Table ronde organisée dans le cadre de la RENCONTRE MONDIALE SUR LA FRATERNITÉ HUMAINE sur le thème «Alliance d’intelligences: la fraternité, l’alimentation, la technologie et la régénération au service d’un nouveau pacte social»
de M. Qu Dongyu, Directeur général de la FAO
12/09/2025
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Chères et chers collègues,
Je suis très heureux de vous accueillir à cette table ronde organisée dans le cadre de la Rencontre mondiale sur la fraternité humaine, sur le thème «Alliance d’intelligences: la fraternité, l’alimentation, la technologie et la régénération au service d’un nouveau pacte social».
Nous nous trouvons à un point de convergence de différentes crises: effondrement écologique, fragmentation sociale, inégalités économiques et fossé technologique.
Nous sommes amenés à faire un bond en avant vers un avenir que nous devons concevoir délibérément. Nous sommes des êtres humains et nous devrions nous aimer les uns les autres, quelles que soient nos opinions politiques. Le cadre de ce bond en avant est le principe de l’alliance des intelligences.
Je me souviens que le défunt pape François nous a invités, nous et d’autres partenaires, à nous joindre en 2020 à l’Appel de Rome pour une éthique de l’IA, afin de soutenir le Saint‑Siège dans ses efforts pour promouvoir une IA responsable au niveau mondial. Je suis fier que la FAO ait été l’un des premiers signataires de cet appel, et notre engagement reste entier.
L’alliance des intelligences n’est pas qu’un partenariat entre les êtres humains et l’intelligence artificielle: c’est un alignement conscient et éthique de toutes les formes d’intelligence de la planète. L’intelligence est parfois bénéfique à l’évolution, mais elle peut aussi être source de désordre. Nous devons la gérer de manière à en retirer plus d’avantages que d’inconvénients.
L’intelligence humaine, c’est notre créativité, notre empathie, notre sagesse culturelle et notre pensée éthique.
L’intelligence artificielle, c’est l’outil qui nous permet de modéliser la complexité et d’optimiser les systèmes; en particulier dans les contextes de données récurrentes ou de tâches pénibles, cette IA nous les rend plus simples. L’intégration des technologies de l’information et de la communication et de la technologie des chaînes de blocs sera effective d’ici le milieu du siècle, et nous devons nous y préparer.
L’intelligence écologique, c’est la sagesse innée de tous les systèmes vivants – forêts, champignons, océans, sols –, affûtée par des milliards d’années d’évolution.
Et l’intelligence sociale, c’est la capacité collective des communautés à collaborer, à prendre soin de leurs membres et à s’auto-organiser ou à s’autodisséminer en tant que génotypes uniques. C’est pourquoi nous devons respecter la diversité.
Le nouveau pacte social est la promesse que nous nous faisons mutuellement et que nous faisons à la planète d’aligner ces intelligences autour de quatre piliers principaux: la fraternité, l’alimentation, la technologie et la régénération.
La fraternité s’étend au-delà de l’humanité pour englober les animaux, les plantes et les écosystèmes – c’est la reconnaissance de nos liens d’interdépendance avec toutes les formes de vie sur Terre.
L’alimentation est un besoin élémentaire pour les animaux et les êtres humains. La nourriture n’est pas simplement une marchandise, mais un symbole d’attention aux autres, de dignité et de justice. Elle est notre lien le plus intime avec le monde vivant. C’est un pacte sacré, une manifestation quotidienne de participation aux cycles de la nature. Elle fait partie du recyclage de la vie humaine.
La technologie nous aide à aller de l’avant; c’est l’outil dont nous disposons pour bâtir un avenir où nous ne serons pas remplacés par la technologie, mais rendus plus efficaces grâce à elle dans notre rôle de gardiens compatissants et compétents d’un monde prospère. Nous ne devons pas nous laisser dominer par la technologie, mais l’utiliser comme un outil de développement social. Ne nous laissons pas impressionner par l’IA, qui n’est ni plus, ni moins qu’un outil à notre service. La nourriture est ce dont nous avons besoin pour vivre, et l’IA ne se mange pas.
La régénération est un renouvellement constant, qui affirme que notre santé est indissociable de celle du sol, de la terre, de l’air et de l’eau. Il s’agit d’un processus d’harmonisation de la nature.
Elle est porteuse d’un avenir où le fait de rompre le pain ensemble – en partageant des aliments issus de sols régénérés – devient l’expression ultime d’un pacte renouvelé avec la vie elle-même.
Mesdames, Messieurs,
Il y a quelques semaines, lors du Bilan 4 ans après le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires, les pays ont réaffirmé leur volonté de transformer les systèmes agroalimentaires mondiaux. Cette manifestation a été activement soutenue par notre pays d’accueil, l’Italie, depuis les prémices du Sommet en 2021. Le fait d’être réunis tous ici aujourd’hui fait partie de notre aventure commune.
Néanmoins, ces engagements sont éclipsés par les données alarmantes du rapport L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2025: en 2024, la faim a touché 673 millions de personnes – c’est 90 millions de plus qu’en 2020 et 100 millions de plus qu’en 2015. Si le nombre absolu de personnes souffrant de la faim a augmenté, leur part en pourcentage a diminué, passant de 11 à 8,3 pour cent. En outre, 512 millions de personnes devraient encore se trouver en situation de faim chronique à l’horizon 2030, à moins que nous n’agissions avec détermination. Nous devons considérer la sécurité alimentaire du point de vue des quatre niveaux d’aliments: les aliments de base, les aliments nutritifs, les aliments sains et les aliments fonctionnels – autrement dit, pour améliorer la sécurité alimentaire, nous devons adopter une approche globale.
Comme l’a rappelé le pape Léon XIV dans le message qu’il a adressé à la 44e session de la Conférence de la FAO, en juin, «bien que la Terre soit capable de produire assez de nourriture pour tous les êtres humains [...] tant de pauvres dans le monde continuent à manquer de leur pain quotidien».
Cet événement qui nous rassemble aujourd’hui nous rappelle qu’il est urgent de transformer nos systèmes agroalimentaires pour les rendre plus efficaces, plus inclusifs, plus résilients et plus durables.
Les chiffres que j’ai mentionnés ne sont pas de simples statistiques, aussi nous appellent‑ils à agir de toute urgence.
Le droit à l’alimentation est un droit humain fondamental.
Il comprend le droit à produire des aliments, à accéder à la terre et aux ressources productives et à participer véritablement aux décisions qui façonnent les systèmes agroalimentaires.
L’accès à une alimentation saine et appropriée d’un point de vue culturel est un droit fondamental.
À la FAO, la transformation des systèmes agroalimentaires est au cœur même de notre mandat et de notre Cadre stratégique et correspond à notre ambition de réaliser les quatre améliorations, à savoir améliorer la production, la nutrition, l’environnement et les conditions de vie, en ne laissant personne de côté.
À la FAO, nous considérons que cette transformation repose sur quatre piliers:
Premièrement, produire plus avec moins, en garantissant l’accès de tous à des aliments sains et nutritifs.
Deuxièmement, valoriser les savoirs locaux, les cultures alimentaires et les pratiques communautaires en tant que sources de résilience et d’innovation.
Troisièmement, exploiter les technologies, y compris l’intelligence artificielle, de manière responsable, pour les mettre au service des citoyens et de la planète et non pour creuser les inégalités.
Et quatrièmement, favoriser l’autonomisation des petits exploitants agricoles, en particulier les femmes et les jeunes, et veiller à ce que les financements parviennent à ceux qui en ont le plus besoin.
Chers amis,
Nous pouvons dire que l’alliance des intelligences est en marche quand:
l’éthique humaine définit l’objectif de régénération;
l’intelligence artificielle modélise les effets complexes et systémiques de nos politiques;
l’intelligence écologique fixe les grandes lignes; et
l’intelligence sociale orchestre l’action collective qui permet de les mettre en œuvre.
L’influence de l’alliance des intelligences sur nos systèmes agroalimentaires se fait d’ores et déjà sentir. Cependant, cette transformation nécessite un changement plus profond.
Comme nous l’a rappelé le Saint-Père, sans paix ni stabilité, l’avènement de systèmes agroalimentaires résilients et l’accès équitable à une alimentation saine ne pourront pas être garantis.
La paix constitue une condition indispensable de la sécurité alimentaire.
L’alimentation doit devenir un vecteur de liens et de coexistence.
La table ronde d’aujourd’hui nous invite à nous demander comment faire converger ces intelligences multiples – naturelle, artificielle, spirituelle et collective – afin d’édifier des systèmes agroalimentaires qui soient non seulement efficaces et durables, mais aussi inclusifs et justes.
Saisissons cette occasion pour écouter, apprendre et créer ensemble un nouveau pacte social qui ne laisse personne de côté.
La FAO a la ferme volonté de faire de cette vision une réalité aux côtés de tous les partenaires, et avec tous les moyens et tous les outils dont elle dispose.
Et maintenant, trêve de discussion, passons des paroles aux actes!
Je vous remercie.