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SITUATION ECONOMIQUE DES PECHERIES BURUNDAISES AU COURS DES DOUZE DERNIERES ANNEES

par

Antoine Kiyuku
DEPP
Bujumbura, Burundi

RESUME

Une synthèse des informations économiques disponibles concernant les différents types de pêcheries exploitées dans la partie burundaise du lac Tanganyika est présentée dans ce document. Les observations sont transmises sur la base des données statistiques détenues dans le département et une comparaison est faite suivant plusieurs critères tels que la rentabilité, le capital investi, les captures (quantité et valeur), l'approvisionnement en poisson en fonction de son origine, et les relations entre les différents types de pêche pratiqués ces dernières années. Le document traite aussi de l'évolution et de la structure des prix du poisson commercialisé.

1. INTRODUCTION

Ici nous présentons une synthèse des informations économiques sur les différentes flottes de pêche Burundaise.

Il y a un aperçu historique du développement du secteur pêche et nous situons l'état actuel des pêcheurs dans une perspective dynamique.

On parlera de la rentabilité également ainsi que les performances comparées des différentes unités suivant les critères de capture (quantité, valeur, capital investi et la rentabilité) et ainsi de suite.

2. HISTORIQUE DU DEVELOPPEMENT

La pêche au Burundi est composée de trois types de flottilles: artisanale, coutumière et industrielle.

Généralement on utilise la lumière artificielle pour attirer, concentrer et capturer le poisson.

Pour la pêche industrielle ou semi-industrielle, selon le cas et les auteurs, elle est composée d'unités en acier de 15 à 20 mm et des moteurs de 150 à 250 C.V. avec 4 à 5 portes lampes.

Ils opèrent avec des sennes de 300 à 400 m et l'équipage est composé d'une trentaine d'hommes.

Les unités ont été introduites en 1954 par des Grecs qui les exploitent encore aujourd'hui. L'évolution des dix dernières années montrent une réduction progressive des unités de pêche et on est actuellement à 12 unités. Cette situation est due spécialement aux pertes financières très lourdes encore par les armateurs suite à la hausse des prix tels le carburant et une surveillance négligée de la part des armateurs, ce qui traduit aussi la faiblesse des productions de ces dernières années.

Pour la pêche artisanale, on observe une évolution inverse, passant de 50 unités en 1962 à plus de 600 en 1991 et ceci fut l'impact de la Société des Usines de Poissons du Burundi sur financement de la Banque Mondiale.

Cette forme de pêche continue à se moderniser suite à l'amélioration de la route ce qui facilite l'écoulement des produits. L'équipage est composé de sept à neuf pêcheurs en fonctions de leurs performances.

La pêche coutumière est très hétérogène et utilise plusieurs techniques de pêche (filets maillants, sennes de plage, éperviers, lusenga, palangrottes). Elle a comme une évolution en hausse de 1450 en 1962 à 400 en 1991 et le chiffre tend à se stabiliser.

3. LES ESPECES CAPTURES

Sur le plan commercial, nous avons les Clupéidés communément appelés “NDAGALA” on a spécialement deux espéces le Limnothrissa Miodon et le Storothrissa Tanganicae. Nous avons également “le MUKEKE” (luciolates stappersis) et les Capitaines et Sangala de trois sortes.

L'évolution de la production totale annuelle connaît des fluctuations importantes avec des années de grandes productions où l'on dépasse les 20.000 tonnes; théoriquement on devait déjà adopter des mesures importantes de gestion dans un très court avenir, car en l'espace de quelques décennies, la structure des pêcheries Burundaises s'est modifiée très fortement suite au déclin progressif et définitif de la pêche industrielle et à l'effondrement de la pêche coutumière jusque dans les années quatre vingts ainsi que l'emmérgence d'une pêche artisanale très adaptée.

4. DE LA RENTABILITE ECONOMIQUE DES ACTIONS DE PECHE

Pour la pêche industrielle, l'investissement est estimé à plus ou moins 44 millions pour le bateau, les annexes et le transport, les infrastructures sur terre sont constitués des habitations privées servant de bureau et d'entrepôts également.

S'agissant du chiffre d'affaires si on se réfère aux données de 1992, le revenu est estimé à plus ou moins Sept Millions et les productions sont inférieures à 100 tonnes par an. Ce chiffre très bas peut s'expliquer par la baisse des captures avec une capture par unité d'effort (kg/nuit) variant à 1300 kg/nuit bateau dans les années 76 à 400 kg/nuit/bateau en 1991. Le nombre de nuits de pêche est aux environs de 253 nuits/an sauf en cas d'épidémie suivant nos enquêtes. Une grande partie des captures disparaît surtout celle de haute valeur sur les débarquements (plus ou moins 50%), un phénomène inquiétant est la modification des captures. On remarque que les Clupéidés représentent 78% en quantités et 58% en valeur, les Mukeke représentent 21% en quantité et 39% en valeur pour l'année 1990 tandis que les divers représentent 1% en quantité et 3% en valeur. En 1991, les Clupéidés ont représenté jusqu'à 90% en quantité et 74% en valeur. Les grandes variations annuelles depuis 1999976 indiquent une diminution très accentuées des captures des prédateurs alors que si on se réfère à la différence des prix qui est très grande entre les proie et leurs prédateurs.

Un constat dramatique se dégage quant à la situation et santé économique de la pêche industrielle. Le Ndagala qui a toujours varié de 40% à 90% de prises suivant les années, a toujours eu des prix très faibles par rapport aux prédateurs. Or dans les conditions actuelles d'exploitation la pêche industrielle ne peut pas espérer des profits énormes. En plus de cela, les acheteurs étrangers ont diminué sur les marché à cause des crises politico-économiques des voisins.

S'agissant des différentes charges encourues à savoir: les consommations en carburant, pétrole, lubrifiant, frais du personnel, de transport et les commissions et ainsi de suite, nous remarquons que la rentabilité économique est affectée par l'augmentation des prix du carburant fin 90 (35%) car il représente plus de 40% des charges alors que les prix du poisson n'ont pratiquement pas augmentés (plus ou moins 1% le Ndagala) (13,7% pour les prédateurs) et les captures ont chuté également. Les efforts sont maintenant concentrés très loin au Sud ce qui ne facilite pas le contrôle des opérations par les armateurs.

Les frais d'équipage et de combustible ont représenté 103% du chiffre d'affaire en 1991 d'où il existe un problème d'ordre structurel. Les coûts fixes (salaire, entretiens, amortissements, impôts et taxes) sont énormes et la plupart ne sont plus que théoriquement supposés par les armateurs.

Pour l'équipement et l'entretien, on se limite au strict minimum d'où le vieillissement progressif de la flotte qui n'est plus renouvelée.

S'agissant de la rentabilité financière en analysant les comptes d'exploitation, on remarque des pertes financières très importantes, le chiffre d'affaires est faible, dû par la baisse des captures, le court du carburant atteint 57% du chiffre d'affaires. Les frais d'exploitation étant directement liés à l'activité, ils excédent généralement les ventes de poissons et pour être rentable, le niveau des captures devait tripler au moins pour aboutir à un équilibre. Pour ce qui est de la rentabilité économique du secteur pour le pays, on remarque que la valeur ajoutée (différence entre valeur finale de la production et le coût des consommations intermédiaires); donc la valeur économique créé par chaque unité dans l'économie du pays, ne crée plus de richesse et nous remarquons que le secteur consomme plus qu'il ne produit.

Donc elle est négative pour les armateurs et pour le pays.

5. DE LA PECHE ARTISANALE

L'investissement s'élève généralement autour d'Un Million FBU pour les unités motorisées et à 350.000 FBU pour les unités non motorisées. Le chiffre d'affaires est fonction de l'effort de pêche (193.000 par unité en 1991) et cet effort est déterminé par le calendrier lunaire et les conditions climatiques.

La pêche artisanale est plus active dans le Sud % Strate III, les quantités varient selon les Strates : 48% Strate III, 38% Strate II et 14% Strate I.

La composition des captures ne s'est pas modifiée au fils des années comme c'est le cas pour la pêche industrielle.

Le Ndagala reste l'espèce cible et représentent 80% des captures depuis 1974 à nos jours. Le volume des captures est passé de 7.500 tonnes en 1974 à plus de 20.000 tonne en 1991, donc il y a eu un accroissement de 170% plus ou moins. Ce qui signifie qu'elle sert de référence pour l'approvisionnement des marchés et pour la fixation des prix.

La motorisation a accru l'effort de pêche et la Biologie des Ndagala avec une capacité de reproduction naturelle et la mortalité très élevée explique en partie ces tendances. Toutefois, la productivité est très élevée pour les unités motorisées.

Les coûts d'exploitation sont généralement partagés par le propriétaire et l'équipage ainsi que les recettes.

Les frais à la masse sont donc directement liés à l'effort de pêche. Ils sont représentés pas les consommations de carburants, pétroles, lubrifiants, le manchon. L'armateur supporte les frais fixes dus à l'entretien, les amortissements, les impôts et taxes qui constituent donc les charges fixes.

La rentabilité financière de la pêche artisanale mesurée à partir du taux de rentabilité du capital investi fait ressortir des unités non rentables, moyennement rentables et des unités avec des profits élevés.

Les non rentables sont des unités motorisées de la Strate I et non motorisées dans la Strate II. Les unités non motorisées en province de BUJUMBURA sont moyennement rentables ainsi que les unités motorisées de la Strate II. Les super-profits sont toutes les unités de la Strate III.

La rentabilité financière de la pêche artisanale est très claire car le délai de récupérer le capital investi varie de 1 à 3 ans suivant les provinces et le degré de motorisation. Les frais du propriétaire sont entre 5 et 8% du chiffre d'affaires ce qui montre le caractère très adapté de cette forme de pêche.

La rentabilité économique mesurée par la valeur ajoutée crée par les Unités de pêche Artisanale montre que dans le Strate III, on dépasse facilement les 2 Millions FBU, d'où donc cette forme de pêche est créatrice de richesse dans l'Economie Nationale, phénomène qu'on devrait juguler par des mesures concrètes d' Aménagements car l'effort est concentrés plus vers le Sud. La pêche artisanale avancée est plus rentable et utilise des unités communément appelés “APPOLO”.

6. DE LA PECHE COUTUMIERE.

Elle comporte des Unités qu'on qualifie en fonction de la technique utilisée (Lusenga) Sennes de plages, filet maillant. On opère à partir d'une pirogue et les coûts d'investissements sont variables en fonction de la technique utilisée.

S'agissant du chiffre d'affaires, les données de captures et de l'effort de pêche rendent difficile l'estimation car cette pêche étant très mobile. Le relevé des prix est difficile aussi du fait de la vente en VRAC du poisson.

Les frais à la masse sont très peu “pocho” de temps en temps on utilise le pétrole et accessoire quand on utilise le Lusenga (épuisette traditionnelle). Les frais de l'armateurs ne se limitent à l'entretien, amortissements, impôt et taxe. La rentabilité financière est très élevée vu le faible taux d'Investissements et varie de 100 à 500%. Le délai de récupération des Investissements est inférieur à 1 an généralement. La rentabilité économique est très élevée par rapport au chiffre d'affaires (plus ou moins 98ù).

Si on procède à une analyse comparative entre la production et le chiffre d'affaires, on remarque pour tout le lac en 1991 ce qui suit:

PI=8%
PA=82%
PC=5%
APPOLO=6%

On relève que la pêche industrielle et artisanale avancée ont démarqué 89ù des captures en 1991. La pêche industrielle est marginalisée actuellement. Depuis 1974, la pêche artisanale est passée de 57% à plus ou moins 82% en 1991 et la pêche industrielle est passée de 1300 kg par sortie.

Les unités Appollo atteignent actuellement 270 kg/nuit en moyenne nationale. Mais le C P U E pour les unités motorisées ou non varient d'un strate à un autre et c'est le strate III qui est le meilleur. Ce qui nous permet de conclure que les performances des unités dépendent apparemment bien plus de la localisation géographique des opérations que de la technique utilisée.

Les prix comparés montrent aussi que la strate III est plus performante peut être en raison des prédateurs nombreux dans les prises (Luciolates) que dans les autres strates mais pour les Appollo et la pêche industrielle, nous remarquons suivant notre comparaison que les prix sont similaires d'où on peut conclure que ces deux types d'unité sont en concurrence directe autant vis à vis de la ressource que du consommateur bien qu'utilisant des techniques d'une intensité capitalistique fort différente

TYPE DE PECHEKG/SORTIESKG/FBu
   
APPOLLO346 KG67
PECHE INDUSTRIE39171

7. ANALYSE COMPARATIVE DU CAPITAL INVESTI ET REMUNERATION DU TRAVAIL

Nous remarquons une rentabilité élevée de plus de 100% de la pêche artisanale motorisée et non motorisée dans la province de Makamba ainsi que la pêche coutumière pour tout les Strates. La rémunération brute du travail est directement mesurée au revenu annuel perçu par chaque membre d'équipage ainsi que les revenus en nature “pocho” et il reste toujours très attractif.

Il en va de la valeur ajoutée également sauf pour la pêche industrielle. Situation très inquiétante car seul la strate III produit plus de 50% des captures d'où une intensification de l'effort de pêche qui risque de conduire à une surexploitation.

L'évolution des captures et des prix de dix dernières années pour la partie Burundaise montre que le Ndagala est l'espèce cible de la pêche artisanale tandis qu'il constitue une capture accessoire pour la pêche industrielle.

Toutefois, nous remarquons qu'il est passé de 30 à 50% dans les années Quatre-Vingt et de 10 à 15% dans les années Quatre-vingt dix.

Le Mukeke qui était de l'ordre de 80 à 90% pour la pêche industrielle est passé de 10%.

Les prix du Ndagala sont restés particulièrement stables les 10 dernières années tandis que le Mukeke a augmenté de 10%. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de fluctuations à court terme pendant les différentes campagnes.

Mais le prix payé pour la pêche artisanale a été toujours bon parce que disposant d'un produit de bonne qualité.

8. RESUME DES CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS.

1. Le développement de la pêche burundaise sur le Lac Tanganyika depuis une trentaine d'années a abouti à une situation où:

  1. la pêche industrielle, n'étant plus rentable, est menacée de disparition pure et simple, et ce à très court terme;

  2. la pêche artisanale continue à se développer, à se moderniser et à se concentrer dans le sud du pays, là où la rentabilité est la plus élevée, en dehors de tout contrôle de la part des autorités de tutelle; et

  3. la pêche coutumière, dont certaines techniques ont un impact dévastateur sur les ressources, se maintient, et même se développe dans le nord du pays, notamment en raison du faible montant de capital nécessaire et de l'absence d'alternative d'emploi.

2. La production annuelle moyenne des eaux burundaises qu'il soit possible de maintenir à long terme - entre 21.000 et 23.000 tonnes - est atteinte depuis plusieurs années. Cette production est répartie à raison de 87% pour la pêche artisanale, 8% pour la pêche industrielle et 5% pour la pêche coutumière.

3. La rentabilité de l'investissement dans la pêche industrielle est dorénavant fortement négative. Cette situation, dûe essentiellement à la disparition progressive des espèces de haute valeur dans les captures et à la hausse des coûts de carburant, est plus structurelle que conjoncturelle.

4. Les performances économiques des unités de pêche artisanale dépendent apparemment bien plus de la localisation géographique des opérations que de la technique mise en oeuvre. Les taux de rentabilité du capital investi dans la pêche artisanale - traditionnelle ou “avancée” - sont supérieurs à 100% en province de Makamba, alors qu'ils sont nettement inférieurs dans les deux autres provinces, Bujumbura et Bururi, et parfois même négatifs.

5. Les rémunérations offertes aux membres d'équipage d'une unité artisanale - traditionnelle ou “avancée” - atteignent environ 170.000 francs par an en province de Makamba, et jusqu'à 230.000 francs dans le cas d'une unité motorisée. Ceci est bien supérieur à ce qu'un pêcheur peut espérer dans les autres provinces (de 45.000 à 100.000 francs).

6. Le délai de récupération du capital investi dans une unité de pêche coutumière est inférieur à un an. La rémunération du membre de l'équipage varie de 40.000 à 90.000 francs par an selon la technique et la province.

7. La valeur ajoutée brute créée par le secteur est loin d'être négligeable puisqu'on l'estime à environ un milliard de francs burundais par an, ce qui correspond à sa contribution au produit National Brut. On a également noté que 57% de cette valeur ajoutée provient de la province de Makamba.

8. Compte tenu de la pression démographique, et en l'absence d'alternative d'emploi et de limitation de l'accès à la ressource, il faut s'attendre à la poursuite de l'expansion de la pêche artisanale et même de la pêche coutumière.

9. Une fois la nouvelle législation sur la pêche et l'aquaculture adoptée par le Gouvernement, il est recommandé que diverses mesures d'aménagement destinées à garantir un rendement optimal et soutenu de la pêche sur le lac soient rapidement mises en place, notamment :

10. Enfin, la poursuite du travail de collecte, de compilation et d'analyse des données statistiques doit conserver un caractère hautement prioritaire.


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