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7. INCERTITUDE ET VARIABILITÉ DANS LE PROCESSUS D'ÉVALUATION DES RISQUES

7.1 Introduction

L'évaluation des risques pour la santé, lorsqu'elle s'applique aux dangers présents dans les aliments, est une évaluation quantitative de l'information relative aux dangers potentiels résultant de l'exposition à différents agents ; elle comporte quatre étapes interdépendantes qui ont été décrites précédemment, à savoir : i) l'identification des dangers; ii) la caractérisation des dangers; iii) l'évaluation de l'exposition; iv) la caractérisation des risques. Ce processus comporte de nombreuses sources d'incertitude et de variabilité (Covello et Merkhofer, 1993; Finkel, 1990; AIEA, 1989; Morgan et Henrion, 1990; NRC, 1983, 1993, 1994). L'incertitude et la variabilité n'empêchent certes pas d'appliquer des politiques de gestion des risques efficaces, mais elles doivent être prises en compte lors de l'élaboration de ces politiques.

L'analyse des incertitudes est un élément important de la caractérisation des risques. Elle permet une estimation quantitative de l'éventail des résultats attendus, par exemple le nombre d'effets sur la santé. Cet éventail est attribuable à la fois à la variance des données et aux incertitudes touchant les données et la structure des modèles utilisés pour définir la relation entre exposition et effets néfastes. La présente section porte sur les problèmes de définition, de caractérisation et de propagation de l'incertitude et de la variabilité lors de la caractérisation des risques. Elle traite de la nature de la variance et des incertitudes relatives aux données et aux modèles et établit une distinction entre la variabilité (hétérogénéité) et la véritable incertitude (manque de précision des connaissances). Les méthodes permettant de tenir compte des incertitudes sur les données, la relation entre la véritable incertitude et la variabilité inhérente aux modèles et aux données ainsi que la nature des incertitudes susceptibles de se présenter à chaque stade de l'évaluation des risques sont indiquées.

7.2 Incertitude et variabilité

Un des problèmes qui se posent lorsqu'on analyse les incertitudes est le moyen de distinguer la contribution relative de la variabilité (c'est-à-dire de l'hétérogénéité) et celle de la véritable incertitude concernant la caractérisation des risques prévus pour la population. La variabilité porte sur des quantités qui se répartissent autour d'une valeur moyenne au sein d'une population définie, par exemple les taux de consommation alimentaire, la durée d'exposition et la durée de vie prévue. Celles-ci sont par essence variables et ne peuvent être représentées par une valeur unique, de sorte que l'on ne peut que déterminer leurs caractéristiques statistiques (moyenne, variance, asymétrie, etc.) avec précision. Par contre, l'incertitude vraie ou erreur sur le modèle (erreur de l'estimation statistique) concerne un paramètre qui présente une valeur unique, mais qui ne peut être connu avec précision en raison de l'erreur de mesure ou d'estimation. La variabilité et l'incertitude vraie peuvent être classées comme suit : i) incertitude de type A due à la variabilité stochastique par rapport à l'unité de référence de l'évaluation; ii) incertitude de type B due à l'insuffisance des connaissances sur des éléments qui sont invariants par rapport à l'unité de référence de l'évaluation. Il est des cas où l'incertitude vraie (type B) est négligeable devant la variabilité (incertitude de type A). Dans ce cas, le résultat de l'analyse de propagation de la variance représente la variation statistique attendue de la dose ou du risque dans la population exposée. Lorsque ni la variabilité ni l'incertitude ne sont négligeables, la forme de la courbe de distribution représentant la variabilité est inconnue en raison des incertitudes.

7.3 Incertitude sur le modèle et incertitude sur les paramètres d'entrée

L'incertitude des prédictions effectuées à l'aide d'un modèle peut avoir plusieurs sources, notamment la façon de spécifier le problème, la formulation des modèles conceptuels et de calcul, ou le calcul, l'interprétation et la documentation des résultats. De toutes ces incertitudes, seules celles qui sont dues à l'estimation des paramètres d'entrée peuvent être quantifiées par des techniques de propagation de la variance. Les incertitudes qui découlent d'une mauvaise spécification du modèle peuvent être évaluées à l'aide d'arbres de décision et d'arbres représentant les événements en s'appuyant sur l'opinion d'experts en la matière. Dans certains cas, des techniques comme la méta- analyse peuvent être utilisées pour évaluer les erreurs de spécification des modèles à l'aide de méthodes simples de propagation de la variance.

7.3.1 Nature des modèles

Etant donné que l'ampleur des risques chimiques ou microbiens attribuables aux aliments peut rarement être mesurée, elle doit être estimée à l'aide de modèles ou de projections faites à partir de données historiques. La complexité des modèles est très variable, depuis les représentations empiriques les plus simples jusqu'aux modèles stochastiques les plus complexes. Leur fiabilité dépend de la précision des données d'entrée et de l'exactitude avec laquelle ils représentent les phénomènes biologiques, chimiques et physiques pertinents. L'analyse des incertitudes peut servir à déterminer dans quelle mesure la fiabilité du modèle et la précision des données influent sur la qualité des prédictions.

7.3.2 Méthodes d'évaluation des incertitudes relatives au modèle

En cas d'incertitude sur le scénario ou le modèle le plus approprié, il existe des techniques qui permettent d'évaluer l'incidence de différents modèles sur le résultat prévu. Des méthodes comme les arbres de probabilités, d'événements ou de défaillances permettent de représenter les multiples événements conduisant au résultat attendu. Un arbre d'événements représente un événement initial et toutes ses conséquences possibles. La probabilité associée à chaque événement peut être représentée par une distribution de probabilité. Les principaux avantages de cette approche sont la représentation visuelle de tous les scénarios potentiels et l'utilisation des distributions de probabilité pour l'interprétation des arguments.

7.3.3 Méthodes de représentation et de propagation de la variance des paramètres d'entrée

La description de l'incertitude relative à un risque consiste à quantifier la moyenne arithmétique, l'écart-type arithmétique ou géométrique et les quantiles supérieurs et inférieurs de la valeur attribuée au risque. La fonction de densité de probabilité et la fonction de distribution cumulative du risque constituent des outils pratiques pour représenter ces paramètres. Toutefois, les fonctions en question ne peuvent souvent être obtenues que si l'on dispose d'une bonne estimation des distributions de probabilité des variables d'entrée utilisées pour évaluer le risque. L'analyse des incertitudes comporte cinq étapes :

  1. identifier les paramètres d'entrée qui peuvent contribuer à l'incertitude des prédictions du modèle;
  2. construire une fonction de densité de probabilité pour définir les valeurs que peut prendre un paramètre d'entrée;
  3. prendre en compte les interdépendances (corrélations) entre paramètres d'entrée;
  4. propager les incertitudes au sein du modèle pour générer une fonction de densité de probabilité des valeurs du résultat; et
  5. calculer les limites et intervalles de confiance à partir de la fonction de densité de probabilité des valeurs prévues du résultat.

Les méthodes de propagation de la variance permettent d'estimer la relation entre la variance des paramètres d'entrée du modèle et la variance des prédictions. Pour propager la variance, il est possible d'utiliser des méthodes de simulation analytique exacte, analytique approchée et statistique.

7.4 Incertitude et variabilité dans l'identification des dangers

L'étape d'identification des dangers consiste à déterminer si la présence d'un agent biologique, chimique ou physique dans un aliment constitue ou peut constituer un danger pour la santé. Cette détermination s'appuie généralement sur des méthodes de criblage et sur des essais à court et à long terme sur des cellules ou sur l'animal, par exemple sur des études de relation quantitative entre la structure et l'activité et sur des épreuves biologiques à court terme ou chez l'animal. La réponse est dichotomique, c'est-à-dire que le facteur étudié est ou n'est pas considéré comme un danger pour la santé de l'homme. L'incertitude porte sur la classification de l'agent (dangereux ou non dangereux) et sur l'efficacité de l'épreuve de classification. Si l'agent est évalué à plusieurs reprises à l'aide de cette épreuve, il est déclaré positif ou négatif avec un certain degré de précision lié à l'efficacité de l'épreuve. Par exemple, une des épreuves servant à déterminer si un produit chimique est mutagène est l'épreuve d'Ames. L'incertitude associée à l'analyse d'un produit chimique par cette méthode dépend de la capacité de l'épreuve à prévoir si une réponse positive (négative) signifie que le produit en question est (n'est pas) capable de provoquer un cancer chez l'homme. La mesure de l'efficacité de l'épreuve consiste à déterminer comment la même substance est caractérisée lorsqu'elle est analysée à plusieurs reprises en utilisant ce même système d'épreuve et des systèmes d'épreuve différents.

On peut considérer qu'il existe trois sources importantes d'incertitude et de variabilité dans l'identification des dangers. La première est l'erreur de classification d'un agent, c'est-à-dire sa classification parmi les agents dangereux alors qu'il ne l'est pas ou inversement. La deuxième est la fiabilité de la méthode de dépistage utilisée pour identifier un danger, c'est-à-dire son aptitude à donner le même résultat chaque fois qu'elle est exécutée. La troisième est l'extrapolation; en effet, quelle que soit la méthode de dépistage utilisée, il faut extrapoler les informations fournies par l'épreuve pour déterminer s'il y a danger pour l'homme. Ainsi, les études épidémiologiques sont utilisées pour prédire l'impact futur d'une exposition sur une population humaine, mais l'extrapolation nécessaire pour cela est généralement minime; par contre, la prédiction des effets néfastes potentiels sur la santé à partir de certaines épreuves peut nécessiter une extrapolation beaucoup plus importante.

7.5 Incertitude et variabilité dans la caractérisation des dangers

La caractérisation des dangers est le processus qui consiste à définir le site et le mécanisme d'action d'un agent et au minimum la relation dose- réponse (proportion des individus réagissant, ou gravité de la réaction). A ce stade, il est fréquent que soit élaborés une série de modèles allant de représentations purement mathématiques à des représentations fondées sur des considérations biologiques. En conséquence, chaque modèle offre une représentation différente du processus pathologique chez l'homme et comporte donc un degré d'incertitude différent.

L'incertitude liée au modèle occupe généralement une place importante dans l'étape de caractérisation du danger. Elle est maximale dans les relations mathématiques dose-réponse destinées à représenter les processus biologiques. En dépit du large degré d'incertitude qu'on leur reconnaît, les modèles dose- réponse constituent actuellement la méthode la plus employée pour prédire les effets sur la santé et se sont souvent révélés utiles pour établir des politiques. A mesure que croissait l'intérêt pour l'évaluation des risques, les modèles sont devenus de plus en plus complexes, permettant ainsi une représentation plus exacte et plus complète des processus biologiques.

Une question importante qui se pose lors de la caractérisation des dangers, et qui concerne à la fois la variabilité et l'incertitude, est la variance de la relation dose-réponse pour les doses administrées à l'espèce étudiée. Pour améliorer la puissance et la valeur d'une étude négative, les essais biologiques se font normalement à des niveaux d'exposition beaucoup plus élevés que ceux auxquels l'homme est généralement soumis. Cela signifie que les modèles dans lesquels on introduit des données recueillies à ce niveau élevé d'exposition ne donnent pas nécessairement des résultats exacts aux faibles niveaux représentatifs de l'exposition humaine. En outre, la réponse à une dose donnée peut varier d'un animal à l'autre, en dépit du fait que la plupart des animaux de laboratoire sont généralement consanguins et que l'on peut s'attendre à ce qu'ils soient génétiquement identiques. Dans le cas contraire, il faut s'attendre à une plus grande variabilité de la relation dose-réponse et il en est de même chez l'homme.

Une autre source d'incertitude et de variabilité dans l'étape de caractérisation des dangers est la nécessité d'extrapoler d'une espèce à l'autre. Les méthodes utilisées à cette fin doivent tenir compte à la fois de l'incertitude sur le modèle le plus approprié pour effectuer l'extrapolation et de la variabilité des paramètres utilisés.

7.6 Incertitude et variabilité dans l'évaluation de l'exposition

Tout modèle utilisé pour représenter l'exposition doit comporter les éléments d'information suivants:

  1. le niveau de l'agent en cause, mesuré dans le produit lui-même ou dans le sol, la plante ou l'animal dont il provient;
  2. le facteur d'élimination ou de concentration de cet agent lors des étapes de transformation, de préparation et de dilution;
  3. la fréquence et l'importance de la consommation du produit par l'homme;
  4. la durée de contact ou la fraction de la durée de vie totale au cours de laquelle un individu est exposé au produit;
  5. le temps moyen au bout duquel l'effet sur la santé considéré est cliniquement détectable.

Tous ces facteurs contribuent normalement à la définition de la distribution des caractéristiques d'exposition au sein de la population.

La population présentant un risque d'exposition est la population qui consomme des aliments contenant l'agent dangereux en question. L'évaluation de l'exposition est la donnée essentielle qui permet d'évaluer la dose absorbée, c'est-à-dire la quantité de l'agent en cause atteignant l'organe ou le tissu cible pour y induire éventuellement un effet néfaste.

La définition des voies d'exposition est un élément important de l'évaluation de l'exposition. Il s'agit du parcours que suit un agent biologique, chimique ou physique depuis une source connue jusqu'à l'individu exposé. Dans le cas des agents présents dans les aliments, la concentration ingérée par un individu peut être différente de celle qui a été mesurée dans le sol, les plantes, les animaux ou le produit brut. La concentration des contaminants chimiques peut parfois augmenter lors de la transformation du produit (par exemple en cas de distillation), mais le plus souvent la conservation, la transformation et la préparation des denrées alimentaires entraînent une réduction de la concentration des contaminants. En ce qui concerne les micro-organismes, il peut y avoir une augmentation significative de la contamination ou du nombre de germes en raison de leur multiplication dans des conditions favorables. Ainsi, on peut s'attendre à une incertitude importante sur le rapport entre la concentration d'un agent bactérien dans un aliment au moment de sa consommation et la concentration mesurée dans le produit brut ou l'animal, la plante ou le sol dont il provient.

7.7 Incertitude et variabilité dans la caractérisation des risques

Lorsque le danger a été caractérisé et que les données relatives à l'exposition ont été recueillies, on procède à la caractérisation du risque en construisant un modèle pour représenter la distribution des risques pour les individus ou la population. Pour cela, il faut faire la somme des effets en tenant compte de toutes les voies d'exposition. Etant donné l'incertitude et la variabilité rencontrées à chaque étape, les incertitudes sur le processus global de caractérisation des risques peuvent être relativement grandes.

Une étape finale importante de la caractérisation des risques est la caractérisation des incertitudes. Pour caractériser directement les incertitudes dans le cadre de l'évaluation des risques, il faut les analyser les en plusieurs temps. Cette analyse peut se faire en trois temps. Premièrement, il faut indiquer clairement la variance de toutes les données et évaluer l'incidence de ces variances sur l'estimation finale du risque. Deuxièmement, on procédera à une analyse de sensibilité pour évaluer l'impact de la fiabilité du modèle et de la précision des données sur la qualité des prévisions. Le but de l'analyse de sensibilité est de classer les paramètres d'entrée en fonction de leur contribution à la variance du résultat. Enfin, on appliquera des méthodes de propagation de la variance pour déterminer comment la précision globale des estimations du risque est liée à la variabilité et à l'incertitude associées aux modèles, aux données d'entrée et aux scénarios.


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