Fermière à Akkar, est montagneux du Liban
Georgette remonte de l’étable à l’habitation et nous dépose sur la table des fromages et des boissons fraiches provenant de sa ferme qui porte son nom. Au village de Halba une longue tradition paysanne leur a légué l’art de la fabrication de produits laitiers et dérivés pour apporter les protéines nécessaires à leur alimentation. Le Laben, le Labneh, le Halloum ou le Chenklish, sont aujourd’hui présents dans toute la région et dans les grandes villes comme Tripoli, Saida et Beyrouth.
Pascal, le mari et chef de la coopérative, Georges et Elyès, les enfants, nous invitent à déguster ces délices alors que dehors, la tempête Alexa s’apprête à sévir et il neige à gros flocons.
Oui, mais cette table n’a pas toujours été aussi bien garnie…
Après les destructions provoquées par la guerre, l’infrastructure agricole du Liban avait été mise à terre, l’appareil de production rendu inutilisable, les animaux morts ou dispersés et les terres dévastées.
Histoire d’une réussite
Tout a commencé avec l’évaluation effectuée en 2006, à la suite des destructions à grande échelle provoquées par la guerre de 2006, au Sud Liban. Des projets d’urgences ont alors été formulés et mis en œuvre dans des délais record. Et, suite à la Réunion de Stockholm, le Liban a reçu assistance financière pour la reconstruction. Entre 2007 et 2009, les projets d’horticulture et d’élevage, destinés au sud, ont fait l’objet d’une enquête qui a identifié d’autres besoins du secteur agricole.
Comme les projets précédents de réhabilitation du petit élevage n’avaient pas tenu leurs promesses et que les deux projets précités - d’élevage et d’horticulture - avaient connu une meilleure réussite, le Gouvernement libanais a sollicité la FAO pour la formulation d’une assistance qui vienne en aide au secteur laitier, primordial dans ce pays connu pour ses fromages et dérivés. C’est ainsi que, financé par la coopération italienne, le projet LRF–FAO Dairy Project Saved Assets and Sustained Livelihoods of Small holders in Lebanon a vu le jour.
Le projet est considéré comme une triomphe de l’approche participative où seules les solutions adaptées au contexte local ont primé. Le Ministère de l’agriculture y est aussi pour quelque chose pour s’être totalement engagé dès le début. Ce qui représente un bel exemple de collaboration efficiente entre l’autorité politique libanaise et la FAO.
Par ailleurs, les projets qui manquaient de financement étaient pris en charge par le Fonds libanais pour la reconstruction (LBF), mais il restait toutefois de nombreux problèmes de taille à résoudre dont celui de l’état des statistiques obsolètes, voire inexistantes. Pour y remédier, dans de courts délais, une enquête a été dépêchée dans toute la région. Elle durera plus de 6 mois et l’équipe finira, petit à petit, par gagner la confiance des paysans qu’ils ont appris à côtoyer pendant des jours et des nuits entières.
Enfin, cette étude a permis de circonscrire les vrais problèmes du secteur et d’identifier, par-là, les besoins réels des paysans depuis la Bekaa Ouest (à partir de Rashaya), jusqu’au Nord du Liban (Akkar), en passant par tous les villages de la Vallée de la Bekaa, aux alentours de la ville de Zahlé, la cité romaine de Baalbek et Hermel où coexistent toutes les confessions religieuses du Liban.
Un prix du lait qui pénalisait les éleveurs
L’enquête menée auprès de pas moins de 2 500 agriculteurs attestait que le prix du lait était trop bas et que les conditions d’hygiène mettaient en danger aussi bien ces petits producteurs que les consommateurs. Les analyses effectuées par le projet avant l’intervention relevaient que la contamination microbienne du lait avait atteint des niveaux inquiétants. Alors que les laitiers, les fermiers et les petits agriculteurs faisaient face à cette situation, “ les vitrines des boutiques chics de Beyrouth étalaient leur luxe avec une désinvolture sans pareil. ” déplore le Coordinateur du projet M. Kayouli.
La quasi-totalité des éleveurs transportait son lait dans des véhicules ou dans des camionnettes complètement inappropriées, à ciel ouvert et à température ambiante. Faute de pouvoir le conserver, ils étaient alors contraints de le brader à la moindre contestation de l’usine, sachant que le lait se détériore dans les 4 heures qui suivent la traite. De surcroît, ces petits éleveurs n’avaient pratiquement aucun pouvoir de négociation, car les trois quarts possédaient moins de 15 vaches dont les deux tiers d’entre de 1 à 6 vaches.
Devant cet état de fait, l’équipe du projet a constaté qu’il était urgent de regrouper les fermiers en coopératives, de manière à les doter d’une organisation pour réunir leurs efforts, réaliser des économies d’échelle et rapprocher leurs vues quant à la démarche commerciale à suivre. Les concepteurs ont même dicté les conditions d’adhésion, pour imposer que l’adhérent soit, avant tout, un habitant du village et un éleveur de vache local. Pour briser les monopoles et les influences diverses, la représentation était rendue égalitaire, c’est-à-dire, que chaque éleveur avait droit à la parole, indépendamment de l’importance de son troupeau.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’hygiène et la sécurité sanitaire, le projet a formé des éleveurs et fourni tous les équipements nécessaires. Il était dorénavant fait usage de récipients adéquats en inox, faciles à nettoyer et non plus en plastique. Le lait était maintenu à l’ombre et transporté le plus rapidement possible après la traite et les retards dans la collecte autant que possible réduits voire éliminés. Il faut noter que, fait singulier, les modalités de distribution des équipements étaient liées à un nombre minimum de présence aux séances de formation. Les paysans n’ayant pas été informés auparavant, seuls les plus intéressés sont parvenus à obtenir des équipements et du matériel pour avoir fait preuve d’assiduité et de réelle motivation.
Mais, malgré ce bon début - formation, équipement et responsabilisation des différents acteurs - les collecteurs continuaient à faire la loi. Ils imposaient le prix qu’ils désiraient, car ils détenaient encore le monopole. Donc, après l’amélioration des conditions de travail des éleveurs, il restait à (ré) organiser les activités liées à la collecte du lait.
À partir des échecs constatés et des leçons apprises, les autorités avaient fini par donner carte blanche à la FAO qui a alors formulé une proposition durable. Elle consistait à organiser les éleveurs en associations villageoises et en coopératives laitières, à leur remettre des équipements de manipulation, des moyens de transport et de conservation du lait pour une meilleure hygiène. L’équipe de terrain a également tissé un étroit réseau de centres de collectes, au niveau des agglomérations villageoises, supervisé par des coopératives laitières et sous la responsabilité directe du colporteur local.
Par ailleurs, afin de renforcer davantage le pouvoir de négociation (du prix du lait) des associations laitières, le projet a doté les centres de collectes de camions réfrigérés pour faciliter sa distribution. De leur côté, les femmes des petites laiteries artisanales ont été initiées à la fabrication et à la commercialisation des produits laitiers traditionnels, tout en respectant les normes et les consignes d’hygiène nouvellement acquises.
Cette expérience a bien entendu suscité des jalousies et fait l’objet de nombreuses tentatives de sabotage de la part des gros collecteurs locaux qui voyaient leurs privilèges basculer. Ils avaient tout à fait peur de se retrouver exclus du circuit de distribution. Le Coordinateur, qui a fait de la démarche de proximité le fondement de cette réussite, a décrit, en trois actes, le système qui porte son nom : contacter tous les collecteurs de lait, leur établir un contrat et interdire le transport de lait cru.
Ainsi, à l’instar de Georgette, plus de 80% des collecteurs et colporteurs de lait, y compris les leaders, ont finalement été autorisés à être équipés par les coopératives et font désormais partie du projet.
Avant d’arriver à l’usine, le lait est d’abord analysé en laboratoire, une opération que tout éleveur formé met à peine quelques minutes à effectuer. Puis, il est non plus transporté dans des fûts, mais dans des camions réfrigérés. De cette manière, les usines ne peuvent plus se permettre de dicter leurs prix, car ils savent pertinemment que les collecteurs, dotés désormais de moyens de transports adéquats, peuvent s’adresser librement à d’autres. Il est réjouissant de constater que tous les agriculteurs, éleveurs et paysans de la région, bénéficiaires directs ou indirects de ce projet de la FAO, financé par la coopération italienne, sont en mesure de satisfaire leurs besoins.
Aujourd’hui, les paysans libanais pauvres de la région sont dotés de citernes de lait, de bidons en inox, de machines à traire et de matériel d’analyse de lait. Le lait qui arrive est aussitôt analysé en laboratoire, en fait dans une arrière chambre où sont entreposés les instruments et les produits chimiques pour contrôler l’acidité, la teneur en eau, en matières grasses et la qualité. Une fois ce contrôle effectué, le lait est versé des bidons dans les citernes où il est conservé. Puis, il est pompé dans des camions citernes réfrigérés qui prennent la direction des usines où il sera transformé en produits laitiers.
Grâce aux innovations introduites par le projet, aux niveaux de la collecte, de la conservation et de la transformation, en concertation avec les usines, et sous la surveillance du Ministère de l’agriculture, le prix du lait fixé par les coopératives est rendu aujourd’hui plus juste. Les familles d’éleveurs sont soulagées de pouvoir traire leurs vaches avec des machines à traire, de recueillir un lait sain et de qualité supérieure, dans des récipients sécurisés qu’ils peuvent transporter en toute tranquillité aux usines de transformation et pouvoir négocier dorénavant un meilleur prix.
Alors que la FAO consacre l’année 2014 à l’agriculture familiale, quel meilleur exemple que celui de cette famille de Baynou, située entre les montagnes de Akkar au Nord Liban, et formée de Georgette, fermière, de son mari Pascal, chef de la coopérative, et ses deux enfants Georges et Elyès qui vivent des produits de leur ferme, dans leur propre pays, sans devoir se transférer dans la banlieue quelconque de grande ville ou alors émigrer .
“Avant, on travaillait jusqu’à 20 heures par jour, juste pour gagner de quoi pouvoir se lever le lendemain et recommencer. On bradait notre lait cru aux usines qui fixaient le prix qui leur convenait. Toujours très bas. Il nous est arrivé, les larmes aux yeux, de le verser. Aujourd’hui, Hamdoulilah, grâce au projet de la FAO, tout a changé. Nous pouvons voir nos pousser nos enfants et aller à l’école tout près. On ne sait plus comment répondre aux demandes qui nous arrivent des villes alentours et de la capitale. Avec le seul de bouche à oreille, les gens viennent de partout pour nos fromages. ” précise Georgette.
“Pascal est pressé de se débarrasser de la petite camionnette qui ne résiste plus comme avant aux routes étroites et enneigées qui traversent les montagnes. Quand il n’est pas rentré à la tombée de la nuit, je commence à prier. On voudrait bien pouvoir acheter un camion réfrigéré pour la distribution. Comme ça, il pourra sillonner la région en toute sécurité et aller jusqu’à Beyrouth.”