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De la satisfaction des besoins à la garantie des droits: l'évolution de la foresterie communautaire

Liz Alden Wily 1


Résumé

Cet exposé tente d'établir une base pour concilier les intérêts des gens ordinaires avec la nécessité de conserver les forêts au profit des populations et de la planète (« Forêts, sources de vie »). En prenant pour exemple le continent africain et en centrant l'attention sur les réformes structurelles des cadres politiques et surtout juridiques, la nouvelle foresterie communautaire est explorée, comme une démarche importante à travers laquelle se forge une interaction positive entre les besoins des populations humaines et la conservation.

Selon l'auteur, cette démarche est parfaitement viable lorsque la foresterie communautaire va au-delà de la satisfaction des besoins en produits forestiers pour s'intéresser aux droits fondamentaux. Ceci est en particulier le cas lorsqu'elle sert de mécanisme pour garantir les droits fonciers des communautés, c'est-à-dire dans le cas présent essentiellement leurs droits sur les biens qu'elles détiennent (ou ont jadis détenu) en commun. C'est aussi le cas lorsque le pouvoir sur les ressources forestières est réellement transféré à l'échelon des communautés. Dans ce processus, après avoir été négligée pendant un siècle, la « communauté » elle-même considère que si elle est renforcée, elle deviendra un échelon de gouvernance viable, moins façonné par les normes du passé que par les demandes concrètes de modernisation de la gestion des ressources communes. L'établissement de normes plus complètes et plus démocratiques est encouragé. Cette démarche permet d'atteindre l'objectif de conservation, mais aussi d'améliorer les moyens d'existence, ou même de parvenir à une bonne gouvernance, sous la forme d'une participation locale accrue, et de desservir une transformation sociale plus profonde.


Introduction: Des besoins aux droits

Le concept de foresterie communautaire est accepté partout dans le monde aujourd'hui. Dans plus de 100 États, des citoyens ordinaires sont reconnus et encouragés, en tant que conservateurs des forêts2. Bon nombre des fonctions et des pouvoirs que les gouvernements se réservaient auparavant sont transférés aux citoyens, notamment aux pauvres des zones rurales reculées, ce qui est inhabituel. La situation évolue de manière inégale, les intentions variant de ce qui est à peine plus qu'un partage du fardeau et des coûts jusqu'à un réel partage des pouvoirs. Les doutes, les contestations, les retours en arrière et les contrecoups sont monnaie courante dans une évolution évidente d'une conception à l'autre.

Il est indéniable que, globalement, un changement dans les relations de gestion des forêts est en cours, et qu'il va essentiellement dans le sens d'un transfert des responsabilités. Il est tout aussi indéniable que cette tendance s'accélère en fonction d'une dynamique qui lui est propre - et qui va bien au-delà des bonnes intentions du sommet « Planète Terre » de Rio, tenu en 1992 (Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement - CNUED) de prêter attention aux besoins des populations. À travers les initiatives de foresterie communautaire et les politiques et les paradigmes juridiques qui sont élaborés pour les appuyer, ce qui change, ce n'est pas seulement la manière de gérer les forêts et les personnes qui s'en chargent. Au fur et à mesure qu'elle s'affirme, la foresterie communautaire va sonder les questions de droit, en particulier les droits des populations locales à réglementer les forêts locales et les droits de propriété sur les terres forestières. Les relations sociales dans leur ensemble sont touchées. Alors que la relation de pivot entre l'État et les populations est la plus influencée, les relations internes à la communauté sont elles aussi altérées, la tendance étant ordinairement à rendre les normes plus complètes et gérées de manière équitable.

Le fait que le lien qui unit généralement les forêts et les populations est en fin de compte un intérêt de propriété commune, est un moteur important à cet égard. Lors de la définition des acteurs et des pouvoirs au niveau des communautés, la composition de la communauté est généralement clarifiée, même si cela donne lieu à des contestations. Les membres plus pauvres ou institutionnellement plus faibles qui étaient auparavant exclus tendent à y gagner, ne serait-ce qu'en vertu de la résidence. Les « étrangers » sont aussi définis de manière plus précise et leurs intérêts relégués au second plan. Lorsque les « étrangers» sont des communautés voisines, cela peut catalyser leur propre définition de « nos forêts » vers un effet globalement positif. Lorsque les intérêts commerciaux sont restreints, les tensions qui en résultent sont généralement plus fortes et il est plus difficile de concilier les intérêts.

Ces changements s'inscrivent dans de plus amples transformations des relations de pouvoir dans la société agraire mondiale contemporaine. Ce qui est étonnant, dans le cas de la foresterie, c'est jusqu'à quel point ils contribuent à dicter l'évolution des normes, ou à en dépendre, et - compte tenu du caractère corporel des ressources en jeu - de manière concrète, et non pas seulement déclamatoire. Alors qu'il pourrait être prématuré de prétendre qu'ils débouchent sur une amélioration de la gouvernance, il semble bien que cela sera le cas; que la foresterie communautaire s'avère une voie puissante pour responsabiliser les ruraux ordinaires, en leur permettant d'acquérir un pouvoir plus grand sur les ressources dont dépendent leurs moyens d'existence et leur environnement, et de mieux s'organiser pour agir sur leur contexte. Les forêts et la société y gagnent.

Discussion: Le cas de l'Afrique

L'Afrique a été prise pour exemple pour illustrer cette transformation sociale3. Heureusement, l'utilisation de ce cas pourra aussi corriger en partie l'image de l'Afrique qui est publicisée partout dans le monde, comme continent « poubelle », déchiré par des conflits tribaux, des dictatures malfaisantes, une corruption galopante, la baisse des niveaux de vie, l'endettement extrême et aujourd'hui, la détérioration de l'état de santé. Car il y a une autre face de l'Afrique, plus prometteuse et dont les changements dans le secteur forestier tirent leur force, à savoir: le rejet des administrations corrompues; l'apparition d'une démocratie multipartite et d'une planification centrée sur la pauvreté, répondant à de nouveaux objectifs axés sur la majorité de la population. Le renforcement des systèmes de gouvernement décentralisés, permettant une plus grande participation des masses à la prise de décision, est également très utile. Et une réforme agraire généralisée promettant, entre autres, d'améliorer la sécurité de jouissance des majorités agraires, est tout aussi prometteuse (Alden Wily & Mbaya, 2001; Toulmin et Quan, 2000).

Quels sont les moteurs de ces changements ? Les plus courants semblent être la frustration due au fait que les régimes centralisés n'ont pas réussi à élever les niveaux de vie ou à maintenir la paix, l'arrivée à leur terme naturel des normes introduites par les Européens qui n'ont pratiquement rien fait pour améliorer le sort de la majorité des populations ou pour conserver le patrimoine naturel précieux du continent, et l'appui international, souvent accordé à des fins spécifiques par des donateurs, pour trouver de nouveaux moyens d'aller de l'avant.

Sauvetage par la reconstruction

Fait crucial, ces changements font de plus en plus de la communauté la plate-forme du changement à la périphérie. Après un siècle de suppression officielle ou d'indifférence bienveillante, l'identité et les normes communautaires demeurent malgré tout relativement solides en Afrique. Par nécessité ou par simple bon sens, les secteurs se mettent les uns après les autres à construire sur la base de la communauté. Dans ce processus, les normes communautaires tendent à être remaniées, dans le sens d'un élargissement de leur contenu et d'une moindre hiérarchisation qu'auparavant. C'est ainsi que l'on commence à voir se multiplier les administrations locales, les organismes d'administration foncière, de résolution des différends et de gestion des ressources naturelles, à l'échelon local, notamment au niveau des villages.

Les nouvelles lois, comme indicateurs

Où sont les preuves de cette transformation ? C'est en partie au niveau de l'exécution pratique qu'elles apparaissent, comme on va le voir, dans le secteur forestier. Une réforme substantielle des politiques et de la législation à l'échelle du continent est un indicateur plus général, qui témoigne au moins d'une intention sérieuse de changement. Rien que depuis 1990, une vingtaine de nouvelles constitutions nationales, 20 nouvelles lois concernant l'administration locale, 30 nouvelles lois agraires, 15 lois sur la gestion de l'environnement, 15 lois sur la faune sauvage et au moins 30 nouvelles lois sur les forêts ont été promulguées dans toute l'Afrique (FAO, 2002; Alden Wily, 2003). Un examen de la substance de la nouvelle législation, mettant en relief la préoccupation commune de la gouvernance - ainsi que la plus grande place accordée aux intérêts des communautés, des femmes, des éleveurs, des démunis, des paysans sans terres et des plus pauvres - permet de conclure qu'un environnement porteur, plus centré sur les populations, se met en place. C'est dans ce contexte qu'évolue la gestion communautaire des forêts.

Foresterie communautaire

Dans un atelier soutenu par la FAO sur la gestion forestière participative en Afrique, qui a eu lieu en février 2002, 22 États ont indiqué que des projets officiels de gestion communautaire des forêts étaient opérationnels sur leur territoire, ce qui marque un progrès important par rapport à la poignée d'initiatives décrites à une conférence similaire tenue trois ans plus tôt (FAO, 2003). Depuis, une dizaine d'autres États ont commencé à en mettre en œuvre. Aujourd'hui, on estime à 5000 le nombre de communautés participantes, ce qui porte à environ 3 millions d'hectares la superficie de forêts de propriété nationale ou locale soumises à la protection et à la gestion des communautés ou des communautés et de l'État. Pratiquement dans tous les cas sans exception, ces superficies comprennent des forêts qui sans cela seraient restées ou devenues dégradées (Alden Wily, op cit.).

Bien que ces chiffres ne représentent qu'une fraction infime des forêts ou des communautés africaines, il est clair qu'un démarrage rapide et actif a été pris, et qu'il est considérablement favorisé par la profusion de nouvelles politiques et lois directrices. Sur 56 États continentaux et insulaires, 26 pays ont promulgué de nouvelles lois forestières depuis 1990 et 15 autres ont une législation en projet (FAO, 2002; Alden Wily op. cit.). Presque tous s'engagent à promouvoir une participation accrue du public à la gestion des forêts, en particulier de la part de ceux qui vivent à l'intérieur ou à la périphérie des forêts.

Différences d'approche

Diverses démarches sont possibles pour accroître la participation du public à la gestion des forêts. Des différences frappantes existent par exemple dans les lieux où la promotion de la participation communautaire est autorisée. Comme c'est le cas dans d'autres régions du monde, un ou deux États restreignent encore la participation locale aux forêts peu riches en diversité biologique, peu importantes pour le tourisme, ayant une faible valeur commerciale et/ou dégradées ou abritant des établissements humains. Ces critères correspondent souvent à une distinction entre les réserves forestières et les forêts non classées. Au Cameroun, par exemple, l'établissement des forêts communautaires n'est autorisé que dans des forêts non classées; en outre leur superficie est limitée à 5 000 hectares, et la durée de l'accord ne peut pas excéder dix ans. A l'inverse, l'Ouganda, l'Afrique du Sud, l'Éthiopie et la Guinée ont introduit la gestion communautaire dans des réserves forestières, dont la conservation était parfois considérée comme hautement prioritaire. La plupart des pays ont posé pour principe que la gestion communautaire était applicable à toutes les forêts, quelle que soit leur classe et leur valeur. C'est par exemple le cas de la République-unie de Tanzanie et de la Gambie. Si la forêt naturelle est au centre de l'attention, on voit aussi s'affirmer une tendance à associer les communautés à la privatisation des plantations commerciales (République-unie de Tanzanie, Malawi, Afrique du Sud). Des dépenses connexes de responsabilité sociale sont en cours au Ghana et au Cameroun, où les compagnies d'exploitation forestière sont maintenant tenues de prélever de petits pourcentages de leurs profits pour réaliser des améliorations locales, par l'intermédiaire des conseils locaux ou d'une autre manière.

Produits ou pouvoir

Les différences les plus profondes entre les stratégies viennent en premier lieu du fait que la justification essentielle de la participation des communautés à la gestion des forêts n'est pas perçue de la même manière. Une distinction générale peut être faite entre les approches qui ont pour objet d'obtenir la coopération des populations locales avec les régimes existants contrôlés par les gouvernements (partage des avantages), et celles qui visent à transférer des responsabilités aux communautés (partage des pouvoirs). Ces deux types d'approche revendiquent comme résultat l'amélioration des moyens d'existence locaux. Les premières sont centrées sur la fourniture de sources de revenu autres que les forêts (établissement de zones tampons), la création d'emplois, l'amélioration de l'accès légal à la ressource, et/ou les parts des avantages dérivant des recettes forestières, souvent payées sous forme de services sociaux locaux. Les secondes aident la communauté à acquérir le contrôle de la source de revenu (la forêt) et même à en obtenir la jouissance, sous prétexte que seul ce degré de responsabilisation permettra à la communauté de conserver la forêt pour améliorer de manière durable ses moyens d'existence et l'environnement local. Les coûts pour l'État peuvent aussi accuser une forte baisse au fur et à mesure que le personnel forestier rétrogradera des postes de direction ou de co-direction à des postes de conseiller technique et de surveillance.

Au fil des années, la pratique (et les dispositions légales) tendent à se rééquilibrer vers les secondes normes de partage de pouvoir. Cette tendance peut être reflétée dans l'attribution de droits plus forts aux acteurs des communautés pour qu'ils réglementent eux-mêmes l'utilisation des forêts (Nigeria, Éthiopie, Namibie) dans l'assouplissement des droits de véto des gouvernements concernant le contenu des plans de gestion conçus par les communautés (Cameroun) ou dans la prolongation de la durée des accords contractuels (Madagascar, Sénégal).

Forêts communautaires

Logiquement, le partage des pouvoirs est beaucoup plus avancé dans les forêts situées en dehors des réserves et souvent (mais pas toujours) sur les terres tacitement considérées comme appartenant à la communauté. D'une manière générale, c'est à ces types de domaines que s'applique la qualification de « forêts communautaires ». Fait significatif, c'est ce fait nouveau, et non les initiatives de gestion conjointe associées aux forêts nationales, qui connaît la plus grande croissance. Dans des cas de pointe, comme ceux de la Gambie, de la République-unie de Tanzanie et du Cameroun, la proportion des forêts d'État qui sont soumises à un degré quelconque de gestion communautaire est faible par rapport aux centaines de forêts communautaires déclarées dans ces états.

Aujourd'hui, au moins 20 pays prévoient l'établissement légal de Forêts communautaires. Dans la pratique, la plupart ne sont établies que dans le cadre d'un accord officiel avec les administrations forestières centrales basé sur un plan de gestion convenu, souvent assorti d'une obligation de dresser un relevé et une carte officiels de la zone de forêts, ce qui retarde considérablement l'achèvement de l'opération (Gambie) ou accroît les coûts à la charge de la communauté (Cameroun). Ce n'est pas le cas en République-unie de Tanzanie, où la reconnaissance administrative et légale d'une Forêt communautaire est basée sur une déclaration de la communauté, un accord sur les limites de la forêt avec les communautés voisines et l'enregistrement de ces informations, ainsi qu'un plan de gestion simple et des règlements administratifs qui serviront à rendre l'accord exécutoire, au niveau des administrations de district.

À ce stade, moins de la moitié des forêts communautaires visées dans les nouvelles politiques et législations permettent aux communautés d'être officiellement reconnues comme propriétaires-gérantes et de gérer les forêts de manière relativement autonome. Les cas de la Gambie et de la République-unie de Tanzanie le démontrent bien. Les autres pays limitent la reconnaissance de la jouissance locale (Cameroun, Sénégal, Éthiopie) ou, couramment, reconnaissent la jouissance locale, mais restreignent la juridiction locale (Nigeria, Mali, Burkina Faso). En général, le gouvernement conserve le contrôle de l'attribution des licences et de leur application. La capacité de déterminer les conditions d'accès à la forêt et la manière dont elle peut être utilisée, en premier lieu, notamment le droit de définir et d'exclure les « étrangers », reste un mirage pour de nombreux dirigeants communautaires. De même, on compte sur les doigts de la main les états qui ont réellement donné aux communautés la possibilité de promulguer des réglementations sur l'utilisation et la gestion des forêts que les tribunaux sont obligés de confirmer au cas où elles seraient contestées. A cet égard, peu de communautés jouissent des mêmes avantages que celles de la République-unie de Tanzanie, où les gouvernements villageois sont élus et dotés de réels pouvoirs décisionnels et législatifs. Néanmoins, la création d'une forêt communautaire dans la plupart de ces pays semble établir une plateforme à partir de laquelle les communautés peuvent, lentement mais sûrement, consolider leurs rôles et leurs pouvoirs qui finiront par être reflétés dans la législation. Cette transition est évidente dans des pays aussi différents que le Cameroun, le Sénégal, le Nigeria, le Malawi, la Namibie et Madagascar.

Guider le changement institutionnel

Le changement institutionnel est important car la gestion communautaire des forêts passe par la création ou la revitalisation d'une base institutionnelle au niveau local. Même là où la constitution d'un comité ou d'une association a initialement uniquement pour but de distribuer les avantages dérivant d'améliorations gérées par l'État ou le secteur privé (Mozambique, Ghana) ou de fournir un cadre pour organiser l'utilisation locale des forêts aux fins de la subsistance (Zimbabwe, Namibie, Kenya), elle tend à catalyser une action organisée et donc la demande.

Dans ce processus, le caractère de l'institution locale elle-même change. Des problèmes de représentation, d'inclusion et de responsabilité commencent à se poser et à être traités. On tend à s'écarter des accords qui reposent uniquement sur des autorités traditionnelles, pour élargir cette base en incluant des représentants de groupes d'intérêt plus diversifiés (Nigeria, Malawi, Mozambique). Le changement le plus courant consiste à remplacer les associations constituées uniquement par et pour des groupes d'utilisateurs, par des organisations à l'échelle des communautés, remplissant les fonctions d'autorités de gestion (Éthiopie, Ouganda, Zambie, Mali). Ceci peut être considéré comme une maturation critique de la foresterie communautaire, prévoyant un transfert plus complet des responsabilités juridictionnelles au niveau des communautés et leur reclassement comme gardiennes, et non pas seulement comme utilisatrices. Ce changement permet aussi une séparation utile au niveau local entre les intérêts directs des membres des communautés utilisateurs ou tributaires des forêts, et les intérêts plus généraux de l'ensemble de la communauté (protection de l'environnement).

L'importance cruciale de la tenure des terres forestières et la réforme

La question de la tenure des forêts est souvent au c_ur de ces changements. C'est en particulier le cas lorsqu'un secteur de la communauté conteste la concentration du contrôle ou des avantages sur ce qui est perçu comme un actif commun de la communauté, entre les mains d'un autre secteur. En général, cela est suivi d'une définition plus claire de la composition de la communauté et de la nature de ses droits sur la ressource.

Dans ces circonstances, la communauté forestière a beaucoup à gagner des changements découlant d'une réforme agraire, dont les nouvelles lois foncières sont l'expression la plus concrète. Le fait que les lois des États confirment désormais les intérêts fonciers coutumiers, est une nouveauté importante. Les nouvelles lois foncières de l'Ouganda, de la République-unie de Tanzanie, du Mozambique, du Niger, du Mali, de la Namibie et de l'Afrique du Sud sont des exemples particulièrement représentatifs, et des prescriptions analogues sont annoncées dans la législation proposée au Lesotho, au Swaziland et au Malawi.

Ces faits nouveaux concernent la foresterie communautaire dans la mesure où ils prévoient non seulement une reconnaissance officielle des droits coutumiers détenus par des individus et leur maintien comme droits privés, mais aussi l'extension de ce nouvel appui juridique aux biens détenus en commun. Dans ces circonstances, les communautés peuvent pour la première fois de leur histoire, s'assurer la jouissance des forêts locales, en tant que bien privé détenu par le groupe, et même faire enregistrer leur propriété sur ce bien. Or, et c'est utile, ce qui est « coutumier » est moins défini par la tradition que par les normes dominantes soutenues par les communautés. Dans des pays comme l'Érythrée, l'Éthiopie, le Rwanda et le Burkina Faso où les droits coutumiers sont en principe exclus, d'importantes dispositions sont peu à peu prises pour permettre l'enregistrement des biens communaux, même s'ils n'ont pas un caractère coutumier ( Alden Wily & Mbaya, op. cit.).

Ces changements ont pour corollaire une limitation des possibilités pour les gouvernements d'utiliser le droit coutumier pour s'approprier des terres dans l'intérêt collectif - notamment pour établir des Réserves forestières gouvernementales. Les procédures sont rendues plus transparentes vis-à-vis du public et presque partout elles nécessitent une plus grande consultation avec les personnes concernées. L'augmentation considérable des indemnisations qui doivent être versées à ceux qui perdent des droits reconnus comme droits privés dans les nouvelles lois, décourage spécifiquement l'appropriation injustifiée de biens communs locaux, comme les forêts.

Le résultat de ces faits nouveaux est que de nombreuses lois forestières prévoient obligatoirement aujourd'hui des procédures plus prudentes pour la déclaration ou la classification des forêts (comme Réserves gouvernementales) et sont encouragées à prévoir d'autres mécanismes pour s'assurer la jouissance des forêts qui ne sont pas encore classées comme réserves ou délimitées comme officiellement affectées à la conservation et à l'utilisation durable des forêts. Les forêts communautaires sont parmi ces mécanismes. Même là où les gouvernements restent déterminés à placer une forêt sous leur propre juridiction, l'accord des communautés locales est dans la pratique, et parfois dans la loi, plus essentiel que dans le passé. Dans certains cas, comme celui de la République-unie de Tanzanie, l'État a l'obligation légale d'examiner si la désignation d'une forêt communautaire n'est pas un moyen plus efficace et plus équitable pour concilier le maintien des droits existants avec la protection et l'utilisation durable des ressources forestières. Ces dispositions illustrent clairement l'évolution du concept de gestion des forêts.

Les difficultés du processus

Il serait faux de prétendre que l'évolution de la foresterie communautaire dans le monde ne pose pas de problèmes. Au contraire, comme on l'a vu au cours des années récentes, dans des pays aussi différents que le Népal, la Zambie et le Brésil, deux pas en avant pour appuyer les politiques peuvent être suivis d'un pas en arrière. Il arrive aussi que la réplication au niveau local se fonde sur des modèles dont l'élaboration a été trop coûteuse. Ou encore que les restrictions des nouvelles législations sur la jouissance, la faune et la flore sauvages et les ressources minérales contredisent les orientations annoncées par la foresterie communautaire. Comme dans le cas de toute transformation sociale, des problèmes peuvent tout à la fois freiner le progrès et stimuler l'effort. Ce qui semble clair, c'est que les relations de gestion forestière se démocratisent peu à peu. Il est en effet possible que, d'ici la fin du XXIème siècle, la gestion de la conservation dans le monde, soit essentiellement entre les mains des communautés, alors que les conservateurs du vingtième siècle - c'est-à-dire les gouvernements nationaux - n'auront qu'une fonction de conseil et de suivi.

Si ce résultat est atteint, il devra être considéré comme un succès. Le secteur se sera montré capable de prendre le taureau par les cornes et de reconnaître que les problèmes auxquels il est encore confronté sont en fin de compte des problèmes de gouvernance, qui ne peuvent être résolus qu'à travers une transformation de la conduite des affaires publiques. Ceci implique, entre autres, une détermination plus rationnelle et plus juste, des pouvoirs de contrôle des forêts et de ceux qui les exercent, ainsi que de la propriété des forêts. Le fait que l'avenir des forêts, et la liaison entre les besoins des populations humaines et de l'environnement, reposent sur une transformation démocratique, semble être une conclusion essentielle que devra tirer ce Congrès.

Références

Alden Wily, L. 2003. Community forest management in Africa: Progress and challenges in the 21st century. In FAO, 2003.

Alden Wily, L. & Mbaya, S. 2001. Land, people and forests in eastern and southern Africa at the beginning of the 21st century. The impact of land relations of the role of communities in forest future. Nairobi, IUCN.

FAO. 2002. Law and sustainable development since Rio: Legal trends in agriculture and natural resource management. FAO Legislative Study 73. Rome.

FAO. 2003. Proceedings of the second international workshop on participatory forestry in Africa. Defining the way forward: sustainable livelihoods and sustainable forest management through participatory forestry. 18-23 February 2002, Arusha, United Republic of Tanzania. Rome.

Toulmin, C. and Quan, J. eds. 2000. Evolving land rights, policy and tenure in Africa. London, DFID/IIED/NRI.


1 Économiste, 1 Cullompton Hill, Bradninch, Devon EX54NP UK. [email protected]

2 Les 46 numéros du bulletin financé par la FAO Forests, Trees and People Newsletter fournissent des archives précieuses sur l'évolution de la foresterie communautaire jusqu'en 2002.

3 Le nombre de mots étant sévèrement limité, on a délibérément évité d'insérer des extraits d'autres textes dans ce document. Les lecteurs qui souhaitent avoir de plus amples détails ou connaître nos sources sont priés de se référer aux publications suivantes: Alden Wily, 2003; FAO, 2003; Alden Wily & Mbaya, 2001.