Previous PageTable Of ContentsNext Page


Apport de la télédétection à l'étude des zones contributives aux écoulements


Cas du site de la mare d'Oursi (Burkina Faso)

Pascal Vine

Laboratoire commun de télédétection CEMAGREF-ENGREF, Montpellier, France

Resumé

Une modélisation statistique, à base spatiale, de la relation pluie/débit a été développée et appliquée sur le bassin versant méditerranéen du Réal Collobrier (Var, France). Elle permet d'estimer l'aptitude à l'écoulement d'un zonage défini à partir de données de télédétection, et de produire une analyse en termes de mécanismes hydrologiques. Afin de tester la pertinence, la validité et les possibilités de régionalisation de la méthode, nous l'avons mise en oeuvre sur des bassins versants présentant des conditions différentes de celles du Réal Collobrier, tant du point de vue climatique (Sahel), que du point de vue des mécanismes hydrologiques (ruissellement de surface prépondérant). L'étude est conduite sur le site de la mare d'Oursi (Burkina Faso) et s'appuie sur les travaux de l'ORSTOM. Les résultats de ce test sont présentés et discutés. L'intérêt d'utiliser la télédétection dans le cadre de cette démarche est également traité.

Abstract

A statistical analysis of the rainfall-runoff relation based on spatial data has been developed and applied to a Mediterranean watershed (Réal Collobrier). On the base of a partition obtained by remote sensing analysis, it is possible to assess the runoff capabilities of each area and to analyze the results in terms of hydrological mechanisms. In order to test the interest, validity and possibilities of regionalizing this method, we have developed an approach for watersheds in different climatologic conditions (Sahel) and with different hydrologic processes (runoff is predominant). The study area is the Mare d'Oursi (Burkina Faso) and work carried out by ORSTOM was used. The results are presented here and the interest in the use of remote sensing is also discussed.


Contexte de l'étude

La connaissance de la relation qui permet de transformer la pluie en débit est un élément fondamental de la gestion quantitative de la ressource en eau. Or, dans un contexte de données hydrologiques rares ou inexistantes (ce qui est souvent le cas), il est quasiment impossible de définir une telle relation, sans s'appuyer sur une approche de type mécaniste. Malheureusement, ces mécanismes, souvent fort complexes, sont encore mal connus. Pour les décrire de nombreux paramètres sont requis, parmi lesquels les caractéristiques physiques et géomorphologiques du bassin. L'information géographique fournissant une représentation spatialisée de certains de ces paramètres, on peut penser que ces données contribueront à une meilleure connaissance des opérateurs régissant la relation pluie/débit, et à terme faciliteront les tentatives de régionalisation hydrologique. Parmi les informations géographiques disponibles, les données de télédétection occupent une place privilégiée, car elles permettent une description exhaustive, objective, reproductible et répétitive de l'espace. De plus, la télédétection est souvent la seule source d'informations disponible.

FIGURE 1

Représentation de la relation objet hydrologique / objet visuel

 

L'articulation entre « information géographique » et « hydrologie » est complexe (Puech, 1995). A priori la modélisation hydrologique distribuée devrait être directement compatible avec les données géographiques, puisque les deux approches sont spatialisées. Toutefois, pour une bonne adéquation, il faut que les besoins de l'une soient proches des possibilités de l'autre.

On peut ainsi schématiser (figure 1) cette relation sous la forme d'une liaison entre un objet hydrologique et un objet visuel. L'objet « hydrologique » fait référence à un processus hydrologique dominant (mécanismes de type surfaces saturées contributives, interception par la végétation). L'objet « visuel », observé à partir de données de télédétection (couverture végétale) ou d'informations géographiques (pédologie, topographie), permet de révéler tout ou une partie des facteurs contrôlant l'apparition de ce processus dominant (topographie, occupation du sol).

L'objet « visuel » fournit alors une cartographie en zones dites homogènes vis-à-vis de ce(s) facteur(s), et donc de l'objet hydrologique.

Ces zones homogènes peuvent être intégrées au sein d'un « modèle » hydrologique spatialisé au travers de deux approches complémentaires :

· soit par une démarche agrégative : on considère une connaissance locale, qui agrégée, permettra de reconstituer un tout (de la parcelle au bassin versant, par exemple) ;

· soit par une démarche désagrégative : il s'agit ici, à partir d'une connaissance globale, de retrouver les contributions de parties dont le comportement est supposé homogène (du bassin à des zones homogènes internes au bassin, par exemple).

Ces démarches s'appuient sur des outils de modélisation hydrologique différents :

· de type distribué (connaissance des fonctions locales de production et de transfert) pour une démarche agrégative ;

· de type semi-distribué (niveau global, bassins versants, sous-bassins versants ou zones identifiées comme homogènes) pour une démarche désagrégative.

Dans le cadre de notre étude, nous mettons en oeuvre une démarche « désagrégative » qui consiste à définir a priori un modèle hydrologique susceptible d'intégrer une information spatialisée, et de rechercher les couples "objets visuels / objets hydrologiques" qui permettent une reconstitution satisfaisante des débits. Ces couples sont ensuite analysés en terme de mécanismes hydrologiques.

Le modèle retenu (Puech, 1993) s'appuie sur l'hypothèse que le bassin versant peut être partagé en zones homogènes vis-à-vis des écoulements, sur la base d'informations de télédétection.

Chacune de ces zones est caractérisée par un coefficient d'écoulement (hypothèse d'invariance spatiale de la fonction de production) et est supposée contribuer au débit total proportionnellement à sa surface (hypothèse d'additivité des écoulements). Une démarche par déconvolution utilisant plusieurs sous-bassins jaugés permet alors de déterminer ces coefficients d'écoulement (figure 2). Le calcul des coefficients d'écoulement des zones homogènes se fait par optimisation de la fonction objectif suivante :

.

Afin de pouvoir procéder à ce calcul d'optimisation, il est nécessaire de disposer d'un nombre de bassins versants (nombre d'équations) strictement supérieur au nombre de zones homogènes (nombre d'inconnues).

Nous rappelons que cette démarche a été mise en oeuvre sur un bassin versant expérimental et représentatif du Cemagref : le Réal Collobrier, situé dans le massif des Maures en région méditerranéenne (Var, France). Plusieurs types de partages de l'espace ont été testés. Nous citerons plus particulièrement l'étude concernant l'aptitude à l'écoulement de catégories végétales (Puech, 1993).

FIGURE 2

Schéma de principe de la modélisation hydrologique

FIGURE 3

Principe et résultats de l'estimation des coefficients d'écoulement annuels de catégories végétales (Bassin du Réal Collobrier, Var, France

L'objet visuel est ici la couverture végétale cartographiée par télédétection satellitaire (images SPOT d'hiver et d'été), l'objet hydrologique est l'ensemble composé de la couverture végétale, du sol et du sous-sol. L'étude a été conduite à un pas de temps annuel pour que soit vérifiée l'hypothèse d'additivité des écoulements (figure 3). Dans le cas du Réal Collobrier, la résolution du système fait intervenir l'évolution des coefficients d'écoulement annuels avec la pluie totale précipitée.

Ces travaux ont contribué à l'étude du rôle de la végétation sur les écoulements. Malheureusement ces résultats n'ont pu être formellement validés en raison de l'absence d'expérimentation de terrain portant sur l'hydrologie des versants forestiers.

En mettant en oeuvre la même procédure dans un contexte géographique et hydrologique totalement différent, c'est la méthode elle-même que nous cherchons à valider.

Objectif et méthode

Les objectifs de ce travail sont de :

1 - confirmer l'intérêt de cette méthode pour une meilleure compréhension des mécanismes hydrologiques ;

2 - tester la régionalisation de la méthode.

Pour atteindre ces objectifs, les sites d'étude doivent satisfaire aux conditions suivantes :

· le nombre de bassins jaugés doit être suffisant pour que puisse être mise en oeuvre l'optimisation ;

· les mécanismes régissant la relation pluie/débit de ces bassins doivent être suffisamment connus pour permettre la validation des résultats obtenus ;

· des sites complémentaires doivent exister à proximité afin de tester la transposition des résultats obtenus.

Nous avons donc choisi de travailler sur des bassins versants présentant des conditions différentes de celles du bassin du Réal Collobrier, tant du point de vue climatique (Sahel), que des mécanismes hydrologiques (ruissellement de surface prépondérant). Les sites retenus (mare d'Oursi et bassins de Gagara) sont des bassins expérimentaux de l'ORSTOM situés au Burkina Faso, sur lesquels nous disposons d'informations et de connaissances hydrologiques considérables.

Notre démarche sera donc la suivante ;

· analyse du contexte hydrologique à partir des travaux réalisés par l'ORSTOM, puis choix d'un couple « objet visuel / objet hydrologique » ;

· partage de l'espace à partir de données de télédétection ;

· sur la mare d'Oursi, mise en oeuvre de la méthode à différents pas de temps;

· analyse des résultats obtenus par confrontation aux études de terrain réalisées par l'ORSTOM;

· réflexion sur l'apport de la méthode pour une meilleure connaissance des processus;

· sur les bassins de Gagara, application des résultats obtenus sur Oursi. Réflexion sur les possibilités de régionalisation de la méthode.

Présentation des sites d'étude et choix réalisés

L'analyse est entreprise sur deux ensembles de bassins versants du Burkina Faso : le site de la mare d'Oursi (bassin endoréique de 263 km²) et le site de Gagara (deux bassins de 24.3 et 35 km²).

Ces deux sites appartiennent au même contexte géologique, de type plutonique (Seguis, 1986) et climatique (zone sahélienne de pluviométrie 400 mm concentrée de juin à septembre). Nous ne présenterons ici que le site de la mare d'Oursi (figure 4).

Le bassin versant de la mare d'Oursi est fermé par un cordon dunaire orienté d'Est en Ouest, typique des paysages sahéliens de la boucle du Niger. La géologie du bassin est dominée par une altération généralisée plus ou moins développée. Il est composé de sept bassins versants (de 0.8 à 105 km²) suivis par l'ORSTOM de 1976 à 1981 (figure 5 et tableau 1). Il regroupe sur une surface réduite un grand nombre de situations géomorphologiques caractéristiques du Sahel africain (Claude et al., 1991).

FIGURE 4

Situation des bassins (Albergel, 1988). Nord-Est du Burkina Faso

Position de l'image satellite LANDSAT MSS du 4/02/76

Le contexte hydrologique

La pluviométrie de la zone présente une forte hétérogénéité spatiale, mais une grande unité climatique régionale.

D'un point de vue mécaniste, les processus générateurs d'écoulement peuvent être assimilés à un mécanisme de refus d'infiltration, lié surtout à la présence d'une pellicule imperméable, et assez comparable à un mécanisme hortonien (Grésillon, 1994).

TABLEAU 1

Caractéristiques générales des bassins. Pluie annuelle moyenne 460 mm (Chevallier, 1985)

Stations Durée observ.

année

Surface

km²

Altit. exutoire (mètres) Coef. Ecoul. moyen %
Ousri   263    
Jalafanka 5 0.81 310 36.6
Kolel 6 1.05 334 12.6
Polaka 5 9.14 339 14.4
Tchalol 5 9.28 332 26.5
Outardes 5 16.5 303 20.0
Gountoure 5 24.6 304 25.0
Taima 5 105 305 14.0

FIGURE 5

Site de la mare d'Oursi (Chevallier et al., 1985)

Dans ces régions sahéliennes, l'imperméabilisation des sols sous l'effet mécanique de la pluie est facilitée par la rareté de la végétation. La région d'étude (comme dans tout le Sahel) se caractérise donc par l'importance des états de surface sur l'hydrodynamique, ainsi que par l'organisation spatiale des pluies et leurs caractéristiques (intensité, durée).

Le concept d'états de surface est par conséquent un concept clé dans la compréhension des écoulements au Sahel. Il a été formalisé par l'ORSTOM (Casenave et al., 1989), qui a également mis au point une méthode pour les cartographier (objet visuel). Ces états de surface sont caractérisés par un comportement hydrodynamique particulier (objet hydrologique). Composés de surfaces élémentaires, ils peuvent varier considérablement suivant l'unité hydrologique à laquelle on s'adresse (plaine désertique, champ).

Compatibilité du modèle avec le contexte hydrologique

La formulation de la relation liant le débit à la pluie Q = K.P peut être discutée. En effet au pas de temps de l'épisode, d'autres facteurs interviennent dans l'explication du ruissellement, tel que l'indice des précipitations antérieures. Pour les pas de temps annuel et mensuel, bien que ces pluviométries soient très liées aux caractéristiques des averses qui les composent (intensité, durée, qui sont en partie reliées à la position de l'averse au cours de l'hivernage) (Chevallier et al., 1985), nous considérerons que cette formulation est globalement acceptable (se référer aux graphiques pluviométriques de Chevallier et al., 1985).

Enfin, nous pouvons considérer que les deux hypothèses du modèle sont globalement vérifiées :

· Hypothèse d'invariance :

si notre partage de l'espace se fait sur la base des états de surface, nous pouvons considérer que l'hypothèse est vérifiée.

· Hypothèse d'additivité :

à l'échelle du bassin de la mare d'Oursi, les mesures au simulateur de pluie ont montré que l'organisation spatiale des états de surface conduit à une imperméabilisation croissante de l'amont des bassins vers l'aval (Chevallier et al., 1985). Cette organisation est favorable car elle facilite l'acceptation de l'hypothèse d'additivité des débits issus de chaque zone homogène.

Choix d'un partage de l'espace en zones homogènes

Le zonage de l'espace va donc s'appuyer sur une cartographie des états de surface.

La cartographie par télédétection de ces états de surface a été abordée par différents auteurs (Lointier et al., 1984; Lamachère, 1987; Albergel, 1988; Puech, 1993). La télédétection permet ici de produire un document cartographique homogène pour différents sites. Ce dernier point est essentiel, car la diversité des descriptifs pédologiques rend souvent difficile un recensement homogène des sols (Seguis, 1986).

Dans le cadre de notre étude, nous devons disposer d'une cartographie d'états de surface en quatre à cinq postes de légende de façon à conserver un nombre de zones homogènes largement inférieur au nombre de bassins jaugés. Nous avons retenu la cartographie réalisée par Lointier et al (1984), à partir de l'image Landsat du 4 février 1976 (résolution de 80 mètres). Cette cartographie différencie des états de surface sur roche plutonique en 10 postes de légende, que l'on peut réduire à quatre afin d'obtenir ce que nous pourrions appeler, des hydropaysages (tableau 2).

TABLEAU 2

Passage de la nomenclature en 10 postes à la nomenclature en quatre postes (Lointier et al., 1985; Chevallier et al., 1985).

Nomenclature initiale Nomenclature finale
Sables vifs Systèmes dunaires
Sables fixés  
Végétation Thalwegs et dépressions
Mare d'Oursi  
Buttes Buttes et relief
Altération de cuirasse  
Blocs de roches diverses  
Gravillons Glacis
Arènes, sables grossiers  
Pellicule induré  

TABLEAU 3

Répartition des hydropaysages (en % de la surface totale) sur les bassins versants de la mare d'Oursi (Chevallier, 1985)

Bassin Surface (km²) Système dunaire Thalwegs dépressions Buttes et reliefs Glacis
Oursi 263 12 21 8 59
Outardes 16.5 0 25 19 56
Polaka 9.14 18 6 16 60
Tchalol 9.28 1 8 44 47
Taima 105 8 16 10 66
Jalafanka 0.81 0 0 0 100
Kolel 1.05 0 0 100 0
Gountouré 24.6 8 5 0 87

D'un point de vue hydrodynamique, ces hydropaysages (tableau 3 et figure 6) peuvent être décrits de la manière suivante (Chevallier et al., 1985) :

· le système dunaire : Le réseau hydrographique y est inexistant et le ruissellement très faible;

· les thalwegs et dépressions : Ce sont les marigots et la mare elle-même. Il s'agit de sols hydromorphes, vite saturés, donc imperméables, dans lesquels l'eau est reprise par l'évaporation;

· les buttes et reliefs : Il s'agit de roches granitiques ou de surfaces cuirassées puis disséquées. Le ruissellement y est intense localement et se concentre assez rapidement en ravines dont le développement est modéré par la brièveté des versants;

· les grandes zones de glacis : Il s'agit d'une notion topographique où les paysages sont relativement plans et de faible pente. La végétation y est très inégalement répartie allant de la brousse dense à des plaques de sol nu (formations liées aux cuirasses ferrugineuses aux affleurements rocheux). Ces zones sont peu perméables.

Choix des pas de temps pour l'analyse hydrologique

Nous avons choisi de travailler aux pas de temps annuel et mensuel. Malgré les remarques formulées plus haut, la démarche sera également appliquée au pas de temps événementiel afin

d'analyser (qualitativement) la faisabilité d'une extension de la démarche aux pas de temps plus courts.

FIGURE 6

Hydropaysages de la mare d'Oursi. Transect Sud-Nord (in Claude et al., 1991)

Le choix de ce pas de temps hydrologique n'est pas sans conséquence sur la notion précédente de zone homogène (envisagée du point de vue spatial). En effet au cours de la saison des pluies, la végétation, l'humidité des sols, etc. peuvent évoluer, et cela de manière hétérogène dans l'espace. Le partage en zones homogènes peut donc être remis en cause. La « robustesse » de notre partage sera donc à analyser.

Mise en oeuvre de la méthode et résultats

Au niveau annuel

L'optimisation pour le calcul défini ci-dessus donne les résultats suivants :

TABLEAU 4

Détermination des coefficients d`écoulement annuels (en %) sur la base de sept bassins versants (tableau 3)

Année Pluie moyenne (mm) Systèmes dunaires % Thalwegs % Buttes % Glacis %
Inter-annuel 360 0 0 13 30
77 424 0 0 13 35
78 358 0 0 3 25
79 322 0 0 9 25
80 308 0 0 17 39

Ces valeurs estimées ont été appliquées au bassin d'Oursi et comparées aux valeurs calculées par une méthode de bilan hydrologique (Chevallier et al., 1985) (figure 7)

Des calculs identiques ont été réalisés sur différents jeux de bassins. Nous retiendrons les résultats obtenus (tableau 5) sur un jeu de cinq bassins ne comprenant pas Jalafanka, Kolel (bassins homogènes vis-à-vis des hydropaysages, cf. tableau 3) et Oursi.

FIGURE 7

Validation sur la bassin d'Oursi des coefficients calculés sur la base des sept bassins versants (tableau 3)

TABLEAU 5

Détermination des coefficients d`écoulement annuels (%) sur la base de cinq bassins versants

Année Pluie moyenne (mm) Systèmes dunaires % Thalwegs % Buttes % Glacis %
77 424 0 3 26 28
78 358 0 14 7 20
79 322 0 10 33 13
80 308 0 0 31 35

FIGURE 8

Validation sur le bassin d'Oursi des coefficients calculés sur la base de cinq bassins versants

La validation (figure 8) montre que les écoulements sont mal reconstitués pour Jalafanka et Kolel. Le débit estimé pour Kolel est systématiquement surévalué, alors qu'il est sous-évalué pour Jalafanka.

Au niveau mensuel

Le calcul est effectué sur la base des sept bassins versants (tableau 6).

TABLEAU 6

Coefficients d'écoulement mensuel (%) calculés sur la base de sept bassins pour des pluviométries supérieures à 20 mm

An Mois Pmm

moyenne

Dunes Thalwegs Buttes Glacis
77 8 260 0 0 3 43
77 9 68 0 48 22 35
78 7 71 0 0 4 30
78 8 194 0 20 6 32
78 9 28 0 0 0 19
79 5 69 0 0 0 18
79 7 92 0 0 10 32
79 8 78 0 0 11 28
79 9 70 0 43 11 19
80 6 40 0 0 18 35
80 7 139 0 0 19 46
80 8 71 0 1 17 42

On constate que les résultats au niveau mensuel recoupent globalement les résultats du pas de temps annuel. Toutefois la zone thalwegs présente des coefficients d'écoulement qui, certains mois, peuvent être supérieurs à zéro. Ces résultats concernent plutôt les mois de fin de saison des pluies (août et septembre).

Au niveau de l'épisode

Parmi les crues recensées dans le document (Chevallier et al., 1985), nous avons sélectionné les épisodes pluvieux qui nous ont semblé avoir concerné l'ensemble du bassin d'Oursi. Le choix a été réalisé sur la base des dates de l'événement de crue (tableau 7).

TABLEAU 7

Calcul des coefficients d'écoulement (%) pour des événements de crue de pluviométrie supérieure à 20 mm (calcul sur la base de sept bassins)

Date de l'événement Pmm

moyenne

Syst. dun. Thalwegs Buttes Glacis
19/07/1977 30.9 0 0 10 39
13/09/1977 20.4 0 25 17 41
30/07/1978 42.3 16 95 6 31
02/08/1978 26.3 0 0 6 53
19/07/1979 21.7 0 41 10 36
17/07/1980 36.6 0 0 25 59
20/07/1980 23.5 0 0 25 48

Globalement, nous retrouvons les résultats des niveaux annuel et mensuel. Nous noterons en particulier que les glacis et le système dunaire présentent des valeurs relativement stables quel que soit l'événement considéré. L'analyse fine de ces résultats est rendue difficile par le faible nombre d'événements disponibles, sans doute aussi par l'écart entre la réalité et les hypothèses des calculs dans le cas de ce pas de temps.

Analyse des résultats et discussion

Le tableau 8 rassemble les résultats présentés dans les tableaux 4, 5, 6 et 7.

TABLEAU 8

Coefficient d'écoulement (en %). Synthèse des résultats

  Interannuel Annuel Mensuel Crue
Syst. dun. 0 0 0 0
Thalwegs 0 0 à 10 0/20/40 0/20/40/100
Buttes 13 10 à 20 0 à 20 5 à 30
Glacis 30 25 à 40 20 à 50 30 à 60

En confrontant ces résultats aux études conduites par l'ORSTOM , nous pouvons faire l'analyse suivante :

Les zones de glacis et de système dunaire

Les résultats obtenus sont cohérents quel que soit le pas de temps, ce qui conduit à penser que les aptitudes à l'écoulement de ces zones sont peu influencées par des évolutions (végétation, humidité) de leurs états de surface au cours de la saison.

Ces résultats sont en accord avec les expériences conduites avec le simulateur de pluie par l'ORSTOM. Ces simulations montrent en effet que les ruissellements, sur système dunaire, apparaissent de façon limitée après 30 minutes d'averse à 60 mm/h, alors que pour les zones de glacis, le ruissellement (souvent en nappe) apparaît dès 5 mm de pluie, et ce, quelle que soit l'intensité.

Ces résultats sont également en accord avec ceux de Séguis (1986) qui a étudié la réponse moyenne de plusieurs bassins pour une gamme donnée de pluies. Il a tenté de régionaliser un indice (somme des lames ruisselées pour trois pluies de 10, 20 et 70 mm) sur la base d'une analyse géomorphologique des bassins, en les regroupant par nature du substratum. Pour les bassins sur roche plutonique, Seguis distingue trois grandes unités vis-à-vis du ruissellement : les reliefs (buttes, dunes, affleurements rocheux), les glacis et les dépressions ou thalwegs. Il montre que ce sont les glacis qui ruissellent le plus.

La zone buttes/relief

Les valeurs estimées des coefficients d'écoulement restent comparables lorsque le pas de temps change. Par contre, l'amplitude de variation de ces coefficients est relativement forte et indique une instabilité qu'il convient d'analyser.

Lorsque l'on consulte les études par simulation de pluie sur cette zone, on constate que les coefficients de ruissellement peuvent atteindre 90 %. Mais en réalité ces zones présentent de nombreuses fractures, dues aux altérations, qui induisent des infiltrations ponctuelles. La part du ruissellement qui atteint alors le réseau hydrographique est moins élevée (Chevallier et al, 1985) et se montre très variable suivant le bassin considéré. Par exemple, Kolel, qui est totalement couvert de buttes/relief, ruisselle peu; alors que Tchalol, qui ruisselle plus que Polaka malgré une même superficie et une proportion de glacis plus faible, voit ses reliefs contribuer à l'écoulement. On retrouve ces différences dans la figure 7 lors de la reconstitution du débit de Kolel.

Il semble donc difficile d'identifier sur le terrain un comportement "unique" de la zone homogène butte/relief, ce qui est confirmé par les résultats de notre analyse.

La zone thalwegs/dépressions

Au pas de temps annuel, les coefficients estimés dans les tableaux 5 et 8 prennent des valeurs relativement faibles face aux valeurs attendues. En effet les mesures au simulateur de pluie (Chevallier et al., 1995) ont montré qu'il se produisait une imperméabilisation croissante en allant de l'amont des bassins vers l'aval, ce qui devrait donner de forts coefficients pour les thalwegs / dépressions.

TABLEAU 10

Coefficients d'écoulement (en %) retenus pour les zones homogènes - Zone de Gagara

Zone homogène Coefficient moyen en %
Système dunaire 0
Thalwegs et dépressions 10
Buttes et relief 10
Glacis 30

Au niveau mensuel, on identifie une tendance à l'imperméabilisation au cours de la saison (augmentation du coefficient d'écoulement). Ce résultat est à relier à la fermeture des fentes de dessication du sol dès que celui-ci devient plus humide (communication personnelle de Lamachère, 1995). L'eau stagne alors dans des flaques et est très vite reprise par évaporation, ce qui diminuerait d'autant l'écoulement (Chevallier et al., 1985).

Ici encore notre analyse nous permet, grâce à une approche à plusieurs pas de temps, une interprétation des coefficients d'écoulement en termes de mécanismes.

En conclusion, on peut dire que ces résultats illustrent la difficulté de résumer par rapport à quelques zones homogènes le comportement hydrologique d'un bassin versant. Néanmoins ils confortent notre approche en montrant qu'elle semble permettre une analyse pertinente (exemple : zone homogène des thalwegs) des comportements hydrologiques en jeu.

Vers une régionalisation de la méthode

Ce paragraphe présente une tentative de transposition des résultats obtenus sur le site de Gagara. Nous nous appuyons ici sur les travaux d'Albergel (1988), qui a utilisé la procédure de cartographie par télédétection de Lointier et al. (1984) sur les sites de Garaga. Après regroupement des 10 thèmes d'occupation du sol en quatre, nous obtenons les proportions présentées au tableau 9.

TABLEAU 9

Proportions de zones homogènes sur les bassins de Gagara

  Gagara Est Gagara Ouest
Surface km² 35 24.3
Dunes % 17 14
Thalwegs % 7 6
Buttes % 0 0
Glacis % 76 80

Sur la base des résultats précédents, nous pouvons appliquer, pour les pas de temps annuel et mensuel, des coefficients d'écoulement moyens par zone homogène (tableau 10).

Les résultats sont présentés dans le tableau 11. Cette approche permet donc, au niveau annuel (excepté année 57), et pour les mois pluvieux (juillet, août et septembre), d'estimer les coefficients d'écoulement de façon relativement satisfaisante. L'ordre de grandeur est respecté.

TABLEAU 11

Comparaison des coefficients d'écoulement observés et calculés à partir des données du tableau 10

  Gagara Ouest Gagara Est
  P moy

mm

K obs.

%

(Cal-Obs)

Obs

P moy

mm

K robs

%

(Cal-Obs)

Obs

Données au pas de temps mensuel pour l'année 1995
Juin 17.6 0 - 13.5 11 136
Juillet 56.9 21 12 42.6 22 18
Août 88.8 29 -19 86.4 26 0
Septembre 35.6 28 -16 42.4 24 8
Octobre 1.3 0 - 1 0 -
Données au pas de temps annuel
1956 445 18 31 440 19 37
1957 385 12 96 395 11 136
1985 200 24 0 186 23 13

L'analyse conduite ici rejoint celle de Seguis (1986) qui a défini les potentialités au ruissellement par le pourcentage de glacis.

Conclusion

Les travaux engagés dans cet article avaient pour but de :

1 - confirmer l'intérêt de notre méthode de décomposition de l'espace en zones homogènes pour une meilleure compréhension des mécanismes hydrologiques ;

2 - tester la régionalisation de cette méthode.

Les principaux points à retenir concernent

Les apports de ce modèle spatialisé pour :

La connaissance des mécanismes hydrologiques :

La démarche présentée ici apporte des éléments de réflexion originaux aux études concernant l'analyse des mécanismes générateurs de crues.

La principale difficulté réside dans le choix du couple "objet visuel / objet hydrologique". Il doit en effet correspondre à une « réalité » hydrologique, et faire référence à un contexte spatio-temporel clairement explicité, si l'on veut éviter de se fourvoyer.

La régionalisation hydrologique :

La transposition de ce modèle en zone sahélienne n'a pas posé de difficultés du fait de sa "simplicité".

La tentative de transposition sur les sites de Gagara des résultats obtenus sur Oursi a donné de bons résultats. Il conviendrait de tester cette transposition en d'autres lieux.

L'apport de la télédétection au sein de cette modélisation :

Cette information est particulièrement bien adaptée à notre démarche, car elle permet la fourniture de données géographiques sur des zones déficitaires en informations et de produire, sur divers bassins, des cartographies aux nomenclatures homogènes.

La démarche spatialisée « désagrégative » présentée dans cet article constitue donc un outil d'analyse pertinent apportant des éléments de réflexion sur les mécanismes et la régionalisation hydrologique. Elle doit être considérée comme un outil d'investigation complémentaire des démarches agrégatives et mesures de terrain.

Bibliographie

Albergel, J. 1988. Genèse et prédétermination des crues au Burkina Faso : du m² au km² étude des paramètres hydrologiques et de leur évolution, Editions de l'ORSTOM, Collection études et thèses, 341 p.

Casenave, A. et Valentin, C. 1989. Les états de surface de la zone sahélienne. Influence sur l'infiltration, ORSTOM, Paris, Didactiques, 230 p, 196 photos.

Claude, J., Grouzis, M. et Milleville, P. 1991. Un espace sahélien, la mare d'Oursi, Burkina Faso, Editions de l'ORSTOM, 241 p..

Chevallier, P., Claude, J., Pouyaud, B. et Bernard, A. Hydrologie de la Mare d'Oursi (Burkina Faso) (1976-1981), Editions ORSTOM, Collection Travaux et Documents n°190, 251 p.

Ribstein, P. 1990. Modèles de crues et petits bassins versants au Sahel, Editions de l'ORSTOM, Collection Etudes et Thèses, 317 p.

Grésillon, J.M. 1994. Contribution à l'étude de la formation des écoulements de crue sur les petits bassins versants, approches numériques et expérimentales à différentes échelles, Document HDR, LTHE, Université Joseph Fourier Grenoble, 156 p.

Lointier, M. et Lortic, B. 1984. Mare d'Oursi, traitement numérique de la vue LANDSAT du 4 février 1976. ORSTOM Cayenne 13 p.

Lamachère, J.M. 1987. Cartographie des aptitudes au ruissellement et à l'infiltration des sols d'un bassin versant sahélien par interprétation des images SPOT : le bassin de la mare d'Oursi, Burkina Faso. SPOT 1, utilisation des images, bilan, résultats. Paris, novembre 1987, CNES - CEPADUES éd. : 41-51.

Puech, C. 1993. Détermination des états de surface par télédétection pour caractériser les écoulements des petits bassins versants. Application à des bassins en zone méditerranéenne et en zone tropicale sèche, Thèse de doctorat, Université Joseph Fourier, 214 p.

Puech, C. 1995. Télédétection et modélisation hydrologique : quelle vision, quelle échelle, quels processus ?, Télédétection et Gestion des ressources en Eau, Colloque FAO, Montpellier, 29.11 au 1.12.95

Seguis, L. 1986. Recherche pour le Sahel, d'une fonction de production journalière (lame précipitée - lame écoulée). Thèse de doctorat, Univ. Sciences et Techniques du Languedoc, Montpellier, 326 p.

Remerciements

Nous remercions J.M. Grésillon (Université de Bordeaux), C. Puech (LCT Cemagref-ENGREF) et J.M. Lamachère (Orstom) pour leurs remarques et conseils.

Previous PageTop Of PageNext Page