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I. Aperçu général 

Les ravageurs et les maladies ont menacé l'agriculteur depuis que l'homme a commencé à cultiver la terre. Les dommages qu'ils causent peuvent être économiques (perte de production, de revenus et d'investissement) aussi bien que psychologiques (manifestation de chocs et de panique). La lutte contre les ravageurs et les maladies est pour les agriculteurs une nécessité. En principe, l'agriculteur décide de luimême s'il y a lieu de les combattre; toutefois, la présence d'un ravageur ou d'une maladie dans une exploitation menace les exploitations voisines et parfois même celles qui se trouvent dans des localités très distantes. Aussi les ravageurs et maladies peuvent-ils affecter des tiers et, de ce fait, appeler une intervention de la part de ces derniers ou des pouvoirs publics.

L'infrastructure et les services mis en place pour prévenir et combattre les ravageurs et les maladies constituent un bien public que l'État est mieux à même de fournir que les exploitants agissant individuellement. Toutefois, l'efficacité de l'intervention des pouvoirs publics dépend du ravageur ou de la maladie en question. L'expérience a montré fréquemment qu'en fournissant des services de protection contre les ravageurs et les maladies, l'État peut susciter parmi les agriculteurs un sentiment de dépendance et les décourager d'adopter des méthodes de protection intégrée des ravageurs qui leur permettent de s'attaquer eux-mêmes aux problèmes. Dans de telles circonstances, c'est parfois en diffusant des connaissances, des données scientifiques et des informations que l'État peut le mieux, et le plus durablement, répondre aux besoins des milieux agricoles dans le long terme.

En tout état de cause, un certain degré d'intervention de la part des pouvoirs publics est plus justifié lorsqu'il s'agit de ravageurs et de maladies transfrontières que lorsque ceux-ci ne sévissent que localement. En outre, dans certains pays, les pertes causées par les ravageurs et les maladies peuvent apparaître comme une telle menace à la sécurité alimentaire ou aux moyens de subsistance ruraux qu'une intervention est politiquement inévitable.

Les ravageurs des végétaux et les maladies animales constituent la menace immédiate la plus grave lorsqu'ils deviennent un fléau ou lorsqu'ils sont introduits pour la première fois dans un milieu écologiquement favorable où il n'y a guère d'éléments naturels pouvant les contenir et où les gens ne savent pas comment s'y attaquer. Ces ravageurs et maladies sont souvent ceux qui ont l'impact économique le plus visible et qui, fréquemment, affectent le plus les populations marginalisées. Ces dernières années, les maladies émergentes et les espèces envahissantes se sont propagées de façon spectaculaire. Dans le même temps, l'accélération des mouvements transfrontières de personnes et de marchandises, la libéralisation des échanges et les préoccupations croissantes concernant la salubrité des aliments et la protection de l'environnement ont rehaussé la nécessité pour la communauté internationale de coopérer afin de combattre et de gérer les ravageurs et maladies transfrontières.

Les ravageurs des végétaux et maladies animales transfrontières examinés ici sont notamment:

«Ceux qui revêtent une importance significative pour l'économie, le commerce et/ou la sécurité alimentaire d'un nombre considérable de pays; qui peuvent aisément se propager dans d'autres pays et prendre des proportions d'épidémies; et dont la gestion, y compris l'exclusion, exige une coopération entre plusieurs pays.»

(Tiré de la définition de la FAO
Consultation des experts de l'EMPRES, 24-26 juillet 1996
(www.fao.org/WAICENT/FAOINFO/AGRICULT/AGA/AGAH/EMPRES)

Cette définition1 couvre d'innombrables ravageurs et maladies qui peuvent endommager ou réduire les récoltes, menacer la sécurité alimentaire, bouleverser l'économie rurale et perturber les relations commerciales. On trouvera dans l'encadré 5 une liste de certains des principaux ravageurs et maladies transfrontières2.

Le présent chapitre décrit l'impact économique des dommages causés par les ravageurs et maladies transfrontières et analyse le coût des mesures à prendre pour les combattre. Il explique pourquoi il est justifié d'adopter des mesures de réglementation pour contenir les mouvements transfrontières de ravageurs des plantes et de maladies animales, et pourquoi ce problème suscite de plus en plus d'inquiétude et quelles sont les principales mesures utilisées pour empêcher l'arrivée d'organismes nuisibles et maladies non désirés et ayant un impact économique important.

Le chapitre commence par un bref historique des efforts déployés au plan international pour combattre les ravageurs et les maladies et l'incidence dans les différentes régions. Les facteurs d'après lesquels la lutte contre les maladies et ravageurs est nécessaire et quelle peut être son efficacité sont également analysés. Les raisons pour lesquelles il est économiquement justifié d'agir pour combattre les ravageurs et les maladies sont aussi expliquées. Certains critères à appliquer pour déterminer le degré de contrôle le plus efficace sont inhérents aux théories concernant les biens publics et les externalités. Ces critères dictent le seuil à partir duquel les pouvoirs publics devraient participer aux mesures de contrôle et s'attaquer aux problèmes d'équité pour ce qui est des modalités de financement à adopter.

Encadré 5

PRINCIPAUX RAVAGEURS DES PLANTES ET MALADIES ANIMALES TRANSFRONTIÈRES

MIGRATEURS NUISIBLES

Les migrateurs nuisibles transfrontières se déplacent à la recherche de nourriture et de sites appropriés pour se reproduire. Il s'agit notamment des acridiens, de la chenille processionnaire ou ver militaire et du quéléa. De telles migrations peuvent couvrir des milliers de kilomètres, et traverser les océans et les frontières. Ces ravageurs sont d'habitude regroupés en essaims (criquets), colonnes (chenilles processionnaires) et bandes (quéléas).

Chenille processionnaire

Les chenilles processionnaires se transforment en papillons de nuit et peuvent migrer sur de longues distances (plus de 100 km par nuit). Ces chenilles causent de sérieux dommages aux pâturages et aux plantations de céréales et de canne à sucre. En comparaison des nuages de criquets, les infestations de chenilles sont généralement de moindre envergure mais peuvent s'étendre sur plusieurs centaines de kilomètres carrés. C'est pendant la saison des pluies que ces chenilles apparaissent et se déplacent.

Acridiens

Les acridiens sont les plus nocifs des migrateurs nuisibles. Ils se sont adaptés aux environnements semi-arides ou désertiques où les précipitations sont rares et irrégulières, mais souvent torrentielles lorsqu'elles se produisent. Les acridiens migrent vers les régions où il a plu depuis peu et où un terrain humide et sableux, une végétation naissante et l'absence d'ennemis naturels leur offrent des conditions idéales pour se reproduire.

Quéléa

Le quéléa à bec rouge est un oiseau commun qui s'attaque aux céréales en voie de maturation dans nombre de régions semi-arides d'Afrique subsaharienne. Les cultures les plus fréquemment attaquées sont le mil, le sorgho, le blé et le riz. Les migrations sont influencées par les précipitations, qui affectent l'apparition de certaines graminées annuelles, dont cette espèce d'oiseau se nourrit principalement. Ces oiseaux peuvent migrer sur plus de 1 000 km, traversant donc les frontières politiques. Les régions affectées peuvent perdre la majeure partie, voire l'intégralité, de leurs récoltes céréalières.

RAVAGEURS DES PLANTES SOUMIS À UN RÉGIME DE QUARANTAINE

À la différence des migrateurs nuisibles, les ravageurs soumis à un régime de quarantaine peuvent s'introduire dans un pays de multiples façons et sont relativement difficiles à identifier. On ne peut pas dire qu'un ravageur soit «pire» qu'un autre, car son impact dépend plus de la situation locale de l'agriculture que de ses caractéristiques biologiques propres. Les mouches des fruits, les pucerons et autres parasites des légumes feuillus et des fleurs coupées sont parmi les ravageurs transfrontières qui causent de plus en plus de dommages.

Oerke et al.1 ont effectué des estimations des pertes mondiales causées par les ravageurs pour huit récoltes, par région. Ces estimations portent sur tous les ravageurs, et pas seulement sur les espèces transfrontières. Les auteurs ont constaté que les pertes imputables aux ravageurs dépassaient 50 pour cent de la production potentielle. Les insectes détruisaient 15 pour cent des récoltes, les éléments pathogènes et les mauvaises herbes 13  pour cent chacun, et les infestations de ravageurs après la récolte 10 pour cent.

Les ravageurs transfrontières traditionnels (comme les graines de plantes ou les vers du bois) avaient de longues périodes de dormance et se trouvaient dans des produits en vrac tels que les céréales, ou à bord de navires (par exemple rats, espèces aquatiques dans les eaux de soute, moustiques et moules zébrées). Le commerce de produits horticoles de haute valeur est allé de pair avec l'arrivée d'un plus grand nombre de ravageurs à l'état latent, qui se dissimulent à l'intérieur des produits frais et des emballages (comme les larves de mouches des fruits, les thrips et les teignes).

MALADIES ANIMALES

Les maladies animales se propagent de multiples façons, la plus commune étant les animaux sur pied porteurs de maladie et les produits animaux contaminés introduits dans un pays, qu'il s'agisse de produits importés ou d'aliments avariés transportés par les avions ou des navires en provenance de l'étranger. D'autres introductions sont le résutat de l'importation de produits biologiques contaminés (par exemple des vaccins) ou de germoplasmes (le sémen ou les œufs); l'arrivée de personnes infectées (en cas de maladies transmissibles de l'homme à l'animal); les migrations d'animaux et d'oiseaux; ou même la propagation naturelle par les insectes vecteurs ou le vent.

Peste porcine africaine

La peste porcine africaine est la maladie transfrontières la plus fatale pour les porcs. Il s'agit en outre d'une maladie virale qui peut soudainement et rapidement, sans aucun signe annonciateur, se propager à échelle internationale sur de grandes distances. La transmission est souvent causée par le transport de viande de porc contaminée, et notamment de restes alimentaires se trouvant à bord de navires et d'aéronefs. Il n'existe pas de vaccin contre la peste porcine africaine. Cette dernière est endémique dans de vastes régions d'Afrique de l'Est et d'Afrique australe, où il n'est actuellement pas possible de l'éliminer en raison des cycles d'infection, à l'état sauvage, parmi les warthogs et d'autres cochons sauvages et les tiques et, à l'heure actuelle, de la présence du virus à l'état endémique parmi les cochons de village dont l'état n'est pas suivi par des vétérinaires. Pour les élevages commerciaux de cochons, la seule mesure pouvant être adoptée pour se protéger contre la maladie est d'empêcher tout contact avec les cochons sauvages et les cochons de village, au moyen de clôtures et d'autres précautions sanitaires. Il semble toutefois possible, à long terme, de maîtriser la peste porcine africaine dans les régions où elle est endémique grâce à la mise au point et au croisement de porcs génétiquement résistants.

Encéphalopathie spongiforme bovine

L'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), causée par des agents infectieux inconnus jusqu'alors - les prions - a été découverte au Royaume-Uni en 1986. Cette maladie s'est depuis étendue à plusieurs autres pays d'Europe, bien que la plupart des cas aient été enregistrés au Royaume-Uni (voir l'encadré 9, p. 262). Cette maladie s'est propagée chez le bétail par des compléments de farines de viande et d'os animales contenant des particules infectées d'animaux malades. Elle peut se transmettre à l'homme par la consommation de tissus infectés, entraînant une maladie neurologique fatale qui est une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Peste porcine classique

La peste porcine classique, ou choléra des porcs, est une maladie virale généralisée qui n'affecte que les porcins. Elle est endémique dans de vastes régions de l'Asie du Sud et du Sud-Est, où elle entrave le développement de l'industrie de l'élevage des porcins. En Europe, des épizooties majeures ont été signalées dans la CE en 1997 et en 1999. Cette maladie a également fait son apparition récemment en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Péripneumonie contagieuse des bovins

La péripneumonie contagieuse des bovins est souvent considérée comme une maladie insidieuse du bétail qui est rarement fatale, mais ce jugement est fondé sur l'expérience acquise dans les régions où elle est endémique. Parmi les troupeaux exposés à la maladie, celle-ci peut se propager à une rapidité surprenante et causer des taux de mortalité élevés. Cette maladie se propage par les mouvements d'animaux infectés (qu'il s'agisse de cas aigus ou de porteurs chroniques). D'importantes épizooties ont été signalées au cours de ces dernières années en Afrique de l'Est et de l'Ouest et en Afrique australe. Cette maladie affecte actuellement 27 pays d'Afrique, à un coût annuel estimé à 2 milliards de dollars EU.

Fièvre aphteuse

La fièvre aphteuse est hautement contagieuse et peut se propager très rapidement parmi les animaux fissipèdes lorsqu'elle est transportée par des animaux et des produits animaux infectés, par des objets contaminés (comme les camions de transport du bétail) et même par le vent. La vaccination est compliquée par la multiplicité des types et sous-types d'antigènes. Des progrès considérables ont été accomplis sur la voie de l'élimination de la fièvre aphteuse dans plusieurs régions, en particulier en Europe et dans certaines parties d'Amérique du Sud et d'Asie. Toutefois, des épidémies ont éclaté en Argentine, au Brésil, en Grèce, au Japon, et en République de Corée en 2000, et au Royaume-Uni au début de 2001. En 1997, à Taïwan Province de Chine, une sérieuse épidémie a conduit à abattre 3,8 millions de porcins. Dans certaines régions d'Afrique où la faune sauvage constitue un réservoir pour le virus, l'élimination de la fièvre ne peut être considérée que comme un objectif de longue haleine.

Maladie de Newcastle

La maladie de Newcastle est une maladie virale qui se transmet principalement entre les poulets, mais qui peut également se propager par le biais d'aliments, d'eau ou de vêtements contaminés. Cette maladie existe dans la plupart des régions du monde, et il y a eu deux grandes pandémies au cours du siècle passé. Elle entrave sérieusement le développement des élevages locaux de poulets, particulièrement en Asie et en Afrique. Un grand nombre d'espèces d'oiseaux sauvages peuvent abriter le virus de la maladie de Newcastle. Cette maladie affecte parfois de grands élevages commerciaux de volaille dans les pays développés, et ce en dépit des mesures rigoureuses de protection sanitaire qui sont appliquées. Lors d'une épidémie majeure survenue au Mexique en 2000, il a fallu abattre 13,6 millions de volatiles.

Peste des petits ruminants

La peste des petits ruminants affecte les ovins et les caprins. La propagation de cette maladie a été due en partie au fait que, jusqu'à une date toute récente encore, un vaccin efficace contre cette maladie n'était disponible sur les marchés internationaux qu'en quantités insuffisantes, mais aussi au fait que, dans certaines régions, les programmes de surveillance des maladies et de quarantaine n'ont peutêtre pas accordé assez d'attention aux petits ruminants. La peste des petits ruminants n'existe pas dans les Amériques, en Europe et en Océanie.

Fièvre de la vallée du Rift

La fièvre de la vallée du Rift est une maladie zoonosique virale transmise par les moustiques. La première épidémie, signalée en Égypte en 1977, a affecté quelque 200 000 personnes, et entraîné la mort d'environ 600 d'entre elles; elle a également causé un grand nombre de décès et d'avortements parmi les ovins, le bétail et d'autres espèces. Les épidémies qui sont apparues en Afrique de l'Est en 1997, 1998 et en 2000 ont non seulement occasionné des pertes importantes parmi le bétail et des décès au sein de la population locale, mais encore, ont sérieusement affecté les exportations de bétail de la région au Proche-Orient, qui constituent une importante source de recettes.

Peste bovine

La peste bovine est la plus grave des maladies du bétail que l'on connaisse. Cette maladie n'existe pas sur le continent américain, en Europe et en Océanie et, en Afrique australe, elle a été éradiquée pendant la première moitié du XXe siècle moyennant un contrôle rigoureux des déplacements de bétail, la mise en quarantaine des régions infectées, l'abattage sélectif des troupeaux infectés et des campagnes, ainsi que la vaccination dans les régions à risque. En 1962, toutefois, la peste bovine était encore endémique dans une vaste ceinture de régions pastorales de l'est, du centre et de l'ouest de l'Afrique. En Inde, des progrès considérables ont été accomplis sur la voie de l'éradication de cette maladie, mais celle-ci est endémique au Pakistan.

1E.C. Oerke, H.W. Dehne, F. Schonbeck et A. Weber (1994). Crop Production and Protection: estimated losses in major food and cash crops. Elsevier, Amsterdam.

L'étude présente ensuite les évidences empiriques concernant l'impact économique des ravageurs et maladies transfrontières, notamment sur la production agricole, la sécurité alimentaire, le commercet l'environnement. Les effets des mesures de contrôle, comme l'emploi de pesticides et la constitution de stocks sont aussi brièvement passés en revue.

Sont présentés ensuite un résumé des principaux instruments utilisés pour combattre et éliminer les ravageurs et maladies ainsi qu'une gamme d'approches pouvant être envisagées, allant d'une exclusion totale à la tolérance de la part d'un organisme donné. Cette même section analyse les différentes possibilités permettant de gérer et de minimiser l'impact économique des ravageurs et maladies, ainsi que les problèmes nouveaux et changeants auxquels se heurtent les pays dans les efforts qu'ils mènent pour combattre les ravageurs et maladies transfrontières. Enfin, la section décrit les institutions et politiques mises en place au plan international, de même que la question concernant les modalités selon lesquelles le contrôle transfrontières peut être financé.

HISTORIQUE DE LA LUTTE CONTRE LES RAVAGEURS DES PLANTES3 ET MALADIES ANIMALES TRANSFRONTIÈRES

Ravageurs des plantes

Il y a 3 500 ans, on connaissait déjà les destructions et famines que causait le criquet pèlerin (Schistocerca gregaria): selon la Bible, les nuages de sauterelles étaient l'une des 10 plaies que Dieu avait imposées à l'Égypte. Le Coran relate lui aussi les dommages causés par les nuages de sauterelles. Dans un récit contemporain du fléau causé par les sauterelles en Éthiopie en 1747-1748, on peut lire que les sauterelles «couvraient la terre comme une nappe de brouillard»et «dévoraient tout le grain» et qu'elles avaient provoqué une «grande famine» à la suite de laquelle «tous les habitants» des daga (hautes terres) et de toutes les qolla (basses terres) avaient péri. Les morts étaient si nombreux qu'il y avait trop peu de survivants pour les enterrer.

Les effrayantes attaques de sauterelles survenues en Europe, au XVIIe siècle, ont aggravé des facteurs tels que guerres, maladies ou sécheresses, qui avaient déjà créé une situation d'insécurité considérable dans la vie des populations. C'est alors que les interventions de l'État, y compris la distribution de vivres, l'indemnisation des dommages et, plus tard, des campagnes de lutte contre les ravageurs, ont gagné en importance. En période d'infestation par les sauterelles, une large part de la société était mobilisée pour tenter de contenir les dommages et la propagation ultérieure des insectes. Au début, on creusait des tranchées pour entraver l'avancée des sauterelles encore non développées et les ensevelir et, plus tard, on a utilisé des appâts empoisonnés à l'arsenic, méthode qui s'est révélée efficace. Au cours des 50 dernières années, c'est l'épandage aérien de pesticides qui est devenue la principale méthode de lutte contre ce fléau.

L'exploration du Nouveau Monde, à la fin du XVIe siècle, et de l'Australasie, à partir du XVIIIe siècle, a été l'un des éléments qui a beaucoup accéléré les mouvements de plantes et des organismes qu'elles abritent. Les explorateurs et les premiers négociants d'articles de luxe et d'épices ont commencé à rapporter, lors de leurs voyages, des espèces non locales, lesquelles ont plus tard été remplacées par toutes celles qui sont échangées par les commerçants de denrées alimentaires, de boissons et de fibres.

Indépendamment de l'agriculture cultivée, l'introduction de nouvelles récoltes et de nouveaux animaux a entraîné l'apparition de ravageurs et de maladies qui ont eu un impact majeur sur les plans économique et social. Les premières maladies se propageaient rapidement et leurs origines étaient difficilement identifiables. Dès le début du XVIIIe siècle, des maladies importées des Amériques ont décimé les récoltes de pommes de terre. Peu à peu, la résistance et les mesures de contrôle se développant, l'impact des ravageurs et maladies allogènes s'est atténué. Le doryphore de la pomme de terre, qui a affecté les cultures de pommes de terre en Europe pendant les années 1870 alors qu'elles avaient été relativement indemnes depuis lors, était plus visible, moins agressif et plus facile à contenir. C'est lui qui a conduit le Royaume-Uni, en 1877, à adopter le Destructive Insects Act, qui est peut-être le premier texte phytosanitaire jamais promulgué pour empêcher l'entrée du doryphore de la pomme de terre.

La révolution industrielle et la nécessité d'approvisionner en matières premières l'industrie manufacturière de villes en expansion rapide ont concrétisé l'apparition d'un marché mondial pour les principales céréales. Selon les estimations, avant la seconde guerre mondiale, le commerce international de céréales représentait quelque 30 millions de tonnes par an. Au début des années 70, l'augmentation de la consommation de viande a accru la demande mondiale d'aliments pour le bétail, et la plupart des ravageurs des céréales sont devenus endémiques. Aujourd'hui, le commerce international de céréales atteint environ 250 millions de tonnes par an, et la plupart des problèmes causés par les ravageurs soumis à un régime de quarantaine sont imputables à l'augmentation du commerce de fruits et de légumes frais.

Maladies animales

Nombre d'importantes maladies animales infectieuses comme la rage et l'anthrax sont connues depuis la nuit des temps. L'une des plaies d'Égypte décrites dans la Genèse était peut-être une épidémie de fièvre de la vallée du Rift. En fait, les tabous culturels et religieux qui interdisent de manger la viande de certains animaux trouvent peut-être leur origine comme mesures de protection contre des maladies zoonosiques (c'est-à-dire des maladies transmises de l'animal à l'être humain).

On ne sait pas grand-chose des conséquences économiques et sociales des premières épizooties, à l'exception de la peste bovine. Cette maladie, probablement originaire d'Asie centrale, a souvent déferlé sur l'Europe, en particulier en période de guerres et de bouleversements sociaux, décimant le bétail et causant d'indicibles difficultés parmi les populations. La crise de peste bovine qui a frappé l'Europe au XVIIIe siècle, et par la suite l'Afrique, a probablement été le principal élément qui a encouragé le développement de services vétérinaires efficaces. C'est durant cette période qu'ont été créés en Europe les premières écoles vétérinaires modernes - à commencer par celle de Lyon en 1762 - puis, un peu plus tard, les premiers services vétérinaires nationaux. Bien que la peste bovine ait été éliminée en Europe à la fin du XIXe siècle, elle est réapparue en Belgique en 1922 lors de l'importation de zébus. C'est cet incident qui a été directement à l'origine de la création de l'Office international des épizooties (OIE).

Au milieu du XIXe siècle, il y a eu une explosion de l'incidence et du coût économique des épidémies chez le bétail, qui a persisté jusqu'à une date avancée du XXe siècle. Parmi les maladies qui se sont propagées, il y a lieu de citer la fièvre aphteuse, la péripneumonie contagieuse des bovins et la peste porcine classique. Les trois causes principales ont été: premièrement, le développement rapide de l'élevage entraîné par l'explosion démographique de la révolution industrielle; deuxièmement, l'amélioration des transports, rendue possible par la machine à vapeur qui a facilité le mouvement des maladies aussi bien humaines qu'animales d'un pays à l'autre; et, troisièmement, la colonisation par l'Europe d'autres régions, ce qui a mis le bétail en contact avec de nouvelles maladies qui n'existaient jusqu'alors que parmi la faune sauvage. L'homme, en continuant de s'implanter dans des zones vierges, continue de faciliter la propagation des maladies.

RÉGIONS AFFECTÉES PAR DIFFÉRENTS RAVAGEURS ET MALADIES TRANSFRONTIÈRES

Le risque que des ravageurs et maladies transfrontières s'établissent et se propagent dans des régions ou pays dépend d'un certain nombre de facteurs4, dont les suivants:

Les cartes 3 à 6 indiquent quelles sont aujourd'hui dans le monde les zones où sévissent les principales espèces d'acridiens. La zone de récession illustre l'incidence du criquet pèlerin (solitaire) qui n'essaime pas. La zone de grégarisme est celle où les insectes solitaires essaiment fréquemment. C'est surtout dans ces zones qu'il importe de prendre des mesures de prévention. Le tableau 43 illustre les régions affectées par les migrateurs nuisibles et indique la date des dernières invasions de chacun d'entre eux.

Tableau 43

PRINCIPAUX MIGRATEURS NUISIBLES TRANSFRONTIÈRES

Espèces

Région

Générations par an

Dernière invasion

Criquet pèlerin du désert

Afrique, Proche-Orient, Asie

3-4

1986-1989

>Criquet nomade

Afrique australe

1

1930-1944

Criquet migrateur

Afrique, Europe, Asie

Jusqu'à 6

1998-1999

Criquet brun

Afrique australe

Jusqu'à 3

1985-1998

Criquet d'Amérique du Sud

Amérique du Sud

2

1946-1951

Criquet d'Amérique centrale

Amérique centrale

2

1939-1954

Criquet marocain

Afrique, Europe, Asie

1

-

Criquet italien

Europe, Proche-Orient, Asie

1

-

Sauterelle du Sénégal

Afrique, Proche-Orient, Asie

1-3

-

Criquet australien

Australie

2

1984

Chenille processionnaire

Afrique, Asie, Pacifique

4-8

-

Quéléa à bec rouge

Afrique subsaharienne

1

-

Source: Centre for Overseas Pest Research. 1982. The locust and grasshopper agricultural manual. Londres; et FAO (EMPRES).



Tableau 44

PROPORTION DE CAS DÉCLARÉS DE CERTAINES MALADIES ANIMALES TRANSFRONTIÈRES, PAR RÉGION, 1997

Région

Fièvre aphteuse1

Péri-pneumonie contagieuse

Peste bovine

Peste des petits ruminants2

Peste porcine classique

Peste porcine africaine

Maladie de Newcastle3

 

(pourcentage)

Afrique

1,8

99,6

...4

97,2

0

100,05

26,3

Asie

97,5

0,1

...

2,8

45,3

0

62,8

Amérique du Nord

0,0

0

0

0

0,0

0

0,0

Amérique centrale

0,0

0

0

0

15,7

0

0,0

Amérique du Sud

0,6

0,0

0

0,0

1,6

0

1,4

Caraïbes

0,0

0

0

0

0,03

0

0,24

Océanie

0,0

0

0

0

0,0

0

0,0

Europe

0,0

0,26

0

0

37,57

0

9,8

 

(milliers)

Nombre total de cas

1 177

24

...

344

108

392

2 504

1 Bovins, buffles, petits ruminants et porcins.
2 Ovins et caprins.
3Volaille seulement, à l'exception des oiseaux sauvages.
4 Quatre foyers de maladie ont été signalés, mais le nombre d'animaux infectés n'a pas été indiqué.
5 Quatre-vingt quinze pour cent de ces cas ont été signalés par le Bénin.
6 Portugal.
7 Non compris les cas signalés aux Pays-Bas, où 700 000 porcs ont été abattus pour contenir l'épizootie.

Ces dernières années, les invasions de migrateurs nuisibles sont devenues moins fréquentes pour certaines espèces mais plus pour d'autres, encore que les raisons de cet état de choses ne soient pas complètement comprises. Le nombre d'infestations et d'invasions de criquets pèlerins a diminué de façon très notable au cours des 30 dernières années, ce qui peut être dû aux opérations de prévention qui ont été menées, mais ce qui est peut-être imputable aussi à un changement des schémas des précipitations dans les principales régions où cet insecte se reproduit, ou à une combinaison de ces deux facteurs. La menace posée par le quélea et la chenille processionnaire n'est pas aussi grave, mais ces espèces causent des problèmes plus fréquents pour les exploitants. La répartition de ces deux ravageurs est présentée sur les cartes 7 et 8.

Le tableau 44 indique la répartition de différentes maladies animales transfrontières, et les chiffres donnent une idée approximative de leur incidence, par région5.


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