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6. MESURES D'AMENAGEMENT

En règle générale, les pêcheries non contrôlées passent par des phases successives d'expansion, de surexploitation et de déclin entrainant un grand gaspillage économique et biologique.

Dans le cas d'espèces naturellement instables comme la sardine, l'exploitation par l'homme vient renforcer cette instabilité, et peut provoquer un effondrement total de la ressource : ceci a été le cas de toutes les principales pêcheries de sardine dans le monde, en Californie, au Japon, en Namibie et en Afrique du Sud. A intervalle de temps irrégulier et de façon imprévisible, ces stocks voient leur biomasse augmenter considérablement à la suite de recrutements exceptionnels. L'analyse des circonstances ayant permis l'effondrement total de la ressource permet de dégager une certaine constante de comportement : le passage du pic de production, par les hauts rendements qu'il procure, attire non seulement le réinvestissement des bénéfices réalisés mais également l'apport de capitaux en provenance d'autres pêcheries ou même étrangers à la pêche. Les investissements suivent une courbe exponentielle parallèle à l'augmentation de la biomasse. Lorsque le pic de production est passé, la biomasse commence à décliner sans qu'on soit en mesure de réduire ou diversifier les investissements réalisés pour exploiter la ressource à son niveau maximum.

Le maintien de l'effort de pêche à un niveau élevé et l'affaiblissement naturel de la biomasse entraine une croissance du taux d'exploitation qui aboutit très rapidement à l'effondrement total de la population.

Pourquoi cette évolution désastreuse a-t-elle jusqu'à maintenant épargné la pêcherie de sardine marocaine, et quelles sont les mesures à prendre pour l'éviter ?

La division des ressources en deux principaux stocks dont les variations ne sont pas synchrones a contribué à préserver les ressources, mais c'est essentiellement une limitation du taux d'exploitation qui a évité un effondrement. Depuis 1976, le taux d'exploitation F/Z se situe aux environs 0,3 aussi bien dans le stock A + B que dans le stock C, ce qui est le taux recommandé pour ce type de ressource, pour se garantir des risques d'effondrement.

Dans la zone A, un consensus entre l'administration et les professionnels a limité le nombre de sardiniers en activité, et même si leur taille moyenne a augmenté, la faible disponibilité de la ressource dans cette zone a empêché les taux de mortalité par pêche de s'accroitre.

Dans la zone B, les accords de pêche maroco-espagnols ont également limité en grande partie la croissance de l'effort de pêche, et tendent même à le réduire.

Dans la zone C, le passage d'un important pic de production a entrainé une croissance importante des captures par une flotte qui préexistait mais exploitait d'autres espèces pélagiques (maquereaux, chinchards, sardinelles). Après le passage du pic, le déclin rapide de la biomasse entraine une chute des captures et des bateaux ont de nouveau diversifié leurs sources d'approvisionnement. Par ailleurs, à partir de 1978, leur accessibilité à la ressource a été réduite et ne couvre, d'après Barkova et Domanevsky (Annexe 3) qu'environ 30% de l'aire géographique occupée par le stock. Le taux d'exploitation ne s'est donc pas accru et la biomasse est stabilisée à son niveau bas depuis 1978.

L'analyse des measures d'aménagement prises dans les autres pêcheries pélagiques et des résultats obtenus permet de tirer des leçons applicables aux stocks de sardine de la côte Nord-Ouest africaines. Dans la plupart des cas les mesures prises ont été insuffisantes ou inadéquates pour enrayer un effondrement de la population. Le moteur des pulsations d'abondance reste la variabilité du recrutement, liée aux conditions du milieu.

Les tentatives de protection du recrutement par fermeture de la pêche au moment de la reproduction, ou au moment où les recrues apparaissent abondamment dans les captures n'ont apporté aucun résultat appréciable.

La fermeture totale de la pêche aprè l' effondrement n'a pas permis au stock de sardine de Californie de se reconstituer depuis 1966, et le maintein de la pêche à de très faibles niveaux de stock (en by-catch d'autres espèces) n'a pas empêché une soudaine explosion démographique de la population de sardine du Japon.

La régulation des pêcheries par un contingentement des captures ou la limitation de la saison de pêche, sans contrôle étroit de la flotte, a entrainé une course au quota et un sur-investissement important au niveau des moyens de production au Pérou.

L' imposition de quotas par espèce, fractionnés dans le temps et dans l'espace, attribués soit aux usines, soit aux bateaux individuellement pour empêcher ce sur-investissement a abouti à des fraudes (sous-déclarations, confusions volontaires d'espèces) et au rejet en mer lorsque le quota était atteint (cas de l'Afrique du Sud et de la Namibie).

Le recul de l'âge de première capture n'a pas pu être employé en raison du taux élevé de mortaliténaturelle de ces espèces, aucun bénéfice de production n'étant obtenu par ce biais.

Les méthode de cantonnement sont inapplicables en raison du caractère éminemment mobile et migratoire de ces poissons.

En conclusion, et d'une façon générale, la stratégie que l'homme peut adopter pour la gestion de ces ressources fluctuantes, en fonction des priorités données a) àla préservation de la ressource, b) àla rentabilitééconomique maximum, c) au maintien stable de l'emploi, consiste àplafonner l'exploitation àun niveau correspondant aux périodes de biomasse minimale en contrôlant la taille, le nombre et la répartition des bateaux, en admettant que de toute façon les rendements seront d'autant plus variables dans le temps que le nombre d'espèces exploitées par la pêcherie est faible. Cette attitude entraine une sous-utilisation de la ressource lorsqu'elle atteint un niveau très élevé, et le manque àgagner temporaire lors du passage d'un pic de production est donc le prix à payer pour la sécurité des investissements et des emplois. Cette sousutilisation peut être limitée par le développement d'une “pêcherie opportuniste” : en faisant appel à une flotte non permanente pendant un temps limité pour récolter l'excédent de productivité naturelle lors du passage d'un pic de production. Ce type de pêcherie complémentaire et temporaire peut se concevoir par transfert de bateaux d'un stock à l'autre comme au Japon ou joint-venture, affrêtement, location de bateaux étrangers.

Cas des stocks sardiniers marocains

Les problèmes qui se posent à la pêcherie traditionnelle marocaine sont multiples:

  1. Après les bons recrutements du début des années 70, les mauvais recrutements observés jusqu'en 1977 ont fait décliner la biomasse. A partir de 1978, alternent de bons et mauvais recrutements et la biomasse a commencéà augmenter en 1979, cependant un nouveau déclin s'amorce en 1982.

  2. La disponibilité en sardine dans la zone A est soumise, non seulement à la biomasse réelle du stock, mais également au développement de l'upwelling estival qui se manifeste entre Safi et le Cap Ghir, et qui induit le déplacement des sardines de la zone B vers la zone A. Depuis le début des années 60 un déclin des vents alizés qui provoquent cet upwelling se manifeste, et plus particulièrement depuis 1975 où leur vitesse moyenne a atteint les niveaux les plus bas jamais enregistrés.

  3. La rentabilité des sardiniers traditionnels est affectée par la diminution des captures liée aux deux points précédents mais également par des facteurs économiques:

La survie économique de la pêche traditionnelle exige :

  1. une augmentation des rendements individuel des bateaux ;

  2. une valorisation du prix du poisson par une amélioration de sa qualité ;

  3. une stabilisation relative des captures journalières.

Ces objectifs peuvent être attient en :

  1. diminuant d'un tiers la capacité de la flotte exploitant la zone A (environ 150 unités réparties dans les trois ports) ;

  2. plaçant le poisson en caisses à bord au lieu de mettre en vrac ;

  3. réservant le produit de la pêche à la conserve, congélation et vente en frais ;

  4. développant le marché intérieur pour les trois espèces de petits pélagiques (maquereau, chinchard et anchois).

Les bateaux en surnombre (environ 80 unités) et les usines de farine de poisson pourront être rentabilisés par un transfert dans la zone B.

Contrairement à la zone A, la disponibilité est en augmentation dans la zone B depuis 1970 pour des raisons hydroclimatiques (affaiblissement de l'upwelling au Nord et renforcement au Sud) comme le montre l'évolution des CPUE espagnoles (Figure 3). Les rendements moyens des sardiniers dans la zone B sont trois fois plus élevés que ceux obtenus dans la zone A. Dans ce contexte, un transfert d'une tiers de la flotte traditionnelle (au minimum 3 500 tonneaux de TJB) s'accompagnera d'une augmentation importante de la mortalité par pêche. Le taux d'exploitation de la ressource s'élèvera à un moment où la biomasse marque une tendance à décliner, ce qui, au vu des expériences vécues par les autres pêcheries de petits pélagiques, augmente considérablement les risques d'effondrement.

Pour conserver impérativement le taux d'exploitation optimum de E = 0,3 recommandé précédemment, il est nécessaire que l'augmentation ne s'ajoute pas aux efforts pré-existants mais les remplace. Les indices de l'occurence de nouveaux forts recrutements dans la zone C détectés par Barkova et Domanevsky (Annexe 3) et confirmés par les campagnes acoustiques (Lamboeuf et al., 1984) permettent d'envisager un transfert au Sud du Cap Bojador de l'effort existant actuellement dans la zone B. Le transfert est techniquement possible puisque les bateaux espagnols et les associations entre les bateaux congélateurs et les senneurs ont une autonomie suffisante. La grande mobilité de ces flottes est un atout essentiel pour envisager leurs déplacements d'une zone à l'autre en fonction de l'occurence de pics de production.


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