ERC/04/6


VINGT-QUATRIÈME CONFÉRENCE RÉGIONALE DE LA FAO POUR L’EUROPE

MONTPELLIER (France), 5 - 7 mai 2004

Point 8 de l’ordre du jour

SITUATION DE L’ALIMENTATION ET DE L’AGRICULTURE DANS LA RÉGION:
LE POINT SUR LA PAUVRETÉ RURALE

Table des matières



I. RÉSUMÉ

1. Dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale (CEE) et de la Communauté des États indépendants (CEI), la pauvreté est un problème majeur que la communauté internationale ne saurait négliger. Même si la pauvreté dans cette région est en moyenne inférieure à celle des autres régions, cette moyenne masque l’extrême pauvreté de certains pays où elle est aussi répandue que dans nombre des pays les plus défavorisés d’autres régions. Il est cependant fort inquiétant qu’à l’inverse des autres régions, la pauvreté et les inégalités ont nettement progressé depuis le début des années 90 dans la région de la CEE/CEI. Dans de nombreux pays, les pauvres sont concentrés dans les zones rurales et tributaires de l’agriculture, à la fois comme source d’emploi et de revenus. Il faudra axer les efforts sur le développement des zones rurales pour enrayer cette tendance néfaste à l’aggravation de la pauvreté.

II. COUVERTURE PAR PAYS

2. Cette enquête porte sur les pays d’Europe centrale et orientale (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Serbie et Monténégro, Slovaquie et Slovénie) et les pays de la CEI (Arménie, Azerbaïdjan, Bélarus, Fédération de Russie, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizstan, République de Moldova, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine et Ouzbékistan). Ces 27 pays sont collectivement appelés « pays ou région de la CEE/CEI ». Ils sont fréquemment considérés comme des pays en transition, du fait de la transformation de leur économie centralisée en une économie de marché qui a été lourde de conséquences pour la performance de l’agriculture et la sécurité alimentaire. Étant donné la très large couverture de cette enquête, les comparaisons concernent souvent des groupes de pays; on utilise parfois l’exemple spécifique de certains pays pour développer certaines idées ou caractéristiques. La couverture par pays ne se prétend pas complète et vise uniquement à fournir des illustrations.

A. INTRODUCTION

3. Depuis sa création, la FAO s’attache à promouvoir le développement agricole et à améliorer la nutrition afin d’asseoir la sécurité alimentaire que l’on peut définir comme l’accès de tous, à chaque instant, à la nourriture nécessaire pour mener une vie active et en santé. Dans les pays d’Europe centrale et orientale et de la Communauté des États indépendants, la principale cause de l’insécurité alimentaire est la pauvreté.

4. Ce document a pour objet de décrire le caractère spécifique de la pauvreté dans la région de la CEE/CEI et de proposer une approche pour remédier au problème, notamment dans les zones rurales, en concertation avec les gouvernements membres. En moyenne, la pauvreté est moins répandue dans la région de la CEE/CEI que dans les autres régions du monde. Cela ne surprend guère si l’on considère que 8 pays de la région sont membres de l’Union européenne. Cependant, on perd souvent de vue le fait que divers pays des Balkans, du sud du Caucase et d’Asie centrale sont aussi pauvres que les plus pauvres pays d’autres régions. Autre aspect spécifique, la région de la CEE/CEI est la seule qui a enregistré une sérieuse aggravation de la pauvreté durant la dernière décennie. Dans la plupart des pays, une large proportion de la population a vu son niveau de vie se dégrader de manière importante dans les années 90. Ainsi, malgré un niveau général de dénuement moins élevé que celui des autres régions du monde si l’on applique un seuil comparable, le niveau subjectif de pauvreté (déterminé par les attentes en matière de niveau de vie) reste très élevé dans la région. En outre, bien que la région dans son ensemble soit moins rurale que nombre d’autres régions en développement —moins rurale que l’Amérique latine et sensiblement au même niveau que le Proche-Orient et l’Afrique du Nord – plusieurs pays de la région sont tout aussi ruraux que nombre des pays les plus défavorisés des autres régions du monde. Dans les pays les plus pauvres de la région, la pauvreté est plus grave en zones rurales que dans les villes. Un dernier trait distinctif de la pauvreté dans la région de la CEE/CEI tient à son caractère non matériel. Même dans les pays les plus pauvres, les services tels que l’accès à l’eau potable, les transports, l’enseignement, la santé, l’électricité et d’autres, sont plus développés que dans les autres régions en développement. C’est dans une très large mesure un legs appréciable du système socialiste. Toutefois, les budgets publics sont aujourd'hui insuffisants pour assurer la maintenance de ces systèmes qui se dégradent sans cesse faute d’entretien. Sur la base de cette description de la pauvreté dans la région de la CEE/CEI, on peut diviser celle-ci en cinq groupes sous-régionaux. Quatre de ces sous-régions comptent des pays où les problèmes de pauvreté rurale sont aussi graves que dans certains des pays pauvres des autres régions du monde.

5. La Conférence régionale de la FAO pour l’Europe tenue en juillet 2000 à Porto a fait de l’atténuation de la pauvreté par le soutien des moyens de subsistance durables et de la sécurité alimentaire en zones rurales l’une des quatre priorités à court et moyen terme de la région jusqu’à 2007. La FAO œuvre pour la réduction de la pauvreté rurale en aidant les gouvernements à améliorer les politiques qui favorisent l’entreprise privée dans les secteurs de l’agriculture, des forêts et des pêches. Elle apporte également une aide directe aux agriculteurs notamment par l’introduction de technologies nouvelles et prometteuses, la formation d’associations de commercialisation des produits agricoles, l’amélioration des ouvrages d’irrigation, le conseil en matière de lutte contre les ravageurs, etc.

6. Au-delà de ces actions, la FAO défend le principe de la croissance agricole et rurale comme moteur de la croissance économique et de la lutte contre la pauvreté. Dans la région de la CEE et de la CEI, l’agriculture ne reçoit qu’une part dérisoire des ressources allouées au titre des programmes d’aide. Ce choix ne semble guère avisé quand on considère les corrélations clairement établies entre la croissance de l’agriculture et celle de l’économie dans son ensemble. La morosité de la croissance agricole peut considérablement freiner la croissance économique générale et la lutte contre la pauvreté. La FAO s’est engagée à promouvoir la croissance et le développement rural qui constituent un moyen puissant de lutte contre la pauvreté dans les campagnes comme dans les villes.

B. LA PAUVRETÉ RURALE DANS LA RÉGION DE LA CEE/CEI, REPLACÉE DANS UN CONTEXTE COMPARATIF

7. Les nombreuses définitions de la pauvreté renvoient toutes de manière générale à l’incapacité de se procurer des produits spécifiques ou des biens de consommation et à l’incapacité de fonctionner au sein de la société. Elle peut être définie en fonction des revenus mais aussi de la vulnérabilité, de l’incapacité de faire entendre sa voix, de l’impuissance, du faible niveau d’éducation et de la santé (Banque mondiale, 2001). La notion de pauvreté revêt donc des dimensions multiples, à la fois matérielles et non matérielles, ce qui explique que des mesures très diverses ont été élaborées pour en rendre compte (par exemple les résumés statistiques du bien-être économique des pauvres au sein d’une société). Ces mesures révèlent leur utilité quand on compare les différents degrés de dénuement pour évaluer les progrès d’un pays dans la lutte contre la pauvreté, ou encore des politiques ou des projets particuliers.

8. Il n’y a pas de mesure unique et universellement acceptée de la pauvreté et il existe nombre de méthodes pour la mesurer qui sont toutes fonction du degré d’importance accordée au jugement subjectif du bien-être ou, au contraire, à une définition du bien-être arrêtée par d’autres. Citons deux importantes mesures que sont 1) l’indice numérique de pauvreté qui est fondé sur le minimum vital national, et 2) le seuil international de pauvreté de 1 et de 2 dollars par jour. L’indice numérique de pauvreté représente la proportion de la population nationale dont les revenus se situent en deçà du ou des seuils officiels de pauvreté fixés par le gouvernement national. Les revenus (ou la consommation) des ménages et leur répartition sont estimés à partir des enquêtes sur le ménages où sont collectées des données sur les revenus – y compris les revenus en nature – la consommation et les dépenses des ménages. Cette mesure s’applique spécifiquement au pays dans lequel les données ont été collectées et qui a fixé ce minimum vital; elle est donc utilisée pour évaluer le niveau de développement.

9. Étant donné que les définitions de la pauvreté diffèrent d’un pays à l’autre, il est difficile de se livrer à des comparaisons entre pays. Le minimum vital des pays riches vise généralement un pouvoir d’achat assez élevé et se fonde sur des critères plus généreux que ceux utilisés dans les pays pauvres. C’est pour cette raison que les seuils internationaux de pauvreté ont été élaborés. Le pourcentage de population vivant avec moins de 1 dollar par jour (qui s’applique aux pays à faible revenu) et avec 2 dollars par jour (pour les pays à revenu intermédiaire) représente la proportion de la population qui vit en deçà de ces niveaux de consommation ou de revenus en prix de 1993, ajustés à parité du pouvoir d’achat. Les seuils internationaux de pauvreté cherchent à maintenir la valeur réelle du seuil de pauvreté à un niveau constant entre les pays. Cet indicateur permet de comparer les progrès réalisés par les pays en vue de la réduction du nombre de gens vivant dans la pauvreté et de suivre l’évolution des tendances mondiales.

1. Comment se présente la pauvreté dans les pays de la CEE/CEI par comparaison avec les autres régions?

10. Une comparaison de la pauvreté dans les principales régions en développement et en transition du monde (sur la base des seuils internationaux de pauvreté) met clairement en évidence trois tendances distinctes: tout d’abord, la pauvreté – en particulier l’extrême dénuement – dans la région de la CEE/CEI est en moyenne moins importante que dans les autres régions (Tableau 1). Par rapport au seuil d’extrême pauvreté d’un dollar par jour, l’incidence de la pauvreté dans la région de la CEE/CEI (4 pour cent) est légèrement inférieure à celle du Proche-Orient/Afrique du Nord, mais nettement moindre que dans les autres régions.1 En revanche, le taux de pauvreté, au seuil de 2 dollars par jour (21 pour cent), est proche de celui du Proche-Orient/Afrique du Nord (24 pour cent) et de l’Amérique latine (26 pour cent). Ces trois régions ont une proportion bien moins grande de pauvres dans leurs populations que les autres régions du monde – l’Asie de l’Est et le Pacifique (48 pour cent), l’Afrique sub-saharienne (77 pour cent) et l’Asie du Sud (78 pour cent).

11. Deuxièmement, l’écart s’amenuise entre la région de la CEE/CEI et les autres régions en raison du fait que la pauvreté s’accroît dans cette région tandis qu’elle demeure stable ou qu’elle régresse dans les autres. Au cours de la dernière décennie, l’indice numérique de pauvreté, au seuil de 2 dollars par jour, a régulièrement augmenté dans CEE/CEI alors qu’il est resté constant ou a chuté dans les autres régions (Tableau 2). Depuis 1988, l’indice numérique de la pauvreté s’est accru de façon spectaculaire en Estonie, en Fédération de Russie, en Moldova, au Turkménistan et en Ukraine (Tableau 3). Toutes les mesures des inégalités2 sont également en hausse dans les pays de la région.

Tableau 1. Taux de pauvreté et nombre de pauvres par région, 2000

 

Taux de pauvreté (en pourcentage, à moins de...) Nombre de pauvres (en millions)

 

1,08USD/jour

2,15 USD/jour

1,08USD/jour

2,15 USD/jour

Europe de l’Est & Asie centrale

4

21

20

101

Moyen-Orient & Afrique du Nord

3

24

8

72

Amérique latine

11

26

56

136

Asie de l'Est et Pacifique

15

48

261

873

Afrique sub-saharienne

49

77

323

504

Asie du Sud

32

78

432

1 052

Total

22

54

1 100

2 737

Source: Banque mondiale, Suivi de la pauvreté dans le monde, 2003

12. Troisièmement, on constate d’importantes variations entre les pays de la CEE/CEI. Certains des pays les plus pauvres sont tout aussi démunis que les plus pauvres pays d’autres régions. Les revenus sont extrêmement variables, le PIB par habitant se situant entre 10 000 et 15 000 dollars (à parité du pouvoir d’achat (PPA) en dollars internationaux actuels) dans certains pays candidats à l’adhésion à l’UE (Estonie, Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovénie), et au niveau très faible de 1 500 dollars dans certains pays de la CEI (Moldova, Ouzbékistan, Tadjikistan). Si l’on exclut de la région les pays plus développés, les pays les plus pauvres le sont tout autant que ceux d’autres régions (Tableau 4). Ainsi, six des pays les plus pauvres de la région ont des taux de pauvreté plus de deux fois supérieurs à la moyenne régionale. Ces taux sont comparables aux moyennes des autres régions, y compris à la moyenne des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire.

Tableau 2. Population vivant avec moins de 2,15 dollars par jour à parité du pouvoir d’achat en prix de 1993 (indice numérique %)

1987 1990 1993 1996 1998 2000
Asie de l'Est

67

66

61

49

49

48

Europe de l'Est et Asie centrale

4

10

17

20

20

21

Amérique latine & Caraïbes

36

38

35

37

36

26

Moyen-Orient et Afrique du Nord

30

25

24

22

22

24

Asie du Sud

86

87

85

85

84

78

Afrique sub-saharienne

77

76

78

77

76

77

Total

61

62

60

56

56

54

Source: Banque mondiale, Suivi de la pauvreté dans le monde, 2003; Chen et Ravallion, 2001

13. La classification de l’indice du développement humain (IDH) mis au point par les Nations Unies est très semblable à celle de la pauvreté adoptée par la Banque mondiale. Le Tadjikistan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, l’Albanie et l’Azerbaïdjan (dont l’IDH pour l’année 2000 se situait respectivement à 112, 102, 95 88, et 87) ont un IDH inférieur à celui de pays tels que la Colombie, Maurice, les Philippines, la Thaïlande et le Venezuela (PNUD, 2002).

Tableau 3. Indice numérique de la pauvreté et indice de Gini dans la CEE/CEI

 
Année
1988
1992
1993
1995
1996
1998
Ukraine
Indice num.
0
2
15
24
 
Indice de Gini
23
26
39
33
Turkménistan
Indice num.
20
59
   
Indice de Gini
26
36
Féd. de Russie
Indice num.
0
20
24
25
 
Indice de Gini
24
44
48
49
Moldova
Indice num.
0
32
 
Indice de Gini
24
34
Estonie
Indice num.
1
22
18
 
Indice de Gini
23
40
35

Source: Banque mondiale, Suivi de la pauvreté dans le monde, 2003.

Tableau 4. La pauvreté dans les pays pauvres de la CEI et des autres régions

Population rurale vivant en dessous du seuil de pauvreté
(%)
Population vivant avec moins de 1USD/jour (%)
Population vivant avec moins de 2USD/jour (%)
Écart de pauvreté à 2USD/jour (%)
Moldova
27
22
64
25
Tadjikistan
..
10
51
16
Arménie
45
13
49
17
Ukraine
..
3
46
16
Ouzbékistan
31
19
44
20
Turkménistan
..
12
44
15
Chine
5
19
54
21
Indonésie
7
55
16
Sri Lanka
27
7
45
14
Brésil
33
10
24
10
Côte d'Ivoire
..
12
49
17
Kenya
46
23
59
24
Botswana
..
24
50
23
Tanzanie
39
20
60
23

Note – Les données se rapportent aux années de sondage les plus récentes

Source: Banque mondiale, Suivi de la pauvreté dans le monde, 2003.

2. Différences entre les seuils nationaux et internationaux de pauvreté dans les pays de la CEE/CEI

14. À de rares exceptions près, la prévalence de la pauvreté (sur la base du minimum vital national) dans la région de la CEE/CEI est très élevée et sensiblement supérieure à la prévalence obtenue si l’on se réfère aux mesures de la pauvreté à 1 et 2 dollars par jour (Tableau 5). Les différences entre les mesures de pauvreté fondées sur les seuils nationaux et internationaux n’ont rien d’aberrant dans la mesure où le minimum vital national renvoie à la nature de la pauvreté dans un pays donné et on peut s’attendre à ce que le niveau de vie jugé essentiel soit plus élevé dans les pays riches. Par ailleurs, bien des gens estiment que la pauvreté est très forte, notamment dans les pays de la CEI, parce que le revenu par habitant, les services publics et l’emploi n’ont cessé de se dégrader depuis presque dix ans. Il est donc tout à fait normal que la mesure de la pauvreté reflète cette perception d’une détérioration du niveau de vie.

Tableau 5. Seuils nationaux et internationaux de pauvreté

Seuil national
(%)

Population
vivant avec moins de 1USD/jour
(%)

Population
vivant avec moins de 2USD/jour (%)

Proportion de gens sous-alimentés dans la population totale (%)
1998-2000

République kirghize

64

2

34

8

Arménie

54

13

49

46

Azerbaïdjan

50

4

9

23

Bélarus

42

<2

<2

Kazakhstan

35

<2

15

8

Ukraine

32

3

46

5

Fédération de Russie

31

6

24

5

Ouzbékistan

28

19

44

19

Pologne

24

<2

<2

Moldova

23

22

64

10

Roumanie

22

2

21

Hongrie

17

<2

7

Bulgarie

13

5

24

15

Géorgie

11

<2

12

16

Estonie

9

<2

5

Note – Les données se rapportent aux années de sondage les plus récentes

Source: Banque mondiale, Suivi de la pauvreté dans le monde, 2003; FAO, 2003

15. Le pourcentage de victimes de la sous-alimentation dans la population montre lui aussi à quel point la pauvreté est problématique. Même dans les pays ayant une faible proportion de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté (Bulgarie et Géorgie), on trouve un grand nombre de gens souffrant de sous-alimentation. Dans l’ensemble, la pauvreté demeure un problème aigu dans la région et les pays de la CEE/CEI ne doivent pas être négligés au profit d’autres régions où les données relatives au seuil international de pauvreté, ramenées à la moyenne régionale, mettent en évidence une pauvreté apparemment plus grave.

3. Pauvreté rurale et pauvreté urbaine dans les pays de la CEE/CEI3

16. À mesure qu’un pays se développe, le secteur agricole perd de son importance par rapport aux autres secteurs économiques du point de vue de l’emploi et de sa contribution au PIB (Figure 1). Ceci tient au fait que le développement économique génère un relèvement des revenus et une demande relative plus forte de biens et services non alimentaires. La réorientation de la main-d'œuvre du secteur agricole à l’industrie et au secteur tertiaire s’accompagne d’un déplacement des populations qui quittent les zones rurales au profit des villes. En moyenne, la proportion de gens vivant en zones rurales dans la CEE et les pays de la CEI est inférieure à celle des autres régions parce que les revenus moyens par habitant y sont plus importants (Tableau 6). En proportion de la population totale, les ruraux sont bien moins nombreux qu’en Asie et en Afrique sub-saharienne et viennent en seconde position après l’Amérique latine seulement.


Undisplayed Graphic

Source: Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, 2003.

17. Il est admis depuis longtemps qu’il existe une forte corrélation statistique entre la croissance de la production agricole et la croissance du PIB. Rares sont les pays qui sont parvenus à enregistrer une forte croissance générale et une réduction de la pauvreté sans réaliser une robuste croissance de l’agriculture et des autres secteurs non agricoles de l’économie rurale. Au cours des années 90, le PIB et l’agriculture ont chuté de près de 30 pour cent dans l’ensemble de la région de la CEE/CEI, tandis que les mouvements campagnes-villes ont été nuls (Tableau 6). Alors que l’on a constaté des baisses appréciables de la proportion de ruraux dans toutes les autres régions, le pourcentage de ruraux dans les pays de la CEE/CEI n’a pas bougé. Cette stagnation ne signifie pas que la région ait atteint un bon développement général, accompagné d’une stabilisation des populations rurales.4 Elle doit plutôt être imputée aux mauvaises performances économiques d’ensemble. Dans les pays de la CEE et de la CEI, la stagnation du PIB comme de l’agriculture pendant les années 90 a très certainement contribué à l’absence de migrations en direction des villes.

Tableau 6. Population rurale en pourcentage de la population totale (par région)

Année

1992

2002

Asie de l'Est et Pacifique

70

62

Europe & Asie centrale

37

37

Amérique latine et Caraïbes

28

24

Moyen-Orient & Afrique du Nord

46

42

Asie du Sud

75

72

Afrique sub-saharienne

73

67

Pays à revenu faible et intermédiaire

63

58

Source: Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, 2003

18. On constate une diversité considérable entre les différents pays de la CEE et de la CEI du point de vue de la proportion de gens vivant en zones rurales et des niveaux relatifs de pauvreté entre les villes et les campagnes (Tableau 7). Les pays caractérisés par des niveaux élevés de pauvreté comptent généralement une plus forte proportion de leur population en zones rurales et les taux de pauvreté dans ces zones y sont plus élevés que dans les villes (comme l’atteste la différence entre les taux de pauvreté nationale et rurale). Autrement dit, plus le pays est pauvre, plus forte est la proportion de ruraux, et plus grande est la probabilité que la pauvreté rurale soit plus grave que la pauvreté urbaine.

Tableau 7. Comparaison de la concentration de la population en zones rurales et de la pauvreté nationale (par pays)

Pourcentage de ruraux
1992 2002

Pauvreté rurale (%)

Pauvreté nationale (%)

République kirghize

63

66

70

64

Arménie

33

16

45

54

Kazakhstan

43

44

39

35

Ouzbékistan

61

63

31

28

Albanie

63

56

30

25

Moldova

54

58

27

23

Roumanie

46

45

28

22

Bosnie-Herzégovine

60

56

20

20

Géorgie

44

42

10

11

Estonie

29

31

15

9

Notes – Les données se rapportent aux années de sondage les plus récentes

La proportion de ruraux en Géorgie provient de données de 1999

Source: Banque mondiale, Indicateurs du développement dans le monde, 2003 et Banque mondiale, Suivi de la pauvreté dans le monde, 2003

4. Pauvreté matérielle et pauvreté non matérielle

19. La discussion a jusqu’ici porté sur la pauvreté matérielle, à savoir la pauvreté liée aux revenus et/ou à la consommation. Pour avoir une vision complète de la pauvreté dans la région, il convient toutefois d’évaluer la pauvreté non matérielle. Ses composantes sont notamment la santé, l’éducation, l’alphabétisation, la participation sociale (exclusion/inclusion), l’insécurité, l’accès aux infrastructures sociales, la liberté et la voix politique, et le sens général d’un bien-être émotionnel. L’importance de ces aspects ressort clairement des objectifs du millénaire pour le développement qui vise à réduire la pauvreté matérielle et à améliorer l’éducation primaire, la santé maternelle et l’égalité des sexes.

20. Les pays moins affectés par la pauvreté matérielle que l’on a mentionnés plus haut sont aussi ceux où la pauvreté non matérielle est moins répandue (Tableau 8). Ainsi, les zones rurales de Bulgarie, de la République slovaque et de Slovénie disposent tous d’ouvrages d’assainissement améliorés et de systèmes d’approvisionnement en eau, tandis que la situation est nettement moins bonne dans les pays caractérisés par des taux importants de pauvreté matérielle (comme l’Azerbaïdjan, la Géorgie et le Tadjikistan). La Roumanie constitue une exception notable à cette généralisation. La pauvreté non matérielle y est comparativement bien plus importante que les indicateurs de pauvreté matérielle.

Tableau 8. Pauvreté non matérielle dans quelques pays de la CEE/CEI

Population vivant en deçà du seuil national de pauvreté (%)

Amélioration de l’assainissement rural (% de la population rurale concernée)

Amélioration de l’accès à l’eau en zones rurales (% de la population rurale concernée)

Population active avec niveau d’études secondaires
(% du total)

Proportion de sièges détenus par des femmes au parlement national (%)

Dernière année d’enquête

2000

2000

1999

2002

Azerbaïdjan

50

70

58

..

11

Bulgarie

13

100

100

..

26

Géorgie

11

99

61

7

7

Hongrie

17

98

98

65

8

Kazakhstan

35

98

82

..

10

République kirghize

64

100

66

..

10

Macédoine (Ex-Rép. yougoslave)

---

..

..

..

7

Moldova

23

98

88

..

13

Roumanie

22

10

16

52

11

Fédération de Russie

31

..

96

..

8

République slovaque

---

100

100

41

14

Slovénie

---

..

100

63

12

Tadjikistan

---

88

47

..

13

Ouzbékistan

28

85

79

..

7

Moyenne de tous les pays à revenu faible et intermédiaire

35

70

Source: Banque mondiale, Suivi de la pauvreté dans le monde, 2003; Banque mondiale Indicateurs du développement dans le monde, 2003

21. L’accès à des services essentiels tels que l’eau potable et les réseaux d’assainissement dans les pays de la CEE et de la CEI est souvent, mais pas systématiquement, meilleur que la moyenne des pays à revenu faible et intermédiaire. Cela tient en partie aux importants investissements d’État de l’ancien régime socialiste. L’alphabétisation est quasi-totale, mais de nombreux ouvrages d’adduction d’eau et d’assainissement, notamment en zones rurales, sont en train de se dégrader faute d’entretien. Le délabrement des infrastructures est un frein majeur au développement rural. Si on laisse les systèmes d’information, de transport, d’assainissement, de communication et d’irrigation se détériorer, les perspectives d’expansion de l’économie rurale non agricole se retrouvent gravement limitées. Le secteur public doit donc s’attacher à faire le nécessaire pour que ces systèmes soient correctement entretenus. Ils doivent également déterminer les dépenses publiques prioritaires et cibler en priorité les zones et les systèmes les plus en péril.

5. Classement des pays en groupes sous-régionaux en fonction de la pauvreté

22. En se fondant sur les observations qui précèdent, les pays peuvent être classés selon leur niveau de pauvreté, le PIB par habitant, la part de l’agriculture dans le PIB et la proportion de ruraux. Les cinq catégories ci-dessous permettent d’expliciter la diversité et la pauvreté rurale des pays de la région.

C. AIDER LES PAYS À REMÉDIER À LA PAUVRETÉ RURALE

23. L’agriculture demeure un secteur économique important dans la plupart des pays de la CEE/CEI (notamment les plus pauvres) et les efforts de lutte contre la pauvreté doivent être à la mesure du potentiel qu’offrent l’agriculture et les activités rurales non agricoles pour combattre la pauvreté, étant donné sa croissance et ses liens avec le marché. Bien que les flux d’aide à l’agriculture aient augmenté dans la seconde partie des années 90, ils restent inférieurs à 4 pour cent des flux d’ensemble. Cette situation est aberrante si l’on considère que l’agriculture contribue au PIB à hauteur de 10 pour cent et emploie plus de 20 pour cent de la population active (ces chiffres étant nettement plus élevés dans les pays pauvres).

Undisplayed Graphic
 

24. Les membres de la communauté internationale fondent désormais leur aide au développement sur les objectifs du millénaire pour le développement qui fixent pour les pays en développement des cibles précises, convenues au Sommet du millénaire tenu à New York, en 2000. La réalisation de ces objectifs, notamment la réduction de moitié du nombre de personnes victimes de la pauvreté et de la faim dépend très largement de la croissance du secteur agricole et des efforts spécifiquement engagés dans le but d’atténuer la pauvreté rurale.

25. Les documents stratégiques de lutte contre la pauvreté fournissent aujourd'hui le cadre des actions visant à combattre la pauvreté dans les pays pauvres de la CEE/CEI. Ils constituent la trame des politiques et des programmes menés par ces pays. Ils offrent en outre une base utile pour la coordination de l’aide au développement. Dans la mesure où ils sont élaborés par les pays eux-mêmes, reflétant ainsi la participation de très nombreux partenaires nationaux et internationaux, ces documents stratégiques traduisent les principes du développement en plans d’action concrets. La FAO s’est engagée à intervenir dans les pays à faible revenu de la région, au titre du programme stratégique de lutte contre la pauvreté, pour promouvoir le développement rural qui constitue un puissant moyen de lutte contre la pauvreté.

26. À cette fin, les efforts engagés par la FAO dans la région ont essentiellement pris la forme de mesures d’aide d’urgence suite aux conflits et aux catastrophes naturelles, d’actions de relèvement et d’aide au développement. Dans les pays des Balkans et du Caucase, elle a apporté une assistance à court terme aux personnes déplacées au sein des frontières nationales et aux réfugiés, en coopération avec la Banque mondiale et d’autres institutions spécialisées des Nations Unies. Ces projets visent généralement à apporter aux bénéficiaires la formation et les intrants agricoles nécessaires à la prochaine campagne. L’argument justifiant cette démarche est qu’il est préférable de fournir aux agriculteurs des intrants plutôt que de l’aide alimentaire. La FAO continue à travailler avec tous ces intervenants dans le cadre de projets destinés à restaurer les terres agricoles et assurent leur formation à la suite des conflits et des catastrophes naturelles. Dans certains pays, il a fallu réaliser des levés de terrain par télédétection, ailleurs il s’agissait de remettre en état les ouvrages d’irrigation et de constituer des groupements d’utilisateurs des ressources en eau. La FAO apporte également une assistance aux organisations autonomes d’agriculteurs, comme les coopératives de commercialisation, que l’on forme à la production de nouvelles cultures de rente et à la recherche de nouveaux débouchés. La FAO s’emploie aussi à renforcer les capacités des organismes publics pour leur permettre d’assurer le contrôle zoo et phytosanitaire aux frontières, de détecter et de combattre les maladies animales et végétales. Ces diverses interventions sont généralement considérées comme relevant de l’aide à l’agriculture, mais elles visent aussi simultanément à atténuer la pauvreté dans les zones rurales.

 

BIBLIOGRAPHIE

Chen, S., and M. Ravallion, (2001). “How Did the World’s Poorest Fare in the 1990s?” Review of Income and Wealth, Series 47, Number 3, September 2001.

FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). 2001. L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde, 2002. FAO, Rome.

OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). 2003. Base de données CRS sur l’aide internationale. http://www1.oecd.org/dac/htm/online.htm.

UNDP (United Nations Development Programme). 2002. The World Development Report; deepening democracy in a fragmented world. Oxford University Press, Oxford/New York.

Banque mondiale (2003). Site de la Banque mondiale sur le suivi de la pauvreté dans le monde: http://www.worldbank.org/research/povmonitor/ (Banque mondiale GPM, 2003).

Banque mondiale (2003). Indicateurs du développement dans le monde. Banque mondiale, Washington, D.C. (Banque mondiale WDI, 2003).

World Bank (2002). World Development Report 2002: Building Institutions for Markets. Oxford University Press, New York.

World Bank (2001). World Development Report 2000/2001: Attacking pauvreté. Oxford University Press, New York.

__________________________

1 Pour plus de simplicité, on utilise la classification de la Banque mondiale « Europe de l’Est et Asie centrale » pour représenter approximativement la région de la CEE/CEI. La principale différence entre les deux définitions touche à la Turquie – son inclusion ou son exclusion n’ayant probablement guère d’incidence si l’on considère que ce pays n’est pas très différent de la moyenne des pays de la CEE/CEI.

2 L’indice de Gini peut être utilisé pour mettre en évidence les situations d’inégalité – si tous les gens avaient des revenus égaux, l’indice serait de zéro et si une seule personne détenait l’ensemble des revenus, l’indice serait de 100.

3 La prudence est de mise lorsqu’on cherche à comparer l’étendue de la pauvreté rurale et celle de la pauvreté urbaine. Différents seuils de pauvreté sont parfois utilisés à cet effet pour tenir compte de nombreuses différences touchant par exemple au coût de la vie, aux économies d’échelle dans la consommation, aux perceptions du sens de la pauvreté, aux préférences et aux prix relatifs. Ainsi, dans une évaluation de la pauvreté réalisée en Roumanie en 1994, deux seuils différents de pauvreté ont été utilisés pour les zones rurales et urbaines en raison de la grande différence du niveau de dépenses des deux groupes; les seuils visaient à rendre compte des différences de coût d’un niveau de bien-être donné. Bien que le coût de la vie soit généralement plus élevé dans les zones urbaines que dans les campagnes (le seuil de pauvreté monétaire dans les villes étant lui aussi plus élevé que celui des zones rurales), il n’est pas toujours établi que la différence entre les deux seuils de pauvreté constatés dans la pratique reflète la différence du coût de la vie (pour de plus amples informations, voir la Banque mondiale, 2002).

4 Cette thèse est encore confirmée par le fait que les proportions de ruraux peuvent atteindre des niveaux très bas, tels que 10 et 22 pour cent respectivement au Royaume-Uni et aux États-Unis.