les terres privées ; viii) évaluations d'impact environnemental pour les infrastructures publiques et les entreprises agricoles ; ix) répartition des taxes fédérales proportionnellement à la taille de la zone protégée d'une municipalité et, entre autres, diverses prohibitions et interdictions saisonnières concernant l'utilisation d'espèces rares.

De nombreuses mesures tendent aussi à ralentir la progression de l'agriculture aux dépens de la forêt, en améliorant la rentabilité des activités sylvicoles. Parmi celles-ci, certaines sont utilisées depuis longtemps : i) gestion des forêts, dans sa version traditionnelle et avec utilisation de critères et indicateurs de durabilité; ii) introduction de nouvelles espèces sur le marché; iii) réduction des déchets; amélioration des filières et des processus de commercialisation; v) foresterie communautaire et, entre autres, vi) reforestation, vii) diverses mesures agro-sylvicoles et agro-sylvo-pastorales ; et viii) production forestière dans des forêts secondaires aménagées. D'autres sont relativement nouvelles : i) développement et rétribution des services de protection de l'environnement, tels que fixation du carbone; maintien du cycle de l'eau, protection de la biodiversité et indemnisation des personnes qui entretiennent les forêts; ii) redistribution dans le bassin versant d'une partie des droits d'utilisation de l'eau ; iii) certification forestière ; iv) évaluations de la réduction du risque de calamités naturelles, v) promotion de l'écotourisme et du tourisme dans les zones boisées, et vi) spéculation sur la valeur future des forêts.

Les résultats ont été inégaux, avec des succès et des échecs partiels. De nombreux échecs ont été dus à la mauvaise application du concept et non au concept lui-même, d'autrres sont attribuables aux idiosyncrasies des populations locales et de la communauté nationale. Parmi les échecs incontestables, figurent des tentatives encouragées dans les pays andins, consistant à classer les terres selon l'utilisation à laquelle elles se prêtent le mieux. Le zonage écologique et économique, tant recommandé, appliqué 25 ans auparavant dans l'état de Rondonia, puis diffusé et appliqué dans tous les états de l'Amazonie brésilienne, est un autre échec. Le passage d'un système de zonage technocratique et autoritaire à un système hautement participatif basé sur des outils économiques s'est avéré inutile. Quelques années après son approbation par les chambres législatives, l'aménagement du territoire a tout simplement été oublié, même par ceux qui étaient censés le mettre en œuvre. La question de la suppression des incitations économiques inappropriées n'a pas non plus été traitée comme il convient. Ces incitations ont été remplacées par des mécanismes de soutien plus subtils et parfois plus avantageux. Toutefois, il est regrettable que des professionnels de la foresterie doivent admettre que ce qui a le moins bien marché en Amazonie est la gestion des forêts, même avec l'appui de la certification. Cet échec peut difficilement être considéré comme insignifiant. Les millions de dollars investis dans des études et inventaires forestiers concernant la gestion durable ont été gaspillés en un éclair, le temps pour les agriculteurs migrants de réduire les forêts en cendres et en fumée. Beaucoup de forêts nationales amazoniennes, comme celles d'Iparia et de Von Humboldt au Pérou et de Ticoporo au Venezuela, qui étaient jadis le point de mire des programmes de gestion à grande échelle, ont carrément disparu ou ont été fortement dégradées. Même échec pour les projets de foresterie communautaire dont la gestion est coûteuse et qui requièrent de surcroît des techniciens hautement qualifiés doués d'excellentes qualités humaines.

Heureusement, d'autres stratégies ont donné de bons résultats pour faire contrepoids à l'expansion de l'agriculture. La plus importante est le zonage de fait résultant de la création de réserves indigènes, de zones protégées et de réserves forestières ou communautaires et d'établissements humains. Même si ces zones n'étaient pas nécessairement bien protégées ou bien gérées, elles se sont avérées une barrière de protection efficace contre l'empiètement de l'agriculture, aussi bien de la part de ruraux pauvres que riches. 42 pour cent de la forêt amazonienne est relativement bien protégée de cette manière, principalement dans les territoires indigènes, qui couvrent à présent plus de 100 millions d'hectares. La Colombie a aussi donné le statut de territoire indigène à une vaste zone.

La loi qui oblige les propriétaires terriens ruraux à maintenir le couvert forestier originel sur une partie de leur terre - au Brésil, entre 20 et 80% selon la région - commence à porter ses fruits. Après avoir été ignorée pendant des décennies, cette disposition est de plus en plus respectée grâce aux mesures coercitives prises par le Ministère et à un certain nombre de règles qui créent des difficultés aux personnes en infraction. Par exemple, l'état d'Acre confronte les informations émanant des autorités chargées des terres et de l'environnement avec les archives publiques, de sorte que les agriculteurs qui n'enregistrent pas leurs terres ne peuvent pas couper du bois, brûler du chaume ou même vendre ces terres. En outre, les gens qui achètent des terres ne peuvent pas réduire la taille de la réserve. Bien sûr, cette situation incite les agriculteurs à demander que la loi soit modifiée, mais il serait regrettable que la mesure soit retirée, quelles que soient les circonstances. Un autre fait nouveau utile est que le Brésil insiste de plus en plus pour que soient réalisées des études d'impact environnemental pour les infrastructures d'Amazonie et, plus récemment, pour de grosses entreprises agricoles.

Il est pratiquement certain que diverses autres stratégies pourraient réussir si elles étaient appliquées avec plus de cohérence et de persévérance. La reforestation avec des espèces indigènes ou exotiques, sur des terres déjà dégradées par l'agriculture et pratiquement à l'abandon, en est une. La gestion de la végétation forestière secondaire en est une autre. Ces stratégies, qui augmentent le nombre d'arbres par surface unitaire, sont plus rentables que les forêts naturelles et réduisent la pression sur celles-ci ; en outre, comme elles sont combinées avec des pratiques d'agroforesterie, elles fournissent plus de possibilités pour le développement humain. On peut en dire autant des réserves forestières ou communautaires et des terres indigènes déjà mentionnées. Le Brésil prohibe l'exploitation forestière dans ces réserves, mais il a récemment assoupli cette mesure, en vue de compléter les maigres revenus procurés par le caoutchouc, des châtaignes, etc. Le tourisme et les loisirs, ainsi que la chasse et la pêche réglementées, sont d'autres activités à potentiel élevé qui commencent à être pratiquées dans les forêts et les aires protégées du Brésil et du Pérou.

Il est toutefois évident que l'équilibre entre ceux qui vivent de la forêt et s'efforcent de l'entretenir, et ceux qui doivent la couper à ras pour pouvoir mener à bien d'autres activités ne sera trouvé que lorsque la forêt sera devenue au moins aussi rentable que l'agriculture et l'élevage. Nous n'en sommes pas encore là, mais le grand espoir est que le jour arrivera où, en plus des utilisations actuelles, de nouvelles opportunités s'ouvriront avec l'introduction du paiement ou de l'indemnisation des services de protection de l'environnement, en particulier fixation du carbone, et où la forêt sera appréciée pour ce qu'elle est, et pas seulement pour ce qu'elle peut fournir.

L'avenir

Bien qu'elles n'aient pas encore été pleinement mises en œuvre ou pleinement testées, les nouvelles options permettant d'accroître la compétitivité économique des forêts sont réellement prometteuses. La principale est la reconnaissance des externalités de la forêt et l'indemnisation de ceux qui la protègent et la gèrent. Ceci impose de mettre en place des mécanismes internationaux et nationaux pour administrer les services écologiques mondiaux de manière juste et efficace. Si l'on ajoute le revenu provenant de la gestion forestière durable à celui qui est censé provenir du paiement proportionnel des services environnementaux produits, nous sommes sûrs d'atteindre notre objectif qui est de voir la forêt concurrencer à armes égales l'agriculture. Les ruraux qui possèdent des terres et appliquent la loi brésilienne en maintenant une partie du couvert forestier devraient aussi recevoir des primes pour les services rendus, sans préjudice des exemptions des taxes foncières rurales dont ils bénéficient actuellement pour les zones protégées.

Toutefois, il ne suffit pas de montrer que la gestion durable des forêts axée sur les biens et les services qu'elles procurent peut avoir une rentabilité comparable à d'autres utilisations des terres, pour résoudre tous nos problèmes actuels. Avant d'y parvenir, il nous faudra surmonter de nombreux autres obstacles, dont le poids de la tradition et le savoir-faire accumulé grâce à l'agriculture (technologie, équipement, matériel génétique sophistiqué et main-d'œuvre qualifiée). Un autre obstacle, dans le secteur forestier, est la difficulté de contrôler les cas de non-respect de la loi et la corruption qui, en Amazonie, est étroitement liée avec le trafic de drogue (à moins qu'elle n'en soit l'origine ???), le secteur forestier étant utilisé pour le blanchiment des fonds.

La discipline sociale, c'est-à-dire le degré de respect de la loi, est très faible dans le secteur forestier. Il est difficile d'exiger l'application des lois forestières complexes dans les zones les plus reculées, dans des pays où les règles de base des relations humaines harmonieuses sont systématiquement enfreintes. Une expérience avec les contrats relatifs à des forêts d'une superficie maximale de 1000 hectares en Bolivie et au Pérou, a révélé que ces contrats n'étaient utilisés que pour couvrir le transport du bois d'œuvre. Dans de nombreux cas, l'exploitation forestière se faisait à des centaines de kilomètres de la zone couverte par le contrat et il n'existe aucun service forestier capable de superviser les millions d'hectares gérés dans le cadre de concessions ou de contrats. A chaque fois qu'une zone d'exploitation forestière est réduite, de manière à concentrer la superficie à surveiller, les pressions politiques locales font que la concession est retirée avant le terme au lieu d'être prolongée. En plus du non respect de la loi, il existe de nombreux types de corruption différents. Par exemple, il n'est pas rare de trouver des centaines de plans d'aménagement totalement inventés et pourtant approuvés, copiés l'un sur l'autre un nombre incalculable de fois. On imagine bien, avec ou sans mécanismes de certification, à quel point il est facile de tourner les subtilités de certains plans types de gestion forestière durable.

Pour qu'elles soient couronnées de succès, les options disponibles doivent être complétées par d'autres mécanismes pour améliorer le suivi social des activités forestières et agricoles dans les forêts tropicales. Le Brésil est le pays d'Amérique latine qui a fait le plus de progrès dans ce domaine. Premièrement, les conseils de l'environnement dirigent le programme environnemental du pays. Le conseil national au niveau fédéral, les conseils d'état dans chaque état et plus de 600 conseils municipaux analysent et traitent une vaste gamme de problèmes environnementaux, dont ceux en rapport avec la foresterie et l'agriculture. Près de la moitié des membres de ces conseils qui complètent le pouvoir législatif au sein de l'exécutif, représentent la société civile ou les autorités non gouvernementales. C'est la raison pour laquelle les mesures décidées ne plaisent pas toujours au gouvernement. Une récente loi brésilienne sur les zones protégées, y compris les forêts nationales, exige que ces zones soient gérées par des conseils auxquels, là encore, la société civile et les parties intéressées participent de manière informée et efficace. Ce type de suivi social permet peu à peu de maîtriser la corruption, d'indiquer les infractions, d'aider à amender les lois, et de promouvoir leur application. De nombreux autres types de participation populaire, spécialement conçus pour l'agriculture et la foresterie, existent ou sont possibles. L'un d'eux, essentiel pour garantir le respect des exigences de la gestion forestière durable et de la certification, est l'établissement de conseils dans chaque district ou canton forestier, auxquels participent toutes les parties intéressées, en exprimant leurs opinions et en critiquant, dans la limite du cadre juridique, les programmes et les mesures promus par les autorités forestières.

Conclusion

L'expansion continue de l'agriculture dans des régions comme l'Amazonie, a perdu sa direction et sa logique. Plus de la moitié de la superficie déboisée au profit de l'agriculture et de l'élevage est à présent abandonnée ou semi-abandonnée et la superficie de forêts effectivement exploitée chaque année ne produit qu'une fraction de ce qu'elle pourrait produire si elle était utilisée comme il convient. L'exploitation par coupe rase se poursuit, génèrant une vaste quantité de déchets, et dilapidant de manière honteuse les ressources naturelles et humaines. Comme nous l'avons vu, l'expansion de l'agriculture procure des richesses à une minorité d'individus et apporte la pauvreté jusque dans les régions les plus extérieures du pays. Ceci est dû à des considérations géopolitiques périmées et latentes, encouragées par des intérêts privés, comme les grosses entreprises de construction.

Bien que les forêts d'Amérique latine aient toujours été les perdantes dans la lutte pour parvenir à un équilibre entre l'agriculture et la foresterie, leurs perspectives futures semblent aujourd'hui plus prometteuses grâce au respect croissant pour les services de protection de l'environnement. Ceci dépendra pour une large part de deux mesures qui devront être mieux pensées et mises en œuvre: i) l'établissement d'un mécanisme mondial conçu pour permettre aux services environnementaux de rétribuer les efforts de gestion et de conservation des forêts et, ii) une amélioration du suivi social grâce à la participation de toutes les parties intéressées, y compris du secteur agricole.

Le résultat final dépendra peut-être de l'atteinte d'un consensus entre les nombreuses personnes, indifférentes ou inconscientes des problèmes qui, pour cette raison, sont tiraillées et changent constamment d'avis sur la question. Toutefois, pour pouvoir arriver à une conclusion motivée, elles devront recevoir plus d'informations de meilleure qualité sur ce qui est en jeu.


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