LARC/04/2


VINGT-HUITIÈME CONFÉRENCE RÉGIONALE

POUR L'AMÉRIQUE LATINE ET LES CARAÏBES

Ciudad de Guatemala (Guatemala),
26-30 avril 2004

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN TANT QUE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT RURAL

Table des matières



I. Introduction

1. L’Amérique latine dans le contexte mondial de la sécurité alimentaire. La communauté internationale a inscrit la sécurité alimentaire parmi les droits fondamentaux de l’hommei Plus récemment, les participants au Sommet du Millénaire (Organisation des Nations Unies)iiont fait de la sécurité alimentaire l’un de leurs principaux objectifs. Dès 1996, les participants au Sommet mondial de l’alimentation avaient fixé comme but à l’humanité de réduire de moitié d’ici à 2015 le nombre de personnes qui étaient victimes de l’insécurité alimentaire dans le monde. Étant donné les taux actuels de réduction de l’insécurité alimentaire mondialeiii le but ainsi proposé ne sera pas atteint. Par conséquent, il est impératif de redoubler globalement d’efforts, notamment en matière de financement et de stratégies de développement, comme l’ont relevé les participants à la Conférence internationale de Monterrey sur le financement du développement ivet au "Sommet mondial sur l’alimentation: cinq ans après"v A cette fin, il est indispensable d’amorcer dans l’immédiat un processus davantage axé sur les êtres humains et les résultats, ainsi que sur des moyens efficaces de relever les nouveaux défis qui menacent d’affaiblir (voire, d’annihiler) les efforts actuels et les acquis obtenus à ce jour.

2. Dans le monde entier, il y avait, selon les dernières estimations, 840 millions de personnes sous-alimentées pour la période 1998-2000: 10 millions dans les pays industrialisés, 34 millions dans les économies en transition et 798 millions dans les pays en développementvi Dans les 33 pays d’Amérique latine et des Caraïbes qui comptent une population totale de 512 millions d’habitants, on évalue à 53,4 millions le nombre de personnes sous-alimentées, dont 95 pour cent sont concentrées dans treize pays. Avec une acuité variable selon les divers pays d’Amérique latine et des Caraïbes, l’insécurité alimentaire continue à être un véritable fléau - moralement inacceptable - pour d’importants secteurs de la population.

3. Les avantages d’une approche intégrée de la sécurité alimentaire. Le présent document, né des expériences et des besoins spécifiques des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, se propose d’expliciter l’urgence du problème de la sécurité alimentaire – celle-ci étant conçue comme un processus dynamique qui fait partie intégrante de la croissance économique, comme un facteur indispensable à la réalisation de l’objectif d’un développement rural permanent et durable. Nous tentons de démontrer que si l’on assure la sécurité alimentaire en cherchant à définir des moyens d’existence durables vii on contribue à la croissance économique, à la sauvegarde de l’environnement, au développement humain ainsi qu’à une évolution dynamique et durable. Nous soutenons qu’une approche intégrée de la sécurité alimentaire peut se traduire non seulement par une valorisation du capital humain et par la promotion de la stabilité sociale, économique et environnementale, mais également par un développement rural permanent et durable. En effet, en s’attachant à établir un système qui permette d’engager un processus dynamique et continu qui débouchera sur la sécurité alimentaire, on voit s’esquisser les conditions indispensables tant à l’identification du problème qu’à sa solution. Grâce à ce processus, on disposera ainsi ultérieurement d’un outil qui permettra de tracer simultanément le cadre des politiques, des plans et des programmes voulus, ainsi que les moyens de leur mise en œuvre. D’une part, l’évaluation de la sécurité alimentaire permettra de diagnostiquer les groupes les plus vulnérables et l’origine de leur insécurité alimentaire tandis que d’autre part, elle mettra en relief les capacités fondamentales des personnes et des familles – essentiellement, leur aptitude à participer activement à la création de moyens d’existence durables. A cette fin, il convient de mettre l’accent sur la réduction de la vulnérabilité (aux catastrophes) et à l’accroissement de la productivité. En outre, il est indispensable de disposer de différents types d'information et d’analyse. Nous soulignons ces points dans les paragraphes suivants du présent document, qui est fondé sur quelques expériences de la FAO en Amérique latine et dans les Caraïbes ainsi que sur les enseignements tirés.

II. La sécurité alimentaire

4. Un large processus interdisciplinaire. La sécurité alimentaire, qui garantit à tous les êtres humains l’accès physique et économique aux aliments de première nécessité dont ils ont besoins pour mener une vie active et saine, a des conséquences multisectorielles qui transcendent les besoins en matière de production, d’offre et d’approvisionnements vivriers. Ce processus dynamique, étroitement lié aux problèmes de la pauvreté, des capacités humaines, de la création d’emplois et de revenus - est comparable à une spirale - ascendante ou descendante selon le cas - en constante évolution. Ce processus se déroule également à divers niveaux: international, national, familial et individuel. Il implique une analyse systématique qui doit porter sur les disponibilités alimentaires et la stabilité de l’offre, sur les restrictions relatives à l’accès de tous aux approvisionnements, et sur l’utilisation des produits alimentaires de base sur le plan biologique. Les interventions visent les personnes: il s’agit de leur fournir des outils tant pour renforcer leurs capacités physiques (grâce à l’amélioration de leur santé et de leur alimentation) que pour accéder aux informations et aux connaissances nécessaires pour exploiter les possibilités qui s’offrent et pouvoir trouver des moyens d’existence durables. Les concepts sur lesquels repose ce processus de sécurité alimentaire sont présentés dans l’Encadré 1.

5. La sécurité alimentaire dérive des droits des êtres humains. Amartya Sen distingue quatre grandes catégories de droits individuels: i) le droit de participer aux échanges commerciaux, c’est-à-dire le droit de toute personne d’échanger ses produits et son argent pour assurer la satisfaction de ses besoins; ii) le droit à la production, en d’autres termes, le droit d’une personne de disposer de ce qu’elle produit avec ses propres ressources; iii) le droit au travail, en d’autres termes, la capacité et la possibilité, pour une personne, de vendre sa propre force de travail; iv) le droit de transfert: envois volontaires de fonds par les travailleurs émigrés, transferts de l’État, distribution d’aliments, etc. Les caractéristiques particulières des institutions chargées de réguler les relations entre les différents agents économiques et sociaux jouent un rôle important dans ce processus. Les quatre "droits" identifiés par l’auteur déterminent le contrôle sur les ressources que toute personne doit pouvoir exercer, conformément aux règles et aux modalités imposées par la société, pour satisfaire à ses besoinsviii Sen souligne ultérieurement ces droits à propos des capacités requises de toute personne pour participer au développement et transformer ses propres conditions de vieix

6. Les facteurs de risque. L’analyse des facteurs de risque qui menacent la sécurité alimentaire constitue l’un des aspects les plus essentiels de ce processus. Pour aborder ce problème, il faut notamment s’attacher à définir les groupes vulnérables de telle ou telle société, identifier leurs caractéristiques et cerner les causes des risques qui compromettent leurs droits. En général, dans un pays, les groupes vulnérables comprennent les ménages en difficulté, par exemple, les familles monoparentales dirigées par un homme ou une femme, les familles des personnes travaillant en zone urbaine pour leur compte ou dans le secteur informel, les chômeurs; ou bien encore en zone rurale, les familles des paysans sans terre, les habitants des zones reculées et d’ordinaire, les agriculteurs à faible revenu. Au cours de ce processus, on classe les différents types de risques qui peuvent menacer la sécurité alimentaire: risques naturels (infestations parasitaires, sécheresses, incendies), risques liés aux mécanismes du marché (dégradation des prix, chômage, hausse des taux d’intérêt), risques imputables à l’action des pouvoirs publics ou de l’État (diminution des dépenses de santé publique, augmentation des impôts, réduction des programmes nutritionnels) et autres types de risques (déplacement des communautés en raison de guerres, embargos).

7. La pauvreté, la nutrition et la sécurité alimentaire. La pauvreté est sans conteste l’une des causes de la faim, mais la faim peut également être l’une des causes de la pauvretéx Le prix Nobel Robert Fogel a démontré le lien étroit qui existe entre la nutrition, la santé et la croissance économiquexi Selon Fogel, les 20 pour cent des habitants qui étaient en situation d’extrême pauvreté en France et en Angleterre vers 1790 étaient effectivement exclus de la main d’œuvre parce qu’ils avaient trop faim pour travailler. Fogel conclut que l’amélioration de la nutrition a été responsable de la moitié environ de la croissance économique de la Grande-Bretagne entre 1790 et 1890. Ce sont dans les pays où les indices de l’insécurité alimentaire sont les plus élevés qu’une meilleure alimentation a le plus d’incidence grâce à la formation de capital humain et à l’augmentation de la productivité qui lui sont attribuables xii Le présent document tend essentiellement à prouver que, faute de réduire l’insécurité alimentaire, les progrès de la lutte contre la pauvreté seront nécessairement lents. On ne saurait dissocier toute action visant directement à éliminer l’insécurité alimentaire de la recherche des possibilités de réduire la pauvreté et donc, de développer davantage les zones rurales. Centrer les efforts sur la sécurité alimentaire présente l’avantage de souligner la prédominance du secteur vivrier et agricole dans la vie des personnes pauvres.

III. Le développement humain, la sécurité alimentaire et le développement rural

8. Une approche centrée sur les êtres humains. Dans un passage de la Déclaration de Rioxiii on reconnaît qu’il est impossible de parvenir à un développement durable - quelle que soit la stratégie intégrée adoptée à cette fin - sans une approche centrée sur les êtres humains. En effet, la productivité humaine - qu’il s’agisse du travail ou de l’enrichissement des connaissances - commence par l’amélioration de la santé, de la nutrition et de la capacité de participer à un processus d’élévation du niveau de vie. Il est généralement admisxivque ceux qui ont faim ne peuvent sortir de la pauvreté.

9. La croissance démographique. On estime qu’entre 2000 et 2030, la population totale de la Région de l’Amérique latine et des Caraïbes augmentera de 40 pour cent pour atteindre 725 millions de personnesxv Malgré l’ampleur des migrations vers les centres urbains, le pourcentage des personnes pauvres, évalué à 75 pour cent, continue à être élevé dans les zones rurales, et ce sont les groupes les plus vulnérables, à savoir, les femmes et les populations autochtonesxvi qui souffrent le plus de la pauvreté. La moitié environ (40 millions) des pauvres des zones rurales est composée de petits agriculteurs et selon les estimations, elle se répartit ainsi: 26 millions d’autochtones (33 pour cent) et 13 millions de paysans sans terre (16 pour cent) sans aucun accès à des biens de production qui pourraient leur fournir des revenus. Étant donné sa faible mobilité, c’est ce groupe, sans presque aucun débouché dans le secteur agricole, qui augmentera le plusxvii

10. Produits agricoles particuliers à une zone et productivité. Toute stratégie de sécurité alimentaire doit être axée tant sur les populations pauvres que sur ses productions. Au Mexique par exemple, la production de maïs, l’une des principales cultures du pays qui recouvre 8 millions d’hectares et qui représente 63 pour cent de l’ensemble des cinq productions végétales de base, a augmenté de 70 pour cent dans les années 90 grâce à des projets spéciaux et à des investissements réalisés dans des techniques nouvelles afin d’améliorer les rendements, mais cet accroissement de la productivité a presque toujours profité aux grandes et aux moyennes exploitations agricoles. Dans les zones rurales, où le maïs occupe une place centrale dans le mode de vie des populations auxquelles il assure des revenus et l’accès aux aliments de base, les petits exploitants ont continué à pâtir des problèmes liés à une productivité médiocre. Ils cultivent d’ordinaire des terres marginales à faible rendement et n’ont guère de possibilité d’avoir accès au crédit, à des activités de formation ni à des programmes de vulgarisation. Le résultat, c’est que les exploitations familiales (dont moins de 35 pour cent seulement sont compétitives) appliquent des méthodes peu efficaces, manquent d’informations sur les marchés, ont des techniques inadaptées et sont à l’origine de moins de 35 pour cent du revenu rural des ménages.

11. La condition féminine. L’amélioration de la situation des femmes, leur accès à l’éducation, à la santé et aux biens nécessaires pour accroître la productivité revêtent une grande importance pour l’action à entreprendre si l’on veut rompre le cercle vicieux de l’insécurité alimentaire et de la pauvreté. Il ressort des résultats d’une étude récemment conduite par l’IFPRIxviiidans 63 pays en développement entre 1970 et 1995 que le niveau d’instruction des femmes et que leur place dans la société contribuent à raison de 52 pour cent, selon les statistiques, au niveau nutritionnel des enfants et au nombre d’enfants sous-alimentés. Ce rôle des femmes a plus d’influence que la production vivrière nationale et que des facteurs sanitaires ou environnementaux. L’investissement dans l’éducation des femmes a des résultats positifs pour des indicateurs tels que le nombre de naissances, l’espacement entre les naissances, les soins et l’alimentation des enfants, ainsi que pour le revenu familial.

12. La distribution des revenus. Les disparités en général, et l’inégalité de la distribution des revenus en particulier, jouent un rôle important dans la persistance de l’insécurité alimentaire et du sous-développement dans les zones rurales. La Région de l’Amérique latine et des Caraïbes est celle où l’inégalité des revenus est la plus grande du monde: elle compte 11 pays où un dixième de la population a le pourcentage le plus élevé de revenu et qui figurent parmi les 20 pays les plus inéquitables du monde à cet égard. D’après certaines études, le Brésil se classerait en tête de ces pays - avec le dixième le plus riche de la population qui contrôle 47,9 pour cent des ressourcesxix Dans la majorité des pays de la Région, la distribution des revenus a empiré dans les années 90: le pourcentage des revenus des secteurs les plus démunis de la population a diminué, tandis que celui du secteur le plus aisé de la population a augmenté. Après le Brésil, le Nicaragua, le Guatemala et la Bolivie sont les pays où la répartition des revenus est la plus inéquitable.

13. Les services de base. La qualité des ressources humaines joue un rôle déterminant dans le développement, dans la réduction de la pauvreté et dans l’insécurité alimentaire. Dans la Région, les exemples récents du Costa Rica et du Chili en matière de santé, d’éducation et de nutrition sont instructifs. Au cours des trente dernières années, le Costa Rica a assigné entre 7 pour cent et 10 pour cent de son PIB à la fourniture de services de santé et de nutrition à la populationxx Le fait que le Costa Rica soit l’un des cinq pays d’Amérique latine où l’indice de développement humain est le plus élevéxxin’est pas une coïncidence. Le modèle chilien, caractérisé par de gros investissements dans les domaines de l’éducation et des soins de santé primaires (combinés à de faibles taux d’inflation et de chômage ainsi qu’à une augmentation importante de l’épargne et de l’investissement) correspond à l’expérience la plus réussie de la Région en matière de réduction de la pauvreté en une dizaine d’annéesxxii le revenu par habitant a doublé au cours de la période 1985-1998, l’indice de la pauvreté a baissé de 44,8 pour cent entre 1987 (38 pour cent) et 1996 (20 pour cent), le pourcentage des personnes vivant dans une extrême pauvreté est tombé de 16, 8 pour cent à 5,6 pour cent au cours de cette période.

14. L’expérience du Costa Rica en matière de sécurité alimentaire. Malgré les multiples difficultés auxquelles le Costa Rica a été confronté, son cas continue à être un exemple instructif de la relation qui existe entre la sécurité alimentaire, le développement humain et les ressources naturelles (Encadré 2).

IV. La croissance économique, la sécurité alimentaire et le développement

15. Les avantages économiques de la sécurité alimentaire. La lutte pour réduire l’insécurité alimentaire n’est pas seulement un impératif moral. Elle procure également de grands avantages économiques. Selon des estimations préliminaires, si l’on atteint l’objectif du Sommet mondial de l’alimentation, la valeur de ces avantages, quelle qu’en soit la source, dépasserait 120 millions de dollars E.-U. par anxxiii L’amélioration de la sécurité alimentaire s’accompagne à l’évidence de gains importants pour l’économie mondiale, car elle augmente la demande de biens et de services tant nationaux qu’importés. D’après le rapport de la Commission de la macro-économie et de la santé (Organisation mondiale de la Santé), si l’on pouvait atteindre les objectifs du Sommet mondial de l’alimentation, les avantages tirés d’une meilleure alimentation se chiffreraient par des centaines de milliards de dollars par an. Selon une étude de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), la réalisation de l’objectif du Sommet mondial de l’alimentation se traduirait par une diminution du coût des opérations humanitaires et de maintien de la paix qui serait de l’ordre de 2,5 milliards de dollars E.-U. par an. À l’évidence, l’affectation de ressources à la lutte menée pour réduire l’insécurité alimentaire peut permettre d’accroître celles qui sont consacrées à la promotion de la croissance économique et du développement.

16. Le rôle de l’agriculture dans l’économie ruralexxiv La croissance du secteur agricole est déterminante pour celle de l’économie globalexxv Il est prouvé que la croissance du secteur agricole a trois fois plus d’effets multiplicateurs que l’essor des autres secteursxxvi La relation négative qui existe entre la croissance du secteur agricole et le fléchissement des activités économiques s’est traduite en partie par la dégradation des taux de croissance du secteur agricole dans les économies des pays de la Région. Le PIB régional a progressé d’environ 1 pour cent en 2001, soit moins de la moitié du taux enregistré en 2000, tandis que la production agricole en Amérique latine et dans les Caraïbes a augmenté de 2,1 pour centxxvii Il importe de considérer les liens intersectoriels qui se nouent autour des activités agricoles dans les zones rurales. Le secteur rural devient ainsi dans un espace où se déroule un ensemble d’activités économiques qui transcende ses limites. On peut en voir les effets multiplicateurs dans la création de revenus non agricoles tirés de la diversification des activités de transformation agro-industrielles. De même, la demande de services et d’appuis techniques qui tournent autour de l’agriculture est une source de revenus et améliore la sécurité alimentaire.

17. Emploi rural, sécurité alimentaire et développement rural. Il ressort de certaines études portant sur l’emploi rural non agricole que dans une exploitation communautaire mexicaine (ejido)xxviii celui-ci représente par exemple jusqu’à 55 pour cent du revenu total des agriculteursxxix au Nicaragua et au Panama, 61 pour centxxx au Chili, 67 pour centxxxi au Salvador, 67 pour cent et en Équateur, 86 pour centxxxii Cependant, il convient de noter que ces activités complémentaires dont les revenus s’ajoutent à ceux qui proviennent des activités primaires du secteur agricole ne suffisent pas bien souvent à vaincre la pauvreté dans laquelle vivent de nombreux producteurs. En outre, étant donné les déficiences des institutions et des marchés, on peut observer que ces derniers temps, les familles sont devenues de plus en plus tributaires du revenu rural non agricole. À cet égard, il y a lieu de relever le grand rôle que jouent dans certains pays les envois de fonds des travailleurs émigrés et dans d’autres pays, les investissements dans l’achat d’animaux d’élevage et de céréales, ce qui représente pour les agriculteurs un moyen de placer leurs économies et de disposer de liquidités en cas d’urgence. En outre, les revenus tirés des activités agricoles leur servent à acquérir des biens de production locaux et cette demande est essentielle pour le dynamisme du secteur rural non agricolexxxiii Compte tenu de l’importance des revenus non agricoles pour la sécurité alimentaire, il est essentiel d’augmenter les investissements dans les infrastructures, la santé, l’éducation et les innovations technologiques qui favorisent les activités agricoles et non agricoles.

18. Compétitivité extérieure et sécurité alimentaire. L’agriculture et le commerce agricole jouent un grand rôle en tant que moteurs du développement rural et en outre, leur contribution à la sécurité alimentaire des paysans pauvres aux faibles ressources et aux revenus modiques est indispensable. Il en résulte qu’il est nécessaire d’augmenter les productions et les exportations agricoles et c’est également une motivation pour agir en ce sens. L’instabilité des marchés est un aspect essentiel de ce problème. La chute des cours des produits de base est l’une des causes importantes de l’insécurité alimentaire en Amérique latine, car elle affaiblit le pouvoir d’achat des populations et elle compromet les importations ainsi que les investissements. L’accès aux marchés est un autre aspect fondamental du problème. Pour que les pays en développement soient plus compétitifs, il faudrait diminuer les incidences des subventions que les pays développés versent en faveur de leurs productions et de leurs exportations – subventions qui peuvent aller jusqu’à un milliard de dollars par jourxxxiv Du fait de ces subventions à l’exportation, ils écoulent sur le marché des produits à des prix inférieurs à ceux qu’ils pourraient normalement offrir - ce qui empêche la croissance des exportations des pays en développement et nuit aux producteurs des pays importateurs dont les gains se trouvent ainsi réduits. Il s’ensuit un plus faible essor du secteur agricole de ces pays. La part des produits agricoles dans les exportations globales de la Région d’Amérique latine et des Caraïbes qui était de 43 pour cent dans les premières années 70 est maintenant tombée à environ 20 pour cent. Cependant, les échanges internationaux des produits agricoles de base tiennent une place non négligeable (9,5 pour cent) dans le commerce mondial des produits vivriers et sont passés de 32 milliards de dollars E.-U. à 43 milliards de dollars E.-U. au cours de la décennie 1990-2000. Il importe de souligner que ces chiffres auraient pu être plus élevés si les politiques du commerce international avaient été plus libérales et plus équitables. Il faudrait que les pays appliquent des systèmes efficaces d’inspection et de certification dans le cadre de l’Accord OMC relatif aux importations et aux exportations de produits vivriers. Il s’agit non seulement de favoriser le commerce, mais également de protéger la santé des consommateurs, d’éliminer les obstacles non tarifaires et de promouvoir des pratiques équitables pour le commerce international des produits vivriers.

19. Les exploitations familiales et le commerce agricole. Si l’on parvenait à faire participer les petits producteurs aux échanges commerciaux, on améliorerait leurs ressources et donc, leur sécurité alimentaire. À son tour, cela aurait pour effet de favoriser un accroissement des investissements dans des méthodes et des techniques propres à augmenter la productivité, ce qui renforcerait leur compétitivité et leur stabilité. Étant donné que les petites exploitations familiales fournissent 80 pour cent de la production agricole de la Région de l’Amérique latine et des Caraïbes, il est donc essentiel de les faire davantage participer aux échanges commerciaux pour assurer la croissance du secteur agricole, et la croissance économique en général. Le succès des programmes destinés à accroître la productivité est également lié aux exportations de produits agricoles et aux possibilités d’intégration aux chaînes mondiales de commercialisation. Pour encourager un développement rural durable, il est nécessaire d’améliorer la compétitivité des petits producteurs, dont beaucoup n’ont pas les capacités voulues pour être compétitifs, car ils ne disposent pas de bonnes infrastructures, leurs systèmes de commercialisation sont inefficaces, leur niveau de pauvreté et de sous-alimentation est élevé, leur capital humain est faible, leurs institutions laissent beaucoup à désirer et ils sont victimes de très fortes disparités.

20. La sécurité alimentaire et l’innocuité des aliments. La libéralisation des échanges commerciaux et la mondialisation ont multiplié les changements liés aux modes d’alimentation dans le monde entier. Au niveau de l’unité économique familiale dans la Région de l’Amérique latine et des Caraïbes, l’insécurité alimentaire est associée à des difficultés d’accès aux ressources (et aux revenus), ainsi qu’à des problèmes de santé dus au manque de connaissances sur une bonne utilisation des aliments. On observe dans la Région l’existence de maladies transmises par la contamination des aliments, lesquelles figurent parmi les cinq premières causes de décès des enfants de moins de cinq ans. Il existe également une tendance à l’obésité chez plus d’un tiers de la population de la Région, séquelle d’une croissance socio-économique et urbaine où prévaut l’habitude des repas rapides. Il faut donc conjointement mettre davantage l’accent sur l’importance de l’innocuité des aliments pour protéger la santé de la population et promouvoir l’éducation nutritionnelle pour favoriser une bonne utilisation des aliments. Le Codex Alimentarius offre le cadre voulu pour entreprendre la modernisation, l’actualisation ou l’harmonisation des réglementations et le renforcement des systèmes de contrôle des aliments.

21. Des systèmes de production appropriés. Tout plan relatif à la sécurité alimentaire n’a pas seulement trait à une utilisation efficace des ressources, il doit également viser à encourager l’adoption de systèmes de production et de technologies qui assurent la durabilité de ces pratiques. La Région de l’Amérique latine et des Caraïbes compte 25 pour cent de terres potentiellement cultivables et 31 pour cent de réserves d’eau douce dont on pourrait durablement tirer parti à l’aide de technologies appropriées. Dans la Région, les 18 millions de terres irriguées ne représentent que 10 pour cent des superficies cultivées, et on n’emploie des systèmes d’irrigation faisant appel à des technologies appropriées que sur 13 pour cent seulement de ces terresxxxv On s’accorde de plus en plus à reconnaître que la biotechnologie agricole à faible coût peut contribuer à accroître la productivité agricole et les revenus des exploitations familiales. L’amélioration génétique et la reproduction de plantes aux rendements plus élevés, résistant aux sécheresses, aux maladies et aux ravageurs, accélèrent les processus traditionnels tout en parvenant à avoir moins d’effets nuisibles sur l’environnement. Le choix de variétés à maturation plus tardive entraîne une diminution des pertes post-récolte au cours du processus de sélection, de traitement et de stockage, tandis que l’amélioration des semences confère une plus grande valeur nutritive aux produits alimentaires. Dans le cadre du Programme de lutte intégrée (IPM) on utilise des produits biologiques à faible coût pour venir à bout des ravageurs et des maladies des plantes. Il conviendra, lors de l’établissement de tout plan relatif à la sécurité alimentaire, d’assurer la promotion de ces technologies nouvelles en incitant les petits exploitants à les utiliser (entre autres, en les encourageant à établir des partenariats à cette fin et en leur facilitant l’accès au crédit), ce qui contribuera au développement des zones rurales.

22. Les dépenses publiques consacrées au secteur rural. Le pourcentage moyen des dépenses publiques affectées au secteur agricole des pays d’Amérique latine et des Caraïbes a été très réduit au cours de la décennie 1990-2000 (moins de 5 pour cent). Dans les pays de la Région qui comptent le plus de personnes sous-alimentées, le pourcentage du budget public affecté au secteur rural est proportionnellement plus élevé. Cependant, l’utilisation de ces fonds n’a pas été aussi efficace qu’il eût été souhaitable, comme le démontrent les statistiques relatives à la pauvreté et à la sous-alimentation. L’inexistence d’études d’évaluation sur l’impact des politiques et des programmes ruraux empêche d’orienter ces fonds vers des initiatives qui renforceraient leur effet au maximum. La mobilisation des ressources en faveur des zones rurales est un aspect fondamental de la sécurité alimentaire, car c’est là où vivent la plupart des personnes qui sont victimes de l’insécurité alimentaire. L’investissement dans les zones rurales est une composante indispensable de tout programme visant à accroître les capacités de production et à créer des emplois ainsi que des revenus. En canalisant des ressources vers la promotion de la productivité agricole, on réduit également l’exode urbain et on atténue la tendance croissante à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire et à la sous-alimentation que l’on enregistre dans les villes. Néanmoins, il est indispensable d’accompagner toute initiative relative à l’affectation des fonds publics au secteur agricole et rural d’évaluations sur l’incidence de ces dépenses.

23. Les conflits internes. La dynamique des modes de vie durables peut servir tant à réduire la faim qu’à prévenir les conflits nés de l’appauvrissement et de la marginalisation des petits producteurs et des groupes autochtones. L’accès à la terre est un aspect fondamental de la sécurité alimentaire, d’où l’impérieuse nécessité de corriger le fait qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes, les paysans sans terre représentent plus de 30 pour cent de la population rurale pauvrexxxvi Il est également indispensable d’encourager la stabilité qui en résulterait si l’on veut offrir un cadre de vie qui soit propice aux investissements, et amorcer ainsi le processus de développement.

V. Les ressources naturelles, la sécurité alimentaire et le développement rural

24. La biodiversité. L’Amérique latine et les Caraïbes possèdent cinq des dix pays les plus riches de l’univers sur le plan de la biodiversitéxxxvii On y trouve 36 des principales cultures vivrières et à usage industriel, ainsi que 28 pour cent de la superficie totale des aires forestières du monde. Cette région contient en Amazonie la plus vaste forêt tropicale humide de la planète et elle compte presque la moitié des ressources hydriques renouvelables des pays en développementxxxviii L’abondance de ses ressources naturelles tient à son climat favorable et au fait qu’elle s’étend sur les deux hémisphères. Il faut considérer la biodiversité existante et potentiellement utilisable comme le principal atout dont on dispose pour venir à bout des problèmes posés par l’insécurité alimentaire dans une région qui a relativement une faible densité démographique par rapport à son territoire. Il convient donc de procéder à une évaluation de cette biodiversité pour apprécier l’importance de cette richesse.

25. La dégradation des ressources naturelles. L’insuffisance et l’inadaptation des systèmes d’approvisionnements vivriers; les problèmes d’équité liés à la répartition des revenus et surtout à la distribution des terres; la grande agriculture mécanisée qui provoque l’érosion des sols; l’accroissement de l’intensité culturale qui détériore la fertilité naturelle des terres sont à la fois les causes et les conséquences de la dégradation des ressources naturelles. Environ 300 000 hectares, soit 20 pour cent de la superficie de la Région, sont touchés par la désertification. À ce rythme, 50 pour cent des terres agricoles de la région subiront le contrecoup de la désertification et de la salinisation en l’an 2050. Dans les années 90, le déboisement s’est poursuivi dans l’ensemble du monde à un taux qui a atteint 0,38 pour cent par anxxxix La superficie agricole augmente dans environ 70 pour cent des pays du monde, tandis que dans les deux tiers d’entre eux, la superficie forestière diminue. Dans la Région, le taux de déboisement a atteint 4,25 pour cent par an au cours de la décennie 1990-2000, soit un taux moyen annuel de 0,43 pour cent, les pires taux étant enregistrés en Amérique centrale, où ils sont allés jusqu’à 1,60 pour cent par an. La détention de droits de propriété sur les terres est le facteur qui influe le plus sur l’adoption de pratiques qui soient de nature à favoriser une utilisation durable des ressources naturellexl Par conséquent, la conclusion, c’est qu’en réduisant l’insécurité alimentaire grâce à une combinaison de divers facteurs (reconnaissance des droits à l’alimentation, augmentation du nombre des paysans propriétaires de leurs terres, régularisation des modes d’occupation des terres, programmes de vulgarisation et de formation en matière de sauvegarde de la nature, adoption de technologies et de systèmes culturaux plus respectueux des ressources naturelles), on contribuera beaucoup à diminuer la détérioration de l’environnement.

26. Les catastrophes naturelles. La Région de l’Amérique latine et des Caraïbes est associée à des catastrophes naturelles d’une grande ampleur telles que les ouragans, les séismes, les glissements de terrain, les inondations, les sécheresses et les incendies de forêt. Ces catastrophes naturelles sont l’une des grandes raisons de l’insécurité alimentaire et elles freinent la croissance. En Amérique centrale, on estime à 8,4 millions le nombre de personnes qui sont exposées au risque d’ouragans plusieurs fois par an (soit 26 pour cent de la population). En Amérique du Sud, les sécheresses, les inondations et les secousses telluriques ne cessent de poser des problèmes, surtout dans les pays andins. Au niveau géologique, l’Amérique centrale est à la jonction de six plaques tectoniques très actives, qui peuvent provoquer des séismes très violents, surtout sur la côte du Pacifique. On peut généralement constater que les catastrophes naturelles touchent le plus les secteurs les plus démunis de la population – ce qui, en définitive, a une forte incidence sur l’insécurité alimentaire. Il importe de réduire la vulnérabilité des populations face à ces catastrophes et d’atténuer leur impact. À cet égard, la gestion des risques, et notamment la gestion intégrée des bassins versants, figurent parmi les principaux domaines d’action. Cependant, il faut également souligner qu’il est indispensable d’accorder, tout de suite après une catastrophe naturelle, une aide immédiate aux communautés concernées.

27. Les ressources naturelles et la sécurité alimentaire. Dans divers pays d’Amérique latine et des Caraïbes, il existe un cercle vicieux entre l’état de la sécurité alimentaire, la vulnérabilité des populations et la perte des ressources naturelles. L’une des conséquences de l’extrême pauvreté, c’est qu’il y a une forte demande d’énergie et que l’on satisfait cette demande avec du charbon de bois, d’où un processus continu de déboisement. L’érosion et la perte de millions de tonnes de terre cultivable ont provoqué une catastrophe écologique qui aggrave l’insécurité alimentaire dans ces pays.

VI. La sécurité alimentaire ou la voie vers le développement rural: Améliorer l’information et l’accès à l’information

28. Un mandat du Sommet mondial de l’alimentation. L’information joue un rôle fondamental dans l’amélioration de la vie rurale. Si l’on veut mettre l’information au service du développement rural par le biais de la sécurité alimentaire, cet objectif suppose une réorientation des efforts vers des activités de formation destinées à familiariser les personnes intéressées avec l’utilisation des systèmes de réseaux et avec les technologies nouvelles, une transformation des institutions ainsi que la mise au point de stratégies dynamiques et respectueuses de l’environnement. La nécessité de collecter des informations pour évaluer l’état de la sécurité alimentaire, d’identifier les groupes vulnérables, d’appréhender les difficultés et de transférer des bonnes pratiques découle du mandat du Sommetxli

29. Les réseaux d’information pour les alertes précoces. Une première étape du système d’information sur la sécurité alimentaire consiste à prévoir les situations d’urgence afin d’introduire plus de stabilité dans les zones rurales. L’existence d’un risque déterminant pour l’insécurité alimentaire et la vulnérabilité des habitants face à l’impact des catastrophes naturelles et des désastres socio-économiques souligne la nécessité de disposer d’un système d’information à l’appui d’un système d’alerte précoce. La sécurité alimentaire implique la capacité d’identifier et de prévenir les sécheresses, les infestations de ravageurs ou l’instabilité des prix, de protéger les systèmes de production des différentes catastrophes naturelles ou des divers désastres socio-économiques et enfin, de venir à bout de ces situations.

30. La transformation des institutions. Lorsque l’on cherche à créer des moyens d’existence durables en adoptant une approche centrée sur les êtres humains, l’information a un rôle clef à jouer pour l’établissement de nouvelles institutions, pour la mise au point de techniques et de mécanismes destinés à promouvoir différents types de partenariats afin de créer des réseaux efficaces entre des organisations et des particuliers xlii On peut élargir l’éventail des moyens d’existence durables en fournissant des informations sur les possibilités de formation et d’emploi, sur les micro-crédits que les entreprises rurales peuvent obtenir pour améliorer leur productivité et leurs revenus, sur les chaînes de commercialisation entre les organisations de producteurs et les utilisateurs dans les centres urbains.

31. La productivité. L’information tient aussi une place essentielle dans la transformation des systèmes de production vivrière orientés vers les marchés mondiaux en réseaux de producteurs. Les technologies de l’informatique offrent aux petits agriculteurs la possibilité de constituer des réseaux capables de leur donner en temps voulu accès à divers renseignements: intrants disponibles, prix, réglementations sur les conditions d’accès aux marchés, produits et débouchés. Face à l’effondrement des systèmes de production, il est nécessaire de mettre sur pied des systèmes d’information qui offrent des solutions ayant fait leurs preuves au niveau local afin de permettre aux exploitants d’agir et de prendre des décisions sur l’écoulement de leurs produits sur le marché. Ils pourront ainsi améliorer leur compétitivité et par conséquent, mieux faire respecter leur droit de participer aux échanges commerciaux.

32. L’information sur les marchés. L’accès aux marchés offre une possibilité de sortir de la pauvreté. Le manque de compétitivité des petits producteurs des zones rurales est depuis toujours la cause de leur marginalisation. Des informations sur les marchés les aideraient à se recycler pour s’intégrer au nouveau système commercial mondialisé et adhérer aux réseaux et aux alliances qui sont en train de se constituer. En Amérique latine, les ventes des petits agriculteurs aux chaînes de supermarchés représentent actuellement deux fois et demie le volume de leurs exportationsxliii Ils ont également besoin de s’appuyer sur des systèmes d’informations commerciales pour entrer sur ces marchés et sur les marchés de produits à plus forte valeur ajoutée et aussi, pour se constituer en réseauxxliv

33. Dénutrition et santé publique. Les informations épidémiologiques sur la survenue des maladies liées à l’alimentation démontrent qu’elles sont l’une des causes de la dénutrition dans les pays développés comme dans les pays en développementxlv L’industrialisation des systèmes de production des denrées met en relief la vulnérabilité de la chaîne alimentaire. Les préoccupations nationales et individuelles au sujet de l’innocuité des aliments soulignent la nécessité de systèmes d’information adéquats. L’amélioration des informations épidémiologiques aurait pour effet d’améliorer les programmes de santé et de nutrition axés sur les groupes vulnérables, la sécurité alimentaire et la croissance du secteur rural.

34. Participation sociale. Dans une analyse du rôle de l’information dans la création de moyens d’existence durables, la FAO, le Ministère britannique du développement international (Department for International Development (DPDI)) et l’Institut britannique pour le développement d’outre-mer (Overseas Development Institute (ODI)) sont parvenus à la conclusion qu’il est indispensable de disposer d’informations fiables pour prendre des décisions sur l’adoption de moyens d’existence qui soient respectueux de l’environnementxlvixlvii Les auteurs de cette étude recommandent aux agriculteurs de nouer des partenariats pour partager leurs connaissances et d’utiliser des techniques réalistes qui améliorent les systèmes existants et leur confèrent une valeur ajoutée.

35. Le Centre mondial d’information agricole (World Agricultural Information Centre (WAICENT)). La FAO a élaboré, en vue du développement rural et de la sécurité alimentaire, de multiples systèmes d’information sur divers aspects de la politique agricole, entre autres, le SISAAT, le FAOSTAT, le SICIAV et le SISSAN. Ces systèmes aident à mieux connaître les besoins des utilisateurs et à exploiter plus efficacement l’information, en améliorant l’accès aux données grâce à la création de réseaux. Ils permettent d’échanger des renseignements et de créer des bases de données intégrées à partir des éléments fournis par les divers systèmes; en outre, ils améliorent la qualité et l’analyse de ces données grâce à l’élaboration de méthodes et d’outils novateurs. Néanmoins, une coordination insuffisante, les doubles emplois fréquents et l’absence de synergie exigent le renforcement des mécanismes d’analyse, d’évaluation et de partage des enseignements tirés.

VII. Recommandations

36. Pour diminuer le nombre de personnes qui vivent dans un état d’insécurité alimentaire et pour promouvoir la création de moyens d’existence durables, la FAO doit relever un défi, en collaboration avec tous les responsables: améliorer les capacités humaines grâce aux activités suivantes liées au processus de la sécurité alimentaire (Annexe 1).

37. Il est essentiel d’accroître la productivité de la main-d’œuvre pour disposer d’une force de travail compétente dans tous les domaines d’activité économique dans le dessein de réduire la pauvreté et de favoriser le développement rural. C’est pourquoi il est nécessaire d’investir dans des programmes intégrés de nutrition, de santé et d’éducation nutritionnelle s’adressant en priorité aux femmes, aux élèves et aux groupes autochtones, l’objectif étant d’augmenter leurs capacités d’apprentissage et de leur permettre de participer plus effectivement aux activités du secteur économique.

38. Une approche fondée sur la sécurité alimentaire appelle à long terme une utilisation durable des ressources naturelles. Il convient donc d’accroître l’octroi des droits de propriété sur la terre, d’encourager et d’améliorer les diverses formes de propriété sur les ressources naturelles, en y incluant une responsabilisation des utilisateurs vis-à-vis de la collectivité. Il importe également de renforcer les institutions et les instruments qui favorisent une démarche gestionnaire pour les ressources naturelles. À cette fin, il conviendra de prendre en compte les avantages et les coûts externes de leur utilisation, de définir en outre des cadres réglementaires pour les productions vivrières afin de favoriser une exploitation durable des ressources, et d’articuler ces activités à une stratégie de production qui soit respectueuse de l’environnement.

39. Les ruraux pauvres vivent pour la plupart dans des zones à faible potentiel agricole. Compte tenu des facteurs qui limitent la qualité et la quantité de leurs ressources, ils exploitent l’environnement en franchissant les limites qu’impose une utilisation durable des richesses naturelles et commencent à détruire cette base de ressources faute d’autres options. Compte tenu de ces observations, une utilisation durable des ressources naturelles exige la reconnaissance des liens qui existent entre la vie rurale et la vie urbaine pour la satisfaction des besoins essentiels. Il s’ensuit qu’il faut mettre l’accent sur les sources de revenu tant agricoles que non agricoles; il faut aussi privilégier les infrastructures requises pour tirer plus facilement parti des possibilités de travail et disposer de meilleures options pour la satisfaction des besoins essentiels, le but étant de diversifier et d’accroître la qualité et la quantité des ressources des populations rurales pauvres.

40. Dans les situations d’urgence - qu’elles soient dues à des causes naturelles ou sociales - les ruraux pauvres n’ont plus les moyens de répondre à leurs besoins essentiels en matière de sécurité alimentaire. Afin de prévenir ce risque, il convient d’élaborer des stratégies d’alerte précoce et des programmes de sécurité alimentaire pour chaque type de situation qui peut se présenter dans chaque sous-région (séismes, ouragans, conflits civils), en menaçant d’aggraver la destruction des ressources naturelles et d’augmenter l’insécurité alimentaire.

41. Comme les femmes jouent effectivement un rôle de plus en plus important dans le domaine de la sécurité alimentaire, dans le milieu agricole et rural, dans la vie des jeunes et dans la création du revenu familial, une approche centrée sur la condition féminine s’impose si l’on veut atteindre l’objectif du développement humain. À cet égard, il est nécessaire de mettre au point des programmes axés sur les besoins des femmes, sur leur éducation et sur la création de services à l’appui de leur participation à l’économie et à la mise en œuvre des politiques. Le thème de la condition féminine est transversal et concerne toutes les stratégies de la sécurité alimentaire, de telle sorte qu’il est désormais au cœur même de toutes les activités socio-économiques du développement rural.

42. L’accès à une meilleure information et la familiarisation de la population rurale avec les nouveaux systèmes d’information sont indispensables à l’établissement de modes de vie qui soient dynamiques et respectueux de l’environnement. C’est pourquoi il est nécessaire de développer les capacités des habitants du secteur rural, surtout des jeunes, dans ce domaine. On peut démontrer qu’il est possible d’améliorer la sécurité alimentaire par le canal de l’information, en mettant au point des programmes d’information qui offrent aux ruraux la possibilité de se constituer en réseaux avec les producteurs et les marchés, ce qui leur permet ainsi d’accroître leurs revenus.

43. Il est essentiel de promouvoir des partenariats fonctionnels dans toute stratégie de sécurité alimentaire et à tous les niveaux de transformation des zones rurales. Ces partenariats doivent également servir à renforcer les modalités d’organisation communautaires et encourager l’essor des micro-entreprises en les articulant aux grandes et moyennes entreprises. Il est indispensable de développer les marchés financiers afin de mobiliser l’épargne et de favoriser l’investissement, ce qui contribuera à l’instauration d’un système de développement dynamique et durable.
 

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Encadré 2


Le cas du Costa Rica: la sécurité alimentaire, le développement humain et
 le développement rural

Politiques et programmes de sécurité alimentaire et de nutrition au Costa Rica

Le gouvernement s’est engagé depuis des dizaines d’années à promouvoir une amélioration soutenue du bien-être nutritionnel. Le pourcentage des dépenses publiques affecté à des politiques et à des programmes sociaux de santé et de nutrition destinés aux enfants, aux adolescents et aux populations vulnérables s’élève à 32 pour cent. Au Costa Rica, la part du budget public consacrée à l’éducation a dépassé 22 pour cent en 1995-1997 et a doublé au cours de la dernière décennie. Les fonds consacrés à la santé publique ont sextuplé depuis 50 ans. Ils représentaient 7,4 pour cent du PIB en 1980 et 10 pour cent en 2001.

Dates importantes des programmes sociaux au Costa Rica:

1950: Programmes d’alimentation complémentaire, avec la participation de Centres de nutrition

1951: Création du Département de la nutrition au Ministère de la santé

1968: Programme de nutrition familiale /jardins d’enfants (Ministères de la santé, de l’éducation et de l’agriculture)

1971: Intégration d’un élément "Éducation" dans la composante "nutrition": Centres d’éducation et de nutrition (CEN)

1972: Création du Secrétariat de la Politique Nationale d’Alimentation et de Nutrition (SEPAN)

1972: Promulgation d’un décret relatif à l’iodisation du sel

1974: Promulgation d’un décret relatif à l’enrichissement du sucre avec de la vitamine A (programme suspendu en 1982)

1976: Loi relative au développement social et aux prestations familiales: création d’un fonds destiné à financer des programmes sociaux de santé, d’alimentation et de nutrition au bénéfice des familles économiquement faibles

1976: Création des Centres intégrés de santé pour les enfants (CINAICentros Integrados de Atención de Salud de Niños)

1977: Service intégré d’accueil pour les enfants d’âge préscolaire (accueille pendant 12 heures par jour les enfants des mères qui travaillent)

1983: Stratégie relative à la promotion des soins de santé primaires à l’intention des groupes vulnérables

1983: Programme CEN-CENAI: création de Centres intégrés d’accueil pour les enfants (CAI - Centros Infantiles de Atención Integral) qui offrent un service intégré d’accueil pour les enfants de moins de sept ans (santé, éducation, nutrition et assistance sociale)

1989: Élargissement du Programme en faveur des enfants d’âge préscolaire, des enfants des mères qui travaillent et des communautés vulnérables

1990: Promotion et appui des micro-entreprises communautaires et autogestionnaires

1990: Création d’un service de "Foyers communautaires" à la charge des "Mères communautaires"

1993: Projet de promotion des modes de vie sains (projet PROEVISA – Proyecto de Promoción de Estilos de Vida Saludable)
1994:
Plan National de Combat contre la Pauvreté. Ce plan garantit des services de base en matière d’éducation et de santé à toute la population et des programmes sélectifs à l’intention de la population qui se situe au-dessous du seuil de pauvreté. Le Programme de nutrition et de protection infantile s’adresse aux groupes les plus vulnérables dans le domaine socio-économique et nutritionnel.
 

 


État nutritionnel des jeunes 1982-1996

On constate une amélioration de l’état nutritionnel des jeunes qui se manifeste par l’augmentation tant de leur taille que de leur poids

La proportion des enfants normaux (poids/âge) est passée de 66,6 pour cent à 73,5 pour cent

Le pourcentage de jeunes soufrant de dénutrition chronique (poids/âge) a baissé de 7 pour cent

Le pourcentage de jeunes souffrant de dénutrition aiguë (poids/âge) est tombé de 21,7 pour cent à 15,3 pour cent.

Les cas de plus en plus nombreux d’obésité chez les jeunes indiquent la nécessité de mettre l’accent sur des programmes préventifs.

Le pourcentage des cas de surpoids chez les jeunes a augmenté progressivement: de 4 pour cent en 1966, il est passé à 11,4 pour cent en 1978

En 1996, 14,9 pour cent des élèves présentaient un risque d’obésité (IMC > 85 pour cent – ce risque étant plus élevé en zone métropolitaine (20 pour cent) qu’en zone rurale (9,3 pour cent).

Des différences persistent entre l’état nutritionnel des citadins et des ruraux.
 

 


Développement humain et développement économique

Le Costa Rica a atteint un niveau de développement humain plus élevé que celui du développement économique. Selon le Rapport mondial sur le développement humain (2001), le Costa Rica se classait au troisième rang des pays d’Amérique latine pour ce qui est du développement humain avec un IDH de 0,821 en 1999, et au cinquième rang pour ce qui est du développement économique si l’on retient comme critère le PIB par habitant. L’agriculture occupe 20 pour cent de la main-d’œuvre et contribue au PIB à raison de 10 pour cent.
En 2001, l’espérance de vie était de 76,2 ans au Costa Rica, contre 70 ans en moyenne pour l’Amérique latine.
 

______________________________

i Article 25, Déclaration universelle des droits de l’homme, Assemblée générale des Nations Unies, 10 décembre 1948.

ii Déclaration du Millénaire, Sommet du Millénaire (Organisation des Nations Unies), 13 septembre 2000.

http://www.un.org/french/millenaire/

iii FAO, L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde, 2001.

http//www.fao/org/docrep/003/y1500f/y1500f00.htm

iv Conférence des Nations Unies sur le financement du développement, Monterrey, Mexique, 2002.

v FAO, Sommet mondial de l’alimentation: cinq ans après, Rome, 2001

vi FAO, "L’état de l’insécurité dans le monde", 2002.

http://www.fao.org/docrep/005/y7352f/y7352f01.htm

vii FAO/ODI/DFID, http://www.fao.org/waicent/portal/outreach/livelihoods/fr/index-fr.html, 2001/2002.

viii Sen, Amartya , "Poverty and Famines – an Essay on Entitlement and Deprivation", OIT, Genève,1981.

ix Sen , Amartya, "Development as Freedom", First Anchor Books, août 2000.

x FAO, http://www.fao.org/docrep/005/y7352f/y7352f03.htm#PO_0, 2002

xi Fogel, Robert,  "Economic growth, population theory and physiology: the bearing of long-term processes on the making of economic policy", American Economic Review, 84(3), 1994.

xii FAO: Étude "Développement économique et social" n°147, 2000, "Undernourishment and economic growth: the efficiency cost of hunger" par J. Arcand . Cette étude conclut que si l’on portait la valeur énergétique de la ration alimentaire à 2 770 kilocalories par jour et par habitant dans les pays où cette valeur est inférieure à ce chiffre, on augmenterait le taux de croissance annuel du PIB par habitant de 0,34  pour cent à 1,48 pour cent.

xiii "Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement", Résolution I, Annexe II http://www.un.org/documents/ga/conf151/aconf15126-1.htm, Rio de Janeiro, juin 1992

xiv Fogel, Robert, "Economic growth, population theory and physiology: the bearingof long-term processes on the making of economic policy", American Economic Review, 84(3), 1994.

xv FAO et Banque mondiale, "Systèmes de production agricole et pauvreté: améliorer les moyens d’existence des agriculteurs dans un monde en changement, 2001.

xvi Banque mondiale, “Poverty Trends and Voices of the Poor" (Washington, Banque mondiale, 2000).

xvii Echeverría, Rubén, BID, Unité de développement rural ( Division du développement durable), “Opciones de inversión en las economías rurales de América latina y el Caribe” dans “Desarrollo de las economías rurales”, 2002.

xviii IFPRI, Smith & Haddad, “Explaining Child Malnutrition in Developing Countries: a Cross-Country Analysis”, Research Report 111, 2000.

xix FAO et Banque mondiale, “Systèmes de production agricole et pauvreté: améliorer les moyens d’existence dans un monde en changement, 2000.

xx UNICEF, “La reforma del secteur salud y su incidencia sobre el sector nutricíon en Costa Rica”,Dr. P.Rivas, 1999.

xxi PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2002.

xxii Engel, Eduardo, “Distribuir or Crecer ?”, América Economía, septembre 2002.

xxiii FAO, Programme de lutte contre la faim, Rome, juillet 2002.

xxiv FAO, http://www.fao.org/docrep/005/y7352f/y735203.htm#P0_0 , 2002

xxv FAO, Norton, R.D., “Agricultural Development Policy: Concepts and Experiences”, Document de travail de la Division de l’assistance aux politiques n° 43/1, 2003.

xxvi Block, S., & Timmer, C., 1994, “Agricultural and Economic Growth: Conceptual Issues and the Kenyan Experience”, texte ronéotypé, Harvard Institute for Economic Development .

xxvii FMI “Perspectives de l’économie mondiale”, Washington, 2001.

xxviii De Janvrey,A. et Sadoulet,E. “La inversión en el desarrollo rural es un buen negocio”. Dans R.Echeverría, Ed. Desarrollo de las economías rurales, BID, Washington, DC. , 2001.

xxix De Janvry, A. et Sadoulet, E. “Income strategies among rural households in Mexico: the role of off-farm activities”. Dans World Development, 1999.

xxx xx Davis, B. Carletto, C. et Sil, J. “Los hogares agropecuarios en Nicaragua: un análisis de tipología”. Department of Agricultural and Resource Economics, Université de Californie, Berkeley, 1998.

xxxi López et Valdés, A. “Rural poverty in Latin America: Analytics, new empirical evidence and policy”. Banque mondiale, Département technique, Région Amérique latine et Caraïbes, Washington, DC., 1997.

xxxii Lanjouw,P. "Rural poverty and non agricultural employment in Ecuador”. Banque mondiale, Département de la recherche , politiques de développement. Washington, DC.1996.

xxxiii FAO, “Mobiliser des ressources pour combattre la faim”. Comité de la sécurité alimentaire mondiale, vingt-septième session, 28 mai-1er juin 2001.

xxxiv OCDE, Synthèses, “Towards more liberal agricultural trade”, novembre 2001.

xxxv LARC/O2/2, “Équilibre entre la sécurité alimentaire et la gestion durable des ressources naturelles en Amérique latine et dans les Caraïbes”, 2000.

xxxvi FAO, SOFI http://www.fao.org/docrep/005/y7352f/y7352f05.htm#P125_28780 , 2002

xxxvii Programme des Nations Unies pour l’environnement, 2000.

xxxviii FAO et Banque mondiale, “Systèmes de production agricole et pauvreté: améliorer les moyens d’existence des agriculteurs dans un monde en changement”, 2001.

xxxix FAO, “Situation des forêts du monde , 1ère Partie , Situation et faits nouveaux dans le secteur forestier”, http://www.fao.org/docrep/pdf/005/7581f/y7581f01.pdf , 2003.

xl IFPRI, “Reduccíon de la provreza en las zonas de ladera de Honduras”.

xli Plan d’action du Sommet mondial de l’alimentation, paragraphe 4, Rome, 1996.

xlii Messner, D. “La transformación del Estado y la politica en el proceso de globalización” dans Nueva Sociedad, n° 163, septembre-octobre 1999.

xliii IFPRI, J.A.Berdégué, F. Balsevich, L.Flores, D. Mainville et T.Reardon 2 “Safety Standards for Produce in Latin America”, Focus 10, Brief n° 12, septembre 2003.

xliv ODI, Page et Slater, “Small Producer Participation in Global Food Systems”, Development Policy Review, 2003, n° 21 (5-6) pp 641-654.

xlv IFPRI, 2020 Vision, Kaferstein,Fritz, “Food Safety as a Public Health Issue for Developing Countries” Food Safety in Food Security and Food Trade, Brief 2, 17 septembre 2003.

xlvi FAO/DFID, Réunion du groupe d’experts, Rome, 2001.

xlvii FAO, “Approche des moyens d’existence: l’information et la communication comme contributions au développement rural et à la sécurité alimentaire”, 2003. http://www.fao.org/waicent/portal/outreach/livelihoods/fr/partenerships-fr.html