Conférence d’hiver 2021 du Forum éco-social Séance de questions-réponses Bâtir une société évoluée en misant sur un développement respectueux de l’environnement, novateur, compétitif et durable
de M. Qu Dongyu, Directeur général de la FAO
21/01/2021
Conférence d’hiver 2021 du Forum éco-social
Séance de questions-réponses
Bâtir une société évoluée en misant sur un développement respectueux de l’environnement, novateur, compétitif et durable
M. Qu Dongyu, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
21 janvier 2021
Transcription
Première question: Qui sont les gagnants et qui sont les perdants du passage au numérique de l’agriculture? Et quelle est votre vision générale sur cette question?
Je vous remercie pour votre question. Tout d’abord, je pense qu’on ne peut pas simplement parler de perdant ou de gagnant, tout n’est pas noir ou blanc. Nous sommes confrontés à un monde de plus en plus complexe. C’est dans cette perspective que je souhaiterais aborder votre question.
Ensuite, je pense que dans le cas de la FAO ou de toute organisation internationale ou multilatérale, on se doit d’être conscient qu’il existe différentes solutions selon les pays et même selon les régions. Vous savez, l’agriculture n’est pas uniquement un processus économique, c’est aussi un processus biologique. Elle est étroitement liée à l’environnement, aux conditions de vie, à la nutrition et à de nombreux autres facteurs. Nous sommes des êtres humains, un simple mammifère parmi tant d’autres vivant sur cette planète. Nous devons donc mettre en place une action globale, cohérente et collective, mais aussi respecter la diversité des expériences et des valeurs.
J’en viens donc à la vision stratégique que je prône, celle des quatre améliorations. Améliorer la production permet de fournir une base solide. Il faut produire davantage et mieux: produire en plus grande quantité et diversifier la production. L’Autriche n’a pas de problème pour ce qui est de la quantité, mais votre pays est tributaire des importations pour de nombreux produits. Vous devez donc progresser en ce qui concerne certains produits: il s’agit de produire davantage tout en utilisant moins d’intrants et en limitant les effets néfastes sur l’environnement.
En parallèle, il vous faut accroître votre productivité en passant par l’innovation, car elle permet de produire mieux et plus efficacement. Ensuite, vous devez préserver votre environnement. Il ne s’agit pas seulement de l’environnement au sens large, ou ce qu’on appelle le «macro-environnement» – en rapport avec le changement climatique et d’autres phénomènes –, mais aussi de l’environnement local, celui du terrain, le «micro‑environnement», à savoir les sols, l’eau, les ruisseaux, etc. Voilà ce que j’entends par «micro‑environnement». On peut alors remettre en état des écosystèmes en assurant leur durabilité autant que possible.
Par la suite, comme je l’ai évoqué, il faut améliorer les conditions de vie et renforcer les moyens d’existence des agriculteurs. Étant le fils d’un agriculteur chinois, je sais que nous devons, en premier lieu, améliorer les moyens d’existence des exploitants. Puis, il nous faudra encourager une production respectueuse de l’environnement et mettre en place les infrastructures – Internet haut débit, routes et autres moyens de transport, services technologiques, moyens de commercialisation et services financiers – dont les producteurs ont besoin pour bâtir leur propre vie. S’ils vivent mieux, de plus en plus de citoyens resteront en ville, pourront bénéficier d’une alimentation durable et respectueuse de l’environnement et profiteront d’une production écologique.
Par ailleurs, nous pouvons contribuer à prévenir les zoonoses. Si nous ne nous intéressons pas à la situation sur le terrain, dans les champs, les villages, les montagnes et les rivières, alors comment pourrons-nous mener à bien l’approche «Un monde, une santé» et prévenir l’apparition de zoonoses plus destructrices pour l’environnement, les êtres humains et la vie en général?
Aussi devons-nous nous attaquer au gaspillage alimentaire en Europe et dans les villes. Le gaspillage alimentaire ne se résume pas à la nourriture. Il concerne l’environnement, les conditions d’existence, mais aussi la pérennité de la planète, au-delà des individus.
Hier, je me suis entretenu avec le Président du Parlement européen. Nous souhaitions nous pencher davantage sur le problème du gaspillage alimentaire, car beaucoup de hauts responsables s’y intéressent. En effet, si nous parvenons à économiser les denrées alimentaires, nous serons en mesure de sauver l’environnement. Je compte sur l’Autriche et toute l’Europe pour œuvrer davantage dans ce sens.
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Deuxième question: Considérez-vous la politique agricole commune européenne comme une solution possible pour remédier aux problèmes environnementaux et climatiques et pensez‑vous qu’elle pourrait servir de modèle au reste du monde? Selon vous, les mesures mises en place dans le cadre du Pacte vert, notamment la stratégie «De la ferme à la table» et la stratégie relative à la biodiversité de l’Union européenne, sont-elles un élément de la politique européenne susceptible de contribuer à améliorer les systèmes alimentaires mondiaux ou à les limiter?
Je ne suis pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question ou pour s’exprimer publiquement à ce sujet. Mais vous pouvez poser la question à mon homologue en charge de l’agriculture au sein de la Commission européenne, à la présidence de l’Union européenne ou aux ministres de l’agriculture et de l’environnement des pays de l’UE.
Néanmoins, en tant que Directeur général de la FAO, j’aimerais vous faire part de ce que j’attends de l’Europe.
Ces 30 dernières années, j’ai pu observer l’évolution de la situation en Europe dans les domaines de l’agriculture et du développement rural. J’en suis arrivé à la conclusion que pour assurer la durabilité du développement agricole et rural aux niveaux national et régional, il faut agir sur quatre fronts.
Premièrement, il faut des politiques adéquates qui ne soient pas circonscrites à l’environnement, car l’agriculture a pour principale fonction de produire davantage d’aliments et de rendre la production plus diversifiée. En effet, si nous observons d’autres systèmes alimentaires en Asie, il existe de nombreuses variétés d’aliments. Comme je l’ai dit à maintes reprises: nous devons convertir la diversité biologique en diversité de l’alimentation. À ce titre, l’Europe possède un fort potentiel d’innovation.
Les politiques concernent donc la production, le commerce et l’investissement. De telles mesures visant à créer un environnement favorable revêtent une grande importance.
Deuxièmement, il faut investir davantage dans les zones rurales. De nombreuses personnes visitent votre pays et d’autres pays développés d’Europe. Si elles ne viennent qu’une seule fois, elles ne verront sans doute pas de différence flagrante entre les villes et les villages. Étant donné que je viens souvent en Europe et que j’y reste pendant de longues périodes, je me rends compte qu’il existe des disparités importantes entre villes et villages. Il est nécessaire d’améliorer l’infrastructure Internet haut débit, l’accessibilité des routes et les systèmes de chaîne du froid, même dans les villages. Il faut bien plus investir pour les zones rurales, pour les agriculteurs. Il ne s’agit pas uniquement d’octroyer des subventions. L’investissement est donc la deuxième priorité.
Par ailleurs, il est nécessaire d’élaborer une stratégie qui stimule l’innovation et la technologie à long, à moyen et à court terme. De nouvelles variétés sont nécessaires, qu’elles soient issues des biotechnologies ou des méthodes de sélection traditionnelles, tout comme il est primordial de recourir à d’autres produits innovants, à des bioproduits tels que les engrais biologiques ou les produits chimiques non polluants, ou encore aux vaccins biologiques, non seulement pour les êtres humains, mais aussi pour les animaux. Innover dans les technologies est essentiel. Il s’agit du troisième domaine d’action.
Enfin, j’en viens au quatrième axe d’intervention, qui consiste à mettre en place un nouveau modèle commercial. Vous devez ouvrir le marché, maintenir le libre-échange, assurer l’approvisionnement durable en denrées alimentaires provenant des autres régions et développer votre propre production, axée sur un ou deux produits qui seront compétitifs et que vous pourrez aussi exporter vers d’autres pays: d’autres pays d’Europe, des pays d’Asie ou du continent américain ou encore des pays du Moyen-Orient.
Voilà les quatre domaines sur lesquels il faut agir. Ils peuvent servir d’indicateurs pour répondre à la question que vous m’avez posée aux niveaux national et régional ou même au niveau des communautés locales. Car ici aussi, certains pays prennent une place importante. En Autriche, vous pouvez disposer de votre propre norme; vos points forts en termes de compétitivité tout comme vos points faibles doivent être complémentaires à ceux des autres. C’est pourquoi je pense qu’il faut maintenir des échanges internationaux libres et fonctionnels, pour, à l’avenir, permettre à chaque pays et à chaque région d’être compétitif à sa manière. Voilà le fond de ma pensée. Je vous remercie.
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Conclusion
Je vous remercie et espère, un jour, pouvoir personnellement m’entretenir avec les principaux acteurs d’ici, allant des ministres et des responsables aux représentants des organisations d’agriculteurs, en passant par les acteurs du commerce, de la recherche et de la société civile. Nous pourrons alors vous épauler, œuvrer à vos côtés pour bâtir un nouveau modèle que d’autres pays de la planète pourront adopter.
Merci de votre attention.